Madame de La Fayette et ses bons amis les savants

André Beaunier
Madame de La Fayette et ses bons amis les savants
Revue des Deux Mondes7e période, tome 2 (p. 355-391).
MADAME DE LA FAYETTE
ET SES BONS AMIS LES SAVANTS

En 1659, Mme de La Fayette fît deux nouveaux amis, et qui étaient amis entre eux, tous deux amis de Ménage, et beaux esprits, Huet et Segrais.

Pierre-Daniel Huet sera plus tard, dans la littérature et la pensée de son époque, un très grand personnage, oublié maintenant et qu’il n’est point aisé de remettre en faveur, parce qu’il a écrit surtout en latin et sur des problèmes qui ont perdu, non leur importance, mais leur attrait. Il était un savant et un philosophe parmi les plus illustres. Sa renommée allait, hors de France, en tous pays où l’on appréciait la dialectique et l’érudition. Les philologues de Hollande le louaient à l’envi. Leibnitz écrivait : « Je suis vain d’apprendre qu’il se souvient de moi. Quelqu’un me dit que nous aurons bientôt de lui un ouvrage intitulé Concordia rationis et fidei : tout ce qui vient de cette main est exquis et fera honneur à notre siècle devant la postérité. » Il vantait son « jugement incomparable » et regrettait de n’avoir pu lui soumettre ses remarques sur la première et la seconde partie des Principes de Descartes.

Quand il mourut, son biographe d’Olivet fit ce compte. Studieux dès l’enfance, Huet vécut, à peu de jours près, quatre-vingt-onze ans ; la fortune lui accorda tout le loisir de ses journées et il ne fut presque jamais malade ; à son lever, à son coucher, dans les moments où il devait se redresser de sa lecture, il se faisait lire par des valets : de sorte qu’il a été, de tous les hommes, celui qui a le plus étudié. D’ailleurs, il portait allègrement son poids énorme de science. Et Brunck, dans ses notes sur l’Anthologie, l’appelle flos episcoporum, la fleur des évêques.

Il a bien été cet évêque en effet, deux fois évêque, et cependant évêque à peine. En 1685, à cinquante-cinq ans, il fut nommé au siège épiscopal de Soissons et, avant d’aller à Soissons, permuta pour l’évêché d’Avranches, qui ne lui faisait pas quitter sa province de Normandie. Mais, la cour de France et la cour de Rome étant en bisbille, ses bulles n’arrivèrent pas et il ne fut sacré que sept ans plus tard. Au bout de sept ans encore, il se démit d’une charge qui le divertissait de l’étude ; et, selon ses mots, « débarrassé du fardeau de l’épiscopat » , revint à n’être, jusqu’à sa mort, qu’un homme qui étudie et dont la mort interrompt la perpétuelle assiduité.

On parle toujours de lui sous le nom de l’évêque d’Avranches ; mais, évêque d’Avranches, c’est ce qu’il a le moins été : lors de son sacre, il a soixante-deux ans ; et, après qu’il a déposé son fardeau, il lui reste vingt-deux années à vivre. Même, il n’a été prêtre que sur le tard, au mois de décembre 1676, à quarante-six ans passés. Avant cela, qu’est-il ? Une sorte de laïc. Il avait reçu la tonsure, en 1656, des mains de François de Harlay, archevêque de Rouen et, quelque temps après, les ordres mineurs, des mains de François de Nesmond, évêque de Bayeux. Les ordres mineurs ne l’engageaient pas : et il hésitait à mener plus loin sa vocation, qu’il sentait un peu incertaine.

Il était fils d’un protestant qu’un jésuite, le Père Goutery, sut convertir en examinant avec lui les points controversés. M. Huet le père, homme réfléchi et loyal, reconnut son erreur et, sorti du « bourbier de l’hérésie, » devint premier marguillier de l’église Saint-Jean de Caen. M. Huet le fils examina également les points controversés et, au cours de son examen, faillit tomber dans le bourbier, car il avait trouvé quelque faiblesse dialectique aux arguments édifiants du Père Petau. Il surmonta cette indécision ; il inventa les arguments que les apologistes ne lui fournissaient pas et demeura constamment fidèle à une orthodoxie parfaite.

Ce n’est pas le manque de foi qui le détourna longtemps d’accomplir sa destinée religieuse, mais le manque d’une ferveur toute consacrée à Dieu. Sa ferveur était indéfiniment pour l’étude. Or, il étudiait Origène et ses commentaires de la sainte Écriture. Il étudiait les problèmes qu’il a posés dans sa Démonstration évangélique ou dans ce Traité philosophique de la faiblesse de l’esprit humain qui sacrifie à la rigueur de la foi révélée le vain effort de la raison. Il étudiait les subtiles questions de géographie et de topographie selon la Bible qui, patiemment résolues, l’ont mené à déterminer L’emplacement du paradis terrestre. De telles études ne l’écartaient pas de la religion, dirait-on !... Mais saint Augustin se confesse, comme d’un péché, du plaisir que lui fait, à l’église, le chant des psaumes, si quelquefois le chant le touche plus que la chose qui est chantée. L’érudition de Pierre-Daniel Huet tendait à la vérité divine : mais, plus encore que la vérité divine, il aimait l’érudition. Il a déploré cette frivolité qui l’empêchait de se donner à Dieu sans réticence. Il subissait comme un châtiment cette « lâche tiédeur pour les choses du ciel ; » et il s’est accusé comme d’un vice de ce qu’il appelait « ma passion immodérée des lettres : » mais il se livrait à sa passion, sinon sans remords, du moins avec délices. Les remords ne commencèrent que très tard et, dans sa jeunesse, il ne sentait que les délices de la littérature.

Ce fut Ménage qui le présenta, en 1659, à Mme de La Fayette. Il était de dix-sept ans plus jeune que Ménage. En 1653, au retour d’un voyage en Suède, où il avait accompagné son compatriote normand, Samuel Bochart, grand érudit, son maître, et qui appartenait à la religion prétendue réformée, il s’était arrêté à Paris pour faire connaissance avec ce que la capitale possédait de savants honorés. Ménage l’accueillit ; et ils lièrent une amitié qui, jusqu’à la mort de Ménage, plut à l’un et à l’autre. Ménage, dit-il dans le Commentaire latin de sa vie, le conduisit chez Marie-Madeleine de La Vergne de La Fayette, dont ce poète a chanté la beauté, les grâces, l’esprit, l’élégance à parler et à écrire ; et justement ! ajoute-t-il : quoi en effet de plus poli, de plus achevé, de plus fin que les ouvrages et les propos de cette jeune femme qui n’écrivait que par jeu ?

Nous avons un portrait de Pierre-Daniel Huet, composé l’année précédente, comme il avait vingt-huit ans. C’est l’un des Divers portraits que réunit Segrais pour obéir à Mademoiselle. Et, le peintre, ce fut madame de Caen, Marie-Eléonore de Rohan, fille de la belle Montbazon que l’abbé de Rancé avait aimée. Elle était alors abbesse de la Trinité de Caen, l’une de ces abbesses qui ne vivaient pas très loin du monde : mais elle était pieuse et, dans le monde comme à l’abbaye, sans reproche. En 1658, elle avait trente ans : elle et Pierre-Daniel Huet échangèrent leurs portraits. « Vous avez le teint blanc, mêlé d’incarnat et extrêmement vif, dit à l’abbesse le futur évêque. On ne peut imaginer de plus beaux cheveux que les vôtres ; ils sont d’un blond cendré et frisés d’une manière fort agréable et ils accompagneraient admirablement bien votre visage, à ce que j’ai pu juger quand ils se sont dérobés par hasard au soin que vous prenez de les cacher. N’ayant jamais vu votre gorge, je n’en puis parler ; mais, si votre sévérité et votre modestie me voulaient permettre de dire le jugement que j’en fais sur les apparences, je jurerais qu’il n’y a rien de si accompli. » Galante conjecture et la rêverie d’une imagination qui, un instant, se distrait du Créateur auprès de la chose qu’il a créée. Madame de Caen répliqua : « Vous êtes plus grand et de belle taille que vous n’avez bon air. Vous êtes mieux fait que vous n’êtes agréable. Pour votre esprit, vous en avez assurément autant qu’on en peut avoir ; et votre esprit ressemble à votre visage, il a plus de beauté que d’agrément... Vous n’êtes pas pourtant incivil, mais votre civilité manque un peu de politesse... » Eh ! Madame de Caen, l’abbaye ne l’a pas rendue inexperte en fait de mondanité. D’ailleurs, elle a de l’amitié pour ce jeune M. Huet, d’assez bonne naissance, d’un commerce parfaitement sur, et qui a une grande réputation de savant.

Mais enfin M. Huet, dans la société de Mademoiselle, a quelque chose de sa province et peut-être aussi quelque chose de son érudition. La politesse que madame de Caen ne trouve pas en lui, l’agrément qu’elle ne trouve point à son esprit, le bon air qu’il n’a pas tout à fait, c’est « le monde. » Avec tous les talents, l’intelligence la mieux ornée, et des vertus, il n’est pas né dans les salons ; il ne fait qu’y passer : il est un homme de cabinet, qui se dépayse à tâcher d’être futile. Du reste, il est beau garçon, les yeux bleus, plus grands que petits, le front large, et il ressemble à ces visages qu’on voit sur « les médailles qui représentent les hommes illustres : vous entendez bien que j’entends plutôt parler des grands philosophes que des conquérants. » Voilà l’ennui : de n’être pas un capitaine, dans le monde où il se fourvoie. Et lui ne s’en doute pas. Quand il s’avisera de recevoir les ordres majeurs, dans vingt ans, il réformera son costume et croira ne s’être montré jusqu’alors qu’ « en habit de cour et presque de guerre. » Pas du tout I Et l’abbesse l’a vu le moins guerrier qui fût. Elle lui dit : « Vous avez les mains blanches et la peau fine... Vous avez le teint trop blanc et même trop délicat par un homme... » Il était, à la vérité, fort pâle : et d’Olivet l’a remarqué.

Mais, la pâleur de M. Huet, madame de Caen ne l’a pas comprise. Ce n’est pas une pâleur de femmelette. Huet, dans sa jeunesse, « n’avait pas de grâce à la danse ; mais il primait à la course, il était meilleur homme de cheval, il faisait mieux des armes, il sautait mieux, il nageait mieux que pas un de ses égaux. » C’était un Normand leste et vigoureux. Seulement, lorsqu’il entra en érudition, comme d’autres en religion, sa règle fut sévère. Il savait qu’on ne travaille pas, à moins de travailler tout le temps. Mais il aime tant l’étude qu’il ne veut pas qu’on l’accuse d’être mauvaise à la santé. Comment, répond-il, « cette vie réglée, uniforme, paisible, » ne serait-elle pas la meilleure ? Pourvu que nous prenions un peu d’exercice ! et pourvu que nous n’avalions pas « une quantité d’aliments disproportionnée aux besoins d’une vie sédentaire ! » Il dînait sobrement, de viandes communes, afin de ne point exciter sa gourmandise ; point de ragoûts. Dans son eau, il ne mettait qu’une huitième partie de vin. Le soir, il se contentait d’un bouillon médicinal, dit bouillon rouge, et qui était l’invention du médecin Delorme. Ce régime serait celui d’un couvent ; mais ce n’est pas par esprit de pénitence ou de mortification que M. Huet l’adopta : c’est l’hygiène de l’étude. Conséquemment, il était d’une pâleur que madame de Caen ne sut pas interpréter : il avait la pâleur de l’étude.

Sa règle ne lui réussit pas mal, puisqu’il a vécu passé quatre-vingt-dix ans, travaillant jusqu’au dernier jour. En fait de maladie grave, il n’a eu que celles que n’évite pas un homme laborieux ; il a souffert des yeux, à force de toujours lire ou d’écrire d’une petite écriture fine et tassée, joliment dessinée. Les érudits ont très souvent cette petite écriture : jolie, parce qu’ils aiment leur ouvrage et qu’au surplus l’imagination ne les emporte pas ; et tassée, parce qu’ils ont beaucoup à noter, et des choses qui, n’étant pas très importantes, n’ont pas le droit de tenir beaucoup de place. Il leur plaît aussi que les menus détails ne débordent pas le principal, qui ne se perd que trop facilement.

Son ardeur au travail fut, comme il l’a dit, une passion, et qui le saisit dès l’enfance : « A peine avais-je quitté la mamelle, je portais envie à ceux que je voyais lire ! » Il n’avait guère dépassé douze ans qu’il eut achevé ses humanités. Un fâcheux souvenir de son enfance est celui de cousins près desquels il fut élevé, car il demeura de bonne heure sans père ni mère : et ces cousins étaient de bruyants gamins dont les jeux l’importunaient. A dix-huit ans, il traduisait Daphnis et Chloé. Or, il songeait alors à entrer dans les ordres : il ne s’aperçut pas que Longus avait l’ingénuité polissonne, tant lui imposait la langue grecque et l’occupait le soin de l’antiquité. Quelques années plus tard, aux environs de 1655, une courte velléité de dissipation le frôla. Il écrivit un roman, Diane de Castro ou le faux Inca. C’est une histoire un peu absurde et comme éperdue de naïveté. Don Alonzo s’étant épris de la belle Diane avant de l’avoir vue, « C’est une erreur, dit la belle, de croire qu’il faut voir avant d’aimer... » A vingt-cinq ans, préservé par les sentiments religieux et par l’étude, Pierre-Daniel ne connaît rien à l’amour et l’imagine d’une façon chimérique, et chaste, et ineffable. Ensuite, sous de vives impulsions, il conclura tout différemment, avec un cynisme de savant qui ne permet pas que les voluptés le détournent de l’étude. Il appelle désormais l’amour une maladie du corps et qui peut se guérir par la médecine. Il recommande les grandes suées et, le cas échéant, les saignées qui, emportant avec l’humeur les esprits enflammés, purgent le sang. Mais, à l’âge où nous le rencontrons, il est déniaisé ; il n’est pas encore cynique. Il ne méprise pas l’amour : il le traite avec assez de gaillardise.

Il demeure à Caen, sa ville natale. Ses parents lui ont laissé une aisance qui lui permet de ne faire aucun métier : de sorte qu’il travaille. Il a trouvé en Suède un manuscrit d’Origène ; et il prépare ses Prolégomènes. En 1662, on lui offrit une charge de conseiller au Parlement de Normandie : mais il la refusa, voulant travailler. Il a écrit : « Il n’y a point de science qui ne soit un digne objet de l’esprit humain... Pour moi, quand l’ordre de mes études m’engage à m’écarter par occasion dans quelque science qui n’a pas fait ma principale occupation, je porte envie à ceux qui la cultivent, tant j’y aperçois de richesses et de beautés. » Il a écrit : « Si quelque chose me faisait souhaiter une plus longue vie, ce serait pour avoir plus de loisir d’apprendre ce que je ne sais pas. » Il a écrit ce magnifique éloge du savant : « Pour faire un homme savant, les talents de la nature sont premièrement nécessaires, la solidité du bon sens, la vivacité de l’esprit et la fidélité de la mémoire, une santé ferme dans un corps vigoureux, une humeur constante, égale, uniforme, une persévérance à l’épreuve des années, un désir insatiable d’apprendre et un attachement invincible à l’étude... Il faut de plus un grand courage pour résister aux accidents de la vie, aux nécessités publiques, aux guerres, aux maux de l’État, aux maladies, aux procès, aux pertes, aux persécutions des envieux, aux incommodités des mauvais voisins, à quoi notre humeur pacifique et notre vie retirée nous exposent plus que les autres. Quand un homme de cette trempe se sera consacré aux lettres, qu’il ne cherche sa récompense que dans les lettres mêmes et dans sa propre vertu ; qu’il chante pour lui et pour les muses et que, du haut de cette sainte montagne où la vraie érudition a placé sa demeure, il regarde le monde avec compassion. » Et il s’est à bon droit rendu ce témoignage : « Je cède à beaucoup de gens studieux la gloire du succès de leurs études ; mais, pour l’amour des lettres, je ne le cède à personne du monde. »

L’érudition, telle qu’il l’entendit et la pratiqua, ce n’est pas la stérile besogne à laquelle se consacrent, pour de bien différentes raisons, les sots fieffés ou les idéologues désespérés. Il a toujours méprisé ce qu’il appelle la critique, et l’on dirait aujourd’hui la critique verbale : « Ce travail, quoique nécessaire à l’usage des lettres anciennes, m’a toujours paru bas et peu digne d’un esprit noble et élevé... J’appelle ces critiques les sarcleurs du champ de la littérature. Que si je me trouve quelquefois obligé d’être sarcleur de mon propre fonds, je veux que la culture que j’y donne m’en fasse manger les fruits. » C’est très bien dit ; et il a raison de vouloir que la philologie ne soit pas en pure perte. Il ajoute : « La bassesse de cet emploi n’est pas seulement ce qui m’en a dégoûté : la hardiesse effrénée des nouveaux critiques a été principalement ce qui m’en a rebuté. » Que dirait-il, à présent qu’est déchaînée la pire imprudence des philologues ?... Il consent que la critique verbale a son temps d’utilité, pour nettoyer les textes anciens de leurs souillures. Il va peut-être un peu vite à croire que la besogne est faite.

Si la besogne est faite, nous n’allons pas, dit-il, passer notre vie à la recommencer ! D’ailleurs, c’est une occupation misérable et qui ne sied qu’à de petits esprits ! S’il a tort de mépriser personne, il a raison de rabattre le caquet aux sarcleurs, qui sont les gens dont l’insolence est le plus dérisoire. Il a des gens pour arracher, dans son jardin, la mauvaise herbe, « tandis que je recueille et mange les fruits : » il a raison d’ajouter la gourmandise à la besogne de littérature. Il veut que d’autres que lui fassent « le métier bas et presque dégradant d’assembleur de notes minutieuses et de pêcheur de misérables variantes. » Il a tort de mépriser les variantes. En fait, il ne les méprisait pas. Mais il réagissait contre l’érudition bête et inféconde. Il savait réunir la philologie et la philosophie. En 1685, quand Ménage en est à préparer les tables de son Diogène Laërce, il lui écrit : « Je vous plains d’avoir tant de tables à faire. N’y a-t-il point d’Allemand à Paris qui voulût bien prendre cette peine pour vous ? » Dès le XVIIe siècle, voilà opposées deux sortes d’érudition, l’une à la française, l’autre à l’allemande : celle-ci toute mécanique, et celle-là qui a de plus hautes visées. L’érudition de M. Huet n’est pas un labeur d’ouvrier, mais une œuvre de pensée et de vie.

C’est ainsi qu’il ne fut pas, avec tant de science, un homme accablé ; avec tant de persévérance, un homme enfermé. Signe charmant de sa vivacité intelligente et de l’entrain qu’animait en lui la science bien entendue : cet homme voué au service des livres préférait aux beautés de l’art les beautés de la nature. Il préférait une source qui sort à gros bouillons d’un rocher, roulant sur le sable ses eaux claires et fraîches, à ces fontaines et jets d’une eau, dit-il, puante et bourbeuse, tirée à grands frais de quelque grenouillère. Il n’aimait pas les « parterres factices » de M. Le Nôtre, « n’ayant pour toute décoration que quelques filets de buis qui ne distinguent jamais les saisons par le changement de leurs couleurs. » Jolie remarque, où l’on voit de la sensibilité aux péripéties de la nature ! Un autre ami des livres et de la méditation, Joubert, a semblablement dénigré l’immobile verdure des buis et des sapins : « Je n’aime pas ces arbres toujours verts... » Chaque année, au retour du printemps, M. Huet se donnait un congé. Il partait, avec un poète dont il était ravi, Théocrite : « Je m’étends à l’ombre d’un arbre ; et là, au chant du rossignol, au murmure du ruisseau, je le relis tout entier. » Il fêtait la littérature et la nature ; il se réjouissait de les sentir bien accordées pour son plaisir. Et il invitait son ami Segrais à l’imiter ; Segrais, qui délaissait l’églogue, où se réunissent heureusement la poésie et la campagne ; Segrais, que la vie des cités ou des palais écartait, hélas ! de la double vérité de la nature naïve et d’une littérature où la nature a sa fleur épanouie.

Segrais, l’ami de Ménage et de Huet, et qui devint également l’ami de Mme de La Fayette, le voici.

Mélancolique figure : celle d’un homme qui n’a pas mal réussi et qui pourtant n’a point donné son œuvre. Un vers de Boileau a transmis à la postérité le nom de Segrais : seul survit le nom. Voltaire, en un endroit, l’appelle « un très bel esprit et un véritable homme de lettres ; » mais ailleurs il l’appelle « un poète très faible » et se moque de son Enéide, traduite en vers de Chapelain. Diderot résume gaiement les deux opinions de Voltaire : « la nullité de Segrais, » dit-il. Sainte-Beuve, qui a grand soin de n’être pas injuste envers les écrivains d’autrefois, cite ces quatre vers de Segrais :


O les discours charmants ! ô les divines choses
Qu’un jour disait Amire en la saison des roses !
Doux zéphirs, qui régniez alors dans ces beaux lieux,
N’en portâtes-vous rien aux oreilles des dieux ?


Or, Amire, c’était Mlle de Vertus, sœur de Mme de Montbazon. Pour Mlle de Vertus, Segrais imitait Virgile aimablement. Sainte-Beuve dit que ces quatre vers « sont du très petit nombre de ceux de Segrais qui méritent d’être retenus. » Il en a cependant retenu quatre encore, de Climène, et qui sont à son gré « d’une grande douceur et légèreté. » En cherchant bien, on trouverait, dans les Diverses poésies de Jean Regnault de Segrais, gentilhomme normand, de jolis vers où la nature est naturelle sous de trop élégantes parures ; et quelques chansons où il y a de l’allégresse ; et un poème d’amour assez beau, les Stances sur un dégagement :


Comme un feu qui s’éteint, faute de nourriture.
Faute d’espoir enfin, s’est éteint mon amour...
Du juste et vain regret de vous avoir aimée
S’il s’allume en mon cœur quelque secret courroux,
Du feu de ce courroux la plus noire fumée
Ne noircit point un nom qui m’est encor si doux...

Je ne vous reviens pas montrer avec audace
Un captif insolent d’avoir brisé ses fers...


Il y a là une certaine force du sentiment, une bonne carrure de l’alexandrin : les mots ont de la beauté.

Le plus souvent, Segrais est fade ; et la fine harmonie de ses vers ne les empêche pas d’être ennuyeux : ils le sont. Segrais avait un grand succès parmi ses contemporains. Cependant il n’était pas content de lui. En 1658, publiant ses Diverses poésies, où il y a presque toute son œuvre poétique, il s’adresse au lecteur. Il avoue que ses églogues sont plus amoureuses que champêtres : « Je ne l’ai fait, dit-il, qu’après avoir remarqué que le goût de mon siècle s’y portait et qu’elles plaisaient davantage de cette sorte aux dames et aux gens de la cour, » C’est un sacrifice de ses propres sentiments qu’il a consenti à cette illustre clientèle. Beaucoup plus volontiers, il eût suivi l’usage antique et n’eût pas confondu l’élégie et l’églogue : « Mais d’ailleurs c’est un assez grand déplaisir d’être assuré qu’on fait bien et d’avoir le malheur de ne pas plaire... Il semble qu’il soit incompatible d’écrire pour ce temps et pour ceux qui sont à venir ; mais, quoi ! c’est folie de s’amuser à avoir raison quand on dispute devant des juges qui ne l’entendent pas. » Segrais ne dissimule pas sa mauvaise humeur : il lui donne même un accent vif et nerveux, une impatience qui n’est pas l’usage de l’époque. De quoi se plaint-il, au bout du compte ? Il a son idée de l’églogue : une bonne idée, et qu’il sacrifie au goût moins sûr des dames et des gens de cour. C’est qu’il veut plaire : il plaît. Que demande-t-il encore ? Il voudrait que fût meilleur le goût de son siècle. Il demande trop !... Son vœu irait à délivrer la poésie bucolique de l’insupportable galanterie dont elle était alors empêtrée : délivrée, elle aurait le loisir de peindre les champs, la campagne et quelque vérité naturelle. C’était également l’idée de Huet, qui engageait Segrais à relire Théocrite : cl, par l’imitation de Théocrite, il reviendrait à l’églogue. Si bien conseillé, lui-même si justement inspiré, pourquoi Segrais a-t-il cédé lâchement à la mode ?

C’est ici le malheur de son existence. Il manquait d’argent : plaire, c’était, pour lui, gagner sa vie. Son père, un dissipateur à la « bonté ruineuse, » l’avait laissé dans une extrême pauvreté et ne l’y avait pas laissé tout seul, mais avec quatre frères et deux sœurs que Jean Regnault de Segrais se promit de tirer d’affaire. L’entreprise lui fait honneur. Mais, la merveille, c’est le gagne-pain qu’il a choisi, la poésie ! Quand Voltaire l’appelle « un véritable homme de lettres, » il a raison. Poète, ce n’est point assez dire : il compta que sa poésie le nourrirait et six personnes avec lui ; en ce temps-là, et bien avant que La Bruyère affirmât que la littérature est un métier, encore bien plus avant qu’elle ne devînt un métier comme un autre !

C’est là pourtant l’idée de Segrais, son idée hardiment prématurée. Le 17 mai 1675, Segrais étant directeur de l’Académie française, l’Académie nouvelle de Soissons envoya quatre de ses membres complimenter l’illustre compagnie. Segrais fit un diccours très étonnant. Il attribuait à Richelieu la pensée que, des trois états qui composaient la France, « il en résultait un quatrième. » Ce quatrième état, le vulgaire peut le mépriser, s’il n’a égard qu’au petit nombre des personnes ; mais il est, ce quatrième état, « le plus digne de la considération d’une âme héroïque... Je veux parler, messieurs, de ces généreux esprits dont vous êtes la fleur, de ces âmes célestes qui, au milieu des emplois de ce monde, se détachent du commerce des hommes et qui, bravant le pouvoir de la fortune, ne peuvent faire leur bonheur des grâces qui dépendent de sa témérité. » Sous les ornements du langage, voici la réclamation : auprès du clergé, de la noblesse et du tiers, il y a un quatrième état. Où le placer, dans la hiérarchie de la nation ? Segrais lui donne une qualité sublime et céleste. Il le vante de « braver le pouvoir de la fortune ; » et, si les mots ont ici une vivacité d’accent que l’on remarque, Segrais l’a voulu : il se souvient de lui-même et, de son aventure, il a tiré une doctrine. Le Segraisiana lui prête ce propos : « Les gens de qualité que l’on introduit à l’Académie en si grand nombre lui font grand tort. » Il veut que la littérature soit un état : et un état qui se recrute dans les trois autres états, comme aussi bien le clergé provient de la noblesse et du tiers ; mais il ne veut pas qu’on mêle à cet état des éléments qui n’en sont pas. Dans l’histoire de la profession littéraire, un siècle avant Beaumarchais, Segrais est important.

Or, s’il comptait sur la poésie pour délivrer de la pauvreté ses quatre frères, ses deux sœurs et lui-même, encore devait-il accepter les conditions présentes de la littérature, soumise, non pas au public, mais à ces gens de qualité dont il rêvera de l’émanciper. Lui, jamais il ne s’émancipera. Sans doute, avec un plus grand génie, l’eût-il fait : son gracieux talent n’y suffisait pas. Avec plus de désinvolture et avec la franchise d’allures qu’avaient d’autres poètes, il se sauvait. Seulement, il n’est pas aventureux : gentilhomme rangé, qui n’a défaut que de fortune, il est du monde. Il fut, très longtemps et bien après la fin de sa jeunesse, en clientèle. Le comte de Fiesque l’a tiré de sa province. Et le comte de Fiesque n’est pas un mauvais protecteur, pour Segrais, tant s’en faut ; mais, au moment où il remarque ce jeune homme, il est exilé de la cour. Dès le début, Segrais éprouve les difficultés qui, de très haut lieu, tombent sur la plus humble destinée. Le comte de Fiesque le fit entrer au service de Mademoiselle, son gentilhomme et secrétaire de ses commandements, l’année 1648.

Segrais avait alors vingt-quatre ans : une jolie place ! Mais le service de Mademoiselle était une chose terriblement remuée, turbulente et contraire au calme où naissent les églogues. En 1648, Mademoiselle avait vingt et un ans et préludait à ses folies. Voici la Fronde et c’est l’époque où les gens de lettres ne trouvent plus la vie possible en ce pays. Scarron, tout infirme qu’il est et peu transportable, songe à gagner l’Amérique. Balzac, le 10 mai 1632, écrit à Conrart : « Si Dieu n’a pitié de nous et ne nous envoie bientôt sa fille bien-aimée, qui est Mme la Paix, je suis absolument résolu de fuir des objets qui me blessent le cœur par les yeux. Quand je serais plus caduc et plus malade que je ne suis, je sortirais du royaume, au hasard de mourir sur la mer si je m’embarque à la Rochelle, ou de mourir dans une hôtellerie si je fais mon voyage par terre. » Le 10 juillet, écrivant encore à Conrart, il se plaint de tant de désordres qui troublent, dit-il, « le commerce des muses ; » et il ajoute : « Quel malheur d’être privé pendant si longtemps de la consolation de nos livres, de nos chastes et innocentes voluptés ! » L’année précédente. Ménage songeait à se retirer en Suède, où l’accueillerait la reine Christine. Segrais l’y incitait, dans une ode qui n’a pas besoin d’un grand souffle lyrique pour être éloquente :


Tu trouveras moins de misère
Qu’en France tu n’en vas laisser !


Segrais avait eu l’intention d’accompagner en Amérique Scarron et Ninon de Lenclos : ce projet n’aboutit pas. Puis Mme la Paix revint : les gens de lettres furent contents. Mais, pour Mademoiselle et ses gens, il n’y eut point de paix. Mademoiselle était une perpétuelle catastrophe ; elle avait le génie et l’orgueil du tracas : elle s’y amusait. Son entourage fut d’un autre sentiment, dès l’époque où, les grandes équipées finies, il ne s’agissait que d’en payer le souvenir. Ses maréchales de camp, Mmes de Fiesque et de Frontenac, jadis si bien empanachées de gloire à ses côtés, trouvèrent long le temps de la disgrâce où le tenait leur renommée. Les nouvelles de Paris étaient aguichantes. Un jeune roi, de galante gaieté, donnait des fêtes magnifiques. Mmes de Fiesque et de Frontenac faisaient de grandes lamentations et intriguaient pour opérer le rapprochement de Mademoiselle et de la cour : Mademoiselle en était exaspérée dans sa fierté ; de là résultait une continuelle mésintelligence, dont souffrait Segrais, gentilhomme de Mademoiselle et attaché par tant de gratitude à Mme de Fiesque. Dans les Divertissements de la princesse Aurélie, recueil de nouvelles qu’il rédigea en 1656 à Saint-Fargeau, plusieurs de ces dames discutent les agréments du séjour à la ville ou à la campagne. Sillerite — c’est la marquise de Mauny — tient pour la campagne : elle insiste sur les embarras de la cour et la difficulté d’y trouver le repos, qui est l’image du bonheur. Mais Gélonide — et c’est Mme de Fiesque, née Gillone d’Harcourt, — préfère à tout repos le plaisir, fùt-il périlleux. Elle regrette les ballets et la comédie. On lui vante la solitude ? Mais, à Paris, elle sait s’en procurer plus qu’elle n’en désire : elle n’est pas si farouche. La nature ? Mais il y a, dans Paris, les beaux jardins des Tuileet de Luxembourg, qui lui offrent autant de fleurs et plus de verdure qu’elle n’en souhaite. Son argument le plus vaillant contre la campagne, c’est la pauvreté des gens qui l’habitent et c’est, partout, les marques de la guerre civile : « Retirons-nous dans les villes, pour éviter des objets si funestes ! » Gélonide n’aime plus la guerre, depuis que Mme de Fiesque n’est plus maréchale de camp de Mademoiselle... Après avoir épilogué ainsi, les jolies dames rentrent au château, à cheval ; et « la beauté du jour, la fierté de leurs chevaux, la magnificence des housses, la propreté des habits » décorent à merveille le paysage. Les chevauchées, les entretiens et la politique d’opposition ne consolaient pas Gélonide d’être exilée loin de Paris ; et, une fois que Mademoiselle, ayant défense d’entrer dans Paris, était de passage à Saint-Cloud, Mmes de Fiesque et de Frontenac demeurèrent toute la nuit sous le clair de lune à regarder d’une terrasse haute, avec envie et désespoir, les lumières et le fantôme attrayant de la ville. Segrais, que Paris ici manque, on s’en doute. Les poètes sont à Paris ; et la gloire est à Paris. La disgrâce de Mademoiselle le contraint à n’être que le poète d’une petite cour provinciale, vagabonde souvent et vue d’un assez mauvais œil dans le royaume. Il est soumis au caprice et au goût d’une société restreinte, qui s’efforce vainement de vivre à l’instar de Paris. Il n’est pas heureux. Comment le traite Mademoiselle ? Je crois qu’elle ne le traite pas mal : car elle est bonne personne et sans méchanceté. Mais elle est une héroïne, très entichée de soi et de sa qualité. Elle a une façon de parler de lui, qui montre qu’un bel esprit n’est pas chez elle un grand personnage et qu’elle ne songe pas à combler d’honneur le quatrième état. Elle l’appelle « une manière de savant, de bel esprit, qui était à moi ; » une autre fois : « un certain homme de mérite qui est à moi il y a longtemps. » On voit le ton de l’obligeance.

Les amis de Segrais le plaignent. Le pauvre garçon n’est jamais sûr de ses lendemains, parce qu’un jour Mademoiselle est à Paris, rentrée en grâce ; puis elle impatiente le Roi, refuse des mariages, organise des tracasseries et est soudain priée de retourner à Saint-Fargeau, à Forges ou au château d’Eu. Les amis de Segrais ont pour lui autant d’amitié que de compassion. Le plus souvent, ils ne savent pas où il est, ne reçoivent plus ses lettres.

C’est qu’il accompagne Mademoiselle dans ses déplacements éperdus, qui lui font une vie absurde. « M. de Segrais ne viendra pas si tôt que je l’avais cru, » écrit Huet à Ménage, le 11 avril 1661, peu de mois après la mort de Monsieur : Mademoiselle se trémousse ; elle a besoin du secrétaire de ses commandements et ne lui accorde pas les vacances qu’il espérait... « Il y a un siècle que je n’ai vu ni ouï nouvelles de notre cher M. de Segrais, » écrit Ménage à Huet, le 9 octobre 1662. Et, le 18 octobre ; « Si l’ami Segrais est à Paris comme vous me le mandez, j’ai grand sujet de me plaindre de lui de ce qu’il ne me l’a point fait savoir ; mais je ne crois pas qu’il y soit et il y a grande apparence qu’il n’y sera pas de si tôt, M. de Gesvres capitaine des gardes du corps, ayant été avant-hier au-devant de Mademoiselle jusqu’à Pontoise… » Elle venait des eaux de Forges et croyait s’installer à Paris… « pour lui faire commandement de la part du Roi de demeurer là ou de s’en retourner à Eu. On ne sait pas bien encore le sujet qu’on a, à la cour, de se plaindre d’elle et de la traiter ainsi. Quelques-uns croient que c’est à cause de la lettre au chevalier de Charni ; les autres, à cause du mariage de ses deux sœurs, qu’elle veut traverser… » Le chevalier de Charni était fils de Gaston et d’une demoiselle de Tours : Gaston n’avait pas voulu reconnaître Charni pour son fils ; Mademoiselle, après la mort de Gaston, mit son entrain désinvolte et son goût de la taquinerie à le reconnaître pour son frère. Quant au mariage de ses demi-sœurs, filles de Gaston et de la seconde Madame, elle en est fort irritée. Elle tolère mal que s’établissent avant elle ces cadettes qu’elle n’aime pas. Mme de La Fayette écrivait à Huet, le 15 octobre : « J’ai aussi écrit à M. de Segrais, depuis que je suis revenue ; mais je n’ai point de ses nouvelles, et cela me fait croire que Mademoiselle revient, comme on le dit ici. Elle trouvera le mariage de Mlle de Valois conclu pour la Savoie et celui de Mlle d’Alençon fort avancé pour le Danemark… » Elle trouvera des projets : elle aura des projets à déranger. Mademoiselle prétend que l’ordre qu’elle reçut d’aller ailleurs qu’à Paris avait pour cause son refus d’épouser le roi de Portugal. Mais, qu’il s’agisse du Portugais, du Danois ou du Savoyard, ou de ce bâtard pour qui elle éprouve les sentiments tout à coup les plus fraternels, Segrais subira les conséquences. Cette année 1662 est l’année qu’il fut élu à l’Académie. Sans doute lui eût-il plu de séjourner un peu à Paris et d’y établir sa renommée de poète : les remuements de Mademoiselle le remuent. Quant à quitter Mademoiselle, impossible, sous peine de tourner à l’académicien besogneux, qui est une espèce désolante.

Mademoiselle partit pour Saint-Fargeau, son château d’Eu n’étant pas encore prêt à la recevoir. Mais, si le château d’Eu n’était pas encore aménagé, Saint-Fargeau ne l’était plus. Elle avait cru son exil de Bourgogne fini ; elle avait quitté Saint-Fargeau sans crainte de retour. Elle arrivera dans une maison toute défaite… Mme de La Fayette, écrivant à Huet et badinant sur les cœurs de campagne qui brûlent à plus grand feu que les cœurs de la cour, ajoute : « Ce pauvre Segrais aura tout loisir de brûler à Saint-Fargeau. Il ne lui manquera que du feu ; mais je ne crois pas qu’il en puisse trouver là pour allumer une allumette... » Les semaines suivantes, on crut à Paris que le nouvel exil de Mademoiselle durerait peu et les amis de Segrais l’attendirent prochainement. Mais, le 10 décembre, Huet détrompe Ménage : « Je ne sais pas pourquoi vous me dites que vous attendez M. de Segrais au premier jour, car il ne me paraît pas par ses lettres qu’il fasse état de quitter si tôt Saint-Fargeau... » Et Mmr de La Fayette, le 18 décembre : « Notre ami Segrais me fait grand’pitié... »


Voilà les deux nouveaux amis de Mme de La Fayette. Mais ils ne font que des séjours à Paris. Ménage y est à demeure ; et Ménage reste le favori, l’ami intime.

Pour assurer leurs rencontres ou bien, faute de s’être vus, pour échanger des nouvelles, Ménage et Mme de La Fayette écrivent de ces courts billets où l’on se dît deux mots en courant, ni bonjour, ni bonsoir, et succinctement tout le principal. Ces billets, un feuillet qu’on plie avec soin, qu’on ferme d’un lacs de soie et d’une cire cachetée et qu’on fait porter par un laquais chargé d’attendre la réponse, c’était la mode et l’invention toute récente de Mmes de Maure et de Sablé. Ces deux dames étaient voisines ; mais elles avaient si grand’peur de la mort et de sa fourrière la maladie qu’elles ne risquaient pas volontiers le péril d’un vent trop sec ou trop humide ou seulement le passage d’une chambre chaude à une chambre plus chaude encore ou moins chaude et par des corridors aventureux. Telle fut longtemps leur sagesse, menée à cet excès que l’on appelle absurdité. Mais, par le moyen de ces billets, elles ne sacrifiaient pas leur amitié à leur prudence. Leurs contemporains adoptèrent l’usage des billets et leur en firent honneur. Il est amusant de remarquer le plaisir avec lequel la société de ce grand siècle goûtait les innovations et, en somme, toutes choses capables d’améliorer la vie commode, élégante et jolie. Ce grand siècle avait le sentiment de sortir à peine de la barbarie, de préluder à la civilisation, d’inaugurer des temps nouveaux ; cela serait à noter plus généralement dans les mœurs, dans la philosophie et dans la littérature.

Ménage et Mme de La Fayette échangèrent ainsi une quantité de billets. Ceux de Ménage sont perdus : Mme de La Fayette n’était pas femme à s’encombrer des paperasses du souvenir. Ceux de Mme de La Fayette, Ménage les avait gardés.

C’était pour inviter Ménage à quelque promenade... « J’envoie savoir si vous voulez vous promener demain. Venez céans entre quatre et cinq, si tant est que vous soyez libre. Nous attendrons que le chaud soit passé, s’il en fait trop. » Un autre jour : « Je vous prie de me venir voir demain de bonne heure. Nous étudierons et puis nous irons nous promener : je ne saurais plus vivre si je ne prends l’air. » Ménage aimait ces promenades, et pour le contentement de quelque vanité. Il n’est pas un peu fier d’écrire à M. Huet, le 26 juillet 1661 : « M. de Segrais partit jeudi dernier, comme vous l’avez su. Ce jour-là, je donnai à souper à Mme de La Fayette au bois de Vincennes. » M. Huet, du fond de sa province, admire un si grand bonheur : « Que ce souper de Vincennes et ces promenades me font d’envie ! O noctes coenaeque deum !... »

Mme de La Fayette convoque très familièrement Ménage ; et, pour le recevoir, elle prend les bouts de temps qu’elle économise sur sa vie mondaine, ou bien elle profite d’un incident qui lui permettra ou la convaincra de rester à la maison : « Je prendrai demain médecine ; venez me voir sur les trois ou quatre heures. » Et Tallemant raconte qu’un jour qu’elle avait pris médecine Mme de la Vergue disait : « Cet importun de Ménage viendra tantôt ! » Tallemant veut absolument que Mme de La Fayette et Mme de Sévigné fussent excédées de Ménage. Il ajoute : « Mais la vanité fait qu’elles lui font caresse. » La vanité peut-être : et l’amitié davantage.

Il arrive que la promenade soit empêchée par l’une de ces occupations qui vous gaspillent votre loisir. Alors, Mme de La Fayette emmène tout bonnement M. Ménage : « Je vais demain dîner à Chaillot. Si vous voulez y venir avec moi, trouvez-vous céans à dix heures et demie. Sinon, vous ne me verrez point encore demain et vous aurez dimanche de mes nouvelles. » Ou bien elle a un rendez-vous d’affaires : M. Ménage ne veut-il pas l’accompagner ? « Je ne sais si je pourrai demain m’aller promener, parce que j’ai heure d’un avocat pour l’après-dinée. Mais, comme je n’ai point de chevaux... » Alors, il faut aller à pied. Une femme de qualité ne va pas seule par les rues : il faut qu’un valet la suive. M. Ménage serait un compagnon plus agréable... « Si vous vouliez bien, en cas que vous n’ayez point d’affaire, me venir prendre précisément a deux heures pour m’y mener, vous m’obligeriez tout à fait. Pendant que je serais chez l’avocat, vous iriez faire quelque visite et, si la consultation tirait de longueur, je donnerais ordre pour me venir requérir. Pour peu que vous ayez demain d’affaires, ne vous embarrassez pas de moi et venez ici samedi de bonne heure : nous irons nous promener. » Une autre fois, elle prie Ménage de la mener chez M. Foucault, l’un des conseillers lais de la Grand’Chambre : elle n’a pas un autre moment à lui donner ce jour-là. Une autre fois, Ménage la mènera chez M. Roujault et, premièrement, s’assurera d’une heure où l’on voie sans l’incommoder ce conseiller de la quatrième Chambre des Enquêtes : « C’est une affaire dont il faut que je rende compte à Monsieur de Limoges ; je serais perdue, si j’y avais manqué. » Cette affaire occupe beaucoup Mme de La Fayette et conséquemment M. Ménage : il est, par exemple, chargé de recommander, et « d’un bon ton, » deux placets à deux magistrats. L’un de ces magistrats, M. Roujault, les gens d’affaires de Monsieur de Limoges l’iront solliciter : M. Roujault leur dira que M. Ménage les a devancés, venant à la prière de Mme de La Fayette. « Ces sortes de choses-là font ma cour admirablement bien à mon oncle l’évêque. » Et elle soignait son oncle l’évêque.

Pour mettre en mouvement M. Ménage sans scrupule, elle avait imaginé ceci : que M. Ménage aimait à s’entremettre dans les procès. Elle n’inventait pas qu’il aimât de lui rendre service. Et puis, elle savait le récompenser : « Je ne sortirai point cette après-dinée. » Autrement dit : venez ! Ou bien : « Je vous remercie mille et mille fois du soin que vous avez eu de la sollicitation dont je vous avais chargé. Je ne sais pas comment je pourrais faire pour ne vous compter que pour mon vingtième ami, vous qui êtes le premier ami du monde dans les petites choses comme dans les grandes. » M. Ménage est l’ami parfait d’une charmante femme : il est amoureux d’elle.

Ménage dine souvent chez son amie. Mais, au moindre empêchement, on le décommande. Ainsi : « Je pense que votre heureux destin s’oppose que vous veniez faire ici méchante chère... » Elle est obligée de sortir, à midi ! Un autre jour, c’est compliqué : « Je ne sais s’il sera possible que je vous voie demain, parce que je vais diner avec M. de Sévigné et que, le soir, je suis engagée à ramener Mme de Sévigne chez elle. J’aurais pu vous voir, sans Mme de Chauvry. Je viens de renvoyer chez elle : si elle avait affaire ailleurs, je vous verrais. A tout hasard, venez céans après six heures. » Pauvre Ménage ! A bien regarder les choses, il est traité comme un amant. On le fait aller et venir ; on l’appelle, on ne l’appelle plus ; on le prie d’attendre, ou de courir à tout hasard. Il est choyé : mais à la condition qu’il ait toute patience, et complaisance, et résignation parfaite. Il est un privilégié dont on abuse. Et son temps ne compte pas. C’est un amant ! Peu importe que le mot soit pris dans sa vieille et honnête acception. S’il revendique, ayant tous les inconvénients d’un amant, non les avantages de son état, du moins le droit de substituer aux paroles d’amitié les mots d’amour, dans ses billets, il ne faudra pas s’en étonner.

Il est aux petits soins perpétuels pour sa cruelle. Il lui fait ses courses ; il sollicite pour elle, pour ses amis, pour les amis de ses amis, pour un parent de son mari. N’est-ce pas son plaisir ? Tout, en somme, n’est que son plaisir. Cependant, il voudrait qu’on lui sût gré de prendre son plaisir dans un dévouement de tous les jours. Il fait à la belle de menus présents, qu’il est sans doute un peu maladroit à choisir. Elle le remercie avec une rapidité qui n’est point émue : « Je partage vos présents avec Mme du Plessis et avec vous-même. Je vous renvoie les gants d’homme, qui ne me sont propres ; j’en garde une paire, les petites boites et la moitié des essences... » Voilà tout ! Mais aussi pourquoi lui a-t-il envoyé des gants d’homme ? Elle en a gardé une paire : pour son mari, probablement !

Elle lui écrivait : « J’ai recours à vous pour toutes choses. J’ai besoin d’une devise jolie, pour une femme qui aime passionnément son mari et qui ne vit que pour lui. Il s’en trouve peu de cette espèce. Je ne prétends pas une devise neuve ; je me servirai volontiers d’une qui aura déjà servi. J’avais pensé au lierre attaché au mur : Te stante virebo. Qu’en dites-vous ? Donnez-m’en quelque autre, si vous en savez. J’en suis pressée... » Certainement, il a trouvé une devise, comme il trouvait au surplus tout ce que demandait son amie. Mais, s’il essuyait après cela quelque rebuffade, il se lamentait ; il prétendait qu’elle ne l’aimait pas. Alors, elle le grondait : « Je ne saurais m’accoutumer à l’injustice que vous me faites d’être si mal persuadé de l’amitié que j’ai pour vous. Puisque mes paroles sont si inutiles, il faut pourtant que je me donne patience que le temps vous persuade mieux » [1]. Le temps ne le persuadait pas du tout : le temps ne fait rien à l’affaire.

Eh ! Mme de La Fayette n’avait pas toujours en tête M. Ménage et uniment M. Ménage. Elle avait d’autres amis. Je ne crois pas qu’elle eût, à cette époque, d’autres amis, intimes et quasi continuels autant que lui. Mais il y a pourtant une vie du monde, qu’il faut qu’on mène, si l’on n’a point résolu de haïr le genre humain. Ménage aurait voulu qu’elle eût pour amis du second plan les siens, pour société la sienne. Et parfois il y réussit. Le plus souvent, elle lui échappait.

Cependant Ménage avait de l’occupation pour lui-même, et de l’ennui.

La paix conclue avec l’Espagne et le mariage du Roi, comblant de joie le royaume, avaient fait de Mazarin le grand homme de la France. Ses ennemis d’autrefois montrèrent un empressement très vif. Et il est beau de reconnaître son erreur ; il est vain d’agir, en ce monde changeant, comme si les hasards ne devaient pas modifier les sentiments et les opinions, même loyales. Mais enfin les nouveaux amis du Cardinal ménagèrent peu les transitions de la haine déclarée a la tendresse exubérante. Le Parlement ne manqua point de faste en son repentir. Ce même Parlement qui, le 29 décembre 1651, promettait 150 000 livres à qui lui amènerait le Mazarin « mort ou vif, » pria le Roi de permettre qu’une députation de ses Chambres fût envoyée au Cardinal et le complimentât. La cérémonie eut lieu à Vincennes, le 10 août 1660, un mardi. Le Cardinal était malade et souffrait de cette goutte remontée qui le mit, sept mois plus tard, au tombeau. Il était au lit, tourmenté d’atroces douleurs, mais égayé de politique réussie, quand il reçut la députation d’un président de la grand’chambre et de neuf conseillers. Le président s’appelait Mathieu MoIé ; parmi les conseillers, il y avait M. Broussel. Or, ces deux noms éveillaient le souvenir du passé. Au mois d’août 1660, si messieurs du Parlement choisissent, pour saluer Mazarin, les fils des deux parlementaires qui ont le mieux représenté en 1648 la fureur antimazariniste, ce n’est pas étourderie, insolence ou bravade, mais, avec une fierté audacieuse, la volonté de marquer d’un trait fort le revirement. Cette démarche du Parlement converti n’est pas dépourvue de grandeur : un incident faillit la ridiculiser.

Ménage venait d’écrire une élégie latine Ad Julium Mazarinum, où il suppose que Mazarin s’étonne de ne pas l’avoir vu parmi les personnages qui lui apportent leur tribut de compliments : mais, quoi ! il n’est pas homme à suivre les flagorneurs, et veuille Mazarin ne pas l’en blâmer :


Et puto tam viles despicis ipse togas...
Qui modo te rerum dominum venerantur, adorant,
Hi sunt sæpe tuum qui petiere caput.


Il était difficile qu’on ne vît pas là une allusion, très désobligeante, à ces parlementaires qui jadis mettaient à prix la tète du Cardinal et qui célèbrent le Cardinal comme le maitre des événements. Ménage avait fait imprimer son élégie. La veille et le jour même que les députés du Parlement complimentaient Son Eminence, il en distribuait largement les exemplaires en tous lieux de connaissance, voire chez M le chancelier. Ce fut un scandale.

Le vendredi, messieurs des Enquêtes montrèrent leur impatience : la seconde Chambre surtout prit feu et flamme, déclara que Ménage insultait au Parlement, qu’on devait s’emparer de sa personne et le mener à la Conciergerie. Les esprits se montaient, lorsqu’arriva M. Bignon, l’un des avocats généraux : les conseillers le chargèrent de porter leur plainte à la Tournelle. Ménage risquait un sort funeste. Par un bonheur, M. Bignon se trouvait de ses amis. Il négligea d’aller à la Tournelle tout de go, disant que l’heure était passée. Il n’alla point à la Tournelle le lendemain 14 août, ce samedi étant veille de Notre-Dame. Le lendemain dimanche étant fête de Notre-Dame et le lundi et le mardi jours fériés et chômés, il en résulta un délai que mirent à profit Ménage et ses amis pour conjurer ce grand orage. Ménage fut sauvé par les avocats généraux, qui prirent sur eux de porter la plainte, non pas à la Tournelle, mais à la Grand’Chambre, où M. Talon dit qu’il avait paru quelques vers latins qui pouvaient être interprétés au désavantage du Parlement, que l’auteur protestait de ses intentions innocentes, « qu’au reste c’était poésie et que la muse s’égare quelquefois. » Il concluait à la suppression de l’ouvrage. Les Enquêtes, furieuses, dirent qu’une cabale avait sacrifié l’honneur du Parlement à un fol, un pédant, un poète, un satirique à bastonnade et étrivières, que la chose ne devait se passer de la sorte, que c’était matière de Tournelle et non de Grand’Chambre. Ménage était sauvé : la chamaillerie se détournait de lui et devenait, au Parlement, querelle intestine.

Ses pires ennemis pensèrent le rattraper : la Grand’Chambre avait condamné le libelle et n’avait pas mentionné l’auteur : donc l’auteur n’était point absous : il fallait châtier l’auteur. Et l’on rappelait un abbé de Gaillac qui, pour s’être attaqué à un premier président, s’était vu contraint de venir demander pardon très humble à la compagnie, en état de suppliant. Ce Gaillac était un maître des requêtes, le collègue de ces messieurs, non pas un poétereau. Que n’allait-on faire à l’imprudent poétereau ?

Ménage se défendait de son mieux. Il affirmait qu’en écrivant son élégie, il n’avait pas pensé à messieurs du Parlement. La preuve ? Son élégie était antérieure à la visite du Parlement au Cardinal. Car il en avait distribué les exemplaires imprimés, le jour et dès la veille de la visite. Plusieurs de ses amis en avaient eu connaissance bien avant cela, comme pouvaient le certifier M. Amelot de Gournay, maître des requêtes, M. des Fenestreaux, conseiller d’État, M. l’abbé Parfait, chanoine de l’Église de Paris, M. Gaudin, docteur en théologie de la maison de Sorbonne, M. Nublé, avocat au Parlement, Mlle de Scudéry et d’autres personnes très honorablement connues. L’autorité de Mlle de Scudéry n’était pas grande au Parlement : celle de M. Nublé, considérable. M. Nublé avait une magnifique renommée d’équité franche et de formalité rigoureuse. C’est lui qui interpellait un jour l’un des conseillers de la religion sur le point de savoir s’il y avait une loi pour condamner à mort les bigames. Non : c’était seulement la coutume. M. Nublé n’admettait pas qu’on fit mourir un homme par coutume ; depuis lors, on n’appliquait plus la peine capitale au crime de bigamie. Nublé, quo non catonior alter, disait Scarron, qui du reste savait gré à cet honnête homme de lui avoir payé quatorze mille livres une terre achetée douze mille. La protection de M. Nublé fut très utile à Ménage. Quant à la question des dates, messieurs des Enquêtes la répudiaient : la visite du Parlement ne s’était pas organisée du jour au lendemain ; Ménage en avait connu le projet et, prenant le jour de la visite pour distribuer son libelle, il avait montré sa malice.

Et puis, viles togas, comment l’interpréter ? Les « courtisans, » disait Ménage. Alors, messieurs des Enquêtes se plaignaient que Ménage les traitât comme des gens qui ne savent pas le latin. Pour mieux prouver qu’ils le savaient, c’était à qui d’entre eux dénicherait, dans les auteurs, des toges bien évidemment parlementaires : on en trouvait dans Lucain. Ménage se débattait. Il avait tort : ce ne furent pas ses apologies de grammairien qui le tirèrent d’ennui, mais le souci qu’eurent les Enquêtes de ne pas se brouiller avec la Grand’Chambre. En pareille aventure, il ne faut que gagner du temps : les colères se fatiguent, les rancunes sont frivoles.

Enfin, si Ménage éluda les châtiments, il n’évita point les railleries. Les avocats se joignirent aux magistrats : et les avocats sont « une république très libre. » On se moqua de Ménage qui suppose que Mazarin s’aperçoit de son absence ; de Ménage qui voudrait faire croire aux grammairiens de province, aux philologues de Hollande et aux académiciens de la Crusca, gens lointains, qu’il est un personnage à Paris ; de Ménage qui complimente le Cardinal — d’avoir donné la paix au royaume ? — non : d’avoir donné une pension de quelques louis à Mlle de Scudéry, « damoiselle reine du poète, son Uranie, sa Calliope, qui, tout immortelle qu’elle soit digne d’être par ses beaux romans, fût morte de faim sans cela. » Ménage fut décrié. Ses amis le défendaient en avouant qu’il n’était pas né sage. Le 26 août, Guy Patin écrit à Falconet : « Il y a du bruit contre lui. J’ai regret qu’il ait fait un pas de clerc, faute de jugement, car il est honnête homme et de mérite. »

Ménage aurait voulu laisser Mme de La Fayette dans l’ignorance de son pas de clerc. Elle n’aimait point qu’il manquât de sagesse. Il se garda de lui raconter son histoire et, plutôt que de rien raconter, il fut sans la venir voir, une semaine tout entière, pendant laquelle, étant malade de la fièvre, elle ne sortit pas et ne recueillit que par hasard les bribes de ce que les nouvellistes colportaient. Le dimanche au soir 15 août, elle écrit à Ménage : « En vérité, vous êtes un étrange homme, de ne me point mander de vos nouvelles et de ne pas venir céans un pauvre moment. Il est si ridicule qu’étant de vos amies au point que je suis je sois toujours la dernière à savoir les choses qui vous regardent, que je suis honteuse de laisser voir aux gens que je les ignore. Mandez-moi donc ce que c’est que ce bruit que font dans le monde les vers que vous avez faits, afin que je puisse répondre à ceux qui m’en parlent. » Cette histoire, au bout du compte, la regardait. Un avocat méchant homme affichait le projet d’écrire contre Ménage une satire où l’on raillerait sa prose et ses vers, où l’on raillerait ses amours. On commençait de chercher matière à plaisanterie dans les Poemata. L’on badinait sur l’enthousiasme qu’il montrait à l’égard de Mlle de Scudéry, Sapho gallica : n’irait-on point à Laverna ? L’on disait aussi que Ménage était sorti du bourbier où l’avait jeté sa fanfaronnade, mais qu’il n’en était pas sorti fort nettement, qu’il resterait « noté, » sans compter « le dommage. qu’il en pourrait recevoir en toutes ses affaires et l’impuissance où il est mis pour celles de ses amis, le Parlement se montrant si mal disposé pour ce nom-là que cela tout seul pourrait nuire au meilleur droit du monde qui paraîtrait y avoir la moindre relation. » Eh ! voilà ce qu’il ne fallait pas, au moment où Mme de La Fayette a si grand besoin de lui dans ses procès ! Voilà pourquoi il ne s’est pas vanté de ses hardiesses.

Il n’en dit rien non plus à son bon ami M. Huet, lequel d’abord n’apprit, à Caen, la calamiteuse prouesse de M. Ménage que par une lettre d’Alexandre Morus. Et Morus, lui, trouve l’anecdote assez bonne : « L’élégie de M. Ménage a fait grand bruit dans les parlements. Mais, après tout ce grand bruit, on s’est contenté d’en défendre la publication, ce qui serait le vrai moyen de la faire désirer, si mieux n’était pour cela de la réputation de l’auteur et du mérite de sa pièce : vous en jugerez. Je n’ai rien vu de meilleur sur cette matière. » L’opinion de Huet, nous ne la savons pas. Ménage lui écrit : « J’ai eu une grande affaire contre messieurs de la 1re et de la 2e des Enquêtes du Parlement de Paris qui prétendaient que je les avais appelés viles togas et qui expliquaient Palatinos penates par le Palais... » Il plaisante, un peu évasivement. Il est quasi hors d’ennui, ce 12 novembre, parce que la session du Parlement est close du 9. Cependant Guy Patin disait, le 10, que l’affaire n’était pas finie : mais il s’attendait qu’elle fût accommodée. Elle fut beaucoup mieux : oubliée. Ménage n’osa pas imprimer son élégie dans l’édition de ses Poemata de Hollande, en 1663. Mais il eut la tranquille effronterie de l’introduire, en 1666, dans le recueil intitulé Elogia Julii Mazarini, où il y a du Corneille, du Segrais, du Voiture, du Racine, etc., recueil auquel il a donné ses soins et où il s’est mis en bonne place. Le Parlement négligea de protester, n’y pensa point. Le salutaire oubli protégea les vers latins de M. Ménage, avant de les ensevelir [2].

L’alerte a été chaude. Ménage a risqué la prison. Mais il crut s’apercevoir que ses amis devenaient plus fervents lorsque ses ennemis dépensaient plus d’activité. Il conserva les amitiés qu’il avait au Parlement, voire aux Enquêtes, et continua de solliciter pour Mme de La Fayette.


Le 26 août 1661, Huet, qui écrit à Ménage et lui parle de son amie, ajoute : « Et, pour son dessein d’apprendre le latin, elle ne devait pas l’abandonner. » Ce n’est donc qu’un projet, à cette date ; et voilà démentie l’anecdote qui, du Segraisiana, vint à passer dans toutes les biographies et selon laquelle Mme de La Fayette aurait, dès avant son mariage, su le latin mieux que Ménage et le Père Rapin.

Vers 1661, Ménage s’amusait à lui donner des leçons de latin. Mais il y eut de l’irrégularité dans cet enseignement, comme on le voit par les billets de Mme de La Fayette à Ménage. Une fois, elle le prie de venir le jour même. Elle ne sortira pas, vu qu’elle se fait peindre, — par un « très méchant peintre » que M. des Brosses lui a recommandé : — « Si vous venez un peu de bonne heure, nous pourrions étudier devant qu’on travaille à mon portrait. » Tout dépend de l’arrivée du peintre : et, l’important, c’est le portrait. Une autre fois, Ménage était convoqué. Mais il faut qu’à midi la gentille femme aille solliciter pour Monsieur de Limoges ; puis, entre une heure et deux, elle attend des gens de loi qui viennent la trouver pour un accommodement : « Ainsi, notre leçon serait trop courte et, comme elles ne sont pas fréquentes, il faut au moins qu’elles soient longues. Ce sera donc pour jeudi... » Les promenades, les procès et tout le hasard d’une vie remuante font au latin la concurrence la plus dangereuse. Et Mme de La Fayette apprend le latin ; mais ce n’est pas au détriment de ses libres journées.

Ménage aurait voulu un peu plus d’assiduité, pour le latin et aussi pour lui-même. Il eut la gracieuse idée et l’amicale patience d’écrire à son élève des lettres latines, qu’elle s’efforcerait de lire, par courtoisie et par curiosité : car il avait soin d’y mettre des nouvelles, dont il la savait friande. Il lui disait en latin que la paix était signée entre la Hollande et l’Angleterre, que l’abbé de Bellesbat souffrait de la fièvre double tierce. Le 1er octobre, il lui annonce en latin sa visite pour le lendemain, tout de suite après le diner : si elle est seule, ils liront ensemble une héroïde ou quelque autre poème d’Ovide. Il la supplie de ne pas être paresseuse : Latinae linguae studium ne deseras, te etiam atque etiam hortor, mea carissima Laverna. Non magnus labor magnae olim voluptati tibi futurus est... Et, pendant qu’il est en train de l’exhorter, il la conjure également d’apprendre, sinon le grec, au moins les éléments : il lui envoie la grammaire de Lancelot.

Le grec, non ! Cependant, Ménage en avait écrit à Huet, qui l’engageait à n’être pas négligent : « et la belle Laverna en saura d’autant plus tôt la langue grecque. » C’est trop ! Et, à maintes reprises, Mme de La Fayette prie M. Huet de n’avoir pas d’illusion sur ses études : « Je ne parlerai pas de longtemps bon latin, si je continue, lui écrit-elle le 15 octobre 1662. Je n’ai pas étudié deux heures depuis six semaines ; mes voyages à la campagne m’ont bien renversé mes études. » Elle est allée à Livry, avec Mme de Sévigné, Puis, Ménage est « occupé aux louanges de feu M. le Cardinal. » Il prépare le recueil des Elogia, lequel ne paraîtra qu’en 1666 ; et nous ne sommes qu’à l’automne 1662 : rien ne presse. Ménage a l’air de se relâcher. Mme de La Fayette dit a Huet, le 14 novembre, que son commerce « est quasi rompu au pays latin, » parce que Ménage est occupé et parce que, dit-elle, « mon maître n’est pas ici. » Quel est son maître qui n’est pas M. Ménage ? Il s’agit probablement d’un répétiteur que Ménage avait mis auprès d’elle pendant qu’il avait tant à faire. Toujours est-il qu’elle profite de l’absence du maître et de l’occupation de Ménage pour n’être point tirée de sa « paresse naturelle. » Huet cependant ne craint pas de lui envoyer des vers latins, au mois de décembre. Elle les a lus. Elle ne veut pas faire l’entendue ; : elle a crié au secours et, avec l’aide de Ménage, elle est « venue à bout » de ce latin de M. Huet.

Elle ne travaille pas beaucoup, mais elle travaille un peu. Elle fait plus de progrès qu’elle ne l’avoue. Au printemps de l’année suivante, elle est à Fresnes ; et elle écrit à Ménage : « Je gouverne fort mal Horace en votre absence. Je fais venir un dictionnaire, et un dictionnaire poétique, pour m’aider en certains endroits dont je ne me saurais tirer. » Même si Horace la gêne, c’est joli de le déchiffrer. A Caen, M. Huet fut jaloux de M. Ménage ; et l’idée lui vint d’être aussi le maître de Mme de La Fayette : pour l’hébreu ! Mais elle se récrie : « Si vous saviez comme mon latin va mal, vous ne seriez pas si osé que de me parler d’hébreu. Je n’étudie point et, par conséquent, je n’apprends rien. Les trois premiers mois que j’ai appris me firent aussi savante que je le suis... » Elle est modeste : en outre, elle se défend.

M. Ménage et M. Huet, ces deux savants, sont amusants de zèle et d’émulation près de cette jeune femme qui a de la patience, de la bonté, de la curiosité même pour leur latin, leur grec et leur hébreu.

L’érudition divertit ses fidèles et les enchante. Il n’est de passe-temps meilleur : et c’est, à cause de la beauté de ses objets, à cause de la découverte fréquente et à cause de la minutie indispensable, un tracas et un plaisir. Les poètes sont volontiers mélancoliques, ayant du loisir dans les intervalles de l’inspiration ; les érudits ne le sont pas : ils n’ont pas le temps. Les érudits sont des gens qui trompent leur monde ; on les croit sévères et un peu tristes, parce qu’ils font une besogne que l’on croit ennuyeuse : ils s’amusent ! Les gens frivoles ne savent pas ce que c’est que la frivolité. Du moins, ils n’en connaissent qu’une, la leur. Il y a toutes sortes de frivolités : nulle ne passe la frivolité de l’érudition. Mais enfin, telle que la voilà, douce et attrayante à qui la veut aimer, elle a un tort, l’isolement où elle vous confine. Elle vous laisse et vous donne aussi des camarades : pas de femmes ! Elle a, en dépit de sa gaieté, cette jalouse austérité. Elle est une ferveur où vous n’êtes point de compagnie avec la chère âme des femmes. La chère âme des femmes vous ignore, ou bien vous traite avec une déférence lointaine, un peu craintive, effarouchée. Vous ne sauriez facilement l’appeler à l’émoi que vous cause un joli vers d’une langue morte, un mot qui fut tout plein de vie bien frémissante et qui s’est endormi, une brillante conjecture qui soudain ranime une phrase endommagée par le temps. Il n’est que solitude sans les femmes ; et, sans leur complaisance, il n’est de plaisir : la pensée même a besoin d’elles. Et voici Laverna, jeune, jolie, intelligente à merveille, et sensible délicieusement. Le latin ne l’effraye pas, ni la poussière qu’il y a sur l’antiquité. Elle devine la fraîcheur qui s’est conservée sous la poussière et veut qu’on lui écarte cet empêchement. Les deux pédants sont ravis d’une lumière qui est venue à leur fatras.

La correspondance de Ménage et de Huet, l’on devrait la publier. Elle est éparpillée : le principal, après maintes tribulations où intervient Libri, est à Florence ; il y a des copies incomplètes à la Bibliothèque nationale. [3] C’est la correspondance de deux hommes très savants, tout pleins de bonne humeur et que ni l’étude ni la religion ne refrognent. Leur intimité est parfaite et leur familiarité facile, avec les égards de la politesse. Ils ne redoutent pas les fortes plaisanteries : gauloises, dirait-on : grecques pareillement. Ménage envoie à M. Huet une anthologie et la lui présente ainsi : « Il y a bien des obscénités ; mais les choses obscènes, en grec, n’étaient pas considérées comme des obscénités. Et, d’un autre côté, ces épigrammes sont excellentes et, comme dirait notre maître François, elles sont de haute graisse. » M. Huet, priant M. Ménage de lui écrire une fois la semaine, le prie de consacrer aux nouvelles publiques une partie de ses lettres, une deuxième partie aux nouvelles privées de M. Ménage et de leurs amis, et la troisième partie, la meilleure, il la mettra en « goguenarderie. » Un joli mot, pour désigner une agréable chose ! Beaucoup plus tard, en 1692, l’évêque d’Avranches, qui menait bon train sa polémique contre Descartes et les Cartésiens, publia ses Nouveaux mémoires pour servir à l’histoire du cartésianisme, où il raconte que Descartes n’est pas mort, mais vit chez les Lapons ; et il le montre, avec son plumet blanc, son habit vert, très ridicule. C’est une farce. Et un lettré de Dijon, Claude Nicaise, écrit à l’auteur : « Cette manière de traiter les choses me semble plus persuasive, du moins plus insinuante : c’était celle des anciens. Je voudrais qu’on n’eût jamais parlé de philosophie qu’en goguenardant comme cela, par dialogues ou par petits contes agréables. On y aurait plus profité et mieux fait son compte que par tant de raisonnements et de gros volumes inutiles ou ennuyeux... » Que ces gens-là étaient fins et aimables, peu entichés, et avertis des libertés recommandables !

Après avoir, sa vie durant, médité les problèmes de la métaphysique, prouvé la folie des systèmes et, par le doute rationnel, autorisé les assurances de la foi, M. Huet pratiquera la goguenarderie philosophique. Aux environs de sa trentième année, il n’en est pas là ; et sa goguenarderie est alors un badinage pour les relâches de son labeur savant. Il prépare son commentaire d’Origène et s’interrompt le temps d’écrire un joyeux rondeau qu’il envoie à Ménage avec cette note : « Nous avons ici une dame, mère de plusieurs enfants, à qui je fis accroire qu’il avait été fait pour elle, quoiqu’elle y fût traitée de pucelle. » Il raconte aussi à Ménage la facétie d’un bonhomme de là-bas qui demandait l’extrême-onction ; sa servante lui rappela qu’il n’aimait pas l’huile : « Qu’on me la donne au beurre ! » murmura-t-il, d’une mourante voix. Si l’on trouve ces goguenarderies médiocres, elles ont l’innocence des âmes que l’étude sempiternelle a préservées. Puis, les façons de la gaieté vieillissent ; les façons de la tristesse, pareillement. Si l’on remarque, dans le badinage de ces érudits, quelques fautes de goût : ce sont des hommes, et sans femmes. Une La Fayette, qui est leur aubaine, est aussi, pour leur vulgarité masculine, un conseil d’élégance et qu’ils suivront de leur mieux, avec un peu de maladresse quelquefois.

Mme de La Fayette apparaît, dans cette correspondance mêlée de goguenarderie et de pédanterie, au milieu d’étymologies grecques et latines, de considérations relatives à Origène ou à Diogène Laerce, comme un rais de blanche lumière et de clarté sur un paysage turbulent.

Ménage avait présenté Huet à Mme de La Fayette en 1639 ; puis le Normand dut regagner sa Normandie. Or, il ne parla point de Mme de La Fayette dans une lettre du mois de septembre. Et Ménage : « D’où vient que vous ne me dites rien de Mme de La Fayette ? » Il n’est pas content ; il ajoute, avec une brusquerie bougonne : « Elle est accouchée depuis huit jours et elle se porte assez bien présentement. » Voilà tout ce que saura M. Huet, pour sa peine. M. Huet se défend d’avoir été indifférent, oublieux même : un tel soupçon lui est insupportable. Il voulait écrire à Mme de La Fayette, il n’ose plus le faire : il le fera quand cette dame, « qu’il est impossible d’oublier, » sera tout à fait remise. Désormais, il ne négligera pas de joindre à chacune de ses lettres ses « humbles compliments » pour l’amie de M. Ménage.

Mais, au mois de novembre. Mme de La Fayette n’était pas remise. M. Ménage s’en désolait : « La pauvre femme, écrit-il le 12, est toujours fort mal et je commence à désespérer qu’elle puisse guérir de ses maux. » M. Huet, le 20, s’en déclare « extrêmement fâché. » Une lettre de Mme de La Fayette, du lendemain, fut pour le rassurer à demi : « Quoique je sois accouchée très heureusement, contre toutes les apparences, et que l’on travaille à me guérir avec assez de soin, l’on y avance si peu que je n’espère pas mieux de ma santé que lorsque vous étiez ici. Je crois que ma destinée est de n’en point avoir ; et je m’y soumets avec une patience qui adoucit mes maux, au lieu que l’inquiétude les aigrirait. » Voilà ce qu’un savant n’eût pas trouvé, tant la science est peu de chose dans l’art de vivre : ces nuances de sentiment, et les mots justes pour rendre l’idée et le son même de l’idée, voilà ce qui enchante le savant surpris.

Ménage avait dit à Mme de La Fayette que M. Huet ne la nommait seulement pas en écrivant. Elle a pardonné, avec une grâce indulgente, et affirmé qu’elle croyait à l’amitié de M. Huet. Pourtant, ce n’est pas un joli tour qu’a joué Ménage à M. Huet. L’année suivante, au mois de mai, M. Huet eut sa revanche. Mme de La Fayette lui écrivit : « Ne vous adressez plus à M. Ménage pour vos compliments, car il s’en acquitte très mal. Il ne m’a pas dit un seul mot de vous et je vous préviens que je lui en ferai des reproches de votre part. » A toi, Ménage ! Et M. Huet ne balança point d’écrire à M. Ménage : « Je commencerai ma réponse par un reproche qui me donnerait bien de la confusion si je le recevais de vous. Mme de La Fayette m’a écrit en propres termes... » Et il transcrit... « Je n’ai rien à vous ajouter là-dessus. » Ménage fut assez piqué ; Ménage, à ce qu’il semble, fit une scène. Il réplique : « Ce que Mme de La Fayette vous a dit de moi n’est point véritable ; et je l’en ai convaincue en présence de son mari. » Le témoignage de M. de La Fayette acheva cette polémique des admirateurs de sa femme.

A Caen, l’été 1661, Huet connut l’ennui des petites villes où l’on voit son prochain de si près que l’illusion n’est plus possible. Il fut aux prises avec une cabale, dit-il, de ces dévots qui condamnent ce qui n’est pas dévot à leur manière. Il eut aussi à défendre ses intérêts contre des « chicaneurs » de Normandie : comme il était normand lui-même, il ne cédait pas. Pour se divertir, il s’avisa d’être amoureux. Ma foi, je ne sais pas de qui ; et je crois que l’anonymat convient à l’objet de sa flamme. Il écrivit à Segrais qu’il avait trouvé « chaussure à son pied. » Mais, avant de consentir à être amoureux, comme c’était si simple et indifférent à l’Histoire, il eut l’idée extravagante, et qui le flattait et qui l’amusait, — les érudits ne songent qu’à s’amuser ! — d’instituer à ce propos une consultation de ses amis. Un « conseil » se réunirait, composé de Segrais, de Ménage et de Mme de La Fayette. Il voulut savoir si Mme de La Fayette lui « conseillait » d’être amoureux. Et il écrit à Ménage le 14 juillet : « Dites-moi votre avis, et me le dites promptement ; car, si vous différez, je ne serai plus en état de le suivre. » La hâte ici est moins absurde que la précaution. Mme de La Fayette répondit que, non, M. Huet ne devait pas être amoureux : elle était ennemie de l’amour, on le sait ; puis, un homme qui vous demande s’il aura de l’enthousiasme, il faut lui dire qu’il n’en a pas. M. Huet passa outre aux conseils de Mme de La Fayette et alla « rire » quelquefois avec « celle qu’on lui déconseillait. « Pour s’excuser, il observa que sa vie était, sans cela, triste à l’excès ; et il interpréta une lettre de Segrais de telle sorte que Ménage n’eût point l’air d’avoir voté non : « Je suis bien aise que votre avis se rencontre avec mon inclination. » Ménage répliqua : il était bel et bien de l’avis de Mme de La Fayette. M. Huet se fâche : Ménage n’a-t-il pas donné à l’amour ses plus belles années, ne l’a-t-il pas chanté en vers nombreux ? Et puis il est trop tard : « Vous me disiez, il y a huit jours : Aimez ; et vous me dites aujourd’hui : N’aimez point. Me croyez-vous si lent à suivre vos conseils que j’en diffère l’exécution d’une semaine, ou me croyez-vous si maître de mes passions que je puisse vaincre, à lettre vue, un amour de huit jours ? Sachez que votre conseil est venu trop tard. J’avais fait mes vœux et ma profession. » Il ajoute : « Et, n’en déplaise à Mme de La Fayette, qui condamne l’amour sans l’avoir jamais écouté, qu’elle aime trois jours seulement, et puis elle m’en dira des nouvelles !» Ce ton gaillard n’est pas sans vulgarité aucune. Mais on voit la renommée de Mme de La Fayette. Ce n’est pas assez dire, qu’elle est pure : elle est quasi injurieuse pour le mari de cette dame qui a deux enfants néanmoins. Et Huet ne craint pas de l’appeler « la grande vestale, » assez drôlement, le jour qu’il est furieux de ses conseils.

La consultation qu’il a faite, il l’a oubliée assez vite. Et il partage son temps, avoue-t-il ou proclame-t-il, entre Origène et celle qu’il décrit, selon le rondeau bien connu :


Elle a beau teint, le parler de beau zèle,
Et le tetin plus rond qu’une groiselle.


Va-t-on le blâmer ? « Je fais, répond-il, mon possible pour me dégager. Je ne sais pas si j’y réussirai ; mais j’éprouve que... » Et, chastement, le reste de la lettre manque.

Au mois d’octobre de cette année 1661, Mme de La Fayette fut très malade. Elle eut la dysenterie. A ce moment, M. Huet n’allait pas bien. M. Ménage avait la fièvre et, amicalement, disait qu’il était donc malade de trois maladies à la fois. M. Ménage et M. Huet furent bientôt guéris : non Mme de La Fayette. La dysenterie céda ; mais survint la fièvre. Le 9 octobre, Mme de Sévigné écrivait à Ménage : « Je vous avoue que je suis fort en peine de la santé de notre chère amie et qu’après tant d’autres maux je ne comprends pas qu’elle ait la force de supporter celui qu’elle a présentement. Vous me faites espérer pourtant qu’elle en sortira bientôt, et je le crois ; car, sans cette espérance, quoi que vous disiez de mon amitié, je vous assure que je ne serais pas consolable. » Ménage avait tort de mettre en doute l’amitié de Mme de Sévigné pour Mme de La Fayette. Mais il avait raison de la croire consolable, parce qu’elle avait plus d’entrain qu’il n’en faut pour survivre.

En 1662, chacun son tour, ce fut à Ménage de faire des sottises. Il s’éprit d’une jeune fille qu’il a chantée sous le nom de Chloé. C’est la première infidélité qu’il ait faite à Laverna : et c’est à ce moment qu’il dit qu’il est si occupé à recueillir les louanges de M. le Cardinal qu’il néglige le latin de son amie. Cette passion pour Chloé dura quelque temps, avec des hauts et des bas de ferveur. Le 13 octobre, Huet lui écrit : « Soyez le bien revenu de tous vos pèlerinages et de votre amour pour Chloé. Je ne m’étonnerais pas trop qu’après avoir été huit jours auprès de Mme de La Fayette, car je ne connais point le mérite de Mlle de Bellesbat... » (Et ainsi nous est donné le véritable nom de Chloé : M. Ménage, en vers, dissimulait honnêtement les noms de ses bien-aimées ; il ne les cachait point à ses amis...) « vous eussiez tout quitté pour elle. Mais que la crainte d’être cuit au four, vous ait fait quitter Chloé, je ne le comprends pas. De la sorte que vous en parliez, je pensais qu’à trente pas d’elle il faisait plus chaud que dans un four et que vous vous tiendriez heureux de brûler pour elle. Mais je vois bien que vous êtes plus froid amant que je ne pensais ! » Le jeune M. Huet n’agit pas bien : il pique la vanité de M. Ménage, qui n’est plus un jeune M. Ménage, qui approche de cinquante ans et qui n’a pas du tout besoin qu’on lui rende l’imagination plus chimérique.

Cette passion pour Chloé, ce fut tout un petit drame et plein de péripéties. Quand il avait soixante-dix-huit ans passés et qu’il était à peu de mois de mourir. Ménage écrivait à Mme de La Fayette et se souvenait de Chloé : « A ce propos, je vous dirai que, comme en ce temps-là j’avais pour elle une amitié émue, je la prônais fort dans le monde. En ayant parlé un jour fort avantageusement à M. de la Rochefoucauld, il me demanda qui était, de vous ou d’elle, que j’estimais davantage : je lui dis que c’était elle ; à quoi il ne s’attendait pas. Il me répondit qu’il le dirait à Chloé et qu’il ne vous le dirait pas. Il le dit à Chloé, qui lui dit que je vous avais donné une contre-lettre. » Chloé avait donc de l’esprit. Mme de La Fayette aussi : de sorte que les dissipations de M. Ménage ne la troublèrent pas extrêmement. Elle écrit à Huet, le 15 octobre, qu’elle a chargé Ménage de lui écrire : « Je crois qu’il s’en est acquitté ; car, malgré Chloé, j’ai encore assez de pouvoir sur lui pour lui faire faire des choses qui lui plairaient moins que de vous écrire. » Elle sourit, et ce n’est pas qu’elle fasse peu de cas de l’amitié de Ménage : mais elle est sûre d’elle et conséquemment sûre de lui. Elle n’a pas tort. Ménage l’aime ; et c’est elle qu’il aime : et l’on dirait que, dans cette aventure, Chloé intervient comme un amour de dépit ou comme un stratagème de jalousie. Chloé s’en doute et le compliment que lui a transmis M. de La Rochefoucauld ne l’a pas trouvée dupe de l’amant célèbre de Laverna.

Qu’arriva-t-il ? Le 24 novembre. Huet écrit à Ménage : « Vous ne me dites rien de la brouillerie qui a été entre Mme de La Fayette et vous. Je ne m’en suis pas étonné, car je sais ce que c’est qu’amantium irae. » Ménage détesta ces lignes de son ami et voulut savoir comment son ami était informé. Il reçut cette réponse : « Je sais ce que je vous ai mandé de votre prétendue brouillerie avec Mme de La Fayette d’une personne que nous avons vue ensemble à Paris, vous et moi, et qui n’est pas inconnue à Mme de La Fayette. Je ne vous dirai ni son nom ni son sexe, ne le pouvant pas sans manquer à la fidélité et au secret. Puisque je ne vous le dis pas après la conjuration que vous m’en avez faite par notre amitié, vous devez croire que quelque empêchement invincible me retient et cet empêchement n’est autre que la promesse que j’en ai faite, que pour rien au monde je ne voudrais violer, tout Normand que je suis. » Ménage devina-t-il ? En tout cas, il n’avait pas démenti et n’avait pu démentir l’indiscret. Il avouait la brouillerie, tout en la réduisant peut-être au moins possible, car Huet ne parle cette fois que d’une prétendue brouillerie.

Cette brouillerie, quelques billets de Mme de La Fayette permettent qu’on en devine le principal. Un jour, — et ce dut être au commencement de novembre en 1662, — elle écrit à Ménage : « Je n’irai point à Chaillot, parce qu’il ne fait pas assez beau et je veux me reposer. Mais savez-vous bien que vous ne me verrez plus, si votre amitié augmente si fort. Vous savez bien quelles bornes j’y ai mises. Votre lettre est si douce que, si vous m’en écriviez souvent de pareilles, je vous gronderais bien fort. Prenez bien garde que nous ne nous brouillions en vérité. Je ne crois pas aux enchantements, mais je crois aux tournements de cervelle. » C’est assez clair. Ménage, évidemment, a cédé à quelque impulsion vive ; il est sorti de la réserve à laquelle tout (et Mme de La Fayette aussi) lui commandait de se tenir. Depuis des années, il célébrait en vers latins, italiens et français l’amour qu’il avait conçu pour cette jeune femme. Il fut imprudent et risqua de faire passer de la poésie à la prose, de la prose à la réalité ses déclarations chaleureuses.

Ce n’était pas tout à fait la première fois qu’il allait un peu loin. Il avait commencé d’aller un peu loin, mais d’abord avec précaution, vers la fin de mars ou le début d’avril de cette année 1662, environ la semaine sainte. Il avait mis un peu plus de galanterie que de coutume dans un de ses billets. Et Mme de La Fayette l’avait remarqué, peut-être avec surprise, mais sans alarme. Elle s’était contentée de répondre : « Il n’y a rien de plus galant que votre billet. Si la pensée de faire votre examen de conscience vous inspire de telles choses, je doute que la contrition soit forte. Je vous assure que je fais tout le cas de votre amitié qu’elle mérite que l’on en fasse et je crois tout dire en disant cela. Adieu jusques à tantôt. Je ne vous promets qu’une heure de conversation, car il faut retrancher ses divertissements ces jours-ci. » M. Ménage ne comptait pas retrancher ses divertissements le moins du monde. Il avait de l’entêtement, plus que d’amour. La petite leçon que lui avait donnée son amie lui profita si peu qu’il retomba dans son péché et mérita une nouvelle réprimande : « Vos lettres sont bien galantes. Savez-vous bien que vous y parlez d’adorateur et de victime : ces mots-là font peur à nous autres qui sortons fraîchement de la semaine sainte. Adieu. » Mais enfin, Mme de La Fayette n’était point fâchée. Elle donnait à son avertissement le ton d’un badinage où il faut donc qu’une jeune femme rappelle un abbé à la dévotion. Et elle parlait d’autre chose à Ménage ; elle lui parlait d’une épigramme latine qu’elle s’efforcerait de déchiffrer ; elle lui parlait de M. du Lude, qui venait d’être nommé capitaine et gouverneur du château de Saint-Germain. Ménage, après cela, se tint tranquille un peu de temps. Il redoubla d’assiduités auprès de Chloé, soit qu’il trouvât près d’elle une sorte de consolation, soit qu’il lui plût d’exciter ainsi la jalousie de Laverna : du moins l’espérait-il. Mais Laverna ne fut point jalouse. Au mois de novembre, fâché d’être mal entendu, il ne se contenta plus d’écrire des billets galants : il écrivit une lettre enflammée. Il se disait « enchanté : » Mme de La Fayette crut seulement qu’il avait la cervelle à l’envers. Elle le secoue et, tout de bon, le menace de se brouiller avec lui. Et c’est lui alors qui se fâche. Sa lettre est perdue ; mais voici la réplique de Mme de La Fayette : « Je n’ai jamais vu écrire si sèchement aux gens qu’on ne les aime plus et je n’ai jamais vu une amitié mourir si subitement que la vôtre. Je crois qu’elle n’est qu’évanouie et je ne consentirai pas à son enterrement que je ne sois bien assurée de sa mort. C’est pourquoi je vous prie que je vous voie demain : je ne sortirai point encore. » Elle avait résolu d’avertir le trop bouillant Ménage ; mais elle n’attachait pas tant d’importance à des tournements de cervelle qu’il lui plût de le perdre pour de telles folies. Il fallait causer avec lui. Or, il ne vint pas, non plus le dimanche où elle l’invitait que le samedi qu’elle lui écrivait. Sans doute afficha-t-il une excuse qui dissimulait peu sa dignité offensée. Elle lui écrivit derechef le dimanche soir : « Gage, gage que vous êtes en colère contre moi, pour la deux cent millième fois. Si vous n’eussiez point eu quelque rancune, vous me seriez venu voir hier. Croyez-moi, ne vous amusez point à vous fâcher. Je vous assure que c’est à tort et sans cause ; vous devez vous en fier à moi. » Ménage affirma qu’il n’était pas en colère. La polémique est de jour en jour, d’heure en heure. Le lundi, nouveau billet de Mme de La Fayette : « Quoi que vous en disiez, je vous tiens en colère ; mais j’espère que vous n’y serez que jusques à la première vue... » Malheureusement, ni ce lundi ni le mardi elle n’est libre ; elle doit, le mardi, solliciter, discuter avec des gens d’affaires : « et je crois que la tête me tournera de tout cela. Je donne le bonsoir à votre colère. » Autre billet : « Je ne compte pas sur la colère où vous étiez hier ; car je ne doute point qu’après avoir dormi dessus elle ne soit diminuée. Et, pour vous montrer que je ne vous crois point du tout fâché contre moi, c’est que je vois prie de m’envoyer un Virgile de M. de Villeloin et de me venir voir vendredi. » Or, le Virgile de M. de Villeloin, ce n’est rien qui vaille. Si Ménage n’avait pas été en colère, il l’eût dit à Mme de La Fayette.

Personne au monde n’estimait les traductions de ce pauvre homme et de ce scribendi cacoethes, comme l’appelle Chapelain. D’ailleurs, Chapelain détestait en lui « le chef de la conspiration contre la Pucelle » et, sa traduction de Stace, il la considérait comme « un de ces maux dont notre langue est affligée, » Ménage avait d’anciennes relations avec Michel de Marolles, abbé de Villeloin. A vingt ans, avocat sans gloire à Angers, il rencontra dans la boutique d’un libraire le traducteur alors seulement de Lucain et lui montra un exemplaire de ce Lucain pour lui marquer gentiment qu’il savait qui était M. Michel de Marolles. Il revit ce Michel de Marolles plus tard, dans la maison de Paul de Gondi. Et le coadjuteur disait qu’on ne saurait traduire joliment Virgile. Marolles releva le défi : en quelques mois, il vous eut troussé un Virgile français qui parut en 1649 et qu’il appelle « la plus juste, la plus belle et la plus élégante » de ses traductions. C’est possible : mais toutes ses traductions sont mauvaises. Le bonhomme est charmant, devenu vieux et, par ses collections d’estampes, consolé de ses déboires. Il prie qu’on l’excuse et qu’on veuille considérer son œuvre imparfaite comme l’« honnête amusement » qu’il s’est donné dans la retraite : « après cela, je reconnais que j’ai été fort inutile dans le monde. » S’il a imprimé à l’excès, du moins n’a-t-il pas « multiplié les livres : » ce ne sont que des traductions.

Michel de Marolles est aimable ; et je ne crois pas que Ménage fût son ennemi. Mais la plus parfaite indulgence n’empêche pas que le Virgile de Marolles est du papier perdu. Ménage ne l’a seulement pas dans sa bibliothèque... Eh ! bien, il n’y avait qu’à le lire à Mme de La Fayette ? Pas du tout ! Ménage va chez le libraire étonné : il fait l’emplette du Virgile ; une emplette considérable. Papier perdu, ce Virgile est un bel in-folio sur papier riche, imprimé à merveille et décoré du portrait de M. de Villeloin par Mellan. Vous l’avez voulu ? Le voici !... Et Mme de La Fayette fut très mécontente : « Ce jeudi au soir. Quand je vous ai demandé le Virgile de M. de Marolles, c’était dans la pensée que vous l’aviez et je ne prétendais pas vous causer la dépense de l’acheter. Si je n’avais peur que vous me crussiez en colère, je vous le renvoierais. J’aurais raison d’y être, de ce que vous me mandez que vous ne m’importunerez plus de votre amitié. Je ne crois pas vous avoir donné sujet de croire qu’elle m’importune. Je l’ai cultivée avec assez de soin pour que vous n’ayez pas cette pensée. Vous ne la pouvez non plus avoir de vos visites que j’ai toujours souhaitées et reçues avec plaisir. Mais vous voulez être en colère à quelque prix que ce soit ! J’espère que le bon sens vous reviendra et que vous reviendrez à moi, qui serai toujours prête à vous recevoir fort volontiers. » En définitive. Ménage s’aperçut qu’il boudait contre son plaisir. Il retourna chez son amie et reprit l’habitude ancienne d’une amitié quelquefois orageuse, le plus souvent calme et gentille.


ANDRE BEAUNIER.

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  1. Cette lettre et les autres sont empruntées à une correspondance inédite de Mme de La Fayette et de Ménage, provenant de l’ancienne collection Tarbé : M. le comte d’Haussonville la signalée ici-même ; Mlle Feuillet de Couches me l’a très obligeamment communiquée.
  2. Sur la querelle de Ménage et du Parlement, voir, dans le manuscrit n° 3307 de l’Arsenal, au folio 99, une longue lettre sans signature qui en donne toute la relation. L’auteur et le destinataire sont des Angevins ; l’auteur, un avocat. La lettre d’Alexandre Morus à Huet, dans le manuscrit de la Bibliothèque nationale, fonds français, n* 15 189, p. 184.
  3. Bibliothèque nationale, fonds français, manuscrit n° 15189 et nouvelles acquisitions n° 1341.