MACHIAVEL
ET
LE MACHIAVÉLISME

PREMIÈRE PARTIE[1]
LE MACHIAVÉLISME AVANT MACHIAVEL


II. — COMMENT S’AGRANDIT ET SE RUINE LE PRINCE.
CATHERINE SFORZA. « PRÉSAGE DE CÉSAR. »


Machiavel eut une occasion toute spéciale de connaître de près et chez eux, les uns après les autres, plusieurs condottieri, tyrans ou princes : Jacopo IV d’Appiano, seigneur de Piombino, Giangiacomo Trivulzio, Pandolfo Petrucci, seigneur de Sienne, Giovanni Bentivoglio, seigneur de Bologne, Gianpaolo Baglioni de Pérouse, le marquis de Mantoue, Luciano Grimaldi de Monaco, Vitellozzo Vitelli, Oliverotto da Fermo, les Orsini, — le seigneur Pagolo et le duc de Gravina ; — à Florence même, Pier Soderini et les Médicis ; à Rome, des papes, des cardinaux ; hors d’Italie, le roi de France, l’empereur Maximilien d’Allemagne. Il fut envoyé, en 1499, à « Madonna, » à Catherine Sforza, comtesse de Forli, et, en 1502, à César Borgia, duc de Valentinois, dans les Romagnes, quand déjà il avait tout lu et déjà il savait tant voir. Soit par l’étude de l’histoire, soit par la pratique des affaires, dans les graves leçons de l’antiquité romaine ou dans la subtile atmosphère de son pays et de son temps, il avait appris, et chaque jour davantage il apprenait, en démontant pièce à pièce le ressort des âmes et des esprits, à faire jouer la mécanique politique. Il ne lui fallait plus, pour que son génie emplît toute sa mesure, pour qu’il osât aller jusqu’au bout de lui-même, que rencontrer des âmes et des esprits un peu extraordinaires. Il fallait seulement que sa destinée, ou, comme il eût dit, « la Fortune, » l’adressât à Catherine et, bien plus encore, à César.


I

Dans le ménage des Riari, s’il y avait un homme, par la hardiesse, l’ampleur et la fermeté des desseins, par la tension de la volonté, par la continuité de l’ambition, par la suite énergique de l’action, c’était moins l’homme que la femme, Girolamo moins que Catherine. Des deux, l’être le plus viril, en qui résidait le plus de virtù, c’était cette virago presque vir, celle que l’on s’est toujours accordé à saluer donna di gran mente e di virili propositi[2]. Mais, en même temps que par le courage elle est la plus virile des femmes, elle en reste la plus féminine par la grâce et par la beauté. Si plus tard les médailles, qui exigent un relief plus ferme et des lignes sculpturales, lui prêtent un profil romain, elle a, vers la dix-huitième année, sur le tableau du musée de Forli, attribué à Marco Palmeggiani, les traits comme enveloppés d’une douceur angélique, quasi divine, et que dément à peine la fixité du regard plongeant droit. Un visage raphaélite avant Raphaël ; mais une âme machiavélique avant Machiavel, ou du moins avant la notation par Machiavel des formules machiavéliques. C’est à ce moment même, vers sa dix-huitième année, que les historiens de Catherine découvrent en elle « la première pointe de sa pénétration politique, » la première marque « de son caractère fort. » Elle sait que Laurent de Médicis en veut mortellement à son mari, et qu’il a de bonnes raisons de lui en vouloir. Elle, sans doute, elle aime Girolamo, il ne faut pas dire, en parlant d’elle, de toutes ses forces, mais de toute la force de sa seule faiblesse, la faiblesse de sa chair, d’où lui viennent ses plus grandes épreuves et ses plus grandes misères, car elle inspire trop l’amour pour pouvoir jamais fuir l’amour :


Amor, ch’a null’ amato amar perdona[3].


Mais elle s’aime encore mieux elle-même, et, en elle-même, elle aime encore mieux sa race, sa famille, sa maison, leur commune grandeur, la Fortune. Et, dès l’instant où elle est sûre que la vengeance de Laurent cherche son chemin jusqu’à Girolamo, tout en défendant fidèlement, vaillamment, son mari, elle commence à laisser entendre qu’elle en est, au fond, politiquement séparée. Il est Riario, mais elle est Sforza ; et les Médicis, ou ce Médicis, peuvent bien être les ennemis du comte de Forli et d’Imola, mais ils sont les amis des ducs de Milan, Galeazzo Maria et Ludovic le More, auxquels elle tient presque d’aussi près qu’elle tient à Girolamo. Si donc Girolamo doit disparaître, que Laurent voie en elle, non pas la veuve de son adversaire, mais la fille et la nièce de ses alliés. « De là, chez Catherine, a-t-on remarqué, une espèce de duplicité mystérieuse qui en vint dans la suite jusqu’à la faire soupçonner d’avoir été complice de l’assassinat de son mari[4]. » Il serait excessif d’en conclure que pour conserver une mère à ses enfans, elle sacrifie ou fait sacrifier leur père, mais elle laisse opposer, elle oppose leur mère à leur père pour leur conserver l’Etat. Or, tout pour conserver l’État, c’est la règle première du machiavélisme.

Tout, et non seulement la duplicité, le double jeu, mais le grand jeu, le meurtre. Le châtelain de la rocca de Ravaldino à Forli était un certain Melchiorre Zocchejo de Savone, « très mauvais homme, autrefois corsaire de mer, et féroce contre les pauvres chrétiens, » qu’il tuait, dépouillait, mettait aux rames, noyait à sa fantaisie. La Fortune, dit le chroniqueur Cobelli, — décidément c’est la déesse des Italiens de ce temps-là, — la Fortune lui avait donné le temps de se repentir, mais il ne s’était jamais repenti. « Jamais il ne se confessa. Grand blasphémateur de Dieu et des Saints, et autres péchés en lui secrets : suffit. Et c’est pourquoi le péché le conduisit à une vilaine mort, à mourir dans la rocca de Forli de male mort[5]. » Girolamo l’avait nommé, parce que Melchiorre était son compatriote, et il n’osait le destituer, parce que l’ancien corsaire était son créancier. Mais il le haïssait, et Catherine ne le pouvait souffrir. Une nuit donc, la comtesse, quittant son mari toujours malade à Imola, monta à cheval, courut à Forli, s’approcha de la rocca et appela le châtelain. « Le dit châtelain se mit aux créneaux, et dit : « O madame, et que voulez-vous ? » Madame répondit et dit : « O messire Marchionne (pour Melchiorre), je viens de la part de monseigneur pour que vous me rendiez la rocca : voici les contreseings que j’y veux rester, moi[6]. » Le châtelain répondit : « Et qu’en est-il du comte ? J’ai entendu dire qu’il est mort. » Madame répondit : « Mais ce n’est pas vrai. Je l’ai laissé de bonne humeur. » Le châtelain répondit : « Ici, le bruit public est qu’il est mort. S’il est mort, je veux tenir cette rocca pour ses fils ; et s’il est vivant, je veux la lui remettre à lui-même ; et s’il veut m’en chasser pour y mettre un autre, je veux qu’il me donne l’argent que je lui ai prêté, et puis je lui rendrai la rocca, s’il me plaît et me paraît bon. » Après quoi, sans rien ajouter, Melchiorre tourna le dos, et se retira ; ce que voyant la comtesse, elle reprit toute triste, — dolorosa, — la route d’Imola. Mais la douleur de Catherine ne devait pas être une douleur résignée.

En ce moment se trouvait à Forli cet Innocenzo Codronchi qui, sous le règne de Sixte IV, avait été connétable du comte Girolamo au château Saint-Ange, et qui, chassé de là par Catherine, s’était ensuite réconcilié avec les Riari, était devenu capitano de’ provvisionati, ou chef de la garde du palais, et châtelain de Ravaldino avant Melchiorre. Il allait et venait à sa guise dans la rocca, et, fidèle à la consigne, avait l’œil sur le vieux pirate, dont il flattait les petites manies, allant dîner, souper et jouer aux dés avec lui. Le 10 août, ils étaient à table. Ils jouèrent le dîner du lendemain, et Codronchi s’arrangea pour perdre. Il sortit de la rocca, et, dès le matin, remit des cailles, des perdrix et des chapons à un soldat de Forli, nommé Moscardino, en lui disant : « Prends-les, porte-les à la rocca, et dis qu’on les apprête pour dîner ce midi ; » et il lui donna encore certaines autres instructions secrètes. Moscardino obéit ; le châtelain le vit venir avec sa provision, il lui fit ouvrir la porte de la rocca, et, tandis qu’il faisait plumer la chasse, Moscardino « s’occupa de faire ce qui lui avait été ordonné. » L’heure venue, Codronchi arrive et l’on fait honneur au festin. A la fin du dîner, le châtelain se lève. D’un bond Codronchi aussi se lève, saisit le châtelain à mi-corps, le tient embrassé. Aussitôt un esclave[7] dudit châtelain prend un poignard, et par deux fois l’en frappe au ventre. Moscardino s’en mêle, pour aller plus vite, et Codronchi achève d’un coup de cimeterre l’impénitent Melchiorre. Cela fait, il court s’enfermer dans la tour et hausse les ponts-levis. Cependant, à Imola, le comte et la comtesse en sont instruits : Girolamo est malade encore et Catherine est sur le point d’accoucher, — gravida e grossa a la gola, dit le chroniqueur avec un pittoresque intraduisible. De nouveau, elle monte à cheval, pousse et pique tant qu’elle peut, et vers minuit entre à Forli. Elle traverse la ville sans rien demander à personne, va droit au pied de la rocca, et appelle Nocente.

« Alors Nocente se mit aux créneaux et vit Madame la comtesse et dit : « O madame, et que voulez-vous ? » Madame répondit : « O Nocente, et pour qui tiens-tu cette rocca ? » Nocente répondit : « Au lieu du seigneur Octaviano[8]. » Messer Dominico Riccio[9] dit : « Donc Octaviano est seigneur, et non le comte ? — Ou vif ou mort, je tiens cette rocca au lieu du comte et de ses fils. » Là-dessus, Catherine demande à Codronchi pourquoi il a tué le châtelain : « Madame, il faut donner les rocche à des gens qui aient de la cervelle, et ne pas les donner à des ivrognes. » C’est le moment. La comtesse conjure Nocente de lui restituer la rocca. Et il lui crie, comme saisi de pitié, d’une voix radoucie et respectueuse : « Très chère madame, pour cette fois, je ne puis vous répondre autrement. O madame, allez vous reposer et ne craignez rien. Il n’était pas besoin que Votre Seigneurie vînt ici pour cela. Je vous prie de venir demain dîner avec nous. » Catherine retourne en ville, va au palais, fait monter la garde autour de la rocca afin que personne n’y entre. Après quoi, dans le dessein affiché d’éviter le poison, elle commande le repas qu’on lui devra porter à la rocca, pourvoit à tout, et ne se couche qu’aux premières lueurs du jour. Ses gens jurèrent qu’elle n’avait pas du tout dormi cette nuit-là. A l’heure dite, elle se présenta à la rocca, où Codronchi lui enjoignit de ne se faire suivre que d’une seule demoiselle. Sans peur, Catherine passe le pont, sa demoiselle derrière elle, portant les provisions. On dîne, et, en dînant, Codronchi raconte à la comtesse toute son entreprise ; il n’y a plus qu’à concerter le dénouement ; on fait mine de traiter et d’écrire les conditions de la reddition. Catherine quitte la rocca, où elle ne reviendra que dans trois jours, amenant avec elle Tommaso Feo de Savone, à qui Nocente Codronchi remet fidèlement la forteresse ; puis Madame, « calme comme un caporal qui relève la sentinelle, » laisse Feo dans la rocca, et remmène, à sa place, Codronchi. La cour du palais était pleine d’un peuple impatient. Enfin, la comtesse paraît. « La rocca était perdue, déclare-t-elle, pour moi et pour vous, avec celui-ci : je l’ai réacquise et vous laisse un châtelain tout à ma dévotion. » Les bons bourgeois eussent voulu en savoir davantage ; mais pas un mot de plus. Tout de suite les chevaux, tout de suite en selle, et le cortège s’éloigne vers Imola, Nocente à côté de Catherine.

Le beau de l’affaire, — et je dis bien : « le beau, » — est que tout ce faux drame, vrai seulement pour Melchiorre Zocchejo qui y avait trouvé la mort, malgré toute cette mise en scène, sommation, refus, invitation à dîner, précautions contre le poison, négociations, capitulation, désaveu public, tout était combiné d’avance avec les Riari. Ils voulaient reprendre à l’ancien corsaire la rocca de Ravaldino, où il leur déplaisait de le voir s’établir en maître. Melchiorre, lui, ne veut rien entendre, et contre son obstination Madame elle-même perd sa peine. Tôt donc, qu’on s’en défasse. On a, pour cette besogne, un homme sous la main, Nocente. Mais il est capitaine des gardes. Comment faire pour qu’on n’accuse pas le comte et la comtesse d’être derrière lui et de diriger son bras ? Il faut feindre une surprise, une rébellion, une résipiscence. C’est ce que des écrivains de notre temps appellent encore « une ruse cruelle et ingénieuse, » — inganno crudele ed ingegnoso, — et quatre siècles écoulés leur ont appris à ajouter crudele, mais ils répètent ingegnoso : ils sentent encore et pour un peu ils vanteraient encore la forma ingegnosa e quasi elegante del tradimento, la forme ingénieuse et presque élégante, de la trahison[10]. Fils de leur pays et de leur race, nés de leur terre et de leur ciel, ils jouissent vivement de la beauté : tout ce qui est beau est bien, ou du moins rien n’est mal qui est beau. Art, plaisir, lutte, gouvernement, et même brigandage, — ribalderia, — l’Italien de la Renaissance ne demande rien à rien que la beauté. La férocité de Ferdinand de Naples, dans la conjuration des barons, est atroce, mais belle. Et voici venir la beauté des beautés, ce guet-apens de Sinigaglia que Mgr Paul Jove, évêque de Nocera, consacrera à jamais d’un superlatif, — il bellissimo inganno, — et où Machiavel découvrira un chef-d’œuvre de prince digne d’être offert en exemple au Prince.

Dans l’histoire de Melchiorre et de la rocca de Ravaldino, Catherine a recouru aux bons offices d’Innocente Codronchi ; nous allons la voir, aussitôt après, et à peine délivrée de sa grossesse, opérer elle-même, dans la répression de la conjuration des Roffi. Ce sont des paysans de Rubano, turbulens et influens, qui se sont emparés par surprise de la porte Cotogni à Forli, en faisant crier ou San Marco ! (Venise) ou Chiesa ! (le Pape) ou gli Ordelaffe ! (les seigneurs dépossédés, les Ordelaffi). Le coup a été manqué, cinq des rebelles ont été pendus sur l’heure, les autres sont aux chaînes dans la rocca. Madame arrive d’Imola, comme toujours à bride abattue. Elle fait comparaître les coupables, les interroge. Ils avouent, se dénoncent, se chargent l’un l’autre. « C’est Passi qui a tout monté, insinue Nino Roffi. — Tu mens par la gorge, s’écrie l’accusé, faux goinfre que tu es, et ribaud, car il y a près de huit mois que je ne t’ai parlé, et j’en veux faire la preuve à la corde avec toi[11] ! » Catherine saisit le joint, et envoie à la corde Nino tout seul, qui confesse son mensonge. Alors, ostensiblement, solennellement, tenant Passi par la main, la comtesse le conduit hors de la forteresse, et là, devant les gardes et devant le peuple, elle le libère : « Va, lui dit-elle, retourne tranquille et sûr vers ta femme et vers tes enfans ! » Le second procès achevé, elle affecte de prendre les ordres de son mari ; mais ce gros garçon, lymphatique, bouffi et mou, n’a d’autres ordres à lui donner que de s’en remettre à elle, et elle n’en demande pas davantage. Les droits menacés des Riari réclament du sang : Catherine semble croire que la justice divine y est intéressée, autant que sa propre politique : impassible, in nomme Domini, selon l’expression naïvement effroyable de Bernardi, elle fait décapiter en place publique et écarteler les condamnés, en forçant au métier de bourreau le sujet fidèle, mais le soldat inepte qui s’était laissé enlever la porte Cotogni. Toutefois, elle se refusa à outrepasser la justice, défendit contre la lâcheté sacrilège de la foule les restes des suppliciés, et, les principaux auteurs châtiés, fit grâce aux moins compromis. Elle s’était d’ailleurs attachée à suivre scrupuleusement les formes : « La dite Madame alla à la rocca comme vraie ambassadrice du seigneur comte son mari, et comme dame de grande justice, laquelle voulait continuellement aller avec le pied de plomb… et ne pas courir en furie, afin que le Tout-Puissant Dieu Eternel ne lui pût jamais reprocher aucune chose qu’elle eût mal faite, et aussi qu’aucune personne ne se pût jamais plaindre que Sa Seigneurie agisse par force et non par raison[12]. » Justice sévère, promptitude de résolution, lenteur et sûreté d’exécution, respect des apparences et des usages, affectation de générosité, souci et art de mettre Dieu au service de sa maison, que de machiavélisme, dès la fin de 1487, en cette jeune femme de vingt-cinq ans !


II

Pour cette jeune femme déjà se pose, et bientôt se posera si pressante qu’elle ne pourra l’esquiver, la grande question machiavélique : « Vaut-il mieux se faire craindre ou se faire aimer ? » Et elle essaiera de se faire aimer, mais, n’y réussissant pas à son gré, elle saura du moins se faire craindre. Ou plutôt elle s’efforcera de faire à la fois l’un et l’autre, et de concilier la sévérité avec la justice. Pourtant sa justice est terrible. Après l’assassinat de Girolamo Riario par Lodovico et Checco Orsi, Giacomo Ronchi et Lodovico Pansechi, à peine prend-elle le temps de pleurer ; tombée, avec ses six enfans, aux mains des meurtriers qui la traitent « plus durement que ne l’eussent fait les Turcs[13], » elle ne fléchit pas une minute ; elle ne pense qu’à « conserver l’État, » et, voulant le conserver, elle dispose tout plus encore pour l’exemple que pour le châtiment. Tout à fait à la première heure, parmi les gens d’armes qui, dans des intentions diverses, se réfugient à la rocca, elle glisse un homme à elle, chargé de faire écrire par le châtelain à Bentivoglio de Bologne et au duc de Milan, afin qu’ils la secourent. Elle reçoit dignement, quoique froidement, Mgr Savelli, protonotaire et gouverneur de Cesena, venu aussitôt, à la demande des traîtres, pour prendre possession de Forli, au nom de l’Église. Mais elle ne peut supporter le mauvais prêtre qui s’ingénie à obtenir d’elle la reddition de la rocca, en lui tenant cet odieux langage : « Le comte a été tué pour ses péchés, et, vous-même, le péché d’avoir persécuté des prêtres et des frères et d’avoir pillé des églises vous fera mal finir. Or donc, ma sœur, prenez-en votre parti et donnez-nous cette rocca ; autrement, vous ne mangerez ni ne boirez jusqu’à ce que vous nous l’ayez fait donner, et ainsi nous vous laisserons mourir de faim. » La comtesse étouffe, est comme syncopée d’indignation et de colère : elle n’a que la force d’appeler Lodovico Orsi, dans la maison de qui elle est gardée à vue : « O Messer Lodovico, lui dit-elle, je vous en prie pour l’amour de Dieu, ôtez d’autour de moi ce prêtre ! » Les plus sages de ses sujets, ceux qui la connaissent le mieux, ne se trompent pas sur ce qui se passe et ce qui s’apprête dans son âme. Niccoló Tornielli conseille prudemment de ne pas la pousser à bout. « Sinon, il pourrait en découler pour la cité des conséquences très funestes, car elle est d’esprit subtil, et d’un cœur connu de tous, et fière aussi et inexorable en ses vengeances[14] »

Ici réapparaît le machiavélisme prémachiavélique de Catherine[15]. Le protonotaire Savelli insiste et fait insister auprès d’elle pour que la rocca lui soit rendue, sachant bien que, tant qu’il n’a pas le château, il n’a pas la ville. Elle, qui a sur-le-champ averti le duc de Milan, son frère, et son voisin de Bologne, Bentivoglio, elle n’a qu’à traîner les choses en longueur, et par conséquent elle peut tout promettre, pourvu que l’on ne tienne pas. Pour la troisième fois, elle se rend au pied de la rocca de Ravaldino, et, pour la troisième fois, le châtelain se met aux créneaux ; mais, cette fois, Madame n’est pas libre et maîtresse ; ce sont ses ennemis qui l’y ont conduite. De haut en bas, entre la comtesse et son châtelain, voici le dialogue qui s’engage :

« Cède la rocca à ceux-ci, crie Catherine, pour que je ne sois pas mise à mort avec tous mes enfans !

— On m’enlèvera d’ici en morceaux ! répond le châtelain. Je ne cède rien.

— Ils me tueront !

— Et qui donc ?… Il leur faudra se sauver ensuite du duc de Milan. »

Puis, suivant le jeu de scène ordinaire, le châtelain tourne le dos et s’en va. Il a deviné la comédie (stylé d’ailleurs dès le début) et du coup il y prend son rôle. Mais l’un des conjurés, Ronchi, qui a longtemps vécu près de la comtesse, ne s’y méprend pas, lui non plus : « O madame Catherine, lui crie-t-il en lui plantant les yeux en face, si tu voulais, il nous la donnerait, mais c’est toi qui ne veux pas qu’il nous la rende ; je ne sais quelle envie me vient de te passer cette pertuisane au travers du corps et de te faire tomber morte. » Ce disant, Ronchi se permet de joindre le geste à la parole, et touche de la pointe du fer la poitrine de la comtesse. Elle, immobile et dédaigneuse : « O Jacomo da Ronco, dit-elle, tu ne me fais pas peur ; tu peux me faire mal, mais peur non pas ; car je suis fille d’un homme qui n’avait pas peur. Fais ce que tu veux. Vous avez tué mon seigneur, vous pouvez bien me tuer, moi qui suis une femme[16]. » Le lendemain, même cérémonie devant la rocca de Schiavonia que devant la rocca de Ravaldino. Catherine s’approche : « O châtelain, dit-elle, donne la rocca à ceux-ci, comme j’y consens. — O madame, répondent Bianchino et son frère, que Votre Seigneurie nous pardonne ; vous ne nous avez jamais donné cette rocca, et nous ne voulons la donner encore ni à vous, ni à personne. Maintenant ôtez-vous de là ; sinon, nous vous ferons tirer dessus. O messer Lodovico, ôtez-vous de là. » Dans la ville, les bons bourgeois font ce qu’ont toujours fait les bons bourgeois en temps de révolution : ils font des vœux discrets pour l’ordre, mais ne se compromettent point au-delà. Le chroniqueur, peintre, musicien et maître à danser Cobelli voit passer le triste cortège : Lodovico et ses partisans, « les princes et les phariciens, cum seniore, et scribas ; Catherine, au milieu, environnée de piques. Il en est tout ému, et nous le confie en sa prose mêlée de romagnol et de latin. « Ils menèrent Madame à la maison de l’Urso avec ces fustibus et lanternis[17]. Je veux vous dire le vrai ; à moi, il me paraissait certes que ce fussent et qu’ils menassent Madame comme faisaient ces juifs quand ils menaient, ainsi armés, Jésus-Christ à Anne et à Caïphe et à Pilate ; ainsi paraissait-il qu’il en fût de madame la comtesse. Certes, cela me paraissait une compassion et cela me serrait dans les épaules, parce que j’avais reçu bienfait de sa seigneurie ; mais il me fallait rester coi, propter timorem zudiorum (Judærum). » Tout le monde tremble, sauf Catherine qui, lorsqu’elle n’est plus chez les Orsi, lorsque Savelli l’a fait déposer, sous la garde de trois gentilshommes, à la rocchetta de la porte San-Pietro, reprend hardiment et habilement l’offensive. Dans la chambre étroite où ils sont entassés, elle-même, sa fille Bianca, ses cinq fils, les deux derniers avec leurs nourrices, sa mère Lucrezia Landriani, et sa sœur Stella, c’est un concert de pleurs et de gémissemens. Mais il y a vraiment en elle de la grandeur romaine ; la virago se montre vraiment presque vir ; elle est vraiment princesse, et vraiment presque le Prince. « N’ayez pas peur, répète-t-elle aux siens, et surtout, ce qui serait pis, n’ayez pas l’air d’avoir peur. » Muzio Attendolo et le duc Francesco, ses ancêtres, n’avaient jamais su ce que c’était que la peur, et c’est pourquoi ils avaient échappé au fer, au feu, aux trahisons, pourquoi ils avaient été en leur temps de grands princes et de grands condottieri de guerre… Elle aussi, quand elle était petite, elle avait eu son père assassiné, assassiné aussi par ses gens ; pourtant elle n’avait pas perdu courage… Que ses enfans fassent comme elle avait fait ! » Toute sa pensée, toute sa volonté sont maintenant tendues sur ceci : rentrer dans sa bonne rocca de Ravaldino, et de là défier ses ennemis, et là rétablir la fortune. Elle monte ce coup de ruse et de force comme elle en a monté tant d’autres. Elle a ses émissaires, ses intermédiaires, qui vont et viennent de la rocca à la ville, qui circonviennent le protonolaire effaré, les magistrats irrésolus, les conjurés hésitans et divisés. « Le châtelain de Ravaldino, » insinue Francesco Ercolani, « homme de bien, très sagace et malicieux, ne demanderait pas mieux que de rendre la rocca, mais il ne veut point passer pour félon, il veut le consentement de la comtesse, il veut un certificat de bons et loyaux services. Si seulement il pouvait parler à Madame sans témoins ! Si seulement la comtesse pouvait pénétrer dans la rocca ! Seulement pour quelques heures, pour trois heures seulement ! Elle laisserait en otage ses six enfans, sa sœur, sa mère. Et lui-même, Ercolani, il laisserait comme otages ses propres fils. »

Peu à peu l’idée chemine. Le gouverneur dit oui. Mais les Orsi, qui savent ce qu’ils risquent et contre qui ils le risquent, s’obstinent à dire non. Le plus qu’ils puissent consentir, c’est de ramener encore une fois Catherine au pied de la muraille ; et qu’encore une fois, de bas en haut, entre elle et le châtelain, la conversation s’engage. Ils l’y ramènent, et elle crie, elle adjure, elle pleure. Le châtelain est de pierre comme la tour à laquelle il est adossé : « Ah ! si du moins, dit-elle, je pouvais entrer dans la rocca pour vous parler seule à seul, je vous expliquerais bien la condition des choses, et je vous persuaderais en vérité de céder ! — Même en ce cas, répond le châtelain, je ne sais pas ce que je ferais ; tout au plus me réglerais-je sur les propositions que vous pourriez faire. Au reste, quant à, moi, j’ai déjà déclaré au gouverneur et à tous que, pour en finir, je permets et même je veux que vous entriez dans la rocca, pourvu que vous y entriez seule ! » Vainement les Orsi dénoncent le piège : Mgr Savelli, qui regarde partout s’il ne voit pas venir les soldats du duc de Milan, interpose son autorité, l’autorité pontificale à laquelle Forli s’est donnée. La comtesse s’avance, le pont-levis s’abaisse, elle le franchit. Alors elle se redresse de toute sa taille, se retourne, lance un geste d’insulte à ceux des prises de qui elle s’échappe, et, triomphante, entre dans la rocca.

C’est d’ailleurs, pour Catherine, si la légende doit s’élever jusqu’à l’histoire, l’heure des gestes obscènes et héroïques : « Oh ! mon cher Tommasino, s’est-elle écriée aussitôt que la porte s’est refermée sur elle, que nous sommes bien ici dedans ! Enfin, plus d’assassins, plus de traîtres ! » Mais ses six enfans-sont dehors, et ils ne sont pas bien, eux, les innocens, à la discrétion de ces assassins et de ces traîtres ! On va jouer de l’amour maternel pour tenter de fléchir l’âme inflexible de la comtesse. Jeu cruel qui glacera d’épouvante les pauvres petits et qui ne réussira qu’à faire de la mère une folle sublime, une bête superbe, une tigresse, une lionne. D’après la légende, les enfans sont là, de l’autre côté du fossé, sanglotant et se lamentant, sous le couteau levé des Orsi. Que la rocca se rende ou ils sont égorgés : « Imbéciles ! dit Catherine, en se découvrant, n’ai-je pas le moyen d’en faire d’autres ? » Et voilà résumé, dessiné, à jamais gravé dans la mémoire populaire, tout le personnage de Catherine, en un mot, en une posture. L’histoire, maintenant armée de la critique des sources, prétend au contraire que la chose s’est passée bien plus simplement. A l’heure où les Orsi ont traîné devant la rocca, non pas tous les enfans, mais les deux fils aînés de Catherine, et la font implorer successivement par la nourrice, par sa sœur Stella, par Ottaviano et Livio, la comtesse, brisée de fatigue et d’émotion contenue, est couchée dans le maschio, ou tour centrale de la forteresse, et profondément endormie. Elle ne s’éveille que lorsqu’un tumulte éclate, bruits de rixe, course d’hommes, coups de feu : tumulte artificiel, fausse alarme provoquée par le châtelain qui redoute que, de la chambre haute, où il l’a prudemment reléguée, malgré l’épaisseur des murs, elle n’entende l’appel aigu des chères voix suppliantes, « que cette pauvre madame ne s’attendrisse d’amour et de pitié, et que le cœur ne lui saute hors de la poitrine. » Catherine croit que les révoltés donnent l’assaut à la rocca ; elle se jette dans l’escalier, descend, arrive jusqu’au rempart, les cheveux défaits, en chemise, à demi nue. De là, la légende. Mais, rectifie l’histoire, à ce moment la comtesse est plus terrifiée que terrible ; et ni de la posture, ni du mot, ni Cobelli, ni Bernardi, aucun des chroniqueurs, aucun témoin, aucun contemporain ne parlent. Machiavel en parle, sans doute, mais il n’est venu à Forli, il n’a connu personnellement Catherine qu’onze ans après, en 1499. Qu’importe, n’est-ce pas Machiavel qui a raison ? A tout le moins, il sent mieux que personne ce qu’il y a en Catherine de machiavélique, et, s’il l’y met, c’est qu’il le sait bien placé en elle. Ici encore, comme dans tant de cas, la légende est plus vraie que l’histoire, et Catherine est plus Catherine, telle qu’elle aurait pu être et que probablement elle n’a pas été.

Si, déprimée par les jours affreux qu’elle traverse, Catherine n’a pas été telle à cette minute-là, qui cependant est bien restée pour elle une minute « psychologique, » c’est alors, à cette minute-là, qu’elle n’a pas été elle-même ; mais tout de suite elle se retrouve, et tout de suite nous la retrouvons. Elle fait braquer sur la ville les canons de la forteresse et de temps en temps tirer une volée. Les boulets portent de sa part aux habitans de Forli cet avertissement : pour l’assassinat de Girolamo elle punira seulement les coupables ; mais si l’on touche à ses enfans, elle réduira en cendres et en poussière toute la ville. Puis elle charge ses bombardes d’épieux dont la pointe est enveloppée de papiers où il est écrit : « Forliviens, mes Forliviens, sus à mes ennemis, tuez-les tous ! Je vous promets qu’au retour, je vous tiendrai toujours pour bons frères. Faites vite, ne craignez rien. L’armée milanaise est aux portes ; sous peu, vous aurez la récompense, et eux le châtiment bien mérité. »

L’armée milanaise, en effet, hâtait sa marche. Déjà Bentivoglio de Bologne occupait les villages voisins. Cinquante cavaliers, envoyés par un des cardinaux parens de la comtesse, étaient venus renforcer la rocca. Les secours pontificaux que Mgr Savelli attendait dans les transes et promettait au besoin par de faux brefs[18], comme pour se rassurer lui-même, n’apparaissaient pas. Voyant venir l’expiation, les meurtriers du comte, qui depuis un mois se posaient en libérateurs, les Orsi, les Ronchi, les Pansechi, avec leurs familles et leurs partisans, prennent la fuite : c’est vers Cervia, où les Vénitiens ne veulent pas les recevoir, et vers Città di Castello, un misérable exode de dix-sept personnes. Et c’est la restauration des Riari, d’Ottaviano et de sa mère, régnant et gouvernant en son nom, en son lieu.


III

La conduite de Catherine, reprenant possession de Forli, est pleinement machiavélique, c’est-à-dire que tous les élémens y sont de la politique dont, une vingtaine d’années plus tard, Machiavel donnera la formule. Premièrement, la modération ou l’apparence de la modération dans la victoire. La comtesse empêche le sac de la ville, auquel rêvent, depuis des jours et des jours, les Milanais. Et peut-être le fait-elle autant pour elle-même qui y perdrait ce qu’une insurrection pillarde lui a laissé que pour ses sujets qu’elle veut ménager, pour « les femmes et les filles » dont, avec une pudeur justement alarmée, elle prend l’honneur en sa garde. Ensuite, l’apparence d’une stricte, mais équitable justice ; les coupables seront punis, mais les coupables seuls, et c’est à peine si, voulant atteindre un ennemi, l’on s’arrangera pour le trouver coupable, les formes sauves autant que possible. Ainsi le vieil Orso, père de Lodovico et de Checco Orsi. Il semble bien qu’il n’ait point approuvé, ni même connu à l’avance le crime de ses fils, et si Cobelli n’invente pas, il leur aurait, le coup fait, tenu ce petit discours, lui aussi très machiavélique, car le machiavélisme est partout dans l’air de l’Italie de ce temps-là, et Machiavel n’aura qu’à le recueillir : « O mes fils, vous n’avez fait chose ni bonne ni belle, parce que, selon moi, vous avez doublement mal fait. D’abord, puisque vous tuiez le comte, vous deviez en finir avec tous, ou les laisser vivre, mais les mettre tous en prison. Et puis vous avez laissé entrer Madame dans la rocca, d’où elle va vous faire une guerre mortelle… Allez ! allez ! vous vous êtes conduits comme des petits enfans (da mammoletti) ; vous vous en repentirez et en porterez la peine ; puissiez-vous au moins ne pas la faire porter à d’autres, et même à moi, qui suis vieux et malade ! Pour moi, je vois bien où vous irez finir. » Mais il importait à Catherine que, Lodovico et Checco s’étant enfuis, la famille scélérate des Orsi fût frappée et comme anéantie en son patriarche. Devant lui, on rasa sa maison ; on chassa, pauvres et nus, ses enfans et petits-enfans ; après quoi, on le livra, pour que le bourreau en fît à sa fantaisie, à cet horrible Babone qui, au milieu de tous « ces stradiotes malandrins, » faisait à Cobelli l’effet d’un Turc entouré de Turcs. Et devant ces ruines, et durant le supplice, la dernière parole de ce vieillard de quatre-vingt-cinq ans fut un désaveu, presque un anathème : « O mauvais fils, où m’avez-vous conduit ! » Il mourut sous un abominable raffinement de tourmens et d’outrages, comme étaient morts, la veille, Marco Scossacarri, Pagliarino, Pietro Albanese, comme devaient mourir dix autres, et, dans la suite, d’autres encore. Les cadavres furent dépecés, déchirés, déchiquetés ; on s’en disputa les membres, on en enleva et estima la graisse : « Scossacarri en avait une couche de près de deux doigts ; » l’Albanese n’en avait guère moins : « c’était un beau corps d’homme blanc et coloré. » Autour de cette chair en lambeaux, traitée comme viande de boucherie, « come carne in beccaria, » se déchaîna une danse de sauvages : un soldat « arracha le cœur du vieil Orso, le mit tout sanglant à sa bouche et mordit dedans ainsi qu’un chien. » Plus de deux cents maisons, dans le seul bourg de Ravaldino, subirent le même sort que la maison des Orsi : tandis qu’on y était, on vengea par les peines les plus lourdes les plus légères injures ; ce fut une fureur d’espionnage et de délation ; un mot perdait un homme : Pietro Albanese périt pour avoir été « grand parleur, » car « celui qui profère l’offense écrit sur la glace, mais celui qui la reçoit écrit sur le marbre. »

Cependant la comtesse, tout en recherchant et en accusant elle-même, en accablant de ses invectives quiconque, de près ou de loin, pouvait avoir participé à l’assassinat de Girolamo, s’attachait à mettre hors de cause les parens, les femmes, les enfans, les proches des condamnés ; elle refusait de profiter de leurs dépouilles, et, parmi toute cette barbarie lâchée volontairement pour produire un effet d’effroi, elle réussissait à se donner encore un air de générosité, de pitié, de clémence. Elle inaugure une sorte de gouvernement direct, familier, et pour ainsi dire « bonhomme, » alla buona, dont tout le prestige, toute la force est en elle, « où chaque citoyen se sent voisin de cette souveraine qui peut devenir formidable, et lié à sa personne par une espèce de fascination singulière[19]. » C’est toujours l’éternelle question : se faire aimer ou se faire craindre ? Catherine répond comme Machiavel répondra : se faire craindre et se faire aimer, mais ne pas craindre de se faire craindre et ne pas trop aimer à se faire aimer, parce qu’il appartient toujours au prince, il dépend toujours de lui de se faire craindre, mais il ne dépend pas de lui, il ne lui appartient pas de se faire aimer : les hommes aiment à leur gré, mais ils craignent au gré du prince. Pour le moment, après justice faite, après ces coups frappés et sans préjudice des coups que directement ou indirectement elle se réserve de frapper encore, la comtesse reçoit de nouveau, au nom de son fils et au sien, le serment des chefs de famille de Forli. Ils s’agenouillent à ses pieds et, la main posée sur les saints Évangiles, jurent fidélité aux Riari. Peut-être leur seront-ils en effet plus fidèles qu’elle-même, car déjà, en plein exercice de sa force et quand elle use ainsi de son prestige, elle succombe à son unique faiblesse : l’amour tue en elle la veuve et la mère, elle a ses grandes misères que l’on connaît et une bien plus grande misère encore que l’on ne connaît pas. Elle aime ardemment, follement, en femme de trente ans, — et quelle femme ! du sang des Sforza, c’est tout dire, — un beau jeune homme de sa cour, plus ou moins cousin de Girolamo, et frère du châtelain de Ravaldino, Giacomo Feo.

Amour violent qui veut être apaisé, mais qui doit compter avec tous les scrupules, et qui ne peut s’apaiser que dans le mariage ; mariage difficile, et qui heurterait tant de préjugés : déplorable et tragique amour. En Catherine, le cœur et la conscience se livrent un affreux combat : les poètes n’en ont pas chanté de pire : sans ce mariage, elle perd Giacomo ; mais par ce mariage, s’il est su, elle perd l’Etat. Qui l’emportera des deux, de sa déraison ou de sa raison, de la plus haute des raisons qui puissent guider une princesse, de la plus profonde des déraisons qui puissent entraîner une femme ? Elle tombe, elle épouse. C’est encore, comme Girolamo, un médiocre, et même moins ; c’est un bellâtre, vain et jouisseur, qui s’affiche, et qui, en s’affichant, l’affiche, et qui, en s’exaltant sans mesure, l’humilie. Elle l’adore, le hait, le méprise, se méprise un peu soi-même de ne pas le haïr davantage, et se hait d’être obligée, à cause de lui, de se mépriser devant ses fils, qui devinent, qu’on instruit, et vis-à-vis desquels il s’oublie parfois jusqu’à lever la main sur eux. Elle est aux aguets, soupçonneuse, l’oreille tendue à tous les bruits, prête à renfoncer dans la gorge des médisans les mots même qui n’en sortent pas. Mais comment empêcher de bavarder une petite ville ? Giacomo ne garde aucune retenue ; il parade et ordonne en maître : la comtesse ne voit, ne parle, n’agit plus que par lui. « Ils supporteront toute extermination, écrit Bello da Castrocaro, et Madame ensevelira plutôt toutes leurs personnes, et ses enfans, et ses biens, ils donneront plutôt l’âme au diable et l’Etat au Turc que de s’abandonner jamais l’un l’autre. » Le commissaire florentin à Faenza, Puccio Pucci, ajoute, dans une lettre à Pierre de Médicis : « Les choses en sont à tel point que d’ici peu on devra nécessairement en venir à une catastrophe. Il faut qu’à toute force il arrive un de ces trois faits : ou que Catherine fasse assassiner son amant, ou que l’amant fasse assassiner Catherine avec tous ses fils, ou qu’Ottaviano, qui montre des esprits hardis, devenu adulte, fasse mourir sa mère avec son amant de mauvais augure. — Si donc messer Jacopo (Giacomo Feo) a de la cervelle, comme on dit qu’il en a, il faut qu’il pourvoie à sa sauvegarde, et qu’il n’attende pas qu’Ottaviano se fasse homme. » Machiavel n’eût pas mieux construit cette espèce de syllogisme. Mais Giacomo Feo eut moins de cervelle qu’on ne lui en croyait, ou plus de présomption, et un soir, au retour de la chasse, presque sous les yeux de Catherine, il fut précipité de cheval, percé, criblé de coups de poignard. Alors la folie sanguinaire qui avait emporté la comtesse après l’assassinat de Girolamo, la rage rouge la reprit, plus rouge et plus sanguinaire dix fois. Ah ! cet homme, son Jacopo, par instans sans doute elle l’eût voulu mort, mais elle sentait trop qu’il était sa vie. Et l’on insinuait, les meurtriers alléguaient pour leur défense qu’ils avaient cru lui complaire en l’en défaisant. Pour un peu, ils auraient déclaré que c’était elle qui l’avait fait assassiner. Avec quelle âpre et amère énergie elle s’en défendait : allons ! est-ce que les Sforza n’assassinaient pas eux-mêmes ? et pour une seconde vengeance, auprès de laquelle l’autre fût douce, comme prix d’un second veuvage, elle entassait victimes sur victimes, par les mains expertes d’un Mongiardini, moins humain encore que Babone. Il n’est pas de tableau, si poussé qu’il soit à l’horreur, qui donne le frisson plus que ce simple extrait de la liste dressée par le curieux et indilièrent Cobelli :

D’abord ceux qui l’ont tué (Giacomo), qui sont morts :

Zan Antonio da Ghia (Gian-Antonio Ghetti) fut tué et pendu, et la tête sur la tour : 1
Don Domenico fut traîné et pendu, et la tête sur la tour : 1
Don Antoni da Valdenosa fut traîné et pendu, et la tête sur la tour : 1

Maintenant disons les enfans morts pour la cause de la mort de Messer Jacomo Feo. D’abord :

Deux petits enfans, l’un de quatre ans et l’autre d’un an : 2
Et une fille de l’âge de neuf ou dix ans, tous les trois enfans de don Antonio de Valdenosa ; sont morts : 1
Trois enfans de Bernardino da Ghia et la femme enceinte, tous morts : 5
Un petit enfant de Zan Antonio da Ghia, mort : 1
Deux petits enfans de Filippo de maître Jacomo da li Selli, morts : 2
Quatre enfans de Pierre de Brocco, deux garçons et une fille, et un mort : 4
Deux enfans de ceux de l’Urso, déjà pris au temps du comte Gerolimo, sont morts : 2


« Mort, mort, mort… » et que d’autres morts encore ! Cobelli en énumère, outre ceux-là, dix-neuf ou vingt, mis à la torture ; encore des enfans :

Les jeunes fils d’Agostino de Marcobello, torturés, morts…
Lodovico, alias Scatarello, fils de Bartolo Marcobello…
mortus est (sic).


Laissons cela. Nous n’avons insisté là-dessus que pour bien faire sentir quelle fut cette femme, — un des types représentatifs de son pays et de son temps ; — mais nous n’avons tenu à le bien faire sentir que pour bien faire comprendre comment cette femme, en tant que type représentatif, devait être un des modèles, un des « sujets » de Machiavel et contenait en elle les élémens premiers du machiavélisme essentiel, de ce que nous avons appelé le machiavélisme prémachiavélique. Et elle fut telle jusqu’aux dernières heures de sa domination : abordable et altière, attentive à se faire craindre et à se faire aimer, mêlant et comme dosant la douceur et la rigueur, prête à tout acte débonnaire ou à tout acte tyrannique selon qu’elle jugeait l’un ou l’autre utile à sa fin (s’il en fallait de nouveaux témoins, les réfractaires de Forli, Ramberto da Sogliano, Corbizzo Corbizzi, Galeotto de Bosi en pourraient servir)[20] ; capable de pardon et incapable d’oubli, capricieuse et tenace, pieuse et sensuelle, scrupuleuse et fausse, trompant sans vergogne les ducs de Milan, son frère et son oncle, qui, du reste, ne se privaient pas de la tromper ; — faisant dire d’elle par le doge de Venise : « Comme il ne faut pas se fier aux prêtres, pareillement il ne faut pas attacher foi aux femmes, » et par l’ambassadeur de Ludovic le More près de Giovanni Bentivoglio de Bologno : Maledictus homo qui confidit in homine, et maxime in muliere ! mais, avant tout, après tout, et par-dessus tout, c’est une Sforzesca, elle est Sforza, elle a au plus haut degré le sens de sa maison, elle a le sens de l’Etat, ou plutôt le sens de sa maison tend sans cesse chez elle à se confondre avec le sens de l’Etat. On n’ose dire qu’elle ait au même degré, ni peut-être à aucun degré encore, le sens de sa nation : il manque à son machiavélisme la plus noble, la plus pure, la plus éminente expression du machiavélisme, le patriotisme italien. Son grand regret, son grand chagrin, sa grande peine est que de ses sept enfans et de ses six fils (cinq de Girolamo Riario, un de Giacomo Feo), pas un, pas même l’aîné, ce lourd et épais Ottaviano auquel elle s’ingénie à procurer une condotta des Florentins et pour qui elle a rassemblé une magnifique compagnie d’hommes d’armes, pas un ne soit apte à faire reverdir la souche robuste du vieil Attendolo et de Francesco, ses aïeux ; que pas un ne soit un Sforza ; bons pour faire des prêtres, des évêques, mais non des capitaines de guerre. Et c’était en son cœur viril le tourment dantesque du disio, du grand désir insatisfait. Toutefois elle eut la consolation, par un troisième mariage, — car deux maris assassinés n’avaient pas guéri de l’amour cette incurable amoureuse, — de donner le jour, gloire et joie de sa maternité, à ce Jean de Médicis, qui devait être en même temps le dernier des condottieri illustres et sous certains rapports le premier des tacticiens modernes, belle et rude plante d’homme, et en vérité vir né d’une virago, merveille de virtù et dans sa vie et dans sa mort, Jean des Bandes Noires, Jean d’Italie, Giovanni d’Italia : Machiavel n’est plus très loin, et, dans ce seul surnom, n’y a-t-il pas comme un balbutiement de l’exhortation au prince qui doit venir chasser d’Italie les barbares ?


IV

Mais, en attendant, voici venir le vainqueur de Catherine. C’est un autre prince, et celui-là, c’est le Prince. Cum numine Cæsaris omen, ainsi qu’il est gravé sur l’admirable épée que conservent dans leurs collections les ducs Caëtani de Sermoneta. César Borgia n’est plus un cadet voué perpétuellement à l’autel, il n’est plus le cardinal de Santa Maria Nuova, il a rejeté la cape et déposé le chapeau pour coiffer le beretto de gonfalonier de l’Eglise et de capitaine général des troupes pontificales. Il est devenu, par l’intrigue, l’époux de Charlotte d’Albret, sœur du roi de Navarre et pupille de la reine Anne, le parent et le protégé de Louis XII, César Borgia de France, duc de Valentinois ; et, par le crime probablement, l’aîné des fils du pape Alexandre VI. En effet, Giovanni, duc de Gandia, avait disparu dans la nuit du 14 juin 1497. La dernière fois qu’on l’avait aperçu vivant, il revenait de souper, avec son frère César, chez leur mère, la Vannozza. Sortis ensemble, montés, ils s’étaient séparés peu après, le duc suivi d’un homme masqué, qui depuis longtemps l’accompagnait toujours, et d’un estafier qu’il avait laissé piazza de gli Ebrei. Le lendemain on avait retrouvé l’estafier étendu sur le pavé, blessé et incapable de rien dire, et la mule du duc errant dans Rome, un étrier coupé. D’abord le Pape avait souri, ipsum dacem alicubi cum puella intendere luxui sibi persuadens[21]. Mais tout à coup le bruit se répandit, sans que l’on sût d’où, que le duc avait été jeté dans le Tibre. Un Esclavon marchand de charbon à Ripetta raconta comment, couché dans sa barque, il avait vu arriver un cavalier, suivi de deux piétons, et portant en croupe un cadavre que tous trois avaient lancé au fleuve. Interrogé pourquoi il n’avait pas parlé plus tôt, il avait répondu tranquillement que cent fois dans sa vie il en avait vu faire autant, sans que cela tirât à conséquence ; et qu’ainsi il n’y avait pas pris garde[22]. Les mariniers envoyés en grand nombre pour fouiller le Tibre en retirèrent le corps du duc, encore chaussé de ses bottes éperonnées et vêtu de son manteau. Il avait les mains liées ; neuf blessures aux bras, au buste, à la tête, dont une mortelle au visage ; dans sa bourse, trente ducats, signe évident qu’on ne l’avait pas tué pour le voler.

Alexandre VI, quand il sut qu’on avait retrouvé son fils jeté au fleuve comme une ordure[23], s’enferma dans sa chambre et pleura très amèrement, refusant d’ouvrir pendant plusieurs heures et restant sans manger ni boire pendant plusieurs jours, du mercredi au samedi, sans dormir du jeudi au dimanche. « Si nous avions sept pontificats, gémit-il dans le consistoire public qu’il tint le 19 juin, nous les donnerions tous pour avoir la vie du duc[24]. » Cependant les Espagnols de la suite de Gandia couraient Rome furieux, cherchant l’assassin. On soupçonnait tout le monde, les Colonna, les Orsini, Bartolommeo d’Alviano, le cardinal Ascanio Sforza, Giovanni Sforza de Pesaro, le mari de Lucrèce « répudié par elle comme impuissant, » un troisième frère de Giovanni et de César, le faible et timide Gioffre, prince de Squillace, dont la femme, dona Sancha d’Aragon, n’en avait que trop fait, incestueusement, pour exaspérer et armer sa jalousie. César ne quittait pas son palais du Borgo Sant’Angelo, tout entier en apparence aux préparatifs de l’ambassade qu’il allait remplir à Naples. Il partit le 22 juillet sans que le Pape l’eût reçu. À son retour, le 6 septembre, lorsqu’il se présenta devant le Souverain Pontife, arrivé au pied du trône, il s’inclina, puis monta les marches. Alexandre VI, froidement, l’embrassa au front, sans un mot : Non dixit verbum Papæ Valentinus nec Papa sibi, note Burchard. Solo le bacciò, ajoute Sanudo. Qu’y avait-il dans cette retraite, dans ce silence et dans ce baiser ? Tous les ambassadeurs des villes italiennes qui étaient là, épiant le moindre geste, pensèrent le comprendre. Vénitiens, Florentins, Ferrarais, ils s’entendirent. Ils tremblèrent et ils admirèrent. « Certainement, avait écrit, dès le début, l’un d’entre eux, Alessandro Bracci, celui qui a mené la chose a eu et de la cervelle et bon courage ; et, de toute façon, on croit que ç’a été un grand maître[25]. »

César était donc, depuis 1497, en état de devenir prince. Il avait été, le 19 décembre 1498, nommé administrateur des biens du fils de Gandia, substitué dans son duché et dans ses possessions féodales de Sessa, de Teano, de Carinola et de Montefoscolo[26]. C’était pour lui, son fils aimé, son cœur, que le Pape, n’ayant rien de plus cher, — cor nostrum, videlicet dilectum filium que nihil carias habemus, — faisait main basse sur les biens des barons et des cardinaux, des Colonna, des Orsini, des Caëtani, des Savelli, des Pojano, des Magenza, des d’Estouteville. C’était pour lui qu’il voulait un royaume, sans bien savoir d’abord où il le lui trouverait, s’il demanderait au roi de Naples la principauté de Tarente, la terre de Bari au duc de Milan, à la maison d’Aragon une province en Espagne, ou s’il prendrait Ferrare aux Este, avec lesquels d’ailleurs, dans le même instant, il s’alliait par le mariage de Lucrèce. C’était pour lui, enfin, qu’en ses jours les meilleurs, porté au-dessus de lui-même et au-delà, de son siècle par un amour sans bornes, — svisceratissimo amore, — il s’élevait jusqu’au grand dessein de faire l’Italie une tout d’une pièce, tutta di uno pezzo. Mais par où commencer, et comment travestir cette entreprise des Borgia en reprise de l’Eglise ? Justement l’Église avait en Romagne, à Imola et à Forli, une « fille d’iniquité, » Catherine Sforza, qui, ne tenant qu’à titre précaire et en vicariat, au nom des Riari, les villes qu’elle gouvernait, ne payait point les redevances. En vain elle excipait de titres autrefois octroyés par Sixte IV, et dont la confirmation avait été par elle péniblement arrachée à Innocent VIII ; en vain elle revendiquait l’arriéré des 60 000 écus d’or dus encore par le Trésor pontifical au comte Girolamo, son premier mari ; en vain même elle offrait, déduction faite de ce que le Saint-Siège lui devait de ce fait, à elle et à ses enfans, de s’acquitter tout de suite de ce qu’elle lui devait. Alexandre VI voulait un État pour César, et il en avait là au moins le noyau. Ferrare était trop grand ; la famille ducale, riche de trois fils, hommes faits, était trop forte. Ici, l’on ne se heurterait qu’à une veuve, — virile, il est vrai, capable de se défendre et bien apparentée, mais quand même une femme, avec Ottaviano, à peine un homme, entre ses frères plus jeunes ou tout jeunes. Depuis longtemps déjà, le Pape avait eu l’idée que c’était ici qu’était le joint, et qu’il fallait piquer la pointe. Il n’hésitait plus que sur la manière. Son premier projet avait été d’insinuer les Borgia en Romagne par le mariage de sa fille Lucrèce et d’Ottaviano, fils de Catherine, préparant ainsi la voie à César qui eût bien découvert un motif et un moyen de passer derrière Lucrèce[27]. Puis la manière forte lui avait paru plus rapide ; il s’était avisé que les cruautés de la comtesse avaient épouvanté ses sujets dans le passé, et les laissaient épouvantés pour l’avenir, que toute la Romagne en criait vers le ciel[28] ; lui, Alexandre VI, il avait entendu ce cri et, ne pouvant permettre que Catherine voulût à tout prix, fût-ce à ce prix, « satisfaire des passions que, si elle se gouvernait par raison, elle devrait ensevelir[29], » par bulle pontificale du 9 mars 1499, contresignée de dix-sept cardinaux, il avait déposé cette « fille d’iniquité, » et investi César de ses Etats. Il ne restait au duc qu’à les aller prendre, et il s’y disposait. De son bureau de la deuxième chancellerie, à Florence, Machiavel voit venir le choc : avec quel soin, avec quelle attention il observe la rencontre de ces deux êtres qu’il sent à lui, dont il fait son bien pour sa future œuvre, l’un qu’il a vu de près, l’été précédent, Catherine ; l’autre auprès duquel il doit, bientôt après, vivre trois mois et demi, César Borgia ! « Trois cents lances françaises, signale-t-il le 15 novembre, et 4 000 Suisses vont partir pour aller aux dommages de Madame d’Imola, tous à la solde du Pape qui veut donner cet Etat, avec Rimini, Faenza, Pesaro, Cesena, Urbino, au Valentinois. On croit que, si les peuples ne font pas à Madame le pis qu’ils puissent, elle se défendra ; et quand même les terres, par la perfidie des peuples, ne se défendraient point, les forteresses se défendront ; en tout cas, il paraît bien qu’elle soit dans cette intention[30]. » Sous l’étendard de l’Eglise, comme pour une croisade, l’armée pontificale s’avance. Belle armée ! « Huit mille Suisses, Allemands ou Français, deux mille Espagnols et Gascons, deux mille frères, prêtres, cantiniers, gourgandines, et deux mille d’une autre canaille, qui en tout montent à la somme de quatorze mille. » En tête, sur un beau destrier, César, avec une armure blanche et la plume blanche, tout blanc ; un virginal et angélique César. Bientôt éclate « la perfidie des peuples » annoncée par le secrétaire florentin, et bientôt s’en découvre le sourd cheminement. « Les terres, » comme il l’avait prévu et prédit, ne se défendent pas. Ce Luffo Numai, comte, chevalier, chef d’une famille antique, illustre, très riche, influente, chez qui la comtesse, dans l’épreuve, avait jadis trouvé un sur secours, se sentant ou se croyant à présent suspect, passe à l’ennemi. Il fait, — si ce ne sont pas les chroniqueurs qui le lui ont fait faire plus tard, sur le modèle des historiens antiques, — tout un discours pour démontrer que « les gens de Forli peuvent honorablement et en bonne conscience abandonner la comtesse[31]. » « En bonne conscience, » et il ergote comme un procureur : « Ottaviano était venu en personne annoncer au Conseil qu’en vertu d’un décret papal il était déchu de ses droits et privé de toute autorité et domaine dans ses États d’Imola et de Forli. Or, une ville, dans ses actes publics et juridiques, doit se conformer aux actes publics et juridiques, non au jugement personnel et particulier de celui-ci ou de celui-là. Si la sentence du pape Alexandre qui dépose les Riari est injuste, il en répondra un jour devant son souverain juge ; mais il n’appartient pas aux habitans de Forli de juger cette sentence, ils sont obligés de s’y soumettre[32]. » Il fait jouer successivement tous les ressorts qui, en se déclenchant, disloquent les âmes ; — la peur : César est aux portes, avec quatorze mille hommes, que faire contre lui ? — l’intérêt : on était heureux sous les papes, avant que les tyrans eussent « pullulé comme mauvaises herbes, » avant les Calboli, les Orgogliosi, les Ordelaffi, sous le cardinal Albornoz, avant le retour des Ordelaffi, avant Girolamo et Catherine ; — la rancune, la haine : qu’avait été le gouvernement des Riari ? exils, bannissemens, confiscations, supplices, du sang, toujours du sang ! Béni soit le gouvernement des Papes, sous lequel il n’y a point de péril de minorité, sous lequel il n’est point possible de tomber aux mains d’une femme ! « Dites-moi, dites-moi de grâce, demandait Numai, quel est celui d’entre vous qui pourrait dire qu’il a eu au moins la liberté de marier à qui il le voulait ses propres filles ? » La comtesse en parle à son aise ; elle est bien close dans sa bonne rocca bien gardée ; mais eux, les bourgeois, dans la ville ouverte ?… Sur cet avis, et sur d’autres avis semblables, la ville s’ouvrit tout à fait. Les quatorze mille hommes d’armes, soudards, aventuriers et aventurières, marchands, rôdeurs et maraudeurs s’y précipitèrent. Chacun se rua où ses goûts, ses instincts, ses cupidités le portaient. Les uns s’abattirent sur les biens, et les autres sur les personnes. Les cloîtres furent forcés. Toutes les cloches sonnaient, toutes les religieuses criaient à l’aide. Il fallut que le duc fit chasser à grand renfort de coups ces endiablés, — indemoniati, — qui ne comprenaient pas quel excès de pudeur lui prenait. Les compagnons de messire Yves d’Alègre marchaient sur de douloureux et dangereux souvenirs. C’était ici, c’était Forli, « la terre qui avait fait jadis la longue épreuve et des Français le sanglant monceau : »


La terra che fé già la lunga pruova
E di Franceschi sanguinoso mucchio[33].


La place, les maisons, les pavés le leur criaient. Rassemblés en cercle autour de la Crocetta, ils dévisageaient longuement la statue de Saint Mercuriale placée sur l’autel et se répétaient l’un à l’autre : « Que veut dire ce poltron d’évêque qui se tient là assis sur le sépulcre des Français nos ancêtres ? Ce peuple l’a fait en mépris de nous, et ce monument est élevé en commémoration de la victoire qu’ils prétendent avoir remportée sur nous. » Vite par terre, l’évêque, et qu’au milieu des injures et des blasphèmes, il roule dans la boue ! Les forcenés eussent mis la statue en morceaux, si quelques-uns, effrayés, reculant devant le sacrilège, n’eussent appelé les moines, qui l’emportèrent, en piètre état, dans leur couvent. Cependant Catherine, seule peut-être dans la cité terrorisée, attendait l’assaut, — imperturbable et farouche. À cette heure qu’elle savait suprême pour les Riari et pour elle-même, ce n’était plus la suppliante écrivant à son oncle, le duc de Milan : « qu’elle était femme et par conséquent de nature peureuse.[34]. » Elle se retrouvait dressée, bandée de toute son énergie, prête pour la dernière partie, pour le salut ou pour la perte. L’héroïque virago avait repris sans effort le ton héroïque des deux fins qui devaient être également sa fin, et auxquelles déjà elle avait échappé, le langage qu’elle parlait au bord du double abîme creusé devant elle avec les tombes de Girolamo et de Giacomo : « Je suis pour sentir les coups, disait-elle, avant que d’avoir peur[35]. » Elle n’avait point d’illusion, et ne se laissait pas prendre au miel dont essayait de l’engluer César : dans la courtoisie et la galanterie du Valentinois, traînait trop l’acre saveur du poison des Borgia. Mais ils rusaient l’un vis-à-vis de l’autre : le lion et la lionne, qui allaient s’entre-déchirer, faisaient à qui mieux mieux le renard. Par les créneaux de la rocca, qui avaient servi de décor à tant de comédies du même genre, ils entamaient des conversations qui étaient des dissertations, et qui eussent réjoui Machiavel, s’il eût pu les entendre :

« Madame, disait le duc, vous savez combien la fortune des États est changeante ; je me rappelle qu’à Rome, outre le reste, on louait en vous l’amour de la lecture et la connaissance de l’histoire. Voici le moment de mettre à profit votre esprit et votre savoir. Je ne veux pas vous exposer la condition des choses, et la cause de ma venue : vous savez tout. Mais j’ai tant à cœur de vous montrer l’estime très haute où je vous tiens et de vous persuader que je ne voudrais jamais non seulement maltraiter, mais même contrister plus que de nécessité votre personne, que je vous propose, je vous conjure, de me céder spontanément cette rocca.

« Je vous promets toutes les conditions les plus avantageuses : je vous ferai assigner par le Pape des Etats, des revenus convenables pour vous et pour vos fils. Je m’en porterai moi-même garant. Vous pourrez vous établir partout, à Rome même s’il vous plaît. Ainsi vous épargnerez à vous-même et aux vôtres des travaux et des périls beaucoup plus grands que vous ne le croyez ; vous ne verrez pas une horrible effusion de sang ; en capitulant à temps, vous serez jugée femme valeureuse, adroite, et vous éviterez que par toute l’Italie on parle mal et l’on se rie de vous comme d’une femme aveugle et folle qui s’obstine à résister à des forces si supérieures. Cédez, cédez donc, Madame ! Cédez à mes prières. »

Et Catherine de répliquer :

« Seigneur duc, la fortune aide les intrépides et abandonne les couards. Je suis fille d’un homme qui ne connut point la peur, et, quelque chose qui puisse m’arriver, je suis résolue à cheminer sur ses traces jusqu’à la mort.

« Je sais combien sont changeantes les fortunes des États ; des histoires, oui, j’en ai beaucoup lu, il est vrai ; mais ce serait chose indigne qu’oubliant qui fut mon père et qui furent mes aïeux, je consentisse à me réduire en condition privée. Vous dites ne pas vouloir me parler de la cause de votre venue, mais c’est seulement parce qu’il ne vous plairait pas ensuite d’écouter ce que j’aurais envie de vous répondre.

« Je vous remercie de la bonne opinion que vous dites avoir encore de moi, mais, quant à la promesse qu’aujourd’hui vous me faites en votre nom et au nom du pontife, je me trouve forcée de vous répondre que, comme les prétextes allégués par votre père pour me déclarer déchue de ces États avec mes fils, dans le monde entier ont été jugés faux, iniques, misérables, de même et tout autant pour fallacieuses et trompeuses je tiens vos promesses et celles du Pape. L’Italie sait ce que vaut la parole des Borgia, et la mauvaise foi du père enlève tout crédit au fils.

« J’ai des forces suffisantes pour me défendre, et je ne crois pas du tout que les vôtres soient irrésistibles.

« Plût à Dieu que du duc de Milan mon oncle je pusse avoir l’aide que déjà j’eus une autre fois ; alors, je vous pourrais démontrer, non par des paroles, mais par des faits, où est l’obstination aveugle, et où la vraie valeur. Si, après avoir refusé toute condition ignominieuse, toute faiblesse indigne du nom de Sforza, je suis brisée par vous, sachez bien, et qu’avec vous le monde le sache, qu’unie de cœur à tous ceux qui sont céans avec moi, je me conforterai en pensant que le nom de qui meurt au champ de bataille n’est oublié jamais, et que souvent encore sa cause revit et triomphe[36]. »

C’est comme le refrain de la chanson épique, de la chanson de geste que la comtesse de Forli est en train, non de chanter, mais de vivre dans le sang et dans les larmes ; « Je suis fille d’un homme qui ne connut jamais la peur. » Mais tout le monde n’est pas fils d’un pareil homme ; et la peur, qui n’est point en elle, est partout autour d’elle : la peur, infailliblement mère de la trahison. La défection bavarde et chicanière des Numai se change en défection brutale, muette, panique, mécanique. Ni l’astuce ni la vaillance n’empêcheront la catastrophe, à peine la retarderont-elles : le renard et la lionne, qui sont en Catherine, et dont ni les tours ni le cœur ne lui font défaut jusqu’au bout, iront du même coup se prendre au même piège. Inutilement elle essaiera de s’emparer de César, en l’attirant par cette courtoisie, par cette galanterie qu’il affecte, en l’invitant, pour lui parler de plus près, à mettre le pied sur le pont-levis subitement relevé. C’est le duc qui, à la fin, la fera traîner à lui, hors de cette rocca où elle avait vécu tant de dures journées, loin de son Paradiso où elle s’était ménagé quelques joies, au bas de ce maschio dont elle s’était fait comme une aire. Il l’a, à la fin, — et c’est bien la fin, — il la tient, livrée peut-être par ce Giovanni da Casale, qui passait un peu pour être ou avoir été son amant. La domination des Riari s’écroule dans la désaffection générale, dans l’indifférence pire que la désaffection : « Maintenant que les Sforzeschi sont tout écrasés, sit nomen Domini benedictum ![37] » Ah ! le beau César, le gonfalonier de l’Eglise qui porte sur son écu les lis de France avec le bœuf rouge des Borgia, n’est plus courtois ni galant à cette heure : déclarations, promesses et sermens s’il en fit, il a tout oublié ; la bête se réveille dans le Prince, on ne sait quelle horrible bête en ce prince charmant ; ou plutôt est-ce l’effet voulu d’un monstrueux vouloir : il souille d’une lâcheté et d’une goujaterie son succès. Le Pape peut estimer que ce n’est pas assez, désirer qu’on détruise en Catherine « cette semence du serpent diabolique[38] » qu’est la race des Sforza ; il peut échafauder contre elle, voulant appuyer de motifs la condamnation, tout un procès pour fausse tentative d’empoisonnement, et ne lâcher sa proie que lorsque, indignés de ses façons, et furieux d’avoir été dupes, les gentilshommes français la lui arracheront : il n’y a plus rien à briser dans cette femme chez qui la Fortune a successivement brisé l’amour, le pouvoir et l’orgueil. Vit-elle encore, ce n’est plus que pour s’abîmer en ce triple passé, à jamais passé, où elle fut. Et la complainte populaire traduit fidèlement sa plainte : « Ecouite cette inconsolée Catherine de Forli ! » Inconsolée, inconsolable, et qui pleure parce qu’elle n’est plus :


Scolta quella sconsolata
Catherina du Forlivo[39].


V

« Certes, avait écrit Alessandro Bracci, après le meurtre du duc de Gandia, quiconque ait gouverné la chose, celui-là a été un grand maître. » A voir comment se joue entre ces princes le jeu du monde, le bon chroniqueur Bernardi en demeure stupide : « Selon moi, les faits des grands maîtres sont très difficiles à entendre[40]. » Ils en jugeaient l’un en ambassadeur, l’autre en bourgeois placide, parlant l’un de César, et l’autre de Catherine, dignes rivaux, partenaires égaux. Les deux partenaires, Catherine comme César, ne s’embarrassaient guère des répugnances de la sincérité, de la loyauté, ou même de la probité vulgaire : tous deux partageaient l’opinion que Fortunati frappait ainsi en aphorisme, à l’usage d’Ottaviano Riario : « Si jus violandum est, regnandi causa violandum est. Si le droit doit être violé, c’est pour régner qu’il doit être violé[41]. » Tous deux étaient là-dessus du même sentiment que tous les tyrans et tous les condottieri, que Ridolfo da Camerino[42], que Jean des Bandes Noires, le fils si longtemps désiré, le fils prédestiné, le fils non-seulement de la chair, mais de l’esprit et du cœur, des Médicis et des Sforza. « Vas-y hardiment, disait quelqu’un à l’un des soldats de Jean d’Italie, qui s’en allait combattre ; vas-y sans crainte, tu as raison. » Et le capitaine, interrompant : « Ne te fie pas en cela, mais en ton cœur et en tes mains ; autrement, tu auras l’air d’une bête[43]. » Le droit, la raison, même chose et même mot, — la ragione, — dans la langue italienne de ce temps-là. Catherine Sforza en était convaincue, César Borgia en est plus convaincu encore ; il n’est personne alors qui n’en soit convaincu : c’est, de toute part et chez tous, l’amoralité, ou mieux l’amoralisme machiavélique. La question de droit se résolvant dans une question de règne, il n’y a plus qu’à résoudre la question de règne par une question de force. Machiavel, lorsque, du mois d’octobre 1502 au mois de janvier 1503, il séjournera près de César, n’aura pas de peine à reconnaître en lui son homme, l’homme de la force, l’homme du règne, le Prince, cette espèce d’homme faite pour surprendre, s’attacher, subjuguer, dominer les hommes, qu’on appellerait volontiers, à la mode de Lombroso, l’uomo politicante.


CHARLES BENOIST.

  1. Voyez la Revue du 1er juin.
  2. Le legazioni e commissarie di Niccoló Machiavelli, riscontrate sugli originali ed accresciute di nuovi documenti per cura di L. Passerini e G. Milanesi. Legazione II. A Caterina Sforza Kiario reggente la signoria di Forli per il figliuolo. — Notice des éditeurs ; volume I, p. 5.
  3. Dante, Inferno, ch. V.
  4. Pasolini, Caterina Sforza, I, 127.
  5. Cobelli, Cronache forlisesi, p. 296.
  6. Nous essayons de traduire littéralement, au risque de quelque incorrection grammaticale, pour garder au dialogue, avec sa rapidité, sa couleur et sa saveur si particulières.
  7. « Probablement un jeune Turc, qui, fait prisonnier en mer, avait été retenu comme esclave. Tel fut le sort de beaucoup d’infidèles fait captifs à la guerre pendant tout le XVe siècle. » Pasolini, ouv. cité, I, 183.
  8. Ottaviano Riario, fils aîné de Girolamo et de Catherine.
  9. Domenico Ricci, cousin du comte Girolamo, et gouverneur de la ville de Forli.
  10. Pasolini, Caterina Sforza, I, 186-187.
  11. A qui subira le mieux l’épreuve de la question par quelques « traits » de corde.
  12. Bernardi, p. 140.
  13. C’est le mot de Monseigneur Savelli, protonotaire et gouverneur de Cesena, venu aussitôt pour prendre possession de Forli au nom de l’Église.
  14. D’après Burriel, II, 260.
  15. Avril 1488.
  16. Cobelli, p. 321.
  17. C’est une citation populaire et qui revient souvent. Cf. la nouvelle CXC de Sacchetti. Édit. Ottavio Gigli ; 1888, Florence, Le Monnier, t. II, p. 143.
  18. Pasolini, ouv. cité, I, 251.
  19. Pasolini, ouv. cité, I, 297.
  20. Voyez Pasolini, ouv. cité, t. II, p. 79, 80, 82, 83, 84, 87.
  21. Burchardi Diarium, édition Thuasne, II. p. 387 et suiv. Nous suivons ici phrase à phrase M. Pasquale Villari, Niccoló Machiavelli e i suoi tempi, II, 268, 269, dont le récit est de beaucoup le plus vif et le plus rapide de tous ceux que nous avons lus. Cf. Ch. Yriarte, César Borgia, sa vie, sa captivité, sa mort, t. I, p. 107 et suivantes ; Tommaso Tommasi, La vie de César Borgia, 1671.
  22. Respondit ille : se vidisse suis diebus centum in diversis noctibus varie occisos in flumen projici per locum prædictum, et nunquam aliqua eorum ratio est habita ; propterea de casu hujus modi existimationem aliquam non fecisse. — Burchardi Diarium, édition Thuasne, t. II, p. 390.
  23. Pontifex, ut intellexit ducem interfectum et in flumen, ut stercus protectum compertum esse… etc. — Burchardi Diarium, ibid.
  24. Villari, ouv. cité, 1, 269, d’après Sanudo.
  25. « E certamente, chi ha governato la cosa ha avuto e cervello e buono coraggio, et in ogni modo si crede sia stato gran maestro. » Lettre d’A. Bracci, ambassadeur florentin, du 17 juin 1497. Voyez Villari, ouv. cité, I, appendice, document II. — Cf. Ch. Yriarte, César Borgia, I, 131.
  26. Ch. Yriarte, ouv. cité, I, 136.
  27. Pasolini, ouv. cité, II, 22.
  28. Lettre de l’ambassadeur milanais au duc de Milan. — Voyez Pasolini, I, 381.
  29. Lettre du cardinal Ascanio Sforza, citée par Pasolini, ibid.
  30. Lettre de Machiavel à Antonio Canigiani, commissaire au camp, dans Pasolini, ouv. cité, II, 130.
  31. Pasolini. ouv. cité, II, 170. — D’après Bonoli, p. 278.
  32. Pasolini, ouv. cité, II, 170. D’après Bonoli, p. 160, 161.
  33. Dante, Inferno, ch. XXVII. Allusion à l’assaut de 1282 et au massacre des Français, par un stratagème du comte Guido de Montefeltro.
  34. Lettre au duc de Milan. Pasolini, II, 55.
  35. Ibid., p. 65.
  36. Pasolini, ouv. cité, 178-180, d’après Burriel, III, 770-773. Le comte Pasolini remarque que « le dialogue est refait dans la forme, » mais que Burriel, qui écrivait à la fin du XVIIIe siècle, a eu sous les yeux les pièces d’un archivio Riario qu’il n’a pas été possible de retrouver ou du moins d’identifier sûrement depuis lors.
  37. Mot de Pierre Saverges, évêque de Luçon, chancelier du roi de Franoe à Milan, à Gian Giorgio Seregni, rapporté par Pasolini, ouv. cité, II, 241.
  38. Casa Sforzesca era semenza di la serpe indiavolata. » D’après Sanuto, Diarii, II, fol. 529 et suiv. — Cf. Villari, Niccoló Machiavelli, I, latroduzione, et Pasolini, ouv. cité, II, 188.
  39. Pasolini, ouv. cité, III, Documenti.
  40. Id., ibid., II, p. 28. D’après Bernardi, c. 377, v. 278, r.
  41. Pasolini, ouv. cité, II, p. 312,
  42. Cf. Franco Sacchetti, Novella XL. « Il detto messer Ridolfo [da Camerino] a un suo népote, tornato da Bologna da apparare ragione, gli prova che ha perduto il tempo. » Édit. Ottavio Gigli ; 1888, Florence, Le Monnier, t. I, p. 103.
  43. Pasolini, ouv. cité, II, 35.