Madame l’Archiduc/Acte I
ACTE PREMIER
Une salle d’auberge. Grande baie au fond ; une porte à gauche ouvrant sur une salle à manger ; une autre à droite, ouvrant sur une chambre ; bosquets et tables à droite et à gauche.
Scène PREMIÈRE
Au lever du rideau, il n’y a personne en scène. Entrent par chacun des bosquets Pontefiascone et Bonardo, enveloppés dans des manteaux, puis, Frangipane et Bonaventura.
- S. A. D. E.
- S. A. D : E.
- BONARDO.
J’arrive pour la grande affaire.
- J’arrive pour la grande affaire.
- Il faut parler avec mystère.
- Il faut parler avec mystère.
- Car je viens pour la grande affaire
- Du château
- De Castelardo.
- Personne.
- Personne, vraiment,
- Qui nous reçoive et nous héberge.
- On dirait l’auberge
- De la Belle au bois dormant.
Apercevant Bonardo.
- Toi !
- Moi !
- Bonjour !
- Bonjour !
- Je viens…
- Tu viens…
- Je viens pour…
- Tu viens pour… ENSEMBLE.
- Tu viens pour…
- Je viens pour… chut…
Ils remontent.
- S. A. D. E.
- S. A. D. E.
- J’arrive pour la grande affaire.
- Il faut parler avec mystère.
- Car je siens pour la grande affaire
- Du château
- De Castelardo.
- Toi !
- Vous !
- Eux !
- Nous !
- Nous voici réunis
- Fidèles au mot d’ordre, en avant les amis !
- S. A. D. E.
- S. Supprimez
- A. Archi…
- D. Duc
- ENSEMBLE. E. Ernest.
- Car nous faisons le complot,
- De supprimer l’archiduc.
- Mais point il ne faut
- Débiner le truc,
- Ne débinons pas le truc,
- Nous venons pour la grande affaire
- Du château
- De Castelardo.
- Il faut parler avec mystère
- De la grande affaire du château,
- Du château
- De Castelardo.
Ils se donnent des poignées de main.
Scène II
Les quatre conspirateurs se recachent dans leurs manteaux.
Du vin !
Tiens ! ils parlent maintenant. Par ici, messieurs, on va vous servir.
C’est bien. Que l’on se dépêche.
Ils entrent dans la salle à gauche.
Scène III
Quels drôles de voyageurs ! (Bruit.) Ah ! voici la noce.
- Voici que l’heure solennelle
- A retenti pour les époux ;
- Nous revenons de la chapelle,
- Gaîment, bras dessus, bras dessous.
- Voici les mariés, la promise est pimpante,
- L’époux a bien du charme aussi.
- C’est mon garçon et ma servante,
- Les voilà qui viennent par ici ;
- (Bis.) Les voici.
- Pour nous marier à l’église,
- Nous sommes partis de bon matin.
- Elle était roug’ comm’ un’ cerise,
- Et moi, fier comme un paladin,
- Dans nos beaux habits du dimanche
- Nous tenant bien fort par la main,
- Les deux bras autour de la hanche,
- Et s’ dandinant avec entrain.
- Les oiseaux chantant sur la branche
- Nous répétaient ce gai refrain :
- Coui, coui, coui, voici Giletti.
- Coui, coui, coui, voilà Marietta.
- Les voici, les voilà :
- C’est Giletti, c’est Marietta.
- Vous vous plaisez a dit le maire ;
- GILETTI.
Il a dit oui, j’ai pas dit non.
- Ell’ m’ donne son cœur de rosière,
- Et moi, je lui donne mon nom.
- Les amis pleins d’une gaîté franche
- Nous suivaient en riant un brin,
- Les deux bras autour de la hanche,
- Et s’ dandinant avec entrain.
- Les oiseaux chantant sur la branche
- Nous répétaient leur gai refrain :
- Coui, coui, etc.
En voilà assez ! vous chantez, j’en suis bien aise, il faut travailler maintenant.
Ah ! pardon, not’ maître, pas moi, vous m’avez promis trois jours de congé.
Trois jours de congé !
Nous y tenons !
Trois jours, c’est pas de trop, pour une lune de miel.
Dame, monsieur !
Je vous ai mariés, parce que j’espère bien qu’après les effusions inséparables du premier moment, vous finirez par vivre comme chien et chat.
Oh non !
Oh si !
Oh non !
Oh si !
Qu’est-ce qu’ils ont donc, ceux-là ?
J’en parle par expérience, c’est ce qui nous est arrivé à ma femme et à moi. (Tristement.) Je suis veuf maintenant (Gaîment.) et je ne n’en plains pas.
Ça vous est arrivé, parce que votre femme ne vous aimait pas, tandis que moi j’adore Giletti.
Moi, elle m’aime bien.
Ils s’embrassent.
Oh !
Qu’est-ce qu’ils ont donc, ceux-là ?
Allons, finissons-en, prenez-les vos trois jours.
Vous allez faire un petit voyage de noces
Et où allez-vous comme ça ?
Où nous allons… ah voilà !
Voyons, Marietta, dis-nous où tu vas ?
Oui, Marietta, dis-nous-le ?…
- Où je vais, j’ n’en savons rien, dame,
- Où Giletti voudra m’ mener,
- Puisqu’à présent je suis sa femme,
- C’est à mon mari d’ordonner.
- J’suis toujours restée au village,
- Les jeun’s fill’s faut les enfermer ;
- Mais les femm’s mariées ça voyage
- Et je n’demande qu’à voyager.
- Allons fair’ nos paquets, bonsoir,
- (Bis.) Bonsoir, les amis, au revoir.
- Pour moi tout’s les chos’s sont nouvelles,
- Je n’ savons rien de rien, mais quoi !
- Mon Giletti, mesdemoiselles,
- A c’ qui paraît, en sait plus qu’ moi.
- Je suis disposée à m’instruire,
- A l’écol’ j’avais tous les prix ;
- A mon retour, j’ viendrai vous dire
- Tout c’ qu’en chemin, j’aurons appris.
- Allons fair’ nos paquets, bonsoir,
- (Bis.) Marietta et Giletti donnent des poignées de main à tout le monde et entrent dans la chambre à droite. Bonsoir, les amis, au revoir.
Adieu… les amis !…
Scène IV
Et maintenant, nous autres, au travail ! toi, Beppino, à l’office, Giacornetta, dans la salle à manger, les autres à la cuisine. Dans une heure, nous aurons les voyageurs de la malle-poste de Modène, il faut préparer la table d’hôte. Allons, mes enfants, de l’activité. (Les hommes tournent leur dos.) Eh bien ! voyons, Beppino ?
Impossible, monsieur, tout à fait impossible.
Impossible !
Comment, impossible ?
Nous ne pouvons plus rester ici, nous souffrons trop, nous souffrons tous.
Vous souffrez. D’où ça ?
Du cœur.
Du cœur !
Ah ça ! est-ce que vous êtes fous ?
Marietta s’en va !
- Nous somm’s tous de la mêm’ famille,
- Et nous aimions tous Marietta.
- Tant qu’ Marietta est restée fille
- Aucun de nous n’ la disputa ;
- Maintenant qu’hélas ! elle proclame
- Giletti pour son cavalier,
- Ça nous déchir’, ça nous fend l’âme.
Ils rendent leurs tabliers.
- (Bis.) Nous aimons mieux rendre not’ tablier.
Ils remontent.
Comment, vous m’abandonnez… mais au moins, vous, mesdemoiselles…
Du moment que les garçons s’en vont…
Les garçons s’en vont !
Elles aussi.
- Vous comprenez qu’ nous autres femmes,
- Dans le métier que nous faisons,
- Not’ seul agrément c’est les flammes
- Qu’ nous allumons chez les garçons.
- Pauvres servantes que nous sommes,
- Si les garçons quitt’nt le métier
Elles dénouent leurs tabliers.
- (Bis.) Qu’allons-nous dev’nir sans nos hommes,
Elles rendent leurs tabliers.
- Nous aimons mieux rendre not’ tablier, oui !
- (Bis.) Nous aimons mieux rendre not’ tablier.
Les hommes et les femmes jettent leurs tabliers sur les bras de l’hôte et sortent, les hommes à gauche, les femmes à droite.
Scène V
Me voilà bien, moi, avec mes dix-huit tabliers. (Il va poser les tabliers sur la table à gauche.) Pas un garçon, pas une fille, des plats qui chantent sur le feu, et la diligence de Modène qui va m’arriver. En voilà une sévère… Oh ! cette noce ; il faut pourtant que je me tire de là…. (Il va à la porte et appelle.) Giletti, Marietta ! (Il frappe.) Fermée… Déjà. (Il frappe.) Ouvrez, vous autres ! Giletti, Marietta
Nous v’là, not’ maître.
Est-ce que les trois jours sont déjà passés ?
Ah ! mes enfants, savez-vous ce qui m’arrive… je suis perdu !
Ah ! mon Dieu !
Qui ça ?
Tous ! les garçons, les filles, Giacometta, Beppino, Jacopo, Fabiano. On m’a planté là, les voyageurs vont arriver, et je n’ai plus personne pour les servir…
Soyez tranquille, not’ maître… dans trois jours nous serons là.
Comment, dans trois jours…
Oui, dans trois jours. Viens, Marietta.
Ils font mine de s’en aller.
Je vous les retire vos trois jours !
Les trois jours que vous nous avez donnés ?
Oui, je vous ai donné trois jours, je le reconnais, mais je vous les retire.
Alors, je vous donne mes huit jours, moi.
C’est ça. Viens, Giletti.
Fausse sortie.
Vous ne ferez pas ça.
Vous allez voir. Viens, Marietta.
Fausse sortie.
Il n’en arrivera pas.
Il n’en vient jamais. Viens, Giletti.
Fausse sortie. — Bruit de fouet et de grelots.
Tenez. (Ils regardent à droite.) Deux voyageurs.
Deux voyageurs.
Dans une chaise de poste.
Dans une chaise de poste.
Ils descendent…
Ils descendent.
Ils montent !
Ils montent !
Ah ! mes enfants, par pitié.
Marietta… un bon mouvement.
Soyez heureux, nous restons. (L’hôte va pour embrasser Marietta.) Non, pas vous.
Elle se jette dans les bras de Giletti.
Scène VI
Entrez, Votre Excellence. Que faut-il vous servir, Madame ?
Vite des chevaux à notre voiture. Combien y a-t-il d’ici Castelardo ?
Trois bonnes heures de route, avec une montée très-fatigante.
Raison de plus, vite des chevaux, il faut que j’arrive avant minuit.
Leurs Excellences ont bien le temps alors, il n’est que six heures ; Leurs Seigneuries ne seront pas fâchées de dîner auparavant.
Je suis sûr que Leurs Excellences n’ont pas faim.
Animal, va !
Je prendrai un bouillon seulement.
Et moi, une aile de poulet.
Y’a plus d’ bouillon.
Mais si fait, il y en a… mais débarrassez donc Leurs Seigneuries.
Ils prennent les manteaux et chapeaux des voyageurs, que Giletti va porter dans la chambre de droite.
Alors vite, pendant qu’on mettra des chevaux à ma chaise, un bouillon, une aile de poulet et du bordeaux.
Vous avez entendu ? Toi, Giletti, à la cave, tu monteras du cachet vert ; toi, Marietta ; à la cuisine.
Oui, not’ maître, moi à la cave, du bouillon.
Et moi, à la cuisine… du bordeaux.
Ils s’embrassent.
Eh bien ! eh bien !
Giletti se sauve par le bosquet de gauche, Marietta, par celui de droite.
Je vous demande pardon, Excellences, mais ils se sont mariés ce matin.
Mais ils sont très-gentils…
L’hôte sort au fond à droite.
Scène VII
Mariés depuis ce matin, mon ami, et nous depuis huit jours, c’est de bon augure.
Quel ton singulier, comme vous me dites cela ; il y a d’ailleurs depuis ce matin dans votre air, dans vos paroles, quelque chose d’étrange, d’inquiet.
Mais non, vous vous trompez. (S’approchant.) Tu te trompes.
Vous devriez être heureux cependant de rentrer dans le duché de Parme, de revoir le château de Castelardo où vous êtes né, et où vous n’êtes pas revenu depuis quinze ans.
Oui, Castelardo, le château de Castelardo. Ah !quel souvenir pour moi ; j’avais sept ans, quand nous en avons été arrachés mon père et moi, jetés dans une voiture, et condamnés à un exil éternel sur les ordres de cet absurde archiduc Ernest, ce fou couronné. Oh ! je comptais bien n’y jamais revenir.
Alors, pourquoi y revenons-nous ?
Parce que…
Parce qu’il y a quelque chose que vous me cachez. Oh ! j’ai tout deviné, cette lettre mystérieuse qui vous a été remise le lendemain de notre mariage, et aussitôt notre départ précipité.
Eh bien oui, cette lettre se rattache à une disposition du testament de mon père, une dernière volonté à remplir, c’est l’affaire de quelques jours.
Voyons, ma chère amie, ne fronce pas ton joli sourcil, ne pâlis pas ainsi, il n’y a rien de grave.
Bien sûr ?
Scène VIII
- Ne pensons qu’à nous, ma chérie,
- Loin de tout regard indiscret,
- Je t’aime tant.
Il lui prend la main.
- Je t’en prie,
- Prends bien garde, si l’on entrait.
- Je serrerai ta taille fine,
- Bien doucement.
- Bien doucement.
- Je presserai ta main câline,
- Bien doucement.
- Bien doucement.
- Un seul petit baiser, mutine.
- LE COMTE.
Bien doucement.
- Bien tendrement.
Il l’embrasse peu d’abord, puis de plus en plus fort.
- Et puis un autre.
- Non, non !
- Et puis vingt autres.
- Finis donc.
- Plus doucement,
- Mon ami, plus doucement.
- Ah !
- Ah !
- Eh bien ! que voulez-vous ?
- Le bordeaux.
- Le bouillon.
- Posez donc tout cela, c’est bon.
Giletti et Marietta posent le tout sur la table.
- Nous voilà servis.
- Viens donc.
Le comte conduit sa femme à la table de droite.
- MARIETTA.
Ils allaient bien.
- Oui, je l’avoue.
- Ils se serraient.
- C’était charmant.
- Il l’embrassait…
- A pleine joue.
- Si gentiment.
- Si tendrement.
- Ah ! Marietta !
- Ah ! Giletti !
- C’était gentil, c’était gentil.
- Dis donc, il me semble
- Que nous pourrions en faire autant.
- Ils pourraient nous voir, je tremble.
- Voyons… sois prudent.
Giletti s’assied à la table de gauche, Marietta près de lui.
- Je serrerai ta taille fine,
- Bien doucement.
- GILETTI.
Bien doucement.
- Je presserai ta main câline,
- Bien doucement.
- Bien doucement.
- Un seul petit baiser, mutine.
- Bien doucement.
- Bien tendrement.
Il l’embrasse peu d’abord, puis de plus en plus fort.
- Et puis un autre.
- Non ! non !
- Et puis vingt autres.
- Finis donc.
- Finis donc.
- Plus doucement,
- Mon ami, plus doucement.
Ils s’embrassent. Le comte et la comtesse se retournant aperçoivent Giletti et Marietta qui s’embrassent.
Ah !
Ah !
- Hé, bien, voyons, que diable,
- GILETTI.
Devant nous que faites-vous là ?
- Ils n’ont pas l’humeur fort aimable.
- Attends : je vais arranger ça.
- Pardonnez-nous, Monsieur, Madame,
- En vérité, nous somm’ confus,
- C’est qu’ voyez-vous, je suis sa femme
- Depuis un’ heure à pein’, pas plus.
- Il ne sait pas s’ tenir, mon homme,
- Et moi, ma foi, j’ai fait tout comme.
- Vous vous embrassiez comme des fous,
- (Bis ensemble.) Eh bien ! ça s’ gagne, ça s’ gagne, voyez-vous.
- V’la dix minut’s que j’ vous contemple,
- Vous voyez bien, Madame, Monsieur,
- Qu’ c’est vous qui nous donnez l’exemple,
- En s’approchant on se brûle au feu.
- Vous avez l’air d’ bien vous entendre,
- Nous aussi, nous avons l’ cœur tendre,
- Vous vous embrassiez comme des fous,
- (Bis ensemble.) Eh bien ! ça s’ gagne, ça s’ gagne, voyez-vous.
- Elle a raison.
- Je vous pardonne.
- Embrassez-vous.
- Je vous l’ordonne.
- ENSEMBLE. Madame est bonne.
- Embrassons-nous.
- Ces baisers, ma foi, sont bien doux,
- Chacun pour soi, l’amour pour tous ;
- Embrassons-nous
- Sans ennemis et sans jaloux,
- Aimons-nous, oui, aimons-nous,
- Embrassons-nous.
Ils s’embrassent.
Scène IX
Qu’est-ce que c’est qu’ ça ? Eh bien, ne vous gênez pas… (Au comte.) Pardonnez-moi, Excellence, ce n’est pas pour vous que je dis ça.
C’est pour nous, alors ?
Vous et Madame, vous pouvez continuer tant que vous’ voudrez, mais quant à ces deux petits effrontés…
Pardon ! nous avions la permission de Monsieur et de Madame. N’est-ce pas, Monsieur, que vous nous avez permis ?
Certainement. (A l’hôte.) Que voulez-vous ?
Vos Excellences, les chevaux sont prêts.
Quel est ce bruit ?
C’est l’intendant du château de Castelardo.
Le vieux Ricardo, il vient au-devant de nous.
Où est-il ? (Entrant et avec émotion.) Mon maître, c’est vous (Bas, en apercevant le comte.) Monseigneur, pas un pas de plus, vous êtes perdu.
Que dis-tu ?
Chut, éloignez tout ce monde.
Allez chercher nos manteaux.
Giletti et Marietta entrent à droite. — L’hôte sort à gauche.
Scène X
Mon, bon maître, vous que je n’ai pas revu depuis quinze ans.
Parle ! parle vite.
Monseigneur, la nouvelle de votre arrivée est connue à la cour, l’archiduc a été prévenu par des espions, la police est à Castelardo.
La police !
Et quels soldats, les dragons de l’archiduc.
Alors, la conspiration doit-être est découverte.
Vous conspiriez.
Tout le portrait de son père !
Voilà donc le secret. Vous n’irez pas à Castelardo, je ne le veux pas !
Pardieu, maintenant, je n’ai plus rien à y faire.
N’hésitez pas, fuyez, fuyez, la berline est attelée.
Musique.
Vite ! vite !
Trop tard, les dragons, des dragons partout !
Les dragons… perdu !…
Scène XI
Non, mettez-vous à cette table, et faites semblant de dîner.
Le comte et la comtesse se mettent à la table de droite, Ricardo à celle de gauche et lit un journal. Paraît au fond, Fortunato, qui descend d’un praticable suivi de dix petits clairons de dragons, la trompette sur la hanche, descendant sur deux rangs derrière Fortunato qui commande.Halte ! front !
- Qui je suis, on le voit sans peine,
- Je suis le joli petit capitaine
- Il piccolo,
- Piccolino,
- Fortunato,
- Chérubino.
- Quand nous devons en cavalcade
- Entrer dans la ville en trottant,
- Tous les cœurs battent la chamade,
- On nous espère, on nous attend.
- Déjà l’émotion transporte
- Jeunes femmes, jolis tendrons,
- Et toutes viennent sur leur porte
- Pour mieux entendre nos clairons.
- Taratatatata.
- Ecoutez la rumeur lointaine,
- La fanfare du capitaine,
- Du joli petit capitaine
- Fortunato,
- Chérubino.
- Tous petits, mais bien pris de taille,
- Dans notre uniforme galant,
- Sur nos grands chevaux de bataille,
- Il faut nous voir caracolant.
- Puis quand il faut changer de ville,
- Les belles, la pâleur au front,
- Viennent toutes à la file
- Pour entendre encor nos clairons.
- Taratatata.
- Ecoutez la rumeur, etc.
A ses soldats.
Chacun à votre poste, n’oubliez pas la consigne, et maintenant par le flanc gauche, gauche, en avant marche.
Les soldats exécutent ce mouvement, et sortent à droite.
Ils sont ici ? (Il va à Ricardo et lui frappe sur l’épaule.) Je vous reconnais, mon brave, vous êtes au service du comte de Castelardo.
C’est que…
N’essayez pas de nier. Je vous reconnais… Parlez.
Mon Dieu ! mon Dieu !
Voyons, parlez, mon ami, ne vous troublez pas, saprelotte ! Est-ce que je me trouble, moi ? Voyons, le comte et la comtesse où sont-ils ?
Pas arrivés encore, je les attends.
Ne mentez pas, bonhomme. Fi ! que c’est laid de mentir pour un bonhomme ; ils sont ici, leur berline est en bas ; l’hôte a avoué qu’il en était descendu un jeune homme et une jeune femme.
Ah ! l’hôte vous a dit ?…
Oui d’abord, puis il a essayé de nous donner le change. Je l’ai provisoirement fait garder à vue dans son écurie pour qu’il ne vous prévienne pas.
Fi donc ! arrêter le comte, le mener en prison, ma parole d’honneur, bonhomme, vous avez des idées… Pas du tout, c’est à son château que nous le mènerons, nous l’escorterons, c’est l’ordre de l’archiduc. Voyons, où sont- ils ? serait-ce par hasard ces deux voyageurs ?
Il montre le comte et la comtesse.
Vous n’y pensez pas, regardez donc ces têtes-là… ce sont des étrangers.
Oh yes my dear !
Ce sont des Anglais… des Anglais.
Des Anglais… voyons ça. (Il passe devant la table et regarde avec son lorgnon, la comtesse.) Elle est très-gentille la petite femme. (Regardant le comte.) Il est moins bien, lui… (Revenant en scène.) Des Anglais, ça, jamais de la vie !
- Aoh ce rosbeef, very fine
- Water, gin, bock-bier.
- Very well, thank you my dear
- Aoh merci, merci, my dear.
- Vous préférez sonne vine
- A my good bock-bier.
- Very well, thank you, my dear,
- Oh merci, merci, my dear,
- Le beefteck est bon.
- Oh yes !
- English spoken here
- Oh yes !…
- (Se levant.) Milady vous boive wine
- So beautiful divine
- Hip hip, hip hurrah,
- Drink, drink good mine
- Oh yes ! English spoken here.
- Ils sont très-gais
- Et pas trop laids,
- Yes, English spoken here.
- Oh yes, splendid’ l’Italie
- London I prefer.
- Moi comme vous I prefer
- Birmingham and Manchester.
- Oh ! Venise, elle est jolie
- Very beautiful.
- I prefer Dublin and Liverpool.
- Very nice, Liverpool
- Boire encore ce vin.
- LA COMTESSE
Oh yes !
- Aho do you do.
- Oh yes !
- Milady, vous boive wine
- So beautiful divine.
- Hip hip hip hurrah, etc. etc.
English spoken here, est-ce assez anglais ?
Oui, on n’est pas plus anglais que ça, mais tes maîtres, où sont ils ? ils sont ici, parle, ou je fais fouiller l’auberge.
Il remonte.
Le comte et la comtesse ont été remettre leurs gobelets sur la table.
Quelle idée. (Haut.) Eh bien, puisqu’il faut tout vous dire, ils sont là, dans cette chambre.
Tu vois bien !
Mais je vous en prie, laissez-moi les prévenir, vous savez… deux nouveaux mariés.
Des nouveaux mariés, voyons donc ça. (Il se dirige vers la chambre à droite, puis s’arrête.) Des nouveaux mariés ; au fait, il faut des égards. (Approchant du comte et de la comtesse qui sont à la table de gauche.) Je suis galant et doux, les choses de l’amour me connaissent. J’ai fait une romance là-dessus.
Il fredonne.
- L’amour m’a frôlé de son aile
- Et j’en suis encor tout meurtri.
A Ricardo.
Faites-les sortir, bon serviteur, prévenez-les de l’honneur que l’archiduc leur fait, je vous donne cinq minutes. J’ai encore fait une chanson là-dessus.
Il fredonne.
- C’est peu cinq minutes de grâce
- Vis-à-vis de l’éternité.
Contez-leur la chose en douceur, une escorte, vous entendez, nous les escorterons à vue, voilà tout. Je vous donne cinq minutes, je vais prévenir mes hommes. Qu’est-ce que c’est qu’un bonhomme qui dit qu’ils n’y sont pas ? (Il remonte.) On n’en fait pas accroire au capitaine Fortunato. (Au fond.) Vous mériteriez que je vous passe mon sabre au travers du corps, mille trompettes !
Il sort par le fond à droite.
Scène XII
Ouvrez, vous autres, apportez les manteaux.
Voici les manteaux.
Voulez-vous gagnez dix mille écus ?
Dix mille écus !
Ou la mort !
Nous aimons mieux les dix mille écus.
Alors, toi, tu es le comte de Castelardo.
Je suis le comte de quoi ?
Vous, vous êtes la comtesse de Castelardo.
Moi ! comtesse !
Pour vingt-quatre heures seulement. (A Giletti.) Prenez donc des airs distingués. (Il lui donne des bourrades.) Je te dis d’avoir l’air distingué.
Dix mille écus !
Les voilà, ils reviennent, allons, en route, dans la berline.
Dans une berline.
Une berline superbe !
Toi qui voulais faire un voyage de noces.
Ma foi, tant pis, laissons-nous faire.
Les dragons entrent par la gauche, les petits clairons par la droite conduits par Fortunato. – Ils se mettent sur quatre rangs au fond.
- Sono li dragoni
- Del Ernesto quarto,
- I fideli guardiani
- Del grand archiduco.
- Des dragons, ah ! mon Dieu ! tout mon coeur fait tic-tac,
- Le grand sabr’, le casqu’, la giberne et le frac,
- Tout cela me fait peur et je flaire un mic-mac.
- Des dragons, ah ! mon Dieu ça me donn’ un vrai trac.
- En route, allons, voici l’escorte.
- Marchons, il faut leur obéir.
- Des dragons ! Elle est trop forte ;
- Alors ce n’est plus un plaisir.
- Allons, je crois que l’on murmure,
- Je veux une explication.
- Nous somm’s troublés de l’aventure,
- Ce n’est qu’un peu d’émotion.
- Je ne suis pas d’humeur féroce,
- Permettez-moi de vous offrir la main.
- Je veux, suivant votre carrosse,
- Vous escorter tout le long du chemin.
- Ah ! quel drôle de jour de noce !
- Je les garde jusqu’à demain.
- Nous irons dans un beau carrosse.
- FORTUNATO, à Giletti et Marietta.
Allez, on vous traitera bien.
- N’ayez pas peur, ne craignez rien.
- Per bacco, je suis bon gardien.
- Qui donc êtes-vous ?
- Fortunato !
- Fortunato !
- Je suis leur capitaine
- Et c’est moi qui vous mène
- A votre château.
- Vous !
- Moi !
- Capitaine !
- Capitaine !
- Vous officier, et sans moustache
- Reluisant comme un’ pièc’ d’un sou,
- Vous marchez sur vot’ sabretache,
- C’est pas un homm’ c’est un joujou.
- On peut s’ mirer dans votre botte,
- Votre plastron n’ fait pas un pli,
- bergamote, Vous embaumez la
- L’eau d’Cologne et le patchouli.
- Au lieu d’ faire peur, vous faites rire,
- Comment diantr’ ces grands gaillards-là
- Acceptent-ils pour les conduire
- (Bis.) Un p’tit bonhomm’ pas plus haut qu’ ça.
- Je vois c’ que c’est et je proclame
- Que vot’ souv’rain est très-poli,
- Il sait qu’ pour arrêter un femme
- Faut qu’un militaire soit joli,
- Si bien qu’au lieu d’un capitaine
- Avec un méchant air grognon
- Disant d’un ton de croqu’mitaine
- Obtempérez ! mille noms de nom ;
- C’est vous, jeune homme, qu’il envoie
- Mignon, pimpant, comm’ vous voilà,
- C’est à c’ métier-là qu’il emploie
- (Bis.) Un petit bonhomm’ pas plus haut qu’ ça.
- Allons, voyons, monsieur le comte,
- N’allez pas vous faire prier.
- Ça ne fait pas du tout mon compte
- De suivre ce bel officier.
- Si vous résistez, mon cher comte,
- A l’instant, je le fais partir.
- Que j’ suis fâché d’être comte,
- J’suis pas un comt’, j’ suis un martyr !
- Allons, voyons, monsieur le comte
- (Bis.) Il faut partir.
- Eh bien, puisqu’on le veut, le comte,
- Et puisqu’il le faut, monsieur l’ comte,
- Le comte enfin se décide à partir.
- Ils suivent
- Nous suivons } Li dragoni
- Oui, suivez
- Del Ernesto quarto
- Guardiani
- Del grand archiduco.
- Allons ! en route, et tout de suite,
- Rien de fâcheux n’arrivera,
- N’arrivera sous la conduite
- D’un p’tit bonhomm’ pas plus haut qu’ ça.
- Allons ! en route, et tout de suite,
- Rien de fâcheux n’arrivera,
- N’arrivera sous la conduite
- D’un p’tit bonhomm’ pas plus haut qu’ ça.
- Allons, partons,
- Partons !