Machiavel commenté par Napoléon Buonaparte/10
Ou la principauté est assez grande pour que le prince y trouve, au besoin, de quoi se soutenir par lui-même (1) ; ou elle est telle que, dans ce cas, il soit forcé d’invoquer le secours des autres (2).
Les princes peuvent se soutenir par eux mêmes, quand ils ont assez d’hommes et d’argent pour former une armée convenable, avec laquelle ils soient en état de livrer bataille à quiconque viendrait les attaquer (3). Ils ont besoin des autres, ceux qui, ne pouvant se mettre en campagne contre les ennemis, sont forcés de se renfermer dans leurs murs, et de se borner à les garder (4).
On a parlé du premier cas ; et il en sera question encore, lorsque l’occasion s’en présentera.
(2) Cela ne vaut rien. G.
(3) À plus forte raison quand ils peuvent attaquer, et faire trembler tous les autres. G.
Dans le second cas, on ne peut qu’encourager de tels princes à nourrir et à fortifier la ville de leur résidence, sans s’inquiéter du reste du pays (1). Quiconque aura bien fortifié le lieu de son séjour, et se sera bien conduit envers ses sujets, comme on l’a dit ci-dessus, et on le dira ci-après, ne sera jamais attaqué qu’avec beaucoup de réserve, parce que les hommes sont toujours éloignés des entreprises où ils voient de la difficulté, et qu’on ne peut espérer un succès facile, en attaquant un prince qui a sa ville bien fortifiée, et n’est point haï de son peuple (2).
Les villes d’Allemagne sont très-libres ; elles ont, dans leur alentour, peu de territoire qui leur appartiène ; elles obéissent à l’Empereur quand elles le veulent ; et ne craignent ni lui, ni aucun autre puissant du voisinage,
(1) Cela ne me regarde point.
(2) Je me suis pourtant trouvé dans ce cas là ; mais je saisirai la première occasion de me faire une fortification dans ma capitale, sans qu’on en devine le véritable motif E.
Ainsi donc, un prince qui a une ville forte, et ne s’y fait point haïr, ne peut être attaqué ; et s’il l’était, celui
(1) C’était bon pour le temps passé ; et il ne s’agit pas ici de Français qui seraient les aggresseurs. G.
(2) A quoi ces précautions ont-elles servi contre notre ardeur, en Allemagne et en Suisse ? R. C.
Si quelqu’un objectait que, dans le cas où un peuple ayant ses possessions au dehors, les venait brûler, il perdrait patience, et qu’un siège prolongé et son intérêt personnel lui feraient oublier celui de son prince ; je répondrais qu’un prince puissant et courageux surmontera toujours ces difficultés, tantôt en faisant espérer à ses sujets que le mal ne sera pas long ; tantôt en leur faisant craindre des cruautés de la part de l’ennemi ; tantôt enfin en s’assurant avec adresse de ceux de ses sujets qui lui paraîtraient trop audacieux dans leurs plaintes (2).
(1) Je ne rôde pas un an, sans rien faire, sous les murs d’autrui. R. C.
(2) Le meilleur moyen, l’unique même, est de les contenir tous également par une grande terreur ; opprimez-les, ils ne se révolteront pas, et n’oseront souffler. R. I.
Au surplus, l’ennemi ayant dû naturellement, dès son arrivée, brûler et ruiner le pays, lorsque les assiégés étaient dans la premiére ardeur de la défense, le prince doit d’autant moins avoir de défiance ensuite, qu’après qu’il s’est écoulé quelques jours, les esprits sont refroidis, les dommages se trouvent faits, les maux ont été déjà soufferts, et restent sans remède. Les citoyens alors viennent d’autant mieux se réunir à lui, qu’il leur paraît avoir contracté envers eux une nouvelle obligation, à raison de ce que leurs maisons et leurs possessions ont été ruinées pour sa défense (1). La nature des hommes est de s’engager ainsi par les bienfaits qu’ils accordent, comme par ceux qu’ils reçoivent. Il en faut conclure que, tout bien considéré, il n’est pas difficile à un prince, qui a de la prudence, détenir d’abord, et dans la suite pendant tout le temps d’un siège, les esprits de ses
(1) Que cela soit ou ne soit pas, je m’en soucie peu : je n’en ai pas besoin. R. I.
(1) De quoi se défendre : c’est là l’essentiel. R. I.