Calmann Lévy (p. 54-56).
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10 juillet 1885.

C’est un fait accompli depuis trois jours.

En bas, au milieu d’un de ces quartiers nouveaux, d’aspect cosmopolite, dans une laide bâtisse prétentieuse qui est une espèce de bureau d’état civil, la chose a été signée et contresignée, en lettres étonnantes, sur un registre, en présence d’une réunion de petits êtres ridicules qui étaient jadis des Samouraï en robe de soie, — et qui sont des policemen aujourd’hui, portant veston étriqué et casquette à la russe.

Cela s’est passé à la grande chaleur du milieu du jour. Chrysanthème et sa mère étaient arrivées de leur côté ; moi du mien. Nous avions l’air d’être venus là pour sceller quelque pacte honteux, et les deux femmes tremblaient devant ces vilains petits personnages qui, à leurs yeux, représentaient la loi.

Au milieu du grimoire officiel, on m’a fait écrire en français mes nom, prénoms et qualités. Et puis on m’a remis un papier de riz très extraordinaire, qui était la permission à moi accordée par les autorités civiles de l’île de Kiu-Siu, d’habiter dans une maison située au faubourg de Diou-djen-dji, avec une personne appelée Chrysanthème ; permission valable, sous la protection de la police, pendant toute la durée de mon séjour au Japon.

Le soir, par exemple, dans notre quartier là-haut, c’est redevenu très gentil, notre petit mariage : un cortège aux lanternes, un thé de gala, un peu de musique… Il était nécessaire, en vérité.

Et maintenant nous sommes presque de vieux mariés ; entre nous, les habitudes se créent tout doucement.

Chrysanthème entretient les fleurs dans nos vases de bronze, s’habille avec une certaine recherche, porte des chaussettes à orteil séparé, et joue tout le jour d’une sorte de guitare à long manche qui rend des sons tristes…