Le Vigneron dans sa vigne/Mademoiselle Olympe
MADEMOISELLE OLYMPE
Avec la vie de Mademoiselle Olympe Bardeau, on écrirait un roman de mœurs provinciales, mais il serait monotone. Ce n’est guère varié, ce qu’elle fait : elle passe son temps à se dévouer.
Je l’ai toujours connue vieille fille. Il y a dix ans, elle ne l’était pas moins ; dans dix ans elle ne le sera pas davantage ; elle ne bouge plus ; c’est une vieille fille précoce qui se conserve. Chacun lui donne l’âge qu’il veut.
Elle aurait pu se marier autrefois si son frère ne lui avait emprunté sa dot pour la perdre dans le commerce. Elle a renoncé au mariage, mais elle aime beaucoup son frère. À ceux qui prétendent qu’il n’y a pas de quoi, elle répond qu’elle l’admire.
Elle se dévoue maintenant à sa mère ruinée, elle aussi, par les mauvaises affaires de son fils. Toutes deux vivent uniquement de ce que gagne Olympe et la vieille fille s’arrange si mal qu’elle semble gagner le moins qu’elle peut.
Habile aux travaux d’aiguille de tous genres, elle a, pour une brodeuse de province un réel talent dont elle ne sait pas tirer parti.
Une dame bien intentionnée lui apporte une bavette à broder.
— Choisissez votre modèle, dit Olympe.
La dame ne s’y connaît pas et elle choisit, pour sa bavette sans valeur, une broderie compliquée et coûteuse. Olympe ne fait aucune observation ; elle brode et elle demande un prix qui ne jure pas avec le prix de la bavette.
— Comment voulez-vous, dit-elle, que je fasse payer quinze francs le feston d’une bavette de trente sous ? Cette dame aurait le droit d’être surprise.
— Il fallait, Mademoiselle Olympe, lui expliquer qu’elle choisissait un dessin trop riche.
— Je n’ai pas le courage, dit Olympe, de chagriner une personne qui s’intéresse à moi.
Elle a l’idée de donner aux petites filles de la ville des leçons de couture à cinq sous l’heure.
— Ce n’est pas cher, lui dis-je.
— C’est assez cher, dit Olympe, mais elles resteront deux heures, si elles veulent.
— Pour le même prix ?
— Oh ! oui, dit Olympe, une fois là !
Et elle dit vrai. Qu’importe, en effet, que les petites filles restent deux heures, au lieu d’une, chez Mademoiselle Olympe ? Le difficile, c’est qu’elles y viennent.
— Je n’ai pas à me plaindre, dit-elle ; toutes ces dames sont très gentilles et me donnent du travail. Madame Gervais, la femme du médecin, me fait faire le trousseau de sa fille.
— Sa fille se marie ?
— Oh ! non, elle n’a pas quatorze ans.
— Et vous lui faites déjà son trousseau ?
— Oui, ne se mariera-t-elle pas un jour ou l’autre ?
— Tout de même, Madame Gervais ne perd pas de temps.
— C’est commode pour moi, dit Olympe. Je travaille au trousseau, quand ça me plaît. Je brode cette semaine une chemise, et la semaine suivante un mouchoir. Madame Gervais n’exige pas que j’aille vite.
— Elle est bien bonne.
— Sans doute, elle pourrait faire faire ce trousseau à Paris, au moment du mariage, en une fois.
— Il lui coûterait plus cher.
— Elle est riche.
— Et économe. Je suis sûr qu’elle ne vous paie pas. Je veux dire qu’elle vous paie mal.
— Elle me donne l’argent dont j’ai besoin. Nous sommes en compte.
— Et vous ne comptez jamais.
— Je vous prie, dit Mademoiselle Olympe, de ne pas dénigrer Madame Gervais qui m’a confié ce travail par charité.
Presque toutes ces dames se font un plaisir de passer à Mademoiselle Olympe ce qu’elles ne mettent plus. Elle accepte en pleurant n’importe quoi ; elle ne manque jamais de jupes fanées et elle pourrait, chaque matin, si elle voulait, sortir avec un nouveau corsage défraîchi. Elle trouve le temps de remercier par des visites de cérémonie et, quand elle va voir une de ses bienfaitrices, elle a la délicatesse de porter les vieilleries qu’elle lui doit. Et elle ne se contente pas de dire merci, elle laisse quelque petite chose, un rien, un bout de cette dentelle qui ne lui coûte que les yeux de la tête.
C’est un plaisir de l’aider, mais il faut être généreux avec discernement. Madame la mairesse se trompe : elle réabonne tous les ans Mademoiselle Olympe à un journal de modes ; elle croit lui faire un cadeau utile et agréable. C’est désastreux pour Olympe qui s’obstine à prendre part aux concours de ce journal. Certes, si elle obtenait un premier prix, ce serait la fortune et la gloire, mais Olympe n’a ni goût ni originalité. Elle ne sait pas que les abat-jour modernes sont légers comme des danseuses ; elle charge les siens de lithophanies et ne réussit que de lourdes horreurs. Quand elle a payé les frais d’envoi et de manutention, il faut qu’elle paie les frais de retour et elle hésite à faire revenir sa pelote à épingles ou sa recette de cuisine. Elle n’a obtenu qu’une quatrième mention honorable, pour un cordon de sonnette. Il n’était pas élégant, il était solide : on pouvait se pendre après.
Elle se repose quelquefois, elle cultive son jardin qui est grand comme une serviette, et de temps en temps elle place un bol de fraises.
Dans cette petite ville, tout le monde, même les dames qui en profitent, reconnaît les vertus de Mademoiselle Olympe. Seule, sa mère, madame Bardeau, les ignore. Olympe lui fait croire qu’elle a sauvé de la faillite de son frère quelques économies presque suffisantes. Madame Bardeau le croit volontiers et vit heureuse. Elle ne s’occupe de rien. Que voulez-vous qu’elle fasse ? Elle a son eczéma, elle le gratte.
Olympe ruse et lui cache sans peine leur situation misérable. Levée quotidiennement à quatre heures, elle lui dit qu’elle se lève à six heures. Elle se garde d’employer ces deux heures d’avance aux soins du ménage, sa mère le verrait. Elle coud, elle brode, elle ne se permet que des ouvrages qui ne font pas de bruit. À six heures, elle entend la voix de Madame Bardeau qui s’éveille.
— Olympe, penses-tu à te lever ?
Olympe ne répond pas.
— Ma fille, lève-toi, répète Madame Bardeau ; tu seras en retard pour la messe.
Et Olympe répond comme une personne qui va s’arracher du lit :
— Oui, maman, voilà ! voilà !
— Hier soir, ma fille, à quelle heure t’es-tu couchée ?
— Comme d’habitude, maman, à neuf heures.
— Paresseuse ! dit Madame Bardeau indulgente.
Comment devinerait-elle qu’il était minuit ?
— Tu n’es pas raisonnable, Olympe, lui dit-elle encore, tu manges beaucoup trop vite.
— Mais non, dit Olympe, c’est toi qui ne manges pas assez vite. Tu as de vieilles dents, les miennes sont plus jeunes, j’ai fini la première et je quitte la table. Veux-tu que je reste pour te regarder ?
— À ton aise, dit Madame Bardeau ; seulement je te préviens que tu joues avec ta santé.
Je l’étonne quand je lui dis que sa fille est une sainte.
— On voit bien, dit-elle sans méchanceté, que vous ne vivez pas avec elle.
— Maman a raison, dit Olympe, je suis souvent insupportable.
— Tu vas trop loin, dit Madame Bardeau ; ne l’écoutez pas : au fond, c’est une bonne fille.