Maison rustique du XIXe siècle/éd. 1844/Livre 1/ch. 10

Texte établi par Jacques Alexandre BixioLibrairie agricole (Tome premierp. 256-285).
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Chapitre x. — des assolemens.

* Sommaire des sections de ce chapitre *
Sect. Ire. Théorie des assolemens. 
 ib.
§ Ier. Théorie chimique des assolemens. 
 257
§ 2. Théorie physique. 
 259
§ 3. Principes déduits de ces théories. 
 ib.
§ 4. Influence de la nature du sol. 
 261
§ 5. Influence du climat. 
 262
§ 6. Influence de la consommation locale. 
 264
§ 7. Influence du manque de bras et de capitaux. 
 265
§ 8. Étendue relative de chaque culture dans une ferme. 
 266
§ 9. Des jachères. 
 268
§ 10. Récoltes mélangées et multiples. 
 270
Sect. II. De la pratique des assolemens. 
 273
§ Ier à 8. Assolemens de 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8 ans et plus. 
 ib. à 282


Section ire. — Théorie des assolemens.

Le mot Assolement est moderne dans notre langue agricole. Il dérive de solum, sol, dont on a fait sole, mot qui indique chacune des divisions de culture établies sur une exploitation. Assoler, c’est donc partager le terrain en diverses soles destinées à porter successivement des cultures différentes. — Dessoler, c’est changer une succession de culture précédemment établie.

André Thouin définit les assolemens : L’art de faire alterner les cultures sur le même terrain, pour en tirer constamment le plus grand produit, aux moindres frais possibles.

Les premières plantes qui fixèrent l’attention de l’homme durent être celles qui pouvaient servir à sa nourriture. Long-temps, sans doute, elles furent l’objet presque exclusif des travaux du cultivateur, et de nos jours elles occupent encore la principale place sur nos guérets. Toutefois, on ne tarda pas à s’apercevoir que la terre qui se couvre spontanément d’une foule de végétaux divers dont la continuelle succession ne fait qu’ajouter à sa fécondité, refusait de donner annuellement les mêmes produits, ou du moins ne les donnait qu’avec une parcimonie croissante, indice certain de ce qu’on a souvent appelé sa lassitude. Alors que les troupeaux trouvaient, comme au hasard, à la surface du globe, des pâturages naturels qui dispensaient de pourvoir autrement à leur nourriture ; que leur propriétaire, rassuré a cet égard, ne cultivait pour lui qu’une faible partie de ses vastes domaines, toute sa science consistait à choisir des terres neuves, fécondes, qu’il abandonnait à un long repos après en avoir tiré quelques récoltes, et l’art de la culture n’était pour lui que celui du labourage.

Plus tard, lorsque la propriété commença à être divisée, pour subvenir aux besoins croissans de la population, force fut bien d’étendre proportionnellement les cultures alimentaires, et par conséquent de les ramener plus souvent à la même place. — Aux labours il fallut joindre les engrais ; et, comme on reconnut encore leur insuffisance, on ne trouva rien de mieux que d’obtenir autant de récoltes successives que le permettait la fertilité du sol, et de le laisser ensuite plus ou moins longtemps inculte. C’est ainsi que s’établirent sur une grande partie de l’Europe l’assolement triennal et quelques autres dans lesquels des céréales succèdent invariablement à des céréales et sont suivies d’une jachère plus ou moins prolongée.

Jusque là à peine se doutait-on de la théorie des assolemens. Les prairies naturelles et les pâturages sur jachère continuaient à former toute la nourriture des bestiaux. On ne cultivait que par exception un très-petit nombre de plantes fourragères, comme s’il eût été déraisonnable ou sans profit de demander au sol des récoltes qui ne fussent pas immédiatement utiles à l’homme ; comme si toute autre plante que celle dont on obtenait directement le prix en argent ne méritait pas les soins du laboureur.

L’introduction des prairies artificielles fut presque partout le premier pas vers un meilleur système. — Les cultures sarclées, binées ou butées vinrent ensuite. — On s’aperçut que toutes les récoltes n’étaient pas également épuisantes ; que toutes ne se succédaient pas avec un même succès ; que telles pouvaient revenir plus fréquemment que telles autres sur le même terrain, etc. Une science nouvelle se déroula aux yeux du cultivateur, et, tandis que la pratique lui en dévoilait en partie les principes, l’observation plus attentive des phénomènes naturels acheva de les lui révéler.

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§ ier. — Théorie chimique des assolemens.

Quoique les végétaux qui vivent en famille, c’est-à-dire groupés en masse homogène, ne soient pas très-communs à la surface du globe, on voit cependant diverses espèces envahir à elles seules des terrains entiers et s’y maintenir plus ou moins longtemps sans mélange d’autres espèces. Mais, tôt ou tard leur végétation devenant moins vigoureuse, des plantes différentes commencent à se montrer parmi elles, bientôt elles se trouvent dominées et souvent entièrement détruites. — On a cité plusieurs exemples semblables pour des plantes herbacées, dans la nature inculte. — Nous en trouvons fréquemment dans nos pâturages et nos prairies naturelles. La qualité des herbages y change, pour ainsi dire, sans cesse : ici le trèfle rampant (Trifolium repens), la lupuline (Medicago lupulina) et quelques autres légumineuses succèdent spontanément aux graminées ; — là ce sont diverses renoncules (Ranunculus acris, bulbosus, arvensis), ailleurs la jacée des prés (Centaurea jacea), la mille-feuille (Achillea millefolium), l’oseille (Rumex acetosa), etc. — Il serait facile de multiplier beaucoup de semblables citations, et, si l’on étudiait les générations successives de ces plantes usurpatrices, la courte existence d’un homme suffirait parfois pour les voir abandonner à leur tour au profit de quelques autres les terrains dont elles s’étaient emparées.

Dans certaines contrées il ne serait pas impossible de constater que les végétaux destructeurs des moissons alternent sur le même sol, et quoique plusieurs causes autres que celles qui nous occupent ici puissent concourir à ce résultat, il y a tout lieu de croire qu’il est du, en grande partie, au besoin de productions variées.

Les arbres eux-mêmes obéissent à la loi des assolemens. À côté des importans écrits des Bosc, des Touin, des Soulange Bodin, des Dureau de la Malle et de plusieurs autres, les observations publiées par M. Thiebault de Berneaud ne doivent laisser aucun doute à cet égard.

En 1746, rapporte-t-il un immense incendie dévora en partie la forêt de Château-Neuf (département de la Haute-Vienne) ; cette forêt était en essence de hêtre. Plus de cinq hectares que le feu avait entièrement consumés se couvrirent spontanément, les années suivantes, d’herbes et de broussailles, à travers lesquelles s’élevèrent un peu plus tard une infinité de petits chênes. — En 1799, les bois de Lumigny et de Crecy (Seine-et-Marne) ayant été exploités, le hêtre, qui en faisait également la base, se trouva remplacé, sans le secours de l’homme, par des framboisiers, des groseilliers, des fraisiers, des ronces, puis des chênes, aujourd’hui en pleine végétation. — Une semblable remarque a été faite à des époques différentes dans les forêts qui couronnent les bords escarpés du Dessombre, petite rivière dont les eaux vont se perdre dans le Doubs à St.-Hippolyte. Ces forêts sont composées d’arbres de hautes-futaies, principalement de hêtres. Lorsqu’une coupe a été faite, on voit bientôt l’emplacement découvert s’orner d’une infinité de framboisiers qui fournissent pendant 3 ou 4 ans une abondante récolte de leurs fruits succulens. À ces arbrisseaux succèdent des fraisiers, et à ceux-ci la ronce bleue, enfin les pousses de nouveau bois mettent un terme à cette succession de rosacées. — Après toutes les coupes de forêts de hêtres qui ont lieu sur le Jura, particulièrement au revers du Mont-d’Or, les groseilliers paraissent les premiers, les framboisiers occupent ensuite le sol pendant 3 ou 4 ans, puis les fraisiers deux années, et la ronce bleue de 8 à 10 ans ; enfin revient le hêtre ou apparaît le chêne. — Trois espèces de coupes se succèdent dans le même triage de la forêt de Belesme, près Mortagne (Orne). La première a lieu sur un taillis de 20 ans, essence de chêne et de hêtre ; 30 ans après, on pratique sur les mêmes souches une seconde coupe, dite taillis sous futaie, et qui ne donne encore que des hêtres et des chênes ; la 3e succède sur l’ancienne souche après un siècle de végétation, c’est ce qu’on appelle la coupe de haute-futaie. Les souches existantes depuis un siècle et demi périssent alors, et on les voit remplacer sans semis ni plantations, et même sans voisinage immédiat, par de jeunes bouleaux qui, après avoir donné à leur tour trois coupes successives d’environ 20 ans chacune, périssent et cèdent la place à des chênes nouveaux. — Près de Hautefeuille (Seine-et-Marne), c’est le tremble qui remplace les vieux chênes ; on l’y trouve mêlé, selon les localités, aux ajoncs, au saule marsault, et surtout à l’alisier et au prunier épineux. — En divers lieux, aux chênes on n’a pu faire succéder avec avantage que les pins. — Dwight, dans son Voyage à la Nouvelle-Angleterre, cite des exemples nombreux d’une succession analogue. Tantôt il a vu des arbres toujours verts remplaçant des essences feuillues, tantôt le contraire. — Toujours à une espèce en décadence, lors même que le terrain serait jonché de ses graines, succède une espèce ou plusieurs espèces différentes.

En présence de tels faits il était difficile de ne pas reconnaître une loi générale ; — on s’est efforcé d’en chercher l’explication dans les phénomènes de la chimie et de la physique.

Et d’abord, on a avancé que des végétaux de familles différentes pourraient bien ne pas puiser dans le sol les mêmes sucs nourriciers, sans faire attention que les plantes les plus dissemblables absorbent indistinctement, avec l’eau, toutes les substances solubles qu’elle contient, lors même que ces substances peuvent nuire à leur existence, et que si, dans l’acte de la végétation, il se fait un choix des matières minérales tenues en dissolution ou en suspension dans le liquide séveux, ce ne peut être, ainsi que le démontrent des expériences positives, qu’à l’intérieur de la plante. — On a supposé aussi que la direction pivotante ou traçante des racines devait exercer une certaine influence en modifiant la profondeur à laquelle elles vont chercher la nourriture ; mais il est facile de comprendre que cette explication pourrait tout au plus s’appliquer à des plantes qui croîtraient simultanément à la même place, ou aux lieux où les labours ne mêlent pas sans cesse la masse du sol. — Lorsqu’on eut acquis la certitude que certains végétaux fatiguent la terre moins que d’autres, les agronomes crurent avoir trouvé une explication satisfaisante du phénomène chimique de l’alternance ; toutefois il fallut reconnaître qu’elle était encore incomplète ; car, si elle rendait suffisamment compte de l’appauvrissement plus ou moins grand du sol, elle laissait inexpliquée une partie des faits précités, et elle n’aidait en rien à reconnaître les causes de la difficulté marquée qu’éprouvent les végétaux même les moins épuisans à croître sur le terrain qui a fourni pendant longtemps à la végétation de leurs congénères. — Les cultivateurs sentaient bien que ce dernier effet, en quelque sorte accidentel, différait essentiellement de l’épuisement du sol qui réagit indistinctement dans toutes les circonstances et sur toutes les cultures. — Voici comment un de nos physiologistes les plus distingués a expliqué leur pensée.

« L’épuisement du sol a lieu lorsqu’un grand nombre de végétaux ont tiré d’un terrain donné toute la matière extractive, et l’effritement, lorsqu’un certain végétal détermine la stérilité du sol, soit pour les individus de même espèce que lui, soit pour ceux de même genre et de même famille, mais le laisse fertile pour d’autres végétaux.

» L’épuisement a lieu pour tous les végétaux quelconques : il agit en appauvrissant le sol, en lui enlevant la matière nutritive. L’effritement a quelque chose de plus spécifique ; il agit en corrompant le sol et en y mêlant, par suite de l’excrétion des racines, une matière dangereuse. Ainsi, un pêcher gâte le sol pour lui-même, à ce point que, si, sans changer de terre, on replante un pêcher dans un terrain où il en a déjà vécu un autre auparavant, le second languit et meurt, tandis que tout autre arbre peut y vivre. Si le même arbre ne produit pas pour lui-même ce résultat, c’est que ses propres racines, allant toujours en s’allongeant, rencontrent sans cesse des veines de terre où elles n’ont pas encore déposé leur excrétion. On conçoit que ses propres excrétions doivent lui nuire à peu près comme si l’on forçait un animal à se nourrir de ses propres excrémens. Cette effet, dans l’un et l’autre exemple, n’est pas borné aux individus d’une même espèce mais les espèces analogues par leur organisation doivent souffrir, lorsqu’elles aspirent, par leurs racines, une matière rejetée par des êtres analogues à elles, tout comme un animal mammifère répugne à toucher aux excrémens d’un autre mammifère. On concevrait ainsi assez facilement pourquoi chaque plante tend à effriter le terrain pour ses congénères ; pourquoi certaines plantes à suc acre, comme les pavots ou les euphorbes, le détériorent pour la plupart des végétaux.

» Si cette théorie est admise, on comprendra aussi sans peine comment certaines plantes à suc doux pourront excréter par leurs racines des matières propres à améliorer le sol pour certains végétaux qui vivraient avec eux ou après eux sur le même terrain, et l’on comprendrait ainsi comment toutes les plantes de la famille des légumineuses, par exemple, préparent favorablement le sol pour la végétation des graminées. » Physiologie Végétale de M. De Candolle, 1832.

On trouverait sans doute encore des cas où une telle explication donnée primitivement, je crois, par Brugman, reproduite depuis, appuyée de faits nombreux et recueillis sur la culture des arbres par divers écrivains, ne serait pas entièrement satisfaisante ; mais, quelles que soient les exceptions qu’on puisse rencontrer, il n’en faut pas moins reconnaître que si les sécrétions, parfois les produits de la décomposition des racines, n’ont pas toujours une importance aussi grande que l’admet M. De Candolle, et que le croyait André Thouin, elles exercent au moins dans certains cas une action assez marquée pour que, conformément aux vœux du premier de ces agronomes, les chimistes cherchent à reconnaître dans le terrain la nature des excrétions des divers végétaux, et leur action sur la vie des autres plantes. — Déjà M. Figuier, de Montpellier, a trouvé une quantité de sel marin beaucoup plus grande dans un champ voisin de la mer qui avait porté de la soude, que dans un autre champ également situé, qui était resté en jachère nue ; et mon collaborateur Payen a en partie expliqué l’influence désastreuse des vieilles racines de chêne, en démontrant qu’une solution infiniment faible de tannin peut arrêter presque complètement la croissance des végétaux qui se trouvent en contact avec elle.

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§ ii. — Théorie physique des assolemens.

La théorie physique des assolemens est plus claire que leur théorie chimique. Elle consiste en effet tout entière à tâcher d’entretenir la terre, par la combinaison de cultures variées, dans un état convenable d’ameublissement et de propreté.

De tout ce qui précède on a déduit les principes suivans :

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§ iii. — Principes généraux déduits des deux théories précédentes.

1o  Il faut faire précéder et suivre les cultures épuisantes par d’autres cultures propres à reposer le sol et à lui rendre sa fécondité. — Les cultures considérées comme les plus épuisantes sont, en général, celles des céréales et d’autres plantes, telles que le colza, le lin, le chanvre, etc., dont on laisse mûrir les graines, parce que, vers l’époque de la maturité, leurs feuilles, déjà en partie desséchées, cessent d’absorber les principes nutritifs dans l’atmosphère, et laissent aux seules racines le soin de fournir aux besoins de la végétation. — Les cultures considérées comme reposantes ou fertilisantes sont celles qui doivent être fauchées avant l’époque de leur fructification, telles que les trèfles, le sainfoin, la luzerne, les graminées pérennes dont les racines et une partie des fanes substantielles sont enfouies par les labours ; — à plus forte raison, les arbres et les arbrisseaux dont les feuilles couvrent annuellement le sol de leurs dépouilles ; — les récoltes enterrées en vert lors de leur floraison, comme les lupins, les sarrasins, etc. ; — celles que l’on est, en certains lieux, dans l’usage de faire pâturer sur place, comme les rutabagas, les navets, etc. ; — celles enfin qui exigent le concours d’engrais dont elles ne consomment qu’une partie, comme les choux, les betteraves, etc.

2o  À une plante d’une certaine espèce, d’un certain genre ou même d’une certaine famille, il faut faire succéder autant que possible une plante d’une autre espèce, d’un autre genre et d’une autre famille. — Par ce moyen on a moins à redouter les effets de l’effritement. Il existe à la vérité quelques exceptions à cette règle, mais elles ne sont ni assez nombreuses ni assez expliquées pour faire loi. C’est ainsi que dans certaines contrées du Midi on voit les bonnes terres produire d’abondantes récoltes de blé froment et de maïs, sans aucune intercalation ; que M. de Gasparin cite une terre semée en blé depuis 40 ans sans interruption, et qui, après avoir porté 25 fois la semence, la reproduit encore 15 fois habituellement, sans qu’on lui ait donné aucun engrais pendant tout ce temps ; — que feu M. Yvart, auteur du traité le plus complet sur les assolemens, a obtenu des résultats satisfaisans en cultivant l’orge hivernale sur le même terrain pendant 6 années consécutives, comme objet d’expériences comparatives ; — que dans le pays des Basques les terrains bas et humides sont ensemencés en maïs pendant 3 années après lesquelles on laisse ces terres pendant 3 autres années en prés, et ainsi successivement ; — que le chanvre, et, au moment où j’écris, j’en ai un exemple sous les yeux, peut prospérer un grand nombre d’années de suite dans le même champ ; — que le lin, considéré comme une des plantes les plus effritantes, puisque presque partout où on le cultive on a toujours conseillé de ne le ramener sur les mêmes soles que tous les 6 ou 8 ans, se sème cependant, dans quelques îles de la Loire, de deux années l’une, après le froment, et cela depuis plusieurs siècles, etc.

Il est donc quelques végétaux qui semblent se soustraire au besoin de l’alternance pendant fort long-temps, au moins dans certaines localités ; — il en est d’autres qui peuvent se succéder à de courts intervalles ; de ce nombre sont heureusement les céréales. — Enfin il en est qui refusent de croître avec succès à la même place, à moins d’une longue interruption, surtout si on a mésusé des avantages que présente leur culture en la faisant durer au-delà d’un certain temps ou en la ramenant trop fréquemment, comme cela est arrivé déjà sur plusieurs points pour les trèfles, et d’une manière bien plus sensible encore pour les luzernes, au grand dommage du cultivateur d’une partie de la Beauce. — Je reviendrai ultérieurement sur ce fait important. — On a remarqué sur plusieurs terres du Gâtinais que le safran ne peut se renouveler avec avantage qu’après un laps de 15 à 20 années ; — que le colza et divers autres végétaux à graines oléagineuses exigent un intervalle de 4 ou 5 ans et plus. Au point où nous en sommes, il serait, je crois, superflu de multiplier davantage des exemples semblables, qui trouveront naturellement place dans la seconde section de cet article.

Il est bien reconnu, disait Yvart, que certaines plantes nuisibles, comme la cuscute, l’orobanche et diverses cryptogames, se multiplient d’autant plus sur les champs cultivés en légumineuses, en tabac, en cardère et en safran, que le retour de ces dernières plantes y est plus fréquent, et que l’on ne peut faire disparaître ces fléaux redoutables qu’en interrompant, pendant plusieurs années, les cultures qui y donnent lieu ; — que certains insectes nuisibles s’attachent particulièrement à certaines espèces de plantes, et que la prolongation de la culture de ces dernières multiplie quelquefois prodigieusement ces animaux. Enfin, considérant la chose sous un dernier point de vue, il est aussi hors de doute que telle ou telle plante réussit mieux ou plus mal après telle ou telle culture. C’est ainsi que le trèfle, dans les terrains où sa végétation est vigoureuse, les fèves, dans les sols argileux, sont une des meilleures préparations pour le froment ; — ainsi encore l’orge ou l’avoine vient plus sûrement que le froment après une récolte de pommes-de-terre ; — l’avoine et le seigle donnent relativement de meilleurs produits que le froment et que l’orge sur un pré nouvellement rompu, sur une vieille luzerne, une défriche ou après un écobuage, etc.

3o Aux cultures qui facilitent la croissance des mauvaises herbes, et notamment à celles des blés, il faut faire succéder d’autres cultures qui les détruisent ou les empêchent de se développer. — Ces cultures sont de deux sortes : certaines plantes, telles que le trèfle par exemple, par la multiplicité de leurs tiges et l’abondance de leurs feuilles, empêchent à la surface du sol toute autre végétation. En interceptant presque entièrement l’air et les rayons lumineux, elles étouffent les plantes plus jeunes ou plus faibles qu’elles. Toutefois, pour que leurs effets soient tels qu’on les désire, il est indispensable que leur végétation soit rapide et vigoureuse. Si l’on semait un trèfle dans un champ mal préparé et mal fumé ; si, par un calcul mal entendu, on voulait le faire durer trop longtemps, de manière à laisser reprendre le dessus aux mauvaises herbes, on courrait le risque d’arriver à un résultat opposé, et il serait très-possible qu’il laissât encore plus sales les terres qui étaient déjà sales avant lui. — Les récoltes que l’on doit biner ou sarcler sont aussi très-propres à précéder et à suivre celles qui ne comportent pas de telles façons. On peut en effet les considérer comme une sorte de jachère, puisque pendant leur durée on laboure le sol pour le pulvériser, l’exposer aux influences atmosphériques et détruire les plantes adventives ; mais c’est une jachère productive qui vaut quelquefois autant qu’aurait valu la récolte de grains, et qui prépare au moins aussi bien une culture céréale que l’eût fait une jachère stérile.

Dans la pratique habituelle, les céréales commencent encore souvent la rotation. On les sème immédiatement après une fumure, et, pour être juste, il faut reconnaître que, selon les lieux et les circonstances, cette méthode discréditée en théorie, d’une manière trop générale, présente parfois des avantages. Avant de la condamner d’une manière absolue, il faudrait avoir étudié non seulement la nature plus ou moins riche et l’état de propreté plus ou moins grande du sol dans chaque localité, mais aussi la qualité des engrais, le point précis de leur décomposition, et, par suite, la durée au moins approximative de leur action dans le sol. — Cependant, dans les terres d’une fécondité ordinaire, et sur les champs où l’on est dans la bonne habitude d’employer les fumiers de litière peu consommés, on regarde avec raison comme profitable de faire succéder les blés sans engrais à une culture fumée, sarclée, binée ou butée, pour peu qu’elle ne soit pas trop épuisante par elle-même, — ou à une culture à la fois reposante et étouffante, ce qui vaut encore mieux. Les raisons qu’on peut donner de cette coutume sont de plusieurs sortes : d’abord une surabondance de matières nutritives peut faire verser les blés ; dans tous les cas elle favorise le développement du chaume au détriment de la grosseur et de la qualité du grain. Ceci se remarque surtout pour le froment. En second lieu, les fumiers déterminent et favorisent la croissance de beaucoup de mauvaises herbes que la culture usuelle des blés ne permet de détruire qu’incomplètement, et qui nuisent souvent à leur réussite au point de compenser par leur multiplicité, de faire même tourner à mal par leur rapacité et la rapidité de leur végétation, les bons effets de la fumure.

Les récoltes racines qui exigent à la fois de profonds labours de préparation et de nombreuses façons d’entretien, comme les betteraves, les carottes, les navets, les pommes-de-terre, etc., les autres cultures fourragères qu’on est dans l’usage de biner, comme les choux, ont au contraire le quadruple avantage de ne jamais redouter la surabondance d’engrais ; de ne consommer qu’en partie celui qui se trouve dans le sol à l’état convenable ; d’ameublir, de nettoyer la couche labourable ; et, tandis que les céréales épuisent la terre en raison de leurs riches produits, celles-ci, consommées en partie, souvent en totalité sur la ferme, doivent procurer, concurremment avec les prairies naturelles et artificielles, à l’intérieur, la nourriture nécessaire aux animaux de travail et les fumiers indispensables à la fécondité du sol, à l’extérieur, le laitage, le beurre, les laines et la viande qui seront transformés en numéraire.

D’habiles praticiens pensent que sur la plupart des terres un intervalle de quatre ans est le plus long qu’on puisse mettre entre deux récoltes sarclées.

Dans beaucoup de nos meilleurs assolemens, conformément à ces principes, les cultures fourragères ou industrielles fumées, sarclées et binées, se présentent les premières. Elles sont suivies d’une céréale, à laquelle succède une prairie artificielle, et l’année suivante une autre céréale.

Toutes les autres conditions chimiques et physiques d’un bon assolement me semblent rentrer dans les trois principales que je viens d’indiquer, et qui pourraient elles-mêmes se résumer en ce seul théorème : Entretenir le sol dans un état de fertilité constante en employant le moins d’engrais possible ; — lui confier à chaque époque les plantes à la végétation desquelles il se trouve le mieux en état de fournir ; — enfin empêcher que ces plantes ne soient gênées dans leur croissance par l’envahissement des mauvaises herbes.

Mais à ces considérations premières s’en joignent d’autres d’une non moindre importance que nous devons examiner successivement.

Partout où l’on peut varier beaucoup les productions de la culture, il n’est pas difficile de trouver de bons assolemens ; malheureusement cela n’est pas toujours aussi aisé qu’on pourrait le croire au premier aperçu. La qualité du sol, — le climat, — les besoins de la consommation locale, — la difficulté et par conséquent le prix élevé du transport, — celui de la main-d’œuvre, — la rareté des bras ou des autres moyens de travail, — et le défaut de capitaux sont autant de causes qui peuvent gêner les meilleures combinaisons en théorie et s’opposer même d’une manière absolue à leur application.

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§ iv. — Influence de la nature du sol.

Yvart, dans son important article intitulé Succession de culture du Cours d’agriculture de Déterville, a établi trois grandes classes ou divisions principales de terres sous lesquelles il me semble, comme à lui, que chaque cultivateur peut placer toutes les nuances intermédiaires qui les séparent, en l’apportant à chacune de ces divisions toutes celles qui s’en rapprochent le plus, tant par la nature générale de leur composition que par celle des productions auxquelles elles sont le plus propres, et par toutes les autres circonstances qui peuvent influer sur leurs qualités.

La première division comprend toutes les terres siliceuses, calcaires ou crétacées, plutôt sèches qu’humides, meubles que compactes, élevées que basses, essentiellement propres à la production du seigle, de l’épeautre et de l’orge parmi les graminées annuelles ; — du sainfoin, de la lupuline, du mélilot, du fenu-grec, de la lentille, de l’ers, du lupin, du pois chiche et du haricot parmi les légumineuses ; — de la rave ou du navet, de la navette, de la cameline parmi les crucifères, — et du sarrasin, de la gaude, de la spergule, de la pomme-de-terre, de la patate, du topinambour et du soleil parmi les autres familles naturelles, indépendamment de plusieurs autres plantes vivaces, propres à l’établissement des prairies permanentes, telles que la flouve odorante, la houque laineuse, le dactyle pelotonné, les avoines pubescente, jaunâtre et des prés, la fétuque ovine et plusieurs autres, divers paturins, des canches, des méliques, etc.

La seconde division renferme toutes les terres argileuses naturellement tenaces, plutôt humides que sèches, basses qu’élevées, compactes que meubles, particulièrement convenables à la culture du froment, de l’avoine et de la plupart des graminées vivaces, propres aux prairies dans la première famille ; — des trèfles, des fèves, des pois, des vesces, des gesses, et aussi de quelques autres plantes légumineuses vivaces, propres aux prairies permanentes, telles que les lotiers, les orobes, etc., dans la seconde ; — des choux proprement dits, des choux-raves, choux-navets, rutabagas, colzas ou autres variétés, dans la troisième ; — enfin, de la chicorée sauvage dans la famille des chicoracées.

La troisième division est consacrée à toutes les terres qui, douées de cet heureux état mitoyen, si convenable en toutes choses, s’éloigne des deux extrêmes compris dans les deux premières divisions ; à toutes celles qui, jouissant des proportions convenables de consistance, d’ameublissement, de profondeur et de fraicheur, sont presque également propres à toutes les productions que le climat comporte, et peuvent admettre avec avantage dans leur sein la plupart des plantes précédemment indiquées, mais réclament plus particulièrement l’escourgeon, le millet, le panis, l’alpiste, le sorgho, le maïs et le riz dans la première famille ; — la luzerne, l’arachide, la réglisse et l’indigotier dans la seconde ; — le pastel, la moutarde, etc. dans la troisième ; — le chanvre, le lin, la garance, le tabac, le cotonnier, la courge, le safran, le pavot, la betterave, la carotte, le panais, le houblon, etc., dans d’autres familles.

On conçoit qu’une classification aussi simple ne peut présenter une exactitude bien rigoureuse, eu égard à la variété presque infinie des divers terrains. D’ailleurs, les plantes qui préfèrent l’un ne refusent pas absolument de croître sur tout autre ; mais alors on devra calculer si l’abondance de la récolte pourra indemniser des frais d’une culture plus dispendieuse ou des casualités plus grandes d’une position moins favorable.

Non seulement il importe de faire choix des végétaux qui réussissent le mieux sur chaque sol ; mais, selon sa nature trop légère ou trop forte, pour remédier, dans le premier cas, à son défaut de cohésion et à son aridité, dans le second, à sa ténacité et à son humidité excessive, on doit préférer les cultures les plus propres à lier les molécules et à ombrager la surface, ou celles qui absorbent beaucoup d’eau et qui nécessitent des opérations aratoires destinées à diviser la masse et à faciliter en même temps l’évaporation de ce liquide et l’introduction de la chaleur solaire.

La position particulière d’un champ peut influer autant parfois que sa qualité sur le choix d’un assolement. Dans les plaines unies, d’une culture facile et productive, il serait déraisonnable de ne pas préférer les plantes du plus grand rapport, telles que les céréales, les fourrages légumineux, les récoltes sarclées, les végétaux propres aux arts, enfin tous ceux qui peuvent répondre par la richesse de leurs produits aux soins laborieux qu’ils exigent. — Sur des landes infécondes, sur des terres peu traitables, des pentes peu accessibles à la charrue, où les engrais sont en partie dissipés par les fortes pluies ; — dans les terrains sujets aux inondations et qui courraient le risque d’être minés par les eaux s’ils étaient fréquemment divisés par les labours ; — en des sols d’une grande médiocrité, le contraire arrive. Là, non-seulement le choix des objets de culture est beaucoup plus restreint, mais les frais de main-d’oeuvre étant plus considérables comparativement aux bénéfices de la récolte, on doit chercher à simplifier les premiers le plus possible. Il faut que la proportion des prairies ou des pâturages permanens, avec les terres labourables, soit toujours telle, que d’une part les opérations aratoires deviennent moins multipliées et plus faciles, et que, de l’autre, le besoin d’engrais soit moins général et le moyen de s’en procurer aussi assuré que possible. — En général, l’étendue des pâturages doit être, dans toute exploitation, en raison inverse de la fécondité du sol et de la facilité de subvenir par la culture des prairies artificielles à l’entretien des bestiaux.

Toutes choses égales d’ailleurs, l’état de fertilité dans lequel le fermier trouve le sol à son entrée en jouissance, doit avoir une grande influence sur le choix d’un assolement.

Je pourrais citer tels exemples où, comme dans la plaine de Nîmes, on se croit dans l’obligation d’épuiser le sol à chaque fin de bail, de manière qu’il faut ne lui confier que des cultures réparatrices pendant plusieurs années, en commençant une nouvelle rotation. Le fermier sortant ayant toujours intérêt à mésuser, sous ce rapport, de sa position, on ne peut prévoir avec trop d’attention et prévenir trop efficacement un pareil abus. — Un terrain non épuisé peut être envahi par les mauvaises herbes : cet inconvénient n’est guère moins grave que le précédent. Les récoltes des céréales y seraient peu productives et ne feraient qu’empirer le mal. Là, il faut encore un assolement particulier dans lequel reviennent fréquemment les plantes étouffantes et les cultures sarclées. — Il en faut un aussi sur une terre nouvellement défrichée ; — sur celle qui contient en surabondance des sucs nourriciers, etc.

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§ v. — Influence du climat.

Le climat doit surtout être pris en grande considération. « Le tort de ceux qui ont établi la théorie des assolemens en France, dit M. de Gasparin, est d’avoir généralisé des pratiques locales et d’avoir cru la science complète, en observant l’agriculture seule des pays où finit la région de la vigne. En étendant nos vues plus loin, nous verrons que les principes proclamés jusqu’à ce jour sont bien loin d’être absolus, et que la considération des climats est celle qui domine toute recherche sur cette matière. »

En France, en effet, il y a deux climats bien distincts qui se fondent, pour ainsi dire, en un troisième. — Celui du nord est le mieux connu sous le point de vue qui nous occupe. C’était, en effet, en Belgique, en Alsace, en Angleterre, dans ces contrées de la plus riche agriculture, que la science des assolemens a dû prendre naissance. C’est de là qu’elle a pénétré en Europe. — Celui du midi a été moins étudié ; on l’a tellement négligé dans les livres, que les habitans de la région des oliviers ont pu se croire entièrement oubliés de la plupart de nos agronomes. — Le climat du centre, comme il est facile de le prévoir, participe aux avantages et aux inconvéniens des deux autres. Toutefois, il se rapproche davantage du premier que du second.

La chaleur et l’humidité étant les deux grands agens de la végétation, c’est leur répartition entre les saisons qui constitue un climat agricole. — Dans les pays voisins de l’équateur, où les saisons sont très-régulières, la saison des pluies est toujours celle où le soleil parcourt la portion du zodiaque qui est du même côté qu’eux de la ligne. — Dans les zones tempérées, on ne trouve plus cette régularité propre aux contrées intertropicales ; mais la moyenne de plusieurs années présente quelque chose d’analogue. — Dans les pays situés en plaines et loin du voisinage des hautes sommités, la saison des pluies et celle des sécheresses se partagent l’année par deux séries continues plus ou moins égales, comme sous la zone torride, mais limitées avec moins de précision par les influences solaires ; le voisinage de grandes chaînes et d’autres causes locales viennent troubler cet ordre et introduire parfois quatre séries au lieu de deux ; de sorte qu’il est vrai de dire alors avec M. de Gasparin, à qui je dois en partie ce qui suit, que sous le rapport des pluies on a quatre saisons. Ces anomalies peuvent s’observer même en France.

Si nous divisions notre continent en deux portions par une ligne qui passât par les Pyrénées, dont elle se détacherait vers le milieu de la chaîne pour passer à l’ouest de Toulouse, qui suivrait ensuite la chaîne des Cevennes, irait se rattacher aux Alpes, en Dauphiné, en se prolongeant ensuite avec cette chaîne vers l’orient, nous aurions deux climats, l’un septentrional et l’autre méridional. Dans le premier, les étés sont pluvieux ; ils sont secs dans le second, et c’est l’automne qui est la saison des grandes pluies ; et, comme si cette ligne faisait en Europe le même effet que la chaîne de montagnes qui sépare la côte de Malabar de celle de Coromandel, les saisons de pluie et de sécheresse se succèdent au nord et au midi de cette ligne. Voilà le fait capital qui établit la principale différence entre les deux climats que nous avons le plus intérêt à connaître et à étudier ici dans leur rapport particulier avec la théorie des assolemens. — M. de Gasparin fait connaître les exemples suivans : 1o Paris, climat à pluies estivales, à deux saisons régulières ; — 2o Genève, climat à pluies estivales, à deux saisons irrégulières, le voisinage de plusieurs grandes chaînes y introduisant de nombreuses causes d’anomalie ; — 3o Montpellier, climat à pluies automnales, à deux saisons régulières; — 4o Toulouse, climat à pluies automnales, à quatre saisons ; — 5o Joyeuse, climat à pluies automnales, à quatre saisons ; — 6o Padoue, climat à pluies automnales, à quatre saisons, le voisinage des montagnes dans ces trois derniers exemples agissant pour introduire les saisons intermédiaires ; — 7o Marseille, climat à pluies automnales, à deux saisons irrégulières, la saison de la sécheresse l’emportant autant sur l’autre par sa durée que celle des pluies dans le climat de Genève.

Dans les climats à pluies d’automne il y a un très-petit nombre de jours pluvieux en été, et par conséquent la sécheresse est d’autant plus grande que les pluies de cette saison tombent par orages en laissant de longs intervalles entre elles. — Dans le climat de Paris, les pluies sont encore fréquentes jusqu’en juillet inclusivement ; on conçoit de quel avantage peut être pour plusieurs cultures économiques, et notamment pour la culture si importante des diverses plantes fourragères, une semblable disposition. — A la vérité, on sait que les rosées sont plus abondantes dans les pays chauds que dans le nord, mais il est démontré par des faits positifs que dans aucun cas elles ne peuvent suppléer aux pluies, du moins dans nos régions ; d’ailleurs, il est de fait qu’elles deviennent moins fortes en juillet et août, mois pendant lesquels on en aurait le plus besoin dans le midi de la France.

J’ai déjà eu occasion de dire ailleurs (voy. l’art. Labours) combien ces circonstances réunies apportent de difficultés dans les travaux de préparation des terres. — Dans les climats à pluies d’automne, le printemps est une saison sèche ou à pluies fort irrégulières ; les semis de mars y étant d’un succès on ne peut plus incertain, les blés trémois y sont à peu près inconnus. — Les blés d’automne y croissent au contraire fort bien. Si leur végétation est quelquefois contrariée par le défaut de pluie au printemps, elle est rarement entravée par des brouillards lors de la floraison ; par l’effet des vents et du soleil, la paille acquiert une force qui la rend peu sujette à verser ; aussi voit-on assez fréquemment des exemples de fécondité bien rares dans les pays à pluies d’été, parce que la tige ne pourrait y soutenir des épis aussi chargés sans se coucher entièrement. Cependant, dans l’état actuel de cette culture qui deviendrait bien plus avantageuse si, à l’aide de récoltes jachères, on pouvait augmenter la masse des engrais et entretenir le sol dans un état d’ameublissement plus parfait, on ne peut se dissimuler que le midi serait pauvre si elle y existait seule. Aussi dans beaucoup de lieux n’occupe-t-elle qu’un rang en quelque sorte secondaire à côté de l’olivier, de la vigne et même du mûrier. — Le premier de ces végétaux offre une des manières les plus avantageuses d’utiliser les terrains d’une nature médiocre ; — le second, qui ne couvrait d’abord que les coteaux les plus favorables à la production du vin, s’est peu-à-peu étendu à la plaine, surtout depuis que l’art de la distillation a fait de nouveaux progrès. Les vins de table sont récoltés en grande partie sur les terrains pierreux et caillouteux ; ceux à eau-de-vie, dans les fonds gras et fertiles où l’abondance supplée à la qualité. « C’est ainsi, dit M. de Gasparin, que la vigne s’est étendue sur une grande surface, destinée auparavant à la culture des grains qu’elle a remplacés avec avantage. La quantité d’engrais s’est trouvée réduite, les vignes pouvant même s’en passer tout-à-fait ; la sécheresse n’a plus été regardée comme un fléau avec ce robuste végétal, qui va puiser si profondément les sucs et l’humidité de la terre ; les cultures d’hiver de la vigne se sont bien associées avec celles des terrains à blé environnans et ont offert un utile emploi de temps aux ouvriers des pays qui ne cultivaient que le blé, et qui étaient oisifs dans cette saison. La récolte qui tombe également avant les semailles, a donné les mêmes avantages… La sécheresse de nos étés favorise la maturité et ne nuit pas à la quantité ; les pluies ne surviennent guère qu’après les vendanges, et elles ne sont jamais assez continues pour qu’on ne trouve toujours le temps de les faire ; les produits, surtout ceux des vignes à eau-de-vie, s’écoulent facilement et sont payés comptant au moment de la livraison, ce qui permet de réaliser sur-le-champ la rente de l’année ; enfin, il n’y a plus de jachère, beaucoup moins de cultures, et le produit net des vignes, dont l’exploitation est aidée par tous les progrès des sciences physiques appliquées à l’art de la distillation, est plus considérable que celui des terres à blé, soumises encore à l’ancienne routine. Dans les régions à pluies d’été, une culture aussi simple serait impraticable[1]... » — Le mûrier s’est aussi emparé, depuis une quinzaine d’années surtout, de l’intérieur des champs dont naguère il ne formait que la bordure[2] ; ses produits sont, selon la réussite habituelle des vers-à-soie dans les différens cantons, ou supérieurs ou égaux à ceux de la vigne, et sa multiplication paraît cependant à peine proportionnée aux besoins croissans de la consommation.

Parmi les plantes herbacées la garance est une de celles dont la culture se lie le mieux à toutes les convenances agricoles du midi. Elle s’associe très-bien au blé, remplit l’intervalle de repos qui est nécessaire à la terre pour devenir susceptible d’en porter avantageusement de nouvelles récoltes, et donne ainsi les moyens d’établir un assolement régulier. Malheureusement, si elle réussit parfaitement dans les terrains légers et profonds du bassin central de Vaucluse, grâce aux infiltrations naturelles de la Sorgues ; sur les bords de la Durance, et dans quelques autres lieux dont la position particulière combat et détruit les effets du climat, il ne peut en être partout ainsi. — Le safran n’occupe qu’une faible étendue de terrain. C’est plutôt un produit de petite que de grande culture. — On peut en dire autant du chardon à bonnetier, quoique cette plante, très-lucrative et qui résiste bien à la sécheresse, ait gagné du terrain depuis quelques années, — Le chanvre est d’une certaine importance pour plusieurs parties des départemens de la Haute-Garonne, du Tarn, du Gers, etc. Mais autant au moins que la Garance, il exige des terrains de choix. — Enfin, il est encore un petit nombre de végétaux propres aux arts, dont on peut obtenir des récoltes avantageuses dans quelques localités privilégiées, sans qu’aucun présente une ressource générale pour les assolemens du midi. Les uns ne peuvent résister aux chaleurs printanières et estivales ; les autres exigent plus d’engrais qu’on ne peut leur en donner dans des contrées où les herbages naturels offrent la principale, presque la seule ressource pour la nourriture des bestiaux.

Le grand problème serait donc de trouver des plantes fourragères qui pussent s’accommoder au climat. Partout où l’on a pu le résoudre à l’aide des irrigations ou de toute autre manière, il est devenu facile d’établir de bons assolemens. Depuis fort longtemps, on cultive de la luzerne, du sainfoin et surtout des vesces et des orges coupées en vert, dans nos départemens méridionaux. Toutefois, le premier de ces fourrages, semé sur une petite étendue de terrain, plutôt comme une nécessité, pour avoir quelque peu de bonne nourriture à donner aux brebis nourrices ou aux bêtes de travail dans les temps de travaux, que pour arriver à un système d’assolement général, ne donne pas la moitié des produits qu’on en retire dans le nord et le centre ; — le sainfoin, cultivé surtout dans la vallée du Gardon où l’on prolonge sa durée autant que possible, et jusqu’à ce qu’il soit remplacé en grande partie par les graminées vivaces, parcourt peu-à-peu les différentes parties du domaine dont il occupe à peine le huitième ou le dixième de la surface, parce que les sécheresses du printemps rendent la récolte presque nulle un an sur trois au moins ; plusieurs années se succèdent même trop souvent sans qu’on en obtienne aucun produit, et dans tous les cas le maximum de ce produit se fait attendre jusqu’à la troisième année. — Le trèfle réussit assez ordinairement quand on parvient à le faire bien lever ; mais là se trouve la difficulté. Semé au printemps sur le blé, on ne peut espérer de le voir germer que dans les années particulièrement humides ; semé en automne, les froids de l’hiver le détruisent dans ces climats sans neige plus souvent encore que dans les contrées du centre ; — le trèfle incarnat semble admirablement constitué pour le midi, mais, outre qu’il exige un terrain assez riche pour prospérer, au lieu de lui donner de la fertilité il l’épuise au point d’être suivi d’un blé très-médiocre. Enfin, dans beaucoup de lieux il est entièrement dévoré par les limaces. — Les raves ne peuvent être cultivées en seconde récolte à cause des sécheresses estivales et des ravages des insectes ; semées au printemps, elles n’ont pas le temps de grossir ; — la pomme-de-terre donne rarement une pleine récolte, parce que la fraîcheur lui manque pendant sa croissance. — Enfin, on peut dire d’une manière presque absolue que toutes les plantes à végétation printanière ne réussissent en quelque sorte complètement que dans des cas d’exception. Or, si l’agriculteur doit nécessairement s’attendre à être frustré quelquefois de ses espérances par des saisons extraordinaires, peut-on espérer qu’il luttera sans cesse contre l’ordre naturel de son climat, quand il n’aura que ces mêmes saisons extraordinaires pour chance de réussite ? — Dans le midi, pour changer la face de l’agriculture, il faudrait donc trouver des plantes dont la végétation eût lieu en automne, pendant la saison pluvieuse. — Nous verrons que les carottes et surtout les betteraves, qui remplissent au besoin cette importante condition, ont déjà rendu et sont, je crois, appelées à rendre d’importans services.

Dans les climats a pluies printanières, les ressources du cultivateur sont incontestablement beaucoup plus grandes. Si l’olivier, la vigne et même le mûrier ne lui présentent plus les moyens de supprimer sans labour les stériles jachères, et de retirer du sol, à peu de frais, de précieuses récoltes ; d’un autre côté, il peut étendre à son gré les prairies ou les pâturages naturels : sauf le cas où la nature du sol s’y oppose il peut multiplier a son gré les prairies artificielles et varier leur succession de la manière la plus avantageuse pour ajouter à leur produit et augmenter celui des cultures suivantes ; enfin, il peut les intercaler non seulement aux céréales, mais à la plupart des végétaux les plus recherchés par leurs qualités nutritives ou leurs propriétés dans les arts.

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§ vi. — Influence de la consommation locale.

J’ai dit qu’après la connaissance du sol et du climat dont je crois avoir assez fait sentir l’importance par les exemples précédens, on devait aussi prendre en considération les besoins de la consommation locale. Cette proposition n’a guère besoin de développemens. Il est tout simple en effet de calculer la valeur des produits d’après la facilité plus ou moins grande des débouchés, et de choisir, entre toutes les productions, celles dont la vente est le plus assurée et doit entraîner le moins de frais. Une telle question se rattache à deux autres : la proximité des populations agglomérées ou des fabriques industrielles ; — l’état d’entretien des routes et des chemins de communication. — Au nombre des frais les plus fâcheux dans une ferme bien organisée, il faut sans contredit mettre ceux de transport lorsqu’on est dans la nécessité de les trop multiplier. Si l’on considère d’une part combien le temps est précieux pour le cultivateur qui le sait employer, et combien de l’autre il est important dans diverses saisons de ménager la force et la santé des animaux de trait ; — si l’on songe que dans un pays comme celui que j’habite (Maine-et-Loire), où les journées d’hommes ne sont estimées, selon l’époque de l’année, que 20, 25 et 30 sous, les métayers, lorsqu’ils viennent faire à prix d’argent les labours des terres de la vallée, demandent au moins 12 francs pour le travail d’un jour de charrue, on comprendra combien la distance, et les moyens plus ou moins faciles de la parcourir, peuvent influer sur le genre de production qu’on doit demander au sol, quelle différence il doit exister entre un pays coupé de canaux ou de routes, de toutes parts accessible au commerce et couvert de fabriques diverses, et celui qui ne jouit d’aucun de ces avantages. — La construction d’une sucrerie de betteraves, d’une distillerie, de moulins à huile, la seule proximité d’un routoir vaste et commode pour les chanvres ou les lins, et bien d’autres circonstances analogues, peuvent changer entièrement l’aspect de l’agriculture de toute une contrée ; et déjà, depuis que l’emploi des prestations en nature a permis aux communes les plus pauvres de réparer les chemins vicinaux, on peut juger de l’avenir que préparent aux départemens arriérés de la France la facilité croissante des transports et des communications.

Dans le voisinage des grandes villes où les engrais abondent, on peut se livrer avec beaucoup plus d’avantage que partout ailleurs aux cultures industrielles qui exigent presque toutes des terres richement fumées. — On trouve un débit plus facile des fourrages surabondans et des plantes potagères dont les récoltes, très-productives en pareille position, ne pourraient l’être ailleurs sur une aussi grande échelle. — Dans le Nord, la fabrication de la bière et de l’eau-de-vie de grains ajoute beaucoup à la valeur vénale de l’orge et du seigle. — Près d’un four à chaux ou à plâtre, d’un dépôt de marnes, d’une tourbière dont les cendres s’obtiennent à vil prix, il devient facile d’améliorer la qualité du sol et de varier les assolemens ; tandis qu’en des lieux reculés et privés de ces ressources, toutes choses égales d’ailleurs, il ne reste souvent à spéculer que sur l’élève, l’entretien et l’engraissement des animaux de trait, de lainages et de boucherie. — On conçoit que chaque localité doit avoir, sous ce point de vue, des besoins particuliers et des ressources différentes.

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§ vii. — Influence du manque de bras et de capitaux.

On a pu remarquer qu’en général l’accroissement de la population dans les campagnes a amené tout naturellement des améliorations dans la pratique des assolemens. C’est que partout où il a fallu répartir plus de travail sur un même espace, ce travail a été d’abord mieux fait, plus productif, et qu’on a successivement senti le besoin et reconnu la possibilité de l’étendre sur toutes les parties de la ferme. À mesure que les propriétés se subdivisent en petites exploitations, il ne reste plus de place pour les jachères périodiques ; les cultures fourragères remplacent de toute nécessité les maigres pâturages que les bestiaux cherchaient sur ces dernières, et la production augmente, en proportion de l’industrie du cultivateur, avec impérieux besoin de produire davantage. Tel est, il faut le reconnaître avec joie, l’état nouveau de plusieurs de nos départemens ; cependant il est impossible de ne pas voir qu’en trop de lieux, tandis que les populations ouvrières surabondent dans les grandes villes, les bras manquent encore dans les champs ; leur rareté, et l’absence du matériel propre à les remplacer, est peut-être l’un des plus grands obstacles à l’introduction ou à la propagation, sur une échelle raisonnable, des cultures binées et sarclées, élément on peut dire indispensable des récoltes jachères.

A côté du manque de bras, il faut placer celui des capitaux, qui en est souvent la première cause, et qui s’oppose d’une manière encore plus absolue à un changement subit de système. Ce n’est pas seulement pour payer les frais de main-d’œuvre, assez considérables, qu’exigent les binages, les butages, les sarclages, etc. ; pour acquérir les instrumens perfectionnés dont on ne peut se passer dans une exploitation où l’on a adopté ce genre de culture, que le besoin d’argent se fait sentir ; c’est aussi, et surtout, pour l’acquisition et l’entretien d’un plus grand nombre de bestiaux ; car, s’il est vrai que le principal avantage d’un bon assolement soit de produire en abondance des récoltes destinées à la nourriture des animaux et, selon les localités, à l’engraissement d’un plus ou moins grand nombre d’entre eux, afin de donner les moyens de fumer copieusement les terres et d’augmenter leur fertilité, tout en ajoutant aux récoltes de végétaux les produits souvent plus lucratifs d’un autre règne ; il l’est aussi qu’on ne peut arriver là sans dépenses premières, et que le capital d’une ferme doit être plus élevé lorsqu’on veut la cultiver sans jachère, que lorsqu’on persiste dans l’ancienne routine, ou, en d’autres termes, que les avances doivent être proportionnées aux profits, comme dans toutes les autres branches d’industrie.

Du reste, ces avances ne sont pas toutes de nature à être faites par le fermier. Le propriétaire ne s’aperçoit pas toujours assez qu’il doit y contribuer pour sa part. Les anciennes constructions rurales, par leur exiguïté, sont presque partout fort en arrière des besoins de l’époque actuelle ; non seulement des locataires plus nombreux y seraient fort mal à l’aise, mais ils n’y rencontreraient ni les greniers vastes et aérés indispensables à la conservation de leurs récoltes, de sorte qu’ils se verraient, plus encore qu’aujourd’hui, dans l’obligation de livrer parfois à vil prix les denrées dont ils trouveraient cependant avantage à différer la vente ; — ni les granges qui leur permettraient de reporter une partie des travaux de la récolte au moment où ils pourraient les effectuer sans nuire à leurs autres occupations ; — ni les étables et les bergeries susceptibles de recevoir commodément et sainement les bêtes bovines et ovines que la ferme peut nourrir. Cette dernière circonstance mérite d’être signalée d’autant plus sérieusement que l’excellente coutume de nourrir les bestiaux à l’étable, et de faire parquer le moins possible les troupeaux, commence à se répandre parmi nous. — Je dois renvoyer à ce sujet le lecteur au livre II, et à l’article Bâtimens ruraux du VIe livre de cet ouvrage.

La durée des baux, qui devra aussi nous occuper ailleurs, est un autre point fort important dans la question que je traite. Les améliorations qu’un bon système d’assolement peut apporter au sol ne se font sentir que lentement. Il est juste que le fermier ait le temps d’en profiter ; d’ailleurs, en bornant outre mesure la durée de son bail, on le prive souvent d’une partie des ressources que lui offriraient autrement les cultures industrielles et les plantes fourragères ; on le contraint à ramener trop souvent les mêmes espèces sur les mêmes soles, au détriment de la propriété.

Tout considéré, on s’est donc souvent élevé avec plus de véhémence que de raison contre ce qu’on a cru devoir appeler la routine et l’entêtement des gens de la campagne, et l’on peut juger, d’après ce qui précède, que les améliorations ne sont pas toujours aussi faciles qu’on peut le croire en examinant superficiellement les questions agricoles. Les paysans tiennent certainement beaucoup, souvent beaucoup trop, à leurs anciennes habitudes ; cependant, s’ils prêtent peu l’oreille aux raisonnemens abstraits, ils savent très-bien ouvrir les yeux devant l’exemple du succès, et si les nouvelles pratiques ne se répandent pas partout aussi promptement, cela tient surtout à ce qu’elles ne sont pas partout aussi profitablement applicables.

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§ viii. — De l’étendue relative de chaque culture dans une ferme.

Ce n’est pas encore tout de trouver un assolement qui convienne à la terre, au climat et même à la localité ; il faut le coordonner de manière à pouvoir en suivre toute l’année les travaux avec régularité, et ne pas être surchargé dans certains momens et inoccupé dans d’autres. — Il faut aussi que l’étendue relative de chaque sole soit calculée de manière à établir une balance favorable entre les produits de la terre et ceux des animaux qu’elle nourrit et qui doivent la fertiliser. Cette seconde question, plus que la première, a besoin de développemens.

On considère ordinairement chaque ferme comme divisée en deux parties inégales : l’une réservée aux prairies ou autres pâturages naturels, la seconde soumise à un assolement plus ou moins régulier. Cette dernière se subdivise assez souvent en autant de soles seulement que l’assolement compte d’années ; ainsi, dans la rotation triennale avec jachère (fig. 380),
Fig. 380.
le terrain se trouve partagé annuellement par tiers. — Dans la rotation quadriennale (fig.381),
Fig. 381.
on obtient chaque année quatre récoltes, de sorte que plus l’assolement est à long terme, à moins qu’il ne comprenne des plantes vivaces qui occupent le sol plusieurs années de suite, plus les produits annuels sont variés.

Il est pourtant des cas où chaque sole est elle-même subdivisée en plusieurs autres soles portant des récoltes de même nature, mais non identiques. — Ainsi, il peut arriver que l’une des soles de céréales, dans l’assolement quadriennal, se compose d’orge et d’avoine ; — que la sole des plantes sarclées soit cultivée partie en pommes-de-terre et partie en navets ou en betteraves ; que celle des prairies artificielles ne soit pas enfin exclusivement occupée par le trèfle.

Il peut également arriver que tandis qu’on laisse à certaines soles toute leur étendue relative, comme par exemple le tiers des terres assolées régulièrement dans une rotation de trois ans, le quart dans une rotation de quatre ans, et ainsi de suite, on trouve néanmoins convenable d’en partager certaines autres conformément au principe déjà posé de modifier les produits selon les besoins de la consommation et du commerce local, et surtout selon la quantité de fourrages artificiels dont on a besoin. C’est ainsi que les céréales peuvent faire place en partie a quelques autres plantes utilisées dans les arts, telles que le lin, le chanvre, etc. ; que les racines fourragères, comme les pommes-de-terre et les betteraves, peuvent être détournées de leur destination ordinaire, la nourriture des bestiaux, dans le voisinage des féculeries ou des fabriques de sucre ; qu’elles peuvent disparaître presqu’entièrement devant des récoltes également binées et sarclées, mais plus épuisantes et plus productives, comme celles du colza, de l’œillette, etc., dans les localités où les engrais abondent ; enfin que les prairies artificielles, en des circonstances analogues, peuvent être réduites à très-peu de chose. Un exemple rendra ceci plus clair ; je le prendrai chez moi : — La petite ferme de Saint-Hervé, située sur les rives de la Loire, se compose de : six hectares et demi de terres labourables ; — deux hectares de pâture plantée en tétards de frêne et de saule ; — deux hectares et demi de prairies naturelles ; — et un hectare de luisette ou plantation de bordure du fleuve, jardin, verger, bâtimens et cour.

Sur ces douze hectares, 5 1/2 sont donc hors d’assolement ; — 2 1/2 produisent une herbe fauchable, de bonne qualité ; — 2, disposés de manière à ne pouvoir être défrichés sans inconvéniens, à cause des inondations fréquentes du fleuve, servent de pâturages aux vaches laitières ou nourrices et aux élèves destinés à la boucherie ou au marché ; — enfin 6 1/2 sont cultivés par parties inégales en lin, chanvre, céréales, et une très-petite quantité de pommes-de-terre pour les besoins du ménage et l’engraissement des porcs.

Sans aucuns frais de culture, à l’aide de la prairie, de la pâture dont je viens de parler et du brout, ou, en d’autres termes, des feuilles d’orme et de frêne dont il fait dépouiller les arbres, à la fin de l’été et au commencement de l’automne, pour ajouter à la nourriture du bétail, le fermier actuel conserve, selon les années plus ou moins favorables, de six à huit vaches ; il élève deux génisses et deux taureaux, et le plus souvent, outre la jument destinée à faire ses charrois, il nourrit encore un jeune poulain.

On conçoit qu’en des circonstances semblables les prairies artificielles ou les racines fourragères occuperaient une place utilement réservée aux plantes panaires et surtout aux plantes filamenteuses ci-dessus indiquées. — Il en sera de même partout où les herbages croissent spontanément avec succès, car peu de produits fourragers peuvent être comparés à ceux d’une bonne prairie, parce qu’aucun ne s’obtient à moindres frais.

Dans la plupart des cas il en est toutefois autrement. Les prairies naturelles ne pouvant suffire, la première condition de succès doit être de proportionner l’étendue des fourrages à celle des cultures fumées. — La règle générale à cet égard est qu’une moitié environ des terres consacrées aux végétaux herbacés soit conservée ou cultivée en plantes fourragères. Ainsi, sur une exploitation de 20 hectares en suivant un assolement quadriennal, voici quels seraient à peu près les résultats : — Betteraves, pommes-de-terre, navets, choux ou autres cultures binées et sarclées, 5 hect. formant la 1re sole de la 1re année (voyez la fig. 381) ; — avoine, 5 hectares formant la 2e sole de la 1re année ; — trèfle, 5 hectares formant la 3e sole de la 1re année ; — blé froment, 5 hectares formant la 4e sole de la 1re année. — En tout, 10 hectares céréales et 10 hectares racines ou plantes fourragères, dont quelques-unes sont également propres à la nourriture de l’homme ou à divers usages économiques ou industriels.

La seconde année, les cultures sarclées succéderont au blé, de sorte que la dernière sole de la 1re année deviendra la première de la 2e ; — le blé prendra la place du trèfle, — le trèfle celle de l’avoine, et ainsi de suite, de manière à donner tous les ans les mêmes résultats.

Les calculs précis que M. de Morel-Vindé a établis d’après un grand nombre de recherches faites avec soin dans beaucoup de lieux différens et pendant bien des années, ne s’éloignent pas beaucoup de cette approximation.

« Sous la main du moissonneur ordinaire, dit-il, la gerbe de blé donne la botte de paille, poids marchand de 10 à 11 livres. — Les deux gerbes d’avoine font la botte de paille, poids marchand de 18 à 20 livres. — L’hectare de blé froment produit environ 720 gerbes et par suite 720 bottes de paille. — L’hectare d’avoine produit 600 gerbes et par suite 300 bottes de pailles. — L’hectare de bonne prairie artificielle produit, tous regains compris, 1200 bottes de fourrage, poids marchand de 10 à 11 livres. — Toute bête bovine ou cavalière, ou sa représentation par 12 bêtes à laine, bien nourrie et empaillée, donne un tombereau de fumier par mois, soit 12 par an. — Pour fumer convenablement une bonne exploitation, il faut compter par chaque hectare, l’un dans l’autre, six tombereaux de fumier par an.

« En faisant l’application de ce qui précède, je crois pouvoir avancer qu’en toute bonne exploitation il faut, pour chaque double hectare : 1o une bête bovine ou cavalière ou leur équivalent en bêtes à laines ; — 2o pour chacune de ces bêtes bovines ou son remplacement, les pailles d’un hectare, dont moitié en paille de blé, l’autre en paille d’avoine et de plus le fourrage tant vert que sec d’un demi-hectare en prairie artificielle. »

« D’après ce principe, de quelque manière qu’il soit retourné, il faut toujours un quart en froment, — un quart en avoine, — un quart en prairies artificielles ; — et un autre quart en culture nettoyant le sol. »

« Appliquant à cette division de l’exploitation la proportion constante d’une bête bovine pour deux hectares de terre, dont 1,2 hectare en blé, un autre en avoine et un troisième en prairies artificielles, je trouve ce qui suit : — la bête bovine ou cavalière, ou leur remplacement par douze bêtes à laine, exige en paille de blé 360 bottes, et c’est juste ce que le demi-hectare de blé produit ; — elle demande en paille d’avoine 150 bottes, et c’est juste ce que donne le demi-hectare en avoine ; — elle veut en fourrages secs d’hiver 360 bottes, plus, en fourrages verts d’été, à l’étable, l’équivalent de 240 bottes, et c’est encore juste ce qu’on récolte sur un demi hectare de prairies artificielles ; — enfin, elle donne au fermier 12 tombereaux par an, et c’est précisément ce qu’exige la fumure de deux hectares.

« Il est donc évident que, dans les proportions que je viens d’établir, tout et de toutes parts se trouve en rapports certains et rigoureux.....» (Mémoires de la Société royale et centrale d’Agriculture.)

Si toutes les terres étaient également fertiles et toutes les saisons également favorables, un tel calcul démontrerait suffisamment la possibilité de détourner, à peu près en entier, le dernier quart de la ferme, de l’usage auquel la plupart des agronomes recommandent de l’employer, la culture des plantes sarclées fourragères. Malheureusement il faut sans cesse répéter que rien n’est absolu en agriculture. Les calculs les plus précis dans un lieu peuvent manquer de justesse dans un autre, et chacun doit être en état de les refaire pour son compte. — Dans bien des lieux on jugera que les prairies sont moins productives que celles qu’a eu en vue M. de Vindé ; le fussent-elles autant, on trouvera encore non seulement que la masse d’engrais, en dépit de l’abondance des litières, est insuffisante, mais que le nombre des bestiaux peut être augmenté avec facilité et profit. Aussi n’est-il nullement rare de le voir de plus du double, même dans les fermes dites à grains, et peut-on, je crois, poser en fait, comme on doit l’induire de ce que j’ai précédemment avancé, que, dans la plupart des cas, le quatrième quart de l’exploitation, à moins que l’étendue des prairies ou des pâturages naturels ne permette d’admettre une autre marche, devra être cultivé, au moins partiellement, en racines ou autres plantes fourragères. Le cultivateur exploitant saura seul s’il est assez riche en engrais pour consacrer le reste à des récoltes sarclées plus productives et plus épuisantes, telles que celles de la plupart des végétaux propres aux arts ; — s’il doit porter au marché une partie de ses pommes-de-terre, de ses foins, etc., ou les faire consommer en entier sur la ferme.

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§ ix. — Des jachères.

Dans le paragraphe précédent, j’ai mis en regard deux assolemens, l’un avec jachère, l’autre sans jachère. Dans celui-ci je chercherai à développer les avantages respectifs de l’un et de l’autre. Il ne me restera plus ensuite, avant de faire connaître les exemples des meilleures successions de culture, qu’à dire quelques mots des récoltes mélangées et multiples sur le même sol.

Afin d’apprécier convenablement ce qui a été dit pour et contre les jachères, il n’est pas indifférent de rappeler d’abord que, selon les lieux et les circonstances, elles n’ont ni le même but, ni la même durée.

Dans l’assolement biennal, usité encore de nos jours dans une partie du midi, et dans l’assolement triennal qui le remplace sur plusieurs points du centre de la France, les jachères reviennent périodiquement de deux en deux ou de trois en trois ans. — Leur but principal est de reposer la terre en l’empêchant de porter continuellement des céréales ; — de donner le temps et les moyens de la façonner convenablement, de manière à prévenir l’envahissement des mauvaises herbes ; — enfin, accidentellement, de ménager quelque dépaissance aux troupeaux.

Sous le premier point de vue, si ces sortes de jachères ont un but d’utilité incontestable, il n’en est pas moins vrai qu’elles ne remplissent qu’imparfaitement ce but, d’abord parce qu’elles n’éloignent pas assez le retour des blés ; ensuite, parce que les plantes qui croissent spontanément sur le sol ne sont presque jamais celles qu’il importerait de lui faire porter comme culture reposante, — parce qu’elles ne couvrent qu’une partie de sa surface ; — qu’enfin les débris dont elles enrichissent la couche labourable sont le plus souvent d’un effet peu appréciable.

Sous le second point de vue, l’avantage est plus marqué. Ce qui a été dit, à l’article labour, des heureux résultats de l’ameublissement du sol, me dispense d’entrer ici dans de longs détails à ce sujet. — Sur une grande partie du sol de la France, le cultivateur, après la récolte d’orge ou d’avoine qui précède le froment, commence immédiatement à préparer sa terre pour le semis qui aura lieu vers la fin de l’année suivante. Le labour qui succède à la moisson et le hersage dont il est ordinairement suivi, contribuent à détruire les plantes vivaces à racines traçantes, en exposant ces dernières à l’action énergique du soleil d’août ; ils enterrent les grains des herbes annuelles qui sont tombées par suite de l’action de la faucille. — Le second labour donné aussi avant l’hiver ramène ces graines près de la surface, et les met pour la plupart dans les conditions les plus favorables à la germination ; — il ouvre la terre aux influences des gelées. — Le troisième n’a lieu qu’après les semailles de printemps ; il détruit les plantes qui ont levé ou qui recommencent à végéter de leurs racines : — il fait germer une partie de celles qui se trouvent encore dans la terre, et qui devront être détruites à leur tour par les labours subséquens. On en donne parfois deux et trois dans le cours de l’été. — Nul moyen ne serait préférable s’il ne s’agissait que de nettoyer complètement le sol de tous les végétaux adventices.

Disons toutefois qu’une simple jachère d’hiver qui n’exclut pas les semis de printemps, ou une jachère d’été qui n’empêche nullement les semis d’automne, et qui ne reviennent, l’une et l’autre, de loin en loin, que lorsque l’impérieux besoin d’amender ou d’ameublir extraordinairement le sol, ou de le purger des plantes nuisibles se fait sentir, suffit le plus souvent pour obtenir le résultat désiré.

Quant au troisième but, celui d’obtenir momentanément un peu de pâturage, il est évident qu’on ne peut l’atteindre en suivant la méthode que je viens d’indiquer ; aussi n’est-il pas rare de restreindre le nombre des labours à trois, même à deux, et de les différer jusqu’aux approches des semailles. Dans ce cas les frais de main-d’œuvre sont moins considérables ; — la jachère donne quelque produit, mais l’objet qu’on devait principalement se proposer est en partie manqué ; car deux labours sont loin de suffire pour faire périr les chiendents, une grande partie des mauvaises graines restent intactes, au détriment de la céréale suivante, et la terre n’est pas divisée comme elle devrait l’être ; à mon gré, quelques brins d’une herbe médiocre ne sont pas une compensation suffisante à un tel inconvénient.

Je pose donc en fait que de semblables jachères ne peuvent être considérées comme productives. Il serait déraisonnable de ne pas reconnaître leurs bons effets sur les cultures dont elles sont suivies ; mais voyons si ces effets ne sont pas trop chèrement payés.

Bien qu’il soit approximativement possible d’estimer le prix des labours dans chaque localité particulière, il devient à peu près impossible de le faire pour toute la France, à moins de prendre un terme moyen dont le résultat serait plus satisfaisant pour les esprits purement spéculatifs qu’utile aux praticiens. Ce prix varie en effet en raison de la nature du sol, — du degré de perfection des charrues, — de la rapidité plus ou moins grande du travail, — du prix de main-d’œuvre dans chaque localité, et du nombre d’hommes et d’animaux de trait employés aux opérations agricoles. — Il varie aussi nécessairement de ferme à ferme, et souvent d’année à année, par suite de la facilité plus ou moins grande avec laquelle on peut pourvoir à la nourriture du bétail. — Enfin il varie encore accidentellement, eu égard au moment où le travail doit être effectué ; car il est évident que s’il était possible de trouver un instant où les animaux fussent complètement inoccupés, comme il faut néanmoins pourvoir à leur entretien en pareil cas, le labour devrait être estime moins cher. Il devrait l’être au contraire d’autant plus qu’il entraverait d’autres travaux d’une plus grande importance.

Dans tous les cas, les labours sont toujours des opérations dispendieuses, d’abord parce qu’ils prennent beaucoup de temps ; — qu’ils fatiguent les hommes et les animaux de trait — qu’ils ajoutent aux frais d’entretien de ces derniers ; et, d’un autre côté, parce qu’ils forcent à en élever le nombre et à diminuer d’autant celui des vaches laitières ou nourrices, des élèves ou des bœufs à l’engrais, de tous les animaux enfin qui donnent à la ferme d’autres produits que leur travail, et dont la quantité est nécessairement proportionnée à celle des fourrages.

Ce que j’ai dit prématurément ci-dessus, du prix effectif d’une journée de charrue sur quelques points de la France, prouve l’importance que les paysans attachent au travail de leurs bœufs. À 12 fr. par jour, un 1er labour de jachère coûterait, selon la nature du sol, de 40 à 50 fr. par hectare ; — qu’on juge d’après cela des frais d’une jachère complète ; — à la vérité les dernières façons sont moins pénibles et plus rapides que les premières et les labours, ne sont pas partout exécutés aussi chèrement que dans l’ouest ; mais, de cet exemple on peut conclure que M.Pictet de Genève ne s’écarte pas des bornes du vrai, au moins pour beaucoup de nos départemens, lorsqu’après avoir calculé sur un nombre moyen de 3 animaux de trait à 2 fr. chaque, et de 2 hommes à 1 fr 50 c., en tout 9 fr. pour la journée, il ajoute : « J’estime que l’étendue moyenne de terrain labouré dans une journée de charrue, répond à l’espace nécessaire pour semer 5 myriagrames (1 quintal de froment) : or, comme ce terrain (environ 26 ares) est labouré six fois dans le cours de la jachère, il faut multiplier 9 fr. par 6, ce qui donne 54 fr. pour le prix du travail de la charrue. Je suppose quatre hersages seulement, y compris celui de semaille, dans tout le cours de la jachère ; un cheval et un homme suffisent à herser ce que quatre charrues peuvent labourer ; la journée de l’homme et du cheval peut s’estimer 3 fr. 50 c. Le nombre des journées de hersage, se trouve égal au nombre de quintaux de blé que l’on a à semer, c’est 3 fr. 50 cent. à ajouter à 54 fr., soit 57 fr. 50 cent. — Si l’on suppose que, dans le cours de la jachère, on ait fait ramasser les racines de chiendent, si l’on a fait casser les mottes après la semaille, si l’on ajoute les frais du semeur et ceux des rigoles d’écoulement, on verra que les frais de la jachère complète montent au moins à 60 fr. pour un espace de terrain qui reçoit 5 myriagrammes de blé. Je ne fais entrer dans ce calcul ni le prix du fumier, ni son charroi sur les terres, parce que ces deux objets de dépense sont les mêmes lorsqu’on ne suit pas le système des jachères. »

En continuant ce calcul, on trouverait que les frais de culture seulement d’un hectare 4 ares s’élèveraient à 240 fr.

Que l’on ajoute à cette somme le prix de deux années de ferme, puisque celle de jachère coûte beaucoup sans rien produire ; — celui des engrais, toujours moins abondans d’après ce système que d’après celui des cultures alternes ; — celui de la semence ; — enfin, celui des travaux de récolte, d’emmagasinement et de transport, et que l’on juge, en comparant les produits, de combien le cultivateur sera en déficit s’il veut estimer à leur plus basse valeur, je ne dirai pas même son industrie, mais le travail de ses bras, celui de ses domestiques et de ses animaux de charrue.

Du reste, il est fort rare que l’on donne jusqu’à six labours de jachère, ou du moins que l’on emploie ce procédé autrement que de loin en loin sur des terres que l’on veut à tout prix débarrasser des mauvaises herbes qui le sont envahies. Le plus ordinairement on se contente de trois labours et de quelques hersages. Les frais se trouvent ainsi considérablement diminués ; mais tels qu’ils sont, on peut encore les considérer comme exorbitans.

L’évaluation des frais dans les circonstances les plus favorables de l’assolement triennal doit donc reposer sur les bases suivantes : — Prix de location d’un hectare pendant 3 ans ; — 3 labours au moins de jachère ; — un labour au moins pour la seconde céréale ; — une fumure.

Celle des bénéfices ne peut porter que sur deux récoltes ordinairement assez chétives de céréales.

Dans l’assolement quadriennal on aura : — prix de location pendant 4 ans ; — 4 labours, 2 pour la culture sarclée, 1 pour la céréale qui lui succède, et 1 pour le blé qui remplace la prairie artificielle ; — façons d’entretien et d’arrachage des racines fourragères ; — fauchage de la récolte verte ; — une fumure ; — et pour les bénéfices quatre récoltes.

De quelque manière qu’on envisage les résultats comparatifs, il résulte incontestablement de ce qui précède que, tandis qu’avec le premier assolement on donne deux fumures en 6 ans, on n’en donne pas plus en 8 ans avec le second ; et que, toutes choses égales d’ailleurs, grâce à la propriété reposante et fécondante d’un trèfle rompu et en partie enfoui, au renouvellement de la rotation, on peut être certain que la terre sera cependant moins épuisée qu’après les deux céréales de l’assolement avec jachère ; — que le nombre des labours doit être considéré comme à peu près le même dans les deux exemples, puisque, en suivant l’assolement triennal on en compte au moins quatre pour 3 ans : ce nombre est même souvent insuffisant, tandis qu’avec l’assolement quadriennal on peut également n’en donner que quatre : de sorte que les façons indispensables aux racines ou autres plantes sarclées et binées de la première année comptent pour la différence de la quatrième ; qu’en suivant la 1re méthode on paie 3 ans de fermage pour ne récolter que deux fois, au lieu qu’en suivant la seconde, chaque année amène sa récolte : — que, dans le premier cas, il faut être particulièrement favorisé par la localité pour posséder, en dehors de l’assolement, les herbages naturels nécessaires à l’entretien, à l’éducation et à l’engraissement des animaux, et à une suffisante production des fumiers, tandis que, dans le second, les cultures destinées à procurer des fourrages alternant avec celles qui ont pour but de pourvoir à la nourriture de l’homme, on ne doit, sauf les obstacles que peuvent présenter les saisons, éprouver à cet égard aucun embarras. Si l’on objectait qu’en 12 ans, avec l’assolement quadriennal on n’obtiendrait que 6 récoltes céréales, tandis qu’avec l’autre on en obtient 8, je répondrais, avec la conviction de l’expérience, qu’en portant un tiers seulement de grains en sus par chaque rotation de 4 ans, on doit se trouver presque partout au-dessous de la vérité, et qu’ainsi, sous ce seul rapport, la balance serait au moins égale au bout de 12 ans, tandis qu’on devrait compter, en faveur de l’assolement sans jachère, tous les autres produits.

C’est avec intention que j’ai choisi les deux exemples précédens (voy. fig. 380 et 381). Il fallait, en regard de l’ancienne pratique, prouver qu’on pouvait s’en écarter facilement sans rien changer pour ainsi dire à la production principale, celle à laquelle le fermier tient le plus, parce qu’elle lui représente un capital monétaire, et qu’il ne calcule pas si bien la valeur des denrées qui se consomment dans son exploitation, et qui doivent cependant lui rapporter, sinon aussi directement, au moins aussi sûrement, des produits d’une vente également assurée, tels que le beurre, la laine, le lard, la viande de boucherie, etc.

— La rotation quadriennale offre d’ailleurs un de ces assolemens à court terme qui joint au mérite de pouvoir être adopté dans un très-grand nombre de cas, celui de donner des bénéfices satisfaisans, dès qu’il est bien établi, et de tenir les terres constamment en bon état sans augmenter bien sensiblement les frais de culture. Du reste, cet assolement pourra être modifié selon les lieux, soit en substituant le seigle, l’orge, le froment même à l’avoine, soit en remplaçant les pommes-de-terre par des betteraves, des rutabagas, des navets, des choux, etc., soit enfin en mettant à la place du trèfle, de 8 en 8 ans, un autre fourrage légumineux annuel, si l’on s’aperçoit que sa végétation s’affaiblisse après un certain temps.

A côté des jachères biennales ou triennales, dont l’étendue diminue progressivement sur presque toute la France, il existe d’autres jachères également périodiques ou semi-périodiques qui doivent nous occuper aussi quelques instans. Celles-là surtout sont le résultat de l’insuffisance ou de la difficulté des moyens de culture. — En des contrées peu peuplées, privées de débouchés ; — sur des fermes trop vastes pour le fermier qui les dirige, dans l’impossibilité de cultiver annuellement toutes les terres, on assole seulement les meilleures, et on laisse les autres en jachère pendant un nombre d’années d’autant plus considérable qu’elles sont d’une culture moins productive. Parfois, après quatre ou cinq ans de repos, on rompt le pâturage dont elles se sont couvertes, et on les soumet à une rotation de quelques années seulement, puis on les abandonne de nouveau à elles-mêmes dès que les bons effets de la végétation herbagère et du pâturage des troupeaux cessent de se faire sentir. — D’autres fois, après un écobuage, on leur demande deux ou trois récoltes successives de pommes-de-terre, et de céréales ou de sarrasin, qui paient tant bien que mal les frais de culture. Certes une telle pratique ne peut être recommandée d’une manière générale, mais il est telles circonstances où l’on ne doit pas non plus la condamner trop absolument ; d’abord parce qu’il est toujours vrai qu’il vaut mieux répartir la faible quantité d’engrais que produit une ferme sur une petite que sur une grande étendue de terrain, afin d’éviter au moins des frais de main-d’œuvre inutiles ; ensuite, parce qu’on rencontre certaines localités où, sans dépenses excessives, on peut regarder comme impossible de régler un assolement. Or, pour prêter beaucoup à la terre, il faut être sûr de le faire à un intérêt raisonnable.

Au moins si une jachère de plus d’une année ne donne pas de bien riches produits pendant sa durée, elle en donne toujours quelques-uns, souvent même d’assez importans, soit qu’elle se couvre d’herbages fourragers, soit qu’elle fournisse spontanément à la végétation des genêts ou des ajoncs dont il est facile de tirer parti. — Reste à comparer ces produits, obtenus sans travail, au prix de location du terrain. Je le répète, un pareil système n’est pas recommandable, mais on doit parfois le considérer comme une nécessité.

Au reste, cette difficulté d’établir une rotation à court terme sur quelques parties de la propriété, n’est pas un motif pour ne pas assoler convenablement le reste. Il est même assez rare que l’on ne cultive pas diverses parcelles hors d’assolement, tantôt en bois ou en pâturages, tantôt en prairies naturelles ou artificielles d’une longue durée. — Il est plus rare encore que l’on puisse adopter le même assolement sur toute une propriété d’une certaine étendue, parce que presque toujours la qualité du sol et son exposition varient ; — enfin, il n’est que trop ordinaire que les combinaisons les mieux calculées soient entravées par suite des vicissitudes des saisons. C’est au cultivateur qui connaît bien la ferme qu’il exploite, à se rappeler les principes et, dans ces cas exceptionnels, à modifier la pratique au gré des circonstances. Ce qui suit pourra le guider parfois utilement.

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§ x. — Des récoltes mélangées et multiples.

S’il est vrai que les plantes d’une même espèce ou de plusieurs espèces analogues se nuisent dans leur rapprochement, parce que leurs résidus excrémentiels ne peuvent se transformer en alimens qui leur soient propres, on devrait naturellement en conclure que les récoltes mélangées seraient préférables, en principe, aux cultures homogènes ; et, en effet, il est tels faits qui semblent appuyer cette théorie. — Sans parler des semis mélangés de seigle et de froment, d’orge et de froment, d’orge et d’avoine, sanctionnés dans plusieurs de nos départemens par une pratique de plusieurs siècles, on peut citer avec plus d’assurance les mélanges fourragers connus en divers lieux, et depuis tout aussi longtemps sans doute, sous les noms d’hivernages, coupages, dragées, etc., etc.

Les semis hétérogènes faits simultanément sur un même sol, peuvent présenter divers avantages et divers inconvéniens. Afin de mieux apprécier les uns et les autres, il faut ranger ces sortes de semis en deux classes : — ceux dont les produits, suivant à peu près les mêmes phases dans leur végétation, peuvent être récoltés en même temps ; — et ceux dont quelques-uns des produits doivent prendre leur plus grand accroissement après la récolte des autres.

Pour les mélanges de la première sorte, la très-grande difficulté sera toujours, lorsqu’on visera à la récolte des graines, de trouver des plantes différentes qui puissent mûrir exactement à la même époque ; sous ce point de vue, ceux dont je viens de parler relativement à nos principales céréales, ne sont pas sans inconvénient. À la vérité, il n’est pas impossible de citer quelques végétaux auxquels le même reproche ne puisse s’appliquer, et je dois rappeler à cet égard, comme preuve suffisante, le succès plus qu’ordinaire de la caméline semée avec la moutarde blanche ; mais une pareille coïncidence est bien rare. Lorsqu’on cultive ensemble divers fourrages verts, la même difficulté n’existe plus, et alors je suis tout disposé à admettre que de semblables mélanges soient fort bons : tels sont les ensemencemens simultanés de fèves, de pois, de lentillons ou de vesces ; — de seigle ou d’avoine ; — d’orge et de mélilot ; — de trèfle blanc et de graminées, etc.

Quant aux récoltes successives produit d’un même semis, il est également hors de doute qu’elles peuvent être suivies, en bien des cas, des plus heureux résultats. Dans la Flandre, il est assez ordinaire de semer des carottes dans le lin ; — ailleurs, c’est avec l’œillette ; — aux environs de Coutances on sème souvent le colza et la caméline dans un blé ; — près de Clermont (Oise), on voit également semer avec l’avoine, la navette qui, sans nuire sensiblement à la récolte de cette céréale, n’en donne pas moins elle-même de très-bons produits. — J’aurai occasion plus loin de faire connaître un assolement de la vallée de Niévolle, en Toscane, dans lequel entre, comme fourrage, un mélange de lupin, de lin, de raves et de trèfle incarnat, et dont chaque espèce de plante se trouve consommée successivement, depuis l’automne jusqu’au mois de mai, époque de l’ensemencement du maïs, — Aux environs de Neufchâteau, d’après Yvart, un cultivateur sema simultanément à la fin d’avril du lin, des carottes, des navets, du colza et de la chicorée. Le lin, soutenu par le colza, fut récolté le premier, à la fin de juillet ; — le colza fut coupé quinze jours plus tard ; — les navets furent arrachés en septembre ; — les carottes en octobre ; — et la chicorée fournit un bon pâturage le printemps suivant.

On peut arriver à des résultats analogues en répandant au printemps une seconde semence sur une culture déjà avancée. C’est ainsi que presque partout on sème le trèfle, souvent la luzerne, et quelquefois le sainfoin avec les céréales, et peu de temps après la moisson, pour peu que la saison soit favorable, on peut, sinon obtenir une première coupe, au moins faire pâturer sur place la jeune prairie qui sera en plein rapport l’année ou les années suivantes. Ces mêmes plantes fourragères peuvent aussi être semées avec les lins, le sarrazin, etc.

Dans la campine on répand au printemps sur le seigle un mélange de trèfle, de navets et de carottes, destiné à servir de nourriture d’hiver aux bestiaux. — Près de Lure, dans la Haute-Saône, lorsque le seigle ou l’orge commence à couvrir le terrain, on jette à sa surface des graines de carottes et de navets. Dès que la récolte est achevée, des femmes arrachent le chaume resté sur place, et comme ce travail donne au sol une sorte de labour, les racines se développent de manière à donner avant les gelées une seconde récolte pour les besoins du ménage, la vente ou la nourriture du bétail.

« Nous trouvons, dit Yvart, une pratique qui a le précieux avantage d’économiser les labours, établie dans les plaines de Léry et à Oissel, près de Rouen, pour la culture de la gaude et des haricots : — au mois de juillet, lorsque ces derniers sont en fleur, on leur donne le second binage, et après les avoir rechaussés, on profite d’un temps humide pour semer la gaude dans les intervalles qui les séparent ; on traîne ensuite entre les rangées de haricots un petit faisceau d’épines qui supplée à la herse. Pendant que la gaude lève, les haricots mûrissent, et, lorsque les tiges en sont arrachées, la terre reçoit un houage facile très-profitable à la plante qui les remplace si avantageusement. »

« Nous avons vu également semer avec succès, ajoute le même agronome, des navets dans les chènevières, lors de l’enlèvement du chanvre mâle, et ces plantes éprouvant une opération utile à leur développement lors de l’arrachage des tiges femelles, fournissent, la même année, sans frais de culture, une seconde récolte passable, qui aurait pu devenir une troisième, si le chanvre, qui se sème ordinairement assez tard, avait été précédé d’une production fourrageuse au printemps, comme cela a lieu aussi quelquefois sur des terrains fertiles et bien engraissés. — Le maïs et quelques autres plantes permettent également quelquefois cette double récolte dans leurs intervalles : — enfin, la plupart des plantes, même les graminées cultivées en rayons, peuvent admettre de la même manière un ensemencement destiné à une double récolte, à l’époque où on leur donne le dernier houage. » (Dictionnaire d’agriculture théorique et pratique.)

Les cultures de cette sorte sont le plus souvent très-avantageuses, parce que, sans une grande augmentation de frais de main d’œuvres, elles ajoutent à la somme des produits. Néanmoins il ne faut pas se dissimuler qu’elles ne sont pas toutes sans inconvéniens. Il en est qui épuisent excessivement le sol ; d’autres qui nuisent d’autant plus à la récolte principale que leur développement est plus vigoureux. J’ai vu des lins dont la croissance était sensiblement entravée, arrêtée même sur plusieurs points par la végétation du trèfle. — La principale condition de succès est donc que la plante choisie comme récolte secondaire soit d’une végétation moins rapide que l’autre ; mais il importe aussi que cette dernière ne couvre pas tellement le sol qu’elle en éloigne l’air ambiant et la lumière. — Sous ce double point de vue, l’un des meilleurs exemples qu’on puisse offrir est sans doute la culture simultanée du blé et du trèfle.

La manière dont les végétaux s’ombragent réciproquement peut, comme on voit, influer puissamment sur la possibilité ou la non-possibilité de les réunir. Dans les contrées méridionales l’ombrage des arbres est souvent nécessaire à la belle végétation des plantes herbacées. Sur le territoire de Tacape (non loin de Tripoli en Afrique), on aperçoit d’abord, dit Pline, le palmier, le plus élevé des arbres de cette contrée ; l’olivier vient ensuite ; le figuier se trouve plus bas, et après lui le grenadier que suit la vigne. Au pied de cette vigne, on cultive successivement, dans la même année, le froment, les légumes et les plantes potagères, et toutes ces productions se prêtent réciproquement un ombrage salutaire. — En Toscane on voit souvent des oliviers ombrager des citronniers sous lesquels mûrissent les céréales, et croissent les prairies légumineuses. En France une pareille culture serait impossible ; mais nous avons cependant des assolemens dans lesquels figurent à la fois plusieurs espèces de végétaux ligneux différens, ou de végétaux ligneux et de plantes herbacées. Tantôt ce sont des pêchers, des amandiers, des cerisiers qui unissent leurs produits à ceux de la vigne ; d’autres fois des mûriers et des oliviers. — Tantôt ce sont des pommiers, des noyers, des châtaigniers qui marquent les limites des champs et souvent les traversent ; — des frênes, des ormeaux, des saules taillés en têtards qui croissent en lignes régulières dans les prairies, etc., etc. ; mais de semblables mélanges offrent aussi parfois leurs dangers. À mesure que la vigne se rapproche du nord, elle a besoin de recevoir tous les rayons du soleil ; — les céréales s’étiolent lorsqu’elles en sont privées, et il n’est pas jusqu’au foin qui ne perde de sa consistance et de sa qualité nutritive en croissant à l’ombre.

Dans beaucoup de lieux les vignes sont espacées de manière à permettre entre leurs rangs des cultures intercalaires. Aux environs de Bordeaux on les laboure à la charrue, et on cultive jusqu’à une faible distance des ceps presque toutes les plantes de grande culture ; — aux environs de Paris ce sont particulièrement des légumes dont les abords de cette grande ville assurent le débit. — Près de Marseille, les interlignes connus sous le nom de ouillères, qui se trouvent entre chaque rang, sont soumis à un véritable assolement. Lors de la plantation des crossettes, on commence par des semis de melons, de betteraves, de tomates, de haricots et de pommes-de-terre, qui réussissent particulièrement bien sur la défriche ; la seconde et le plus souvent la troisième année on a encore recours à des plantes sarclées. La quatrième on sème du blé en raies qui revient ensuite aussi souvent que le permet l’état du sol. Il me serait facile de trouver ailleurs bon nombre d’exemples analogues.

La longueur et la direction des racines permettent certains rapprochemens dans les assolemens simultanés et en proscrivent certains antres. Il est de toute évidence, en effet, que deux espèces, l’une à racines traçantes, l’autre à racines pivotantes, vivront mieux sur le même sol, parce qu’elles trouveront leur nourriture à des profondeurs différentes, que deux autres espèces dont les racines suivraient une même direction. Cette considération est surtout importante dans les pays du centre, où l’on combine la culture des grands et des petits végétaux ligneux, car les arbres nuisent moins encore par leur ombrage que par les nombreux suçoirs qu’ils envoient selon les espèces à une faible profondeur dans la couche labourable, et qui s’emparent à la fois des engrais, de l’eau et de l’air qui devraient profiter aux cultures voisines. — Il n’est probablement aucun agriculteur qui n’ait vu quelques parties de ses champs ainsi stérilisées par le voisinage d’un seul arbre à racines traçantes.

Enfin, pour terminer par une dernière remarque ce que j’avais à dire, dans ce trop court paragraphe, des récoltes mélangées, il faut, autant que possible, que quelques-uns des végétaux qui les composent prêtent aux autres un appui par suite de la direction et de la consistance de leurs tiges. Dans celles de nos colonies où l’on a tenté la culture de la vanille, on a toujours attaché une grande importance au choix des arbres qu’on lui destinait pour support. Il en a de tout temps été de même au sud de l’Europe, relativement à la vigne. — Dans nos champs on se trouve bien de réunir à la vesce, aux lentillons, aux pois, les chaumes élancés de l’avoine, de l’orge, ou les tiges plus coriaces du mélilot ; — de semer les haricots dans le voisinage des plantations de maïs, et, sur nos prés, de mélanger le trèfle rampant aux graminées.

Quant aux secondes récoltes obtenues dans le cours d’une même année à l’aide de semis faits après une première récolte, elles sont moins fréquentes. Tantôt elles ont pour but d’augmenter directement la somme totale des produits de l’assolement ; — tantôt d’ajouter à la fécondité du sol dans lequel on les enfouit vers l’époque de la floraison. Ce sont alors de demi-fumures dont on n’apprécie pas toujours assez l’importance.

Parmi les fourrages, les navets, les choux, le maïs, le sarrasin, etc., etc., peuvent, étant semés ou plantés immédiatement sur les chaumes, donner de bons produits d’automne ou d’hiver. — Diverses plantes propres aux arts semées également sur le chaume, à l’aide d’un seul labour à la charrue, ou, dans quelques cas, à l’extirpateur, fournissent au printemps de l’année suivante une première récolte assez hâtive pour être avantageusement suivie d’une seconde ; tels sont le colza, la navette, la caméline. — On comprend que le succès des doubles récoltes de cette dernière sorte est malheureusement subordonné aux variations atmosphériques, et que dans un climat à longs hivers, comme dans celui où les pluies d’été ne sont pas assez fréquentes, il est trop souvent impossible de les tenter.

Section ii.De la pratique des assolemens.

Si, dans la section précédente, je ne suis pas resté trop en arrière de l’importance de mon sujet, et si, dans les limites nécessairement restreintes d’un ouvrage général, j’ai été assez heureux pour résumer ce qu’il importe le plus de connaître avant de passer de la théorie à la pratique des assolemens, je pourrais à la rigueur regarder ma tâche comme accomplie, et laisser chacun déduire, selon les lieux et les circonstances, les conséquences de chaque règle fondamentale. Cependant il est utile de donner des exemples d’application ; de les multiplier, de les varier eu égard à la différence des climats et des terrains, et de discuter même leur mérite relatif, non seulement pour ajouter à l’intelligence de ce qui précède, mais encore pour étayer les préceptes par des faits. — Je parlerai d’abord des assolemens à plus court terme, de ceux de deux ans.

[10:2:1]
§ ier. — Des assolemens biennaux.

Les assolemens à très-court terme ont le grave inconvénient de ramener trop souvent aux mêmes places les mêmes végétaux. Le retour périodique et sans jachère de deux céréales n’a pas seulement le défaut d’épuiser le sol, il le salit bientôt au point qu’il faudrait interrompre l’assolement, lors même que l’abondance des fumiers permettrait autrement de le continuer. Il est vrai que les blés n’effritent pas le sol autant qu’ils le salissent. Aussi n’est-il pas sans exemple, en Angleterre, d’après la méthode de Ducket ou du major Beatson, soit en les semant en lignes et en leur donnant des binages à la houe, soit en ameublissant la terre et en la nettoyant par de nombreuses façons à l’extirpateur, de les voir occuper le terrain pendant plusieurs années de suite avec succès.

Mais, sans ces précautions dont nous ne devons pas discuter ici l’opportunité, et même à la longue, dans la plupart des cas, avec ces précautions, le dépérissement des récoltes s’ensuit inévitablement.

Pour qu’un assolement biennal, dans lequel figurent les céréales seulement de deux en deux ans, puisse se maintenir, il faut que la culture intercalaire contribue à nettoyer le sol. — Telle est celle du lin, qui exige des sarclages attentifs, des labours soignés, et dont la récolte se fait assez tôt pour qu’on puisse donner les façons nécessaires au blé ; — celle du chanvre, qui étouffe complètement les mauvaises herbes. — Telles sont encore, dans la vallée de la Garonne, celle du maïs, que l’on butte au moins deux fois pendant sa végétation, et ailleurs, pour les sols argileux, celle des fèves, qui reçoivent plusieurs binages. — L’assolement biennal avec jachère, blé, orge ou avoine, et repos, qui s’est étendu dans une grande partie du Languedoc et des provinces voisines, a été calculé d’après les mêmes principes.

Avec tout cela, sauf un bien petit nombre de cas où il y aurait de la duperie à ne pas profiter de la fertilité extraordinaire de quelques terres pour cultiver sans interruption les végétaux les plus productifs, puisque le sol ne montre aucune répugnance à les porter, les assolemens biennaux sont d’autant plus mauvais qu’ils se prêtent fort mal à la production des plantes fourragères, et qu’ils exigent des fumures fréquentes. — En rappelant les exemples suivans, je suis donc loin de les recommander comme pratique générale.


A. Dans le centre et le nord de la France.
1o En terres plus légères que fortes.

1re année : Pommes-de-terres fumées et binées. — 2e année : Seigle.

1re année : Froment d’automne ou de printemps fumé. — 2e année : Lin sans engrais[3].

1re année : Froment, comme dans l’exemple précédent. — 2e année : Chanvre sans engrais.

2o En terres plus fortes que légères.

1re année : Fèves fumées et binées. — 2e année : Froment non fumé.

1re année : Choux-cavaliers fumés et binés. — 2e année : Froment sans engrais.

1re année : Rutabagas fumés et binés. — 2e année : Froment sans engrais.


B. Dans le midi de la France.
1o En terres de diverses natures.

1re année : Jachère complète avec fumure. — 2e année : Froment ou seigle.

2o En terres légères et de consistance moyenne.

1re année : Maïs quarantin fumé et biné. — 2e année : Seigle ou froment d’automne.

3o En terres plus fortes que légères.

1re année : Fèves fumées et binées. — 2e année : Maïs ou froment.

1re année : Froment, puis lupins enfouis. — 2e année : Maïs et haricots légèrement fumés.

1re année : Betteraves fumées et binées. — 2e année : Froment.


[10:2:2]
§ ii. — Des assolemens de trois ans.

Les assolemens triennaux participent en grande partie aux inconvéniens des précédens. Cependant on en trouve divers exemples, notamment en Angleterre. Je citerai les suivans :


A. Pour les régions du nord et du centre.
1o En terres plus légères que fortes.

1re année : Turneps fumés et pâturés sur place par les troupeaux. — 2e année : Orge sans engrais. — 3e année : Blé.

1re année : Turneps, comme dans l’exemple précédent. — 2e année : Orge. — 3e année : Trèfle.

1re année : Pommes-de-terre fumées. — 2e année : Orge. — 3e année : Trèfle.

1re année : Pommes-de-terre fumées. — 2e année : Seigle. — 3e année : Lupuline.

Dans presque toute l’Angleterre les turneps ou navets forment une base essentielle des rotations sans jachère. Ils ont aussi une grande importance dans plusieurs de nos départemens occidentaux. Cependant, en général, leur emploi est moins fréquent chez nous, et, en effet, les résultats sont fort différens dans les deux pays. — Dans le premier, l’humidité plus constante du printemps et de l’été, les froids moins brusques et moins forts de l’hiver, font que les turneps réussissent généralement mieux et plus sûrement que dans le second. — Une autre considération d’une haute importance, c’est que le parcage, à en juger par les résultats comparatifs, entraîne plus d’inconvéniens en France que dans les îles Britanniques. Là, au lieu d’arracher, de transporter, de conserver parfois difficilement les racines fourragères, et de les distribuer aux bestiaux avec des soins toujours coûteux ; au lieu de faire charrier à grands frais une partie, quelquefois la totalité des engrais nécessaires, le berger se charge de tout, et la terre s’enrichit tandis que les animaux se nourrissent. On évite ainsi bien des frais de main-d’œuvre. Malheureusement, dans nos régions où l’on regarde comme nécessaire d’abriter les troupeaux au moins pendant une partie de l’hiver, et où le parcage de nuit des moutons n’est que trop souvent nuisible à leur santé, les mêmes moyens n’existent pas. — Les turneps, d’ailleurs, sont fréquemment détruits dans nos champs par les altises, et l’on ne doit pas les considérer comme aussi nutritifs que diverses autres racines que, par cette raison, on trouvera souvent de l’avantage à leur préférer : telles sont la pomme-de-terre et la betterave qui atteignent en partie le même but dans les assolemens, qui réussissent assez ordinairement dans les mêmes terres, et sont d’une conservation plus facile.

L’orge a aussi beaucoup plus de valeur en Angleterre qu’en France, à cause des nombreuses brasseries qui en étendent la consommation. On a calculé qu’une très-belle récolte d’orge vaut à peu près autant qu’une belle récolte de froment. Cette circonstance est donc encore à l’avantage de nos voisins ; elle est une preuve de plus des modifications que peuvent apporter à la théorie des assolemens les circonstances locales.

Dans le premier assolement cité, la terre étant convenablement ameublie par les binages, et richement fumée, peut donner sans doute deux belles récoltes de céréales ; mais on doit prévoir que la succession prolongée et sans intermédiaire, de l’orge et du froment ou du seigle, deviendra à la longue de moins en moins productive.

Dans le second et le troisième, on remarque un inconvénient presque aussi grave ; c’est le retour trop fréquent du trèfle. Ici se présente naturellement une double réflexion : — rien ne prépare mieux une récolte de froment que celle du trèfle ; mais il faut pour cela qu’il soit beau, car, lorsqu’il pousse maigrement, il est envahi par les mauvaises herbes, et son effet devient presque nul. La pratique le démontre chaque jour. — D’un autre côté, même dans les contrées où l’introduction de cette précieuse légumineuse est encore en quelque sorte récente, on s’est aperçu qu’au lieu de la reposer, elle effrite sensiblement la terre sur laquelle elle revient trop souvent, et que de la sorte sa culture cesse d’être profitable en elle-même et aux récoltes suivantes dès qu’elle s’affaiblit. Or, c’est ce qui ne peut manquer d’arriver tôt ou tard avec une rotation triennale, et c’est ce qu’il importe avant tout d’éviter, si l’on tient à se ménager une des plus précieuses ressources de l’agriculture moderne.

Quant à la lupuline (Medicago lupulina), qui convient parfaitement aux sols légers dans lesquels le trèfle aurait de la peine à prospérer, et qui produit sur les terres à seigle d’aussi bons effets que le trèfle sur les terres à froment, quoique je ne sache pas que l’expérience se soit encore prononcée aussi clairement, il est bien probable, si l’on considère le genre auquel elle appartient, que les inconvéniens d’une culture trop fréquente seraient les mêmes.

2o En terres plus fortes que légères.

1re année : Fèves fumées et binées. — 2e année : Blé froment. — 3e année : Trèfle.

1re année : Fèves fumées et binées. — 2e année : Blé. — 3e année : Vesces pour fourrages.

1re année : Pommes-de-terre fumées et binées. — 2e année : Avoine. — 3e année : Trèfle rompu pendant l’hiver.

1re année : Choux fumées. — 2e année : Avoine ou blé de printemps. — 3e année : Trèfle.

1re année : Colza fumées. — 2e année : Blé. — 3e année : Trèfle.

1re année : Rutabagas fumés et binés. — 2e année : Blé. — 3e année : Vesces d’hiver ou de printemps.

La fève, quoiqu’elle vienne de préférence dans les sols meubles et substantiels, mieux que beaucoup d’autres plantes, s’accommode cependant des terres argileuses, compactes, humides, d’une exploitation à la fois coûteuse, difficile et peu profitable. Yvart la nomme, à bon droit, la plante par excellence, pour diviser, ameublir, fertiliser ces sortes de terrains, et les préparer à la culture des céréales, particulièrement à celle du froment.

Dans ce but, au lieu de la semer à la volée, comme on le doit toujours quand on veut la faucher à l’époque de sa floraison, on la sème en rayons pour en recueillir les graines dont on fait un usage assez important dans plusieurs de nos départemens du sud et du sud-ouest, non seulement pour la nourriture des animaux de travail et d’engrais, mais comme aliment des hommes.

Dans les deux premiers exemples, on peut cultiver les fèves comme fourrage ou comme semences alimentaires. En général la seconde méthode est préférable : parce que les binages qu’elle nécessite améliorent beaucoup mieux le sol pour la céréale suivante ; — parce que les produits peuvent être utilisés, selon les circonstances, à la nourriture des hommes ou à celle des animaux ; — et parce qu’enfin ils ont une valeur commerciale souvent plus importante.

Les pommes-de-terre conviennent moins aux terres fortes qu’aux sols sablo-argileux. — Dans les terrains argilo-sableux et même argileux, lorsqu’ils ont été suffisamment divisés, on peut néanmoins espérer des récoltes dont l’abondance compense en quelque sorte la qualité ; mais si l’on en croit l’opinion la plus répandue dans les campagnes, il y a peu d’avantages à les placer immédiatement avant une récolte de froment, lorsqu’on peut faire précéder cette céréale d’un beau trèfle ou d’une culture de fèves. La place des pommes-de-terre est en conséquence mieux marquée dans un assolement de quatre ans que dans une rotation triennale, à moins que, comme dans l’exemple ci-dessus, on n’ait avantage à substituer l’avoine au blé.

Quant aux choux, je ne nie pas que la culture en soit très-dispendieuse, car elle exige beaucoup d’engrais et de main-d’œuvre ; mais ces deux circonstances sont précisément celles qui contribuent le plus à la rendre profitable à l’assolement ; car, d’une part, les choux sont loin de consommer tout le fumier qu’on leur donne, et, de l’autre, nulle terre n’est à la fois plus nette et mieux divisée que celle qui vient d’en porter.

Il était naturel que la culture des choux, pour l’usage des bestiaux, se soit établie d’abord dans le nord de l’Europe, où la nature du climat la rendait plus nécessaire comme nourriture d’hiver, et plus praticable à cause de l’humidité de l’arrière-saison. Elle s’est étendue depuis, non seulement en Allemagne, en Angleterre et dans le nord de la France, mais jusqu’à l’ouest et au sud-ouest de ce dernier pays où, concurremment avec le trèfle, elle a rendu les plus grands services à l’agriculture, en améliorant le sol au point de transformer en terres à froment celles qui ne portaient précédemment que de l’orge ou du seigle, — ce qui est assez dire, par parenthèse, que les choux ne croissent pas exclusivement dans les terres argileuses ; — en faisant, plus que toute autre culture, comprendre l’importance de la chaux et des divers amendemens calcaires ; — en donnant les moyens d’augmenter le nombre des bestiaux ; etc., etc. — Malheureusement, dans les automnes d’une grande sécheresse, les choux ne réussissent pas à beaucoup près aussi bien ; mais alors aucune racine, si ce n’est peut-être la betterave, ne réussirait mieux. — Le choux-cavalier, que l’on cultive exclusivement dans presque toute la Bretagne et la Vendée, a même cet avantage précieux, que, pour peu qu’on puisse le faire reprendre au moment de la transplantation, c’est-à-dire vers septembre, si les pluies viennent ensuite à manquer, il languit sans périr, et il peut de nouveau se développer avec vigueur au retour de l’humidité.

Le rutabaga (Brassica napo brassica) peut parfois remplacer le navet dans les terres consistantes, qui conviendraient peu à ce dernier. Ses produits, avec une culture et dans un sol convenables, sont d’autant plus abondans qu’une fois que la végétation est avancée, la suppression des feuilles ne nuit pas sensiblement au dernier développement des racines. — Ce sont donc deux récoltes fourragères pour une. — On a dit que ce chou était moins délicat que la plupart des autres espèces ou variétés sur le choix des terres ; j’avoue que les essais que j’ai fait tenter chez moi ne viennent point à l’appui d’une telle assertion.

Quant au colza semé comme fourrage, j’ignore s’il donne quelque part de meilleurs produits que les choux ; — cultivé pour la graine, c’est une plante fort épuisante dont je ne crois pas que la culture puisse profitablement revenir tous les trois ans. Sa place me paraissant mieux marquée dans une rotation à plus long terme, je devrai nécessairement en dire quelque chose un peu plus loin.

En résumé, dans un sol très-pauvre, il peut arriver qu’un assolement triennal soit préférable à un assolement quadriennal, parce que, dans le second, les effets d’un seul engrais ne se font pas sentir jusqu’au renouvellement. Sous ce point de vue une rotation analogue à celle que je viens d’indiquer, surtout avec le parcage, lorsqu’il est possible, n’est point à rejeter. On donne ainsi à la terre deux fumures, une pour la culture sarclée, l’autre pour la céréale.

Afin d’éviter le retour trop fréquent du trèfle, il est facile de lui substituer, une année sur six, le sarrasin coupé comme fourrage, ou la lupuline dans les sols légers ; les vesces, les gesses, etc. dans les terres plus fortes ; mais alors l’assolement devient véritablement de six ans, et il n’en reste pas moins vrai qu’en le limitant strictement à trois, on se prive de nombreuses ressources.


B. Dans le midi de la France.
1o Dans les terres plus légères que fortes.

1re année : Pommes-de-terres fumées. — 2e année : Trèfle d’automne plâtré au printemps. — 3e année : Seigle.

1re année : Maïs avec fumier. — 2e année : Récolte enfouie en vert ou pâturée. — 3e année : Céréale.

2o Dans les terres plus fortes que légères.

1re année : Betteraves fumées. — 2e année : Froment. — 3e année : Maïs comme fourrage.

1re année : Fèves fumées. — 2e année : Blé. — 3e année : Maïs.

1re année : Maïs fourrage. — 2e année : Fèves enfouies après une 1re coupe. — 3e année : Froment.

1re année : Froment suivi immédiatement de lupins enfouis. — 2e année : Froment suivi le plus ordinairement d’un fourrage mélangé. — 3e année : Maïs, millet ou sorgho.

Ce dernier assolement appartient à la partie du littoral Toscan qui avait été réunie à la France, et où se trouve, entre Pistoia et Lucques, la vallée de Niévolle, la mieux cultivée de toute la Toscane, qu’on sait être le jardin de l’Italie. « Dans cette vallée, arrosée par le fleuve Arno, et qui comprend la plaine de Pescia, au lieu d’abandonner la terre à l’improductive jachère, on en exige ordinairement cinq produits différens en trois ans, souvent sept en quatre ans, en ne la laissant jamais nue, en la couvrant d’une nouvelle semence immédiatement après chaque récolte, en la fertilisant de temps en temps avec ses produits, et en alternant le froment avec le lupin, le haricot, la rave, le trèfle incarnat, le millet, le sorgho et le maïs qui y sert quelquefois de rame aux haricots. Le produit du lupin y est généralement enfoui comme engrais entre deux récoltes de froment, et l’on y sème aussi quelquefois pour fourrage, après ces récoltes, un mélange de lupin, de lin, de raves et de trèfle incarnat, dont chaque espèce de plantes, à commencer par le lupin, se trouve consommée successivement depuis l’automne jusqu’au mois de mai, époque de l’ensemencement du maïs. » — (Nouveau Cours complet d’agriculture théorique et pratique.)

[10:2:3]
§ iii. — Des assolemens de quatre ans.
A. Dans le nord et le centre.
1o En terres plus légères que fortes.

Dans le comté justement vanté de Norfolk, le pivot de la culture quadriennale est le turneps ; c’est à l’aide de la fumure qu’on lui donne, du parcage auquel on le destine, et de la bonne préparation du sol, que l’orge acquiert sa grande fécondité, et que le trèfle qui lui succède réussit encore parfaitement. C’est par suite de la riche végétation du trèfle que le froment ne manque, pour ainsi dire, jamais. — Il est des endroits où cette rotation, qui couvre une moitié du terrain en céréales, existe depuis plus d’un siècle sans que la terre paraisse s’en fatiguer.

1re année : Turneps fumés et pâturés sur place. — 2e année : Orge ou avoine et trèfle. — 3e année : Trèfle. — 4e année : Froment.

Dans les bonnes terres, au dire de sir J. Sinclair, on ne donne parfois d’autres engrais que ceux produits par le parcage, mais dans ce cas, comme on doit le prévoir, il est difficile que l’assolement soit suffisamment améliorant ; car souvent alors, malgré de bons labours, les turneps et le trèfle manquent, et il devient nécessaire de rafraîchir la terre en la mettant en herbage pour deux ou trois ans au moins. C’est afin de remédier à cette difficulté qu’on a proposé le pâturage sur place de la vesce et des turneps. L’assolement se compose alors des quatre soles suivantes :

1re année : Vesces d’hiver suivies de turneps, les uns et les autres pâturés sur place par les moutons. — 2e année : Blé ou orge, puis trèfle. — 3e année : Trèfle. — 4e année : Orge ou blé.

Voici quelques autres exemples d’assolemens anglais de 4 ans :

1re année : Turneps fumés et pâturés sur place. — 2e année : Blé en ligne. — 3e année : Trèfle, fumé à l’aide d’herbages maritimes. — 4e année : Blé en lignes.

Malgré tous les avantages d’une telle rotation, dit sir J. Sinclair, on a trouvé que le blé ne pouvait pas revenir avec succès tous les deux ans, pendant un temps un peu long, sur les terres légères. Après avoir suivi cette pratique dans le Lothian, pendant 14 ans, le résultat a été que, quoique, à force d’engrais, ou continuât toujours à obtenir une grande abondance de paille, cependant le blé est devenu léger et peu productif. En conséquence on a préféré remplacer la seconde récolte par de l’avoine.

On a adopté près d’Edimbourg une rotation quadriennale très-productive, et qui se rapproche davantage de nos assolemens français ; savoir :

1re année : Pommes-de-terre. — 2e année : Blé. — 3e année : Trèfle. — 4e année : Avoine.

Les cultivateurs écossais mettent le blé après les pommes-de-terre, afin de le faire profiter directement de l’engrais de cette plante. Chez nous, ainsi que je l’ai déjà dit, la pratique s’est prononcée dans la plupart des lieux contre une telle méthode. Nous sèmerions l’avoine après les pommes-de-terre, et le froment succéderait, sans addition d’engrais, à un trèfle plâtré et rompu de bonne heure.

M. Mathieu de Dombasle recommande les deux cours suivans, l’un pour les sols de bonne qualité, l’autre pour ceux d’une fertilité moyenne, et tous deux pour les terres de la nature de celles qui nous occupent ici :

1re année : Betteraves fumées, arrachées en septembre. — 2e année : Colza d’hiver, repiqué avec trèfle. — 3e année : Trèfle. — 4e année : Blé.

1re année : Pommes-de-terre, betteraves, rutabagas ou choux avec fumier. — 2e année : Orge ou avoine. — 3e année : Trèfle. — 4e année : Blé ou colza d’hiver.

Dans le département de la Loire on connaît l’assolement suivant :

1re année : Chanvre, puis raves pâturées. — 2e année : Avoine, puis trèfle. — 3e année : Trèfle quelquefois fumé au printemps. — 4e année : Blé.

Sur divers autres points de la France où les assolemens quadriennaux commencent à se répandre, on a trouvé préférable de semer le trèfle sur le blé, qui se trouve ainsi succéder immédiatement à la culture ou à la jachère fumée ; l’avoine ne vient ainsi que la dernière année.

Pour les terres sableuses maigres de la Sologne, M. de Morogues a proposé les deux assolemens suivans :

1re année : Sarrazin et navets, pommes-de-terre. — 2e année : Avoine, orge de mars. — 3e année : Vesces d’hiver, jarosses d’hiver, fauchées en vert. — 4e année : Seigle.

1re année : Turneps ou navets, pommes-de-terre. — 2e année : Orge et avoine, sarrasin et navets. — 3e année : Fourrages légumineux, moitié de mars, et moitié d’automne, tels que pois-moissard, vesces, jarosses, jardeau. Ces fourrages seraient coupés en vert, surtout le dernier, afin de ne pas donner à la graine le temps de mûrir, et afin de permettre de faire les labours pour semer les blés. On conserverait seulement quelques arpens pour graines, et on les remplacerait par des choux auxquels on ferait succéder une partie des pommes-de-terre de la première année de l’assolement, parce qu’ainsi on détruirait, par les façons nécessaires à ces racines, les plantes de fourrage qui pourraient renaître spontanément et nuire à la terre lors des récoltes de céréales. — 4e année : Seigle ou méteil.

Dans ce système de culture, le sol serait labouré tous les ans, et fournirait alternativement une récolte de céréale et une récolte fourragère, qui permettrait de donner les fumures convenables. — Remarquons ici que, dans les assolemens quadriennaux, une seule fumure est le plus souvent suffisante ; cependant, si le sol était maigre, on pourrait, comme dans l’assolement triennal, donner une fumure et une demi-fumure à l’aide du parcage ou d’une récolte enfouie en vert.

Dans sa propriété des Barres, qui se compose de terres de nature fort différentes, les unes sablonneuses ou sablo-argileuses, les autres contenant plus de moitié de calcaire légèrement magnésien, du sable et une faible quantité d’argile, M. Vilmorin a adopté un assolement de 4 ans, uniforme pour le temps, mais qui change pour les produits :

1re année : Jachère avec ou sans récolte sarclée, selon la quantité de fumier dont on peut disposer. — 2e année : Froment, méteil ou seigle. — 3e année : Trèfle ou jarosse, pois gris, vesces d’hiver. — 4e année : Graines de mars.

Le froment et le méteil viennent sur le sol calcaire ; le seigle se sème dans les parties sablonneuses. — Le trèfle est loin de réussir partout. Dans la plaine crayeuse il est remplacé avec avantage par des légumineuses d’hiver : la jarosse, le pois gris, les vesces. — Là où les pommes-de-terre ne réussissent que médiocrement, le topinambour, qui paraît être la plante de prédilection des terrains calcaro-magnésiens, donne d’excellens produits pour les bestiaux. — M. Vilmorin cultive, autant qu’il peut les faire réussir, la luzerne et le sainfoin ; mais c’est sur des terres qu’il sort de son assolement, parce que leur succès n’est pas assuré sur d’assez grandes étendues, pour qu’il ait pu les faire entrer périodiquement dans un cours général de longue durée.

Autrefois les trois quarts du sol étaient en parcours, et comme notre confrère, loin de diminuer ses troupeaux, en a augmenté le nombre, il a fallu suppléer aux pâturages naturels par des pâtures vives, semées en graminées, qui conviennent à chaque portion de la ferme, et dont le produit est parfois décuple de celui des terres abandonnées à la suite de l’assolement. — Il résulte d’expériences répétées, que sur le sol calcaire les espèces qui réussissent le mieux pour la faulx, sont, dans l’ordre de leurs succès, la brome des prés, les fétuques ovine et traçante, le dactyle gloméré, etc. etc., et, pour pâtures vives, le fétuque rouge, le poa à feuilles étroites et le ray-grass. — Sur les sables le choix est moins limité : au premier rang se placent le fromental, la flouve odorante, et les deux espèces de fétuques ovine et traçante ; au second le dactyle, le ray-grass, le poa à feuilles étroites ; en troisième l’avena flavescens et le poa des prés ; en quatrième la cretelle et le brome des prés.

2o En terres plus fortes que légères.

1re année : Fèves fumées et binées. — 2e année : Blé, puis trèfle de printemps. — 3e année : Trèfle. — 4e année : Blé, colza d’hiver ou avoine.

1re année : Gesses fumées et coupées en vert. — 2e année : Avoine et trèfle. — 3e année : Trèfle. — 4e année : Blé.

1re année : Choux fumés et binés. — 2e année : Avoine. — 3e année : Trèfle. — 4e année : Blé.

1re année : Fèves fumées et binées. — 2e année : Blé d’automne ou de printemps, selon l’état du sol. — 3e année : Rutabagas pâturés sur place. — 4e année : Blé d’hiver.

1re année : Carottes, tabac ou choux fumés. — 2e année : Froment. — 3e année : Fèves binées ou colza fumé. — 4e année : Froment ou avoine.

B. Dans le midi.

Si l’on se rappelle ce qui a été dit précédemment en parlant du climat, on sait combien il est difficile d’établir dans certaines parties du midi un assolement régulier, avec racines sarclées et prairies artificielles. M. A. de Gasparin a cherché à lever cette difficulté. C’est encore à l’assolement quadriennal qu’il a eu recours.

1re année : Betteraves fumées et semées en place, puis binées. — 2e année : Froment ou seigle. — 3e année : Trèfle. — 4e année : Froment ou seigle.

La transplantation de la betterave, telle qu’on la pratique dans le nord, était ici impossible sans irrigation ; — le semis en place, à la volée, était fort casuel, à cause des pluies battantes et des vents violens qui corroient souvent les terres un peu fortes, au point que les germes périssent sans se faire jour. M. de Gasparin évite ce double écueil en semant au plantoir, et en recouvrant de sable fin ; par ce moyen les plantes, espacées d’un pied seulement, en tous sens, couvrent bientôt le sol de manière que leur succès est assuré. — Quant au blé qui succède aux betteraves, sa culture offre cette particularité, que, « toujours sous l’influence du climat, il doit être semé en ligne, afin de pouvoir lui donner les façons propres à établir les trèfles d’une manière certaine, quelle que soit la température. La graine simplement répandue sortirait mal, il faut qu’elle soit enterrée, et mise à l’abri du vent et du soleil… Un grand rouleau cannelé moule le terrain en sillons réguliers, et non déchirés, comme pourrait le faire la charrue : alors la semence, distribuée à la main par un semeur ordinaire, se précipite au fond des sillons ; un coup de claie les unit, et le blé est disposé régulièrement. Ce procédé offre de nombreux avantages : la machine est solide et peu coûteuse, les plantes sont aussi bien disposées que par le semoir ; les trèfles sont immanquables, les blés nettoyés, et une culture qui passe partout pour salissante, est devenue une culture sarclée et améliorante du sol.... » Annales de l’Agriculture Francaise, octobre 1833.

Dans les contrées du même pays où la proximité des cours d’eau et la disposition des terres permettent de recourir aux irrigations, toute difficulté disparaît, et la culture devient alors plus productive que partout ailleurs. Sous l’influence convenablement combinée de la chaleur et de l’humidité, il est plus facile là que partout ailleurs de multiplier le nombre des récoltes en un court espace de temps. La partie de la Toscane, déjà citée dans le § précédent, en offre un exemple surprenant :

1re année : Froment fumé, suivi de haricots entremêlés de maïs pour rames. — 2e année : Froment suivi de lupins enfouis comme engrais. — 3e année : Froment suivi de fourrages consommés sur place jusqu’en mai. — 4e année : Maïs, millet ou sorgho.

On obtient ainsi sept récoltes en quatre ans, et le binage des haricots et l’enfouissement du lupin permettent de ramener 3 ans de suite le froment. — Peut-être dans quelques parties du département de Tarn-et-Garonne, de la plaine de Nîmes, etc., ne serait-il pas impossible d’approcher d’une si prodigieuse fécondité.

Les assolemens quadriennaux, bien préférables, en général, à tous ceux dont nous nous sommes jusqu’ici occupés, présentent cependant encore des inconvéniens même assez graves dans les localités où le trèfle ne réussit que médiocrement, ou dans les terrains que l’on a fatigués de sa culture. En effet, lorsque ce fourrage est admis, il reparait nécessairement tous les quatre ans, et l’on a remarqué en beaucoup de lieux qu’un intervalle de trois ans entre deux cultures de trèfle n’est pas toujours suffisant. — On doit en dire autant de diverses plantes propres aux arts, dont on trouve habituellement utile d’éloigner le plus possible les récoltes.

Dans la plupart des cas cependant, ces assolemens ont, sous d’autres points de vue, non pas seulement en théorie, comme on s’est plu à le dire, mais en bonne pratique, des avantages si nombreux et si réels ; — ils forment une transition si facile des rotations triennales avec jachère aux diverses autres rotations sans jachère ; — ils procurent une telle économie d’engrais et en utilisent si bien l’emploi : — que, pour mon compte, je ne suis nullement surpris de les avoir vu préconiser avec chaleur par presque tous les agronomes de notre époque, et adopter, même sous le soleil de Languedoc, par les cultivateurs les plus éclairés.

[10:2:4]
§ iv. — Assolemens de 5 ans.

Les assolemens quinquennaux sont d’une application moins générale que les précédens. En les adoptant, il est impossible, sans s’écarter des bons principes, de faire revenir les céréales plus de deux fois. — Sauf quelques cas exceptionnels, un seul engrais ne peut suffire, a moins qu’on ne recoure au parcage, aux récoltes enfouies, ou qu’on évite toute culture épuisante ; — dans les cas les plus ordinaires, on trouve, si l’on consacre trois soles aux plantes fourragères, que cette proportion est trop forte. Cependant il est telles circonstances où il serait difficile de trouver une rotation mieux appropriée aux besoins du moment. J’en citerai quelques-uns :

Sur un sol fatigué et sali par le retour trop fréquent ou trop prolongé des blés, et que l’on veut ramener, sans jachères, à sa fécondité première, un ou deux assolemens quinquennaux remplissent parfaitement le but ; soit qu’on puisse couvrir deux soles de plantes fumées, binées ou butées, et une troisième de fourrages à faucher en vert ; — soit qu’à une sole de plantes sarclées on joigne deux soles de prairies artificielles ; — soit enfin qu’après avoir fauché une première année la prairie artificielle, on la laisse une seconde année en pâture.

Dans les localités où, les fumiers sont abondans, où les cultures industrielles sont d’un débit ou d’un emploi facile, et où leur grand rapport dépasse ou balance celui des céréales, les rotations de 5 ans peuvent être aussi fort profitables. Elles se composent alors, tantôt de deux soles de fourrages racines et fauchables, ou simplement fauchables en vert ; d’une sole de plante oléifère, filamenteuse ou toute autre exigeant des engrais, des binages et des sarclages, et de deux soles de céréales ; — tantôt d’une seule sole de blé, et de quatre soles ; deux de végétaux propres aux arts et deux de prairies artificielles.

Enfin, sur défriche de vieilles prairies ou de tout autre terrain fertile, de semblables rotations peuvent encore servir de transition à un nouvel herbage ou à un assolement différent. En pareil cas on peut, avec un seul et parfois sans engrais, demander au sol des récoltes plus ou moins épuisantes. — Voici quelques exemples :

1o En terres de diverses natures et de consistance moyenne.

1re année : Céréale de printemps. — 2e année : Vesces, gesses ou autres plantes à faucher en vert. — 3e année : Culture racine fumée, betteraves, carottes, etc. — 4e année : Céréale d’automne. — 5e année : Choux fumés et binés.

1re année : Céréale d’automne. — 2e année : Fourrage suivi d’une seconde récolte enfouie. — 3e année : Racines sans engrais et pâturées sur place. — 4e année : Céréale de printemps. — 5e année : Culture fumée, sarclée, binée ou butée, arrachée de bonne heure en septembre.

1re année : Culture fumée, sarclée, binée ou butée. — 2e année : Céréale avec graines de prairie artificielle. — 3e année : Prairie artificielle fumée à la surface ou enfouie avant la dernière coupe. — 4e année : Céréale. — 5e année : Autre prairie artificielle sans engrais.

Je citerai de plus :

1re année : Gesses, pour fourrage. — 2e année : Pommes-de-terre fumées. — 3e année : Avoine. — 4e année : Trèfle. — 5e année : Blé.

1re année : Fèves, pommes-de-terre ou choux, fumés. — 2e année : Blé d’automne ou de printemps. — 3e année : Trèfle, retourné de bonne heure. — 4e année : Blé d’automne sur légère fumure. — 5e année : Gesses coupées en vert.

1re année : Pommes-de-terre richement fumées. — 2e année : Pavot, maïs, pois, etc. avec ou sans demi-fumure. — 3e année : Froment d’automne. — 4e année : Trèfle, semé au printemps. — 5e année : Froment d’automne.

Sir J. Sinclair nous apprend qu’il y a plus de 30 ans que l’assolement suivant est adopté dans les environs de Glasgow :

1re année : Pommes-de-terre, sans doute fumées. — 2e année : Blé. — 3e année : Prairie artificielle à faucher. — 4e année : Pâturage et fumure d’automne. — 5e année : Avoine ou blé.

Dans le Huntingdon on préfère assez fréquemment une rotation basée sur les mêmes principes :

1re année : Turneps, vesces, colza, pour fourrage. — 2e année : Céréales avec trèfle. — 3e année : Trèfle fauché ou pâturé. — 4e année : Fèves ou toute autre culture améliorante, binées et pâturées par des moutons. — 5e année : Céréale.

On trouve sur quelques points de la France :

1re année : Fourrage vert. — 2e année : Céréale fumée et trèfle. — 3e année : Trèfle. — 4e année : Céréale sans engrais. — 5e année : Colza, navette ou pavot, etc. avec fumure.

1re année : Racines fourragères, fumées et binées. — 2e année : Céréale sans engrais. — 3e année : Trèfle, puis fumure. — 4e année : Céréale. — 5e année : Lin sans engrais.

1re année : Pommes-de-terre fumées. — 2e année : Pavot ou chanvre sans engrais. — 3e année : Lin fumé avec des engrais liquides. — 4e année : Céréale. — 5e année : Prairie naturelle.

2o Sur défriche de vieilles prairies.


1re année : Pommes-de-terre, sans engrais. — 2e année : Navets, id. — 3e année : Orge, id. — 4e année : Pommes-de-terre fumées. — 5e année : Orge avec graines de pré.

1re année : Lin ou colza non fumé. — 2e année : Pommes-de-terre, navets ou betteraves, non fumés. — 3e année : Orge ou pavot, non fumé. — 4e année : Trèfle, non fumé. — 5e année : Blé, non fumé.

1re année : Avoine, sans engrais. — 2e année : Betteraves, sans engrais. — 3e année : Blé, sans engrais. — 4e année : Fèves, binées avec ou sans engrais. — 5e année : Blé, avec graines de pré.

1re année : Lin, sans engrais. — 2e année : Colza, en lignes et biné sans engrais. — 3e année : Blé, sans engrais. — 4e année : Trèfle, sans engrais. — 5e année : Blé, sans engrais.

[10:2:5]
§ v. — Assolemens de 6 ans.
A. Dans le nord et le centre.
1o En terrains de consistance moyenne.

Nous avons vu que l’assolement quadriennal offrait un moyen facile, sans autre augmentation de frais qu’un peu plus de main d’œuvre, de passer d’une rotation avec jachère à une rotation sans jachère. Nous retrouvons avec M. Fouquier d’Hérouel, dont l’excellent mémoire a été couronné cette année même par la Société d’agriculture de St.-Quentin, le même avantage dans l’assolement sexennal, qui permet aux plus pauvres cultivateurs et sur les terres les plus souillées, d’arriver peu-à-peu à l’une des cultures les plus riches et les mieux entendues. — Voici la marche proposée :

1re année : Blé. — 2e année : Jachère. — 3e année : Blé, puis trèfle. — 4e année : Trèfle. — 5e année : Avoine. — 6e année : Jachère.

« Suivant l’ancien usage, blé, avoine, jachère, dit M. Fouquier d’Hérouel, la terre dans une période de six ans donne deux récoltes de blé, deux d’avoine, et elle reste deux années en jachère ; dans l’assolement sexennal, en conservant également deux années de jachères, on obtient deux récoltes de blé, une de trèfle et une d’avoine ; par les deux méthodes, les deux récoltes de blé ont eu lieu après des jachères, par conséquent leurs produits sont égaux. Dans l’ancien système on a deux récoltes d’avoine après le blé ; dans le nouveau une seule récolte après du trèfle ; mais, pour peu qu’on se soit occupé d’agriculture, on sait qu’une récolte d’avoine après trèfle donne plus de paille et de grain que deux récoltes après le blé, faites suivant l’ancien assolement. Supposons seulement qu’il y ait égalité, il restera en bénéfice dans l’assolement sexennal deux coupes de trèfle qui n’auront coûté que la valeur de la semence et des cendres minérales qu’il faut répandre sur la terre au mois de mars, et cet avantage est d’autant plus grand qu’il fournit aux cultivateurs les moyens de nourrir un plus grand nombre de bestiaux, par conséquent d’augmenter la masse de leurs engrais, et de parvenir graduellement à diminuer la quantité de terres laissées en jachères, en les couvrant successivement de nouveaux fourrages. »

Lorsqu’on se sera assuré ainsi les moyens de fumer chaque pièce deux fois en six ans, on pourra entreprendre la culture des plantes textiles ou oléagineuses, et voici alors l’assolement que propose l’auteur du mémoire précité, pour les terres à froment ou à seigle.

1re année : Blé froment ou seigle. — 2e année : Engrais, récolte sarclée. — 3e année : Avoine ou orge et trèfle ou lupuline. — 4e année : Trèfle ou lupuline. — 5e année : Ble puis engrais. — 6e année : Colza, pavot, lin, etc., fumés.

On voit que de cette manière, conformément au principe qui a été développé dans l’un des paragraphes de la section précédente on aura la moitié des terres en céréales, blé ou seigle et avoine ou orge ; — un sixième en prairie artificielle, — un sixième en racines fourragères, — et un dernier sixième en plantes propres aux arts. Dans les Loams fertiles de l’Angleterre, sir J. Sinclair recommande le cours suivant :

1re année : Turneps ou jachère, avec fumure. — 2e année : Blé ou orge, puis trèfle. — 3e année : Trèfle, soit seul, soit mêlé de ray-grass, avec addition d’un peu de trèfle jaune. — 4e année : Avoine. — 5e année : Vesces, pois ou fèves. — 6e année : Blé.

Près Bar-sur-Aube M. de Fontenay conserve le tiers de ses terres pour le blé ; — un deuxième tiers est pour l’avoine ou l’orge et les féverolles ; — et le troisième pour le trèfle, les racines ou les graines rondes. Voici sa rotation :

1re année : Orge ou avoine fumée, puis trèfle. — 2e année : Trèfle. — 3e année : Blé. — 4e année : Féverolles fumées. — 5e année : Blé. — 6e année : Racines fourragères.

A Genève M. Pictet avait adopté un assolement qui lui donnait huit récoltes en six ans à l’aide d’une seule fumure et d’un parcage.

1re année : Productions fumées et sarclées deux fois. — 2e année : Blé, puis sarrasin, vesces ou turneps. — 3e année : Vesces consommées sur place après le parcage, labours. — 4e année : Blé puis trèfle. — 5e année : Trèfle. — 6e année : Blé, puis sarrasin, vesces ou turneps.

Voici le résultat curieux des essais entrepris autrefois par feu M. le professeur Yvart sur une des meilleures pièces de terre de l’exploitation d’Alfort.

1re année : Immédiatement après l’enlèvement d’une récolte de froment blanc hâtif, faite à la fin de juillet ; — semé le 2 août des navets sur un hersage profond ;— consommés sur place par les moutons dans les premiers jours d’octobre ; — semé le 12, sur un labour et sur fumier enfoui, de la vesce d’hiver mélangée avec un tiers de seigle. — 2e année : Consommée sur place en avril par des brebis nourrices et leurs agneaux, — Le 26, semé sur un labour de l’orge nue ou céleste ; — moissonnée le 20 juillet ; — le 23, semé sur un nouveau labour, dans une partie du champ, de la vesce blanche hâtive tirée du midi, — fauchée défleurie le 18 septembre ; — et dans l’autre, du maïs pour fourrage, fauché et consommé à la même époque ; — remplacé le 26 sur un hersage profond comme le précédent, par des planches alternatives : 1o de criblures de seigle ; 2o d’escourgeon ; 3o de colza ; 4o de rutabaga ; 5o d’un mélange de vesce, de lentillons et d’avoine d’hiver, et 6o de trèfle incarnat. — 3e année : Consommé successivement sur le champ ces diverses plantes en mars, avril et mai dans l’ordre elles sont présentées ; — fini de labourer la totalité du champ le 2 mai, et semé sans délai du sarrazin très-clair, et après le hersage un mélange de navets et de carottes, couvert avec le rouleau ; — récolté le sarrazin le 6 octobre, et consommé sur place pendant l’automne et une partie de l’hiver, les navets et les carottes dépouilles d’abord de leurs feuilles par les moutons, puis ramenés à la surface des champs par un labour et des hersages qui ont exposé les racines restantes, consommées en majeure partie par les mêmes animaux. — 4e année : Semé à la fin de février du blé de mars et du trèfle sur un labour qui avait enfoui en janvier de nouveau fumier ; — récolté le blé dans les premiers jours d’août, — et consommé sur place, en automne, la première pousse du trèfle. — 5e année : Fait en mars deux récoltes de trèfle plâtré, — enfoui la troisième le 7 octobre pour semer du froment. — 6e année : Froment d’automne.

Aux environs de Lille et de Douai on trouve les assolemens suivans :

1re année : Colza ou lin fumé. — 2e année : Froment. — 3e année : Fèves fumées et binées. — 4e année : Avoine avec trèfle. — 5e année : Trèfle. — 6e année : Froment.

1re année : Tabac fumé. — 2e année : Hivernages, c’est-à-dire mélanges de vesces, de pois, de fèves et de grains de différentes espèces. — 3e année : Colza fumé. — 4e année : Grains de mars et trèfle. — 5e année : Trèfle. — 6e année : Froment.

Près de Bergues on remarque celui-ci :

1re année : Froment fumé avec trèfle. — 2e année : Trèfle. — 3e année : Orge d’hiver ou de mars ou avoine. — 4e année : Fèves ou colza, avec fumure. — 5e année : Froment. — 6e année : Lin ou tabac fumé.

Sur de vieilles prairies que l’on juge nécessaire de faire rentrer dans la rotation des cultures économiques, la terre étant presque toujours d’une fécondité très-grande, ou peut semer :

1re année : Choux non fumés. — 2e année : Avoine id. — 3e année : Fèves id. — 4e année : Froment id. — 5e année : Fèves fumées. — 6e année : Froment. Après quoi on rétablit la prairie en abandonnant le sol à lui-même, ou, ce qui est bien préférable, en le semant en graminées.

Voici un second exemple choisi dans le département du Nord :

1re  année : Avoine, sans engrais. — 2e  année : Lin, id. — 3e  année : Froment, id. — 4e  année : Mélange de vesce et de seigle pour fourrage. — 5e  année : Colza fumé. — 6e  année : Froment dans lequel on sème une prairie artificielle, dont la durée varie suivant la nature de la plante.

Non loin des glaciers perpétuels de la vallée de Chamouni sur les vieux pâturages qu’on a défrichés l’automne précédent, on sème au printemps de l’avoine. — La 2e  année : À l’avoine succèdent des pommes-de-terre, fumées ou non fumées, selon l’état du sol. — La 3e  année : Aux pommes-de-terre succède le lin ou le chanvre. — La 4e  année : Vient le froment de mars avec trèfle qui occupe le sol la 5e  année. Enfin la 6e  année : On sème de nouveau du froment ou du seigle, sur lequel on répand de la graine de foin pour obtenir un pré qu’on laissera subsister tant que ses produits ne diminueront pas sensiblement.

2o  En terres légères et peu féconde.

Sur les sables arides de la Campine, couverts de bruyères et supportés par un banc de tuf ferrugineux plus infertile encore que la couche labourable, avec une culture opiniâtre, on est parvenu à rendre très-productives les deux rotations suivantes :

1re  année : Pommes-de-terre fumées et binées. — 2e  année : Avoine et trèfle. — 3e  année : Trèfle. — 4e  année : Seigle, puis spergule la même année. — 5e  année : Navets ou sarrasin pâturés ou enfouis. — 6e  année : Seigle.

1re  année : Pommes-de-terre comme dans le cas précédent — 2e  année : Seigle également fumé, sur lequel on sème au printemps un mélange de lupuline et de navets ou de carottes, qui, après la récolte de cette céréale, fournissent une abondante nourriture aux bestiaux. — 3e  année : Avoine et trèfle, mêlés encore de navets et de carottes. — 4e  année : Trèfle. — 5e  année : Trèfle retourné avant une dernière coupe. — 6e  année : Seigle.

Une autre rotation sexennale a été adoptée avec succès sur des sols d’une semblable nature :

1re  année : Carottes, turneps ou pommes-de-terre fumées et binées. — 2e  année : Céréale avec graine de prairie artificielle. — 3e  année : Prairie fauchée. — 4e  année : Pâturage. — 5e  année : Pâturage. — 6e  année : Céréales.

Avec cet assolement recommandé par sir J. Sinclair, les sols sablonneux ou graveleux de diverses parties de l’Angleterre donnent un produit considérable, et, au lieu d’être épuisés, augmentent en fertilité. — Si les récoltes ne sont pas aussi multipliées qu’on pourrait l’attendre d’une rotation de six ans, on ne doit pas perdre de vue que les dépenses sont peu considérables et qu’il est des cas où l’on ne doit pas compromettre sur un mauvais sol de trop grandes avances

B. Dans le midi.

Dans les parties méridionales de la France ou le trèfle et la lupuline réussissent, on pourra sans peine suivre à peu près les mêmes combinaisons qu’ailleurs. — Dans les localités plus propres au sainfoin qu’au trèfle, rien n’empêchera d’adopter l’assolement précédent, en ayant soin de préférer, d’après l’avis de M. de Gasparin, la betterave et la carotte aux autres racines fourragères. — On aura ainsi :

1re année : Betteraves ou carottes fumées et binées. — 2e année : Céréales avec graine de sainfoin. — 3e, 4e et 5e années : Sainfoin fauché et fumé la dernière année. — 6e année : Céréale.

Ou mieux, toujours dans les localités où le trèfle ne réussit que médiocrement :

1re année : Betteraves, etc. comme dans le 1er exemple. — 2e année : Céréale sans engrais. — 3e année : Maïs fourrage, puis la même année lupin enfoui. — 4e année : Céréale sans engrais. — 5e année : Betteraves fumées. — 6e année : Céréale sans engrais.

Ou encore, sans presque rien changer aux habitudes locales :

1re année : Céréale sans engrais. — 2e année : Maïs. — 3e année : Jachère. — 4e année : Céréale fumée. — 5e année : Maïs. — 6e année : Racines fumées et sarclées.

[10:2:6]
§ vi. — Assolemens de sept ans.

Jusqu’ici, à côté des céréales et quelquefois des plantes dont les produits sont utilisés dans les arts, nous avons à peine remarqué des prairies artificielles qui occupassent le sol plus d’une armée en état d’être fauchées. Nous allons voir successivement paraître des végétaux fourragers d’une plus longue durée, des arbustes, des arbres mêmes qui alternent avec les cultures annuelles, de manière à former pour ainsi dire deux assolemens en un. Les rotations de 7 et de 8 ans, bien qu’elles se prêtent aux mêmes combinaisons que toutes celles qui précèdent, nous en offriront quelques exemples.

Avec un assolement septennal on peut avoir pour but d’obtenir quatre soles de céréales et trois soles seulement de plantes fourragères. C’est ainsi que dans les terres les plus riches du Suffolk on récolte :

1re année : Turneps. — 2e année : Orge. — 3e année : Fèves. — 4e année : Blé froment. — 5e année : Orge. — 6e année : Trèfle. — 7e année : Blé.

Mais une telle méthode ou toute autre analogue ne peut être recommandée que comme une rare exception. — Plus ordinairement, si l’on préfère l’assolement septennal à l’assolement de six ans, c’est afin d’éloigner plutôt que de rapprocher le retour des blé et d’augmenter le nombre des cultures améliorantes. Ainsi en commençant la rotation par une récolte sarclée et fumée, on aura : 2e année : Céréale, puis trèfle. — 3e année : Trèfle. — 4e année : Céréale. — 5e année : Culture sarclée et fumée. — 6e année : Fourrage annuel, vesces ou autre plante légumineuse avec parcage. — 7e année : Céréale.

On obtient ainsi trois céréales, deux cultures fourragères ou industrielles, fumées, binées ou butées, et deux prairies artificielles, fauchables en vert ; sans compter les récoltes doubles que le climat peut permettre.

D’autres fois on forme les rotations septennales d’un assolement de 3 ou de 4 ans, auquel succède une prairie artificielle de 4 ou de 3 ans. — Cette pratique est surtout applicable aux terrains d’une petite valeur qui supporteraient difficilement un cours plus productif. Il arrive cependant que pour entretenir plus sûrement ou pour augmenter progressivement la fécondité de chaque sole, on la soumet a son tour à une semblable rotation.

A. Dans le nord et le centre.
1o En terres plus légères que fortes, de bonne qualité.

1re année : Vesces d’automne ou de printemps. — 2e année : Pommes-de-terre fumées. — 3e année : Avoine et trèfle. — 4e année : Trèfle. — 5e année : Froment. — 6e année : Betteraves, carottes, navets fumés. — 7e année : Céréale.

Ou bien l’assolement restant le même jusqu’à la 6e année, on peut remplacer les racines fourragères par du colza, de l’œillette, du lin, etc.

2o En terres plus légères que fortes, de médiocre qualité.

1re année : Pommes-de-terre fumées. — 2e année : Avoine. — 3e année : Trèfle ou lupuline, recouvert, après la première coupe de printemps, d’engrais pulvérulent. — 4e année : Froment ou seigle avec sainfoin. — 5e, 6e et 7e année : Sainfoin. 1re année : Pommes-de-terre fumées. — 2e année : Avoine ou orge. — 3e année : Betteraves fumées. — 4e année : Seigle ou blé, puis sainfoin. — 5e année : Sainfoin. — 6e année : Sainfoin. — 7e année : Sainfoin.

Le sainfoin est dans les sols légers, surtout lorsqu’ils contiennent une quantité surabondante de calcaire, un des meilleurs fourrages connus. — Il peut entrer, selon les circonstances, dans des assolemens à termes plus ou moins longs, et l’amélioration qu’il opère dans la couche labourable est très-sensible. Cependant, si on le faisait revenir trop fréquemment aux mêmes places, il cesserait comme tous les autres fourrages de végéter avec vigueur ; il serait donc peu prudent de suivre plusieurs fois de suite les deux cours précédens.

Sur les champs arides de la Sologne, l’assolement suivant n’est pas rare :

1re année : Sarrasin et genêt qui lève spontanément. — 2e année : Genêt. — 3e année : Genêt pacagé. — 4e année : Genêt pacagé. — 5e année : Avoine de mars. — 6e année : Seigle fumé. — 7e année : Turneps et pommes-de-terre.

Ou, ce qui vaut mieux :

1re année : Sarrasin et genêt, quelquefois pommes-de-terre sur engrais. — 2e année : Genêt. — 3e et 4e année : Genêts pacagés. — 5e année : Avoine de mars et lupuline. — 6e année : Lupuline fumée à la surface avec du fumier de mouton et retournée de bonne heure. — 7e année : Seigle.

3o Dans les terres plus fortes que légères.

1re année : Vesces fauchées pour fourrage vert. — 2e année : Choux fumés. — 3e année : Céréale de printemps et trèfle. — 4e année : Trèfle. — 5e année : Blé d’automne. — 6e année : Fèves fumées. — 7e année : Blé.

Ou, d’après M. Lullin de Genève :

1re année : Vesces richement fumées, fauchées en vert, puis choux et turneps ou rutabagas entre leurs rangs. — 2e année : Fèves en rayons. — 3e année : Céréale, puis trèfle. — 4e année : Trèfle. — 5e année : Blé, suivi, s’il est possible, de sarrasin. — 6e année : Vesces fumées, puis turneps consommés à l’étable. — 7e année : Blé.

B. Dans le midi.
1o En terres plus légères que fortes, dites boulbènes douces.

1re année : Pommes-de-terre fumées. — 2e année : Céréale d’automne. — 3e année : Maïs, fourrage, seul ou mélangé. — 4e année : Céréale d’automne. — 5e, 6e et 7e année : Sainfoin.

Ou,

1re année : Céréale et trèfle sur jachère ou sur culture fumée. — 2e année : Trèfle. — 3e année : Méteil. — 4e année : Pommes-de-terre fumées. — 5e année : Maïs ou autre fourrage vert. — 6e année : Céréale. — 7e année : Jachère fumée ou betteraves avec engrais.

2o En terres plus fortes que légères, dites terre-forts.

L’assolement ordinaire étant :

Blé, maïs, puis fève ou jachère :

On trouverait sans nul doute profitable de lui substituer l’un des suivans :

1re année : Blé froment, sans engrais. — 2e année : Maïs. — 3e année : Fèves fumées. — 4e année : Blé froment. — 5e année : Fourrage vert, vesces, lupins et maïs semés ensemble. — 6e année : Blé froment. — 7e année : Fèves fumées.

1re année : Blé froment. — 2e année : Fèves en lignes, fumées. — 3e année : Blé. — 4e année : Maïs. — 5e année : Jachère, puis fumure. — 6e année : Blé. — 7e année : Maïs fourrage.

Dans les terrains favorables à la culture de la garance, cette plante peut très-bien trouver place en un cours de 7 ans :

1re année : Céréale. — 2e année : Prairies vertes. — 3e année : Céréale. — 4e année : Culture sarclée. — 5e, 6e et 7e année : Garance.

[10:2:7]
§ vii. — Assolemens de huit ans.

Les rotations de huit ans ne sont, assez souvent, que deux assolemens de quatre ans, mis à la suite l’un de l’autre, dans le but principal de remplacer en l’un d’eux le trèfle par un fourrage différent, afin d’éviter son retour trop fréquent. Sous ce seul point de vue, toutes les autres circonstances restant les mêmes (voy. le 4e paragraphe), ils doivent être généralement préférés.

Dans les lieux où la nature du sol ne s’oppose pas à l’excellente pratique des défoncemens, une première rotation de huit ans avec jachère, qui permet à la couche labourée de se mûrir convenablement, peut être d’autant plus profitable que les terres neuves, pour devenir fécondes, ont besoin d’abondans engrais, de façons fréquentes, et, qu’elles se prêtent surtout à la culture des racines sarclées. L’une des meilleures combinaisons possibles, en pareil cas, me paraît être celle-ci :

1re année : Jachère avec défoncement. — 2e année : Racines binées et sarclées. — 3e année : Autres racines binées et sarclées. — 4e année : Céréale. — 5e année : Culture sarclée. — 6e année : Céréale et trèfle. — 7e année : Trèfle. — 8e année : Céréale.

Les assolemens analogues sont excellens sur défriche et sur tous les terrains salis de mauvaises herbes. À la vérité les façons qu’ils exigent sont nombreuses, mais leurs résultats, fort bons en eux-mêmes, concourent encore efficacement à l’amélioration progressive du sol. — Dans la plupart des cas il est toutefois possible d’éviter une jachère complète. — L’assolement sera alors celui-ci, ou quelque autre basé sur les mêmes principes :

1re année : Sur 3 ou 4 labours d’automne et de printemps, culture sarclée. — 2e année : Seconde culture sarclée. — 3e année : Céréale. — 4e année : Troisième culture sarclée. — 5e année : Fourrage vert annuel. — 6e année : Céréale et trèfle ou lupulin. — 7e année : Trèfle ou lupuline. — 8e année : Céréale.

On conçoit qu’il serait aussi facile d’introduire le sainfoin dans un assolement de 8 ans que dans ceux de 7 ans.

[10:2:8]
§ viii. — Assolemens de plus de huit ans.

Au point ou nous en sommes, il paraîtrait sans doute superflu d’ajouter beaucoup aux exemples que j’ai cru devoir multiplier précédemment, en raison de leur importance relative, et de leur plus fréquente adoption. — Les combinaisons diverses, avec lesquelles le lecteur est désormais familier, se retrouveraient toujours les mêmes ou à peu près, en des rotations plus longues. — Dans un assolement de 12 ans, par exemple, on pourrait chercher à obtenir six céréales, précédées et suivies d’un égal nombre de cultures nettoyantes ou reposantes, calculées de manière à produire la quantité de fourrages et d’engrais nécessaire, comme nous avons vu qu’on parvenait à le faire avec deux assolemens de six ans. — En 13 ans on suivrait la même marche qu’avec deux rotations de 7 et de 5 ans, etc., etc. ; cependant il ne faut pas perdre de vue que plus un assolement se prolonge, plus il est facile de varier ses élémens et d’introduire, d’une part, diverses plantes industrielles, — de l’autre, l’une des prairies artificielles les plus durables et les plus précieuses, la luzerne. — Il a été malheureusement démontré, par de nombreuses épreuves, que cette plante ne peut revenir avec un plein succès sur le même sol qu’après un laps de temps d’autant plus long, qu’elle y a précédemment séjourné plus long-temps ; aussi n’ai-je pu en parler jusqu’ici dans aucun des assolemens qui ont dû nous occuper.

Yvart pensait que l'intervalle à observer avant de faire reparaître la luzerne sur le champ qui l’a déjà nourrie, doit être égal au moins à la durée de son existence sur ce champ ; d’après ce principe, si elle occupait le sol 5 ou 6 ans, elle pourrait rigoureusement entrer dans une rotation de 10 ou de 12 ans. Je ne nie pas que dans un terrain encore vierge de ce riche fourrage, il puisse en être ainsi pendant un certain temps ; mais depuis que notre savant collègue écrivait son excellent article Succession de culture, des faits multipliés et patens sont venus attester qu’un semblable intervalle était loin de suffire dans les localités au moins où la luzerne était depuis longtemps cultivée, et l’on a dû l’augmenter du double dans la crainte de dépouiller l’avenir au profit du présent. — En bonne pratique, je crois donc qu’on ne pourra mieux faire que de se rapprocher d’un des exemples suivans : — le premier est le résultat de la longue expérience et des méditations de M. de Morel Vindé ; le second est dû aux essais multipliés et fructueux de notre confrère M. Dailly.

M. de Vindé a partagé sa propriété entière en dix soles, sur chacune desquelles il a admis un assolement de 20 ans ; tantôt à base de luzerne et de trèfle ; tantôt à base de sainfoin et de trèfle. — Sur la première sole, la luzerne commence semée avec une céréale de mars ; — elle occupe le terrain jusqu’à la fin de la 5e année. — Viennent ensuite les cultures des céréales et plantes sarclées, disposées de manière à ne demander qu’une forte fumure la 9e année, et à faire précéder le froment sur la défriche de luzerne ; de deux autres cultures au moins, l’une d’avoine et l’autre de plantes sarclées. — Le trèfle semé comme la luzerne sur la dernière céréale de mars, de l’une des rotations de 7 ans, paraît la 12e année. À l’aide d’un terreautage d’hiver et d’un plâtrage de printemps, M. de Vindé trouve de l’avantage à le conserver 3 ans, après lesquels recommence la rotation septennale avec une seconde fumure ; en tout, comme on voit, 20 ans.

Sur la seconde sole le sainfoin remplace la luzerne, mais sa durée et celle du trèfle étant les mêmes, les résultats sont aussi analogues ; seulement la première prairie artificielle ne commence que la 3e année. Dans la 3e sole elle ne vient que la 5e, et ainsi de suite, de manière qu’à la fin des 20 années toutes les soles ont passé également et régulièrement par les 3 sortes de prairies artificielles.

Par ce moyen, quoique 3/10 de la propriété soient annuellement en prairies artificielles fauchables, on voit que la luzerne, ne la fit-on pas alterner avec le sainfoin, ne reviendrait à la même place qu’après 15 ans.

Voici l’assolement que M. Dailly a adopté pour une partie de sa propriété de Trappes (Seine-et-Oise) : 1re année, luzerne plâtrée ; — 2e, 3e, 4e années, luzerne fauchée ; — 5e année, luzerne retournée ; — 6e année, avoine ; — 7e année, pommes-de-terre fumées ; — 8e année, blé de mars ; — 9e année, colza avec poudrette ; — 10e année, blé d’hiver ; — 11e année, vesce d’hiver et pépinière de colza, puis parcage ; — 12e année, avoine ; — 13e année, œillette ou racines sarclées fumées ; — 14e année, blé d’hiver ; — 15e année, racines sarclées fumées. — 16e année, blé de printemps ou d’hiver. — 17e année, colza avec poudrette ; — 18e année, blé d’hiver ; — 19e année, racines fumées ; — 20e année, avoine ou semis de luzerne.

Dans ces deux exemples, non seulement la luzerne ne revient qu’à de longs intervalles, mais on a bien soin de ne cultiver le froment sur la terre qui l’a portée que la 3e année. Cette double précaution est d’une haute importance, et je regarde comme certain, que, si on l’avait constamment prise, nous n’aurions pas été affligés tout récemment de discussions qui ne tendaient rien moins qu’à faire croire que la culture de la luzerne était nuisible à celle du froment, tandis que cette grave question, réduite à sa vraie valeur, n’était plus qu’une question fort simple de bon ou de mauvais assolement, et dont la solution si vivement contestée se retrouve, selon moi, en grande partie dans le passage suivant.

« N’allons pas, surtout par une avidité déplacée autant que par un faux calcul, vouloir exiger des récoltes de froment, avant que les détritus qu’elle (la luzerne) a laissés sur le sol soient entièrement réduits en terreau. Le volume de ses racines ; l’épaisseur du gazon, qui s’accumule toujours dans ses derniers momens, quelques précautions que l’on prenne pour s’y opposer ; le soulèvement de la terre, généralement nuisible à la prospérité du froment, enfin, la grande fécondité même, dont le sol est pourvu, sont autant de circonstances qui rendent, presque toujours, cette récolte précaire, soit en opérant le déchaussement, soit en occasionant une végétation luxuriante, toujours aux dépens de l’abondance et de la qualité du grain, vérité dont nous nous sommes trop particulièrement assurés pour ne pas y insister avec toute l’énergie dont nous sommes capables etc.» (Yvart ; Nouveau Cours complet d’agriculture théorique et pratique, 1823.) Du reste, on sait que ce qui se passe en pareil cas après la luzerne, a lieu également sur presque toutes les défriches : — Le froment ne prospère immédiatement, ni dans l’emplacement d’une vieille prairie naturelle ou d’un ancien bois ; ni sur un défoncement ; ni même après un simple écobuage. Dans tous ces cas les racines, l’avoine, l’orge même et le seigle offrent un meilleur emploi du terrain.

Les graminées fourragères dont il sera parlé dans l’un des chapitres de ce même livre, font quelquefois, mais moins souvent qu’elles ne le devraient, partie des assolemens à long terme. Après un temps, dont la durée est déterminée par les premiers indices de leur dépérissement, ces plantes peuvent faire place : — La 1re  année, à des racines fourragères ou à des plantes binées et sarclées à semences oléifères ; — la 2e année, à de l’avoine, ou de l’orge, selon l’état plus ou moins meuble de la terre, puis à des raves, de la spergule ou toute autre pâture d’automne ou d’hiver ; — la 3e année, revient une culture sarclée différente de la 1re  ; — la 4e année de l’orge, du seigle ou du froment, puis du trèfle, de la lupuline ou tout autre fourrage légumineux, qui occupe le terrain pendant la 5e année ; — la 6e année, du froment ou du seigle, et si cette récolte est belle, on fera bien de la faire suivre d’une nouvelle culture sarclée ou d’une seconde prairie légumineuse ; puis la 8e année, d’une dernière céréale avec graines de graminées pour rétablir la prairie ou le pâturage.

Enfin, en des circonstances peu favorables, quoique assez fréquentes, on fait entrer les végétaux ligneux dans les assolemens. Sur des terrains à pente rapide, d’un travail pénible, où les labours deviennent nuisibles en facilitant l’éboulement des terres ; — dans les localités arides, où les racines et les fourrages verts viennent aussi mal que les céréales, il est bien indispensable de recourir à ce moyen pour obtenir quelques produits sans des dépenses excessives. Aux genêts et aux ajoncs on a quelquefois substitué ou ajouté les pins, qui occupent alors le sol pendant au moins 7 ans, et qui fournissent dans les 3 dernières années des branchages, dont on peut à la rigueur affourager les bêtes à laine pendant l’hiver, et qui peuvent être utilisés au moment où on les abat comme échalas. — Voici quelques-uns de ces assolemens proposés par M. de Morogues.

1re  année, sarrasin et pins ; — 2e, 3e et 4e années, pins gardés ; — 5e année, pins pacagés ; — 6e année, pins éclaircis ; — 7e année, pins arrachés ; — 8e année, avoine ; — 9e année, seigle sur fumier ; — 10e année, turneps et pommes-de-terre.

Ou 1re  année, genêts et sarrazin ; — 2e, 3e et 4e années, genêts gardés et pacagés ; — 5e année, avoine ; — 6e année, seigle fumé ; — 7e année, turneps et pommes-de-terre ; — 8e année, sarrasin et pins ; — 8e, 9e, 10e et 11e années, pins gardés ; — 12e année, pins pacagés ; — 13e année, pins éclaircis ; — 14e année, pins arrachés ; — 15e année, avoine : — 16e année, seigle sur fumier.

Ou enfin, étendant davantage les cultures annuelles : 1re  année, sarrasin et genêt ; — 2e, 3e et 4e années, genêt ; — 5e, 6e, 7e, 8e et 9e années, céréales, plantes sarclées et fourrages verts ; — 10e année, sarrasin et pins ; — 11e, 12e, 13e, 14e, 15e et 16e années, pins ; — 17e, 18e, 19e, 20e, et 21e années, nouvelles cultures de céréales, de navets ou de pommes-de-terre et de vesces.

Dans ces divers exemples choisis pour le pays qu’il habite (la Sologne), M. de Morogues n’a pas craint d’adopter les coutumes locales sur deux points : il recommande de donner la fumure sur une céréale, et il fait venir constamment le seigle sur l’avoine, quoiqu’il lui fût facile de l’en éloigner par la culture des navets qu’il admet en 3e lieu. La pauvreté des terrains qu’il a en vue, et la parcimonie avec laquelle on peut y répandre les engrais, excusent suffisamment la 1re  pratique, dont la seconde est une conséquence malheureuse. — Il est rare qu’on ne puisse arriver à mieux. — Nous verrons ailleurs qu’il n’est pas impossible non plus d’utiliser d’autres végétaux ligneux comme fourrage.

On trouve quelques exemples de cultures intercalaires établies dans les bois à l’époque de leur coupe. Sur quelques points du duché de Luxembourg on exploite les taillis à l’âge de 18 à 20 ans pour les convertir en bois de chauffage, en écorces et en charbon. Les menus branchages restent sur le sol, où ils sont brûlés dans le courant d’août suivant, ainsi que les jeunes pousses de l’année, et, quelques jours après, on sème du seigle qui donne généralement une récolte précoce et fort abondante ; quelquefois la seconde année, à travers les nouveaux scions du taillis, il est encore possible de cultiver des pommes-de-terre. — Dans la Haute-Garonne, ainsi que l’a fait connaître M. de Villeneuve, le propriétaire qui possède des bois sur d’assez bons terrains, pourvu que ce ne soit pas sur un coteau rapide, peut en retirer quelque surcroît de revenu. Si la terre est douce et propre aux pommes-de-terre, il la fait labourer dès que le bois a été coupé, et planter au printemps en tubercules de ce végétal, et il peut encore tenter le même moyen l’année suivante. Si la terre est forte, on y sème de l’avoine ou du seigle.

Toutefois, de semblables exemples sont peu fréquens et ne trouvent que de rares applications. Plus ordinairement, après la coupe définitive des futaies ou des vieilles forêts, on rend pour un long temps l’emplacement qu’elles occupaient aux cultures économiques et industrielles qui y réussissent d’autant plus facilement et plus sûrement, que le sol est d’une extrême fécondité.

Dans un pays neuf la première condition de culture est la destruction d’une partie des bois qui le couvrent. — Plus tard, une sage législation met des bornes à l’abus que les intérêts privés pourraient faire d’un tel moyen au détriment de l’intérêt général ; — puis, il vient une époque où les plantations deviennent indispensables et où la culture des forêts fait, pour ainsi dire, partie des assolemens qui doivent assurer la prospérité nationale par une augmentation de produits égale aux besoins de la population croissante. Tandis que les bonnes terres et toutes celles que leur position rend d’une culture facile et productive, doivent progressivement être sillonnées par la charrue, les sols ingrats ou éloignés de la consommation peuvent se couvrir de grands végétaux ligneux. Ici le bois fait place au blé ; là, les landes les plus arides, les dunes mouvantes, les craies et les sables inféconds que fatiguent à de longs intervalles de chétives récoltes de sarrasin ou de pommes-de-terre, disparaissent abrités sous l’épaisse verdure des semis de pins ; et l’imagination, naguère attristée de l’insuffisance des travaux du cultivateur pour lutter contre une nature ingrate, peut désormais se reposer sur d’utiles produits et prévoir le temps où nos neveux, détruisant à propos des travaux dont ils méconnaîtront peut-être la bienfaisante origine, retrouveront à ces mêmes places des champs d’une riche et longue fécondité.

Oscar Leclerc-Thouin.

  1. Ce que dit ici M. de Gasparin s’applique surtout au Bas-Languedoc.
  2. Principalement en Dauphiné et en Lauguedoc.
  3. Voyez l’article Lin, dans le IIe livre de cet ouvrage.