Madame l’Archiduc/Texte entier
L’ARCHIDUC ERNEST | MM. | Daubray. | |
GILETTI | Habay. | ||
LE COMTE | L. Fugère. | ||
LE DUC DE PONTEFIASCONE, | } conspirateurs | Grivot. | |
LE MARQUIS DE FRANGIPANO, | Scipion. | ||
LE COMTE DE BONAVENTURA, | Jean-Paul. | ||
BONARDO | Guyot. | ||
RICARDO | Desmonts. | ||
L’HOTE | Homerville. | ||
PIANODOLCE, ministre | Courcelles. | ||
BEPPINO | Maxnère. | ||
MARIETTA | Mmes | Judic | |
FORTUNATO | Grivot. | ||
LA COMTESSE | B. Perret. | ||
GIACOMETTA | Godin. | ||
ANDANTINO, | } conseillers | Durand. | |
CHI-LO-SA, | Rivet. | ||
TUTTI-FRUTTI, | Maxnère. |
La scène dans le duché de Parme vers 1820.
ACTE PREMIER
Une salle d’auberge. Grande baie au fond ; une porte à gauche ouvrant sur une salle à manger ; une autre à droite, ouvrant sur une chambre ; bosquets et tables à droite et à gauche.
Scène PREMIÈRE
Au lever du rideau, il n’y a personne en scène. Entrent par chacun des bosquets Pontefiascone et Bonardo, enveloppés dans des manteaux, puis, Frangipane et Bonaventura.
- S. A. D. E.
- S. A. D : E.
- BONARDO.
J’arrive pour la grande affaire.
- J’arrive pour la grande affaire.
- Il faut parler avec mystère.
- Il faut parler avec mystère.
- Car je viens pour la grande affaire
- Du château
- De Castelardo.
- Personne.
- Personne, vraiment,
- Qui nous reçoive et nous héberge.
- On dirait l’auberge
- De la Belle au bois dormant.
Apercevant Bonardo.
- Toi !
- Moi !
- Bonjour !
- Bonjour !
- Je viens…
- Tu viens…
- Je viens pour…
- Tu viens pour… ENSEMBLE.
- Tu viens pour…
- Je viens pour… chut…
Ils remontent.
- S. A. D. E.
- S. A. D. E.
- J’arrive pour la grande affaire.
- Il faut parler avec mystère.
- Car je siens pour la grande affaire
- Du château
- De Castelardo.
- Toi !
- Vous !
- Eux !
- Nous !
- Nous voici réunis
- Fidèles au mot d’ordre, en avant les amis !
- S. A. D. E.
- S. Supprimez
- A. Archi…
- D. Duc
- ENSEMBLE. E. Ernest.
- Car nous faisons le complot,
- De supprimer l’archiduc.
- Mais point il ne faut
- Débiner le truc,
- Ne débinons pas le truc,
- Nous venons pour la grande affaire
- Du château
- De Castelardo.
- Il faut parler avec mystère
- De la grande affaire du château,
- Du château
- De Castelardo.
Ils se donnent des poignées de main.
Scène II
Les quatre conspirateurs se recachent dans leurs manteaux.
Du vin !
Tiens ! ils parlent maintenant. Par ici, messieurs, on va vous servir.
C’est bien. Que l’on se dépêche.
Ils entrent dans la salle à gauche.
Scène III
Quels drôles de voyageurs ! (Bruit.) Ah ! voici la noce.
- Voici que l’heure solennelle
- A retenti pour les époux ;
- Nous revenons de la chapelle,
- Gaîment, bras dessus, bras dessous.
- Voici les mariés, la promise est pimpante,
- L’époux a bien du charme aussi.
- C’est mon garçon et ma servante,
- Les voilà qui viennent par ici ;
- (Bis.) Les voici.
- Pour nous marier à l’église,
- Nous sommes partis de bon matin.
- Elle était roug’ comm’ un’ cerise,
- Et moi, fier comme un paladin,
- Dans nos beaux habits du dimanche
- Nous tenant bien fort par la main,
- Les deux bras autour de la hanche,
- Et s’ dandinant avec entrain.
- Les oiseaux chantant sur la branche
- Nous répétaient ce gai refrain :
- Coui, coui, coui, voici Giletti.
- Coui, coui, coui, voilà Marietta.
- Les voici, les voilà :
- C’est Giletti, c’est Marietta.
- Vous vous plaisez a dit le maire ;
- GILETTI.
Il a dit oui, j’ai pas dit non.
- Ell’ m’ donne son cœur de rosière,
- Et moi, je lui donne mon nom.
- Les amis pleins d’une gaîté franche
- Nous suivaient en riant un brin,
- Les deux bras autour de la hanche,
- Et s’ dandinant avec entrain.
- Les oiseaux chantant sur la branche
- Nous répétaient leur gai refrain :
- Coui, coui, etc.
En voilà assez ! vous chantez, j’en suis bien aise, il faut travailler maintenant.
Ah ! pardon, not’ maître, pas moi, vous m’avez promis trois jours de congé.
Trois jours de congé !
Nous y tenons !
Trois jours, c’est pas de trop, pour une lune de miel.
Dame, monsieur !
Je vous ai mariés, parce que j’espère bien qu’après les effusions inséparables du premier moment, vous finirez par vivre comme chien et chat.
Oh non !
Oh si !
Oh non !
Oh si !
Qu’est-ce qu’ils ont donc, ceux-là ?
J’en parle par expérience, c’est ce qui nous est arrivé à ma femme et à moi. (Tristement.) Je suis veuf maintenant (Gaîment.) et je ne n’en plains pas.
Ça vous est arrivé, parce que votre femme ne vous aimait pas, tandis que moi j’adore Giletti.
Moi, elle m’aime bien.
Ils s’embrassent.
Oh !
Qu’est-ce qu’ils ont donc, ceux-là ?
Allons, finissons-en, prenez-les vos trois jours.
Vous allez faire un petit voyage de noces
Et où allez-vous comme ça ?
Où nous allons… ah voilà !
Voyons, Marietta, dis-nous où tu vas ?
Oui, Marietta, dis-nous-le ?…
- Où je vais, j’ n’en savons rien, dame,
- Où Giletti voudra m’ mener,
- Puisqu’à présent je suis sa femme,
- C’est à mon mari d’ordonner.
- J’suis toujours restée au village,
- Les jeun’s fill’s faut les enfermer ;
- Mais les femm’s mariées ça voyage
- Et je n’demande qu’à voyager.
- Allons fair’ nos paquets, bonsoir,
- (Bis.) Bonsoir, les amis, au revoir.
- Pour moi tout’s les chos’s sont nouvelles,
- Je n’ savons rien de rien, mais quoi !
- Mon Giletti, mesdemoiselles,
- A c’ qui paraît, en sait plus qu’ moi.
- Je suis disposée à m’instruire,
- A l’écol’ j’avais tous les prix ;
- A mon retour, j’ viendrai vous dire
- Tout c’ qu’en chemin, j’aurons appris.
- Allons fair’ nos paquets, bonsoir,
- (Bis.) Marietta et Giletti donnent des poignées de main à tout le monde et entrent dans la chambre à droite. Bonsoir, les amis, au revoir.
Adieu… les amis !…
Scène IV
Et maintenant, nous autres, au travail ! toi, Beppino, à l’office, Giacornetta, dans la salle à manger, les autres à la cuisine. Dans une heure, nous aurons les voyageurs de la malle-poste de Modène, il faut préparer la table d’hôte. Allons, mes enfants, de l’activité. (Les hommes tournent leur dos.) Eh bien ! voyons, Beppino ?
Impossible, monsieur, tout à fait impossible.
Impossible !
Comment, impossible ?
Nous ne pouvons plus rester ici, nous souffrons trop, nous souffrons tous.
Vous souffrez. D’où ça ?
Du cœur.
Du cœur !
Ah ça ! est-ce que vous êtes fous ?
Marietta s’en va !
- Nous somm’s tous de la mêm’ famille,
- Et nous aimions tous Marietta.
- Tant qu’ Marietta est restée fille
- Aucun de nous n’ la disputa ;
- Maintenant qu’hélas ! elle proclame
- Giletti pour son cavalier,
- Ça nous déchir’, ça nous fend l’âme.
Ils rendent leurs tabliers.
- (Bis.) Nous aimons mieux rendre not’ tablier.
Ils remontent.
Comment, vous m’abandonnez… mais au moins, vous, mesdemoiselles…
Du moment que les garçons s’en vont…
Les garçons s’en vont !
Elles aussi.
- Vous comprenez qu’ nous autres femmes,
- Dans le métier que nous faisons,
- Not’ seul agrément c’est les flammes
- Qu’ nous allumons chez les garçons.
- Pauvres servantes que nous sommes,
- Si les garçons quitt’nt le métier
Elles dénouent leurs tabliers.
- (Bis.) Qu’allons-nous dev’nir sans nos hommes,
Elles rendent leurs tabliers.
- Nous aimons mieux rendre not’ tablier, oui !
- (Bis.) Nous aimons mieux rendre not’ tablier.
Les hommes et les femmes jettent leurs tabliers sur les bras de l’hôte et sortent, les hommes à gauche, les femmes à droite.
Scène V
Me voilà bien, moi, avec mes dix-huit tabliers. (Il va poser les tabliers sur la table à gauche.) Pas un garçon, pas une fille, des plats qui chantent sur le feu, et la diligence de Modène qui va m’arriver. En voilà une sévère… Oh ! cette noce ; il faut pourtant que je me tire de là…. (Il va à la porte et appelle.) Giletti, Marietta ! (Il frappe.) Fermée… Déjà. (Il frappe.) Ouvrez, vous autres ! Giletti, Marietta
Nous v’là, not’ maître.
Est-ce que les trois jours sont déjà passés ?
Ah ! mes enfants, savez-vous ce qui m’arrive… je suis perdu !
Ah ! mon Dieu !
Qui ça ?
Tous ! les garçons, les filles, Giacometta, Beppino, Jacopo, Fabiano. On m’a planté là, les voyageurs vont arriver, et je n’ai plus personne pour les servir…
Soyez tranquille, not’ maître… dans trois jours nous serons là.
Comment, dans trois jours…
Oui, dans trois jours. Viens, Marietta.
Ils font mine de s’en aller.
Je vous les retire vos trois jours !
Les trois jours que vous nous avez donnés ?
Oui, je vous ai donné trois jours, je le reconnais, mais je vous les retire.
Alors, je vous donne mes huit jours, moi.
C’est ça. Viens, Giletti.
Fausse sortie.
Vous ne ferez pas ça.
Vous allez voir. Viens, Marietta.
Fausse sortie.
Il n’en arrivera pas.
Il n’en vient jamais. Viens, Giletti.
Fausse sortie. — Bruit de fouet et de grelots.
Tenez. (Ils regardent à droite.) Deux voyageurs.
Deux voyageurs.
Dans une chaise de poste.
Dans une chaise de poste.
Ils descendent…
Ils descendent.
Ils montent !
Ils montent !
Ah ! mes enfants, par pitié.
Marietta… un bon mouvement.
Soyez heureux, nous restons. (L’hôte va pour embrasser Marietta.) Non, pas vous.
Elle se jette dans les bras de Giletti.
Scène VI
Entrez, Votre Excellence. Que faut-il vous servir, Madame ?
Vite des chevaux à notre voiture. Combien y a-t-il d’ici Castelardo ?
Trois bonnes heures de route, avec une montée très-fatigante.
Raison de plus, vite des chevaux, il faut que j’arrive avant minuit.
Leurs Excellences ont bien le temps alors, il n’est que six heures ; Leurs Seigneuries ne seront pas fâchées de dîner auparavant.
Je suis sûr que Leurs Excellences n’ont pas faim.
Animal, va !
Je prendrai un bouillon seulement.
Et moi, une aile de poulet.
Y’a plus d’ bouillon.
Mais si fait, il y en a… mais débarrassez donc Leurs Seigneuries.
Ils prennent les manteaux et chapeaux des voyageurs, que Giletti va porter dans la chambre de droite.
Alors vite, pendant qu’on mettra des chevaux à ma chaise, un bouillon, une aile de poulet et du bordeaux.
Vous avez entendu ? Toi, Giletti, à la cave, tu monteras du cachet vert ; toi, Marietta ; à la cuisine.
Oui, not’ maître, moi à la cave, du bouillon.
Et moi, à la cuisine… du bordeaux.
Ils s’embrassent.
Eh bien ! eh bien !
Giletti se sauve par le bosquet de gauche, Marietta, par celui de droite.
Je vous demande pardon, Excellences, mais ils se sont mariés ce matin.
Mais ils sont très-gentils…
L’hôte sort au fond à droite.
Scène VII
Mariés depuis ce matin, mon ami, et nous depuis huit jours, c’est de bon augure.
Quel ton singulier, comme vous me dites cela ; il y a d’ailleurs depuis ce matin dans votre air, dans vos paroles, quelque chose d’étrange, d’inquiet.
Mais non, vous vous trompez. (S’approchant.) Tu te trompes.
Vous devriez être heureux cependant de rentrer dans le duché de Parme, de revoir le château de Castelardo où vous êtes né, et où vous n’êtes pas revenu depuis quinze ans.
Oui, Castelardo, le château de Castelardo. Ah !quel souvenir pour moi ; j’avais sept ans, quand nous en avons été arrachés mon père et moi, jetés dans une voiture, et condamnés à un exil éternel sur les ordres de cet absurde archiduc Ernest, ce fou couronné. Oh ! je comptais bien n’y jamais revenir.
Alors, pourquoi y revenons-nous ?
Parce que…
Parce qu’il y a quelque chose que vous me cachez. Oh ! j’ai tout deviné, cette lettre mystérieuse qui vous a été remise le lendemain de notre mariage, et aussitôt notre départ précipité.
Eh bien oui, cette lettre se rattache à une disposition du testament de mon père, une dernière volonté à remplir, c’est l’affaire de quelques jours.
Voyons, ma chère amie, ne fronce pas ton joli sourcil, ne pâlis pas ainsi, il n’y a rien de grave.
Bien sûr ?
Scène VIII
- Ne pensons qu’à nous, ma chérie,
- Loin de tout regard indiscret,
- Je t’aime tant.
Il lui prend la main.
- Je t’en prie,
- Prends bien garde, si l’on entrait.
- Je serrerai ta taille fine,
- Bien doucement.
- Bien doucement.
- Je presserai ta main câline,
- Bien doucement.
- Bien doucement.
- Un seul petit baiser, mutine.
- LE COMTE.
Bien doucement.
- Bien tendrement.
Il l’embrasse peu d’abord, puis de plus en plus fort.
- Et puis un autre.
- Non, non !
- Et puis vingt autres.
- Finis donc.
- Plus doucement,
- Mon ami, plus doucement.
- Ah !
- Ah !
- Eh bien ! que voulez-vous ?
- Le bordeaux.
- Le bouillon.
- Posez donc tout cela, c’est bon.
Giletti et Marietta posent le tout sur la table.
- Nous voilà servis.
- Viens donc.
Le comte conduit sa femme à la table de droite.
- MARIETTA.
Ils allaient bien.
- Oui, je l’avoue.
- Ils se serraient.
- C’était charmant.
- Il l’embrassait…
- A pleine joue.
- Si gentiment.
- Si tendrement.
- Ah ! Marietta !
- Ah ! Giletti !
- C’était gentil, c’était gentil.
- Dis donc, il me semble
- Que nous pourrions en faire autant.
- Ils pourraient nous voir, je tremble.
- Voyons… sois prudent.
Giletti s’assied à la table de gauche, Marietta près de lui.
- Je serrerai ta taille fine,
- Bien doucement.
- GILETTI.
Bien doucement.
- Je presserai ta main câline,
- Bien doucement.
- Bien doucement.
- Un seul petit baiser, mutine.
- Bien doucement.
- Bien tendrement.
Il l’embrasse peu d’abord, puis de plus en plus fort.
- Et puis un autre.
- Non ! non !
- Et puis vingt autres.
- Finis donc.
- Finis donc.
- Plus doucement,
- Mon ami, plus doucement.
Ils s’embrassent. Le comte et la comtesse se retournant aperçoivent Giletti et Marietta qui s’embrassent.
Ah !
Ah !
- Hé, bien, voyons, que diable,
- GILETTI.
Devant nous que faites-vous là ?
- Ils n’ont pas l’humeur fort aimable.
- Attends : je vais arranger ça.
- Pardonnez-nous, Monsieur, Madame,
- En vérité, nous somm’ confus,
- C’est qu’ voyez-vous, je suis sa femme
- Depuis un’ heure à pein’, pas plus.
- Il ne sait pas s’ tenir, mon homme,
- Et moi, ma foi, j’ai fait tout comme.
- Vous vous embrassiez comme des fous,
- (Bis ensemble.) Eh bien ! ça s’ gagne, ça s’ gagne, voyez-vous.
- V’la dix minut’s que j’ vous contemple,
- Vous voyez bien, Madame, Monsieur,
- Qu’ c’est vous qui nous donnez l’exemple,
- En s’approchant on se brûle au feu.
- Vous avez l’air d’ bien vous entendre,
- Nous aussi, nous avons l’ cœur tendre,
- Vous vous embrassiez comme des fous,
- (Bis ensemble.) Eh bien ! ça s’ gagne, ça s’ gagne, voyez-vous.
- Elle a raison.
- Je vous pardonne.
- Embrassez-vous.
- Je vous l’ordonne.
- ENSEMBLE. Madame est bonne.
- Embrassons-nous.
- Ces baisers, ma foi, sont bien doux,
- Chacun pour soi, l’amour pour tous ;
- Embrassons-nous
- Sans ennemis et sans jaloux,
- Aimons-nous, oui, aimons-nous,
- Embrassons-nous.
Ils s’embrassent.
Scène IX
Qu’est-ce que c’est qu’ ça ? Eh bien, ne vous gênez pas… (Au comte.) Pardonnez-moi, Excellence, ce n’est pas pour vous que je dis ça.
C’est pour nous, alors ?
Vous et Madame, vous pouvez continuer tant que vous’ voudrez, mais quant à ces deux petits effrontés…
Pardon ! nous avions la permission de Monsieur et de Madame. N’est-ce pas, Monsieur, que vous nous avez permis ?
Certainement. (A l’hôte.) Que voulez-vous ?
Vos Excellences, les chevaux sont prêts.
Quel est ce bruit ?
C’est l’intendant du château de Castelardo.
Le vieux Ricardo, il vient au-devant de nous.
Où est-il ? (Entrant et avec émotion.) Mon maître, c’est vous (Bas, en apercevant le comte.) Monseigneur, pas un pas de plus, vous êtes perdu.
Que dis-tu ?
Chut, éloignez tout ce monde.
Allez chercher nos manteaux.
Giletti et Marietta entrent à droite. — L’hôte sort à gauche.
Scène X
Mon, bon maître, vous que je n’ai pas revu depuis quinze ans.
Parle ! parle vite.
Monseigneur, la nouvelle de votre arrivée est connue à la cour, l’archiduc a été prévenu par des espions, la police est à Castelardo.
La police !
Et quels soldats, les dragons de l’archiduc.
Alors, la conspiration doit-être est découverte.
Vous conspiriez.
Tout le portrait de son père !
Voilà donc le secret. Vous n’irez pas à Castelardo, je ne le veux pas !
Pardieu, maintenant, je n’ai plus rien à y faire.
N’hésitez pas, fuyez, fuyez, la berline est attelée.
Musique.
Vite ! vite !
Trop tard, les dragons, des dragons partout !
Les dragons… perdu !…
Scène XI
Non, mettez-vous à cette table, et faites semblant de dîner.
Le comte et la comtesse se mettent à la table de droite, Ricardo à celle de gauche et lit un journal. Paraît au fond, Fortunato, qui descend d’un praticable suivi de dix petits clairons de dragons, la trompette sur la hanche, descendant sur deux rangs derrière Fortunato qui commande.Halte ! front !
- Qui je suis, on le voit sans peine,
- Je suis le joli petit capitaine
- Il piccolo,
- Piccolino,
- Fortunato,
- Chérubino.
- Quand nous devons en cavalcade
- Entrer dans la ville en trottant,
- Tous les cœurs battent la chamade,
- On nous espère, on nous attend.
- Déjà l’émotion transporte
- Jeunes femmes, jolis tendrons,
- Et toutes viennent sur leur porte
- Pour mieux entendre nos clairons.
- Taratatatata.
- Ecoutez la rumeur lointaine,
- La fanfare du capitaine,
- Du joli petit capitaine
- Fortunato,
- Chérubino.
- Tous petits, mais bien pris de taille,
- Dans notre uniforme galant,
- Sur nos grands chevaux de bataille,
- Il faut nous voir caracolant.
- Puis quand il faut changer de ville,
- Les belles, la pâleur au front,
- Viennent toutes à la file
- Pour entendre encor nos clairons.
- Taratatata.
- Ecoutez la rumeur, etc.
A ses soldats.
Chacun à votre poste, n’oubliez pas la consigne, et maintenant par le flanc gauche, gauche, en avant marche.
Les soldats exécutent ce mouvement, et sortent à droite.
Ils sont ici ? (Il va à Ricardo et lui frappe sur l’épaule.) Je vous reconnais, mon brave, vous êtes au service du comte de Castelardo.
C’est que…
N’essayez pas de nier. Je vous reconnais… Parlez.
Mon Dieu ! mon Dieu !
Voyons, parlez, mon ami, ne vous troublez pas, saprelotte ! Est-ce que je me trouble, moi ? Voyons, le comte et la comtesse où sont-ils ?
Pas arrivés encore, je les attends.
Ne mentez pas, bonhomme. Fi ! que c’est laid de mentir pour un bonhomme ; ils sont ici, leur berline est en bas ; l’hôte a avoué qu’il en était descendu un jeune homme et une jeune femme.
Ah ! l’hôte vous a dit ?…
Oui d’abord, puis il a essayé de nous donner le change. Je l’ai provisoirement fait garder à vue dans son écurie pour qu’il ne vous prévienne pas.
Fi donc ! arrêter le comte, le mener en prison, ma parole d’honneur, bonhomme, vous avez des idées… Pas du tout, c’est à son château que nous le mènerons, nous l’escorterons, c’est l’ordre de l’archiduc. Voyons, où sont- ils ? serait-ce par hasard ces deux voyageurs ?
Il montre le comte et la comtesse.
Vous n’y pensez pas, regardez donc ces têtes-là… ce sont des étrangers.
Oh yes my dear !
Ce sont des Anglais… des Anglais.
Des Anglais… voyons ça. (Il passe devant la table et regarde avec son lorgnon, la comtesse.) Elle est très-gentille la petite femme. (Regardant le comte.) Il est moins bien, lui… (Revenant en scène.) Des Anglais, ça, jamais de la vie !
- Aoh ce rosbeef, very fine
- Water, gin, bock-bier.
- Very well, thank you my dear
- Aoh merci, merci, my dear.
- Vous préférez sonne vine
- A my good bock-bier.
- Very well, thank you, my dear,
- Oh merci, merci, my dear,
- Le beefteck est bon.
- Oh yes !
- English spoken here
- Oh yes !…
- (Se levant.) Milady vous boive wine
- So beautiful divine
- Hip hip, hip hurrah,
- Drink, drink good mine
- Oh yes ! English spoken here.
- Ils sont très-gais
- Et pas trop laids,
- Yes, English spoken here.
- Oh yes, splendid’ l’Italie
- London I prefer.
- Moi comme vous I prefer
- Birmingham and Manchester.
- Oh ! Venise, elle est jolie
- Very beautiful.
- I prefer Dublin and Liverpool.
- Very nice, Liverpool
- Boire encore ce vin.
- LA COMTESSE
Oh yes !
- Aho do you do.
- Oh yes !
- Milady, vous boive wine
- So beautiful divine.
- Hip hip hip hurrah, etc. etc.
English spoken here, est-ce assez anglais ?
Oui, on n’est pas plus anglais que ça, mais tes maîtres, où sont ils ? ils sont ici, parle, ou je fais fouiller l’auberge.
Il remonte.
Le comte et la comtesse ont été remettre leurs gobelets sur la table.
Quelle idée. (Haut.) Eh bien, puisqu’il faut tout vous dire, ils sont là, dans cette chambre.
Tu vois bien !
Mais je vous en prie, laissez-moi les prévenir, vous savez… deux nouveaux mariés.
Des nouveaux mariés, voyons donc ça. (Il se dirige vers la chambre à droite, puis s’arrête.) Des nouveaux mariés ; au fait, il faut des égards. (Approchant du comte et de la comtesse qui sont à la table de gauche.) Je suis galant et doux, les choses de l’amour me connaissent. J’ai fait une romance là-dessus.
Il fredonne.
- L’amour m’a frôlé de son aile
- Et j’en suis encor tout meurtri.
A Ricardo.
Faites-les sortir, bon serviteur, prévenez-les de l’honneur que l’archiduc leur fait, je vous donne cinq minutes. J’ai encore fait une chanson là-dessus.
Il fredonne.
- C’est peu cinq minutes de grâce
- Vis-à-vis de l’éternité.
Contez-leur la chose en douceur, une escorte, vous entendez, nous les escorterons à vue, voilà tout. Je vous donne cinq minutes, je vais prévenir mes hommes. Qu’est-ce que c’est qu’un bonhomme qui dit qu’ils n’y sont pas ? (Il remonte.) On n’en fait pas accroire au capitaine Fortunato. (Au fond.) Vous mériteriez que je vous passe mon sabre au travers du corps, mille trompettes !
Il sort par le fond à droite.
Scène XII
Ouvrez, vous autres, apportez les manteaux.
Voici les manteaux.
Voulez-vous gagnez dix mille écus ?
Dix mille écus !
Ou la mort !
Nous aimons mieux les dix mille écus.
Alors, toi, tu es le comte de Castelardo.
Je suis le comte de quoi ?
Vous, vous êtes la comtesse de Castelardo.
Moi ! comtesse !
Pour vingt-quatre heures seulement. (A Giletti.) Prenez donc des airs distingués. (Il lui donne des bourrades.) Je te dis d’avoir l’air distingué.
Dix mille écus !
Les voilà, ils reviennent, allons, en route, dans la berline.
Dans une berline.
Une berline superbe !
Toi qui voulais faire un voyage de noces.
Ma foi, tant pis, laissons-nous faire.
Les dragons entrent par la gauche, les petits clairons par la droite conduits par Fortunato. – Ils se mettent sur quatre rangs au fond.
- Sono li dragoni
- Del Ernesto quarto,
- I fideli guardiani
- Del grand archiduco.
- Des dragons, ah ! mon Dieu ! tout mon coeur fait tic-tac,
- Le grand sabr’, le casqu’, la giberne et le frac,
- Tout cela me fait peur et je flaire un mic-mac.
- Des dragons, ah ! mon Dieu ça me donn’ un vrai trac.
- En route, allons, voici l’escorte.
- Marchons, il faut leur obéir.
- Des dragons ! Elle est trop forte ;
- Alors ce n’est plus un plaisir.
- Allons, je crois que l’on murmure,
- Je veux une explication.
- Nous somm’s troublés de l’aventure,
- Ce n’est qu’un peu d’émotion.
- Je ne suis pas d’humeur féroce,
- Permettez-moi de vous offrir la main.
- Je veux, suivant votre carrosse,
- Vous escorter tout le long du chemin.
- Ah ! quel drôle de jour de noce !
- Je les garde jusqu’à demain.
- Nous irons dans un beau carrosse.
- FORTUNATO, à Giletti et Marietta.
Allez, on vous traitera bien.
- N’ayez pas peur, ne craignez rien.
- Per bacco, je suis bon gardien.
- Qui donc êtes-vous ?
- Fortunato !
- Fortunato !
- Je suis leur capitaine
- Et c’est moi qui vous mène
- A votre château.
- Vous !
- Moi !
- Capitaine !
- Capitaine !
- Vous officier, et sans moustache
- Reluisant comme un’ pièc’ d’un sou,
- Vous marchez sur vot’ sabretache,
- C’est pas un homm’ c’est un joujou.
- On peut s’ mirer dans votre botte,
- Votre plastron n’ fait pas un pli,
- bergamote, Vous embaumez la
- L’eau d’Cologne et le patchouli.
- Au lieu d’ faire peur, vous faites rire,
- Comment diantr’ ces grands gaillards-là
- Acceptent-ils pour les conduire
- (Bis.) Un p’tit bonhomm’ pas plus haut qu’ ça.
- Je vois c’ que c’est et je proclame
- Que vot’ souv’rain est très-poli,
- Il sait qu’ pour arrêter un femme
- Faut qu’un militaire soit joli,
- Si bien qu’au lieu d’un capitaine
- Avec un méchant air grognon
- Disant d’un ton de croqu’mitaine
- Obtempérez ! mille noms de nom ;
- C’est vous, jeune homme, qu’il envoie
- Mignon, pimpant, comm’ vous voilà,
- C’est à c’ métier-là qu’il emploie
- (Bis.) Un petit bonhomm’ pas plus haut qu’ ça.
- Allons, voyons, monsieur le comte,
- N’allez pas vous faire prier.
- Ça ne fait pas du tout mon compte
- De suivre ce bel officier.
- Si vous résistez, mon cher comte,
- A l’instant, je le fais partir.
- Que j’ suis fâché d’être comte,
- J’suis pas un comt’, j’ suis un martyr !
- Allons, voyons, monsieur le comte
- (Bis.) Il faut partir.
- Eh bien, puisqu’on le veut, le comte,
- Et puisqu’il le faut, monsieur l’ comte,
- Le comte enfin se décide à partir.
- Ils suivent
- Nous suivons } Li dragoni
- Oui, suivez
- Del Ernesto quarto
- Guardiani
- Del grand archiduco.
- Allons ! en route, et tout de suite,
- Rien de fâcheux n’arrivera,
- N’arrivera sous la conduite
- D’un p’tit bonhomm’ pas plus haut qu’ ça.
- Allons ! en route, et tout de suite,
- Rien de fâcheux n’arrivera,
- N’arrivera sous la conduite
- D’un p’tit bonhomm’ pas plus haut qu’ ça.
- Allons, partons,
- Partons !
ACTE DEUXIÈME
Un grand salon dans le château de Castelardo, quatre portes latérales, trois au fond, deux fauteuils et un tabouret.
Scène PREMIÈRE
- Dans la salle des ancêtres,
- Nouveaux serviteurs émus,
- Nous allons revoir nos maîtres
- Que nous n’avons jamais vus
C’est très-bien !
Vive monsieur l’intendant !
Scène II
Monsieur le comte.
Madame la comtesse.
Giletti et Marietta entrent vêtu de riches habits, ils s’aperçoivent se mettent à rire aux éclats.
- Ah ! ah ! ah ! ah !
- Ah ! ah ! ah ! ah !
- Ah ! ah ! c’est toi, Marietta !
- C’est toi, Giletti, ah ! ah ! ah !
- (Bis.) C’est toi.
- Je ris sans savoir pourquoi,
- Ah ! ah ! ah ! ah ! ah !
- Prenez des airs moins drolatiques,
- Voyons, devant les domestiques.
- Vous avez raison, bon vieillard,
- Mais c’est plus fort que nous, ça part.
- Ah ! ah ! ah ! ah !
- Allons, tant mieux !
- COUPLETS Ils sont joyeux.
- Si tu savais comme t’es drôle !
- T’as fièrement l’air emprunté.
- T’es décoll’té’ jusqu’à l’épaule.
- fagoté. On t’a joliment
- En voilà-t-il des beaux costumes !
- Et tous ces falbalas, vois donc.
- T’as l’air d’un’ masqu’ avec ces plumes,
- Et toi, t’as l’air d’un gros dindon.
- Ma petite femme,
- Tant pis ! je me pâme.
- Mon p’tit mari chéri,
- Jamais j’ai tant ri,
- Ah ! ah ! ah ! ah !
- Allons, tant mieux !
- Ils sont joyeux.
- C’est égal, tu me plais quand même.
- Tout de même, t’es ben gentil.
- MARIETTA.
C’est pas pour des rubans que j’ t’aime.
- T’es toujours mon p’tit Giletti.
- Je t’aime toujours davantage.
- J’admir’ ton minois chiffonné.
Mais pourtant quand j’ te dévisage…
- C’est égal, quand je lèv’ le né…
Riant.
- Ma petite femme,
- Tant pis ! je me pâme.
- Mon p’tit mari chéri,
- Jamais j’ai tant ri,
- Ah ! ah ! ah ! ah !
- Allons, tant mieux !
- Ils sont joyeux.
Giletti et Marietta s’embrassent.
Sapristi, attendez que vous soyez seuls.
Et quand serons-nous seuls ?
Tout de suite, mais auparavant dites Quelques mots à vos gens.
Que je leur dise quelques mots.
Merci, mes amis ; — le vieux va vous compter dix écus à chacun.
Vive monsieur le comte !
Mais, monsieur le comte.
Il a raison le vieux, c’est pas assez, mesdemoiselles, moi je vous en donne vingt.
Vive madame la comtesse !
Comme ils y vont.
- Dans la salle des ancêtres,
- Nouveaux serviteurs émus,
- Nous avons revu nos maîtres,
- Que nous n’avions jamais vus.
Ils sortent par le fond, Ricardo sort le dernier et ferme la porte.
Scène III
Enfin nous voilà seuls.
Il la serre dans ses bras.
Oh ! ne me secoue pas comme ça, depuis hier, je crois rêver.
Cette pauvre petite femme qui me suppliait d’une voix si douce en me mettant son chapeau.
Et puis, cette course en voiture.
La nuit, au grand galop.
Et ces dragons à cheval autour de nous.
En face de moi, le petit capitaine. (Fredonnant.) Un p’tit bonhomme, un p’tit bonhomme.
Puis en arrivant ici, on nous sépare, on m’emmène.
On m’enlève.
On me déshabille.
On m’attife avec cette robe.
Et moi, avec ce frac à boutons d’or.
Et nous nous retrouvons comte et comtesse.
Et l’on nous promet dix mille écus.
En v’là une aventure !
En voilà un voyage !
Un rude voyage ! et cette voiture, comme elle cahotait !
Tais-toi donc.
Puisqu’on nous permet de nous aimer, d’aimer sa p’tite femme, car t’es ma p’tite femme.
Il lui donne une bourrade.
Qu’ t’es bête… Et toi t’es mon p’tit mari.
On n’ peut pas changer ça, c’est qu’ t’es ma p’tite femme et que j’ t’aime.
Oui, mais nous sommes comte et comtesse, maintenant.
Sais-tu ce que ça fait les comtes et les comtesses ?
Non !
Eh bien, ça commence par aller fermer les portes, et j’ vas fermer celle-ci.
Il va à la porte au fond, Fortunato parait.
Pardon !
Tiens, le p’tit dragon.
Qu’est-que vous nous voulez encore ?
Je viens pour une affaire très-importante, je viens accomplir une grave formalité. (Il va à Marietta.) Le voyage ne vous a pas fatiguée, comtesse, vous êtes plus jolie que jamais.
Il lui baise la main.
Quelle formalité ! Ah oui, la formalité, j’y reviens.
Il embrasse de nouveau la main de Marietta.
Mais, c’est à ma femme que vous revenez.
C’est vrai, je m’oubliais… qui ne s’oublierait devant de pareils yeux ?
Il parle à Giletti sans le regarder et contemplant Marietta.
Eh bien !
Eh bien, monsieur le comte, je viens au nom de Son Altesse l’archiduc Ernest, vous demander votre épée.
Mon épée !
Donnez-y, et puis le fourreau avec… ça t’gêne.
Voilà l’épée.
Et puis donnez-moi votre parole de gentilhomme de ne pas chercher à fuir de ce château.
Ma parole de gentilhomme !
Donnes-y… ça te gêne aussi.
Je la lui donne.
D’ailleurs vous chercheriez à fuir de ce château, que vous ne le pourriez pas, j’ai mis des dragons à toutes les issues, et si l’on peut entrer, on ne peut pas sortir.
C’est l’usage !
Et maintenant, vous seriez bien gentil, si…
Il s’arrête embarrassé.
Si ?
Vous seriez bien aimable si…
Si vous vouliez…
Il montre la porte.
Expliquez-vous ?
C’est que c’est difficile… si… si…
Attendez !
- Parlez, voyons, je sais comprendre,
- Je suis un indiscret témoin,
- Les cieux sont bleus, et l’herbe est tendre,
- Vous voudriez me voir bien loin.
- Je comprends à vos fronts moroses
- Que je dois bien vous ennuyer,
- Car vous avez pas mal de choses
- (Bis.) A vous dire en particulier.
A Giletti.
- Tenez, je vous le dis en face,
- Si j’étais comme vous voilà,
- Bref, si j’étais à votre place,
- Près de ce petit minois-là,
- Me sourire, ah ! foi d’officier ! Si je voyais ces lèvres roses
J’aurais aussi pas mal de choses A leur dire en particulier.
Il sort vivement par le fond en prenant l’épée de Giletti.
Scène IV
Il est gentil ce petit bonhomme !
Eh bien, comtesse !
Qu’ t’es bête, c’est pas quand on est mariée depuis vingt-quatre heures seulement, qu’on fait attention à un autre qu’à son mari.
Alors, s’il y avait plus de vingt-quatre heures ?
Quéqu’t’as encore, puisqu’il est parti ?
C’est vrai, il est parti.
Et nous sommes seuls.
C’est vrai, nous sommes seuls. (Riant.) Eh ben, nous allons fermer les portes. Va fermer cette porte. (Il lui montre la porte, deuxième plan à gauche.) Moi, je vais fermer celle-ci.
Ils hésitent un instant, puis vont en courant pour fermer ces deux portes, lorsque paraissent par la petite porte du fond, et celle du deuxième plan à gauche, Pontefiascone et Bonaventure, même jeu à droite, Frangipane et Bonardo paraissent, Marietta se trouve entre les deux premiers et Giletti entre les deux autres, ils descendent tous les six.
Qu’est-ce que c’est qu’ça ?
- S. A. D. E.
- S. A. D. E.
- S. A. D. E.
- Le secret est grave,
- A demi-mot vous comprenez ;
- Cependant si vous y tenez.
- Eh bien !
- S. A. D. E.
Ils remontent.
- Comprends-tu, toi ?
- Rien, ma parole !
- Il me semble que je sais ;
- J’appris ça jadis à l’école,
- C’est pas autre chose que l’A, B, C.
- Tu crois ?
- Faut essayer, ils vont recommencer.
- MARIETTA.
Soit, essayons.
- Ils vont recommencer.
- S. A. D. E.
- A. B. C. D. E. F. G. I. J. K
- L. M. N. O. P. Q. R. S. T. U. V.
- S. A. D. E.
- T. V. A. B.
- A. B. A. B. A. B.
- A. B. C. D. E. F. G. I. J. K.
- L. M. N. O. P. Q. R. S. T. U. V.
- E. J. K. E. J. K. A. B. C. D. E.
Giletti et Marietta remontent.
- Sapristi ! je crois qu’on s’embrouille.
- Je ne sais pas, j’ai bien compris.
- Je m’aperçois que je barbouille.
- Je ne sais plus ce que je dis.
- Ce sont eux qu’on ne peut entendre.
- Si c’était nous qui nous trompions ?
- Voyons, tâchons de nous comprendre.
- Je veux bien, tâchons, nous disions…
- S. R. S. T.
- T. V. A. H.
- A. B. C. D. E.
- C’est entendu, c’est convenu,
- C’est entendu.
Enfin, nous nous expliquerons mieux tout à l’heure. (A Giletti.) Monsieur le comte, veuillez prier madame la comtesse de se retirer un instant.
Mais, monsieur !
Cinq minutes seulement, il s’agit d’une affaire grave.
Cinq minutes, pas plus.
Foi de gentilhomme ! Madame, permettez-moi de vous reconduire.
Il prend la main de Marietta et la conduit à la porte, premier plan le droite. — Les trois autres suivent l’un derrière l’autre et saluent, Marietta leur rend leur salut gauchement et disparaît.
Qu’est-c’qui va m’arriver ?
A nous maintenant.
Quoi qu’y a pour votre service ?
Laissez-nous vous contempler.
Tous les traits de son père.
A peine avez-vous reçu notre honorée du 5 courant.
Votre honorée ?
Que vous accourez aussitôt, c’est bien !
Noble cœur !
Cœur chevaleresque !
Cœur héroïque !
Cœur magnanime !
C’est pour aujourd’hui la grande conspiration.
Tout est prêt, on n’attendait plus que toi.
Tu vas monter à cheval.
Tu iras à la ville.
Tu prépareras un soulèvement.
Tu te mettras à la tête du mouvement.
Tu casseras beaucoup de carreaux.
Tu envahiras le palais du tyran.
A moi seul ?
Tandis que nous,
Malins et prudents,
Nous resterons dans l’ombre,
A prier pour toi…
Vous êtes bien honnêtes.
A toi l’honneur de supprimer l’archiduc.
L’archiduc !
Choisis !
Le poignard de tes pères.
Le poison des Borgia.
Le petit couteau du prisonnier.
Le pistolet de Damoclès.
Choisis…
Coup de canon.
Ce n’est pas lui, il rate toujours.
Coup de canon.
Cette fois…
C’est lui, l’archiduc, avec toute sa cour.
Les dragons… filons !
Ils se sauvent par les portes où ils sont entrés, et laissent voir leurs têtes par les portes entrebaillées.
Coeur chevaleresque !
Noble cœur !
Cœur magnanime !
Cœur héroïque !
Coup de canon. — Ils ferment les quatre portes ensemble.
Scène V
L’archiduc, qu’est-c’ qu’ils ont donc ceux-là ?… (Regardant.) Où sont-ils ?
Coup de canon.
Mon Dieu ! le canon, on assiége le château.
Mais non, c’est l’archiduc Ernest ; il a toujours un canon sur lui, pour se tirer des salves sur la route. Il faut bien le recevoir, il doit être furieux. De la tenue, du sang- froid ; allons, monsieur le comte, madame la comtesse, tenez-vous par la main… et souriez. (Ils sourient bêtement.) Souriez mieux qu’ça. (Même jeu.) Là… c’est très-bien !
Mais qu’est-ce qu’il a avec son sourire, celui-là ?
Ils se mettent tous les trois à droite.Scène VI
On forme la haie au milieu.
- Voici le duc, Sa Seigneurie
- Entre dans ce castel avec
- Quatre salves d’artillerie,
- Pour nous imposer le respect.
- Bonjour. Moi, duc Ernest, par la grâce de Dieu,
- Salut, salut, aux hôtes de ce lieu.
Parlé. Houst, houst.
Il passe au milieu, tout le monde recule.
- Original,
- Combien je suis original,
- Non, rien n’est plus original
- Qu’un archiduc original.
- Chaque archiduc de ma patrie
- D’un autre archiduc fut l’égal,
- Bref, ils étaient une copie ;
- Moi, je suis un original.
- Mon père était fort ordinaire,
- Et Bibi, sans penser à mal,
- Ne ressemble point à son père,
- Qui n’avait rien d’original.
- On vend mon portrait en peinture,
- De profil, à pied, à cheval ;
- Mais ce n’est jamais ma figure,
- Car je suis trop original.
- Original,
Combien il est original ! je suis
- Non, rien n’est plus original,
- Qu’un archiduc original.
- Original jusqu’à la moëlle ;
- Je suis roi, mais républicain ;
- Pendant l’été j’allume un poêle,
- L’hiver je porte du nankin.
- Quand une fillette m’adore,
- Je la prends soudain en dégoût ;
- Quand au contraire elle m’abhorre,
- Je l’aime aussitôt comme un fou.
- Très-riche, demandant l’aumône,
- Dormant le jour, veillant les nuits,
- Pour l’escabeau lâchant le trône,
- Car de la tête aux pieds je suis
- Original, etc.
(Colère.) Hein ! qu’est-ce qui a dit que j’étais original ?
Monseigneur !
En voilà assez ! (se calmant.) Encore un acte de justice à accomplir. Où est le comte ?
Ici, monseigneur. (A Giletti.) Souriez !
Giletti sourit bêtement.Approchez, monsieur le comte. (Il regarde Giletti.) Qu’est-ce qu’il a donc à sourire comme ça ?
C’est depuis une chute qu’il a faite tout enfant. (Bas à Giletti.) Ne souriez plus.
Vous êtes surpris de me voir ?
Souriez.
Giletti sourit.
Votre père était un rebelle, un conspirateur, et nous dûmes l’exiler. (Regardant Giletti.) A-t-il un sourire agaçant, cet animal-là ! (Haut.) En apprenant votre retour, nous vous avons trouvé bien hardi d’oser vous montrer ici sans notre bon plaisir, et nous avons supposé que vous reveniez dans un but ténébreux. Nous nous sommes assuré de votre personne, et nous venons nous-même en ce château prêt à punir ou à pardonner. (Regardant Giletti.) Ah ça, est-ce que vous n’avez pas bientôt fini de sourire comme ça ?
Monseigneur, on m’a dit, on nous a dit à Marietta et à moi…
Qu’est-ce que c’est que ça, Marietta ?
Marietta, ma femme.
Souriez, souriez.
Elle sourit niaisement.
Voilà au moins un gracieux sourire, elle a un sourire angélique. (Haut.) On dit que je suis original, on a bien raison, je venais pour punir, et je sens que je vais pardonner.
Vive Monseigneur !
Vive Monseigneur !
Scène VII
Monseigneur…
Eh bien, quoi ?
Mes soldats viennent d’arrêter quatre hommes qui cherchaient à fuir du château, on les amène, (Les conspirateurs paraissent suivis de dragons.) les voici !
Ils se placent en biais à droite.
Les quatre de tout à l’heure, pas fâché de ça, moi…
Quels sont ces gens-là ? (Il va à eux en commençant par la gauche.) (Les regardant.) Le comte de Bonaventura, houst. (Celui-ci passe à gauche.) Le duc de Pontefiascone, houst. (Même jeu.) Le marquis de Frangipano, houst. (Même jeu.) Le libéral Bonardo, houst. (Même jeu.) Des conspirateurs effrénés, d’effrénés conspirateurs, (A Giletti.) La bande dont tu étais le chef, n’est-ce pas ? (Giletti sourit.) A-t-il un sourire agaçant cet animal là ! (Regardant Marietta.) Mais elle, quel joli sourire, elle a un sourire angélique, il est angélique ce sourire ! (Revenant à lui.) mais le devoir avant tout… messieurs mes conseillers.
Altesse !
Je crois que je vais faire le contraire de ce que je disais tout à l’heure, j’allais pardonner et je sens que je vais punir.
Oh !
Nous allons régler lestement le compte de ces Messieurs. Je vais moi-même procéder à un interrogatoire sommaire.
Devant toute la cour ?…
Non, monsieur, pas devant toute la cour, allons, houst, houst, la cour, houst les courtisans, les dames houst, vous reviendrez quand je sonnerai. (Tout le monde sort, Giletti et Marietta veulent sortir, Fortunato les arrête et ils passent à gauche. Les conseillers vont pour sortir aussi.) Restez, messieurs mes conseillers.
Les domestiques sont restés, ainsi que huit dragons.
- Original, etc.
Scène VIII
Une conspiration ! on en voulait à ma vie, à mon existence tout entière ! (Il va aux conspirateurs qui sourient.) Regardez-moi ces faces sinistres, ces têtes de coquins, ces yeux sanguinaires, hou ! sont-ils laids.
Il a l’air furieux.
Un domestique avance un fauteuil à droite.
Et ils ont fourré une femme là-dedans, les misérables, une femme. (Marietta sourit.) Quel joli sourire ! elle est exquise, mais le devoir avant tout.
Il s’assied à droite.
L’audience est ouverte, Son Altesse va commencer l’interrogatoire.
Levez-vous tous.
Y a pas de siéges.
Levez-vous tout de même. (A Pontefiascone.) Approchez ; vous le premier.
Ils avancent tous les quatre.
C’est moi le premier !
Pontefiascone qui est à côté de lui le repousse et s’avance.
Vos nom, prénoms, âge, domicile ?
Il regarde Marietta qui sourit toujours.
Beppino, Annibal de Pontefiascone, né en 1797.
Ne masquez pas !
Ne masquez pas !
Vous, ne masquez pas.
Non, vous, ne me masquez pas. (Finissant par comprendre, il remonte un peu et recommence.) Annibal de Pontefiascone…
Capitaine, donnez un fauteuil. (Pontellascone remercie, croyant que c’est pour lui.) à madame la comtesse. (Fortunato fait signe à un domestique qui apporte un fauteuil et le place en face de l’archiduc. Marietta s’assied en souriant.) Et vous conspirez. Vous armez le bras d’un assassin. (Regardant Marietta assise.) Là, très-bien ! (A Pontefiascone.) Continuez et ne masquez pas…
Annibal, Beppino de…
Fortunato, un tabouret pour madame la comtesse.
Celui-ci fait un signe au domestique qui l’apporte, Fortunato le prend et le met sous les pieds de Marietta.
Beppino, Annibal de Pontefiascone, né…
Vous dites toujours la même chose…. houst, enlevez le conjuré !
Deux dragons s’emparent de Pontefiascone et l’emmènent, deuxième plan, à gauche, et reviennent aussitôt.
A un autre, avancez, vous le premier.
Frangipano et Bonaventura s’avancent.
C’est moi le premier.
Frangipane le repousse et s’avance.
Géronimo, Pancracio, Tapafini…
Comment, j’ai pas fini, qu’est-ce qu’il a dit ?
Marquis de Frangipano…
Frangipano, n’êtes-vous pas l’auteur d’un manuel du parfait conspirateur ?
Dont l’édition est épuisée, oui. Altesse !
Il masque Marietta.
Ne masquez pas !
Ne masquez pas !
Ne masquez pas !
L’archiduc avance un peu son fauteuil et regarde les pieds de Marietta sur le tabouret.
Elle a un pied charmant, quel pied charmant ! (Frangipano allonge son pied croyant que c’est du sien dont l’archiduc parle.) Il est ravissant ce pied ! (Frangipano se rengorge avec satisfaction.) Ne masquez pas !…
Ne masquez pas !
Il n’y a pas dans ma cour de plus joli pied que celui-là…
J’en ai un second.
Monseigneur, pardonnez-moi, mais l’interrogatoire…
Oui, il a bien plus d’interrogatoire. (Revenant à lui.) Houst, enlevez le conjuré !
Enlevez le conjuré !
Deux dragons s’emparent de Frangipano et le conduisent deuxième plan à gauche.
Pianodolce, continuez l’interrogatoire.
Oui, Altesse ! (A Bornardo.) Avancez, vous le premier…
Bonaventura et Busards s’avancent.
C’est moi le premier.
Ah ! c’est vous le premier ? (Aux dragons.) Enlevez le premier, et le second aussi !
Les dragons les emmènent deuxième plan à gauche.
Enlevez-les !
Monseigneur, l’interrogatoire.
Oh ! ces voix dans mon dos ! houst ! Dragons, enlevez mes conseillers !
Les dragons les emmènent deuxième plan à droite. — Fortunato sort derrière eux.
Avancez, monsieur le comte. (Giletti s’avance.) Je vais reprendre moi-même la direction de l’interrogatoire. (L’archiduc en passant, regarde Giletti qui sourit.) A-t-il un sourire agaçant, cet animal-là ! (Il va s’asseoir sur le tabouret.) Elle est exquise, elle a un sourire angélique ! (Haut.) Il fait ici une chaleur atroce, comtesse, voulez-vous prendre une glace, un sorbet, une petite brioche ?
Oui, je veux bien !
Elle est exquise.
Il la lui embrasse, Giletti tape sur l’épaule de l’archiduc.
Qu’est-ce que c’est ?
Pardon, monseigneur, je vais vous dire, je sais bien que ça se passe comme ça dans les cours, et qu’il y a des maris qui s’en arrangent, mais pas moi…
Ah ! pas toi !
Non, pas moi… on ne se chauffe pas de ce bois-là dans ma famille.
Ah ! on ne se chauffe pas dans ta famille, houst, houst, enlevez le mari, enlevez-le !…
Les dragons l’enlèvent.
Je te rattraperai, vilain singe.
Il disparaît.
Je vous en prie, monseigneur, qu’on ne lui fasse pas de mal.
Elle va vers la porte où est entré Giletti.
Soyez tranquille, et cependant, jamais on ne m’a appelé vilain singe.
C’est qu’on n’y avait pas pensé avant, monseigneur, sans ça…
Elle cherche à voir à travers la porte.Scène IX
Qu’est-ce qu’elle a dit. (Haut.) Comtesse, je vous en prie, je vous en supplie.
Quoi qu’y a ?
Quoi qu’y a ? Il y a que… Comtesse, faites-moi votre petit sourire, faisez petite risette à Nénest ! (Marietta hésite, puis sourit.) Elle a un sourire exquis, embrasse-moi !
Ah, mais non !
Tu ne veux pas embrasser Ernest ?
Non, je ne veux pas embrasser Ernest.
Elle me résiste, elle résiste à l’archiduc, oh ! la lutte ! j’aime la lutte… embrasse-moi… (Il court après elle pour l’embrasser, Marietta lui donne un soufflet.) Ah !
Monseigneur a sonné ?
Non, c’est madame qui a frappé. Approche, sais-tu ce que vient de faire cette femme, la comtesse ?
Votre Altesse se tient la joue, aurait-elle osé ?
Elle a osé…
Il voulait m’embrasser, je lui ai flanqué une torgnole.
Une torgnole, dans sa bouche, c’est presque harmonieux, elle m’a giflé, c’est la première fois que ça m’arrive, aussi je suis d’une joie…
Du moment que Votre Altesse le prend comme ça…
J’étais blasé, j’ignorais les torgnoles, maintenant je ne les ignore plus, et regarde avec quelle jolie petite main.
Il veut lui prendre la main.
Touchez pas, ou je recommence.
Mais, madame la comtesse…
Vous, non plus, vous êtes pourtant plus gentil que lui, qui est laid.
Je suis laid… adorable… elle est complète, je l’emmène à la cour…
A la cour, j’veux pas y aller, ça m’ennuie à la fin tout es.
Comtesse !
Je ne suis pas comtesse.
Elle n’est pas comtesse, je crois, Dieu me pardonne ! qu’elle est encore plus originale que moi ; nous disons donc que vous n’êtes pas comtesse.
Non, je ne suis pas comtesse, puisque je suis servante d’auberge.
Elle est servante d’auberge. Etonnante, elle est étonnante ; entrons dans sa fantaisie, Fortunato, veux-tu entrer dans sa fantaisie ? entrons, sans frapper… Alors, tues servante d’auberge ?
Il rit.
Ne riez donc pas comme ça, d’un air bête.
Fortunato, je ris d’un air bête. (A Marietta.) Et qu’est-ce que ça fait une servante d’auberge ?
Il ne sait pas c’que ça fait, est-il jeune !… Eh ben, ça balaie, ça lave le parquet, la vaisselle avec une petite lavette.
Avec une petite lavette.
Et puis, ça frotte comm’ ça.
Elle frotte.
Comme ça.
Pas comme ça. Regardez le petit dragon, il y est lui… et puis quand il vient des voyageurs, ça rince les verres (Elle fait mine de souffler dans un verre et de l’essuyer.) comme ça.
Comme ça !
Et puis ça secoue la salade (Elle fait mine de secouer.) comme ça.
Comme ça !
Et puis le dimanche, on va à la fête, danser sous les arbres.
On danse, et on chante des rondes.
- C’est le soir, on s’prend, on se regarde
- déjà là, L’ ménétrier est
- Zim, zim, zim, zim la la !
- Hé ! pèr’ Michel, un air d’ guimbarde,
- En avant quadrille, entrechat !
- Zim, zim, zim, zim la la !
- Ah ! le violon grince,
- Les tambourins font rafla,
- On s’ bouscule, on se pince,
- Et l’on s’en fourre jusque-là,
- Oh ! aïe, aïe, oh ! la la !
- Lors qu’enfin on est lasse,
- Oh ! aïe, aïe, oh ! la la !
- Alors on demande grâce,
- Oh ! aïe, oh ! aïe, aïe !
- V’là c’que c’est qu’danser en rond.
- Quand on saute, à force
- On s’donne une entorse,
- V’là c’que c’est que d’danser en rond !
Ils dansent.
- En v’là deux là-bas, qui s’pressent !
- C’est Suzon et gros Pierre, les v’là !
- Zim, zim, zim, zim la la !
- Sous les grands arbres, ils disparaissent ;
- Ils s’aim’nt, on n’ peut rien dir’ à ça.
- Zim, zim, zim, zim la la !
- Au bout d’une grande heure
- Suzon revient à p’tits pas ;
- La petiote pleure.
- Oh ! la la, qué qu’maman dira,
- Oh ! aïe, aïe, oh ! la la !
- Là, je dirai à ma mère,
- Oh ! aïe, aïe, oh ! la la !
- Que c’est la faute à gros Pierre,
- Oh ! aïe, aïe, oh ! aïe aïe !
- V’là c’que c’est que d’danser en rond.
- Quand on saute, à force
- On s’donne une entorse,
- V’là c’que c’est que d’danser en rond !
Marietta et Fortunato dansent en rond, l’archiduc les suit en courant.
Ça y est. Fortunato, veux-tu voir un homme pincé ? regarde un homme pincé.
Y pensez-vous, monseigneur ? si quelqu’un entrait…
Eh bien, il verrait un homme pincé.
Dites donc, Ernest, qu’est-ce qui vous a pincé, c’est pas moi !
Si… c’est toi qui m’as pincé.
C’est pas vrai, je vous ai cogné, mais pas pincé.
Mais elle ne comprend donc rien cette femme, elle ne voit donc pas que ce que je veux, c’est elle ? c’est toi, et que malgré toute ma puissance, je suis le plus infortuné des hommes ?
Peut-on dire ça, quand on est sur un trône, quand on est puissant, quand on est archiduc ?
Archiduc, la belle affaire ! on croit avoir tout dit, quand on a dit à un homme, tu es archiduc, n’est-ce pas, Fortunato ?
Le fait est que c’est bien peu de chose. Qu’est-ce qui n’est pas archiduc ?
Eh bien ! moi, telle que vous me voyez, je me suis dit bien souvent : Ah ! si j’étais archiduc !
Tu t’es dit cela ? Tu voudrais être archiduc, tu désires être archiduc ? attends un peu. Où est ma sonnette ? (Il cherche sur lui et finit par trouver une petite sonnette sans battant.) La voici… aidez-moi.
Fortunato et Marietta lui prennent chacun un bras, et l’aident à sonner ; on entend un son de grosse cloche.
Aidons-le…
Ils carillonnent.
Scène X
- C’est la sonnette ducale
- Qui retentit, chacun l’entend :
- Tous, au son qui s’en exhale,
- Accourons sans perdre un instant.
Messieurs, je hais surtout le poncif, le banal,
Vous savez tous combien je suis original,
Eh bien ! ce que j’ai fait de plus extraordinaire
N’est rien du tout auprès de ce que je vais faire.
Voyons, ne prenez pas ces airs navrés. Pour lors,
Moi l’archiduc Ernest, sain d’esprit et de corps,
Je conçois le projet d’abdiquer, et j’abdique.
Vous abdiquez, Ernest ? J’attendais la réplique.
Oui, j’abdique ; en faveur de qui, me direz-vous ?
De qui, de quoi, de quoi, de qui ? sachez-le tous,
En faveur d’une femme, une femme, une femme !
Et quelle est cette femme ? Eh ! mon Dieu, c’est madame.
- La comtesse !
Et maintenant, Fortunato, faites-lui voir Tous les insignes du pouvoir.
Les deux pages, sur un signe de Fortunato apportent une corbeille et la tiennent.
- Puisque c’est son caprice,
- J’offre à madame ici,
- Cette main de justice,
- Le sceptre que voici,
- Plus la liste civile,
- Tous les sceaux de l’état,
- Le nom, le domicile
- Et l’almanach Gotha.
- La plume ducale avec,
- Avec le royal timbre sec…
- Avec le royal timbre sec.
- Enfin, il lui donne
- La clé de son palais en stuc…
- Et pour finir il la couronne
- Archiduc ! archiduc !
- Vive madame l’archiduc !
- MARIETTA.
Vive madame l’archiduc !
- Pour moi, quelle allégresse !
- Je suis reine, je suis altesse !
- Eh bien, vous allez voir comment
- J’ vas fair’ marcher l’ gouvernement.
- Quoi, le gouvernement…
- J’ vas fair’ marcher l’ gouvernement.
- Voyez, toute la cour pouffe,
- Finissez donc ce carnaval-là ;
- Votre Majesté tourne au bouffe ;
- (Ter.) Ça ne peut pas marcher comme ça.
- A la cour maintenant !
- Allons, veuillez me suivre.
Elle remonte.
Descendant.
- Et mon mari que j’allais oublier !
- Avec ses compagnons, il est là, prisonnier.
- Prisonniers, pauvres gens, tous qu’on les délivre.
- Des conspirateurs effrénés.
- Obéissez, obéissez !
Elle fait un signe à Fortunato qui va, deuxième plan, à gauche.
- V’la c’ que c’est que d’ danser en rond.
Scène XI
- MARIETTA.
Ce sont eux, je vous les ramène.
- Merci, merci, mon capitaine.
- Ah ! vous êtes des plus charmants,
- Je double vos appointements.
- Ah ! vraiment ? c’est trop de largesse,
- Votre Altesse me comble.
- Il a dit Votre Altesse !
- (Bis.) Tais-toi.
- Tu vas un peu me laisser faire,
- (Bis.) Tais-toi.
- Tu n’es pas plus malin que moi,
- Et quand je te dis de te taire,
- (Bis.) Tais toi.
- (Bis.) Tais-toi.
- Du moment que tu sais que j’taime,
- (Bis.) Tais-toi.
- Quand je ferais n’importe quoi,
- Et quand je te tromperais même,
- (Bis.) Tais-toi.
A l’archiduc.
- Oui, je veux lui faire un sort,
- Je le nomme prince consort,
- Et je lui donne deux cent mille
- Écus de liste civile.
- Deux cent mille écus !
- Deux cent mille écus !
- Comme elle y val ça m’est égal,
- CHŒUR.
C’est vraiment très-original.
- Ah ! tant pis, je ris, je pouffe,
- Finissons ce carnaval-là.
- Oui, l’archiduc tourne au vrai bouffe,
- Ça ne peut pas marcher comme ça.
- Voyez, toute la cour pouffe,
- Finissez ce carnaval-là.
- Votre Majesté tourne au bouffe,
- Ça ne peut pas marcher comme ça.
- Qu’est-ce, quels sont ces gens ? que veulent-ils ? voyons.
- Nous sommes les ministres,
- Et nous intervenons.
- Ce sont là vos ministres ?
- Je n’ai pas trouvé mieux.
- Ils ont des airs sinistres,
- Remplacez-les.
- Par qui ?
- Par ces quatre messieurs !
- Des conspirateurs odieux.
- Des conseillers pas sérieux.
- Je leur donne leurs grâces !
- LES MINISTRES.
Nos grâces.
- Leurs grâces.
- Je leur donne vos places.
- Nos places.
- A nous l’argent et les honneurs.
- Et nous n’avons plus qu’à dev’nir conspirateurs.
- Tout ceci me paraît badin.
- Maintenant, qu’on se mette en chemin.
- Les carrosses sont attelés
- Et nos destriers sont sellés.
- Partez en carrosse, à cheval,
- Cela n’a rien d’original.
- Alors comment ? dites comment ?
- Au pas, en chantant, en dansant.
- En riant, en chantant, en trottant.
- En riant, en chantant, en trottant.
- En sautant, en valsant.
- En sautant, en valsant.
- En dansant, en polkant.
- En dansant, en polkant,
- Partons !
- Et tous sur ce refrain pimpant,
- Et tous sur ce motif fringant,
- Courant, riant,
- Chantant, trottant,
- Sautant, valsant,
- Dansant, polkant,
- Et tous sur ce refrain pimpant,
- Ah ! chantons, chantons,
- Ah ! ah !
- Rions, chantons,
- Dansons, valsons,
- V’là c’que c’est que d’danser en rond.
- Partons, courons,
- Partons !
ACTE TROISIÈME
Le jardin ducal. — A droite, un pavillon avec quelques marches, deux chaises de jardin ; — à gauche, un banc sous les arbres. — Galerie au fond.
Scène PREMIÈRE
- Sous l’uniforme
- Il faut veiller la nuit,
- Que chacun dorme,
- Et nous, marchons sans bruit,
- Pignons,
- Balcons,
- Donjons,
- Perrons,
- Paliers,
- Greniers,
- Celliers,
- Quartiers,
- Parloirs,
- Boudoirs,
- Dortoirs,
- Couloirs,
- Caveaux,
- Vitraux,
- Et chapiteaux.
- Treillis,
- Châssis,
- Parvis,
- Jardins,
- Chemins,
- Ravins,
- Terrains,
- Volets,
- Parquets,
- Loquets,
- Bosquets,
- Haras,
- Judas,
- Et vasistas.
- Visitons tout,
- Soyons partout.
- Sous l’uniforme, etc.
Demi jour.
- Allons, avancez, brigadier.
- Voici présent, mon officier.
- Allons, avancez donc, butor,
- COUPLETS. Il a l’air de dormir encor.
- C’est un sort privé d’allégresse
- Que de veiller sans sommeiller.
- Ainsi l’ordonne la comtesse,
- Près d’elle nous devons veiller.
- Heureusement l’aube sereine
- Va bientôt naître à l’horizon,
- Sauf vot’ respect, mon capitaine.
- Brigadier, vous avez raison.
- Que je suis un vieux de la vieille,
- J’ai compris, faut pas insister.
- Vous me paraissez dur d’oreille,
- Et je tiens à bien répéter.
- J’ai pas besoin qu’on me répète
- Plusieurs fois la même chanson,
- C’est donc qu’ j’ai l’air d’une bête.
- (Bis en chœur.) Brigadier, vous, avez raison.
L’archiduc est allé se recoucher.
Présent, mon capitaine.
Salue donc, animal. (L’archiduc salue en ôtant son casque.) Pas comme ça, le salut militaire donc ! (Il salue.) Qu’est-ce que c’est que ce brigadier ? De quel régiment es-tu donc ?
Treizième de la 77e du 20e de la 59e du 101e.
C’est drôle, je ne te reconnais pas.
Vous n’avez pas la prétention de connaître tous les brigadiers.
J’ai toutes les prétentions. Je suis votre supérieur. (A lui-même.) Ma parole d’honneur, ce brigadier raisonne comme s’il était colonel. (A l’archiduc.) Est-il assez mal fagoté ; regardez-moi cette giberne, ce baudrier, et ces boutons, ils n’ont pas été astiqués ce matin. (Il le bourre.) Brigadier de carton… tu connais la consigne, tu prends la garde de quatre heures, il faut veiller sur ce pavillon où repose la comtesse.
Oui, mon capitaine.
Dispose tes hommes tout autour, toi, derrière, sous la fenêtre. As-tu compris, comprends-tu ? Tu n’as pas l’air de comprendre, tu es donc idiot ?
Oui. mon capitaine.
Oui, mon capitaine.
Et maintenant, par le flanc gauche, gauche. (Les dragons exécutent le mouvement ainsi que l’archiduc.) En avant, marche.
Les soldats sortent par le fond à droite en chantant. — Chœur.
- Brigadier, vous avez raison.
L’archiduc se dirige vers le pavillon. Fortunato l’arrête.
Pas par là donc, animal.
Le duc fait le tour du théâtre, passe devant Fortunato et sort derrière les soldats.
Scène II
Si vous croyez que c’est drôle, le métier que je fais ? voilà six nuits que je veille sur ce pavillon où repose la comtesse, et que j’empêche l’archiduc d’arriver jusqu’à elle… il est tenace l’archiduc… et rusé. L’autre jour, il me dit : Fortunato, j’ai l’idée d’envoyer le mari en mission… Excellente idée, monseigneur, et nous avons envoyé le mari en mission, ambassadeur à Naples. Voilà donc la situation : L’archiduc, plein d’idées folichonnes que je contrecarre… le mari… à Naples… Fortunato… Ah ! oui, parlons un peu de Fortunato ! on croit que parce que l’on est dragon, et qu’on a une consigne, le cœur ne bat pas… Voilà six nuits que je monte la garde sous la fenêtre d’une femme charmante. Eh bien, ça donne des idées folichonnes… et j’en ai aussi des idées folichonnes. (Au public.) Si vous étiez à ma place, vous en auriez aussi des idées folichonnes, elle est si gentille…
A moi, au secours, à l’aide !
Elle descend vivement du pavillon.A moi, aux armes !…
Entrée des dragons.
Là, là, voyez chez moi.
Deux dragons montent dans le pavillon et reviennent aussitôt conduisant l’archiduc.
Scène III
- Quel est ce bruit, et qu’on s’empresse,
- Une voix vient de crier.
- La comtesse, c’est la comtesse,
- Que vient-il de se passer ?
- Expliquez-nous.
- Voyez, c’est cet infâme.
- Parlez sans effroi. Qu’a-t-il fait ?
- Qu’a-t-il fait ?
- Il a pénétré chez moi, chez une femme,
- Arrêtez-le.
- FORTUNATO.
Arrêtons-le.
- C’est fait, mais parlez-nous, madame,
- Et dites-nous ce qu’il voulait.
- Ce qu’il voulait.
L’archiduc descend suivi de deux dragons.
- Ce qu’il voulait, qu’il vous le dise,
- Je suppose tout bêtement
- Qu’il voulait me faire une surprise,
- Sans m’ demander mon agrément.
- Je ne suis pas un’ femm’ farouche,
- Mais je me suis mis à crier.
- Il fait maint’nant sa saint’ nitouche.
- Oh ! le brigand de brigadier.
- J’ dormais là haut, comm’ un’ marmotte,
- Il entre, et m’ réveille en sursaut.
- Corbleu ! c’est ma coquin’ de botte,
- Excusez, dit-il tout penaud.
- Vous voyez tous d’ici mon rôle,
- Et j’étais just’ en train d’ rêver
- J’ sais plus à quoi, mais c’était drôle.
- Oh ! le brigand de brigadier.
- Diable, il faut un exemple à l’ordre, à la famille,
- Messieurs, il faut un châtiment,
- Qu’on l’emmène et qu’on le fusille
- Dans les fossés sans jugement.
- CHŒUR.
Qu’on me fusille !
- Qu’on le fusille !
- (Bis en chœur.) Allons, allons et prestement.
Les deux dragons s’avancent et mettent la main sur l’archiduc.
- Capitaine, un moment.
- Pas de scandale en ce château.
- Gardez bien mon incognito,
- Je suis l’archiduc.
- Eh quoi ! l’archiduc ?
- Mais, silence !
Il se met à l’écart.
- Très-bien, mes amis, un seul mot,
- Pas de scandale en ce château,
- Gardez-bien tous ici son incognito,
- Car c’est l’archiduc.
- Quoi, c’est l’archiduc ?
- Oui, c’est l’archiduc !
- Vraiment, l’archiduc !
- Mais, silence !
- Faut-il tout d’ même le fusiller ?
- Non, il faut le laisser filer,
- Sans avoir l’air, mais pas un mot,
- Respectons son incognito.
- Vous autres, un mot,
- Pas de scandale ici, mystère et prudence,
- Soyez tous bien discrets,
- Car c’est l’archiduc.
- L’archiduc
Pas de scandale ici, car c’est l’archiduc.
- L’archiduc !
- Pas de scandale ici, car c’est l’archiduc.
Cette scène se répète à chaque dragon et petit soldat qui s’avancent à mesure.
- Respectons son incognito,
- Pas de scandale ici, dans ce château.
- Gardons tous ici son incognito,
- Car c’est l’archiduc,
- Oui, c’est l’archiduc,
- Mais, silence !
Une fois ce morceau fini, les soldats remontent et causent entre eux, en laissant le milieu de la scène libre. Ils n’ont pas l’air de voir le duc.
Soyez tranquille, monseigneur, personne ne vous a reconnu.
Il va causer avec Marietta. — L’archiduc regarde à droite et à gauche, et les voyant tons occupés, sort vivement par le fond à gauche. Fortunato et Marietta font signe à tout le monde de sortir doucement. — Sortie générale de tous côtés.Scène III
L’archiduc, encore l’archiduc, enfin, cette fois encore, capitaine, vous m’avez sauvée. (Elle lui prend les mains.) Ah ! combien je vous remercie.
Vous êtes encore toute tremblante.
Cette scène m’a bouleversée, et maintenant, je n’ose plus rentrer dans ce pavillon. Ces grands corridors, ces chambres sombres, ces fenêtres qui s’ouvrent toutes seules, j’ai peur, oui, j’ai peur.
Eh bien, ne rentrez pas, le jour paraît déjà, le temps est si doux.
Oui, j’ai envie d’attendre ici.
Excellente idée. Tenez, venez vous asseoir là… sous ces arbres.
Marietta prend le bras de Fortunato, fait quelques pas, puis s’arrête en le regardant.
C’est singulier !
Quoi donc ?
Il bat très-fort, n’est-ce pas ?
Un soldat, un dragon ne doit pas avoir peur !
Ce n’est pas là peur.
Qu’est-ce donc alors ?
Vous ne devinez pas ?
Pas du tout !
C’est… c’est vous.
Moi !
Vous ! c’est votre main, que je presse, c’est votre taille que je serre.
Dites donc, capitaine ?
Ah ! tenez, madame, tenez, comtesse, il est des moments où je meurs d’envie de manquer pour mon compte à la consigne que vous m’avez donnée.
Laissez-moi, je veux rentrer.
Elle se dirige vers le pavillon, Fortunato la retient. — Grand jour.
- Ne rentrez pas encore,
- Ah ! restez ; l’aurore
- MARIETTA.
Brille déjà dans les cieux.
- Allons, je vous implore,
- Laissez-moi, je le veux.
- Combien mon cœur est amoureux.
- L’archiduc n’est pas votre affaire,
- Il est laid, le temps l’a mûri.
- Votre époux ne saurait vous plaire,
- On n’aime jamais son mari.
- Pourtant le jour pour vous s’avance
- Où votre cœur faisant un choix
- Doit indiquer sa préférence ;
- Je suis le plus gentil des trois.
- Que voulez-vous dire ?
- Que je vous aime.
- Bonté suprême !
- Taisez-vous.
- Ecoutez-moi.
- Taisez-vous, non, je ne veux rien entendre,
- Laissez-moi, laissez-moi.
- Non, ton cœur est ému, ta voix devient plus tendre,
- Tu me fuis, malgré toi,
- Un baiser, sans t’en défendre.
- Non, non, non, c’est fini.
- Tu dis non, et tes yeux me disent oui.
- Sa main que je repousse, hélas ! brûle la mienne,
- Je m’en défends à peine, je tremble auprès de lui.
- L’amour me dévore et m’entraîne,
- Voici les premiers feux du jour,
- C’est la jeunesse, c’est l’amour.
- Quel trouble inconnu m’agite,
- Il m’émeut, mon coeur palpite,
- Ah ! soyez sensible à ma voix.
- Je tremble à sa voix et j’hésite.
- Un seul baiser.
- Je tremble… j’hésite.
- Ecoutez-moi. Ah !
- Je suis le plus gentil des trois.
Je suis le plus gentil des trois. Il est
Fortunato tombe aux pieds de Marietta et lui embrasse les mains.
Scène V
Ah !
Elle se sauve dans le pavillon.
Mais, messieurs !
Parfait, capitaine.
Je vous jure, messieurs !
Nous n’avons rien vu.
Absolument rien vu.
Rien !
Et puis, nous aurions vu quelque chose…
Ce n’eût été rien de bien rare.
Ni de bien nouveau.
Le capitaine Fortunato…
N’a-t-il pas toujours été le favori…
De la favorite de l’archiduc.
Toujours !
Toujours !
Toujours !
Toujours, non, non.
Ah ! ah ! ah ! ah !
Quelquefois peut-être, mais aujourd’hui, non.
De la discrétion…
Bien, capitaine, très-bien.
Je vous dis la vérité, l’exacte vérité, je puis assurer à Vos Excellences…
Excellences !
Mais j’ai toujours traité d’Excellences les personnes portant ce costume.
Vous pouvez continuer.
Nous n’y voyons aucun inconvénient.
Et puisque vous venez de parler aux ministres…
Les ministres ont à vous parler.
Capitaine Fortunato, nous faisons appel à votre dévouement.
Je suis à vos ordres ; mon devoir il y a huit jours était de vous arrêter, mon devoir aujourd’hui est de vous obéir.
Nous aimons mieux ça.
La situation est grave, capitaine Fortunato.
Nos prédécesseurs ont repris la suite de nos affaires.
Et, en ce moment réunis à l’auberge (Prononcez en italien.) della conspirazione permanente.
Vous dites ?
L’auberge della conspirazione permanente… ils préparent un soulèvement.
Il faut agir !
Et agir vigoureusement.
Contre ces audacieux perturbateurs.
Il faut les écraser.
Oui ! les écraser.
Fort bien, messieurs, nous-les-é-cra-se…
Rons !
Je monte à cheval, je pars, cours à l’auberge, et je vous ramène ces audacieux perturbateurs.
Il remonte.Capitaine, vous savez bien où se trouve l’auberge della conspirazione permanente ?
Parfaitement, Excellences, j’ai eu l’honneur de vous y pincer l’été dernier.
C’est juste, je l’avais oublié.
Au revoir, Excellences.
Au revoir, capitaine.
Fortunato sort.
Scène VI
Excellences !
Oui, mais pour combien de temps.
Nos affaires vont mal.
L’archiduc est furieux !
Il veut ravoir sa couronne.
Et surtout, son timbre archiducal.
Et sa mauvaise humeur retombe sur nous.
L’archiduc, hier, m’a pris à part, il a tiré un livre de sa poche, c’était mon manuel du parfait conspirateur, péché de jeunesse, lui ai-je dit. Pas du tout, bon livre, très-bon livre, je le lis avec beaucoup de plaisir, le chapitre 6 surtout, et il a ouvert le livre à la page 323.
Quel est donc ce chapitre ?
De la manière de se débarrasser d’un ministère désagréable.
Aïe ! aïe ! aïe ! aïe !
Il a souri étrangement, et s’est éloigné.
Hum ! c’est inquiétant.
Bah ! nous avons madame l’archiduc avec nous.
Marietta parait sur les marches et écoute.
Pas tant que ça ; elle se compromet furieusement madame l’archiduc, vous n’avez donc pas vu tout à l’heure avec le petit capitaine.
A ses pieds, en effet, c’était drôle.
Elle trompe l’archiduc.
C’est vraiment très-gai
L’archiduc…
Le petit capitaine…
Elle va bien.
Ah ! ah ! ah ! ah !
Bon appétit, messieurs…
Elle descend.
Madame l’archiduc.
Eh bien, c’est du gentil, comment vous dites, l’archiduc, vous dites le petit capitaine… tout ça, c’est des cancans.
Des cancans !
Des potins.
Des potins !
- Le duc avec largesse
- M’a proclamé altesse,
- Il m’a je le confesse,
- Donné le sceau royal.
- Il m’a, titre suprême,
- Offert son diadème ;
- Comme il l’a dit lui-même,
- C’était original.
- Mais mon cœur n’était pas à vendre,
- Et là, vrai, foi de Marietta,
- Malgré tout c’ qu’il a pu prétendre,
- L’archiduc n’a pas eu ça,
- Pas ça, pas ça,
- Non, Ernest, n’a pas eu ça.
- Quant au p’tit capitaine,
- La chose est bien certaine,
- Il a perdu sa peine ;
- Certe, il m’a fait la cour,
- Il avait de quoi m’ plaire,
- Mais j’ai dans cette affaire,
- Quoiqu’on me croie légère,
- Refusé son amour.
- Mon mari seul me trotte en tête,
- Et là, vrai, foi de Marietta,
- Malgré tous ses airs de conquête,
- Le p’tit bonhomm’ n’a pas eu ça,
- Pas ça, pas ça,
- Le p’tit bonhomm’ n’a pas eu ça.
- Personne ne peut dire
- Qu’on a su me séduire ;
- Tenez, j’ vais vous fair’ rire,
- Comme on a jamais ri,
- Et vous n’allez pas croire
- Un mot de cette histoire…
- Mon mari, mon mari,
- Lui sait cependant si j’ l’aime,
- Eh bien, vrai, foi de Marietta,
- Mon mari, mon mari lui-même,
- Mon pauv’mari n’a pas eu ça,
- Pas ça, pas ça,
- Mon mari n’a pas eu ça !
Nous n’insistons pas.
Nous vous croyons.
Et puis, ça nous est tout à fait égal.
Maintenant, madame l’archiduc, les affaires de l’État nous réclament.
Encore les affaires de l’État.
Nos portefeuilles sont bondés.
Nous avons des sommes folles à vous demander.
1° Pour la démolition d’un boulevard : cinq millions.
2° Pour la reconstruction du même boulevard ailleurs : cinq millions.
Eh bien, voilà dix millions bien mal employés.
Trois bureaux de tabac : soixante mille ducats.
Achat d’un billard anglais : onze millions.
Cigares, cent mille écus.
Ah ! je sais, c’est moi qui ai demandé…
Trente-sept francs.
Oh ! oh !
Oh ! oh !
Comment, oh ! oh !
Pas possible.
Comment, je vous accorde des millions, et vous me marchandez trente-sept francs.
Jamais un violon n’a figuré sur un budget.
C’est comme ça, eh bien, je vous le dis tout net, tout franc, je ne signerai plus rien, je ne timbrerai pas ça, vous entendez, pas ça… tant qu’on ne m’aura pas rendu mon mari.
On vous le rendra votre mari, madame.
Marietta !
Cette voix !
Ils remontent.
Scène VII
Le mari !
Le comte !
Il tombe bien… en plein conseil.
Sans crier gare !
Ils descendent.
Comment, vous, déjà de retour ?
Et votre mission auprès du roi de Naples ?
Ah oui, parlons-en de ma mission, une lettre à porter.
Oui, une lettre de créance, c’est moi même qui vous l’ai remise.
Elle était jolie la lettre, je l’ai décachetée en route. Tiens, lis-la.
Il la donne à Marietta.
Retenez cet imbécile le plus longtemps possible. (A Frangipane.) C’est vous, monsieur, qui avez écrit cela.
Elle lui rend la lettre.
Mais, c’est la formule habituelle de toutes les lettres de créance.
Comment, on te traite d’imbécile, mon pauvre ami.
Ils s’embrassent. — Musique.
Qu’est-ce que c’est que ça ?..
Madame, ce sont les conspirateurs.
Il prend la main de Marietta et la conduit à droite.
C’est juste, le devoir avant tout !
Elle s’assied sur une chaise que lui a avancée Giletti.
Tiens. Je connais cet air-là.
Moi aussi !
Ils chantent.
Ils viennent pour la grande affaire, Du château de Castelardo.
Scène VIII
Messieurs et madame les conspirateurs, j’ai emmené tout ce que j’ai trouvé, il y en a un lot.
Oui, conspirateurs ! (Il regarde Marietta.) cette femme à qui j’ai donné ma couronne, et tout mon amour, a voulu me faire fusiller, alors, j’ai conspiré, et je n’en suis pas fâché, car j’ai rencontré à l’auberge cette autre petite femme. (Il montre la comtesse à gauche.) Elle est exquise et quel sourire elle a, un sourire angélique.
Dans les rangs.
L’archiduc va se mettre à gauche devant les conspirateurs.
Ne crains rien, l’homme à la grosse barbe à qui j’ai tout dit, m’a affirmé que justice nous serait faite.
Avancez vous le premier.
C’est moi le premier.
Excellence !
C’est vrai, j’oubliais.
Il remonte.
Vous, le premier, le petit gros à la barbe… (L’archiduc s’avance.) Vos nom, prénoms, âge et domicile ? (Il ne répond pas et regarde la comtesse. — Aux conseillers.) Qu’est-ce qu’il a dit ? (A l’archiduc.) Eh bien, parlez donc !
Elle est exquise !
Tiens, regarde là-bas, ce sont eux.
Marietta, regarde donc là-bas.
Où ça ? (A l’archiduc qui est devant elle.) Ne masquez pas.
Ne masquez pas.
Ne masquez pas.
Le duc ne bouge pas.
Vous… ne masquez pas. (Il remonte un peu.) En effet, c’est le comte et la comtesse.
Elle a une jolie tête, n’est-ce pas, madame ?
J’ai une jolie tête, je produis mon effet.
Il s’avance.Ne masquez pas.
Ne masquez pas.
C’est à moi que vous parlez ?
Il ose répondre, allons houst, houst, enlevez le conjuré !
Houst, houst, enlevez-le !…
Qui osera porter la main sur moi ?
L’archiduc !
Marietta se lève. On range la chaise.
Ernest !
Oui, l’archiduc Ernest qui sait la vérité, avancez monsieur le comte, madame la comtesse (A part.) Elle est exquise, et vous aussi, comte et comtesse de contrebande, regardez Monsieur, regardez Madame, les reconnaissez-vous ?
Parfaitement, c’est le comte et la comtesse de Castelardo.
Qui viennent vous redemander leur nom.
Oh ! reprenez-le votre nom, et vous, Ernest, reprenez votre spectre, vos siaux, et tout le bataclan, j’ai mon mari maintenant, ça me suffit.
Elle remonte avec Giletti.Enfin. (Au comte.) Monsieur le comte, je vous nomme ambassadeur à Naples.
Sire, que de grâces.
Monsieur le marquis.
Altesse.
Vous remettrez à Monsieur sa lettre de créance.
Les quatre conseillers rient.
J’ai justement celle que Monsieur vient de me rendre, il n’y a plus qu’à la recacheter.
Le comte et la comtesse remontent.
Son Altesse va nous rendre nos portefeuilles.
Son Altesse n’oubliera pas que nous avons conspiré ensemble.
Ensemble.
Eh bien et nous, alors !
Nous avons conspiré avant vous.
Je vais arranger ça, vous serez tous conseillers de deux jours l’un. (Aux disgraciés.) Vous, Messieurs, les lundis, mercredis et vendredis. (Aux conseillers.) Et vous, Messieurs, les mardis, jeudis et samedis.
Le dimanche, on fera les affaires !
Entrée générale, dragons et petits soldats.
Eh ben, et nous, et nos dix mille écus ?
Vous les aurez, vos dix mille écus.
Merci, Monsieur, Madame, nous allons acheter l’auberge.
Et pourra-t-on aller vous y voir ?
Oui, mais pas avant un bon mois.
Pourquoi ?
Parce que nous allons commencer par la fermer l’auberge, et nous mettrons un écriteau sur la porte.
Fermé…
Pour cause…
De nuit de noces.
- Je ne suis plus comtesse,
- Je ne suis plus altesse,
- Avec bonheur je laisse
- Le trône et son clinquant.
- A mon mari la pomme,
- A présent qu’ j’ai mon homme,
- Qu’est-ce que j’ demande, en somme ?
- Que tout l’monde soit content.
- Nous avons essayé de plaire,
- Et tous ces messieurs qui sont là
- S’ront indulgents pour nous, j’espère,
- Et n’voudront pas nous r’procher ça,
- Pas ça, pas ça,
- Ils n’voudront pas nous r’procher ça.
- Pas ça, pas ça,
- Ils n’voudront pas nous r’procher ça,