Mahomet et son œuvre/Partie 2


Librairie Bloud et Barral (Science et Religion : Nouvelles Étudesp. 32-61).
DEUXIÈME PARTIE.

L’ŒUVRE DE MAHOMET.


Sommaire : Une erreur fondamentale : confusion des deux pouvoirs. — Une lacune essentielle : l’héritage du Prophète. — Trois partis irréductibles : séparés, hérétiques et orthodoxes. — Polygamie et esclavage. — Les dogmes de la théologie musulmane. — Les « piliers de l’islamisme. » — Le chef-d’œuvre du génie du mal.


L’œuvre de Mahomet a reçu de son auteur lui-même le nom d’Islam[1] qui veut dire « abandon » à Dieu. En réalité, cette œuvre est double. Elle comprend avec les institutions et les lois qui ont fondé la nation arabe, les dogmes et les pratiques qui constituent la religion musulmane. En d’autres termes, le roi-prophète Mahomet a créé une législation et une théologie. Impossible, par conséquent de porter sur l’Islam un jugement éclairé et équitable sans avoir pris une connaissance sérieuse des prescriptions légales et des enseignements théologiques de son fondateur.

Où puiser cette connaissance ? Dans le Coran qui a posé les bases de la science juridique et théologique des musulmans ; dans la Sonnah[2], qui a affermi en les complétant les premières assises de cette science sacrée ; dans l’histoire qui nous fait assister à son évolution, et dans les écrits des docteurs qui en ont exposé avec méthode, les principes et les conséquences[3].


Une erreur fondamentale.


Ce qui caractérise essentiellement l’œuvre de Mahomet, et en donne, en définitive, la note spécifique, c’est la confusion et même, à proprement parler, l’identification des deux pouvoirs, spirituel et temporel, des deux sociétés, civile et religieuse. Aux yeux du Prophète, en effet, aussi bien qu’aux yeux de ses disciples, l’organisation sociale fait partie de la constitution religieuse, et Allah n’apporte pas moins de soin à régler les questions d’administration ou d’hygiène qu’à résoudre les problèmes de théologie dogmatique ou morale. La société musulmane essentiellement théocratique n’a jamais distingué l’Église de l’État : institutions et lois civiles, dogmes et préceptes religieux, tout vient d’Allah, partant tout est sacré, inflexible, immuable, et un point quelconque de discipline revêt le caractère inviolable d’une institution divine[4].

Or il y a dans cette façon de concevoir le droit civil une erreur et un péril.

Il y a une erreur fondamentale, car faire d’une prescription légale destinée à régler les rapports civils ou politiques des hommes entre eux, une chose froide et rigide, stable comme une vérité ou immobile comme une erreur, c’est se tromper du tout au tout sur la nature même du droit, qui, destiné, à contenir et à diriger la vie pratique, doit être comme cette dernière, souple, changeante et mobile.

Il y a un péril de mort pour la société ; car à vouloir ainsi emprisonner la vie d’un peuple dans des formules légales inflexibles comme des dogmes on court le risque non seulement de la comprimer et de l’étioler, mais de l’étouffer et de l’éteindre.

L’humanité a payé cher cette erreur du mahométisme. Les institutions musulmanes imposées par la violence aux peuples les plus divers ont eu pour résultat de les stériliser tous, dans la mesure même où ils les ont subies. Les nations jadis si puissantes de l’Afrique septentrionale, de l’Asie occidentale et de la péninsule des Balkans sont mortes ou agonisent dans l’étroite et obscure prison de la société musulmane. Des peuples admirablement doués, et très capables de s’élever d’un pas ferme et rapide jusqu’aux plus hauts sommets de la civilisation, les arabes, les persans, les berbères, les turcs, ont tout à coup perdu, après une courte période de prospérité militaire, principalement à cause des difficultés insurmontables que leur ont suscitées la constitution théocratique et la législation inflexible imposées à ses fidèles par Mahomet, tout ressort, toute initiative, et jusqu’à la notion même du mouvement et du progrès. Seuls, les peuples arriérés ou dégénérés, les nègres, les malais, les hindous, les chinois, font un pas en avant en entrant dans la société musulmane[5]. C’est au reste le premier et le dernier qu’ils font sur la route du progrès.

L’Islamisme tend à tout égaliser, les grands, les petits, les civilisés et les barbares, dans l’inertie, la médiocrité, le sommeil, ou la mort ; car l’idéal social que lui a imposé le Prophète le condamne à amener les uns, à ramener les autres et à les enfermer tous de force, dans les limites étroites de la civilisation informe et rudimentaire des arabes du viie siècle, dont Mahomet a canonisé les institutions, modifiées et complétées par lui, au nom de Dieu, pour toujours.


Une lacune essentielle.


L’erreur que nous venons de décrire frappe d’une irrémédiable stérilité la société musulmane ; la lacune que nous allons signaler la condamne à d’inévitables et interminables querelles. Le Coran, si explicite sur la mission du Prophète, ne mentionne même pas celle de ses successeurs. De son vivant Mahomet sera prophète, pontife et roi ; le livre sacré nous répète sur tous les tons que le fondateur de l’Islam est l’envoyé de Dieu, le chef de la prière, et le conducteur du peuple ; c’est entendu. Mais pour être tout cela, Mahomet n’est pas immortel. Lui mort, qui prendra sa place ? Il réunit en sa personne les pouvoirs les plus variés. Des trois dignités qu’il se donne, la première, celle de prophète, est, de sa nature, extraordinaire ; la seconde, celle de pontife est le plus souvent élective ; la troisième, celle de roi, ordinairement héréditaire. L’Islam aura-t-il toujours à sa tête un prophète, pontife et roi ? Y aura-t-il seulement des prophètes après Mahomet ?

La mission politico-religieuse de ce dernier sera-t-elle continuée par un seul héritier de sa puissance ou par plusieurs ? Cet héritage, qui en règlera la transmission ? un décret divin, le choix libre des fidèles, ou le droit de la naissance ?

Mahomet s’est-il posé ces graves questions ? Il y a tout lieu de le penser. Les a-t-il résolues ? Non. Du moins le silence du Coran nous autorise à le croire. Et cependant une société ne peut pas vivre sans résoudre d’une façon ou d’une autre ces problèmes essentiels. Pour n’avoir pas su ou voulu les résoudre à temps, Mahomet a laissé toute grande ouverte la porte aux schismes et aux hérésies. Son silence a condamné son œuvre aux déchirements les plus douloureux, et donné naissance, au sein de l’Islamisme, à trois partis irréductibles, à trois factions irréconciliables dont les sanglantes querelles eurent presque toujours pour objet ou pour prétexte, la question fondamentale de la succession du Prophète. Ces trois partis sont celui des sonnites ou « orthodoxes, » celui des schiites ou « hérétiques » et celui des kharidjites ou « séparés. »


Trois partis irréductibles.


Les kharidjites ne reconnaissent à personne le droit natif de commander aux croyants. En principe l’Imanât n’est ni essentiel ni même utile à l’Islam. Que si les circonstances en imposent provisoirement le maintien, le titulaire en sera choisi par tous, sans distinction, ni de tribu, ni de classe, ni de race. L’iman pourra être indistinctement ou un nabatien ou un koréïschite, un esclave ou un homme libre, un arabe ou un syrien, pourvu seulement qu’il soit honnête et juste. Les kharidjites sont, comme on le voit, les républicains et les démocrates de l’Islamisme. Leur parti triompha momentanément en Arabie à la mort du Prophète. Vaincus et traqués par les premiers khalifes, ils cherchèrent un asile dans la province persane du Khouristan où ils défendirent courageusement leur indépendance contre les entreprises des omniades et des abbassides. Plus tard, leurs doctrines se répandirent chez les berbères qui les reçurent avidement.

Les Schiites soutiennent que le souverain Imanât, dignité qui comprend toute l’autorité spirituelle et temporelle sur les musulmans, appartient de droit divin à Ali et à ses descendants. Ce qui distingue le véritable schiite de tous les autres mahométans, et notamment des sonnites, c’est bien moins le rejet de la « Tradition » que le « culte » d’Ali et de sa femme Fatime. Le rejet de la « Tradition, » en effet, n’a jamais été, chez les schiites, ni universel, ni absolu, et plus d’un savant schiite a rivalisé avec les savants sonnites sur l’exégèse du droit et du Coran, conformément à la tradition du Prophète. Le culte d’Ali, au contraire, est commun à tous les partisans de la secte. Les ultra-schiites l’ont poussé jusqu’à l’adoration ; les schiites modérés, l’ont maintenu dans les limites du respect dû au gendre et à l’héritier du Prophète, au Weli ou favori d’Allah. Les premiers ont donné en plein dans toutes les extravagances d’un panthéisme nébuleux, d’un mysticisme exalté et même féroce. Les seconds, plus sensés et plus pratiques, se sont le plus souvent contentés de provoquer des mouvements politiques contre tous les adversaires des descendants réels ou supposés d’Ali. — Les schiites sont donc les défenseurs convaincus du droit divin, les légitimistes de l’Islamisme. À leurs yeux, il n’y a et il ne peut y avoir d’imans véritables que les alides, fils d’Ali et de Fatime, et, comme la descendance d’Ali s’est éteinte en la personne de son douzième successeur, Mohammed Mahdi, mystérieusement enlevé dans sa douzième année, par ordre d’Allah, et déposé dans une caverne où il attend, sans mourir, l’heure assignée par la Providence à son retour victorieux, tous les chefs que l’Islam s’est donnés depuis l’an 880, date de ce merveilleux enlèvement, jusqu’à nos jours, khalifes de Damas, khalifes de Bagdad, sultans de Constantinople, tous, sans exception, sont des intrus, des usurpateurs sacrilèges d’une dignité réservée par Dieu lui-même aux descendants du Prophète. Leur résister est toujours un droit ; les combattre était un devoir, tant que vécurent les alides ; les convertir ou les exterminer sera l’œuvre du Mahdi quand il viendra, sur le tard du monde, joindre ses forces à celles de Jésus, pour lutter contre l’Antéchrist, et faire des deux lois chrétienne et musulmane, une seule loi. Ce rêve a pris corps sous nos yeux dans la personne du grand agitateur du Soudan, dit le Mahdi. Le représentant officiel et le défenseur né de la Schiya est le shah de Perse.

Les Sonnites ou « orthodoxes », tout en reconnaissant que l’Imanât est perpétuel et que celui qui en est régulièrement investi tient directement d’Allah son double pouvoir, spirituel et temporel, refusent d’admettre la désignation surnaturelle et l’irrévocabilité de l’Iman. Celui-ci est l’élu, non d’Allah, mais du peuple à qui Allah lui-même a conféré le double privilège de choisir le fidèle dont il fera un iman, et de déposer l’iman dont l’inconduite ou l’impiété compromettraient les intérêts des fidèles.

De tout temps le chef des « orthodoxes » a porté le nom de khalife ou « vicaire ». Le khalifat électif jusqu’à Ali, quatrième successeur de Mahomet, devint héréditaire à la mort de ce dernier. Depuis ce temps il a passé, des omniades (660) aux abbassides (750) et des abbassides aux sultans de Constantinople (1538), en sorte que, à l’heure présente, Abdul-Hamid, est regardé comme le chef de l’Islamisme par tous les princes et tous les peuples orthodoxes, y compris les chérifs de la Mecque et ceux du Maroc qui passent pour descendre de Mahomet.


Polygamie et esclavage.


Aux erreurs et aux lacunes qui déparent et déshonorent le droit public musulman, viennent s’ajouter sur le terrain du droit privé, d’autres erreurs ou d’autres lacunes qui n’ont pas moins contribué que les précédentes, à faire de la société islamique une des plus avilies et des plus misérables dont l’histoire garde le souvenir. Nous avons nommé la polygamie et l’esclavage.

L’Islamisme n’a pas créé ces deux plaies hideuses, qui de tout temps ont rongé les sociétés de l’Orient, mais il les a maintenues, perpétuées et propagées et il demeure, par conséquent, responsable des maux qu’elles entraînent fatalement à leur suite : affaissement de la moralité publique, empoisonnement de la vie domestique, désorganisation de la société.

Sur plus d’un point, nous devons l’avouer, le Prophète améliora le sort et releva l’état de la femme arabe. Avant lui, sa situation était affreuse : fille, on pouvait l’enterrer vivante, et on lui refusait tout droit à l’héritage paternel ; femme, elle n’avait que des charges, et recevait en nombre illimité des compagnes de servitude et d’ignominie ; veuve, elle faisait partie de l’héritage marital. Mahomet fit un devoir à ses fidèles de respecter et d’assurer la vie de leurs filles (iv, v. 12), de respecter et d’aimer leurs femmes (ii, 228), d’assurer par des dispositions testamentaires l’avenir de leurs veuves (ii, 211 ; iv, 14), d’honorer leur mère surtout. « Ô musulmans, s’écrie-t-il, respectez les entrailles qui vous ont portés. Le baiser donné par un enfant à sa mère, égale en douceur celui que nous imprimerons sur le seuil du paradis. Un fils gagne le paradis aux pieds de sa mère. » Il réduisit à quatre le nombre auparavant illimité des épouses qu’un Arabe pouvait prendre, et conseilla même comme un acte louable de se borner à une seule. « Si vous craignez, dit-il, d’être injustes envers les orphelins, n’épousez parmi les femmes qui vous plaisent que deux, trois ou quatre. Si vous craignez encore d’être injustes, n’en épousez qu’une. » (iv, 3.)

Toutes ces améliorations sont cependant plus apparentes que réelles. Si le Coran limite le nombre des épouses légitimes à quatre, il permet au croyant de prendre un nombre indéterminé de concubines. On n’a pas oublié les tristes exemples des débauches légués par le Prophète lui-même à ses partisans comme une excuse à leurs plus crapuleuses passions. Mahomet, en réalité n’améliora le sort de la femme qu’au point de vue des intérêts matériels ; sur tous les autres points il la condamne, pour jamais, à l’incapacité, à la servitude morale et intellectuelle. Avant lui, elle était traitée comme un animal ; il en fit un instrument de plaisir et la réduisit au rôle de meuble du harem. « Aux yeux de l’Islamisme, la femme est l’inférieure de l’homme, et par conséquent, doit lui être soumise et doit être éloignée de toutes les fonctions qui veillent aux intérêts et aux affaires de la société. » Pierron. — « Elle ne réussira pas, la nation qui mettra une femme à la tête de ses affaires » dit le Coran. « Garde-toi de prendre conseil des femmes » s’écrie le khalife Ali.

« Il n’y a ni princes, ni mendiants dans l’Islamisme, disait le premier khalife, il n’y a que des musulmans ». L’esclave serait-il donc chez les mahométans, l’égal de son maître, et l’Islamisme aurait-il proclamé et rendu obligatoire le dogme chrétien de l’égalité, de la liberté, de la fraternité ? Remarquons d’abord que le khalife ne parle que « des musulmans. » L’infidèle ne saurait, en effet, en aucun cas, prétendre à l’égalité avec le fidèle et, pratiquement, lorsque la passion ou l’intérêt le lui conseillent, le vrai musulman, ne se fait aucun scrupule d’asservir les « ennemis » ou les « étrangers ».

L’esclavagisme est, pour ainsi dire, le produit naturel de l’orgueil et du sensualisme des vrais disciples du Prophète. L’histoire, en effet, nous montre ces derniers toujours prêts à toutes les chasses, à toutes les guerres, à tous les marchés, pour peupler leurs palais de femmes blanches et d’esclaves nègres. Aujourd’hui encore « tous les souverains musulmans indépendants de l’Afrique pratiquent l’esclavagisme ; tous les chefs esclavagistes sont musulmans ; tous les musulmans sont prêts, lorsqu’ils le peuvent sans péril, à acheter et à vendre des esclaves ; la Turquie elle-même ne l’empêche que pour la forme et très imparfaitement dans ses provinces d’Afrique et d’Asie ; les interprètes du Coran ne condamnent pas l’esclavagisme ; les juges musulmans, qui jugent d’après le Coran, ne se prononcent jamais contre lui. » Ceci dit, nous reconnaissons que l’Islamisme recommande envers les esclaves la douceur et l’humanité.


Les dogmes de la théologie musulmane.


La théologie musulmane comprend : des dogmes, al-iman, — des préceptes, ad-din, — et un certain nombre de pratiques consacrées par l’usage. Les dogmes sont au nombre de six. Tout musulman, en effet, doit croire et confesser qu’il y a : un Dieu ; des anges ; des Livres inspirés ; des Prophètes ; une autre vie, et une Table des décrets divins.

Allah, le Dieu de Mahomet, est le Dieu véritable, l’Unique, l’Éternel, l’Infini, conscient, personnel, créateur et providence. « Dieu est le seul Dieu, le Dieu vivant et éternel. Il possède ce qui est dans les cieux et sur la terre. Il sait ce qui était avant le monde et ce qui sera après. Les hommes ne connaissent de sa majesté suprême que ce qu’il veut bien leur en apprendre. Il conserve sans effort la création entière. Il est le Dieu grand, le Dieu très-haut, ii, 255. Quand tous les arbres seraient des plumes, quand sept océans réunis rouleraient des flots d’encre, ils ne suffiraient pas pour tracer les merveilles du Tout-Puissant, xxxi, 26. Il est la vérité suprême. Les autres dieux qu’on invoque ne sont que mensonge, xxii, 61. Il commande, et le néant s’anime à sa voix, xix, 37. Veut-il produire quelque ouvrage, il dit : Sois fait, et il est fait, ii, 111. Il crée ce qu’il désire, parce que rien ne limite sa puissance, xxiv, 44. Nous avons tiré tous les êtres du néant c’est une vérité incontestable, xliv, 38, 39. L’Orient et l’Occident appartiennent à Dieu. Vers quelque lieu que se tournent vos regards, vous rencontrerez sa face. Il remplit l’univers de son immensité et de sa science, ii, 109. Soit que vous cachiez ce qui est dans vos cœurs, soit que vous le produisiez au grand jour, Dieu le saura, iii, 27. Si trois personnes s’entretiennent ensemble, il est le quatrième… quelque nombre qu’on soit, en quelque lieu qu’on se trouve, il est toujours présent, lviii, 8. N’as-tu pas vu combien Dieu abaisse les nuages qui versent la pluie ! Comment il la rassemble en ruisseaux qui coulent à travers les campagnes ? L’eau pénètre dans le sein de la terre et fait éclore les plantes, dont les couleurs sont variées à l’infini. La chaleur jaunit les moissons. Elles tombent sous le tranchant de la faux. Tous ces effets servent à l’instruction du sage, xxxix, 22. Les clés du ciel et de la terre sont dans ses mains. Il dispense ou retire ses trésors à son gré, xlii, 10. Tout ce qui est dans les cieux et sur la terre rend à l’Éternel un hommage volontaire ou forcé. L’ombre du soir et du matin l’adore, xii, 17. Le tonnerre célèbre ses louanges, xiii, 14. Tout ce que renferme l’univers publie ses grandeurs ; mais vous ne sauriez comprendre leurs cantiques, xvii, 46.

Malaïkah, les anges de l’Islam, soustraits par leur nature aux exigences des sens — ils ne mangent ni ne boivent et ne sont d’aucun sexe, xxxvii, 150, — remplissent la double mission de messagers de Dieu et de gardiens des hommes. « Les anges sont les messagers de Dieu, xxxv, 1. Ils ne dédaignent point de s’humilier devant lui, et ne se lassent point de l’adorer, xxi, 19. L’homme est environné d’anges qui se succèdent sans cesse. Dieu les a chargés de veiller à sa conservation, xiii, 12. Chacun a un ange gardien qui l’observe[6], lxxxvi, 4. Parmi les Esprits, les uns sont bons, les autres mauvais. À la tête des premiers brillent, Gabriel ministre des vengeances célestes, Azraïl chargé de recevoir l’âme des hommes à leur dernier soupir, et Israfil qui tient en main la trompette du jugement suprême ; les derniers sont gouvernés par Satan ou Iblis — Diabolos — « Satan est l’ennemi de l’homme, xii, 5. Oppose à ses pièges l’assistance du Très-Haut, vii, 199. Si le tentateur te sollicite au crime, cherche un asile dans le sein de Dieu ; il voit et entend, xli, 36. Satan n’a point de pouvoir sur le croyant qui met sa confiance en Dieu, xvi, 101 ; mais il est le patron des incrédules. Il les conduit de la lumière dans les ténèbres, et ils seront précipités dans un feu éternel, ii, 258. Les esprits mauvais peuvent revenir à résipiscence et Mahomet passe pour en avoir converti plusieurs.

3° Dieu, au dire de Mahomet, a souvent communiqué par écrit sa volonté aux hommes. Les livres sacrés ou divins, envoyés du ciel aux prophètes par l’entremise de Gabriel seraient, de l’avis des docteurs musulmans, au nombre de cent quatre. Mais au-dessus de ces écrits sacrés, tous vrais d’ailleurs et parfaitement authentiques, se place le « livre » par excellence, dicté par Gabriel au prophète Mahomet. Le Coran, le dernier promulgué bien que le premier composé, puisqu’il est éternel et incréé comme la parole même de Dieu, surpasse en perfection et peut avantageusement remplacer tous les autres, et lui-même ne sera jamais, ni abrogé ni changé.

Les plus excellents des livres divins, après le Coran sont : l’Évangile, Injil, envoyé au prophète Jésus ; le Pentateuque, Taurah, remis à Moïse ; et le Psautier, Zabra, donné à David. Puis viennent les livres révélés à Adam, au nombre de dix ; à Énoch, au nombre de 30 ; à Seth, au nombre de cinquante ; à Abraham, au nombre de dix. « Nous donnâmes à Abraham, à Isaac, à Jacob, et à leurs descendants, les prophéties et les écritures, xix, 26. Nous révélâmes le Pentateuque à Moïse, pour conduire les enfants d’Israël, et nous leur défendîmes de rechercher d’autre protection que celle de Dieu, xvi, 2. C’est à sa lumière que doit marcher le peuple hébreu, xxxii, 23. Nous élevâmes les prophètes les uns au-dessus des autres. Nous donnâmes à David le livre des psaumes, xvii, 57. — L’Évangile est le flambeau de la foi, et met le sceau à la vérité des anciennes Écritures. Ce livre éclaire et instruit ceux qui craignent le Seigneur. Les chrétiens seront jugés d’après l’Évangile. Ceux qui les jugeront autrement seront prévaricateurs, v, 51, 52.

4° De tout temps Dieu s’est servi pour notifier aux hommes ses desseins et ses volontés du ministère de créatures privilégiées, par lui investies d’une mission surnaturelle, et universellement connues sous les noms de Nabi ou prophètes, et de Rasoul ou apôtres. « Tous les peuples eurent des prophètes qui les jugèrent avec équité, x, 48. Il n’est pas de nation qui n’ait eu son apôtre, xxxv, 22.

De tous les Nabis, au fond, la mission est identique. « Tous les prophètes qui t’ont devancé reçurent cette révélation : Je suis le Dieu unique ; adorez-moi, xxi, 24. De tous, l’autorité s’impose avec une égale évidence. « Ceux qui, rebelles à Dieu et à ses envoyés, veulent mettre de la différence entre eux, croyant aux uns et niant la mission des autres, se font une religion arbitraire ; ceux-là sont les vrais infidèles, destinés à subir un supplice ignominieux. Mais ceux qui croiront en Dieu et en ses envoyés indistinctement seront récompensés, iv, 149-151. Pour nous, musulmans, nous ne mettons point de différence entre eux, ii, 224. La paix soit avec vous tous les ministres du Seigneur, xxxvii, 182. Mahomet fixe à cent-vingt-quatre mille le nombre des prophètes d’Allah. Il se donne comme l’un d’entre eux ; mais ses disciples le proclament le dernier et le plus grand de tous. Ceux qui l’ont précédé, n’ayant qu’une mission locale et temporaire, ne s’adressaient qu’à leur peuple et prêchaient une religion provisoire qu’Allah se réservait de modifier selon le besoin des temps et des lieux. Lui, au contraire, investi d’une mission universelle et définitive, prophète des prophètes, est le Rasoul et le Nabi des hommes et des esprits, et sa loi subsistera jusqu’à la fin du monde.

Après Mahomet, les plus grands parmi les prophètes sont : Adam, « le pur en Dieu » ; Noé, « le sauvé par Dieu » ; Abraham, « l’ami de Dieu » ; Moïse, « la parole de Dieu » ; David, « le vicaire de Dieu » ; Jésus, « l’esprit et le Verbe de Dieu ». Le Coran admet la naissance surnaturelle du Sauveur. Il est né d’une mère vierge, purifiée, élue entre toutes les femmes, ce sont les expressions mêmes du texte sacré : « Chante la gloire de Marie qui conservera sa virginité. Nous soufflâmes sur elle notre esprit. Elle et son fils furent l’admiration de l’Univers, xxi, 22. L’ange dit à Marie : Dieu t’a choisie, il t’a purifiée[7] ; tu es élue entre toutes les femmes. Sois dévouée au Seigneur, adore-le, courbe-toi devant lui avec ses serviteurs, iii, 37, 38. Gabriel lui transmit le souffle divin. Elle crut à la parole du Seigneur, aux Écritures, et fut obéissante, lxvi, 12. — Jésus, lui, est un grand prophète et un thaumaturge divin : « Jésus est envoyé du Très-Haut, son verbe et son souffle, iv, 168. Nous accordâmes à Jésus, Fils de Marie, la puissance des miracles ; nous le fortifiâmes par notre esprit, ii, 81 et 253. Mais il n’est pas le fils de Dieu ; c’était un homme au sens strict du mot : « Jésus est aux yeux du Très-Haut un homme comme Adam, iii, 52 ; c’était un simple envoyé d’Allah : « Le Messie n’est que le ministre du Très-Haut : d’autres envoyés l’ont précédé, v, 80. D’ailleurs Jésus, n’atteste-t-il pas, en parlant de lui-même, qu’il n’est rien de plus qu’un serviteur de la divinité, et ne déclare-t-il pas ouvertement que ce n’est pas lui, mais Dieu qui est omniscient ? « Ô Jésus, Fils de Marie, lui dira Allah, au jour du jugement, as-tu dit aux hommes : prenez-moi avec ma mère pour dieux à côté de Dieu ? » Et Jésus répondra : « Loin de moi cette pensée ! comment pourrais-je prétendre à un nom qui ne m’appartient pas ? » v, 118, 119. On ne voit pas bien clairement si le Coran admet l’Ascension ; quant aux miracles, Jésus en a fait un grand nombre ; il en accomplissait déjà, quand sa mère le nourrissait encore, et plus tard il ressuscita des morts. Au surplus, ce n’est pas lui qui a été crucifié, mais un homme qu’on prit pour lui. Le principal objet de sa doctrine était, comme pour tous les prophètes, d’annoncer l’unité de Dieu.

5° Sur la vie future, le Prophète s’est contenté de faire siennes les principales données de la tradition chrétienne. Il enseigne de la façon la plus formelle la survivance et l’immortalité de l’âme : « À la mort, l’âme est portée devant l’Éternel, lxxv, 30. Ne croyez pas que ceux qui ont succombé dans le combat soient morts ; au contraire, ils vivent et reçoivent leur nourriture des mains du Tout-Puissant, iii, 162 ; — il enseigne la résurrection de la chair au jour terrible du jugement dernier : « Malheur à ceux qui nient la résurrection ! L’impie et le scélérat rejettent seuls cette vérité, lxxxiii, 11. Dieu a créé tout le genre humain dans un seul homme. La résurrection universelle ne lui coûtera pas davantage, xxxi, 27. Considérez la terre que la sécheresse a rendue stérile. Nous y versons la pluie. Son sein s’émeut, et elle produit toutes les plantes qui composent sa richesse et sa parure. Ces merveilles s’opèrent, parce que Dieu est la vérité, parce qu’il donne la vie aux morts et que sa puissance embrasse l’univers. L’heure viendra ; on ne peut en douter. Dieu ranimera les cendres qui sont dans les tombeaux, xxii, 5-7.

Il croit à l’existence d’un purgatoire où les fidèles surpris par la mort expient leurs péchés : « Une barrière s’élèvera entre les élus et les réprouvés. Là seront des hommes qui, malgré l’ardeur de leurs désirs, ne pourront entrer dans le Paradis. Lorsqu’ils tourneront leurs regards vers les victimes du feu, ils s’écrieront : Seigneur, ne nous précipite pas avec les pervers, vii, 44, 45 ; et la tradition musulmane ajoute que ces infortunés reçoivent soulagement des prières et des aumônes que font pour eux leurs frères vivants.

Il prêche un enfer de feu éternel où les infidèles et les démons endurent, sans espérance, des supplices proportionnés à leurs crimes : « Qui pourrait décrire l’enfer, cet abîme épouvantable ? civ, 5, Dieu rassemblera les scélérats et les livrera au tourment des flammes. Leur perte sera consommée, viii, 98. Ils recevront la peine de leur crime ; l’opprobre les couvrira ; ils n’auront point d’intercesseurs auprès de Dieu. Un voile semblable à la nuit ténébreuse enveloppera leurs visages. Ils seront les victimes d’un feu éternel, x, 28.

Il annonce enfin un paradis de délices où tous les fidèles jouiront, sans craindre de le perdre jamais, d’un bonheur égal à leurs désirs et à leurs mérites : « Une récompense magnifique sera la récompense des bienfaisants. La noirceur et la honte ne voileront point leur front ; ils habiteront éternellement le séjour des célestes voluptés, x, 36, 37. Que sont les biens terrestres en comparaison des plaisirs du ciel ? ix, 38. Les récompenses seront proportionnées aux mérites, vi, 132. La piété ouvrira les portes du paradis, xxvi, 90. Les justes reposeront dans les jardins de délices, à l’ombre de la vérité éternelle, sous les yeux du roi tout-puissant, liv, 55. Ils seront les hôtes de Dieu. Qui mieux que lui peut combler de biens les justes ? iii, 195. Nous ôterons l’envie de leurs cœurs. Ils auront les uns pour les autres une affection fraternelle, xv, 47. La félicité dont ils jouissent est sans mélange, xxxvii, 58. Mahomet représente le ciel sous la forme de jardins magnifiques, peuplés de jeunes garçons qui offrent aux élus la céleste boisson parfumée qui n’étourdit pas, et de houris, jeunes filles aux yeux noirs, qui n’ont de leur sexe et de leur âge que la grâce et la beauté. Images sensuelles, sans doute, et troublantes, mais pourtant simples images. Le ciel est le séjour des plaisirs spirituels, xvi, 98. Les élus verront Dieu. Le Coran et tous les livres qui traitent de la religion du Prophète sont d’accord sur ce point. « Il y a un bien dans le Paradis, dit le Cheikh-el-Alem, auprès duquel tous les autres biens du paradis même sont défectueux et peu considérables : ce bien est la vue de Dieu. Le paradis, Seigneur, s’écrie-t-il ensuite, n’est souhaitable que parce qu’on vous y voit : car, sans l’éclat de votre beauté, il nous serait ennuyeux. »

6° Tout vrai musulman croit et confesse qu’il existe une Table, ou livre des décrets divins, où tout ce qui sera, est écrit de toute éternité, y compris le destin des hommes.

Mahomet, à vrai dire, n’eut jamais de système arrêté sur la prédestination et la liberté. Si certaines expressions du Coran semblent faire de l’homme l’instrument inconscient des desseins de Dieu, d’autres en font l’auteur et l’arbitre de ses propres destinées, celles-ci par exemple : « Dieu est l’auteur du bien qui t’arrive ; le mal vient de toi, iv, 81. »

Les théologiens musulmans ont soutenu sur ce grave problème jusqu’à trois opinions différentes. La première de ces opinions, celle du « djabr », est nettement fataliste : l’homme ne fait rien par lui-même, son sort n’est pas seulement déterminé d’avance, il est écrit, et la vie de chacun de nous « est à l’égard du livre des décrets divins ce que la représentation d’un drame est par rapport au texte du poète » Sprenger : — La seconde est celle du « kadr » dont les partisans prennent énergiquement la défense du libre arbitre. Les défenseurs de ces deux systèmes opposés et extrêmes, portent dans l’histoire le nom de djabarites, et de kadarites ou motazilites. Dès le second siècle ils formèrent dans l’Irak, deux sectes puissantes et rivales. La troisième s’efforce de tenir un juste milieu entre les deux premières. En somme, rien de net, et l’Islamisme flotte indécis entre le fatalisme et le dogme de la liberté. Il semble admettre que Dieu est l’auteur de tout, même du mal. « Il faut encore confesser, dit le catéchisme sonnite de Constantinople, que le bien, le mal, que tout enfin a lieu par l’effet de la prédestination et de la prémotion de Dieu… que Dieu prévoit, veut, produit, aime, agrée, la foi, la piété et tout ce qui est bien, mais qu’il n’aime point et n’agrée point l’infidélité, l’irréligion et tout ce qui est mal, bien qu’il prévoie, qu’il veuille et qu’il opère ces différentes choses… Personne ne doit s’enquérir de ce que Dieu veut : lui seul a le droit de faire de pareilles questions. » — Ces quelques mots rendent assez bien l’opinion générale des musulmans.


Les « piliers » de l’Islamisme.


Les préceptes de la religion musulmane sont, les uns négatifs, les autres positifs. Parmi les préceptes négatifs les plus caractéristiques sont : l’interdiction des jeux de hasard, de la danse et de la musique vocale ou instrumentale ; la défense de boire du vin[8], l’obligation de s’abstenir de la viande de certains animaux et spécialement de la viande de porc.

Les préceptes positifs sont au nombre de cinq. Tout musulman est, en effet, strictement tenu : de réciter le kalimah ou symbole ; de faire ses salâts ou prières ; d’observer l’as-saoun ou jeûne, de payer le zadakat, ou aumône, et d’accomplir le hajj ou pèlerinage.

Le symbole musulman tient dans ces courtes paroles : « La ilâha illa-’llah, wa Mouhammadou Rasoulou-’llâh. » Il n’y a de Dieu que le Dieu, et Mahomet est le Prophète du Dieu. Cette formule sacrée, le converti la prononce en entrant dans l’Islamisme et tout fidèle doit la redire tout haut au moins une fois en sa vie, faire de plus tous ses efforts pour en pénétrer le sens, la prononcer correctement, y adhérer de cœur, la professer sans hésitation, et la défendre jusqu’à la mort.

Le Coran fait à tous les croyants, de la prière fréquente, un devoir impérieux, et recommande en maint endroit la prière en famille. On doit la faire vêtu décemment, le visage tourné vers la Kaaba. La prière se compose d’un ou de plusieurs rikats. Ces rikats consistent en diverses attitudes, inclinations et prosternations, accompagnés de formules de prières, toujours en arabe.

La loi musulmane oblige les fidèles à adresser cinq fois le jour leurs prières à Dieu. Ces prières sont annoncées du haut des minarets des mosquées, par des crieurs nommés muezzins. La première est celle du matin : Adam, disent les musulmans, s’en acquitta le premier. La seconde est celle de midi : Abraham, disent encore les musulmans, la récita le premier. La troisième celle de l’après-midi : le prophète Jonas en est, dit-on, l’auteur. La quatrième, celle du coucher du soleil : c’est Jésus-Christ qui la fit le premier. Enfin la cinquième est celle de la nuit : on la tient de Moïse. Ces prières peuvent se faire, ou en commun ou en particulier, ou à la mosquée ou ailleurs. Elles sont composées de rikats et de la lecture de différents chapitres du Coran.

La prière publique des vendredis a lieu dans les villes seulement. Elle est d’obligation ; elle doit se faire à la mosquée et en corps sous l’imanât du sultan ou de son lieutenant. Elle se fait à midi. Elle se compose de la khotba, mot que l’on traduit habituellement par prône. — Un ministre nommé khatib fait ce prône. Dans toutes les villes qui ont été prises par la force des armes, le khatib le prononce, la main appuyée sur la garde d’un sabre. — Après le prône un vaez ou prédicateur prononce ordinairement un sermon ; mais ce n’est qu’une pratique de surérogation ; l’on n’est point obligé d’y assister[9]. Les autres jours de la semaine, il y a quelquefois des sermons à la suite de la prière de midi ou de l’après-midi. Cela est déterminé suivant les chartes de fondation de la mosquée[10]. — La prière est toujours précédée de purifications rituelles. Les purifications, qui forment une des pratiques les plus essentielles du culte musulman, sont recommandées par le Coran et minutieusement réglées par les théologiens. À défaut d’eau pure et claire, on met en usage la purification pulvérale. On peut la faire avec de la terre, du sable, de la poussière, etc.

Le Coran recommande le jeûne « as-saoun » à tous les fidèles, comme une œuvre pie et méritoire, et l’impose comme châtiment après certaines fautes. Tout musulman parvenu à l’âge de quatorze ans doit jeûner pendant tout le mois de ramadan. Ce jeûne consiste dans une continence parfaite, et dans une abstinence absolue[11], depuis l’aurore jusqu’au coucher du soleil. L’esprit de pénitence doit présider à l’unique repas qu’il est permis de prendre, dès le crépuscule du soir, ainsi qu’à la collation qui doit être faite avant l’aurore, le jeûne du ramadan est toujours accompagné de prières surérogatoires et d’aumônes considérables. Une partie de la nuit se passe en prières. Toutes les mosquées sont ouvertes durant les trente jours que dure le jeûne.

Les années des musulmans étant lunaires, le ramadan parcourt, tous les trente-trois ans, toutes les saisons de l’année. On s’imagine facilement combien ce jeûne est pénible lorsque le ramadan se rencontre en été. L’épreuve est dure, et le fidèle en salue la fin par une explosion de joie, en célébrant avec enthousiasme la fête de la rupture du jeûne « Il-al-fitr » ou petite fête, — le petit Beyran qui dure quatre jours. Ces sept jours de fête sont, dans toute l’année, les seules où tout commerce et tout travail manuel sont suspendus.

Le Coran loue et prescrit la bienfaisance en général du moins à l’égard des musulmans ; mais les aumônes obligatoires, qui constituent une sorte de taxe des pauvres, de zadakat, comme on les appelle, sont seules mentionnées dans la tradition. Originairement elles étaient destinées à soutenir les musulmans pauvres, à racheter les esclaves, à fournir les frais de la guerre sainte, etc. ; mais elles sont devenues dans la suite le fond même du trésor, et le montant de ce que chacun doit payer a été exactement déterminé par les jurisconsultes.

Tout musulman libre et majeur, quel que soit d’ailleurs son sexe, doit accomplir au moins une fois en sa vie le pèlerinage sacré ou hajj. C’est à la Mecque et non à Médine que les croyants vont en pèlerinage : et c’est la Kaaba et non le tombeau de Mahomet qu’ils doivent visiter. Le pèlerinage a été emprunté à l’ancienne religion de l’Arabie par Mahomet qui s’est contenté de donner un sens nouveau à d’antiques cérémonies adaptées presque sans retouche au culte musulman.


Le chef-d’œuvre du génie du mal.


On peut avancer hardiment que le monde religieux n’est redevable à Mahomet ni d’une idée, ni d’un sentiment, ni d’une pratique. Ce que le Prophète enseigne, recommande, prescrit, d’autres avant lui et mieux que lui l’ont enseigné, prescrit et recommandé. La constitution théocratique qu’il a donnée à son peuple n’est qu’une contrefaçon maladroite de la constitution divine du peuple juif ; les lois qu’il a promulguées ne sont, pour la plupart, que des institutions traditionnelles, des usages du peuple arabe canonisés ; les dogmes qu’il a proclamés, le monothéisme et le prophétisme, étaient depuis longtemps enseignés à ses compatriotes par les juifs, les chrétiens et les hanyfes ; la morale qu’il a prêchée, de parole sinon d’exemple, dans ce qu’elle a de meilleur, se retrouve dans la Bible et dans l’Évangile ; les pratiques enfin qu’il a le plus recommandées, la circoncision, l’aumône, les jeûnes, les ablutions, les pèlerinages, étaient en usage de temps immémorial chez les Arabes païens comme chez la plupart des autres peuples sémites.

Mahomet fut donc en définitive, moins une voix qu’un écho. Religieusement il vécut d’emprunts et de souvenirs. Les emprunts, pour n’être pas avoués, n’en sont pas moins certains. Nous l’avons vu, dans sa jeunesse, curieux des choses de la religion, consulter les représentants de tous les cultes, et, au cours de sa vie publique, s’entourer d’hanyfes, s’occuper des juifs, fréquenter les chrétiens. Waraca le neveu de Khadidja, qu’il a canonisé, était chrétien ; Zaid-ibn-amr, l’implacable ennemi des idoles, dont il fut le contemporain et l’ami, était hanyfe. Avant de devenir ses ennemis implacables, les juifs furent ses premiers et ses plus chauds partisans, surtout à Médine. Si les souvenirs de Mahomet sont fidèles, les maîtres chrétiens et juifs du Prophète furent bien peu éclairés et bien peu orthodoxes, puisqu’ils auraient amené leur disciple à prendre au sérieux, les premiers, les rêveries gnostiques, les seconds, les fables talmudiques qui remplissent de si nombreuses pages du Coran.

Et cependant, malgré cette absence de toute idée nouvelle, l’Islamisme n’en est pas moins une religion profondément originale. Mahomet a si bien réussi à combiner entre eux et à adapter aux aspirations de l’humanité, aux bonnes comme aux mauvaises, les divers éléments religieux qu’il a empruntés aux arabes, aux juifs, et aux chrétiens, que sa religion ne ressemble à aucune autre. Si elle est arabique par ses institutions, elle est humaine, par son dogme et par sa morale. Le christianisme et le judaïsme, le premier surtout, sont surhumains, et par les vérités mystérieuses que Dieu a inscrites dans leur symbole, et par l’idéal de perfection morale qu’ils tiennent sans cesse sous les yeux de leurs fidèles. Mahomet refuse de transcrire dans sa règle de foi les mystères du symbole chrétien qu’il combat, avec une obstination et par des arguments qui trahissent chez lui encore plus d’ignorance que de passion ; et du coup son système religieux est réduit aux proportions d’un système philosophique, déiste et spiritualiste, rien de plus. L’idéal moral juif et chrétien, lui paraissant trop haut, il l’abaisse au niveau de son cœur, c’est-à-dire, il le supprime et le remplace par un mélange perfide de condescendance et de rigueur, d’ascétisme et de sensualisme, bien propre à étouffer les plus nobles élans de l’âme humaine, à satisfaire les aspirations des cœurs vulgaires, et à encourager les plus vils instincts de notre nature déchue.

« La doctrine musulmane, dit l’abbé de Broglie, est une combinaison à doses bien graduées de religion et de morale, avec la satisfaction des passions sensuelles et de l’orgueil. On pourrait la comparer à un sel neutre particulièrement stable où les éléments opposés, rationalisme et fanatisme, règle morale et passion, soumission à la force et orgueil, sont unis d’une manière tellement puissante qu’aucune force naturelle ou humaine ne peut les séparer[12] ».

Ainsi s’expliquent en grande partie l’étonnante vitalité et les effrayants progrès d’une doctrine qui, à première vue, semblerait ne devoir pas survivre à la ruine des institutions politiques qui l’ont d’abord abritée, et ne pouvoir pas longtemps supporter la concurrence du christianisme. Voilà bien longtemps que l’empire arabe est mort ; l’empire turc, qui a pris sa place, agonise déjà sous nos yeux. Voilà bien des siècles que les musulmans vivent au milieu des chrétiens et que nos apôtres essaient de les convertir. Comment expliquer en particulier les succès persévérants de l’Islam, en Asie et en Afrique ? C’est que, la religion de Mahomet a pour elle tout ce qui plaît aux âmes vulgaires : la vérité partielle qui suffit à calmer leur désir impatient de résoudre le problème des destinées ; des vertus naturelles qui donnent satisfaction à leur besoin inné de justice et d’honnêteté ; des condescendances coupables qui laissent un libre cours à leur passions violentes, à l’orgueil surtout et à la volupté. Elle envahit, elle enchaîne, elle domine toutes les forces vives de la nature humaine, l’intelligence, la volonté, les sens.

Au musulman qu’il veut convertir, l’apôtre chrétien n’apporte guère que des enseignements qui étonnent la raison et des préceptes qui mâtent la chair. Au chrétien qu’il veut pervertir, le disciple de Mahomet présente une doctrine sans obscurité et une morale sans contrainte. Là est le grand secret des apostasies chrétiennes dans le passé et des conquêtes musulmanes de l’heure présente. L’Islamisme est le chef-d’œuvre du mauvais génie de l’humanité : juif par ses dogmes, arabe par ses pratiques, il est satanique par l’habileté infernale avec laquelle son auteur a fusionné, altéré, mutilé les éléments d’emprunt qui le constituent.

Mais ce qui semble impossible aux hommes est facile à Dieu. Tout ce qui est sain et fort dans l’humanité brisera, tôt ou tard, Dieu aidant, les chaînes souillées de l’Islam. Jésus-Christ redeviendra le Maître des peuples que Mahomet lui a pris. Quel éclatant triomphe il s’est donné en Espagne ! Voyez renaître les peuples des Balkans. L’Orient lui-même revivra. La croix resplendit ; le croissant recule. Ils sont si manifestement comptés les jours de la domination musulmane sur le théâtre des premières conquêtes du Christianisme.

Et jusqu’au sein de l’Asie monstrueuse et de l’Afrique barbare, qui oserait dire que le dernier mot doit rester à Mahomet et à ses disciples ? Serait-elle dépourvue de vérité cette vue d’un éminent historien catholique : « L’Islamisme doit préparer à la civilisation les peuples les plus avancés dans la barbarie, et notamment les Africains. Ces peuples qu’il fallait amener du fétichisme au monothéisme avaient besoin, dans leur degré inférieur de culture, dans leur sensualisme brutal, de cette transition, ou d’une transition analogue pour arriver au Christianisme…

N’est-il pas digne aussi de fixer l’attention du penseur le jugement suivant porté par un philosophe protestant sur l’œuvre du Prophète arabe ? « Le mahométisme n’est rien moins qu’une religion originale. L’élément qui lui donne une valeur morale et religieuse supérieure, lui vient du judaïsme et du christianisme, dont il ne paraît être qu’un dernier rameau. Son monothéisme, son horreur de l’idolâtrie, la pureté de sa morale n’ont pas d’autre source, et l’on a pu sans paradoxe le prendre pour une forme inférieure de christianisme accommodée aux besoins et à la taille de peuplades sémitiques d’une demi-culture. Mais à côté de ce spiritualisme chrétien, il a conservé des éléments naturistes, restes grossiers des vieux cultes de l’Arabie, qui, après avoir fait peut-être sa fortune au temps de sa fervente jeunesse, l’alourdissent et le paralysent aujourd’hui. Aussi, malgré ses conquêtes, reste-t-il toujours essentiellement une religion orientale, avec la Mecque pour centre et pour foyer. S’il veut revivre, il doit se réformer ; il doit entrer dans la voie du progrès intellectuel et moral, s’affranchir des superstitions locales, des espérances grossières, de la haine de l’infidèle, du mérite des œuvres pies ; il faut, en d’autres termes, qu’il achève de dépouiller sa vieille nature et reçoive une nouvelle effusion de l’esprit chrétien. Il ne deviendra universel qu’autant qu’il se rapprochera du principe moral du christianisme pour n’être plus qu’un, à la fin, avec lui. »




  1. Les partisans de l’Islam — nom verbal qui signifie abandon — prirent de bonne heure le nom de Moslim, au pluriel Moslemin dont nous avons fait, après les Persans et les Turcs, Musulman — forme participe pluriel d’Islam, les « Abandonnés » les « Soumis » à Dieu.
  2. Ce mot arabe signifie proprement seconde loi, loi orale ou tradition. Elle est censée contenir l’enseignement oral du Prophète recueilli par ses disciples et destiné à compléter et à expliquer l’enseignement divin écrit dans le Coran. En somme, la Sonnah est, pour le musulman, ce que la Mischna est pour le juif, ce que la Tradition est pour le catholique, le supplément et le commentaire du livre inspiré.
  3. L’ensemble de la législation civile et religieuse des musulmans, désignée sous le nom de Chériat se compose de quatre parties : le Coran, la Sonnah, l’Idjmâ-i-Ummet, recueil des décisions rendues sur certains points de droit ou de religion par les premiers Khalifes, et le Qiyas, qui est une très vaste collection de décisions de jurisprudence.
  4. « Jamais religion ne sut lier ses disciples de chaînes plus solides et rattacher plus étroitement aux prescriptions religieuses, les moindres faits de la vie civile ou sociale. Le Koran est tout à la fois le code religieux, le code international, le code civil et le code pénal des musulmans. Il a donné l’unité de langue, d’organisation civile et sociale à des populations qui différaient par la race et le passé. Pour les populations qui l’ont adopté, la communauté de religion a remplacé la communauté d’origine et tenu lieu aux sémites du principe de nationalité qui semble incompatible avec leurs habitudes nomades et leurs mœurs patriarcales. » Germain Sabatier, Études sur les réformes algériennes, Oran, 1891.
  5. « L’Islamisme, dit M. Tiele, n’a trouvé de disciples véritables et zélés que chez des peuples peu développés, tels que les populations chrétiennes à la surface, de l’Égypte, de l’Afrique du nord, et de l’Espagne, chez les berbères, les nègres, les malais et les turcs. En Perse et aux Indes, il ne triompha que par la force. Les persans ont toujours passé pour hérétiques, et les musulmans hindous ne se distinguent souvent des brahmanistes que par quelques formes. Né chez un peuple tardivement développé, s’il est la plus jeune des religions universelles, il est également la moins élevée. Pendant une courte période seulement, il a, à la faveur des circonstances, et en opposition avec ses propres principes, donné naissance à une civilisation plus haute. Appliqué en toute rigueur il est destructif de toute civilisation. » Manuel de l’hist. des Religions 145-6.
  6. Il a mission de veiller sur l’homme et d’écrire ses actions. Pour ce motif, on le nomme, dit le catéchisme sonnite, ange gardien et écrivain indulgent. p. 135.
  7. « Hossaïn Vaz, commentateur persan du Coran, et les autres glossateurs entendent par ce mot l’Immaculée-Conception de la Sainte-Vierge. On cite aussi un hâdis d’après lequel Mahomet aurait dit : « Tout homme que sa mère met au monde est souffleté par Satan, excepté Marie et son fils. » Garcin de Tassy, p. 50.
  8. Les Arabes, dit Douzy, étaient grands buveurs, et mettaient un certain orgueil à l’être ; même parmi les disciples de Mahomet, à Médine, il y en avait qui venaient ivres à la mosquée. Il était donc nécessaire de réagir contre l’ivrognerie, et comme les avertissements, au sujet de l’abus du vin, n’avaient pas produit de résultat, on le prohiba complètement. Omar sanctionna la défense, en établissant la peine du fouet. Sans grand succès toutefois ; depuis tout le temps que l’Islamisme existe, on a bu du vin, et même beaucoup ; seulement par respect pour la loi, on ne l’a pas fait ouvertement et on se cache pour boire, p. 152 ».
  9. Le vendredi n’est pas un temps de repos pour les musulmans : si ce n’est au moment de la prière, chacun vaque à ses occupations ordinaires.
  10. Garcin de Tassy, p. 164.
  11. Il est défendu, non seulement de manger et de boire, mais encore de fumer du tabac, de se laver le visage, de respirer des parfums, d’avaler la salive volontairement etc.
  12. Revue des religions, 1890, p. 25.