Madame Aubin
MADAME AUBIN
aubin.
madame aubin.
peliter.
Scène première
C’est bon. On vous sonnera quand on aura besoin de vous.
Un jour et une nuit de repos, ma chère, n’est-ce pas ? Après quoi nous partons à travers la Suisse pour Brindisi, sans guère nous arrêter, et gagnons l’Orient, comme c’était convenu.
C’était convenu ?
C’est vrai. Comme vous voudrez, au fait.
Comment ? Enfin vous m’approuvez et je vais parcourir l’indicateur. Vous permettez.
Mon Dieu oui.
Voilà. Demain à midi nous prenons le rapide et nous arrêterons où vous voudrez. Regardez.
Mon ami, vous êtes parfait. Je vais y penser. Voulez-vous m’entendre un instant, pour parler d’autre chose ?
J’ai envie de m’en arrêter là de notre aventure.
Je ne comprends pas.
Ne m’interrompez pas. C’est fou ce que nous faisons là. Ce n’est pas ridicule, c’est fou. Nous serions moins heureux que nous ne l’étions et il a fallu vraiment toute l’influence de votre charmant caractère et la persuasion de votre franchise (Elle lui tend une main qu’il prend et garde.) pour me faire faire ce pas énorme. Il n’est plus temps, je le sais ou plutôt je m’en doute, de revenir sur un entraînement tel, mais, que voulez-vous ? et j’en suis au désespoir, après toute cette bravoure qui m’a déterminée, soutenue, entraînée durant ce long trajet de Paris à ici, dans cet endroit de hasard, ah ! j’ai peur…
— Peur de qui et de quoi ?
Peur du passé d’abord. Peur ! Remords à cause du passé. En définitive, et certainement, mon mari ne méritait pas tout cet outrage. C’est un homme à défauts certes, à vices peut-être même. Mais c’est l’honneur et la droiture mêmes. Et j’y pense maintenant, ces dissentiments entre lui et moi doivent être venus de moi plutôt, enfant gâtée et jeune fille trop libre que je fus avant mon mariage avec cet honnête, avec ce galant homme…
Laissons Aubin de côté. Qu’est-ce enfin que vous voulez dire et que voulez-vous faire ? Retourner à Paris et à votre ménage laissé ?
Je n’en sais rien encore. Mais ne me coupez pas à chaque instant la parole et vous serez de mon avis. Non, mon mari ne doit pas subir ces choses sur son honneur et sur son nom. Et c’est vrai que j’ai peur du passé. Je viens de vous dire comment et pourquoi. J’ai peur de l’avenir aussi. Ou plutôt non. C’est le présent qui m’effraie, oh sans m’épouvanter, monsieur ! Car l’avenir, j’en réponds et il sera conforme
au vœu de ma conscience enfin réveillée.Expliquez-vous ? Vous moquez-vous ou non ? Je veux vous comprendre.
Monsieur, vous n’avez pas le droit de me parler ainsi.
Et je ne vous le donnerai jamais.
Madame !…
Entendez-vous, monsieur ?
Enfin, alors, pourquoi être venue avec moi de
votre plein gré, même plutôt sur votre initiative ?Que voulez-vous ? j’ai changé d’idée.
Bien. Vous vous êtes jouée de moi. Je ne suis pas à ce point un jeune homme encore. On ne me berne pas. Car, ma chère, je ne crois pas à un caprice de vous, à un revirement si subit, à un coup de tonnerre de vertu !…
N’employez plus ce mot vertu. Il est terrible à nos oreilles. Je vous disais tout à l’heure que j’avais comme peur du présent, oui peur de rester ici ainsi ; mais j’ajoutais que ce présent ne m’épouvantait pas. C’est là-dessus que vous vous êtes récrié, au moment où j’allais vous expliquer que par là j’entendais me fier à votre honneur pour me laisser me décider en paix… Et vous vous êtes emporté jusqu’à m’irriter aussi et vous venez de me dire des choses !… Un caprice, moi, à mon âge de vingt-huit ans ! Un revirement, oui ! un coup de tonnerre de… conscience, oui, là, croyez-y.
Mais quel rôle est-ce que vous voulez que je joue là dedans, moi ? Vous, vous êtes, alors, la raison, même illogique, et moi ? moi…
Votre rôle ? Tout tracé. Laissez-moi faire ! Cest ça qui serait chevaleresque et bien.
Mais je vous aime, mais…
Et moi aussi je vous aime et je vous dis : Ne peut-on donc s’aimer sans ça ? (Geste de mépris.), sans tout ça ? (Geste de dédain.)
Ah ! nous y sommes. Une vierge monte en vous quand par vous un satyre se dresse en moi, par vous.
Et vers vous !
Voyons, soyons sérieux.
Peltier, qui pressent une longue explication, s’assied la tête inclinée et les mains l’une sur le dossier d’une chaise, l’autre jouant avec sa chaîne de montre… Qu’est-ce que vous risquez, vous, homme, célibataire, à ce voyage d’agrément ? Rien, un duel peut-être au retour ! Votre réputation sera loin d’en souffrir dans ce monde illogique où nous vivons, qui n’aime pas l’adultère de la femme et qui raffole de toutes les fautes galantes d’un homme comme il faut. Tandis que moi !! Et il n’est que tout naturel que même et que surtout sur le bord de la dernière résolution, j’hésite et me rejette en arrière, dussiez-vous en être fâché. Voyons, l’êtes-vous, fâché, pouvez-vous l’être, devez-vous l’être ?
Questions, questions ! Sottises ! À mon tour je vous dirai : Soyons sérieux. Vous m’avez, avouez-le, encouragé à cette chose. Et précisément il était, comme vous dites, bien naturel à moi de l’entreprendre et il me l’est encore, je m’en rapporte à votre raisonnement, de la poursuivre en homme comme il faut, ou autrement !
Et je vais vous le prouver !
Vous allez voir.
Scène II
Oui, c’est moi qu’on n’attendait pas. Comment ai-je eu vent de votre mèche et pu vous rejoindre si tôt, inutile d’en parler. L’essentiel c’est que quatre officiers de la garnison veulent bien nous servir de témoins et nous attendent dans un bois à deux pas avec des épées et des pistolets à votre volonté, bien que j’aie le choix des armes.
Je vous suis.
Toi, Marie, attends-moi ici, mort ou vif. Entends-tu,
ma belle.Scène III
Quelle affaire ! Est-ce vraiment que je rêve, à la fin ?…
Un peu d’ordre dans mes pauvres idées. Là… là…
Oui, ce que je disais à M. Peltier, c’était pourtant vrai. J’étais une enfant gâtée quand Aubin m’a prise. Il m’a gâtée aussi, lui, et voilà peut-être d’où vient le mal. Je m’accoutumais à continuer mon enfance et ma jeunesse dans l’état de mariage. Je fus volontaire, exigeante, capricieuse. Dans les commencements mon mari trouvait cela charmant, puis il se lassa. Querelles, duretés de sa part, bouderies de la mienne. Sept ans après Peltier parut. Un homme charmant certes, mais moins qu’Aubin, maintenant que je vois bien les choses. Et ce sot départ est bien plus encore de ma faute, au fond, que de la sienne. Un moment de dépit féminin dont, avec nos mœurs, un homme est louable de profiter. — Je ne pouvais lui donner tort tout à l’heure de vouloir ce que sous-entendait notre fugue innocente encore et dont un peu d’énergie m’a aidée à conserver le caractère de folie sans plus. — Mais quoi, tandis que je me redis ces choses, deux hommes aimables qui m’aiment tous deux et dont décidément j’aime mieux l’un, mon mari, se battent pour moi, ô misère ! comme si j’étais une fille. Et au fait ! Ô punition ! Moi, moi ! Quelle angoisse, et quelle situation ! Et l’avenir ? Pourtant cette douce parole d’Aubin tout à l’heure… Je n’en suis que plus misérable d’attendre si lui ou l’autre… J’ai tout de même résisté ; et il y a eu un moment où j’y ai eu du mérite. Mais ce voyage ! Et cette attente ! — Mon Dieu, vous à qui l’on doit croire malgré toutes les stupides opinions des gens d’aujourd’hui, mon Dieu, ayez pitié de moi dans ma misère !
Scène IV
Voilà qui est fait. Madame Aubin, je vous présente un de mes témoins.
Le Comte de Givors.
Monsieur le comte de Givors, je vous présente ma femme.
Monsieur…
Ah ! mon ami… Mais… mais, tu es blessé…
Ce n’est rien. Une balle qu’on va bien vite m’extraire — et puis, n’est-ce pas ? en route pour Paris dès moi pansé ! À propos, tu sais, Peltier n’a rien.
Qu’est-ce que ça fait ?
Permettez… Il se retire après avoir salué, reconduit par l’un et par l’autre.
Explique-toi, Marie.
Scène V
Dites, Monsieur, si vous avez jamais eu le droit de vous dire mon amant.
Sur ma parole d’honnête homme et de galant homme telle que la confirme mon retour dans cette chambre, Aubin, je jure que non. Ce départ fut un délire dont madame s’est réveillée la première, pure et invincible. Invincible, car j’ai voulu avoir le dernier motet c’est elle qui l’a dit : et ça été un non à ne pas s’y tromper.
Au fait, chacun a rempli son devoir ici. Moi, après votre folie, d’être accouru pour ravoir ma femme et lui pardonner après un duel. Toi, Marie, d’être restée bonne épouse, — et je te réponds que les malentendus qui auraient pu t’excuser sont morts à jamais. Comme nous allons être heureux ! Et vous, Peltier, étant donné notre civilisation, qui ne vous approuverait d’avoir tenté de me souffler ma femme excepté moi qui vous en voudrais si cette balle dans mon épaule n’eût été là, qui supplée toute explication ? Or voici : nous retournons dès mon égratignure pansée. Naturellement nous serons quelque temps sans vous revoir, Peltier. N’êtes-vous pas en voyage ?
Et la main !