Maison rustique du XIXe siècle/éd. 1844/Livre 1/ch. 14

Texte établi par Jacques Alexandre BixioLibrairie agricole (Tome premierp. 357-365).

CHAPITRE xiv. — Des clôtures rurales.


Olivier de Serres a dit : « Toutes les propriétés conviennent que l’on les ferme, et, soit terres à grains, prairies, pâturages et bois, rapportent plus de revenu clos qu’ouverts

Les champs, dans les belles vallées de la Normandie, les riches cultures de la Belgique, toutes les parties bien cultivées de l’Angleterre et de l’Ecosse, sont entourées de haies qui sont généralement répandues et appréciées comme étant de la plus grande utilité.

Cependant les clôtures ont leurs partisans et leurs détracteurs ; ceux-ci leur reprochent de prendre beaucoup de place ; de tenir le sol humide ; d’occasioner de grands et inégaux amas de neige ; d’être des pépinières pour les mauvaises herbes, et d’offrir des refuges aux oiseaux et aux insectes nuisibles ; d’entraver la culture, notamment le labour ; de couper la communication des champs et de forcer à des détours.

Mais, d’un autre côté, les clôtures présentent, en effet, des avantages incontestables, dont la plupart des cultivateurs reconnaissent l’importance. Elles garantissent les champs de l’incursion des animaux, et les mettent à l’abri des abus de la vaine pâture et du parcours ; elles forment des abris aux plantes, augmentent la chaleur du sol et diminuent l’action nuisible des hâles ou des vents frais ou desséchans ; elles protégent les vergers contre les pillards ; elles ôtent au cultivateur l’inquiétude des dévastations accidentelles qui peuvent endommager sa récolte et troubler ses travaux ; elles lui permettent de toujours labourer, semer et récolter en temps opportun. L’expérience de bien des contrées démontre la plus grande fertilité des champs enclos ; l’influence favorable des clôtures sur la santé du bétail qu’on nourrit au pâturage est encore plus considérable. En Angleterre, on paie une rente incomparablement plus forte d’un pâturage entouré de haies, et, d’autant plus, que les clos sont plus circonscrits. L’espace que les haies enlèvent à la culture est largement payé par le bois qu’on en retire. Tous ces avantages, et beaucoup d’autres augmentent d’une manière notable le produit annuel et la valeur réelle d’une propriété. Quant aux inconvéniens qu’on reproche aux haies, ils sont insignifians et peuvent facilement être levés avec un peu de soin.

Du reste, Thaer conclut des opinions contradictoires sur le sujet qui nous occupe : 1° que les haies trop multipliées peuvent être nuisibles sur un terrain naturellement humide et bas, mais qu’elles sont infiniment utiles dans les contrées sèches et élevées, sur les sols légers et sablonneux, et qu’on ne doit pas craindre de les y rapprocher beaucoup ; 2° l’utilité des haies est surtout considérable

Sect. Ire. Des murailles. 
 358
Sect. II. Des fossés. 
 359
Sect. III. Des haies et fossés plantés. 
 360
§ Ier. Haies sèches ou mortes. 
 ib.
§ 3. Haies vives. 
 361
Sect. IV. Des barrières et passages. 
 364


influences de l’atmosphère, devient très-propre à l’amendement du sol.

Murs en torchis. — On appelle torchis un mortier fait de terre argileuse, dans lequel on met une quantité relative de paille longue de gros foin, et quelquefois de laîche et de jonc. Le torchis est achevé lorsque ces pailles sont bien enduites, bien pénétrées du mortier dans lequel on les a plongées. Pour en faire usage, il faut d’abord planter des pieux charbonnés de la hauteur du mur, et placés assez près les uns des autres. On les croise par des perches de toutes longueurs fixées horizontalement aux pieux par des liens de paille, des osiers ou des harts. On prend ensuite par poignées les pailles ou autres matières imprégnées de mortier que l’on maintient dans toute leur longueur, et on entrelace le torchis en le passant successivement dans les vides formés par les pieux et les perches, jusqu’à ce que ces vides soient entièrement remplis. On ragrée ensuite des deux côtés avec le même mortier dans lequel on a mêlé de la menue paille ou du foin haché. Ces murs sont terminés par des chaperons en gazon ou de petits toits en chaume. Ils ne sont pas ordinairement d’une grande étendue ; mais, dans quelques contrées de la France, on voit assez souvent des chaumières entièrement construites de cette manière, qui, lorsqu’elles sont bien entretenues, durent fort long-temps.

Murailles en plaques de gazon ou de bruyère. — On emploie quelquefois des plaques de gazon ou de bruyère, et même des mottes d’une terre argileuse fort compacte que l’on écarrit, pour élever des murs d’une étendue peu considérable. Ces clôtures agrestes se couvrent de chaume en forme de toit, de gazon et quelquefois seulement en terre, à laquelle on donne la forme d’un chaperon, pour écarter les eaux du centre de la construction.

Section ii. — Des fossés.

Le fossé est une excavation longitudinale plus ou moins large, plus ou moins profonde, dont on environne un champ pour le défendre contre les hommes et les animaux ; pour protéger les haies et barrières intérieures contre la dent ou les attaques du bétail ; pour dessécher les terres et le sol des chemins en recevant les eaux surabondantes et les tenant à la portée des racines des arbres qui sont dans le voisinage. Il y a plusieurs sortes de fossés : simples, doubles, revêtus en maçonnerie et plantés.

On distingue dans le fossé : l’ouverture, les glacis, le fond, la berge et la crête. L’ouverture est la partie de la tranchée qui sépare les deux glacis à l’extrémité supérieure. Les glacis sont la partie qui commence au niveau du sol et descend de chaque côté jusqu’au fond du fossé. Le fond est la partie opposée à l’ouverture où viennent aboutir les glacis. La berge est l’élévation en talus formée le long du fossé avec la terre provenant de l’excavation. La crête est la partie la plus élevée de cette berge. L’inclinaison des glacis doit être plus ou moins considérable, suivant que la terre a plus ou moins de consistance. En effet, si la terre est forte et tenace, l’inclinaison de 64 millim. par 32 centim. (un pouce par pied) sera suffisante ; tandis que si la terre est légère, sablonneuse, on doit donner à cette inclinaison de 46 à 60 degrés.

Le fond présente ordinairement une surface plane, ou fond de cuve, ou arrondie en manière d’auge ; quelquefois il forme un angle plus ou moins aigu, lorsque le fossé est assez profond pour que les glacis, plus ou moins inclinés, viennent à se rencontrer.

La berge qui est formée de la terre extraite de l’excavation, est placée en talus de l’un ou l’autre côté, et même, lorsque le fossé est mitoyen, elle est partagée entre l’un et l’autre. Quelquefois encore la terre est répandue aux environs du fossé, ou enlevée pour une destination plus éloignée, de manière que ces fossés sont sans berge. Ils ont alors pour but de marquer la circonférence du terrain, plutôt que de le défendre.

La crête est la partie la plus élevée de la berge. On l’arrondit d’autant plus que la terre est légère, afin que les fortes pluies en entraînent le moins possible dans le fossé. Toutes ces parties du fossé sont ordinairement gazonnées ; quelquefois c’est seulement la berge, et plus souvent la berge et les glacis, pour soutenir les terres lorsqu’elles n’ont que peu de consistance. On peut semer le gazon au lieu de l’appliquer, ce qui est plus tôt fait et exige moins de main-d’œuvre.

Les fossés simples ont ordinairement de 1 à 2 mèt. (3 à 6 pieds) de largeur, et de 1 m. 32 à 1 m. 60 (4 pi. à 4 pi. 1/2) de profondeur. Mais ces dimensions doivent varier suivant les circonstances et selon le but que se propose le propriétaire en établissant ces clôtures.

Les fossés doubles sont deux fossés placés à 1 mèt. 32 centim. (4 pi.) de distance et prolongés ainsi parallèlement. La terre provenant de cette double tranchée forme une double berge sur le terrain qui sépare les 2 fossés, et dont la crête tient le milieu entre l’un et l’autre. Cette sorte de clôture n’est guère pratiquée (excepté quand la berge doit être plantée) que dans les terrains humides, et ceux qui les font construire ont autant pour but de dessécher l’enclos que de le défendre.

Les fossés revêtus en maçonnerie sont ceux dont les terres sont soutenues des deux côtés par un mur en maçonnerie. Ils ne sont à la portée que des riches propriétaires et pour l’enclos des jardins et des parcs. Ces murs sont ordinairement construits en moëllons piqués, liés ensemble par un mortier à chaux et à sable, soutenus, à des distances très-rapprochées, par des chaînes en pierre de taille, et entre ces chaînes par des éperons ou murs de refend, placés du côté des terres, qui ont à leur base de 1 mèt, à 1 mèt. 60 centim. (de 3 à 4 pieds 1/2) de saillie, suivant la hauteur du mur à soutenir, et viennent mourir à rien à quelques centimètres au-dessous du couronnement ; ces éperons ont en outre pour effet, en divisant les terres, d’en affaiblir considérablement la poussée, et d’empêcher ainsi l’influence qu’elle aurait sur la durée du mur. Ces fossés ont ordinairement de 2 à 3 mèt. (de 6 à 9 pieds) d’ouverture, et 2 mèt. (6 pieds) de profondeur ; ils ont le précieux avantage de n’apporter aucun obstacle à la vue extérieure de la campagne, et de laisser entiers les agrémens que cette vue procure. Quelquefois ces fossés ne sont revêtus en maçonnerie que du côté de la propriété dont ils forment la clôture (fig. 495) ; ces murs sont alors désignés sous la dénomination de murs de terrasse ;
Fig. 495
ils présentent une grande partie des avantages qu’on obtient des premiers, et sont beaucoup moins coûteux. Quand ces constructions n’occupent qu’un très-petit espace dans la clôture et n’ont été établies que pour ménager un point de vue intéressant, on les nomme alors saut-de-loup ou ha-ha.

Section iii. — Des haies et des fossés plantés.

Ce mode de clôture est généralement adopté dans les campagnes, pour contenir les troupeaux dans les pâturages qui leur sont réservés, pour préserver les jardins et les champs des dommages que pourraient y causer les hommes et les animaux, et pour protéger les vergers contre les vents et le pillage des maraudeurs.

Il y a plusieurs sortes de haies : les haies sèches ou mortes, et les haies vives. On peut encore distinguer les haies fourragères et fruitières ; il en sera traité dans d’autres chapitres de cet ouvrage.

[14 : 3 : 1]
§ ier. — Des haies sèches ou mortes.

Les haies sèches peuvent être construites avec toutes sortes de branchages ; mais lorsqu’on peut choisir, on donne la préférence aux bois épineux, dont les rameaux touffus et garnis d’épines présentent par cela même une plus grande défense ; cependant, à défaut de bois épineux, on emploie souvent les branches provenant de l’élagage des arbres que fournit la propriété, tels que chênes, ormes, etc. La seule chose qu’on ne doit pas perdre de vue, c’est que, si l’on tient à la durée de la haie, on doit éviter avec soin d’employer des bois tendres, tels que tilleuls, saules, peupliers, dont la décomposition, toujours prompte, serait encore hâtée par l’humidité de la terre et par les influences de l’atmosphère.

On enfonce en terre les branches destinées à cette construction, par le gros bout, à une profondeur de 21 centim. (8 pouces) environ, ayant soin de les rapprocher de manière qu’on n’aperçoive aucuns vides à la naissance de la haie (fig. 496) ;
Fig. 496
le plus ordinairement on les consolide au moyen d’une traverse placée de chaque côté, aux deux tiers de sa hauteur, et qu’on assujettit à des pieux solidement fixés à 2 ou 3 mètres de distance les uns des autres (fig. 497 et fig. 498).
Fig. 497 & Fig. 498
Ces traverses ou perches, placées horizontalement, sont liées ensemble, au milieu de l’espace qui se trouve entre les pieux, par un hart qui les resserre de manière que la haie se trouve fortement comprimée entre ces perches ; ce qui la consolide entièrement.

Ces haies sèches sont le plus souvent destinées à protéger la croissance des haies vives nouvellement semées ou plantées ; et leur durée suffit ordinairement, jusqu’à ce que ces dernières soient en état de se défendre elles-mêmes ; elles servent aussi à délimiter les divisions intérieures, principalement dans les pâturages ; mais il vaut mieux pour cette destination avoir des barrières transportables ou mobiles.

Les haies sèches en palis sont souvent construites avec des échalas ou pieux de diverses dimensions ; on les enfonce en terre par un bout, et on les assujettit avec des harts (fig. 499), ou un fil de fer attaché par le haut sur une traverse fixée à des pieux placés à 2 mèt. (6 pieds) de distance les uns des autres.
Fig. 499
Ils forment quelquefois un palis très-serré (fig. 500) et quelquefois à claire-voie (fig. 501), suivant le but qu’on s’est proposé en les construisant.
Fig. 500 & Fig. 501

Les échalas sont quelquefois remplacés par de mauvaises voliges (fig. 502), ou bien par des planches (fig. 503) ;

Fig. 502 & Fig. 503

les pieux sont alors en menuiserie et doivent avoir 8 centimèt. (3 pouces) d’écarrissage ; des traverses allant d’un pieu à l’autre y sont fixées avec des clous ; c’est sur ces traverses placées au haut et au bas des pieux que sont clouées les planches formant le palis. Ces palis sont souvent employés, dans les exploitations, pour garantir les jeunes taillis de la dent destructive du lapin. Dans les départemens du nord et dans la Belgique, ces palis en planches servent à enclore des potagers, et soutiennent quelquefois de très-beaux espaliers.

Fig. 504
Fig. 505
Les haies sèches en treillage (fig. 504) se font au moyen de lattes croisées et arrêtées en haut et en bas sur des lattes transversales avec un fil de fer ; ou bien en gaulettes de divers taillis avec leur écorces (fig. 505) ; elles ont un aspect agréable, et sont ordinairement destinées, dans les parcs et jardins, à enclore un espace réservé, ou des cultures précieuses que l’on veut protéger.
Fig. 506 & Fig. 507
Haies sèches en paillassons. — Ces paillassons sont faits, suivant les lieux, avec de la paille, des tiges de Carex, de Typha, des Roseaux, des Sorgho et diverses plantes aquatiques, etc. (fig. 506 et fig. 507). Le paillasson est attaché par le haut et le bas sur une latte ou baguette ; les extrémités de ces deux traverses sont fixées à des branches ou pieux, de manière à maintenir la haie dans la position verticale qu’elle doit avoir. Les jardiniers se servent de ces haies pour protéger des semences, ombrager des jeunes plantes, les abriter contre le vent, et empêcher les promeneurs de fouler le terrain qui les contient. [14 :3 :2]
§ ii. — Des haies vives.

Les haies vives ont pour objet, comme les murailles, les fossés et les haies mortes, de circonscrire les propriétés rurales, de les préserver de l’invasion des animaux, du pillage des malfaiteurs, et encore d’abriter nos vergers contre la fureur des vents.

On peut employer toute espèce d’arbres et d’arbustes pour la composition des haies vives ; mais on doit donner la préférence à ceux qui peuvent le mieux croître en lignes serrées et présenter constamment une tige bien garnie de rameaux, dont les racines pivotantes ou peu traçantes n’exercent aucune fâcheuse influence sur les terrains environnans, qui peuvent supporter des tontes fréquentes, et qui, quoique contrariés constamment dans leur direction naturelle, peuvent se maintenir dans un bon état de végétation pendant un grand nombre d’années.

Cependant, on doit concevoir qu’il n’est pas toujours indifférent d’employer tels ou tels arbres ou arbustes, quelles que soient les circonstances et la nature de la terre où la plantation doit avoir lieu ; en effet, s’il s’agit simplement de marquer la circonférence d’une prairie, de fixer la ligne de partage entre deux héritages, on pourra employer divers arbres ou arbustes qui ne seraient plus convenables si l’on avait envie de préserver un champ du dommage que pourraient lui causer des malfaiteurs ou des animaux vagabonds ; et il n’est personne qui ne conçoive qu’une plantation dans un terrain très-sec, ou dans un terrain très-humide, doit être faite avec des arbres ou des arbustes différens.

Ceci posé, nous diviserons cet article de la manière suivante : 1o clôtures défensives en haies vives ; 2o clôtures défensives, composées en haies vives, fossés ou murailles.

I. Clôtures défensives en haies vives.

L'Aubépine (Mespilus ou Cratœgus oxiacantha ; en angl. Hawthorn ou Thorn) est sans contredit l’arbuste le plus propre à former une bonne haie de défense ; une haie d’aubépine bien faite est impénétrable aux hommes et aux animaux, et souvent plus difficile à franchir que les murs.

Voici de quelle manière on procède ordinairement pour construire une pareille haie. On ouvre, au commencement de l’été, une tranchée plus ou moins large, suivant que la haie doit être construite sur un, deux ou trois rangs ; on donne à cette tranchée de 45 à 50 centimètres (15 à 18 pouces) de profondeur ; on place de chaque côté la terre provenant de l’excavation, qui reste ainsi exposée à la chaleur et aux influences atmosphériques.

Lorsqu’on veut procéder à la plantation, on remplit le rayon plus ou moins, suivant la force du plant ; on place les brins à 16 centimètres (6 pouces) les uns des autres ; on ramène les terres sur les racines, et on appuie cette terre avec le pied ; on recèpe après le plantage à 4 centimètres (1 pouce 1/2) au-dessus dit sol ; on laisse la surface de la tranchée un peu en contre-bas, pour y retenir l’eau des pluies ; on couvre cette surface d’une bonne couche de fumier d’étable ; enfin, on a grand soin, par des binages et des labours fréquens, d’empêcher les mauvaises herbes d’envahir la plantation ; l’on remplace avec soin les individus qui n’auraient pas repris ; on tient la haie serrée par des tontes qui ont lieu de chaque côté, et on l’arrête lorsqu’elle est arrivée à la hauteur qu’elle doit atteindre par une tonte horizontale, ou en contournant les bourgeons de la partie supérieure en manière de corde, un peu avant la cessation de leur sève.

On doit avoir soin, lorsque la haie est formée de plusieurs lignes, de placer les brins en échiquier. On mêle quelquefois avec l’aubépine plusieurs sortes d’arbustes épineux, tels que le Prunellier (Prunus spinosa ; en anglais, Crabplum Stock), l’Epine à feuilles de poirier (Mespilus pyrfolia), l’Epine écarlate (Mespilus coccinea) ; mais il arrive assez souvent qu’une végétation plus rapide dans l’un de ces arbustes influe défavorablement sur les autres, et empêche le bon effet qu’on aurait obtenu de la plantation si l’on n’avait employé qu’une seule de ces variétés, toutes très-propres à former seules une haie de défense.

Un propriétaire qui s’est beaucoup occupé de clôtures en haies vives a fait, avec l’aubépine, l’expérience suivante :

Trois haies ayant été plantées en même temps, l’une fut soumise à la tonte par le haut et des deux côtés ; la deuxième, des deux côtés seulement ; et il laissa croître la troisième en toute liberté. A l’âge de 12 ans, ces haies présentaient entre elles une différence remarquable ; les tiges de la première étaient restées très-faibles comparativement aux deux autres ; la deuxième était impénétrable et parfaitement garnie depuis le sol dans toute sa hauteur ; la troisième était aussi très-forte, mais le bas des tiges était complètement dégarni. Cette expérience, faite par un cultivateur très-capable, prouve que, toutes les fois que les circonstances le permettent, il est convenable de laisser croître les haies d’aubépine en pleine liberté, en se contentant de les tondre régulièrement des deux côtés, 2 fois par an, au mois de mai et à la fin d’août.

On forme quelquefois des haies d’aubépine en suivant une toute autre méthode. On place le plant sur un ou plusieurs rangs (fig. 508),
Fig. 508
en donnant alternativement aux individus une inclinaison opposée entre eux ; on les réunit ensuite, partout où les tiges se croisent, au moyen de la greffe sylvain ; la soudure s’opère promptement, et l’on traite chaque année de la même manière le prolongement des tiges, jusqu’à ce que la haie soit parvenue à la hauteur qu’elle doit atteindre.

La méthode Wesphalienne, fort recommandée par les Allemands, ne diffère de la précédente qu’en ce qu’on n’emploie point la greffe ; les tiges plantées et croisées, ainsi qu’il a été dit, sont fixées à une perche transversale qu’on élève successivement tous les ans, jusqu’à ce que la haie ait atteint toute sa hauteur.

On donne encore aux haies d’aubépine une très-grande force, en coupant à demi les plus grandes branches qu’on ploie successivement les unes sur les autres, en les entrelaçant avec celles qui restent ; ces branches, ployées toutes dans le même sens, forment des traverses horizontales d’où partent des jets nombreux qui se mêlent aux jets directs, et forment avec eux une défense vraiment formidable.

La tonte des haies est une partie essentielle de leur direction et de leur entretien ; elle contribue beaucoup à leur bonne conservation ; nous avons déjà dit qu’elle devait avoir lieu deux fois par an, en mai et en août. Lorsque la haie envahit trop d’espace, il faut en outre, après quelques années et durant l’hiver, en diminuer le gros bois et rapprocher les branches, quelquefois même recéper entièrement la haie lorsqu’elle commence à se dégarnir du pied. On donne en général aux haies une élévation qui varie de 1 à 2 mètres (3 à 6 pieds), et une forme pareille à celle représentée (fig. 509). Cependant, quelque fois on lui donne plus de largeur à la base des deux côtés (fig. 510), ou seulement d’un seul (fig. 511).

Fig. 510, 511 & 509
Fig. 512 & 513

C’est à l’aide des ciseaux à tondre (fig.512), et des croissans (fig. 513) qu’on opère la taille des haies ; cette opération s’exécute très-promptement, et l’on peut presque toujours en utiliser les produits pour la nourriture des bestiaux, ou au moins pour former de la litière.

S’il est incontestable que les meilleures haies de défense se font avec des bois épineux et surtout avec l’aubépine, il est également certain qu’on peut construire de très-bonnes haies avec d’autres arbres ou arbustes ; on emploie à cet effet le Charme, le Chêne, le Hêtre, l’Orme, l’Erable (Acer sylvestris), le Merisier (Prunus padus), le Bois de Sainte-Lucie (Prunus mahaleb), le Buis (Buxus sempervirens), l’If (Taxus baccata), le Houx (Ilex aquifolium) et dans les terres très-humides, leSureau (Sambucus nigra), plusieurs Saules et Osiers. Ces haies se contiennent et se dirigent plus ou moins facilement au moyen de la tonte, et c’est une chose digne de remarque, qu’un chêne âgé de 20 ans n’occupe qu’un mètre carré dans une haie, tandis qu’à cet âge, lorsqu’il croît en pleine liberté, sa taille majestueuse atteint souvent une hauteur de 8 à 9 mètres ; « c’est ainsi que l’esclavage rapetisse et dénature tous les êtres. »

Mais, lorsqu’il s’agira d’enclore une prairie, un pâturage, on ne doit pas perdre de vue qu’on doit éviter l’emploi des arbres dont les troupeaux aiment à brouter le feuillage, parce qu’à force d’écourter les pousses, ils finiraient par détruire entièrement la haie.

Quelquefois, au contraire, on construit des haies, on fait des plantations, avec l’intention d’en employer les feuillages et les jeunes branches à la nourriture des animaux de la ferme ; les arbres et arbustes les plus favorables, lorsqu’on a cette destination en vue, sont :  Acacia (Robinia pseudo-acacia), si l’emplacement ne donne pas lieu de craindre l’influence de ses racines traçantes ; le Mûrier blanc (Morus alba) ou le M. multicaule (M. multicaulus), dont le feuillage pourra aussi servir à la nourriture des vers-à-soie ; l’Ajonc (Ulex europaeus), le Genêt d’Espagne (Spartium junceum), le Baguenaudier (Colutea arborescens), la Luzerne en arbre (Medicago arborea), le Frêne, l’Orme, le Bouleau, le Saule, et tous les arbres et arbustes enfin dont le feuillage plaît aux animaux domestiques et peut contribuer à l’augmentation de leur fourrage.

Il est d’autres haies qu’on nomme haies fruitières, à cause de la nature des arbres qui les composent, et qui sont susceptibles de donner un produit par leurs fleurs ou leurs fruits ; ce sont principalement, plusieurs espèces de Pommiers, de Poiriers, d’Alisiers ou Cormiers (Cratœgus), le Sorbier (Sorbus avium), l’Épine-vinette (Berberis vulgaris), le Noisetier (Corylus avellana), le Néflier (Mespilus germanica), le Cognassier (Pyrus cydonia), le Framboisier (Rubus idæus), plusieurs espèces de Rosiers (Rosa), les Groseilliers à grappes et à maquereau (Ribes rubrum et uva crispa), le Prunier de mirabelle, le Pommier d’apis, les Mûriers, la Vigne, et, dans le Midi, le Figuier, l’Olivier, etc. On reviendra sur les haies fruitières et fourragères dans les articles qui traitent des fourrages et des vergers agrestes, et nous y renvoyons.

Il arrive assez souvent que pour rendre les haies plus productives, on y place, de distance en distance, des baliveaux ou arbres fruitiers et forestiers (fig. 514). Sans proscrire
Figure 514
cet usage, qui peut quelquefois accroître sans dommage les produits à obtenir en fruits ou en bois, d’autant plus qu’on a cru observer que ces arbres étaient presque toujours très-productifs, nous ferons remarquer qu’ils font souvent périr les individus de lla haie placés très-près deux, ou en éprouvent eux-mêmes un dommage qui leur nuit beaucoup.

On conçoit qu’il est fort difficile de fixer la dépense de la formation des haies, laquelle varie à l’infini, non seulement en raison des localités, du prix de la main-d’œuvre, de celui du plant, mais encore d’après les soins qu’on apporte à l’établissement de la clôture et le genre qu’on adopte. Nous citons comme exemple la récapitulation suivante de la dépense de formation d’une haie en Écosse, lorsqu’on ne néglige rien pour sa perfection, et d’après plusieurs Mémoires couronnés, en 1834, par la Société de la haute-Écosse : ce relevé offrira en même temps le tableau de tous les travaux à exécuter ;

Tranchée de 300 pieds de longueur sur 4 pieds de large et 1 pied 1/2 de profondeur 
3 fr. 50 c.
Fossé de 3 pieds 1/2 d’ouverture, 1 pied 1/2 de profondeur et 1 pied 1/2 de largeur au fond 
10 fr. 50c»
1 charge 1/2 d’engrais, à 3 fr. la charge 
4 fr. 50 c.
1000 plants, si l’on fait la haie double, en les plaçant à 7 pouces de distance ; 800 placés de 4 à 5 pouces, si la haie est simple, environ 
25 fr. 00c»
Dressage au cordeau, plantation, etc. 
5 fr. 00c»
Houage et sarclage pendant les deux premières années 
25 fr. 00c»
Taille de la 3e année » 50 
6    75
Une charge d’engrais 3 » 
Nettoyage et herbage 1 50 
Relevage du fossé 1 75 
Taille de la 4e année » 60 
2    10
Nettoyage 1 50 
Taille de la 5e année » 60 
2    35
Relevage du fossé et culture de la haie 1 75 
Dépense totale d’une double haie de 300 mètres de longueur, laquelle sera suffisamment défensive au bout de 5 années 
 62     20 

Les palissades, clôtures ou haies d’agrément sont celles qui n’ont pas pour objet la défense du terrain qu’elles enclosent, mais dont le feuillage, les fruits et les fleurs offrent un aspect plus ou moins agréable, et qui sont particulièrement placées dans les jardins pour y former des abris, ou y établir diverses divisions utiles ou agréables ; nous ne devons pas nous en occuper ici.

II. Clôtures en haies vives, avec fossé planté ou muraille.
Fossés plantés. — L’une des meilleures clôtures de défense, ce sont les fossés plantés ; quelquefois ces plantations consistent en une haie de bois épineux, placée sur le bord du fossé du côté de l’enclos (fig. 515) ; quelquefois on donne au glacis et à la berge, du côté des terres à défendre, une inclinaison de 40 à 45 degrés, tandis que le côté opposé reste à peu près vertical (fig. 516) ;
Figures 515 et 516
on plante à partir du fond du fossé, plusieurs lignes de bois épineux, sur une largeur de 1 mètre 32 centim. (4 pieds) : on donne même à cette plantation jusqu’à 2 mètres (6 pieds) de largeur (fig. 517) :
Figure 517
alors le cultivateur exploite cette haie par moitié tous les six ans, de manière qu’il reste toujours une portion de haie suffisante pour détendre l’enclos. Souvent on place au milieu d’un glacis du fossé, et quelquefois des deux (fig. 518), une haie tondue des côtés et par le haut ; on place encore une haie au milieu du fossé (fig. 519) On voit (les fossés dont le fond est garni entièrement de ronces (Rubus vulgaris), et autres bois épineux qui remplissent toute la capacité de ce fossé. Enfin, les haies et les fossés se combinent, pour la défense, d’un grand nombre de manières, suivant les lieux et les circonstances, ou plutôt, souvent, selon le caprice du propriétaire.

Quelquefois la propriété étant défendue par un double fossé, on plante entièrement le terrain qui se trouve entre ces fossés en bois feuillus de diverse nature ; cette haie est ordinairement destinée à l’exploitation. Dans le pays de Caux et dans plusieurs départemens où cette clôture est souvent employée, au milieu du terrain planté on voit presque toujours une ligne d’arbres à haute tige, tels que chênes, frênes, etc., quelquefois réservés avec soin comme destinés à fournir du bois de charpente, et quelquefois étêtés à la hauteur de 5 à 6 mètres, pour être élagués périodiquement lors de l’exploitation de la haie, dont ils augmentent le produit.

Outre la défense à laquelle elles contribuent, ces plantations ont encore l’avantage d’abriter les vergers contre la fureur des vents, ce qui leur a fait donner dans quelques lieux la dénomination de brise-vents.

Clôtures composées en haie vive et muraille. — On place souvent au haut d’un mur de terrasse, en dedans de la propriété dont ce mur forme la clôture, une haie vive que l’on maintient à la hauteur de 1 mètre, afin que tout en augmentant la défénse, elle ne porte point obstacle à la vue de la campagne.

Enfin, on place quelquefois en dehors d’un mur de clôture une haie de bois épineux pour en défendre l’approche et augmenter ainsi la difficulté qu’on aurait à le franchir.

Il arrive encore que l’on plante en manière de palissade une haie vive contre le mur, en dedans de l’enclos, pour en changer l’aspect et le rendre plus agréable.

Section iv. — Des barrières et passages.

Une clôture ne serait pas complète si l’espace réservé pour y entrer et y introduire les instrumens aratoires, le bétail ou les animaux nécessaires à l’exploitation, ne devait aussi être fermé. Cette fermeture a lieu ordinairement au moyen de grilles en fer, de portes ou de barrières en bois. Nous ne parlerons pas des premières et des secondes, qui ne conviennent pas aux simples constructions rurales, ou qui appartiennent à l’architecture dont il sera traité ailleurs.

Les barrières-portes, ou susceptibles de s’ouvrir et de se fermer sont appendues à des poteaux en bois (fig. 520) ou à une sorte de pilastre élevé à cet effet en maçonnerie d’un seul côté (fig. 521), ou de chaque côté du chemin (fig. 522 et 523).

Pour toutes les clôtures les plus ordinaires, ces fermetures se font quelquefois au moyen de barrières à 2 vanteaux (fig. 522 et 523), et plus vent au moyen de constructions rustiques en forme de claies, ou consistant en un cadre de bois sur lequel on attache des planches ou des lattes en manière de palis. Ces portes ou barrières sont suspendues par des gonds fixés dans des poteaux, et quelquefois même à 2 baliveaux plantés exprès (fig. 521 et fig. 526). Dans ces barrières il est essentiel, pour la commodité du passage, de combiner la pose des gonds et la fermeture, de façon qu’on puisse entrer ou sortir, toujours en poussant la barrière devant soi, comme dans celles représentées (fig. 526 et fig. 527).

On se sert encore souvent, dans les domaines ruraux, de barrières fixes, susceptibles de se déplacer, mais non pas de s’ouvrir ou de se fermer comme des portes ; telles sont celles représentées (fig. 528 et fig. 529. Il est essentiel que les piquets qui les soutiennent soient bien pointus et charbonnés, pourqu’on puisse les placer et déplacer facilement, selon le besoin. Enfin, lorsqu’il ne s’agit que d’empêcher le passage des animaux, deux poteaux placés de chaque côté du passage reçoivent une ou plusieurs traverses dans des ouvertures pratiquées à cet effet, et dans lesquelles on fait glisser la traverse en avant ou en arrière, suivant qu’il s’agit d’ouvrir ou de fermer la baie ; cette dernière construction se nomme aussi barrière ; il serait inutile de la figurer. Lorsqu’on veut laisser le passage libre aux gens à pied et l’interdire aux animaux, on peut placer un tourniquet (fig. 530) ou adopter quelques dispositions analogues à celles représentées (fig. 531 et fig. 532 ).
Labbé.