Madame Desbordes-Valmore (Desportes)

Je suis heureux de vous communiquer une bonne fortune littéraire. L’étude biographique de Mme Desbordes-Valmore que vous allez lire est due à la plume de M. Auguste Desportes, un de nos poètes qui trouvent qu’il est plus doux de ne rien faire ; et se contentent des premiers succès. M. Desportes était lié d’amitié avec Mme Valmore. La mort de cette femme distinguée a été pour le poète et pour l’ami une perte des plus sensibles.

Le style c’est l’homme, a dit Buffon, le style est aussi le cœur. Il appartenait à un poète de nous parler de cette muse qui n’est plus, à un ami de nous donner des détails intimes sur cette vie si digne, si belle, si modeste, et si glorieuse à la fois.

Ed. Salvaire.


MADAME DESBORDES-VALMORE.


Marceline-Félicité-Josèphe Desbordes naquit à Douai, le 22 juin 1786, et non vers 1787, comme on l’a toujours imprimé jusqu’ici. Au moment où naissait Marceline, il y avait juste cent ans que la révocation de l’édit de Nantes avait jeté de France en Hollande, comme religionaires, ainsi qu’on disait alors ; ses deux grands-oncles Jacques et Antoine Desbordes, lesquels vivaient encore fixés à Amsterdam, libraires riches et considérés. La famille restée en France était obscure et pauvre. Le père de Marceline, doreur, peintre en armoiries, en équipages et en ornements d’église, soutenait à grand’peine par son travail sa jeune famille de quatre enfants ; et ses ressources allaient tarissant de jour en jour, car la révolution supprimait les armoiries, diminuait le nombre des équipages et fermait les églises, c’est-à-dire tout ce qui faisait vivre le pauvre peintre doreur. La gêne était entrée dans la maison ; puis la misère y vint, une misère grande et profonde. À soixante ans de distance, madame Desbordes-Valmore a décrit cette misère de la maison paternelle dans un récit d’un charme douloureux et attendrissant, la Royauté d’un jour. Elle s’y peint sous le nom d’Agnès. Elle ressuscite, elle fait mouvoir autour d’elle, près du foyer qui s’éteint faute de bois, à la lueur d’une lampe qui va s’éteindre faute d’huile, les chères et douces images de son père, de sa mère, de sa grand’mère, de son frère et de ses sœurs, bonnes et candides natures avec lesquelles on croit avoir vécu, tant ces portraits ont un caractère de saisissante vérité. La figure de l’aïeule, à la fois douce et fière, semble se détacher d’une toile de Rembrandt. Ce tableau d’intérieur est un chef-d’œuvre. Pour peindre ainsi de telles angoisses il faut les avoir éprouvées : l’imagination n’y suffirait pas.

Cette enfance si pauvre, cette maison paternelle si denuée, madame Valmore se prendra plus tard à les regretter ; elle dira : « Je n’ai vu la paix et le bonheur que là. ». C’est que les premiers soleils de la vie colorent tout divinement ; c’est que sous leur chaude influence l’imagination nous crée partout un Eden. C’est le temps des enchantements. Tout enfant, tout poète surtout peut dire comme la Jeune Captive :

L’illusion féconde habite dans mon sein…
J’ai les ailes de l’espérance.

Cet enfant songeur, ce poète naissant ; Marceline, peuplait alors de ses plus chères visions l’humble demeure paternelle ; et, derrière cette demeure, le cimetière si souvent visité de Notre-Dame de Douai, et les rives de cette Scarpe peu euphonique, mais qui avait pour elle le charme natal qui embellit tout. Voilà le monde qu’elle regrettait. Qui de nous ne s’est ainsi créé un monde et ne l’a regretté ? Pour tous ceux qui ont vieilli c’est là véritablement le paradis perdu.

Cette petite maison de Douai qui abritait tant de pauvreté sous son humble toit, y abritait aussi l’honneur. La fortune s’y présenta un jour, portant un million dans ses mains ; elle y venait acheter des consciences : la fortune fut éconduite. Écoutons madame Valmore :

« Les grands-oncles de mon père, exilés autrefois en Hollande, à la révocation de l’édit de Nantes, offrirent à ma famille leur immense succession, si l’on voulait reprendre la religion protestante. Ces deux oncles étaient centenaires ; ils vivaient dans le célibat à Amsterdam… On fit une assemblée dans la maison. Ma mère pleura beaucoup. Mon père était indécis et nous embrassait. Enfin on refusa la succession dans la peur de vendre notre âme, et nous restâmes dans une misère qui s’accrut de mois en mois jusqu’à causer un déchirement intérieur où j’ai puisé toutes les tristesses de mon caractère. »

Ce qu’on ne voulut pas accepter des grands-oncles, à la condition de vendre son âme, on pouvait bien le recevoir, sans condition avilissante, d’un autre membre de la famille. La mère de Marceline, « imprudente et courageuse », s’embarqua pour l’Amérique (la Guadeloupe), allant demander aide et secours à une cousine devenue riche. Elle emmenait avec elle Marceline qui avait alors treize ans.

« Arrivées en Amérique, c’est madame Valmore qui raconte, elle trouva sa cousine veuve, classée par les nègres de son habitation, la colonie révoltée, la fièvre jaune dans toute son horreur. Elle ne porta pas ce coup. Son réveil, ce fut de mourir à quarante et un ans ! Moi, j’expirais auprès d’elle ; on m’emmena en deuil hors de cette île dépeuplée à demi par la mort, et, de vaisseau en vaisseau, je fus rapportée au milieu de mes parents devenus tout-à-fait pauvres. » Le théâtre s’offrit alors comme une ressource. On apprit le chant à la jeune Marceline. Elle débuta à Feydeau dans le rôle de Lisbeth et fut reçue avec de grands applaudissements.

« À vingt ans, dit-elle, des peines profondes m’obligèrent de renoncer au chant, parce que ma voix me faisait pleurer ; mais la musique roulait dans ma tête malade, et une mesure toujours égale arrangeait mes idées, à l’insu de ma réflexion. Je fus forcée de les écrire pour me délivrer de ce frappement fiévreux, et l’on me dit que c’était une élégie (Le Pressentiment).

Le 4 septembre 1817, mademoiselle Desbordes épousait à Bruxelles M. Valmore, acteur distingué, homme d’esprit, homme excellent. Un an plus tard (1818), elle publiait son premier recueil de vers. Ce livre qui se détachait si nettement du ton général de la poésie d’alors, fut très remarqué, ainsi qu’il devait l’être, et donna dès ce moment à madame Valmore dans la littérature une place tout-à-fait à part, et fort belle, qu’elle a conservée, en la faisant toujours et plus large et plus belle. Jamais l’élégie n’avait fait entendre des accents si vrais, si profonds, si déchirants. Quand, après avoir lu madame Valmore, on lit Parny et Bertin à qui, à son début, on l’a souvent comparée, on les trouve froids et décolorés. C’est un monde de convention que le monde où ils vivent. Leur passion n’est pas vraie : le poète y tient plus de place que l’amant. Chez madame Valmore la vérité du sentiment vous saisit tout d’abord : un cœur palpite sous chaque vers, et la passion s’y fait reconnaître à son premier cri, à ses premières larmes. Le poète est effacé : il n’y a qu’une femme qui souffre, gémit et pleure ; une femme qui dans sa douleur vous ouvre toute son âme et dont la plume écrira plus tard ce vers si touchant :

J’ai dit ce que jamais femme ne dit qu’à Dieu.

Parny et Berlin sont des poètes érotiques ; madame Desbordes-Valmore est un poète élégiaque, et, pour dire toute notre pensée, le premier de tous, sans en excepter notre admirable André Chénier.

Madame Desbordes-Valmore ne procède en poésie d’aucun maître et ne se rattache à aucune école : elle est une personnalité tout-à-fait nette et distincte. Ce sera son éternel honneur. Nulle trace saisissable dans ses vers d’étude sérieuse des modèles. Si parfois on croit reconnaître en la lisant quelque lointaine ressemblance avec ce qu’on a lu ailleurs, ce n’est point, à y regarder de près, un ressouvenir, encore moins une imitation cherchée : c’est un flottant et inévitable reflet de littérature contemporaine sur son œuvre ; car il n’est pas possible de traverser une époque sans se teindre à quelque degré des couleurs qui y dominent, sans se façonner dans une certaine mesure aux habitudes les plus goûtées du moment.

Comme tous les poètes d’instinct et de premier jet, madame Desbordes-Valmore s’est peu modifiée par le cours des ans. Ses belles qualités natives lui sont restées jusqu’à la fin, et ses défauts, inhérents pour la plupart à ses qualités, ont survécu comme elles. Il faut dire toutefois que dans les derniers chants du poète, les beautés, fruits d’une nature plus mûre, plus réfléchie, plus achevée, sont tout-à-fait dominantes et souveraines, et que, dans ce voisinage éclatant, les taches passent presque inaperçues. Elles y sont pourtant. Çà et là des incorrections, des tons heurtés et, souvent, des métaphores outrées, qui veulent trop dire et sous lesquelles le sens se dérobe. Les figures des Orientaux, a-t-on dit, sont folles ; celles des Grecs et des Romains sont hardies ; les nôtres sont simplement justes. Ce mérite de justesse manque en général aux métaphores de madame Valmore ; mais nous ne voudrions pas trop insister sur ce point. Un critique éminent qui a le droit de se montrer difficile, esprit pénétrant, délicat et fin, M. Sainte-Beuve, en des pages charmantes consacrées à madame Desbordes-Valmore, a parlé ainsi de ses métaphores. « Les métaphores elles-mêmes, les images prolongées qui ne sont en jeu que pour traduire une pensée ou une émotion, n’ont pas toujours besoin d’une rigueur, d’une analogie continue, qui, en les rendant plus irréprochables aux yeux, les roidit, les matérialise trop, les dépayse de l’esprit où elles sont nées et auquel, en définitive, elles s’adressent ; l’esprit souvent se complaît mieux à les entendre à demi-mot, à les combler dans leurs négligences ; il y met du sien, il les achève. »

Une digne sœur en poésie de madame Valmore, madame Tastu a dit : « Qu’importe que Madame Desbordes-Valmbre ne soit pas un poète selon l’art, si c’est la poésie et l’âme. » Voilà les mots caractéristiques : Madame Desbordes-Valmore, c’est la poésie et l’âme. Pour être un poète selon l’art, il lui eût fallu pâlir dans l’étude assidue des grands modèles, épurer par un travail patient ses heureux dons du ciel. Elle ne l’a pas fait. Elle avait bien mieux que l’art, elle, la poésie et l’âme : elle avait la flamme, le souffle puissant, mens divinior, la veine intarissable, la source immense et profonde, tout ce qui vit et qui fait vivre. Pendant de longues années elle a chanté sur les modes les plus douloureux, touché aux cordes les plus plaintives de la lyre, et elle a échappé à la monotonie. Il n’y a pas d’exemple d’un tel privilège ou d’un tel bonheur. Toujours elle gémit et pleure, parce que la plaie est incurable et toujours saigne, et toujours elle vous touche et vous remue. Elle nous disait un jour en parlant d’André Chénier : « c’est une poésie de frère, elle vous prend la main. » Ainsi de sa poésie à elle, c’est une poésie fraternelle, sympathique, qui va à votre cœur, parce qu’elle sort du cœur du poète. Notons, puisque nous venons de nommer André Chénier, qu’on a appelé madame Desbordes-Valmore l’André Chénier femme. Non, c’est moins et c’est plus. Nous préférons ce qu’a dit Alexandre Dumas : « La plus femme des femmes poètes, » un mot profondément vrai. Chez madame Desbordes-Valmore, poète, femme, épouse, mère, tout se fondait dans une harmonieuse unité. Qui connaissait un des côtés de sa vie savait tous les autres. Rien qu’à la voir, on devinait sans peine que les muses avaient visité son berceau ; et sa voix, comme ses traits, la révélaient toute entière. Cette voix charmante, faite, il semblait, pour dire les choses du cœur et qui vous gagnait dès les premiers mots, avait retenu du théâtre, sans rien perdre de son naturel, les articulations nettes et franches, la diction pure et savante, et par là elle convenait mieux à l’entretien élevé, au parler continu qu’au va-et-vient brisé et sautillant de la conversation ; elle seyait surtout à merveille aux longs récits du foyer, à ces contes aux enfants dans lesquels excellait madame Valmore, mélange heureux de bon sens et d’esprit, d’éloquence et de sentiment. Nous l’avons vue quelquefois, pour donner un enseignement à sa jeune famille, trouver sur l’heure une charmante fiction qu’elle déroulait couramment comme une chose apprise de mémoire ; mais avec cet accent ému de l’improvisation qui donne tant de charme au débit. Un jour entr’autres, elle nous montrait la mère d’un petit coupable allant demander sa grâce au bon Dieu. La mère tremblante, prenant l’enfant entre ses bras et l’emportant à travers les sphères infinies, disait les merveilles de ces mondes qu’on serait si malheureux de ne pas habiter un jour et déposant l’enfant aux pieds de Dieu, lui montrait son repentir et ses larmes. La pauvre mère avait déjà pardonné, parce que les mères pardonnent toujours. Dieu, qui est bon aux petits enfants comme la plus tendre des mères, pardonnait aussi. Les cieux tressaillaient d’allégresse ; les séraphins chantaient sur les harpes d’or l’hymne de réconciliation, et la mère, consolée et triomphante, ramenait son enfant sur la terre pour y remplir les devoirs de la vie et mériter ce bonheur qu’il avait entrevu, il y avait dans cette adorable fiction des battements d’ailes d’ange à faire longtemps rêver du ciel. Elle fut racontée devant nous, à l’occasion de nous ne savons plus quelle petite faute qu’avait commise un de ses enfants, l’aîné de ces aimables enfants ; il nous semble, alors âgé de quatre ou cinq ans, M. Hippolyte Valmore qui depuis, nous en sommes sûr, n’a pas donné d’autre chagrin à sa mère, digne fils d’une telle mère, qui en était fière à bon droit.

Ainsi sont nés, du moins dans leur première forme rudimentaire, la plupart de ces charmants récits, en vers ou en prose, contes aux enfants que les mères lisent avec des larmes : le petit Rieur, l’Écolier, le petit Bossu, etc.

Bien des années après, un jour, en 1842, madame Valmore était au chevet de madame A. Dupui qui se mourait ; près du lit madame Récamier, alors aveugle, M. Ballanche et celui qui écrit ces lignes. Madame Valmore, prenant congé, se leva disant au revoir et allait sortir, quand la pauvre malade, la rappelant, lui dit : « Nous ne nous reverrons plus ici-bas : faites-moi de plus longs adieux. — Nous nous reverrons encore ici, je l’espère, répondit madame Valmore ; mais après tout, si ce n’est plus ici que nous devions nous revoir, nous nous retrouverons là-haut, et nous y serons plus heureuses qu’ici où vous et moi avons tant souffert. Et sur ces mots sa voix s’éleva et, l’émotion survenant, elle fut admirablement éloquente et parla en termes magnifiques de

ce monde invisible
Ou pour toujours nous nous réunissons ;

Dallanche, le penseur mystique et de génie, l’hiérophante antique égaré au milieụ du dix-neuvième siècle, était profondément ému ; madame Récamier, attendrie, essuyait ses yeux où n’était plus la lumière, et nous conserverons, nous, un ineffaçable souvenir de ce moment. Heureux qui, à l’heure du suprême départ, trouve à son chevet une voix aussi douce, aussi consolante pour l’aider à mourir !

Madame Desbordes-Valmore est restée pauvre. Plus d’une fois dans sa vie elle eut l’occasion de s’affranchir des soucis d’une position difficile ; mais toujours quelque noble scrupule l’arrêta. Un jour, on lui offrit la place de lectrice de madame la duchesse d’Orléans. La bonté de la princesse Hélène eût rendu cet emploi doux et léger au poète. Madame Valmore refusa. La plupart de ses amis étaient dans les rangs opposés à la politique que suivait alors le roi Louis-Philippe. Il lui sembla qu’en entrant aux Tuileries elle se séparerait d’eux. Ce sacrifice coûtait trop à son cœur. Ce n’est pas madame Valmore qui, pour une position meilleure et même très brillante, eût jamais abandonné ses amis, elle qui les aimait d’autant plus, les accueillait d’autant mieux qu’ils étaient plus oubliés de la faveur et de la fortune. Elle préféra rester pauvre, dans ce res angusta domi qui avait été la condition de toute sa vie, dont elle ne s’effrayait plus, et dont elle ne s’était jamais préoccupée que pour les siens. Dans ces dernières années le sort, qui lui avait été si longtemps sévère, semblait s’être adouci, et malgré un peu de gêne domestique qui subsistait toujours, madame Desbordes-Valmore pouvait se dire heureuse. Avec ce sentiment si doux des devoirs remplis qui efface tant de peines, elle avait toutes les satisfactions du cœur, comme épousé et comme mère ; née généreuse et sans envie, elle jouissait des succès de ses amis comme des siens ; de flatteurs hommages venaient la trouver dans sa calme retraite ; elle avait sa douce liberté, et la gloire s’était assise à son foyer. Ce bonheur modeste, muré, qui n’emprunte rien au dehors, est mal compris du monde, qui aime avant tout le mouvement et le bruit, et nous avons entendu bien des gens, indifferents au fond, s’apitoyer longuement sur la pauvreté du charmant poète. Qu’ils gardent leur pitié pour des malheurs plus grands. Bien souvent la pauvreté est acceptée sans trop de peine ; quelquefois même c’est un sort qu’on s’est courageusement choisi pour rester dans le parti de l’honneur et de la vertu. Des âmes fières, nobles et délicates, sachant que dans la poursuite de la fortune il faudra immoler son indépendance, ses goûts, ses plus saintes aspirations, ses sentiments les plus chers, étouffer son esprit et briser son cœur, estiment que le prix n’est pas digne du sacrifice, et elles se tiennent à l’écart, loin des routes de la fortune, routes encombrées d’où tant d’autres reviennent souillés et meurtris. Rien qu’à voir ce spectacle, ces tristes luttes, elles se trouvent heureuses, par comparaison. Laissons dire la foule imbécile : l’honnête pauvreté n’est pas si déshéritée qu’on le croit.

Nous sommes sans autorité pour dire quelle place doit occuper madame Desbordes-Valmore dans les rangs des poètes de ce temps-ci ; mais, dans notre pensée, cette place est fort belle. Un jour Béranger essayait de fixer cette place de madame Valmore et il n’y réussissait pas. Dans ce ciel poétique où la mort allait bientôt la faire monter et où il l’a précédée lui-même, il ne trouvait pas d’étoile qui lui ressemblât, rayonnant là-haut comme une sœur, et il ne voyait pas non plus à l’horizon se lever d’astre nouveau qui promît une lumière à la fois aussi douce, aussi brillante, aussi tendrement mélancolique. Madame Valmore, en effet, par la profondeur et la vivacité du sentiment, par la nouveauté de la langue et du style s’est classée à part et se dérobe, pour ainsi dire, à toute comparaison. Béranger disait qu’elle ne serait pas remplacée. Plusieurs fois il revint avec nous sur ce sujet, et toujours il se résuma dans ces mots : « Elle ne sera pas remplacée. »

Nous pourrions nous arrêter ici ; mais il s’agit d’une femme et l’on attend peut-être quelques lignes de plus. Madame Desbordes-Valmore était-elle jolie, était-elle belle ? Voici ce qu’elle dit elle-même : « … Ma mère était belle comme une Vierge ; on espérait que je lui ressemblerais tout-à-fait, mais je ne lui ai ressemblé qu’un peu, et si l’on m’a aimée c’était pour autre chose qu’une grande beauté. » C’était une de ces figures qu’on n’oublie point : un profil d’une grande pureté, des yeux bleus, de beaux cheveux blonds ; quelque chose des races du Nord, des nobles filles de l’Écosse et du ciel d’Ossian. Dieu avait mis sur son front le sceau visible du génie poétique et toutes les tristesses de l’âme. Son regard était doux et bon, sa voix ravissante. Dans son langage, dans son air, dans ses manières, une rare et constante distinction. Elle était frêle, pâle, semblait souffrante, et nous n’avons connu personne à qui l’on pût appliquer plus justement qu’à elle ces mots de madame Victorine de Chastenay : « Elle avait l’air d’une âme qui avait rencontré par hasard un corps et qui s’en tirait comme elle pouvait. » L’épreuve est maintenant accomplie : ce pauvre corps rencontré par hasard s’est brisé ; l’âme, dégagée de ses liens, a déployé ses ailes ; elle est remontée dans les cieux.

Auguste DESPORTES.