Machiavel commenté par Napoléon Buonaparte/5

Attribué à , en fait forgerie d'Aimé Guillon
H. Nicole (p. 41-45).

machiavel.
buonaparte.

CHAPITRE V.

De quelle manière on doit gouverner les cités, ou principautés qui, avant d’être occupées par un nouveau prince, se gouvernaient avec leurs lois particulières.

Quand on veut conserver ces états qui étaient accoutumés à vivre avec leurs lois et en république, il faut prendre l’un de ces trois partis : tu dois ou les ruiner (1), (1) Cela ne vaut rien dans le siècle où nous sommes. G.ou aller y demeurer, ou enfin laisser à ces peuples leurs lois (2), en te faisant payer (2) Mauvais principe ; la suite est ce qu'il y a de mieux. G.par eux une contribution annuelle, et en créant chez eux un conseil d’un petit nombre, qui ait soin de te les maintenir fidèles[1]. Ce conseil étant créé par le prince, et sachant qu’il ne peut subsister sans son amitié et sa puissance, a le plus grand intérêt à le maintenir dans sa domination. Une cité accoutumée à vivre libre et qu’on veut conserver, est bien plus facilement contenue par l’influence immédiate de ses propres citoyens que de toute autre manière (1). (1) À Milan, une commission exécutive de trois dévoués ; comme mon triumvirat direcsial de Gênes. R. C. Les Spartiates et les Romains nous l’ont prouvé par leurs exemples.

Cependant les Spartiates qui avaient tenu Athènes et Thèbes, au moyen d’un conseil d’un petit nombre de citoyens, finirent par les perdre ; et les Romains qui, pour tenir Capoue, Carthage et Numance, les avaient désorganisées, ne les perdirent pas. Quand ceux-ci voulurent tenir la Grèce à peu près comme les Spartiates l’avaient tenue, en la laissant libre avec ses lois ; ce procédé ne leur réussit point, et ils furent forcés de désorganiser plusieurs cités de cette province pour la garder. À parler vrai, il n’y a pas d’autre moyen sûr pourconserver de tels états que deles ruiner (1). Celui qui devient (1) Mais cela peut se faire à la lettre, de plusieurs manières, sans les détruire, en changeant toutefois leur constitution.  G. maître d’une cité accoutumée à vivre libre, et n’en défait pas le régime, doit s’attendre à être défait lui-même par elle. Toujours elle aura pour justifier sa rébellion, le nom de liberté, et ses lois anciennes, dont le temps ni les bienfaits du conquérant ne pourront jamais lui faire perdre l’habitude. Quoi qu’on fasse, quelque expédient de prévoyance qu’on emploie, si on n’en désunit pas, si on n’en disperse pas les habitants[2], elle n’oubliera jamais ce nom de liberté, ni ses constitutions particulières ; elle y recourra même, à la première occasion, comme Pise l’a fait quoiqu’elle eût été de nombreuses années, et même depuis un siècle, sous la dépendance des Florentins (1). (1) Genève pourrait me donner quelque inquiétude ; mais je n’ai rien à craindre des Vénitiens et des Génois. R. C.

Mais quand les cités ou les provinces sont accoutumées à vivre sous un prince, et que la famille de ce prince est éteinte ; comme elles sont d’une part accoutumées à obéir, et que de l’autre elles n’ont point leur ancien maître, les citoyens ne s’accordent point entr’eux pour en choisir un nouveau ; et, ne sachant pas vivre libres, ils sont plus lents à prendre les armes. On peut, avec plus de facilité, les conquérir (2), et (2) Surtout quand on dit qu’on apporte au peuple la liberté et l’égalité. G. s’en assurer la possession.

Dans les républiques au contraire, il y a plus de courage, une plus grande disposition de haine contre le conquérant qui s’y fait prince, et plus de désir de vengeance contre lui. Comme le souvenir de l’antique liberté ne s’y perd point, et qu’il y survit avec toute son activité, le plus sûr parti est de les dissoudre (1), ou d’y (1) Neutraliser et révolutionner suffisent. G. habiter (2). (2) Cela n’est plus nécessaire quand on les a révolutionnées, et qu’en leur disant qu’elles sont toujours libres, on les tient ferme sous sa dépendance. G.

  1. C’est ce qu’Artaban, roi des Parthes, fit à Seleucie dont il changea le gouvernement populaire en une oligarchie, par laquelle on se rapprochait de la monarchie. Ainsi le voulait son intérêt, au jugement de Tacite : Qui plebem primoribus tradidit ex suo usu. Nam populi imperium juxtà libertatem, paucorum dominatio regiæ libidini propior est. (Ann. 6.)
  2. Au lieu, de disperse, Amelot de la Houssaie a mis très-odieusement et de son chef le mot extermine, quoiqu’il y ait dans le texte : dissipano. Machiavel, que l’esprit des traducteurs n’a pas peu contribué à faire décrier, reste sagement fort au-dessous de l’intention d’Amelot. — Tacite (Ann. 6,) raconte que, tant que les Séleuciens agirent d’un commun accord, le Parthe fut méprisé ; mais que lorsqu’on eut mis la dissension parmi eux, chacun cherchant alors un secours contre ses émules, le Parthe les eut bientôt subjugués.