Macbeth/Traduction Montégut, 1871



MACBETH


IMPRIMÉ POUR LA PREMIÈRE FOIS DANS L’ÉDITION DE 1623. DATE PROBABLE DE LA COMPOSITION ET DE LA REPRÉSENTATION, 1606.

AVERTISSEMENT.

La première édition connue de Macbeth est celle de l’in-folio de 1623. Selon toute probabilité, cette pièce ne lut jamais imprimée du vivant de Shakespeare, et ne reçut jamais les soins de révision du grand poëte, ce qui explique les obscurités, les incorrections, les contresens dont fourmille le texte de cet admirable chef d’œuvre. La date précise de sa composition est fort difficile à déterminer ; en tout cas on ne peut pas hésiter sur la période de la vie de Shakespeare à laquelle il se rapporte. Elisabeth était descendue dans la tombe, et le fils de Marie Stuart l’avait remplacé sur le trône, ainsi que le proclame assez haut la scène du quatrième acte, où Macbeth chez les sorcières voit défiler devant lui les rois de l’avenir qui sortiront de la race de Banquo : « J’en vois quelques-uns qui portent les deux sphères et les trois sceptres. » Ce salut indirect à Jacques Ier, premier roi qui ait réuni les couronnes d’Angleterre, d’Écosse et d’Irlande, date la pièce d’une manière suffisante, quoique générale. Elle est postérieure à 1603, ce passage le prouve ; d’autre part, un fragment du journal manuscrit du docteur Simon Eorman, cité par M. Slaunton, fragment où l’auteur analyse Macbeth après une représentation de cette pièce au théâtre du Globe, en avril 1610, indique que c’est aux années comprises entre 1603 et 1010 qu’il faut borner ses recherches. Mais à laquelle de ces années faut-il s’arrêter ? Malone conjecturait que la pièce avait dû être écrite en 1606, et il fondait son hypothèse sur deux passages du soliloque du portier réveillé en sursaut par les coups de marteau de Macduff, le matin qui suit l’assassinat de puncan, Le premier de ces passages est celui-ci : « C’est sans doute un fermier qui s’est pendu pour avoir trop espéré l’abondance. » Il paraîtrait qu’en l’année 1606 le blé avait été d’un bon marché extraordinaire ; les fermiers avaient pu souffrir ainsi d’une disette de profits par suite de l’abondance des denrées. Le second passage est plus concluant : « C’est un équivoqueur qui était prêt à jurer pour et contre les deux plateaux de la balance ; il a commis suffisamment de trahisons pour l’amour de Dieu, cependant il n’a pu tromper le ciel par ses équivoques. » Ces paroles, selon Malone, seraient une allusion à la doctrine de l’équivoque reconnue par le célèbre jésuite Henri Garnet dans le procès du complot des poudres, qui est précisément de cette année 1606.

C’est dans Hollinsbed, qui avait tiré son récit de la chronique latine d’Hector Boëce sur l’histoire d’Écosse, que Shakespeare a trouvé les éléments de son admirable, drame. Comme le poêle a répété très-exactement le chroniqueur, nous n’avons à nous occuper de l’histoire à demi légendaire, à demi authentique de Macbeth que pour marquer les détails altérés ou inventés par le génie du grand dramaturge. Ces détails sont en petit nombre ; cependant quelques-uns sont fort ingénieux, et montrent avec quelle finesse Shakespeare savait user des matériaux qu’il employait.

Macbeth était fils de Sinell, thane de Glamis, et de Doada, sœur de Béatrix, mère de Duncan, qui régnait sur l’Écosse vers l’an 1030. Il était donc cousin germain du roi et très-près de la couronne, d’autant plus près que la loi écossaise portait que lorsque le roi mourait avant la majorité de ses fils, la couronne revenait à son plus proche parent, et que les fils que Duncan avait eus de sa femme, fille de Siveard, comte de Northumljerlând, étaient encore en bas âge. Les deux cousins formaient le plus parfait contraste ; autant Duncan était pacifique, autant Macbeth était guerrier ; autant Duncan était humain, autant Macbeth était cruel. Un détail donné par le chrôniqueu r fait bien comprendre la nature de cette cruauté de Macbeth, cruauté de Peau-Rouge qui scalpe son ennemi, ou de roi nègre dû Dahomey. On lui avait Confié le soin d’étouffer la rébellion d’un certain seigneur nommé Macdowald. Macbeth entra sans peine dans le château de Macdowald, ce seigneur l’ayant laissé sans défense par une mort volontaire. Comme il connaissait sans nul doute la pitié que les siens devaient attendre de Macbeth, il avait tué sa femme et ses enfants afin qu’ils ne tombassent pas en son pouvoir, et puis s’était donné la mort. Macbeth, furieux, de voir lui échapper une si belle occasion de cruauté, voulut au moins se venger sur le cadavre de Macdowald. Il lui fit couper la tête, qu’il envoya à Duncan, et suspendit le tronc à un gibet. Dans les années qui suivirent ce bel exploit, Macbeth se distingua par les victoires qu’il remporta sur les envahisseurs norvégiens commandes par leur roi Sweno et assistés par les troupes de Knut, roi d’Angleterre, frère de Sweno. Shakespeare a fondu en une seule et même grande action ces différentes affaires militaires. dans le double récit des faits d’armes de Macbeth, qui ouvre la pièce.

L’apparition des sorcières eut lieu quelque temps après ces événements, et pendant que. Macbeth et Banquo chassaient à travers la contrée. Shakespeare a compris avec l’instinct du génie que pour que la prédiction eût son plein effet, il fallait qu’elle fût faite, non à une heure où elle courait risque de ne rencontrer qu’une âme froide et distraite, mais à une heure où l’âme échauffée était ouverte à toutes les suggestions de l’enfer, et il a fait rencontrer Macbeth par les sorcières au moment où il revient du combat, fumant de carnage, ivre de l’odeur du sang, et fou des voluptés du meurtre.

Macbeth n’ajouta pas d’abord grande foi à la prophétie ; mais lorsqu’il eut été nommé thane de Cawdor, il commença à s’en préoccuper. Cependant les sollicitations du diable ne furent réellement puissantes que lorsque Duncan eut créé-son fils aînéprince de Cumbérlând avant l’âge fixé par la loi écossaise ; Macbeth voyant ainsi lui échapper la couronne qu’il avait espérance de recueillir naturellement, céda enfin à l’enfer et aux conseils de sa femme Guach, assassina Duncan, et se fit proclamer roi à Scone.

Dans l’épisode de l’assassinat de Duncan, Shakespeare a fondu très-habilement un autre épisode qui se rencontre également dans Hollinshed et qui lui fournissait tous les détails dramatiques nécessaires. Ce ne fut pas le roi Duncan qui fut assassiné de la manière dont le représente Shakespeare, ce fut le roi Duffe. Un seigneur nommé Donewald, excité par sa femme comme Macbeth, et assisté par elle, enivra les deux chambellans chargés de veiller sur le roi pendant son sommeil, le tua et fit transporter, son cadavre dans la campagne à quelques miles de là ; puis, au matin, lorsque le crime fut découvert, Donewald, qui avait eu soin de ne pas s’absenter, feignit d’entrer dans une grande colère et tua les deux chambellans. Les prodiges qui accompagnent dans Macbeth la mort de Duncan furent ceux qui accompagnèrent la mort de Duffe. Cette fusion de deux épisodes séparés par une date considérable, soixante ans environ, est la plus grosse entorse que Shakespeare ait donnée au récit d’Hollinsbed : anachronisme bien véniel à la vérité, puisqu’il a fourni à Shakespeare la matière poétique dont il avait besoin, et que les deux épisodes fondus en un seul se rapportent d’ailleurs à deux époques également barbares.

Macbeth commence par régner avec un semblant d’équité, mais bientôt sa nature cruelle l’emporte, et de la semence de son premier crime sort une forêt de forfaits. Banquo est assassiné de la manière même dont le représente Shakespeare. Puis des magiciens avertissent le roi de se défier de Macduff. Ici encore Shakespeare a corrigé la chronique d’une manière admirable. Ce ne sont pas des magiciens, ce sont ses anciennes amies les sorcières que Macbeth consulte au sujet de Macduff. Chose extraordinaire, Macbeth, lorsqu’il est entré en plein dans la carrière du crime, sait où trouver les sorcières. Il ne connaissait pas leurs demeures lorsqu’il assassina Duncan ; il l’ignorait encore lorsqu’il assassina Banquo. Avaient-elles d’ailleurs une demeure ? elles pétaient les filles de l’air impur, des apparitions malfaisantes qui s’étaient évanouies, une fois les paroles fatidiques prononcées. Ah ! si Macbeth n’avait pas écouté ces paroles, il ne saurait pas où trouver ces agents de l’enfer ; mais une fois plongé dans le crime, il acquiert une science horrible ; il connaît d’instinct la géographie des pays de damnation, et sans avoir besoin d’être renseigné par d’autre espion que son propre cœur, il va droit sans se tromper à l’antre des sorcières.

Macduff s’enfuit en Angleterre. Le tyran met à mort sa femme et ses enfants. La scène Où Shakespeare nous montre le jeune Malcolm cherchant à éprouver la constance et la bonne foi de Macduff en s’accusant de tous les vices, n’est qu’un admirable développement d’une conversation pareille qu’Hollinshed prête aux deux seigneurs. Cette conversation de la chronique d’Hollinslied est mieux que le germe, elle est la substance même de la scène de Shakespeare, et l’on voit une fois de plus par cet exemple, que le génie poétique consiste vraiment beaucoup moins dans une création de toutes pièces que dans l’arrangement et la mise en œuvre des matériaux déjà créés. Les derniers incidents du drame répètent, à quelques détails insignifiants près, les incidents de la chronique.

Longtemps avant que nous pussions supposer que nous consacrerions à l’interpréta lion de Shakespeare de si nombreuses années de notre vie, nous avions, fait une étude très-particulièrement approfondie de Macbeth. Nous demandons au lecteur la permission de placer quelques fragments de ce travail sous ses yeux, et nous : le prions de les accepter comme tenant lieu de l’analyse morale que nous consacrons à chacune des pièces du poêle. Encore aujourd’hui nous ne pourrions dire autrement, ni mieux que nous n’avons déjà dit.

Nous avions pris Macbeth comme occasion de montrer la profonde différence qui sépare le système dramatique de Shakespeare de celui de nos tragiques français. Nos tragiques ne cherchent dans les individus que l’homme général ; Shakespeare, au contraire, n’exprime l’homme général que par le moyen des individus. Shakespeare peint l’homme éternel par le moyen de l’homme du temps et de l’espace : : il ne rejoint, l’homme "moral qu’en traversant l’homme historique. Cette théorie une fois posée, nous analysions ainsi le caractère de Macbeth :

« Macbeth, ayant de représenter le type général de l’ambitieux triomphant et renversé du faite de la grandeur par les tempêtes vengeresses de la conscience, représente donc un homme du temps et de l’espace. C’est un barbare, féodal et un chef de clan écossais.

« Shakespeare n’est pas moins grand, à le bien lire, comme historien que comme poète, et il est aussi versé dans la science de l’ethnographie que dans la science du cœur humain. Les recherches lés plus minutieuses de là critique moderne ne peuvent nous en apprendre davantage sur les caractères écossais, Scandinave et italien qu’Hamlet, Macbeth, Roméo et Juliette, lus avec intelligence et sagacité. Ce Shakespeare ignorant et barbare, au dire de ses détracteurs, contrôlé et commenté par l’érudition la plus minutieuse, reste vainqueur sur le terrain de l’exactitude-historique. Chacun de ses personnages a non-seulement la physionomie de son caractère moral, mais celle de son temps et de son pays ; il porte la marque de la race dont il est issu. Mesurez la distance qui sépare l’intensité des passions septentrionales, tout intérieures et morales d’Hamlet, de la violence et de l’exubérance tout extérieures qui distinguent les passions méridionales de Roméo et Juliette et d’Othello. Non-seulement Shakespeare observe exactement les différences qui séparent les groupes généraux de notre famille européenne, mais il observe les caractères plus particuliers encore de la province, de la tribu. Il ne peint pas seulement le Celte en général, il peint aussi le Gallois ou l’Écossais.

« Le Glendower de la première partie d’Henri IV est un Celte comme Macbeth, mais quelle différence de nature il y a entre eux ! Pour peu qu’on y regarde, on s’aperçoit qu’ils ont en commun tous les défauts et toutes les qualités qui constituent l’âme de leur race ; la violence, la : crédulité, la promptitude à l’irritation et l’effroi, l’amour des coups de main aventureux, et cette espèce de poltronnerie qui s’allié si bien à la bravoure, qui distingua de tous temps : les Celtes, et d’où naissent les terreurs paniques. Mais si les âmes sont de même substance, la forme est bien différente. Ce Glendower ne fait pas un plus grand contraste avec son allié momentané l’Anglo-Normatid Hostpur qu’avec Macbeth, son cousin par les liens de la race. Glendower, c’est le Gallois poétiquement superstitieux et poétiquement loquace, hyperbolique, mélancolique, sérieusement bravé malgré ses vantardises, quelque chose comme un Gascon qui serait mélangé d’Armoricain. Macbeth n’a aucun de ces défauts aimables et rien de cette physionomie sympathique. C’est le Celte vu sous son aspect le plus sombre, et sous sa forme la plus odieuse ; c’est l’Écossais encore à l’état barbare, sauvage comme ces bruyères où il a établi son nid de brigand, indiscipliné, turbulent, éternel révolté et éternel oppresseur, factieux la veille, tyran le lendemain, transformant en droit sa passion ou son ambition personnelle, toujours injuste, même lorsque sa cause est la bonne cause par l’abus qu’il fait de la force. Voilà le chef de clan, le grand seigneur écossais tel que l’histoire nous le présente à toutes les époques, sous sa forme la plus primitive et la plus barbare.

« Comme tous les détails de la pièce sont bien en harmonie avec ce caractère sinistre ! le paysage et la poésie de Macbeth sont écossais comme le héros même. La nature, toujours si variée et si riante dans Shakespeare, ne se révèle dans cette pièce que sous ses aspects les plus noirs, la nuit, le crépuscule, l’orage ; elle n’y fait entendre que ses voix les plus menaçantes, le cri du loup, la plainte de la chouette, l’aboiement du chien. Une seule fois elle semble vouloir sourire ; mais ce sourire n’est qu’un rayon de douce-mélancolie, semblable à un pressentiment de malheur. Le poêle nous fait respirer cet air salubre et vif qui circule autour du château de Macbeth, et nous montre les nids des martinets attachés à ses flancs, symbole populaire du respect dû à cette vertu de l’hospitalité qui va être si odieusement violée ; puis toute lumière s’éteint, et l’orage éclate, accompagnement légitime des tempêtes infernales qui brisent l’âme de Macbeth.

« Après l’écossais, le féodal. Les mœurs et la tournure de caractère résultant de la féodalité sont marquées dans Macbeth par une circonstance toute particulière : la nature et l’intensité de ses terreurs. Nous voyons et nous comprenons par les exemples de Macbeth et de sa femme, de quel poids pesait un remords, sur une âme du moyen âge. Nous saisissons sur le fait la force corrosive de ces secrets des maisons féodales que les poêles et les chroniqueurs nous montrent se transmettant de père en fils comme un legs de malédiction, comme une maladie héréditaire qui mine la famille et finit par la détruire. Le remords sous la forme où nous le voyons chez Macbeth et Lady Macbeth, ne s’explique pas seulement par la terreur résultant du meurtre commis, il s’explique aussi par l’isolement résultant de l’inégalité des conditions. Les deux époux sont seuls à porter le poids de leur crime, comme ils ont été seuls à en concevoir la pensée. Avez-vous jamais réfléchi à l’effroyable puissance que devaient prendre les sentiments humains chez des êtres soumis à l’isolement de la vie féodale ? Personne, pour conseiller et retenir cette âme qui s’exalte sans contrainte et se dilate violemment pour peupler d’elle-même sa solitude. Les égaux de cet homme sont au loin, isolés comme lui, et il n’a de relations avec ceux qui l’entourent que celles du commandement. Si dans cette solitude créée par l’isolement et l’inégalité, il vient à se passer un acte de violence, une scène de colère ou de meurtre, la terreur répond du secrel. Cette terreur remonte bientôt des inférieurs aux criminels eux-mêmes, et double la force de leurs angoisses. Ils voient l’effroi qu’ils inspirent, et ils prennent peur d’eux-mêmes. Comme il n’y a eu personne autour d’eux pour les retenir avant le crime, il n’y a personne pour les rassurer après le crime. À qui d’ailleurs voudraientils se confier ? La sécurité de leur puissance, et, mieux que cela, l’honneur de leur nom, sont attachés à ce fatal secret. Les lèvres restent donc closes par un effort volontaire ; mais la conscience, qui s’irrite de cette tyrannie de la volonté, s’agite intérieurement avec violence, et cherche en tous sens une issue pour ses tempêtes. Alors le remords s’objective et prend une forme saisissable ; la conscience dédouble l’homme et met l’objet de ses préoccupations en face de lui comme un autre lui-même.

« Voilà l’explication de ces soupirs qu’on entend pousser au châtelain lorsqu’il se promène seul durant les heures du soir ! Voilà l’explication de ces tressaillements soudains et de ces yeux qui deviennent subitement hagards comme s’ils étaient effrayés d’un objet que d’autres yeux. ne peuvent voir ! Voilà pourquoi la dame châtelaine, révélatrice à son insu du secret qui la tue, se lève pendant son sommeil et prononce à haute voix des paroles terribles ! Nous avons toute vivante dans Shakespeare la poésie de ces terreurs féodales, et en essayant d’expliquer leur origine, nous n’avons fait autre chose que mettre en saillie, les beautés lugubres qui remplissent le Macbeth : la vision du poignard, la scène du banquet, la promenade somnambulique de Lady Macbeth.

« Les remords de Macbeth nous émeuvent donc, non-seulement parce qu’ils sont les remords d’un homme, mais aussi parce qu’ils sont les remords, d’un chef de clan et d’un barbare baptisé. Si Shakespeare n’eût pas peint avec une telle-force le -chef de clan et le barbare, l’ambitieux criminel nous aurait-il autant ému ? Je ne sais, mais, : en tout cas, il.nous aurait ému autrement, et la pièce est assez belle pour me pas nous donner le désir d’autres ’émotions que celles que nous -connaissons. Cet homme particulier que des critiques trop’ classiques-.recommandent au poète dramatique de sacrifier à l’homme universel, fait donc une bonne partie de la poésie du personnage. Imaginez un Mabeth plus vague, plus général, un Macbeth qui aie soit ni un chef de clan, ni un barbare, combien de belles expressions du remords vont devenir impossibles ! Comment un Macbeth plus abstrait pourrait-il dire, par exemple, après le meurtre de Banquo : « Ce n’est pas la première fois qu’on a versé le sang.... mais il fut un temps où, lorsqu’on Avait cassé la tête à un homme, il mourait, et tout était fini ; mais aujourd’hui nos victimes se relèvent avec vingt blessures sur la tête et viennent nous chasser de nos sièges. Ah ! voilà qui est plus étonnant que le meurtre même ! » C’est bien là une confession de la conscience, une confession dont l’oreille d’un homme de tous les temps peut saisir le sens, n’est-il pas vrai ? Oui, mais il faut une bouche de barbare pour la proférer.

« Maintenant écartons le chef de clan et le barbare et voyons l’homme moral. La grandeur et la force du génie de Shakespeare se révèlent d’une manière incomparable dans le mélange dont il a formé le caractère de Macbeth, Un poète de race moins haute n’aurait pas manqué, étant donnés les éléments de l’histoire de Macbeth, de peindre un criminel grandiose, fait d’une seule pièce, un meurtrier majestueux, inaccessible aux craintes vulgaires, un beau et noble monstre enfin. Macbeth n’est rien de cela. C’est un incroyable amalgame de férocité et de poltronnerie, de bassesse et de grandeur. Le monstre n’est pas dénué de sentiments humains, il est dénué des sentiments moraux de la civilisation La fange elle limon de la nature humaine primitive dont il est formé, sont encore humides, et viennent à peine de sortir des marécages de la barbarie. Selon le degré de force avec lequel le soleil des passions échauffe ce limon humain, la vie y fourmille et y grouille, on s’y affaisse dans la torpeur. Avec toute sa vaillance et tout son pouvoir, Macbeth n’est qu’un pauvre être de chah’ et de sang. Son courage tout physique est mêlé’de cette lâcheté toute physique aussi qui-distingue l’homme sans culture et sans éducation morale. Il est prédestiné au crime par sa vaillance de bête fauve et l’espèce de joie sauvage qu’il goûte-dans le combat. Il tue par plaisir, à plus forte raison tuera-t-il par ambition et convoitise. Après que nous avons entendu au ’début du drame avec quel-entrain barbare il vient d’enfoncer les rangs des Norvégiens et de semer la mort autour de lui, nous ne sommes plus étonnés de le voir méditer le meurtre de Duncan, La plus légère occasion suffira pour-précipiter le torrent de ces passions sanglantes auxquelles la guerre a jusqu’alors tracé un lit naturel et légitime. Il revient de la guerre ivre de sang et d’acclamations, dans toute la joie élu triomphe, et c’est alors qu’il est arrêté au passage, et salué roi par la prophétie des sorcières. Les clairvoyantes filles de l’enfer ne pouvaient choisir une meilleure occasion pour jeter les semences du mal dans cette âme troublée que le moment où elle fermente sous l’action des voluptés du carnage et de la victoire. Le choix, de cette circonstance fait honneur à la sagacité des sorcières et au génie de Shakespeare.

« Cependant quoiqu’il ait conçu la pensée du crime, il ne l’exécuterait pas, si Lady Macbeth, ne relevait son courage et ne donnait à sa férocité la fermeté qui lui manque. Macbeth n’est que l’instrument du meurtre ; l’âme vraie du crime, c’est Lady Macbeth. Le caractère de Lady Macbeth est aussi remarquable par sa simplicité que le caractère de Macbeth par son mélange. Ce personnage grandiose et tragique, dessiné avec une netteté toute classique, créé d’un seul jet de génie ferme et précis, mérite de prendre rang tout à côté des créations les plus dramatiques de l’antiquité, car certainement il n’a pas été conçu depuis Clytemnestre et Médée de type qui représente avec plus d’énergie les pensées noires de l’humanité.- Si l’on voulait faire une statue de la Melpomène barbare, on ne pourrait choisir un meilleur modèle idéal que Lady Macbeth. Ce caractère est tellement simple que deux ou trois mots suffisent pour l’expliquer. Lady-Macbeth est féroce, elle est froide, elle est ambitieuse. C’est une louve féodale qui conserve jusque dans le crime les vertus propres à la femme du Nord. Elle est épouse fidèle, chaste et intrépide ; elle aime son mari avec toute la loyauté d’un cœur barbare, elle le conseille et le soutient avec toute la fermeté d’un esprit inaccessible à la pitié. Nulle pensée de clémence ne viendra troubler ses noires méditations, nul sentiment de miséricorde ne diminuera la fermeté de son cœur. Macbeth hésite ; elle n’hésite pas un instant. C’est encore un trait de génie que cette décision rapide et cette absence d’hésitation. Shakespeare sait que la conscience des femmes réside surtout dans leur cœur, que leur sensibilité est la mesure de leur justice, et leur faculté de pitié la mesure de leur moralité. Détruisez la sensibilité. chez une femme, Vous n’avez plus rien à en espérer et vous avez tout à en redouter.

« Lorsqu’une fois le crime a été commis, Macbeth ne s’appartient plus, et alors commence le déroulement admirable des phénomènes de conscience qui composent cette chaîne des remords dont la Némésis divine enchaîne pour la géhenne éternelle les âmes des scélérats. Macbeth se sent esclave ; il appartient désormais à ses visions, à ses craintes et à ses fureurs contre lui-même. Le crime a fait lever devant lui mille ennemis invisibles. Il faut tuer, et tuer encore pour dissiper ces ennemis, pour noyer le souvenir dès crimes anciens sous la terreur des crimes nouveaux. Il faut tuer aussi parce que c’est pour lui l’unique moyen de retrouver son énergie virile affaissée sous les prostrations du remords, affaiblie par les fatigues du délire. Il tue comme un ivrogne hit, pour réparer par un nouveau meurtre la dépense d’énergie que lui a coûté le crime précédent. Il se démène comme si un œil plein de mépris était fixé sur lui, et loi reprochait les lenteurs qu’il, met à poursuivre son œuvre sanglante. En même temps que sa conscience l’appelle meurtrier, son orgueil barbare l’appelle poltron et cœur de femme. Aussi chaque fois qu’il a commis un nouveau crime, lui semble-t-il qu’il a retrouvé son ancien courage, et s’écrie-t-il : I am a man again.

« Voilà le caractère de Macbeth dans son mélange de grandeur et de férocité ; mais quoi, j’avais annoncé que j’allais écarter le barbare pour parler de l’homme moral. Qu’ai-je fait cependant autre chose qu’esquisser les traits du caractère d’un barbare ? En vain j’ai voulu séparer les deux hommes : le premier reparaissait toujours pour me présenter les traits nécessaires au portrait du second. »

PERSONNAGES DU DRAME.

DUNCAN, Roi d’Écosse,

MALCOLM,

DONALBAIN, fils de DUNCAN.

MACBETH, général de l’armée du ROI, et ROI par la suite.

BANQUO, général de l’armée du ROI.

FLÉANCE, fils de BANQUO.

MACDUFF,

LENNOX,

ROSS,

MENTEITH, NOBLES ÉCOSSAIS.

ANGUS,

CAITHNESS,

SIWARD, comte de NORTHUMBERLAND, général des forces anglaises.

LE JEUNE SIWARD ; fils du comte de NORTHUMBERLAND.

UN FILS DE MACDUFF.

SEYTON, officier de la suite du ROI.

UN MÉDECIN ANGLAIS.

UN MÉDECIN ÉCOSSAIS.

UN CAPITAINE.

UN PORTIER.

UN VIEILLARD.

LADY MACBETH, par la suite REINE.

LADY MACDUFF.

UNE DAME DE COMPAGNIE de LA REINE.

HÉCATE.

TROIS SORCIÈRES.

SEIGNEURS, GESTILSHOMMES, OFFICIERS, SOLDATS, MEURTRIERS, MESSAGERS, et autres comparées. LE FANTÔME DE BANQUO, et autres apparitions.

SCÈNE. ECOSSE, et une partie du quatrième acte en ANGLETERRE.

MACBETH


ACTE I.


Scène PREMIÈRE.

Une vaste plaine. Tonnerre et éclairs.


Entrent TROIS SORCIÈRES.

Première sorcière. — Quand nous rencontrerons-nous de nouveau nous trois, au milieu du tonnerre et des éclairs, ou sous la pluie ?

Deuxième sorcière. — Lorsque le bataclan sera fini, lorsque la bataille sera perdue et gagnée.

Troisième sorcière. — Ce sera avant le coucher du soleil…

Première sorcière. — En quel lieu ?

Deuxième sorcière. — Sur la bruyère.

Troisième sorcière. — Pour y rencontrer Macbeth.

Première sorcière. — J’y vais, Graymalkin[1] !

Deuxième sorcière. — Paddock[2] appelle : — me voilà !

Toutes trois, ensemble. — Le beau est laid, et le laid est beau : planons à travers le brouillard et l’air impur. (Elles s’évanouissent.)

SCÈNE II.

Un camp près de FORRES. Alarme dans le lointain.
Entre DUNCAN, MALCOLM, DONALBAIN, LENNOX,

avec des gens de leur suite. Ils se rencontrent avec UN

CAPITAINE BLESSÉ.

DUNCAN. — Quel est cet homme ensanglanté ? S’il faut en juger par l’état où le voilà, il peut nous informer de la pins récente situation de la révolté.

MALCOLM. — Cet homme est le sergent [3] qui, comme un vrai et hardi soldat, a combattu pour m’empêcher d’être pris. — Salut, brave ami ! ^apprends au roi où en était la lutte lorsque tu l’as quittée.

LE CAPITAINE. — L’issue en était douteuse, et les deux armées étaient semblables à deux nageurs épuisés, qui s’étreignent et neutralisent ainsi leur habileté. L’impitoyable Macdonald (digne d’être un rebelle, car toutes les détestables et si prolifiques aptitudes naturelles nécessaires pour cela fourmillent en lui) est pourvu de troupes de Kernes et de Gallowglasses venues des îles de l’Ouest [4] ; et la Fortune, souriant à son diabolique projet, s’est conduite comme la vraie catin d’un rebelle : mais tout cela cependant n’a pas été assez ; car le brave Macbeth (il mérite bien ce nom), dédaignant la Fortune, a brandi son épée toute fumante d’un sanglant carnage, et comme un favori de la valeur, s’est, taillé un passage dans les rangs, jusqu’à ce qu’il ait pu voir le gredin face à face ; et il ne s’est pas amusé à lui serrer la main, ni à lui dire bonjour, avant de l’avoir décousu depuis le cœur jusqu’au bas des côtes, et d’avoir planté sa tête sur nos bastions.

DUNCAN. — Ô vaillant cousin ! digne gentilhomme !

LE CAPITAINE. — De même que des tempêtes fatales aux navires et d’effrayants coups de tonnerre partent précisément du point où le soleil a commencé à luire ; ainsi, de cette action d’où l’aide semblait devoir venir, c’est le danger qui a surgi. Écoutez, roi d’Écosse, écoutez ! la justice unie à la valeur armée n’avait pas eu plus tôt forcé, ces Kernes agiles à demander leur salut à leurs talons, que le Seigneur de Norwége, saisissant cette occasion favorable, a commencé une nouvelle attaque avec des armes encore toutes luisantes et des renforts de troupes toutes fraîches.

DUNCAN. — Est-ce que cela n’a pas découragé nos capitaines, Macbeth et Banquo ?

LE CAPITAINE. — Oui, comme les moineaux découragent les aigles, ou le lièvre le lion. Si je veux dire la vérité, je dois rapporter qu’ils ressemblaient à des canons bourrés à outrance qui renverraient double décharge ; c’est ainsi que tous deux faisaient succéder avec une double vitesse leurs coups sur l’ennemi : avaient-ils l’intention de prendre un bain de sang fumant, ou de rendre un autre lieu célèbre sous le nom de Golgotha, je n’en sais rien.... — Mais je m’affaiblis, mes blessures-crient au secours.

DUNCAN. — Tes paroles te décorent aussi bien que tes blessures ; les unes et les autres portent l’empreinte de l’honneur. — Allez, procurez-lui des chirurgiens. (Sort le capitaine accompagné.) Qui vient ici ?

MALCOLM. — Le noble thane de Ross.

LENNOX. — Quelle hâte, éclate dans ses yeux ! Tels doivent être les regards de l’homme qui a d’étranges nouvelles à annoncer.

Entre ROSS.

ROSS. — Dieu sauve le roi !

DUNCAN. — D’où viens-tu, noble thane ?

ROSS. — De Fife, grand roi, de Fife, où les étendards norwégiens déployés s’agitent insultant le ciel et éventant nos hommes à les glacer de terreur. Le roi de Norwége en personne, avec un nombre énorme de troupes, assisté par ce traître très-déloyal, le thane de Cawdor, a commencé un effrayant engagement, jusqu’à ce que le fiancé-de Bellone, cuirassé à toute épreuve, l’ait affronté avec des conditions égales, pointe contre pointe rebelle, bras contre bras, et ait fait fléchir son courage téméraire : pour conclure, la victoire nous est restée.

DUNCAN. — Grand bonheur !

ROSS. — Si bien que maintenant Sweno, le roi de Norwége, demande composition, et que nous lui refusons le droit d’ensevelir ses morts, jusqu’à ce qu’il nous ait payé, dans l’île de Saint-Colomban [5], dix mille dollars pour notre profit général.

DUKCAN. — Ce thane de Cawdor ne trahira pas à l’avenir nos plus chers intérêts. — Allez, déclarez-le condamné à mourir sans délai, et transportez son titre à Macbeth avec nos félicitations.

ROSS. — Je veillerai à l’exécution de ces ordres.

DUNCAN. — Ce qu’il a’pérdu/lénoble Macbeth l’a gagné. (Ils sortent.)

SCÈNE III.

Une bruyère.
Tonnerre. Entrent LES TROIS SORCIÈRES.

PREMIÈRE SORCIÈRE. — Où est-ce que tu es allée, sœur ?

SECONDE SORCIÈRE. — Tuer des cochons.

TROISIÈME SORCIÈRE. — Et toi, sœur ?

PREMIÈRE SORCIÈRE. — La femme d’un marin avait des châtaignes dans son giron ; elle mâchonnait, et mâchonnait, et mâchonnait : « Donne-m’en, » lui ai-je dit : « Va te promener, sorcière [6] ! » m’a crié cette drolesse de meurt de faim [7]. Son mari est parti pour Alep, comme contremaître du Tigres [8] ; mais, je ferai le voyage sur un crible [9], et comme un rat sans queue [10], je rongérai, je rongerai, je rongerai.

SECONDE SORCIÈRE. — Je te donnerai un vent [11].

PREMIÈRE SORCIÈRE. — Tu es bonne.

TROISIÈME SORCIÈRE. — Et moi je t’en donnerai un autre.

PREMIÈRE SORCIÈRE. — J’ai moi-même tous les autres, et je connais tous les ports vers lesquels ils soufflent, tous les points de la carte marine qu’ils visitent. Je ils ferai devenir sec comme foin : ni jour, ni nuit, le sommeil ne planera au plafond de sa cabine ; il vivra comme un homme maudit : il languira, diminuera, s’affaissera, pendant un laps de sept nuits fatigantes, répétées neuf fois, à neuf reprises [12] : quoique sa barque ne puisse se perdre, elle sera cependant ballottée sans repos par la tempête. — Regardez ce que j’ai là.

SECONDE SORCIÈRE. — Montre-moi-ça, montre-moi ça.

PREMIÈRE SORCIÈRE. — C’est le pouce d’un pilote, naufragé comme il revenait dans ses foyers. (Bruit de tambours.)

TROISIÈME SORCIÈRE. — Un tambour ! un tambour ! Macbeth vient.

LES TROIS SORCIÈRES, ensemble.

Les fatales sœurs, la main dans la main,

Voyageuses sur terre et sur mer,

Tournent ainsi en rond, en rond :

Trois fois pour toi, trois fois pour mol,

Et encore trois fois.pour faire neuf :

Silence ! — le charme est maintenant formé.

Entrent MACBETH et BANQUO.

MACBETH. — Je n’ai jamais vu un jour à la fois si : hideux et si beau.

BANQUO. — Combien dit-on qu’il y a d’ici à Forres ? Quelles sont ces créatures si desséchées, et d’accoutrement si bizarre, qui ne paraissent pas des créatures habitant la terre, et qui cependant la foulent ? — Vivez-vous ? ou êtes-vous des êtres qu’un homme puisse questionner ? Vous semblez me comprendre, car toutes trois en même temps vous posez vos doigts osseux sur vos lèvres parcheminées. On dirait que vous êtes des femmes, et cependant vos barbes me défendent d’affirmer que vous en êtes.

MACBETH. — Parlez, si vous le pouvez ; qu’êtes-vous ?

PREMIÈRE SORCIÈRE. — Profond salut, Macbeth ! Salut à toi, thane de Glamis is !

SECONDE SORCIÈRE. — Profond salut, Macbeth ! Salut à toi, thane de Cawdor !

TROISIÈME SORCIÈRE. — Profond salut à toi, Macbeth, qui plus tard seras roi !

BANQUO. — Mon bon seigneur, pourquoi tressaillez-vous, et semblez-vous craindre des prédictions qui rendent un si beau son ? — Au nom de la vérité, êtes-vous désillusions sans corps, ou votre apparence correspond-elle vraiment à une réalité ? Vous saluez mon noble compagnon de si beaux titres pour le présent, et de si grandes prédictions de noble fortune et de royale espérance pour l’avenir, qu’il en semble tout transporté. Vous ne me parlez pas, à moi : si vous pouvez contempler les semences du temps, et dire quels grains germeront, et quels ne germeront pas, parlez-moi alors, à moi, qui ne sollicite pas vos faveurs et qui ne-crains pas votre haine.

PREMIÈRE SORCIÈRE. — Salut !

SECONDE SORCIÈRE. — Salut !

TROISIÈME SORCIÈRE. — Salut !

PREMIÈRE SORCIÈRE. — Plus petit que Macbeth, et cependant plus grand.

SECONDE SORCIÈRE. — Moins heureux, et cependant bien plus heureux.

TROISIÈME SORCIÈRE. — Tu engendreras des rois, bien que tu ne doives pas l’être : ainsi donc tous nos saluts à vous deux, Macbeth et Banquo !

PREMIÈRE SORCIÈRE. — Tous nos saluts, Banquo et Macbeth !

MACRETH. — Arrêtez, prophètesses incomplètes ; dites m’en davantage : je sais que par la mort de Sinel [14], je suis thane de Glamis ; mais comment puis-je être thane de Cawdor ? Le thane de Cawdor vit, gentilhomme prospère ; et quant à être roi, cela m’est aussi difficile à croire que d’être thane de Cawdor. Dites-moi d’où vous tenez cette étrange information ? ou pourquoi, sur cette bruyère, battue de l’orage, vous arrêtez notre marche par ces félicitations prophétiques ? Parlez, je vous l’ordonne. (Elles s’évanouissent.)

BANQUO. — La terre a ses vapeurs comme l’eau, et ces êtres sont de cette nature : où se sont-elles évanouies ?

MACBETH. — Dans l’air, et ce qui semblait corporel s’est fondu comme l’haleine se fond dans le vent. — Oh ! que ne sont-elles restées !

BANQUO. — Y avait-il ici des êtres tels que ceux dont nous parlons ? ou avons-nous mangé de la racine de folie qui fait la raison prisonnière [15] ?

MACBETH. — Vos enfants seront rois.

BANQUO. — Et vous serez roi vous-même.

MACBETH. — Et thane de Cawdor aussi, — n’était-ce pas ce qu’elles disaient ?

BANQUO. — Le sens et les paroles mêmes. — Qui vient ici ?

Entrent ROSS et ANGUS.

ROSS. — Macbeth, le roi a reçu avec bonheur les nouvelles de ton succès : à mesure qu’il apprend tes prouesses personnelles dans le combat des rebelles, son étonnement qui le retire en lui-même lutte avec son’admiration qui s’élance vers toi : plongé dans le silence par cette lutle intime, il parcourt le reste du rapport de cette même journée, et voilà qu’il te Irouve encore au milieu des redoutables rangs norwégiens, sans crainte aucune des choses que tù faisais loi-même, c’est-à-dire de terribles portraitures de la mort. Les courriers ont succédé aux courriers en aussi peu de temps qu’il en fallait pour les compter ; et chacun d’eux a porté des éloges pour ta grande défense de son royaume, et les a répandus devant lui.

ANGUS. — Nous sommes envoyés pour te donner des remercîments, de la part de notre royal maître ; nous sommes chargés seulement de t’introduire en sa présence, et non de te récompenser.

ROSS. — Et comme arrhes d’un plus grand honneur, il m’a ordonné de te saluer de sa part du nom de thane de Cawdor : ainsi donc c’est sous ce titre que je te salue, très-noble thane ! car ce titre est à toi.

BANQUO, à part. — Quoi ! est-ce que le diable pourrait dire la vérité ?

MACBETH. — Le thane de Cawdor vit : pourquoi une revétez-vous de robes empruntées ?

ANGUS. — Celui qui était le titane vit encore ; mais un lourd jugement pèse sur cette vie qu’il mérite de perdre. s’est-il concerté avec les gens de Norvrége, ou bien a-t-il soutenu les rebelles par un secours caché et donné à un moment favorable, ou bien a-t-il travaillé avec les uns et les autres à la ruine de son pays, je ne le sais pas : mais en tout cas, des trahisons capitales, confessées et prouvées, l’ont renversé.

MACBETH, à part. — Glamis, et thane de Cawdoï ! le plus grand titre est avenir. — (Haut.) Je vous remercie de vos peines. — N’espérez-vous pas que vos enfants seront rois, puisque, ces créatures qui m’ont donné le titre de thane de Cawdor ne vous ont promis rien moins pour eux que celui de roi ?

BANQUO. — Cette prophétie acceptée avec crédulité peut encore vous enflammer de l’espoir de la couronne, en sus de cette seigneurie de Gawdor. Mais c’est étrange : maintes fois, pour nous gagner à notre perte, les’agents des ténèbres nous disent des vérités ; ils nous séduisent par d’honnêtes bagatelles pour nous entraîner à des actes de la plus profonde conséquence. — Cousins, un mot, je vous prie.

MACBETH, à part. — Deux vérités sont déjà dites comme heureux prologues à l’acte culminant qui a pour sujet le trône royal. (Haut.) je vous remercie, gentilshommes. (A part.) Ces insinuations surnaturelles ne peuvent être mauvaises : elles ne peuvent davantage être bonnes : — si elles sont mauvaises, pourquoi m’ont-elles donné un gage de succès en réalisant une première prédiction ? je suis thane de Cawdor : — si elles sont bonnes, pourquoi est-ce que je cède à une suggestion dont l’horrible image fait dresser mes cheveux, et déplaçant mon cœur, l’envoie frapper contre ânes côtes en dépit des habitudes de la nature ? Les craintes qui ont un objet présent sont moindres que les horribles imaginations : ma pensée, chez qui le meurtre-est encore à l’état de chimère, ébranle à ce point ma faible humanité, que toutes les facultés de mon être sont étouffées par cette préoccupation, et que rien pour moi n’existe, : sauf ce qui n’existe pas.

BANQUO. — Voyez, comme notre compagnon est absorbé.

MACBETH, à part. — Si le hasard veut que je sois roi, eh bien ! le hasard peut me couronner sans que j’aie à faire un mouvement pour cela.

BANQUO. — Ses nouveaux honneurs le gênent, comme nous gênent.nos habits neufs qui ne se moulent sur le corps qu’avec J’aide de l’habitude.

MACBETH, à part. — Arrive ce qui pourra, le temps et l’occasion font chemin par le plus sombre jour.

BANQUO. — Noble Macbeth, nous attendons votre bon. plaisir.

MACBETH. — Je vous demande pardon : mon stupide cerveau était occupé à rechercher des choses oubliées. Obligeants gentilshommes, vos peines sont enregistrées sur un livre dont je tournerai chaque jour les feuillets pour les y lire. — Allons vers le roi. — (Apart, à Banquo.) Pensez à notre aventure, et à un autre moment lorsque le temps.nous aura permis de la peser exactement, ouvrons-nous.franchement nos cœurs l’an à l’autre.

BANQUO. — Bien volontiers,

MACBETH. — Jusqu’à ce moment, plus un mot de cela. — Marchons, amis. (Ils sortent.)

SCÈNE IV.

FORRES. — Va appartement dans le palais.
Fanfare. Entrent DUNCAN, MALCOLM, DONALBAIN, LENNOX, et des gens de la suite.

DUNCAN. — L’exécution de Cawdor est-elle faite ? Est-ce que ceux qui étaient chargés de cet office ne sont pas encore de retour ?

MALCOLM. — Mon Suzerain, ils ne sont pas encore revenus. Mais j’ai parlé avec quelqu’un qui l’a vu mourir : cette personne a rapporté qu’il avait très-francht-nient confessé ses trahisons, imploré le pardon de Votre Altesse, et manifesté le plus profond repentir : rien dans sa vie ne lui a fait autant d’honneur que la manière dont il l’a quittée ; il est mort à la façon d’un homme qui se serait exercé pour apprendre à rejeter en mourant la chose la plus précieuse qu’il possédât, comme si c’était une bagatelle sans importance [15].

DUNCAN. — Il n’y a aucun art qui permette de reconnaître là forme intérieure de l’âme sur celle du visage : c’était un gentilhomme en qui j’avais placé une absolue confiance.

Entrent MACBETH, BANQUO, ROSS et ANGUS.

DUNCAN. — Ô mon très-noble cousin [17] ! le péché de mon ingratitude pesait à cet instant même, lourdement sur mon cœur : tu es allé si loin, que l’aile la plus agile de la récompense est encore lente à l’atteindre. Plût au ciel que tu eusses moins mérité, afin que la balance entre la rémunération et tes services pût pencher de mon côté ! Il ne me reste rien à dire, sinon qu’il t’est dû plus que tout ne pourrait payer.

MACBETH. — Je vous dois mes services et ma fidélité, et en se dévouant à vous, ils se payent eux-mêmes. Le rôle de Votre Altesse est d’accepter nos devoirs : ces devoirs sont de votre trône et de votre pouvoir les enfants et les serviteurs, et ils ne font que ce qu’ils doivent en faisant tout ce qui peut vous-plaire et vous honorer.

DUNCAN. — Sois ici le bienvenu : j’ai commencé à te planter, et je mettrai tous mes efforts à te faire atteindre ta pleine croissance. — Noble Banquo, tu n’as pas moins mérité, et il est juste qu’il soit connu qu’il en est ainsi : permets-moi de t’embrasser et de te retenir sur mon cœur.

BANQUO. — Si j’y grandis, la moisson sera votre bien propre.

DONCAN. — Mes joies abondantes, folles par leur plénitude, cherchent à se cacher sous les larmes du chagrin. Fils, parents, thanes, et vous dont les places sont les plus proches de la nôtre, sachez que nous voulons transmettre notre pouvoir à notre fils aîné Malcolm, que nous nommons dès à présent prince de Cumberland [18] : mais ce n’est pas lui seul qui sera investi d’honneur ; cet honneur aura des compagnons, et des insignes de noblesse, pareils à des étoiles, brilleront sur tous ceux qui les méritent. — En route pour Inverness, et allons encore accroître les obligations qui nous lient à vous.

MACBETH. — Le repos est fatigue, quand if n’est pas employé pour vous : je veux être moi-même le courrier, et rendre joyeuse l’ouïe de ma femme en lui annonçant votre approche ; je prends donc humblement congé de vous.

DUNCAN. — Mon noble Cawdor !

MACBETH, à part. — Le prince de Cumberland ! Voici un obstacle contre lequel il me faudra trébucher, ou bien que je devrai sauter à pieds joints, car il se trouve sur ma route. Étoiles, cachez vos feux ! que la lumière ne voie pas mes noirs et profonds désirs ; l’œil se ferme devant la main ; et cependant qu’il soit, l’acte que l’œil redouté de voir quand il est accompli ! (Il sort)

DUNCAN. — Vraiment, loyal Banquo, il est si. plein de vaillance que me régaler, de ses louanges est un banquet pour moi. — Allons, et suivons, de près celui qui est parti en avant pour nous préparer un accueil hospitalier [19] : c’est un parent incomparable. (Fanfares. Ils sortent.)

SCÈNE V.

INVERNESS. — Un appartement dans le château de MACBETH.
Entre LABY MACBETH, lisant une lettre.

LADY MACBETH, lisant. — « C’est le jour de la victoire que je les ai rencontrées, et j’ai dû reconnaître, par le plus incontestable témoignage, qu’elles ont une science plus qu’humaine. Au moment où je brûlais du désir de les interroger davantage, elles se sont fondues en air et s’y sont évanouies. Pendant que je restais confondu dans l’étonnement où cette scène m’avait jeté, arrivèrent des messagers du roi, qui me saluèrent d’une même voix thane de Cawdor. Les sœurs fatales m’avaient déjà salué de ce titre, en me renvoyant à l’avenir pour la réalisation de leur « Salut, tu seras roi ! » J’ai jugé bon de t’infornier de cet événement, très-chère compagne de ma grandeur, afin que tu ne perdes pas la volupté de cette joie, par l’ignorance de la grandeur qui t’est promise. Place cette nouvelle dans ton cœur, et adieu. » Tu es Glamis et Cawdor, et tu seras ce qui t’a été promis : cependant je crains ta nature ; elle est trop pleine du lait de l’humaine tendresse pour prendre le plus court, chemin. Tu voudrais être grand ; tu n’es pas sans ambition ; mais tu n’as pas les facultés du mal qui doivent accompagner l’ambition : la grandeur à laquelle tu aspires, tu voudrais y atteindre vertueusement ; tu ne voudrais pas jouer faux jeu, et cependant tu voudrais faussement gagner : tu voudrais avoir, ô puissant Glamis, la chose qui te crie : « c’est ainsi que tu dois agir, si tu veux m’avoir, » et cette chose, tu crains plus de la faire que tu ne souhaiterais qu’elle fût défaite, une fois faite. Arrive vite ici, afin que je puisse verser mon courage dans tes oreilles, et balayer par la vaillance de mes paroles tout ce qui te sépare du cercle d’or dont la destinée et un appui surnaturel semblent désirer de te voir couronné.

Entre UN SERVITEUR.

LADY MACBETH. — Quelles nouvel les apportez-vous ?

LE SERVITEUR. — Le roi vient ici ce soir.

LADY MACBETH. — Tu es fou de me dire cela ! Est-ce que ton maître n’est pas avec lui ? s’il en était comme tu le dis, il m’en aurait donné avis pour’que je pusse faire les préparatifs nécessaires.

LE SERVITEUR. — Cela est vrai, ne vous en déplaise : — notre thane arrive. Un de mes camarades a été dépêché en avant par lui, et cet homme, presque mort faute d’haleine, a eu à peine assez de souffle pour remplir son message.

LADY MACBETH. — Donne-lui ; des soins ; il apporte de grandes nouvelles. (Sort le serviteur.) Oui, le corbeau qui vient annoncer par ses croassements la fatale entrée : de Duncan sous mes créneaux est lui-même enroué [20]. Venez, esprits qui accompagnez les pensées de mort ; dépouillez-moi ici de mon sexe, et remplissez-moi, de la couronne de la tête à la pointe de l’orteil, de la plus implacable cruauté ! épaississez mon sang ; fermez accès et passage à la compassion, afin que nuls scrupuleux retours de la nature n’ébranlent mon atroce dessein, et n’établissent une, trêve entre lui et son exécution ! Entrez dans mes mamelles de femme, et servez-vous de mon lait comme de fiel, ministres du meurtre, où que vous soyez présidant au mal naturel sous vos formes invisibles ! Viens, épaisse nuit, et revêts-toi de la fumée d’enfer la plus foncée, afin que mon poignard perçant ne voie pas là blessure qu’il fera, et que le ciel ne puisse pas regardera travers ton manteau de ténèbres pour crier : « Arrête ! arrête ! »

Entre MACBETH.

LADY MACBETH. — Puissant Glamis ! noble Cawdor ! salué plus grand que ces deux titres par la prédiction qui doit s’accomplir plus tard ! tes lettres m’ont transportée au delà de cet aveugle présent, et je sens tout à l’heure l’avenir comme s’il existait.

MACBETH. — Ma très-chère bien-aimée, Duncan vient ici ce soir.

LADY MACBETH. — Et quand repart-il ?

MACBETH. — Demain à ce qu’il se propose.

LADY MACBETH. — Oh ! jamais le soleil ne verra ce demain ! Votre visage, mon thane, est un livre où les hommes peuvent lire d’étranges choses : pour tromper les circonstances, prenez la physionomie des circonstances ; portez la bienvenue dans votre œil, dans voire main, sur vos lèvres : ayez l’aspect de la fleur innocente, mais soyez le serpent caché sous elle. Il faut pourvoir à l’accueil de celui qui arrive ; remettez la conduite de l’importante affaire de cette nuit à mon exécution, exécution qui peut seule donner à toutes nos nuits et à tous nos jours à venir le sceptre souverain et le pouvoir suprême.

MACBETH. — Nous en causerons davantage.

LADY MACBETH. — Faites seulement bonne contenance ; des traits, altérés sont toujours un symptôme de crainte : confiez-moi tout le reste. (Ils sortent.)

SCÈNE VI.

INVERNESS. — Devant le château.
Concert de hautbois. LES SERVITEURS de MACBETH

attendent aux portes. Entrent DUNCAN, MALCOLM, DONALBAIN, BANQUO, LENNOX, MACDUFF, ROSS,

ANGUS, et gens de la suite.

DUNCAN. — Ce château est’dans une charmante situation ; l’air vif et doux vient y saluer nos sens de l’hommage de ses caresses.

BANQUO. — Cet hôte de l’été, le martinet, qui hante les temples, nous prouve par sa maçonnerie d’heureux augure que le soufflé du ciel circule ici avec amour : il n’y a pas une saillie, une frise, un arc-boutant, une corniche quelque peu favorable, où cet oiseau n’ait suspendu son lit et posé le berceau de sa famille : j’ai remarqué que l’air est d’une extrême pureté dans les endroits où ils habitent et procréent de préférence [21].

Entre LADY MACBETH.

DUNCAN. — Voyez, voyez ! voici notre hôtesse honorée ! — L’amour qui nous poursuit est souvent pour nous un ennui, et cependant nous en sommes reconnaissants, parce qu’il est l’amour. Cela vous apprend de quelle façon vous devez inviter Dieu à nous récompenser de l’ennui que nous vous causon, et quel genre de remercîments vous nous devez pour vos peines.

LADY MACBETH. — Tout notre service exécuté deux fois avec la rigueur la plus stricte, et puis exécuté deux fois : encore, ne serait qu’un moyen bien simple et bien pauvre de reconnaître ces vastes et profonds honneurs dont Votre Majesté charge notre maison : pour les honneurs anciens et pour ces dignités récentes que vous leur avez jointes, nous sommes voués à prier le ciel pour vous.

DUNCAN. — Où est le thane de Cawdor ? Nous l’avons serré de près aux talons, et nous avions l’intention de le devancer ici ; mais il chevauche bien, et sa grande affection, vive comme son éperon, l’a aidé à arriver avant nous à sa demeure. Belle et noble hôtesse, nous sommes votre convive pour cette nuit.

LADY MACBETH. — Vos serviteurs ont toujours en réservé leurs parents, leurs propres personnes et leurs biens, pour répondre au bon plaisir de Votre Altesse, et en ce faisant, ils vous rendent seulement ce qui vous appartient.

DUNCAN. — Donnez-moi votre main ; conduisez-moi vers mon hôte : nous l’aimons extrêmement et nous ; lui donnerons encore de nouvelles marques de notre faveur. Avec votre permission, mon hôtesse. (Ils sortent.)

SCÈNE VII.

INVERNESS. — Un appartement dans le château.
Hautbois et torches. Entrent et passent UN MAÎTRE D’HÔTEL

et divers VALETS avec des plats et des objets de service ;

puis entre MACBETH.

MACBETH. — Si tout était fait lorsque cela sera fait, il serait bon alors que cela fût vivement fait : si l’assassinat pouvait arrêter ses conséquences au filet, et qu’une heureuse impunité fût le résultat net de son exécution ; si ce coup une fois donné finissait tout pour ce monde-ci, pour ce monde seulement, pour cette rive et cette plage du temps, — en bien, nous risquerions le saut de la vie à venir. Mais dans ces occasions-là nous subissons aussi un jugement ici-bas ; les leçons sanglantes que nous donnons, une fois enseignées, retournent contre le professeur pour le maudire : cette justice à la main impartiale porte à nos propres lèvres le contenu de notre calice, empoisonné. Le roi repose ici sous une double sécurité : d’abord, parce que je suis son parent et son sujet, deux titres qui m’interdisent puissamment une telle action ; ensuite, parce que je suis son hôte, et qu’en cette qualité je devrais fermer la porte à son meurtrier, ; au lieu de tenir, moi-même le poignard. En outre, ce Duncan à exercé si doucement son pouvoir, a été si pur dans sa grande charge, que ses vertus plaideront comme des anges aux voix, de trompette ; contre le crime énorme de son assassinat ; et la pitié, pareille a un enfant nu et nouveau-né porté sur la tempête, ou à un chérubin du ciel monté sur les invisibles, coursiers de l’air, frappera si vivement tous les yeux de l’acte horrible, que les larmes qu’elle leur arrachera abattront le vent. Je n’ai d’autre moyen d’éperonner l’éxecution de mon dessein ; qu’en enfourchant l’ambition, mauvaise monture qui saute plus loin que son but, et tombe ailleurs qu’où elle voulait.

Entre LADY MACBETH.

MACBETH. — Eh bien ! quelles-nouvelles ?

LABY MACBETH, — Il a presque fini de souper. Pourquoi ayez-vous, quitté la salle ?

MACBETH. — Est-ce qu’il m’a demandé ?

LADY MACBETH. — Ne vous en doutez-vous pas ?

MACBETH. — Nous ne pousserons pas plus loin cette affaire : il m’a récemment revêtu d’honneurs, et moi-même j’ai conquis la précieuse estime de personnes de tous rangs ; ce sont choses à porter maintenant qu’elles sont dans tout leur lustre le plus frais, et qui ne sont pas faites pour être si vite jetées décote.

LADY MACBETH. — Était-elle donc ivre cette espérance sur lamelle vous fondiez votre avenir ? a-t-elle dormi depuis ? et se réveille-t-elle maintenant pour contempler si verte et si pâle de crainte le but qu’elle désirait si librement A partir de ce moment je tiens ton amour pour tout pareil. Crains-tu d’être dans l’action et dans l’exécution le même homme que tu es dans le désir ? Tu voudrais avoir ce que lu estimes comme l’ornement de la vie, et vivre cependant comme un lâche dans ta propre estime, laissant le « je n’ose pas » accompagner le « je voudrais » comme le pauvre chat de l’adage.

MACBETH. — Paix, je te prie : j’ose faire tout ce qu’il convient à un homme de faire ; qui ose faire plus que moi n’est pas un homme.

LADY MACBETH. — En ce cas, quelle est donc la bête qui vous a fait vous ouvrir à moi sur cette entreprise ? lorsque vous avez osé vous en ouvrir, vous étiez un homme ; et si vous étiez plus encore que vous n’étiez alors, vous seriez d’autant plus un homme. Ni le temps ni le lieu n’étaient alors propices à votre projet, et cependant vous vouliez les préparer, l’un et l’autre : voilà que le temps et le lieu s’offrent d’eux-mêmes, et cette heureuse circonstance abat maintenant votre courage ! J’ai nourri et je sais combien il est doux d’aimer l’enfant qui vous tette ; en bien, j’aurais arraché ma mamelle de ses gencives encore sans dents, et je lui aurais brisé le crâne, pendant qu’il souriait à ma face, si j’avais jure de le faire, comme vous avez juré d’exécuter ce projet.

MACBETH. — Si nous manquions notre coup ?

LADY MACBETH. — Si nous manquions notre coup ! montez seulement votre courage au cran voulu, et nous. n’échouerons pas. Duncan une fois endormi (et il est évident que le dur voyage de cette journée l’invitera à un sommeil profond), je saurai si bien engourdir ses deux chambellans par le vin et la bonne chère, que leur mémoire, cette gardienne du cerveau, sera une fumée, et que le cerveau, ce récipient de la raison, né sera plus qu’un alambic. Lorsque leurs natures noyées seront plongées dans ce sommeil de pourceau comme dans une mort, qu’est-ce que, vous et moi, nous ne serons pas capables d’accomplir sur Duncan laissé sans gardien ? que ne pourrons - nous pas mettre au compte de ses officiers ivres qui porteront la culpabilité de noire grand meurtre ?

MACBETH. — Ne mets au monde que des fils ! car de ta substance implacable, il ne peut se former que des mâles. Ne croira-t-on pas, lorsque nous aurons barbouillé de sang ces deux dormeurs de sa propre chambre, et employé pour le meurtre leurs poignards mêmes, que ce sont eux qui l’ont accompli ?

LADY MACBETH. — Qui osera croire autre chose lorsque nous’ ferons, rugir nos clameurs et nos plaintes au-dessus de son cadavre ?

MACBETH. — Je suis résolu, et j’arme chacun de mes agents physiques pour cet acte terrible. Partons, et moquons l’heure présente par les plus beaux semblants : une face fausse doit cacher ce que connaît un cœur faux. (Ils sortent.)


ACTE II.

SCÈNE PREMIÈRE.

INVERNESS. — La cour intérieure du château de MACBETH.
Entre BANQUO, précédé de FLÉANCE qui porte une torche.

BANQUO. — Quelle heure est-il de la nuit, enfant ?

FLÉANCE. — La lune est couchée : je n’ai pas entendu l’horloge.

BANQUO. — Elle se couche à minuit.

FLÉANCE. — Je crois fort qu’il est plus tard, Monseigneur.

BANQUO. — Tiens, prends mon épée : — on fait au ciel de l’économie, toutes leurs chandelles sont éteintes. — Prends encore cela. — Le sommeil me fait un appel pesant comme plomb, et cependant je ne voudrais pas dormir. — Puissances miséricordieuses, refrénez en moi les pensées maudites auxquelles la nature ouvre accès dans le repos ! — Donne-moi mon épée, — qui va là ?

Entrent MACBETH et UN SERVITEUR avec une torche.

MACBETH. — Un ami.

BANQUO. — Comment, Monseigneur, vous n’êtes pas encore au lit ? Le roi est allé se coucher : il a montré une satisfaction très-exceptionnelle, et il a envoyé de grandes largesses à vos officiers : il présente à votre épouse ce diamant en la saluant du titre de sa très-affectueuse hôtesse ; il s’est retiré, content au delà de toute mesure.

MACBETH. — N’étant pas préparés, notre bonne volonté a été forcée d’obéir à notre manque de ressources ; sans cela elle se serait donné libre carrière.

BANQUO. — Tout est bien. J’ai rêvé la nuit dernière des trois sœurs fatales : elles se sont montrées suffisamment véridiques à votre égard.

MACBETH. — Je ne pense pas à elles : cependant lorsque nous pourrons trouver une heure à perdre, si vous voulez bien m’accorder alors cette faveur, nous la dépenserons à causer quelque peu de cette affaire.

BANQUO. — A votre meilleur loisir.

MACBETH. — Lorsque ce moment se présentera, si vous adhérez à mon désir, cela vous procurera grand honneur.

BANQUO. — Pourvu que je ne perde aucune partie de mon honneur en cherchant à l’augmenter, mais que je garde toujours mon cœur en franchise et ma loyauté intacte, je consens à être conseillé.

MACBETH. — Bon repos en attendant !

BANQUO. — Merci, Monseigneur ; je vous en souhaite autant ! (Sortent Banquo et Fléance.)

MACBETH. — Va, ordonne à ta maîtresse de frapper sur la cloche lorsque mon breuvage sera prêt. — Va te mettre au lit. (Sort le serviteur.) — Est-ce un poignard que je vois devant moi, le manche tourné vers ma main ? Viens, laisse-moi te saisir : — je ne te tiens pas, et cependant je te vois toujours. Fatale vision, n’es-lu donc pas sensible au toucher comme à la vue ? ou bien n’es-tu qu’un poignard imaginaire, la fausse création d’un cerveau opprimé par la fièvre ? Je te vois encore, et sous une forme aussi palpable que le poignard que je tire maintenant. Tu m’ouvres la route où je me disposais à marcher, et c’est d’un instrument tel que toi que j’allais me servir. — Mes yeux sont devenus les fous des autres sens, ou bien ils ne valent pas mieux que les autres : — je te vois toujours, et sur ta lame et ta poignée je vois des gouttes de sang qui n’y étaient pas auparavant. — Il n’existe rien de pareil ; c’est cette entreprise sanguinaire qui fait surgir cette vision devant mes yeux. — Maintenant sur la moitié du monde la nature a l’apparence de la mort, et les mauvais rêves abusent le dormeur sous ses rideaux ; les sorcières célèbrent le service de la pâle Hécate ; et le Meurtre décharné, averti par sa sentinelle, le loup, dont les aboiements sont ses mots d’alerte, d’un pas furtif et aux enjambées rapides, comme celui du ravissent Tarquin, se dirige vers sa proie, pareil à un fantôme. Ô terre solide et fermement assise, ne m’entends pas marcher, ignore où vont, mes pas, de crainte que les pierres elles-mêmes ne babillent en se demandant où je vais, et.n’enlèvent à l’heure présente l’horrible occasion qu’elle favorise si bien. Pendant que je menace, il vit : le feu de l’action veut un souffle moins froid que celui des paroles. (Coup de cloche.)' Je pars, et c’est chose faite ; la cloche m’avertit. N’entends pas cette cloche, DunGan ; car c’est un glas qui t’appelle au ciel ou à l’enfer ! (Il sort.)

SCÈNE II.

Même lieu.
Entre LADY MACBETH.

LADY MACBETH. — Ce qui les a enivrés, m’a donné audace : ce qui les a éteints, m’a donné flamme. — Écoutons ! — Chut ! — C’était le hibou qui criait, ce fatal veilleur qui souhaite la plus sinistre bonne nuit. — Il est en train d’exécuter la chose : les portes sont ouvertes ; et les valets gorgés raillent les devoirs de leur charge par leurs ronflements : j’ai mis des drogues dans leurs breuvages 1, en sorte que la nature et la mort peuvent disputer ensemble pour savoir s’ils sont morts ou vivants.

MACBETH, de l’intérieur. — Qui est là ? Holà, hé !

LADY MACBETH. — Hélas ! je crains qu’ils ne se soient éveillés, et que la chose ne soit pas faite : — c’est la tentative, et rion l’acte commis, qui peut nous ruiner. Écoutons ! — J’avais disposé leurs poignards tout prêts ; il n’a pas pu ne pas les voir. — Si dans son sommeil il ne m’avait présenté la ressemblance de mon père, j’aurais moi-même fait la chose. — Mon époux !

Rentre MACBETH.

MACBETH. — J’ai fait la chose. — N’as-tu pas entendu un bruit ?

LADY MACBETH. — J’ai entendu le hibou gémir et les grillons crier. N’avez-vous pas parié ?

MACBETH. — Quand ?

LADY MACBETH. — Tout à l’heure.

MACBETH. — Comme je descendais ?

LADY MACBETH. — Oui.

MACBETH. — Écoutons ! — Qui couche dans la seconde chambre ?

LADY MACBETH. — Donalbain.

MACBETH. — C’est douloureux à voir. (Il regarde ses mains.)

LADY MACBETH. — Sotte idée que de dire, c’est douloureux à voir.

MACBETH. — Il y en a un qui a ri dans son-sommeil, et un autre qui a crié au meurtre ! de sorte qu’ils se sont éveillés l’un l’autre : je me suis arrêté et je les ai écoutés ; mais ils ont dit leurs prières, et se sont remis à dormir.

LADY MACBETH. — Il y en a deux de logés ensemble.

MACBETH. — Un a crié : Dieu nous bénisse ! et l’autre a crié : Amen, comme s’ils m’avaient vu avec ces mains de bourreau. Pendant que je prêtais l’oreille à leurs frayeurs, je n’ai pu répondre Amen, lorsqu’ils ont dit Dieu nous bénisse !

LADY MACBETH. — Ne prenez pas la chose si fort à cœur.

MACBETH. — Mais pourquoi n’ai-je pas pu prononcer Amen ? J’avais’cependant bien besoin de bénédiction, et Amen m’est resté collé à la gorge.

LADY MACBETH. — Ces actes-là ne doivent pas être considérés de cette manière ; pris de la sorte, cela nous rendra fous.

MACBETH. — Il m’a semblé que j’entendais une voix crier : « Ne sommeille plus ! Macbeth tue le sommeil ! » l’innocent sommeil, le sommeil qui répare l’étoffe de notre vie déchirée par le souci, la mort de l’existence de chacune de nos journées, le bain du dur travail, le baume des âmes malades, le second agent de la grande nature, le principal nourricier du festin de la vie

LADY MACBETH. — Que voulez-vous dire ?

MACBETH. — Et cette voix continuait à crier à travers toute la maison : « Ne sommeille plus ! Glamis a tué le sommeil, et c’est pourquoi Cawdor ne sommeillera plus, Macbeth ne sommeillera plus ! »

LADY MACBETH. — Qui était-ce donc qui criait ainsi ? Vraiment, noble thane, vous offensez votre fier courage en jugeant des choses avec une imagination si malade.

Allez, cherchez un peu d’eau, et effacez de votre main ce hideux témoignage. Pourquoi avez-vous retiré ces poignards de la chambre ? ils doivent y rester ; rapportez-les-y, et barbouillez de sang les valets endormis.

MACBETH. — Je n’y retournerai pas : j’ai peur en pensant à ce que j’ai fait ; quant à le contempler encore, je n’ose pas.

LADY MACBETH. — Oh, le courage infirme ! Donne-moi les poignards : les gens morts et les gens endormis ; ne sont que des peintures : c’est l’œil de l’enfance qui redoute un diable peint. S’il saigne, je frotterai de son sang les visages des valets, car ce crime doit sembler venir d’eux. (Elle sort. On entend frapper à la porte.)

MACBETH. — Qui peut frapper ? Comment se fait-il que tout bruit m’effraye ? Quelles mains sont celles-là ? Ah ! elles arrache mes yeux ! Tout l’océan du grand Neptune pourrait-il laver ce sang qui tache ma main ? non, mais ma main teindrait plutôt en incarnat les mers immenses, et de te vert infini ferait un rouge infini.

Rentre LADY MACBETH.

LABY MACBETH. — Mes mains sont de la couleur des vôtres, mais je serais honteuse de porter un cœur si blanc. (On frappe.) J’entends frapper à la porté du sud : retirons-nous dans notre chambre : un peu d’eau nous lavera de cet acte : combien la chose est facile alors ! Votre fermeté vous a faussé compagnie. (On frappe.) Écoutez ! oh frappe encore : allez mettre vôtre robe de nuit, de crainte que si une circonstance nous appelle, nous ne paraissions avoir veillé : — ne restez pas là perdu si piteusement dans vos pensées.

MACBETH. — Il vaudrait mieux pour moi ne pas me connaître que de connaître l’acte que j’ai commis. (On frappe.) Réveille Duncan avec ton tapage ! Oh, si tu le pouvais ! (Ils sortent !)

SCÈNE III.

Une salle dans le château.
Entre UN PORTIER. On entend frapper.

LE PORTIER. — En voilà un tapage, ma foi ! Si un homme était portier de la porte de l’enfer, il aurait longue habitude de tourner la clef. (On frappe.) Frappe, frappe, frappe ! Qui est là, au nom de Belzébuth ? — « C’est un fermier qui s’est pendu parce qu’il attendait l’abondance. » — Allons, entrez, homme qui comptiez sur le temps, et ayez sur vous une provision de mouchoirs ; ici vous suerez à la besogne. (On frappe.) Frappe, frappe ! Qui est là, au nom de l’autre diable ? — n Sur ma foi, c’est un faiseur d’équivoques, un de ces hommes qui peuvent jurer par les deux plateaux de la balance contre chacun des plateaux, un homme qui a commis une suffisante quantité de trahisons au nom de-Dieu, mais, qui toutefois n’a pu équivoquer avec le ciel. » — Oh, entrez, faiseur d’équivoques. (On frappe.) Frappe, frappe, frappe ! Qui est là ? — « C’est ma foi un tailleur anglais qui vient ici pour avoir réussi à voler sur l’étoffe d’un pourpoint français. » — Entrez, tailleur ; ici vous pourrez faire rôtir votre oie [2]. (On frappe.) Frappe, frappe ! jamais en repos ! Qui êtes-vous ? — Mais cette place est trop froide pour l’enfer. Je ne veux pas faire le rôle de portier du diable plus longtemps : je m’étais amusé à me supposer faisant entrer quelques hommes de toutes les professions qui vont au feu de joie éternel par le chemin garni de primevères. (On frappe.) Tout à l’heure ! tout à l’heure ! Je vous en prie, n’oubliez pas le portier. (Il ouvre la porte.) (a)

(a) Nous avons à peine besoin d’expliquer que le portier se joue à lui-même une petite scène de comédie populaire.

Entrent MACDUFF et LENNOX.

MACDUFF. — Il était donc une heure bien avancée lorsque vous vous êtes mis au lit, l’ami, que vous restez couché si tard ?

LE PORTIER. — Ma foi, Seigneur, nous avons trinqué jusqu’au second chant du coq, et boire, Seigneur, pousse vigoureusement à trois choses.

MACDUFF. — Et quelles sont les trois choses auxquelles boire pousse vigoureusement ?

LE PORTIER. — Parbleu, Seigneur, à avoir le nez peint en rouge, à dormir, et à pisser. Quant à la paillardise, Seigneur, cela y pousse et en repousse ; cela provoque le désir, mais empêche l’exécution : par conséquent, boire beaucoup peut s’appeler équivoquer avec la paillardise : cela la crée et cela l’éteint ; cela la pousse en avant et cela la retire en arrière ; cela la conseille et cela la décourage ; cela la fait lever et cela la fait baisser ; pour conclure, cela l’embrouille dans l’équivoque du sommeil, et la laisse après lui avoir donné le démenti.

MACDUFF. — Je crois que le boire t’a donné le démenti cette dernière nuit.

LE PORTIER. — Oui, vraiment, Seigneur, et à ma gorge encore : mais je l’ai récompensé pour son mensonge ; je crois que je suis trop fort pour lui, et quoiqu’il m’ait un moment pris par les jambes, cependant j’ai eu l’adresse de le jeter bas.

MACDUFF. — Est-ce que ton maître se lève ? — Notre tapage l’a réveillé ; le voici qui vient.

Entre MACBETH.

LENNOX. — Bonjour, noble Seigneur !

MACBETH. — Bonjour à tous les deux.

MACDUFF. — Est-ce que le roi se lève, noble, thane ?

MACBETH. — Pas encore.

MACDUFF. — Il m’avait commandé de l’appeler de bon matin ; j’ai presque laissé passer l’heure.

MACBETH. — Je vais vous conduire à lui.

MACDUFF. — Je sais que c’est là pour vous un joyeux ennui ; mais cejsendant c’est un ennui.

MACBETH. — Le travail dans lequel nous nous conrplaisons guérit la peine. Voici la porte.

MACDUFF. — J’aurai la hardiesse d’appeler, car c’est l’office dont il m’a chargé. (Il sort.)

LENNOX. — Le roi part-il d’ici aujourd’hui ?

MACBETH. — Il part : — il l’a ainsi décidé.

LENNOX. — La nuit a été orageuse : du côté où nous étions couchés, nos cheminées ont été renversées, et à ce qu’on prétend, des lamentations ont été entendues dans l’air ; d’étranges cris de mort, et des prophéties annonçant en accents terribles que des événements anarchiques et une effroyable conflagration étaient sur le point d’éclore dans ces jours de malheur. L’oiseau des ténèbres a crié tout le long de la nuit : quelques-uns disent que la terre était fiévreuse et à tremblé.

MACBETH. — Ç’a été une terrible nuit.

LENNOX. — Ma jeune mémoire ne s’en rappelle aucune dépareille.

Rentre MACDUFF.

MACDUFF. — Horreur, horreur, ô horreur ! le cœur n’osé te comprendre et la voix te nommer !

MACBETH et LENNOX. — Qu’y a-t-il ?

MACDUFF. — Le crime a accompli son chef-d’œuvre ! Un meurtre très-sacrilége a brisé les portes du temple consacré par Dieu, et a dérobé la vie au sein du sanctuaire !

MACBETH. — Qu’est-ce que vous dites ? la vie ?

LENNOX. — Est-ce de Sa Majesté que vous voulez parler ?

MACDUFF. — Approchez de la chambre, et allez détruire votre vue par le spectacle d’une nouvelle Gorgones : ne m’ordonnez pas de parler : voyez, et puis parlez vous-même. — (Sortent Macbeth et Lennox.) Réveillez-vous, réveillez-vous ! Sonnez la cloche d’alarme. — Meurtre et trahison ! — Banquo et Donalbain ! Malcolm ! réveillez-vous ! Secouez ce moelleux sommeil, contrefaçon de la mort, et venez voir la mort elle-même ! Debout, debout, et contemplez l’image du grand jugement ! — Malcolm ! Banquo ! levez-vous comme de vos sépulcres, et avancez comme des fantômes, pour contempler : cette horreur en face ! Sonnez la cloche. (La cloche-d’alarme sonne.)

Entre LADY MACBETH.

LADY MACBETH. — Que se passe-t-il donc, pour qu’une si hideuse trompette convoque à s’assembler les personnes ici endormies ? Parlez, parlez !

MACDUFF. — Ô douce Dame, il ne vous convient pas d’entendre ce que je puis dire : mes paroles répétées à l’oreille : d’une femme l’assassineraient en y tombant.

Entre BANQUO.

MACDUFF. — Ô Banquo ! Banquo ! notre royal maître est assassiné !

LADY MACBETH. — Malheur hélas ! quoi, dans notre maison ?

BANQUO. — Ce serait trop cruel n’importe où. Mon cher Macduff, je t’en prie, contredis-toi toi-même, et dis qu’il n’en est pas ainsi.

Rentrent MACBETH et LENNOX.

MACBETH. — Si j’étais mort une heure avant cet événement, j’aurais eu une vie bénie ; car, à partir de ce moment, il n’y a plus rien de sérieux sur la terre : tout n’est que bagatelles : la gloire et l’honneur ne sont plus ; le vin de la vie est tiré, et il ne reste absolument dans cette cave du monde que la lie dont nous puissions nous vanter.

Entrent MALCOLM et DONALBAIN.

DONALBAIK. — Quel malheur est-il arrivé ?

MACBETH. — Le vôtre, et vous ne le savez pas. : l’origine, la veine première, la fontaine de votre sang est arrêtée, la source même de votre sang est arrêtée.

MACDUFF. — Votre royal père est assassiné.

MALCOLM. — Oh ! par qui ?

LENNOX. — Ce sont les gens de sa chambre, paraît-il, qui ont fait le coup : leurs mains et leurs visages étaient tout marqués de sang, ainsi que leurs poignards que nous avons trouvés non.encore essu}’és sous leurs oreillers : ils tressaillirent et restèrent confondus : c’étaient gens à qui on ne devait confier la vie de personne.

MACBETH. — Oh ! je me repens néanmoins de la fureur qui m’a poussé à les tuer.

MACDUFF. — Pourquoi avez-vous fait cela ?

MACBETH. — Oui pourrait être au même moment sage et.rempli d’horreur, modéré et furieux, loyal et indifférent ? personne. La soudaineté de ma violente affection a devancé la raison plus calme. Devant moi gisait Duncan, sa peau blanche comme l’argent brodéedes filets d’or de son.sang, ses blessures entr’ouvertes qui avaient l’air d’une brèche faite à la nature pour livrer Un passage dévastateur à la ruine : à côté étaient les meurtriers teints des couleurs de leur crime, leurs poignards insolemment revêtus de sang : qui donc ayant un cœur pour aimer, et dans ce cœur assez de courage pour faire connaître son amour, aurait pu se contenir ?

LADY MACBETH. — Oh ! emmenez-moi d’ici !

MACDUFF. — Veillez à la Dame.

MALCOLM, à part, à Donalbain. — Pourquoi, nos langues restent-elles muettes, à nous qui pouvons le mieux réclamer ces droits de l’amour dont il parle.

DONALBAIN, à part, à Malcolm. — Que pourrions-nous dire en ces lieux, où notre destinée cachée dans quelque trou peut surgir à l’improviste et nous saisir ? Partons ; nos larmes ne sont pas encore engendrées.

MALCOLM, à part, à Donalbain. — Et notre profond chagrin n’a pas encore puissance d’agir.

BANQUO. — Veillez à la Dame : (Lady Macbeth est emportée.) et lorsque nous aurons achevé de couvrir nos personnes nues qui souffrent d’être exposées à l’air, réunissons-nous et faisons une enquête sur cette très-sanglante affaire pour en savoir plus long. Les craintes et les scrupules nous agitent : pour moi, je me place sous la puissante main de Dieu, et de là je me défends d’avoir jamais entretenu aucun dessein caché de criminelle trahison !

MACDUFF. — J’en fais autant !

TOUS. — Nous tous aussi !

MACBETH. — Allons rapidement nous habiller, puis réunissons-nous dans la salle

Tous. — C’est chose entendue. (Tous sortent, excepté Malcolm et Donalbain.)

MALCOLM. — À quoi vous décidez-vous ? Ne nous associons pas à eux : montrer une douleur qu’on ne sent pas, est un office aisé pour l’homme hypocrite. Je vais me rendre en Angleterre.

DONALBAIN. — Et moi en Irlande ; en séparant nos fortunes, nous serons plus en sûreté : aux lieux où nous sommes il y a des poignards dans les sourires des hommes : le plus près de notre sang est le plus près d’être sanguinaire.

MALCOLM. — La flèche meurtrière qui a été lancée vole encore, et noire meilleur parti est d’éviter de lui servir de but. Donc à cheval ; ne faisons pas les délicats à l’égard des congés qu’il faudrait prendre, mais esquivons-nous : il est légitime le vol qui consiste à se faire disparaître soi-même, là où l’on n’attend aucune justice. (Ils sortent.)

SCÈNE IV.

INVERNESS. — En dehors du château.
Entrent ROSS et UN VIEILLARD.

LE VIEILLARD. — Je me rappelle parfaitement tout ce qui s’est passé depuis soixante et dix ans : dans ce laps, de temps j’ai vu des heures terriblesetd’étranges choses. ; mais cette cruelle nuit a réduit à l’état de bagatelles mes expériences antérieures.

ROSS. — Ali ! bon père, tu le vois, les cieux, comme troublés du drame joué par l’homme, menacent son sanglant théâtre : à en croire l’horloge, il est jour, et cependant la noire nuit étouffe la lampe au diurne voyage : est-ce la tyrannie de la nuit, ou la honte du jour, qui fait que les ténèbres recouvrent d’un suaire la face de la terre, à l’heure où la lumière vivante devrait la baiser ?

LE VIEILLARD. — C’est contre nature, absolument comme l’acte qui a été commis. Mardi dernier, un faucon qui planait orgueilleusement au point culminant de son vol, fut poursuivi, et tué par un hibou chasseur de souris.

ROSS. — Et les chevaux de Duncan (chose très-étrange et très-certaine), ces chevaux superbes et rapides, les plus beaux de leur race, sont devenus sauvages, ont brisé leurs étables, et se sont lancés au dehors, se refusant à toute obéissance, comme s’ils avaient voulu faire la guerre aux hommes [4].

LE VIEILLARD. — On dit qu’ils se mangent l’un l’autre.

ROSS. — C’est ce qu’ils ont fait au grand étonnement de mes yeux qui contemplaient ce spectacle. — Voici venir le bon Macduff.

Entre MACDUFF.

ROSS. — Comment va le monde, maintenant, Monseigneur ?

MACDUFF. — Parbleu, ne le voyez-vous pas ?

ROSS. — Sait-on qui a commis cet acte plus que sanguinaire ?

MACDUFF. — Ceux que Macbeth a tués.

ROSS. — Hélas, malheur ! quel avantage espéraient-ils en retirer ?

MACDUFF. — Ils étaient subornés ; Malcolm et Donalbain, les deux fils du roi, se sont esquivés et ont fui : ce qui fait tomber sur eux le soupçon du crime.

ROSS. — Voilà qui est encore contre nature : prodigue ambition qui brise les instruments même de ta propre, vie ! — Alors il est très-vraisemblable que la souveraineté tombera sur Macbeth.

MACDUFF. — Il est déjà nommé, et il est allé à Seone pour recevoir l’investiture [5].

ROSS. — Où est le corps de Duncan ?

MACDUFF. — On l’a transporté à la chapelle de Saint-Colomban [6], le réceptacle consacré de ses prédécesseurs, la gardienne de leurs os.

ROSS. — Irez-vous à Scone ?

MACDUFF. — Non, cousin, je vais aller à Fife.

ROSS. — Pour moi, j’irai à Scone.

MACDUFF. — Bon, puissiez-vous y voir toutes choses bien établies, en sorte que nos anciens habits ne nous paraissent pas plus aisés que les nouveaux. Adieu.

ROSS. — Adieu, père.

LE VIEILLARD. — La bénédiction de Dieu aille avec vous, et avec tous ceux qui voudraient faire du mal le bien, et des ennemis des amis ! (Ils sortent.)


ACTE III.

SCÈNE PREMIERE.

FORRES. — Un appartement dans le palais.
Entre BANQUO.

BANQUO. — Tu es maintenant tout, — roi, Cawdor, Glamis, tout ce que t’avaient promis les Sœurs fatales ; et je crains que tu n’aies joué fort vilain jeu pour obtenir cela : cependant-il fut dit que la couronne ne resterait pas : à ta postérité, mais que je serais moi-même la racine et le père de rois nombreux. Si quelque vérité sort d’elles (et l’accomplissement lumineux de leurs prophéties à ton égard, Macbeth, montrent qu’elles disent vrai), pourquoi ces vérités réalisées pour toi, ne seraient-elle pas aussi mon oracle et ne me donneraient-elles pas droit d’espérer ? Mais, chut ! c’est assez.

Fanfares. Entrent MACBETH roi, LADY MACBETH. reine, LENNOX, ROSS, SEIGNEURS, DAMES, et gens de la suite.

MACBETH. — Voici notre principal convive.

LADY MACBETH. — S’il avait été oublié, il y aurait eu comme une lacune dans notre grande fête, et elle aurait été incomplète de tout point.

MACBETH. — Ce soir nous tenons un banquet solennel, Monseigneur, et j’y requiers votre présence.

BANQUO. — Votre Altesse, peut me commander ; mes devoirs lui sont pour toujours attachés par le lien le plus indissoluble.

MACBETH. — Montez-vous à cheval cette après-midi ?

BANQUO. — Oui, mon bon Seigneur.

MACBETH. — Sans cela nous, aurions désiré vos bons avis (nous les avons toujours trouvés graves et heureux) dans le conseil de ce jour ; mais nous les prendrons demain. Allez-vous loin à cheval ?

BANQUO. — Aussi loin, Monseigneur, qu’il sera nécessaire pour remplir le temps entre l’heure présenté et le souper : si mon cheval ne marche pas bien, il pourra se faire que j’emprunte à la nuit une ou deux de ses heures de ténèbres.

MACBETH. — Ne manquez pas à notre festin.

BANQUO. — Monseigneur, je n’y manquerai pas.

MACBETH. — Nous apprenons que nos sanguinaires, cousins se sont établis en Angleterre et en Irlande, et que loin d’avouer leur cruel parricide, ils racontent à leurs auditeurs les plus étranges inventions : — mais nous parlerons de cela demain, quand nous nous réunirons pour, discuter en outre une affairé d’état qui réclame notre présence à tous. Montez a cheval ; adieu, jusqu’à votre retour à la nuit. Fléance va-t-il avec vous ?

BANQUO. — Oui, mon bon Seigneur : le temps nous presse.

MACBETH. — Je souhaite, à vos chevaux pied sûr et prompt, et sur ce je Vous recommande à leurs reins. Adieu. (Sort Banquo.) Que chacun soit maître de son temps jusqu’à sept heures du soir : pour faire à nos invités une bienvenue encore plus douce, nous voulons rester seuls jusqu’à l’heure, du souper : jusque-là, Dieu soit avec vous ! (Sortent Lady Macbeth, les Seigneurs, les Dames, etc.)

MACBETH. — Un mot, maraud : ces hommes attendentils notre bon plaisir ?

UN SERVITEUR. — Ils sont aux portes du palais, Monseigneur.

MACBETH. — Amène-les devant nous. (Sort le serviteur) Être roi n’est rien, si on n’est-pas roi en toute sécurité. Les craintes que nous inspire. Banquo sont profondes ; dans sa nature, royale règnent des qualités qu’il faut craindre : il est courageux à l’excès, et à cette trempe indomptable de son âme, il joint une sagesse qui guide sa valeur de manière à la faire agir en toute sûreté. Il n’y a que lui dont je redoute la nature : devant lui mon bon génie perd toute puissance, comme on dit que celui de Marc Antoine était dominé par César [1]. Il gronda les Sœurs lorsqu’elles commencèrent par me décerner le nom de roi, et il leur ordonna de lui parler ; alors, comme des prophètesses, elles le saluèrent du nom de père d’une lignée de rois : c’est ainsi qu’elles ont placé sur ma tête une couronne stérile, et mis à mon poing un sceptre sans force qui doit en être arraché par une main étrangère à mon sang, nul fils de moi ne devant me succéder. S’il en est ainsi, c’est pour la postérité de Banquo que j’ai, souillé mon âme ; c’est pour elle que j’ai assassiné le gracieux Duncan : c’est pour ses enfant, seulement pour eux, que j’ai versé des acides dans le vase de ma paix ; c’est pour les faire rois, rois les enfants de Banquo, que j’ai vendu mon immortel joyau au commun ennemi de l’homme ! Plutôt qu’il en soit ainsi, entre dans l’arène, ô Destinée, et sois mon champion à toute outrance ! — Qui est là ?

Rentre LE SERVITEUR avec DEUX MEURTRIERS.

MACBETH. — Maintenant tenez-vous à la porte, et attendez-y jusqu’à ce que nous appelions. (Sort le serviteur.) N’était-ce pas hier que nous avons parlé ensemble ?

PREMIER MEURTRIER. — Oui, plaise à Votre Altesse.

MACBETH. — Eh bien, avez-vous réfléchi sur mes paroles ? Sachez que ce fut lui qui dans le temps passé vous retint ainsi sous le joug de la fortune, acte que vous aviez attribué à notre personne innocente : je vous l’ai démontré dans notre dernière conversation ; je l’ai passée à vous expliquer comment vous aviez été dupés, traversés, quels instruments furent employés et qui les employa, et toutes les autres circonstances qui ; suffiraient pour faire dire à une demi-intelligence, et à une raison atteinte d’imbécillité : « ce fut le fait de Banquo. »

PREMIER MEURTRIER. — Vous nous l’avez démontré.

MACBETH. — Oui, et je suis allé plus loin, ce qui est maintenant le sujet de notre seconde entrevue. Découvrez-vous que, la patience soit assez, prédominante dans votre nature pour vous permettre de ; laisser passer cette offense ? Êtes-vous assez dévots pour prier pour ce brave homme dont la lourde main, vous a courbés vers le tombeau et a réduit pour toujours les vôtres à la mendicité, — pour prier pour lui et sa postérité ?

PREMIER MEURTRIER. — Nous sommes des hommes, mon Suzerain.

MACBETH. — Oui, vous passez pour des hommes dans le catalogue général, comme les chiens courants, les lévriers, les métisses, les épagneuls, les dogues, les barbets, les caniches et les demi-loups sont tous désignés sous le nom de chiens : mais le classement par ordre distingue l’agile, le lent, le subtil, le sédentaire, le chasseur, chacun selon le don que la généreuse nature a renfermé en lui ; par là il reçoit une désignation, particulière, dans cette liste qui les comprend tous également : il en est ainsi des hommes, Maintenant, si vous ayez une place dans cette liste, si vous n’êtes pas au degré le plus bas de l’humanité, dites-le, et je confierai, à vos cœurs une affaire dont l’exécution vous débarrassera de votre ennemi, et vous rendra cher à notre cœur et à nôtre affection, à nous que sa vie rend malade et qui serions en parfaite santé par sa mort.

SECOND MEURTRIER. — Mon Suzerain, je suis un homme que les rebuffades et les vils soufflets du monde ont à ce point irrité qu’il m’est égal de faire quoi que ce soit qui puisse blesser la société.

PREMIER MEURTRIER. — Et moi, j’en suis un autre, tellement échiné de désastres, tellement ballotté par la fortune, que je risquerais ma vie sur n’importe quelle chance, pour l’améliorer ou pour en être débarrassé.

MACBETH. — Vous savez tous deux que Banquo fut votre ennemi ?

SECOND MEURTRIER. — Oui, Monseigneur.

MACBETH. — Il est aussi le mien, et un ennemi qui me louche de si près que chaque minute de son existence menace ce que ma vie a de plus essentiel : bien que je puisse, par le simple exercice de mon pouvoir, le balayer de ma vue, et ordonner à ma volonté d’avouer cet acte, je ne le dois pas cependant, à cause de certains amis, qui sont à la fois les siens et les miens, dont je ne veux pas perdre l’affection, et avec lesquels il me faudra gémir sur la perte de celui que j’aurai renversé moi-même ; et voilà, comment il se fait que je sollicite votre assistance, parce que je veux cacher pour diverses raisons importantes cette affaire aux yeux du public.

SECOND MEURTRIER. — Nous exécuterons, Monseigneur, ce que vous nous commandez.

PREMIER MEURTRIER. — Quoique nos existences....

MACBETH. — Votre courage éclate au dehors de vous. D’ici à une heure au plus, je vous indiquerai où vous devez vous poster ; je vous informerai de l’heure précise où vous devez épier son arrivée ; car cela doit être fait ce soir, et à quelque distance du palais ; vous devez avoir. toujours en pensée que je dois être à l’abri de tout soupçon : en outre, afin de ne pas laisser de lacunes et d’imperfections dans cet ouvrage, il faut aussi que Fléance, son fils, qui lui tient compagnie, et dont la disparition ne m’importe pas moins que celle de son père, partage la destinée de cette heure sinistre. Prenez votre résolution seuls ensemble ; je viendrai vous retrouver tout à l’heure.

LES DEUX MEURTRIERS. — Nous sommes résolus, Monseigneur.

MACBETH. — Je vais vous faire appeler tout à l’heure ; restez dans le palais. (Sortent les meurtriers.) C’est une affaire conclue : — Banquo, si ton âme doit trouver le chemin du ciel, elle le trouvera ce soir. (Il sort.)

SCÈNE II.

FORRES. — Un autre appartement dans le palais.
Entrent LADY MACBETH et UN VALET.

LADY MACBETH. — Est-ce que Banquo s’est absenté de la cour ?

LE VALET. — Oui, Madame, mais il revient ce soir.

LADY MACBETH. — Dites au roi que je voudrais disposer de son loisir pour lui dire quelques mots.

LE VALET. — Oui, Madame. (Il sort.)

LADY MACBETH. — Nous ne possédons, rien, tout nous échappe, lorsque notre désir accompli ne nous a pas acquis contentement :"il est plus sûr d’être la personne que nous détruisons, que de vivre par sa destruction dans une joie douteuse.

Entre MACBETH.

LADY MACBETH. — Eh bien. Monseigneur, qu’est-ce à dire ? Pourquoi restez-vous seul à tenir compagnie aux plus tristes imaginations, et à entretenir des pensées qui devraient être mortes avec ceux qu’elles regardent ? On ne doit pas s’inquiéter des choses sans remède aucun : ce qui est fait est fait.

MACBETH. — Nous avons blessé le serpent, nous ne l’avons pas tué ; il se roulera sur lui-même et se redressera, cependant que notre pauvre malice reste en danger de la morsure de ses anciennes dents. Mieux vaut que la charpente de la création se disjoigne, que les deux mondes soient bouleversés, que de continuer à manger nos repas dans la crainte, et à dormir avec l’affliction de ces terribles rêves qui nous agitent chaque nuit. Mieux vaut être avec les morts que nous avons envoyés dans le royaume de la paix pour prendre leur place, que de subir la torturé de l’âme dans un délire sans repos. Duncan est dans son tombeau ; après l’accès de fièvre de la vie il sommeille bien ; la trahison a accompli son pire forfait ; ni poignard, ni poison, ni discordes intérieures, ni attaques étrangères, rien ne peut plus ie toucher maintenant !

LADY MACBETH. — Allons, mon gentil Seigneur, dépouillez vos sombres regards ; soyez brillant et jovial parmi vos convives ce soir.

MACBETH. — C’est ce que je serai, chérie, et je vous en prie, soyez de même : que votre attention se porte sur Banquo ; traitez-le avec la distinction la plus marquée à la fois par vos regards et par vos paroles : médiocre-sécurité que la nôtre tant que nous sommes obligés de laver nos honneurs dans ces flots de flatteries, et de faire de nos visages des masques à nos cœurs pour déguiser ce qu’ils sont.

LADY MACBETH. — Laissez là ces pensées.

MACBETH. — Ô chère femme, mon âme est pleine de scorpions ! Tu sais que Banquo et son Fléance vivent.

LADY MACBETH. — Mais les exemplaires d’humanité qu’ils sont ne sont pas éternels.

MACBETH. — Il y a encore de la ressource ; on peut les assaillir ; ainsi, sois joyeuse : avant que la chauve-souris ait commencé son vol autour des cloîtres ; avant qu’à l’appel de la noire Hécate, l’escarbot porté sur ses ailes d’écaillés, ait de son bourdonnement assoupissant sonné la fanfare ronflante de la nuit, il sera fait un acte d’une terrible importance.

LADY MACBETH. — Qu’est-ce qui doit se passer ?

MACBETH. — Sois innocente de le savoir, ma très-chère poulette, jusqu’à l’heure où tu pourras y applaudir. — Viens, nuit dont la mission est de frapper de cécité, bande les tendres yeux du jour compatissant, et de ta, main sanglante et invisible brise et mets en pièces la grande existence qui me tient pâle ! La lumière s’assombrit, et le corbeau dirige son vol vers le bois où est son nid : les bons êtres créés pour le jour commencent à s’affaisser, et à s’assoupir, tandis que les noirs agents de la nuit se ; réveillent pour aller chercher leur proie. — Mes paroles t’étonnent : mais conserve ta tranquillité ; les choses commencées par le mal se fortifient par le mal : ainsi, je t’en prie, viens avec moi. (Ils sortent.)

SCÈNE III.

FORRES. — Un parc avec un sentier conduisant à. la porte du palais.
Entrent TROIS MEURTRIERS.

PREMIER MEURTRIER. — Mais qui t’a ordonné de te joindre à nous ?

TROISIÈME MEURTRIER. — Macbeth.

SECOND MEUHTRIER. — Nous n’avons pas à nous défier de lui, puisqu’il, nous expose la nature de notre office, et nous explique la chose que nous avons à faire juste selon les ordres que nous avons reçus.

PREMIER MEURTRIER. — Reste avec nous alors. L’occident étincelle encore de quelques traînées de lumière : maintenant le voyageur attardé hâte le pas pour atteindre l’auberge bienvenue, et l’objet de notre attente est bien près d’arriver.

TROISIÈME MEURTRIER. — Chut ! j’entends des chevaux.

BANQUO, du dehors. — Donnez-nous une lumière ici, holà !

SECOND MEURTRIER. — En ce cas, c’est lui ; les autres convives qu’on attendait sont déjà tous à la cour.

PREMIER MEURTRIER. — Ses chevaux s’en retournent.

TROISIÈME MEURTRIER. — À un mille environ ; mais c’est son habitude, comme d’ailleurs celle de tout le monde, d’aller à pied d’ici à la porte du palais.

SECOND MEURTRIER. — Une lumière, une lumière !

TROISIÈME MEURTRIER. — C’est lui.

PREMIER MEURTRIER. — Préparez-vous.

Entrent BANQUO et FLÉANCE, ce dernier avec une torche.

BANQUO. — Nous aurons de la pluie ce soir.

PREMIER MEURTRIER. — Qu’elle tombe. (Il assaille Banquo.)

BANQUO. — Ô trahison ! Fuis, mon bon Fléance, fuis, fuis, fuis, afin de me venger ! — Ô esclave ! (Il meurt. Fléance s’évade.)

TROISIÈME MEURTRIER. — Qui a éteint la lumière ?

PREMIER MEURTRIER. — N’était-ce pas le vrai moyen ?

TROISIÈME MEURTRIER. — Il n’y en a qu’un d’abattu ; le fils s’est enfui.

SECOND MEURTRIER. — Nous avons perdu la meilleure moitié de notre affaire.

PREMIER MEURTRIER. — Bah, partons, et allons dire ce qu’il y en a de fait. (Ils sortent.)

SCÈNE IV.

FORRES. — Une chambre d’apparat dans le palais.
Un banquet est préparé. Entrent MACBETH, LADY MACBETH, ROSS, LENNOX, SEIGNEURS et gens de service.

MACBETH. — Vous connaissez vos rangs réciproques, prenez vos places : aux premiers et aux derniers la plus cordiale bienvenue.

LES SEIGNEURS. — Nous remercions Votre Majesté.

MACBETH. — Nous-même nous nous mêlerons à votre société et nous remplirons en toute humilité le "rôle d’hôte. Notre hôtesse garde’son siège d’honneur ; mais en temps convenable nous lui demaliderons.de vous souhaiter la bienvenue.

LADY MACBETH. — Souhaitez-la pour moi à tous nos amis, Sire ; car mon cœur dit qu’ils sont les bienvenus.

MACBETH. — Vois, ils te répondent par leurs cordiaux remerciments. Les deux côtés de la table sont garnis d’un égal nombre de convives : je vais m’asseoir ici au milieu. Abandonnez-vous sans contrainte à la joie ; nous boirons tout à l’heure une rasade à la ronde.

LE PREMIER MEURTRIER se présente à la porte.

MACBETH. — Il y a du sang sur ton visage. LE MEURTRIER. — En ce cas, c’est celui de Banquo.

MACBETH. — Il vaut mieux que ce sang soit sur ton visage que dans ses veines. Est-il dépêché ?

LE MEURTRIER. — Il a la gorge coupée, Monseigneur ; c’est moi qui lui ai fait son affaire.

MACBETH. — Tu es le meilleur des coupe-gorges : cependant il a son prix, celui qui a fait la même chose à Fléance : si c’est toi qui l’as fait, tu es le nonpareil.

LE MEURTRIER. — Très-royal Sire, Fléance s’est échappé.

MACBETH. — En-ce cas voilà que mes transes me reprennent : sans cela j’aurais été en repos absolu, entier comme, le marbre, assis comme le rocher, libre et sans plus d’entraves que l’air ambiant, tandis que maintenant je suis encagé, enfermé, emprisonné, enchaîné dans des doutes et des effrois insolents. Mais Banquo est-il en sûreté ?

LE MEURTRIER. — Oui, mon bon Seigneur, en sûreté dans un fossé, où il est couché tout de son long avec vingt blessures énormes à la tête, dont la moindre serait mortelle.

MACBETH. — Je t’en remercie : le gros serpent est maintenant écrasé ; quant au petit reptile qui s’est enfui, il a une nature qui avec le temps engendrera du poison, mais il n’a pas de dents pour l’heure. Pars ; demain, nous nous entretiendrons encore ensemble. (Sort le meurtrier.)

LADY-MACBETH. — Mon royal Seigneur, vous n’animez pas votre fête : c’est un festin d’auberge, celui qui, pendant qu’il se donne, n’est pas fréquemment assaisonné d’assurances de cordiale affection : il vaudrait mieux en ce cas dîner chez soi ; mais quand on est hors de chez soi, l’assaisonnement aux mets est la cérémonie ; sans cela une fête serait maigre.

MACBETH. — Chère aide-mémoire ! — Allons, bon appétit suivi d’une bonne digestion, et, bonne santé comme résultat de l’un et de l’autre !

LENNOX. — Plairait-il à Votre Altesse de s’asseoir ?

MACBETH. — Maintenant nous aurions sous notre toit la noblesse entière de nôtre contrée, si la gracieuse personne de noire Banquo était présente. Veuilleie ciel que j’aie plutôt à le gronder pour son manque d’égards qu’à le plaindre pour quelque accident.

LE SPECTRE DE BANQUO se lève, et s’assied à la place de MACBETH.

ROSS. — Son absence, Sire, est un reproche pour son exactitude. Plairait-il à Votre Altesse de nous honorer de votre royale compagnie ?

MACBETH. — La table est pleine !

LENNOX. — Il y a ici une place réservée, Sire.

MACBETH. — Où cela ?

LEKNOX. — Ici. mon bon Seigneur. Qu’est-ce qui trouble Votre Altesse ?

MACBETH. — Quel est celui de vous qui a fait cela ?

LES SEIGNEURS. — Quoi, mon bon Seigneur ?

MACBETH. — Tu ne peux pas dire que je l’ai fait : ne secoue pas devant moi ta chevelure sanglante.

ROSS. — Seigneurs, levez-vous ; Son Altesse n’est pas bien.

LADY MACBETH. — Asseyez-vous, nobles amis : — Monseigneur est souvent ainsi, et a été tel dès sa jeunesse : je vous en prie, gardez vos sièges : l’accès n’est que momentané ; dans un instant il sera remis. Si vous le remarquez trop, vous l’offenserez et vous ne ferez qu’accroître son délire ; mangez et ne vous inquiétez pas de lui. — Êtes-vous un homme ?

MACBETH. — Oui, et un homme hardi, qui ose regarder des choses qui feraient pâlir le diable.

LADY MACBETH. — Oh, les belles histoires ! ce sont les images créées par vos craintes : c’est comme ce poignard marchant dans l’air, qui, disiez-vous, vous conduisait vers Duncan. Ô ces hallucinations et ces transes, contrefaçons menteuses de la crainte véritable, feraient bon effet dans un conte débité au coin d’un feu d’hiver, par une bonne femme, avec l’autorisation de sa grand mère. C’est la honte même ! Pourquoi faites-vous de telles grimaces ? Tout bien examiné, vous ne regardez qu’un fauteuil.

MACBETH. — Regarde ici, je t’en prie ! vois ! regarde ! Oh ! qu’en-dites-vous ? Parbleu, quel souci en ai-je ? Si tu peux faire signe de la tête, tu peux bien parler aussi. Si les charniers et les cimetières peuvent rendre ceux que nous ensevelissons, nos tombeaux seront de vrais gésiers de milans. (Le fantôme disparaît)

LADY MACBETH. — Comment ! vous voilà presque privé de toute virilité par la folie.

MACBETH. — Si je me place ici, je le vois.

LADY MACBETH. — Fi, par pudeur !

MACBETH. — Il a été répandu du sang, avant ce jour, dans les anciens temps, avant que les lois humaines eussent corrigé la bienfaisante société ; oui, et depuis lors, il a été accompli des meurtres trop terribles pour que l’oreille lies apprenne : il fut un temps, où quand le crâne était brisé, l’homme mourait, et tout était fini ; mais maintenant voilà que les morts se relèvent avec vingt blessures mortelles sur le crâne, et nous chassent de nos sièges : cela est plus étrange qu’un tel meurtre même.

LADY MACBETH. — Mon digne Seigneur, vos nables amis vous réclament.

MACBETH. — Je m’oublie. Ne vous alarmez pas sur mon compte, mes très-nobles amis ; j’ai une étrange infirmité qui n’est rien pour ceux, qui me connaissent Allons, santé et affection à vous tous, et puis je vais m’asseoir. Donnez-moi du vin, remplissez la coupe jusqu’aux bords. Je bois à la joie générale de toute l’assemblée, et à notre cher ami Banquo qui nous manque ; que n’est-il ici ! nous buvons à lui et à tous ! nous sommes tout à tous !

LES SEIGNEURS. — Nos devoirs tiennent raison à votre courtoisie.

LE SPECTRE reparait.

MACBETH. — Arrière ! loin de ma vue ! Que la terre te cache ! Tes os sont sans moelle, ton sang est froid ; tu n’as pas de pouvoir de vision dans ces yeux que tu fais étinceler !

LADY MACBETH. — Ne regardez celà, braves pairs, que comme un accident habituel : ce n’est pas autre chose ; seulement, cela gâte le plaisir de la soirée.

MACBETH. — Ce qu’un homme peut oser, je l’ose : viens sous la forme de l’ours velu de Russie, du rhinocéros cuirassé, ou du tigre d’Hyrcanie ; prends la forme que tu voudras, sauf celle-là, et mes nerfs solides ne trembleront pas : ou bien, revis, et ose me défier de me mesurer avec ton épée dans un lieu solitaire ; si je tremble de m’y rendre, déclaré-moi le poupon d’une fillette. Hors d’ici, ombre horrible ! moquerie sans réalité, hors d’ici ! (Le fantôme disparaît.) Fort bien ; — Une fois qu’il est parti, je redeviens homme. — Je vous en prie, restez tranquillement assis.

LADY MACBETH. — Vous avez chassé la joie, et bouleversé cette bonne réunion par un désordre d’esprit dont on s’étonne fort.

MACBETH. — De telles choses pourraient-elles exister, et fondre sur nous comme un nuage orageux de l’été, sans exciter notre étonnement le plus intense ? Vous me comblez de stupéfaction, même dans l’état d’esprit où je me trouve, en pensant que vous pouvez contempler de tels spectacles et conserver sur vos joues l’incarnat naturel, tandis que les miennes sont blanches de frayeur.

ROSS. — Quels spectacles, Monseigneur ?

LADY MACBETH. — Je vous en prie, ne lui parlez pas : cela le fait aller de mal en pire ; les questions l’irritent : je vous dis bonsoir à tous à la fois : — ne vous arrêtez pas à l’ordre de l’étiquette pour sortir, mais partez tous en même temps.

LENNOX. — Bonne nuit, et meilleure santé à Sa Majesté !

LADY MACBETH. — Affectueuse bonne nuit à vous tous ! (Sortent les Seigneurs et les gens de service.)

MACBETH. — Cela, comme on dit, voudra du sang ! le sang appellera le sang : on a vu des pierres se mouvoir, des arbres parler ; des pies, des corneilles, des colombes ont fourni des augures et des révélations pour dévoiler le criminel le plus caché. — Où en est la nuit ?

LABY-MACBETH. — Si près du matin, qu’on ne sait si c’est la nuit ou le matin.

MACBETH. — Que dis-tu de Macduff qui refuse de se rendre à notre grande convocation ?

LADY MACBETH. — Avez-vous envoyé auprès de lui, Sire ?

MACBETH. — C’est d’une manière indirecte que j’ai appris cela ; mais j’enverrai : il n’y en a pas un seul d’entre eux chez qui je ne tienne un serviteur à mes gages. Demain, j’irai trouver les sœurs fatales, et j’irai de bonne heure : elles devront m’en dire davantage ; car maintenant je suis résolu à connaître le pire par les pires moyens. Tous les motifs quelconques devront céder la place à mon intérêt : je suis entré si avant dans un fleuve de sang, que si je n’avançais pas davantage, revenir serait aussi ennuyeux qu’achever de le traverser : j’ai dans ma tête d’étranges choses que ma main exécutera, et qui veulent être accomplies sans me laisser le temps de les peser.

LADY MACBETH. — Vous avez besoin du remède réparateur de toutes les créatures vivantes, le sommeil.

MACBETH. — Allons donc dormir. Cet oubli étrange de moi-même est l’effet d’une terreur encore novice et qui a besoin de s’endurcir par l’habitude : nous sommes encore jeunes dans le crime. (Ils sortent.)

SCÈNE V.

La bruyère.
Tonnerre. Entrent LES TROIS SORCIÈRES, qui se rencontrent avec HÉCATE [2].

PREMIÈRE SORCIÈRE. — Eh qu’y a-t-il, Hécate ? vous paraissez en colère.

HÉCATE. — N’en ai-je pas raison, sorcières audacieuses et impertinentes que vous êtes ? Comment avez-vous osé faire avec Macbeth commerce et trafic d’énigmes et d’affaires de mort, tandis que moi, la maîtresse de vos charmes, l’agent souverain de tous maléfices, je n’ai été appelée ni à y participer, ni à montrer la gloire de notre art ? Et ce qui est pis, tout ce que vous avez fait, vous l’avez fait pour un fils fantasque, colérique et violent, qui, comme les autres, aime ses propres desseins et non votre profit. Mais faites amende honorable maintenant : partez, et venez me rencontrer "dans la matinée au gouffre de l’Achéron : il s’y rendra pour connaître sa destinée. Préparez vos vases et vos charmes, vos sortilèges et toutes les autres choses. Je vais faire un voyage dans l’air ; j’emploierai cite nuit à une œuvre sinistre et fatale. J’ai d’importantes choses à faire avant midi : une vapeur épaisse pend au bord de la lune ; je veux m’en emparer avant qu’elle soit tombée à terre, et cette vapeur distillée par des habiletés magiques, fera lever des esprits d’une apparence si proche de la réalité, que par la force de l’illusion, il sera entraîné au plus extrême vertige. Il donnera du pied à la destinée, méprisera la mort, et placera ses espérances au-dessus de la sagesse, de la vertu et de la crainte : et vous le savez toutes, la sécurité est la principale ennemie des mortels. (Musique et chant au loin avec les cris de : Venez, venez, etc. [3].) Écoutez ! on m’appelle ; voyez, mon petit esprit est assis sur un nuage de brouillard et m’attend. (Elle sort.)

PREMIÈRE SORCIÈRE. — Allons, faisons hâte ; elle sera de retour bientôt. (Elles sortent.)

SCÈNE VI.

FORTVES. — Un appartement dans le palais.
Entrent LENNOX et UN AUTRE, SEIGNEUR.

LENNOX. — Mes paroles précédentes n’ont fait que toucher vos pensées de loin ; je vous laisse le soin d’en pousser l’interprétation : seulement, je dis que les choses se sont ; singulièrement passées. Le gracieux Duncan a été pleuré par Macbeth, — parbleu, il était mort ! — et le très-vaillant Banguo resta trop tard à la promenade. Vous pouvez dire, si cela vous plaît, que Fléance l’a tué, car Fléance s’est enfui : les gens ne doivent pas se promener trop tard. Certes il n’est personne qui ne sache combien il a été monstrueux à Malcolm et à Donalbain de tuer leur gracieux père ! Action maudite ! comme cela fendit le cœur de Macbeth ! N’a-t-il pas immédiatement, dans une rage pieuse, massacré les deux coupables qui étaient esclaves de l’ivresse et captifs du sommeil ? Est-ce que ce ne fut pas là une noble action ? Oui, et sage aussi ; car cela aurait irrité tout cœur vivant d’entendre ces gens nier qu’ils fussent coupables. De sorte que je dis qu’il a bien conduit toutes choses : et je crois que s’il tenait sous sa clef les fils de Duncan (qu’il n’y mettra pas, s’il plaît au ciel), ils apprendraient ce que c’est que de tuer un père ; et Fléance l’apprendrait aussi. Mais, silence ! car j’apprends que pour quelques mots un peu trop libres, et pour avoir refusé de se rendre à la fête du tyran, Macduff vit en disgrâce : Monseigneur, pourriez-vous me dire où il s’est retiré ?

LE SEIGNEUR. — Le fils de Duncan dont ce tyran détient le patrimoine héréditaire, vit à la cour d’Angleterre, où il est reçu par le très pieux Édouard avec une telle faveur, que la malveillance de la fortune ne lui fait rien perdre du grand respect qui lui est dû : c’est là qu’est allé Macduff pour prier le saint roi de réveiller, en faveur du prince, Northumberland et le vaillant Siward, afin que par leurs secours, — avec l’approbation de celui qui est en haut, — nous puissions donner à nos tables la nourriture, à nos nuits le sommeil, affranchir nos fêtes et nos festins des poignards sanguinaires, rendre un fidèle hommage, et recevoir de libres honneurs, toutes choses après lesquelles nous soupirons à présent, : or, le rapport de ces choses a tellement exaspéré le roi qu’il fait quelques préparatifs de guerre.

LENNOX. — Avait-il envoyé auprès de Macduff ?

LE SEIGNEUR. — Qui, et Macduff ; a congédié avec un absolu « non pas moi, Monsieur, » le messager qui s’en est retourné le front assombri et murmurant quelque chose qui voulait dire : « vous vous repentirez de l’heure où vous m’avez chargé de cette réponse embarrassante. »

LENNOX. — Et il y avait bien là de quoi l’engager à être prudent, et à se tenir à aussi lointaine distance que sa sagesse peut lui en donner moyen. Puisse quelque saint ange voler à la cour d’Angleterre, et exposer son message avant qu’il soit arrivé, afin que la bénédiction du ciel retourne bien vite dans notre contrée qui : souffre sous une main maudite !

LE SEIGNEUR. — J’envoie mes prières avec lui ! (Ils sortent.)


ACTE IV.

SCÈNE PREMIÈRE.

Une caverne ténébreuse. Au milieu, un chaudron bouillant.
Tonnerre. Entrent LES TROIS SORCIÈRES.

PREMIÈRE, SORCIÈRE. — Trois fois le chat moucheté a miaulé [1].

SECONDE SORCIÈRE. — Et à trois reprises le jeune hérisson a gémi une fois.

TROISIÈME SORCIÈRE. — Harpier crie : il est temps ! il est temps !

PREMIÈRE SORCIÈRE :

Tout autour du chaudron tournons,
Et ses entrailles empoisonnées remplissons. —
Crapaud, qui sous la froide pierre,
Pendant trente et un jours et trente et une nuits
T’es gonflé de venin en dormant,
Bous le premier dans la marmite enchantée !

LES TROIS SORCIÈRES ensemble :

Redoublons, redoublons de travail et de peine ;
Brûle, feu ; bouillonne, chaudron.

SECONDE SORCIÈRE :

Filet de serpent des marécages,
Bous et cuis dans le chaudron ;
Œil de salamandre, patte de grenouille,
Poil de chauve-souris, langue de chien,
Dard fourchu de vipère, aiguillon d’orvet,
Jambe de lézard, aile de hibou,
Pour un sortilège puissant en délire,
Bouillonnez et bouillez comme un potage d’enfer.

LES TROIS SORCIÈRES ensemble :

Redoublons, redoublons de travail et de peine ;
Brûle, feu ; bouillonne, chaudron.

TROISIÈME SORCIÈRE :

Ecaille de dragon, dent de loup,
Momie de sorcière, mâchoire et gorge
Du vorace requin de mer,
Bacine de ciguë arrachée dans la nuit,
Foie de Juif blasphémateur,
Fiel de bouc, copeaux de if
Taillés pendant une éclipse de lune,
Nez de Turc, lèvres de Tartare,
Doigt d’enfant étranglé à sa naissance,
Mis au monde dans un fossé par une coûteuse,
Faites le potage épais et gluant :
Ajoutons encore des tripes de tigre,
Aux ingrédients de notre chaudron.

LES TROIS SORCIÈRES ensemble :

Redoublons, redoublons de travail et de peine ;
Brûle, feu ; bouillonne, chaudron.

SECONDE SORCIÈRE :

Refroidissons-le avec le sang d’un singe,
Afin que le charme soit solide et bon.
Entre HECATE.

HÉCATE :

Oh, bien travaillé ! je vous félicite de vos peines.
Et chacune participera aux gains.
Maintenant, chantez autour du chaudron,
Comme des elfes et des fées en rond,
Ensorcelant tout ce que vous y jetez. (Musique.)

LES TROIS SORCIÈRES chantent :

Esprits noirs-et-blancs,
Esprits rouges et gris,
Mêlez, mêlez, mêlez,
Vous qui mêler savez [2]. (Sort Hécate.)

SECONDE SORCIÈRE. — Au picotementde mes pouces, je sens que quelqu’un de maudit vientdece côté :

Porte, ouvre-toi toute grande
A quiconque vient nous surprendre !
Entre MACBETH.

MACBETH. — Eh bien, sorcières, filles de la solitude, des ténèbres et de minuit, quefaites-vous-là ?

LES TROIS SORCIÈRES. — Une œuvre sans nom.

MACBETH. — Je vous-en conjure, par la-science que vous possédez, quelle que soit la manière dont vous l’ayez acquise, répondez-moi. Quand bien ; même vous devriez déchaîner les vents et les faire combattre contre les-églises ; quand bien même les vagues bouillonnantes devraient détruire et engloutir les navires ; quand bien même les moissons en épis devraient être couchées à ras de terre et les arbres abattus [3] ; quand bien même les châteaux devraient s’écrouler sur les têtes de leurs possesseurs, et les palais et les pyramides abaisser leurs faîtes jusqu’à leurs fondements ; quand bien même le trésor des germes de la nature devrait confondre ses richesses pêle-mêle, jusqu’à ce que la destruction elle-même fût frappée d’épuisement par ce désordre, répondez à ce que je vais vous demander.

PREMIÈRE SORCIÈRE. — Parle.

SECONDE SORCIÈRE. — Demande.

TROISIÈME SOTICIÈRE. — Nous répondrons.

PREMIÈRE SORCIÈRE. — Dis-nous si tu aimes mieux, apprendrd ce que tu as à demander, de nos bouches ou de celles denos maîtres ?

MACBETH. — Appelez-les, faites-les-moi voir.

PREMIÈRE SORCIÈRE. — Versez le sang d’une truie qui a mangé ses neuf marcassins [4] ; jetez dans la flamme la graisse qui a suinté du gibier d’un meurtrier.

LES TROIS SORCIÈRES ensemble. — Viens, que tu sois grand ou petit ;

Montre dextrement ta personne et ton office !

Tonnerre. — Une tête armée du casque apparaît au-dessus du chaudron.

MACBETH. — Dis-moi, puissance inconnue....

PREMIÈRE SORCIÈRE. — Il connaît ta pensée ; écoute ce qu’il va te dire, mais ne prononce pas un mot.

L’APPARITION. — Macbeth ! Macbeth ! Macbeth ! prends garde à Macduff ; prends garde au thane de Fife. — Renvoyez-moi, assez. (L’apparition rentre dans le chaudron.)

MACBETH. — Qui que-tu sois, merci pour ton bon conseil ; tu as touché tout droit au sujet de mes craintes : mais encore un mot.

PREMIÈRE SORCIÈRE. — Il ne veut pas être commandé : en voici un autre plus puissant que le premier.

Tonnerre. — L’apparition d’un enfant ensanglanté surgit.

L’APPARITION. — Macbeth ! Macbeth ! Macbeth !

MACBETH. — Je voudrais avoir trois oreilles pour t’entendre.

L’APPARITION. — Sois sanguinaire, hardi et résolu ; méprise en riant le pouvoir de l’homme ; car nul homme né de la femme ne nuira à Macbeth ! (L’apparition rentre dans le chaudron.)

MACBETH. — Vis, en ce cas, Macduff ; qu’ai-je besoin de te craindre ? Cependant je doublerai la certitude de cette assurance et j’engagerai la destinée : tu ne vivras pas ; je veux pouvoir dire à la crainte au pâle visage qu’elle ment, et dormir en dépit du tonnerre.

Tonnerre. — Surgit l’apparition d’un enfant couronné tenant un arbre à la main [5].

MACBETH. — Quel-est celui-ci qui se lève comme le rejeton d’un roi, et porte sur son front d’enfant le cercle et l’insigne suprême de la souveraineté ?

LES TROIS SORCIÈRES ensemble. — Écoule, mais ne lui parle pas.

L’APPARITION. — Prends un cœur de lion, sois orgueilleux, n’aie pas souci de qui gronde, de qui s’agite, ni de savoir où sont les conspirateurs : Macbeth ne sera jamais vaincu, jusqu’à ce que le grand bois de Birnam marche contre lui sur la haute colline de Dunsinane. (L’apparition rentre dans le chaudron.)

MACBETH. — Cela ne sera jamais ! qui peut commander à la forêt ; ordonner aux arbres de détacher leurs racines enfoncées en terre ? Charmantes prédictions ! excellentes ! Rébellion, ne lève jamais la tète avant que le bois de Birnani ; se mette en marche, et notre Macbeth placé au faîte vivra tout son bail naturel avec l’existence, et ne rendra son souffle qu’au temps et à la loi universelle. — Cependant mon cœur palpite du désir de savoir une certaine chose : dites-moi (si votre art vous permet de m’en dire aussi long), la postérité de Banquo régnerat-elle jamais sur ce royaume ?

LES TROIS SORCIÈRES. — Ne cherche pas à en savoir davantage.

MACBETH. — Je veux être satisfait : ne me refusez pas cela, ou qu’une malédiction éternelle tombe sur vous ! Instruisez-moi de cela. Pourquoi ce chaudron s’enfonce-t-il ? et quel est ce bruit ? (Sons de hautbois.)

PREMIÈRE SORCIÈRE. — Montrez-vous !

DEUXIÈME SORCIÈRE. — Montrez-vous !

TROISIÈME SORCIÈRE. — Montrez-vous !

LES TROIS SORCIÈRES ensemble. — Montrez-vous à ses yeux et affligez son cœur ; venez comme des ombres et partez comme des ombres !

Huit rois apparaissent et défilent en ordre, le dernier tenant un miroir [6] ; BANQUO les suit.

MACBETH. — Tu es trop semblable à l’esprit de Banquo ; redescends ! ta couronne blesse mes yeux : — et toi qui le suis, dont le front est ceint du cercle d’or, ta chevelure est semblable à celle du premier : — un troisième est comme les précédents. — Ignobles sorcières ! pourquoi me montrez-vous ce spectacle ? — Un quatrième ! — Ouvrez-vous tout grands, mes yeux ! Comment, est-ce que cette descendance va continuer jusqu’au jour du jugement ? — Encore un autre ? — Un septième ? — Je ne veux pas en voir davantage ! — Et cependant, le huitième apparaît, portant un miroir, qui m’en montre beaucoup d’autres encore, et j’en vois quelques-uns qui portent de doubles globes et de triples ; sceptres. Horrible spectacle ! — Maintenant, je le vois, c’est vrai, car Banquo l’ensanglanté Sourit en me regardant et me les montre comme ses rejetons. — Comment ! en est-il ainsi ?

PREMIÈRE SORCIÈRE. — Oui, : Sire, tout cela est véritable : mais pourquoi Macbeth reste-t-il ainsi anéanti ? Allons, mes sœurs, réveillons ses esprits, et montrons-lui les plus beaux de nos divertissements : je vais charmer l’air pour qu’il rende des sons, pendant que vous exécuterez votre ronde fantastique, afin que ce grand roi nous rende l’affectueux témoignage que nos dévouements lui ont payé la courtoisie de sa visite. (Musique. Les sorcières dansent et puis s’évanouissent.)

MACBETH. — Où sont-elles donc ? Évanouies ! Que cette heure détestable soit pour toujours maudite dans le calendrier ! Entrez, vous qui êtes là dehors !

Entre LENNOX.

LENNOX. — Que veut Votre Grâce ?

MACBETH. — Avez-vous vu les sœurs fatales ?

LENNOX. — Non, Monseigneur.

MACBETH. — Ne sont-elles pas passées près de vous ?

LENNOX. — Non, en vérité, Monseigneur.

MACBETH. — Infecté soit l’air où elles chevauchent, et damnés soient tous ceux qui ont Confiance en elles ! — J’ai entendu le galop d’un cheval : qui est venu ici ?

LENNOX. — Ce sont deux ou trois personnes, Monseigneur, qui vous apportent la nouvelle que Macduff s’est enfui en Angleterre.

MACBETH. — Qu’il s’est enfui en Angleterre !

LEXNOX. — Oui, mon bon Seigneur.

MACBETH. — Ô temps, tu devances ; mes redoutables exploits ! Le projet a des ailes et n’est jamais atteint, à moins que l’action ne marche de pair avec lui : à partir de ce moment les premières impulsions de mon cœur, seront les premières impulsions de ma main. Aussi, sans délai aucun, afin de couronner mes pensées par des actes, — aussitôt pensé, aussitôt fait, — je vais surprendre le château de Macduff, saisir Fife, livrer au tranchant de l’épée sa femme, ses enfants, et toutes les âmes infortunées qui appartiennent à sa race. Ce ne sera pas la vanterie d’un sot ; j’accomplirai cet acte avant que mon intention se refroidisse : mais plus de : soupirs ! — Où son ces gentilshommes ? Allons, amenez-moi où-ils sont. (Ils sortent.)

SCÈNE II.

FIFE. — Un appartement dans le château de MACDUFF.

Entrent LADY MACDUFF, SON FILS, et ROSS.

LADY MACDUFF. — Qu’avait-il fait qui l’obligeât à fuir le pays ?

ROSS. — Il vous faut avoir de la patience, Madame.

LADY MACDUFF. — Il n’en a eu aucune ; sa fuite a été pure folie. Nos craintes font de nous des traîtres, lorsque nos actions ne nous font tels en rien.

ROSS. — Vous ne savez pas si ce fut chez lui sagesse ou crainte.

LADY MACDUFF. — Sagesse ! Abandonner sa femme, abandonner ses-enfants, son château et ses titres, dans un pays d’où il s’enfuit lui-même ! Il ne nous aime pas ; il manque de l’instinct naturel ; car le pauvre roitelet, le plus microscopique des oiseaux combattra dans son nid pour ses petits contre le hibou. Tout est crainte dans cette action, l’affection ne s’y montre en rien, et il y a aussi peu de sagesse ; car cette fuité est contre toute raison.

ROSS. — Ma très-chère cousine, je vous en prie, faites-vous la leçon à vous-même : mais, quant à ce qui’est de votre mari, il est noble, sage, judicieux, et connaît parfaitement l’état critique de la situation où nous sommes. Je n’ose pas en dire davantage : mais ce sont de cruels temps, lorsque nous sommes traîtres et que nous ne le savons pas nous-mêmes ; lorsque c’est de la rumeur que nous apprenons que nous avons lieu de craindre, sans savoir cependant ce que nous devons craindre, mais que nous flottons, ballottés de côté et d’autre, sur une mer orageuse et violente. Je prends congé de vous ; il ne se passera pas longtemps avant que je revienne : les choses s’arrêteront quand elles seront au pire, ou bien elles remonteront à l’état où elles étaient auparavant. — Mon gentil cousin, la bénédiction de Dieu soit avec vous !

LADY MACDUFF. — Il a un père, et cependant il est sans père.

ROSS. — Je suis vraiment fou ; rester plus longtemps serait à la fois ma disgrâce et votre malheur : je prends mon congé sans plus de retards. (Il sort.)

LADY MACDUFF. — Votre père est mort, maraud ; que ferez-vous maintenant ? Comment vivrez-vous ?

LE FILS DE MACDUFF. — Comme les oiseaux, ma mère.

LADY MACDUFF. — Comment ! vous vivrez de vers et de mouches ?

LE FILS DE MACDUFF. — Je veux dire que je vivrai de ce que je trouverai ; c’est comme cela qu’ils font.

LADY MACDUFF. — Pauvre oiseau ! tu ne craindrais jamais ni filets, ni gluaux, ni traquenards, ni pièges ?

LE FILS DE MACDUFF. — Pourquoi les craindrais-je, mère ? ce n’est pas pour les pauvres oiseaux qu’on les emploie. Mon père n’est pas mort, quoi que vous en. disiez.

LADY MACDUFF. — Si, il est mort ; comment feras-tu jiour avoir un père ?

LE FILS DE MACDUFF. — Et vous, comment ferez-vous pour avoir un mari ?

LADY MACDUFF. — Mais je puis m’en acheter vingt à n’importe quel marché.

LE FILS’DE MACDUFF. — Vous les achèterez pour les revendre, alors.

LADY MACDUFF. — Tu par les, avec tout ton esprit, et ma foi, il est assez grand pour ton âge.

LE FILS DE MACDUFF. — Est-ce que mon père était un traître, mère ?

LADY MACDUFF. — Oui, c’est ce qu’il était.

LE FILS DE MACDUFF. — Qu’est-ce qu’un traître ?

LADY-MACDUFF. — Eh bien, c’est un honinie qui jure et qui ment à sa parole.

LE FILS DE MACDUFF. — Est-ce que tous ceux qui font cela sont traîtres ?

LADY-MACDUFF. — Tous ceux qui font cela sont des traîtres et méritent d’être pendus.

LE FILS DE MACDUFF. — Est-ce qu’on pend tous ceux qui jurent et mentent ?

LADY MACDUFF. — Tous absolument.

LE FILS DE MACDUFF. — Et qui-se charge de les pendre ?

LADY MACDUFF. — Mais les honnêtes gens.

LE FILS DE MACDUFF. — Alors les menteurs et les jureurs sont des sots ; car il y a assez de jureurs et de menteurs pour baltre les honnêtes gens et les pendre.

LADY MACDUFF. — Dieu te protége maintenant, pauvre singe ! Mais comment feras-tu pour avoir un père ?

LE FILS DE MACDUFF. — S’il était mort, vous pleureriez sur lui : si vous ne pleuriez pas, ce serait bon signe que j’aurais bientôt un nouveau père.

LADY MACDUFF. — Pauvre babillard ! comme tu bavardes !

Entre UN MESSAGER.

LE MESSAGER. — Dieu vous bénisse, belle. Dame ! Je vous suis inconnu, bien que moi je connaisse parfaitement à quelle grande condition vous appartenez. Je crains que quelque danger ne soit au moment de vous approcher : si vous voulez croire au conseil d’un homme simple, qu’on ne vous trouve pas ici ; partez d’ici avec vos enfants. Il me semble que je suis bien sauvage de vous effrayer ainsi ; faire davantage serait atroce cruauté, et Cette cruauté n’est que trop près de votre personne. Le ciel vous préserve ! je n’ose pas rester plus longtemps. (Il sort.)

LADY MACDUFF. — Où fuirais-je ? Je n’ai fait aucun mal. Mais je me rappelle maintenant que je suis dans ce inonde terrestre où faire le mal est souvent louable ; où faire le bien est quelquefois réputé folie dangereuse : alors, pourquoi, hélas ! mettre en avant pour ma défense cette raison de femme, je n’ai pas fait de mal ? Quels sont ces visages-ci ?

Entrent LES MEURTRIERS.

PREMIER MEURTRIER. — Où est votre mari ?

LADY MACDUFF. — J’espère qu’il n’est en aucun lieu assez impur pour que des gens tels que toi puissent le trouver.

PREMIER MEURTRIER. — C’est un traître.

LE FILS DE MACDUFF. — Tu mens, scélérat à la crinière hérissée !

PREMIER MEURTRIER. — Qu’est-ce à dire là, œuf, jeune fretin de trahison ! (Il le poignarde.)

LE FILS DE MACDUFF. — Il m’a tué, mère : fuyez, je vous, en prie ! (Il meurt. Sort Lady Macduff criant au meurtre ! et poursuivie par les meurtriers.)

SCÈNE III.

ANGLETERRE. — Devant le palais du Roi.
Entrent MALCOLM et MACDUFF.

MALCOLM. — Cherchons quelque ombrage désolé, etlà ouvrons-nous nos tristes cœurs au milieu de nos larmes.

MACDUFF. — Serrons plutôt solidement le glaive qui donne lamort, et comme des hommes courageux, remettons sur ses étriers notre patrie tombée à terre. Chaque matin, de-nouvelles veuves hurlent de douleur, de nouveaux orphelins sanglotent, de nouveaux chagrins vont frapper le ciel à la face, si bien qu’il en retentit comme s’il partageait les sentiments de l’Écosse et mugissait les mêmes accents de douleur.

MALCOLM. — Je consens à déplorer ce que je puis croire, à croire ce dont je suis sûr, et ce que je pourrai redresser, dès que j’en trouverai l’occasion propice, je le redresserai. Ce que vous avez dit peut être vrai. Ce tyran dont le nom seul ulcère nos langues, était autrefois réputé honnête : vous l’avez beaucoup aimé, et il ne vous a pas encore frappé. Je suis jeune, mais il se peut que vous cherchiez à bien mériter de lui par ma perte, et que vous jugiez sage d’offrir un faible, pauvre, innocent agneau pour apaiser un Dieu irrité.

MACDUFF. — Je ne suis pas traître.

MALCOLM. — Maïs Macbeth l’est. Une bonne et vertueuse nature peut agir contrairement à elle-même sur l’ordre d’un souverain. Mais je vous demande pardon, ; mes pensées ne peuvent changer ce que vous êtes : les anges continuent à être brillants, quoique le plus brillant de tous soit tombé : quand bien même toutes les choses odieuses porteraient la physionomie de la grâce, la grâce en continuerait pas moins à garder son visage.

MACDUFF. — J’ai perdu mes espérances.

MALCOLM. — Peut-être à l’endroit même où j’ai trouvé mes doutes. Pourquoi, avez-vous laissé avec cette, précipitation femme et enfant, ces précieux.sujets.de- : soHixitude, ces puissants liens d’amour, sans prendre congé ? Je vous en prie, prenez mes scrupules défiants non comme un déshonneur pour vous, mais comme une sécurité pour moi : quelque chose que je pense, elle ne peut atteindre en rien l’intégrité que vous pouvez avoir.

MACDUFF. — Saigne, saigne, ma pauvre contrée ! Puis-sante tyrannie, assurersolidemen.ttabase, caria-vertu n’ose ^pa.s ; te faire obstacle !.affiche hardiment tes injustices, tes titras-sont incontestés ! — Porte-toi bien, Seigneur, : ^je ne voudrais pas être le-scélérat que-ru".me supposes qiour toute l’étendue de.terre qui est sous la.griffe du

;.tvran, ., et pour tout le richéOrient par-dessus le-inarch.é.

MALCOLM. — Nersoyez-pas offensé. : je.ne vous parle pas ; ainsi-parce que j’ai rane crainte formelle de vous. Je iCrois que notre pays rsuccombe sous le joug ; il pleure, 11 saigne, et chaque jour u, u nouveau coup de poignard est ajouté à ses-blessures : je.crois, en outre, que bien des mains s’y lèveraient en faveur de mon droit ; et ici, l.è gracieux roi d’AngJetenie m’offre l’appui de plusieurs —milliers de braves.troupes : : mais tout cela fait, quand j’aurai foulé aux pieds.la tête du tyran, ou que je l’aurai portée itu bout de mon -épée, nia pauvre contrée sera encore plus affligée de vices qu’auparavant ; elle souffrira davantage, et de beaucoup plus de.manières, par le fait.de.celui qui lui succédera.’

"MACDUFF.— Quel peut être celui-là ?

MALCOLM. — C’est de moi-même.que j’entends.parler, de moi en qui je sais que toutes les.semences du vice sont tellement enracinées, que ’lorsqu’elles éclateront, le noir Macbeth paraîtra pur comme la.neige, et que le malheureux, .royaume l’estimera un.agneau.quand.il le.comparera.à la.malfaisance infinie.qui.est.en, moi.

MACDUFF. — Il ne peut sortir des légions de l’horrible enfer, un démon plus damné et qui puisse surpasser Macbeth en méfaits !

MALCOLM. — J’accorde qu’il est sanguinaire, luxurieux, avare, fourbe, trompeur, violent, malicieux, qu’il n’est pas de vice ayant un nom dont il n’ait quelque fumet. mais il n’y a pas de fond, il n’y en a aucun, à ma luxure : —vos -femmes, vos filles, vos matrones, vos vierges, ne pourraient remplir la citerne de- mon incontinence ; et mes désirs franchiraient tous les obstacles qui voudraient s’opposer à ma volonté. Mieux vaut que Macbeth règne qu’un homme tel que moi.

MACDUFF. — L’intempérance sans limites est une tyrannie dans notre nature ; elle a vidé prématurément plus d’un trône heureux et causé la chute de bien des rois. Mais ne craignez pas pour cela deprendre ce qui vous appartient : vous pourrez donner à vos plaisirs ample satisfaction, et cependant paraître froid, tant il vous sera facile de cacher votre jeuaux yeux du public. Nous avons assez de Dames de bonne volonté ; vous ne pouvez avoir en vous un vautour assez affamé pour en dévorer autant que vous en trouverez de disposées à se dévouer à votre grandeur, lorsqu’elles reconnaîtront qu’elléincline de ce côté.

MALCOLM. — À ce vice se joint dans ma nature, composée tout entière de mal, une avarice tellement insatiable que, si j’étais roi, je décapiterais les nobles pour avoir leurs terres ; je désirerais les joyaux de celui-ci et la maison de cet autre : tout surcroît de richesse serait comme, une sauce qui me mettrait encore plus en appétit ; en sorte que j’inventerais des. querelles injustes contre les hommes vertueux, et loyaux, afin de les détruire pour avoir leurs richesses.

MACDUFF. — Ce vice de l’avarice enfonce plus profondément, pousse de plus pernicieuses racines’que la luxure pareille à l’été ; l’avarice a été l’épée meurtrière de nos rois assassinés : cependant ne craignez pas encore ; l’Ecosse a des richesses suffisantes pour satisfaire votre appetit, rien qu’avec ce qui vous appartient en propre. Tous ces défauts sont supportables, mis en balance avec un poids correspondant de vertus.

MALCOLM. — Mais je n’en ai aucune : de ces qualités qui conviennent aux rois, telles que la justice, la véracité, la tempérance, la fermeté, la’générosité, la persévérance, la clémence, l’humilité, la piété, la patience, le courage, la force d’âme, je n’en ai pas le moindre atome ; mais, au contraire, je possède chaque vice dans toutes ses variétés, et je les satisfais de toutes les manières. Vrai, si j’en avais le pouvoir, je verserais en enfer le doux lait de la concorde, je troublerais la paix universelle, et je détruirais sur terre toute harmonie.

MACDUFF. — Ô Écosse ! Écosse !

MALCOLM. — Si un tel homme est digne de gouverner, parle ; je suis ce que je t’ai dit.

MACDUFF. — Digne de gouverner ! non, pas même de vivre. — Ô nation misérable ! gouvernée par le sceptre sanglant d’un tyran sans droits, quand reverras-lu tes heureux jours, puisque le plus légitime héritier de ton trône s’en déclarant indigne ; se l’interdit à lui-même et blasphème la race d’où il sort ? — Ton royal père était un très-saint roi ; la reine qui t’a porté était plus souvent à genoux que debout, et mourut au monde chacun des jours qu’elle vécut. Adieu ! ces vices dont tu me montres la répétition dans ta personne sont ceux-là même qui m’ont banni d’Écosse. Ô mon cœur, ton espoir finit ici !

MALCOLM. — Macduff, cette noble colère, enfant de ton intégrité, a nettoyé mon âme de ses noirs scrupules, et réconcilié mes pensées avec ta sincérité et ton honneur. Plusieurs fois le diabolique Macbeth a essayé, par des artifices de cetle sorte, de me mettre en son pouvoir ; aussi une sagesse réservée m’interdit-elle de me livrer à une crédulité trop hâtive : mais que Dieu qui est au-dessus de nous soit intermédiaire entre toi et moi ! car, dès ce moment, je me place sous ta direction, et je démens les calomnies que je me- suis adressées à moi-même ; j’abjure ici les vices et les. défauts que je me suis donnés, comme étrangers à ma nature. Je n’ai pas encore connu de femme ; je ne fus jamais parjure ; rarement j’ai convoité ce qui n’était pas à moi ; en aucun temps je n’ai brisé ma foi ; je ne voudrais pas trahir le diable lui-même à son compagnon ; et je-, trouve dans la vérité autant de bonheur que dans la vie même- : mon premier mensonge a été celui que je viens de diriger contre inoi-^néme. Ce. que je suis en réalité, je le mets à tes ordres et à ceux, de mon pauvre pays, vers lequel le vieux Siward, avec dix mille guerriers déjà tout préparés, se disposait à marcher, avant ton arrivée. Maintenant nous partirons ensemble, et puisse notre succès répondre à la justice de notre cause ! Pourquoi restez-vous silencieux ?

MACDUFF. — C’est qu’il est difficile de réconcilier dans un même moment des choses si heureuses et si mauvaises.

Entre UN MÉDECIN.

MALCOLM. — Bon, nous en parlerons plus amplement tout à l’heure. — Est-ce que le roi vient, je vous prie ?

LE MÉDECIN. — Oui, Seigneur ; il y a là une troupe d’âmes misérables qui attendent sa cure ; leur maladie défie les’plus grandes ressources de fart ; mais le ciel a donné à sa main une telle sainteté, qu’à son toucher ils guérissent immédiatement.

MALCOLM.— Je vous remercie, docteur. (Sort le médecin.)

MACDUFF. — De quelle maladie veut-il parler ?

MALCOLM. — Elle est appelée le mal du roi ; c’est.une opération très-miraculeuse de ce bon roi, que je lui ai vu souvent accomplir depuis mon séjour en Angleterre. Comment il s’y prend pour solliciter le ciel, lui seul le sait : mais il guérit des gens frappés d’une manière étrange, complètement ulcéreux et gonflés, ’qui font mal à voir et qui sont le désespoir de la médecine, en leur passant au cou avec de saintes prières une médaille d’or : on die qu’illaissera aux rois qui lui succéderont ce pouvoir miraculeux de guérison [7]. À cette étrange vertu, il. joint UE don céleste de prophétie, et son trône est entouré de bénédictions diverses qui le proclament rempli-de la grâce divine.

MAcnuFF. — Voyez, qui vient ici ?

MALCOLM. — Un de mes compatriotes [8] : mais je ne reconnais’pas’encore lequel.,

Entre ROSS.

MACDUFF. — Mon ; très-gracieux cousin, soyez ici le bienvenu.

MALCOLM. — Je le reconnais’maintenant : — bon Dieu, : éloignez bien, vile les malheurs qui nous font étrangers les uns aux autres !

ROSS. — Siré, je dis Amen.

MACDUFF.— L’Écosse est-elle.toujours à la même place ?

ROSS — Hélas ! pauvre contrée qui osé à-peine se -connaître ’elle-même ! Elle ne peut être appelée notrémère, . mais notre tombe, cette.contrééoù nul ; n’est vu sourire ; sauf ceux qui ; n’ont aucune connaissance ; où" les sanglots, les soupirs, lés gémissements qui déchirentJ’air retentissent sans être- remarqués ;- où le - plus violent chagrin semblé une ; orise. de nerfs ordinaire ; où Rôn demande à peine pour, qui sohnè’le glas dés morts’ ; où les ; vies des hommes : dé bien expirent avant quelesfleurs, qui sont à leurs çha- ; peaux soient’mortes’ ou seulement languissantes.

MACDUFF. — Oh, rapport trop poétique ; et cependaht’ trop’vrail

MALCOLM-. -^-Quel lest’le plus récent malheur ?’-.Ross.’— Celui-qru’est.âgé".’d’une heurerfait paraîtreridicule son. narrateur ; chaque minute en engendre ; un nouveau..

M’AGSUFF.— :Ooinment-va ma-femmé ?

Rossi — Mais’ bien.

MACDUFF.—Et tous mes enfants ?

Ross.—Bien-aussi ;

MACDUFF-’ ;—’Le tyran tf’àpas’troublé leur paix 1 ? 1

ROSS. — Non, ils étaient tout à fait en paix lorsque je les ai laissés.

MACDUFF. — Ne soyez pas avare de vos paroles ; quel est l’état des choses ?

ROSS. — Lorsque je suis parti pour venir porter ici des nouvelles que j’ai trouvées d’un poids bien lourd, le bruit courait qu’une foule de braves gens courageux s’étaient levés, rumeur qui fut bientôt pour moi un fait réel, lorsque je vis sur pied les troupes du tyran : l’heure de venir à leur secours est arrivée ; votre présence en Écosse créerait des soldats et ferait combattre nos femmes pour mettre fin à leurs cruelles détresses.

MALCOLM. — Ils peuvent prendre courage, car nous partons : le gracieux roi d’Angleterre nous a prêté l’appui du brave Siward et de dix mille hommes ; il n’existe pas dans la chrétienté un plus vieux et meilleur soldat.

ROSS. — Que ne puis-je répondre à ces consolantes nouvelles par d’autres aussi consolantes ! Mais j’ai à prononcer des paroles qui voudraient être hurlées dans l’air désert où l’oreille ne pourrait les saisir.

MACDUFF. — À quoi se rapportent-elles ? Est-ce au sort général du pays, ou bien à un malheur individuel qui regarde avant tout le cœur qu’il atteint ?

ROSS. — Il n’y a pas d’âme honnête qui ne ressente pour sa part un tel malheur, quoique la plus grande partie vous en appartienne à vous seul.

MACDUFF. — S’il m’appartient, ne me le retenez pas, faites-le-moi bien vite connaître.

ROSS. — Que vos oreilles ne méprisent pas à jamais ma langue pour leur avoir fait entendre les paroles les plus douloureuses qu’elles aient encore reçues.

MACOUFF. — Hum ! je me doute de l’affaire.

ROSS. — Votre château a été surpris ; votre femme et vos enfants ont été sauvagement massacrés : vous rapporter comment serait ajouter votre mort à la boucherie de ces tendres victimes.

MALCOLM. — Ciel miséricordieux ! Allons, ami ! n’enfoncez pas votre chapeau sur vos yeux ; donnez parole à votre douleur : le chagrin qui ne parle pas chuchote à l’oreille du cœur trop plein et l’invite à se briser.

MACDUFF. — Mes enfants aussi ?

ROSS. — Femme, enfants, serviteurs, tout ce qu’on a pu trouver.

MACDUFF. — Et il a fallu que je fusse absent ! Ma femme tuée aussi ?

ROSS. — Je vous l’ai dit.

MALCOLM. — Prenez courage : faisons de notre grande vengeance la médecine qui guérira ce chagrin mortel.

MACDUFF. — Il n’a pas d’enfants. — Tous mes gentils petits ? Avez-vous dît tous ? — Ô milan d’enfer ! — Tous ! Quoi, tous mes gentils poussins et leur mère abattus dans une seule.descente de ce milan ?

MALCOLM. — Raisonnez ce malheur Comme un homme.

MACDUFF. — C’est ce que je ferai :-mais je dois aussi le sentir comme un homme : il ne se peut pas que je ne me rappelle qu’il existait de tels êtres, qui étaient pour moi les plus précieuses des créatures. — Comment ! le ciel a pu contempler ce spectacle et ne pas prendre.leur parti ? Pécheur de Macduff, c’est à cause de toi qu’ils ont tous été frappés. ! mauvais.que je suis, ce.n’est pas. pour leurs démérites, mais pour les miens que le massacre est tombé sur leurs âmes. Léciel les aie dans son sein maintenant !

MALCOLM. — Que ce malheur serve à votre épée de pierre à aiguiser : que votre douleur se tourne en colère ; qu’elle n’émousse pas votre cœur, mais qu’elle remplisse de rage, .

MACDUFF. — Oh ! je pourrais jouer avec mes yeux le rôle d’une femme, et avec ma langue celui d’un frénétique ! Mais, ô ciel miséricordieux, coupez court à tous délais ; conduisez-nous face à face, ce démon d’Écosse et moi ; placez-le au bout de mon épée ; s’il échappe, je yeux bien que le ciel lui pardonne aussi.

MALCOLM. — Voilà qui est parler virilement. Venez, allons trouver le roi ; nos forces sont prêtes ; il ne nous reste qu’à prendre congé. Macbeth est mûr pour la chute, et les puissances suprêmes ont déjà mis sur pied leurs ministres. Acceptez les consolations autant que vous le permet votre douleur ; elle est longue la nuit qui ne voit jamais revenir le jour ! (Ils sortent.)


ACTE V.

SCÈNE PREMIÈRE.

DUNSINANE. — Un appartement dans le château.
Entrent UN MÉDECIN et UNE DAME DE COMPAGNIE.

LE MÉDECIN. — J’ai veillé deux nuits avec vous, mais je ne puis apercevoir aucune vérité dans ce que vous me racontez. A quelle époque s’est-elle ainsi promenée pour la dernière fois ?

LA DAME DE COMPAGNIE. — Depuis que le roi est parti pour entrer en campagne, je l’ai vue se lever de son lit, jeter sur elle sa robe de chambre, ouvrir son cabinet, prendre du papier, le plier, écrire, lire ce qu’elle avait écrit, ensuite le sceller, et s’en retourner au lit ; et cependant durant tout ce temps-là elle était profondément endormie.

LE MÉDECIN. — C’est un trouble profond dans la nature, que de jouir du bienfait du sommeil tout en accomplissant en même temps les actes de la veille ! — Mais dans ce sommeil agité, outre ses promenades et ses autres actions, que lui avez-vous entendu dire ?

LA DAME DE COMPAGNIE. — Des choses, Monsieur, que je ne-peux répéter après elle.

LE MÉDEcrw. — Mais vous pouvez me les répéter, à moi, et il est même très-utile que vous le fassiez,

LA DAME DE COMPAGNIE. — Ni à vous, ni à personne, n’ayant pas de témoins pour confirmer mes paroles. :-Tenez, la voici qui vient !

Entre LADY MACBETH avec un ’-flambeau allumé.

•LA DAME DE COMPAGNIE.— C’est là sa façon habituelle, et, -sur ma vie, elle est profondément endormie. Observez-la, tenez-vous à l’écart. LE -MÉDECIN.— ’Comment s’est-elle procuré cette lumière ? ’

LA■DAMB-.DE COMPAGNIE. — Elle l’avait à—c’ôié’d-clie- :-elle a delà lumière 1 à-côté d’elle, perpétuellement ; c’est son ordre exprès.

LE MÉDECIN. — Vous le vo3fez, ses yeux sont-ouverts.

TJ.À DAME DE COMPAGNIE. — Oui, mais leur sens est fermé.

LE -MÉDECIN. — ’Qu’est-ce qu’elle fait maintenant ? Voyez, comme elle se frotte les mains.

LA DAME DE COMPAGNIE. — C’est une de ses actions accoutumées de faire le simulacre de se laver les mains ainsi ; je l’ai vue continuer ce mouvement plus d’un quart d’heure.

LADY MÀCRETH. —’Il-y -a encore une-tache.

LE MÉDECIN, —r- Écoutez ! elle parle : je vais notertout ce qu’elle laissera échapper, afin d’assister plus efficacement ma mémoire.

LADY MACBETH. — Disparais, tache damnée ! disparais, dis-je ! — ’Une, deux ; allons, il est l’heure de ’faire cela. — Oh ! que l’enfer est noir !— Fi, Monseigneur, ■fi ! un soldat, et avoir peur ? Qu’aurons-nous à craindre qu’on le sache, lorsque personne ne pourra appeler-notre-puissance à en rendre-compte ? — Qui aurait cependant pensé que le-vieillard avait en lui’tant de-sang ?.

LE MÉDECIN. — Entendez-vous bien ce qu’elle dit ? LADY MACBETH. — Le tbane de Fife avait une femme ; où est-elle maintenant ? — Quoi ! ces’mains ne seront donc jamais propres ? — Plus décela, Monseigneur, plus de cela : vous gâtez tout avec vos tressaillements.

LE MÉDECIN. — Allez, allez, vous avez connu ce que vous ne deviez pas connaître.

LA DAME DE COMPAGNIE. — Elle a dit ce.qu’elle Jie-devaitpas dire, je suis sûre de cela : le ciel sait ce qu’elle a connu.

LADY MACBETH. — Il y a toujours là l’odeur du sang : tous les parfums de l’Arabie ne purifieraient pas cette petite main. Oh, oh, oh !

LE MÉDECIN. — Quel soupir elle a poussé là ! le cœur est chargé d’un poids bien douloureux.

LA DAME DE COMPAGNIE. — Je ne voudrais pas avoir un tel cœur dans ma poitrine pour toutes les dignités de sa — personne entière.

MÉDECIN. — Bien, bien. bien....

LA DAME DE COMPAGNIE. — Prions Dieu que tout soit bien, en effet, Monsieur.

LE MÉDECIN. — Cette maladie échappe à mon art : cependant, j’en ai connu qui se promenaient dans leur, sommeil et qui sont morts saintement dans leurs lits.

LADY MACBETH. — Lavez vos mains, passez votre robe de chambre ; ne soyrez pas si pâle : — je vous le répète, Banquo est enseveli ; il ne peut sortir de son tombeau.

LE MÉDECIN. — Est-ce possible ?

LADY MACBETH. — Au lit, au lit ; on frappe à la porte. Venez, venez, venez, venez ; donnez-moi votre main : ce qui est fait ne peut être défait. Au lit, au lit, au lit. (Elle sort*.)

LE MÉDECIN. — Va-t-elîe à son lit, maintenant ?

LA DAME DE COMPAGNIE. — Directement,

LE MÉDECIN. — De vilaines choses se chuchotent : les actes contre nature engendrent des troubles contre nature : les âmes malades révéleront leurs secrets à leurs sourds oreillers. Elle a plus besoin du prêtre quédu médecin : Dieu, Dieu nous pardonne à tous ! — Suivez-la, éloignez d’elle tout ce qui pourrait lui nuire, et gardez toujours les yeux sur elle : là-dessus, bonne nuit, elle vient d’accabler mon âme et d’étonner mes yeux : je pense, mais je n’ose parler.

LA DAME DE COMPAGNIE. — Bonne nuit, bon docteur. (Ils sortent.)

SCÈNE II.

La campagne près de DUNSINANE.
Entrent, tambours battants et enseignes déployées, MENTEITH, CAITHNESS, ANGUS, LENNOX, et des soldats.

MENTEITH. — Les forces anglaises s’approchent, conduites par Malcolm., son oncle Siward, et le brave Macduff : ils brûlent du désir de la vengeance ; car leurs poignants sujets de douleur " exciteraient un ermite au carnage et au combat acharné.

ANGUS. — Nous les rencontrerons certainement près, du bois de Birnam ; c’est de ce côté qu’ils viennent.

CAITHNESS. — Quelqu’un sait-il si Donalbain est avec son frère ?

LENNOX. — Pour sûr, il n’y est pas, Seigneur : j’ai la liste de toute la noblesse qui s’y trouve : il y a le fils de Siward, et un grand nombre déjeunes gens imberbes qui font ici la première épreuve de leur courage.

MENTEITH. — Que fait le tyran ?

CAITHKESS. — Il fortifie solidement la grande forteresse de Dunsinane : quelques-uns disent qu’il est. fou ; d’autres, qui le haïssent moins, appellent cela fureur vaillante : mais ce qui est certain, c’est qu’il est bien impossible qu’il pourvoie aux dangers de sa cause désespérée avec un esprit dirigé par l’ordre et la raison.

ANGUS. — Maintenant il rsent -ses : meurtres isecrets ^qui lui ; collent, les : mains ; maintenant -à chaque immuté, , des révoltes lui ; reprochent.la foi. qu’il a brisée. ; ceux LquMl commande marchent.seulement par ordre., inullement par amour : maintenant il sent.que son.titre.est : tr, op large pour lui, fet :.lui. va comme la : rob.e ; d’un, ’géant. À un nain voleur.

MENTEITH. — Qui-donc alors pourrait blâinei- ses-sens empoisonnas, s’ils tressaillent et agissent de travers, puisque tout ce qu’il trouve au dedans de lui se.condamnepour y être ?

CAITHNESS. — Bon, marchons en avant pour aller porter notre obéissance’à celui :à qui-elle est légitimement due talions trouver le médecin de notre société malade, et versons avec lui pour la purgation de notre pays jusqu’à la dernière goutte de nôtre sang.

LENNOX.—Versons-en au moins autant qu’il-enfaut pour arroser la fleur souveraine et -noyerTes mauvaises herbes, Me.ttôns- ; nôus en marche pour Birnam. ’{Ils sortent.)

SCÈNE III.

DuKStKÀ-KÈ..^-TJu appartement-dans’lê château.

Entrent MACBETH, LE MÉDECIN, ci lès gens de ïa suite.

MACBETH. — Ne venez plus.meiien rapporter ; —qu’ils désertent tous : jusqu’à ce que le bois-de}Birnam mardhe sur Dunsinane, je n’ai pas ’à être troublé par la crainte. Qu’est-ce que le bambin Malcolm ? Est-ce qu’il n’est pas né de la femme ? Les esprits qui savent toute -la suite des choses mortelles, m’ont fait cette déclaration■ :•■« Né tremble pas, Macbeth ; aucun homme né -delà femme n’aura jamais pouvoir sur toi. » Ainsi donc fuyez, thanss dé- ■ loyaux, allez vous mêler a ces épicuriens d’Anglais2- : l’âme : qui me gouverne et le cœur que je porte, ne -seront jânaàîs déconcertés par le doute et ne trembleront-jamais de crainte.’

Entre UN VALET.

MACBETH. — Xe diable te teigne en noir, rustre au visage de crème ! Où as-tu pris cette figure d’oie ?

LE VALET. — Il-y a dix mille....

MACBETH. — Dix mille oies, goujat ?

LE VALET. — Dix mille soldats, Sire.

MACBETH. — Va, plque-’tôi au visage, et teins ta’terreur en rouge, .garçon au foiéblanc comme lis". Quels soldats,imbécile ? "Mort de ton âme ! tes joues couleur de linge sont des conseillères de crainte. Quels soldats, figure de petit-lait ?

LE VALET. — Les forces anglaises, ne vous.en déplaise.

MACBETH. — Tire ta figure d’ici ; (Sort le valet.) Seyton ! — Je me sens le cœur malade, lorsque je contemple.... — ’Seyton, dis-jé ! — Cette poussée actuelle va ni’établir pour toujours sur mon ’trône, ou m’en faire tomber maintenant. J’ai vécu assez longtemps. : le cours Se ma vie est arrivé à son automne, a sa chute des feuilles ; je ne dois pas m’attendre aux ’biens qui devraient accompagner la vieillesse, tels que l’honneur, l’affection, l’obéissance, les nombreux amis ; nnais, à leur place, je dois me contenter de malédictions non pasbrùyantes, mais profondes, d’un respect rendu par la bouche seule, de vaines paroles que le pauvre cœur voudrait mais -n’ose pas refuser. Seyton !

Entre SEYTON.

SEYTON. — Quel est votre gracieux plaisir’ ?

MACBETH. — Quelles nouvelles encore ?

SEYTON. — Tout ce qu’on avait rapporté est confirmé, Monseigneur.

MACBETH. — Je combattrai jusqu’à ce que ma chair soit arrachée de mes os..Donnez-moi mon armure.

SEYTON. — Ce n’est pas encore nécessaire.

MACBETH. — Je veux la mettre. Envoyez plus de cavaliers encore, faites battre toute la campagne à la ronde.pendez ceux qui parlent de craintes.— Donnez-moi mori armure. —’ Comment va votre patiente, docteur ?

LE MÉDECIN. — Elle est moins malade que troublée par des imaginations dont la succession rapide et le nom-bre lui enlèvent tout repos, Monseigneur.

MACBETH.— Guéris-la-de ce mal : ne peux-tu porter assistance à une âme malade ; arrache)- de la mémoire un chagrin enraciné ; effacer les inquiétudss écrites dans le cer’-eau ; et au moyen de quelque doux antidote d’oubli purger une poitrine trop chargée de cette dangereuse humeur qui pèse sur le cœur ?

LE MÉDECIN. — Dans des cas pareils c’est le malade qui doit se prêter assistance à lui-même.

MACBETH. — Alors jetez la médecine aux chiens, je n’en veux pas du tout. — Allons, mettez-moi mon ar""m’ure ; "donnez-moi mon" bâton dé commandement : Seyton, envoie des hommes battre la campagne. — Docteur, les thanes désertent ma cause. — Allons, Monsieur, dépêchons. — Docteur, si lu pouvais interroger l’urine de mon royaume, découvrir sa maladie, et le purger de manière à.lui rendre sa santé solide d’autrefois, je t’applaudirais à l’écho même qui répéterait ainsi une seconde fois ta louange. — Enlevez cela, dis-je. — Quelle rhubarbe, quel séné, quelle drogue purgative pourrait nettoyer ces Anglais d’ici ? — As tu entendu parler d’eux ?

LE MÉDECIN. — Oui, mon bon Seigneur ; vos royaux préparatifs "nous en apprennent quelque chose.

MACBETH. — Portez cela derrière moi. — Je n’ai pas à craindre la mort, ni la destruction, jusqu’à ce que la forêt de Birnam marche sur Dunsinane. (Tous sortent, excepté le médecin.)

LE MÉDECIN. — Je. voudrais bien être hors de Dunsinane, clair et net ; l’amour du gain m’y ramènerait difficilement. (Il sort.)

SCÈNE IV.

La campagne près de DUSSIXAXE. L’a bois est en vue.

Entrent tambours battants et drapeaux déployés, MAL-COLM, LE VIEUX SIWARD ET SON FILS, MACDUFF, LENNOX, MENTEITH, CAITHNESS, ANGUS, ROSS, et des soldats en marche.

MALCOLM. — Cousins, j’espère que les jours sont proches où nos logis seront en sûreté.

MENTEITH. — Nous n’en doutons pas le moins" du monde...

. SnvAiiD.— Quel est ce bois qui est là devant nous ?

MENTEJTH.—Le bois de Birnam.

"MALCOLM. —-Que chaque soldat coupe un rameau et le porte devant lui ; de cette façon nous cacherons le nombre de nos troupes et nous tromperons les éclaireurs chargés de rapporter l’état de nos forces, " LES.SÔLDATS. — Cela sera fait.

—., SIWAB-D, M— Nous n’avons rien appris ; sinon que létyran, plein de confiance, continue à rester dans Dunsinane et nous laissera placer le siège devant cette forteresse. MALCOLM. ; — C’est sa principale espérance : car, dans toutes les localités où cela a été possible, petits et grands à la fois se sont révoltés, et il n’a à son service que, des gens contraints dont les coeurs sont également aliénés.

MACDUFF. — Attendons, afin de nous jn’ononcer plus sûrement, la réalité dés événements, et prenons bien toutes nos dispositions militaires.

S1WAB.D. — L’heure approche, qui établira nettement notre compte, et nous dira ce que nous aurons gagné ou perdu. Les projets en pensée se fondent sur-des espérances sans certitude ; mais les batailles amènent un résultat certain : poussons la guerre pour aller chercher ce résultat. (Ils sortent.)

SCÈNE V.

DUNSINANE. — Entre les murs du château.
Entrent, avec tambours et drapeaux, MACBETH, SEYTON, et des soldats.

MACBETH. — Plantez nos bannières sur les remparts extérieurs ; le cri de guerre est toujours « ils viennent. » La force de notre château se rit d’un siège : qu’ils séjournent là jusqu’à ce que la famine et la maladie les aient dévorés. S’ils n'avaient pas été ; renforcés par ceux qui devraient être avec nous, nous les aurions hardiment affrontés, barbe contre barbe, et nous les aurions renvoyés battus chez eux. (On entend des cris de femmes.) Quel est ce bruit ?

SEYTON. — Ce sont des cris de femmes, mon bon Seigneur. (Il sort.)

MACBETH. — J’ai presque oublié en quoi consiste le sentiment de la crainte : il fut un temps où tous mes sens auraient frissonné en entendant un cri nocturne ; où mes cheveux, en écoutant un récit sinistre, se seraient dressés et levés tout droits sur mon cuir chevelu comme s’ils avaient été vivants : je me suis trop gorgé d’horreurs, et l’épouvante familière à mes pensées meurtrières ne peut plus me faire tressaillir

Rentre SEYTON.

MACBETH. — Quelle était la cause de cette clameur ?

SEYTON. — La reine est morte, Monseigneur.

MACBETH. — Elle aurait dû mourir plus tard ; alors cette nouvelle aurait eu pour se faire entendre une heure convenable. — Demain, et demain, et demain, c’est ainsi que de jour en jour, à petits pas, nous nous glissons jusqu’à la dernière syllabe du temps inscrit sur le livre de nos destins’ ; et tous nos hiers n’ont été que des fous qui nous ont ouvert là route vers la-poussière de la mort. Eteins-toi, éteins-toi, court flambeau ! La vie, ce n’est qu’une ombre qui marche ; un pauvre comédien qui gambade et s’agite sur le théâtre pendant l’heure qui lui est accordée, et dont on n’entend plus parler ensuite : c’est un conte récité par un idiot, un conte plein de tapage et de fureur, et qui ne signifie rien.

Entre UN MESSAGES.

MACBETH. — Tu viens pour te servir de ta langue ; raconte, ton histoire vivement.

LE MESSAGER. — Mon gracieux Seigneur, ce que j’ai à rapporter, je dirais bien que je l’ai vu, mais je ne sais comment m’y prendre.

MACBETH. — Bien, dites, Monsieur.

LE MESSAGER. — Comme je faisais ma gardé sur la colfine, j’ai regardé du côté de Birnam, et voilà qu’il m’a semblé que le bois commençait à marcher.

MACBETH. — Menteur et esclave !

LE MESSAGER. — S’il n’en est pas ainsi, que votre colère tombe sur moi. Vous pouvez le voir venir dans-l’étendue de ces trois milles ; c’est, dis-je, un bosquet mouvant.

MACBETH. — Si tu mens, tu seras suspendu vivant au premier arbre, jusqu’à ce que la faim t’ait fait rendre l’âme : si ton rapport est vrai, il m’est égal que tu m’en fasses subir autant. — Mon courage s’ébranle ; je Commence à me douter des équivoques du démon, qui ment en ayant l’air.de dire- vrai :. « Ne crains pas, a-t-il dit, jusqu’à ce que le bois de Birnam vienne à Dunsinane ; » "et voilà maintenant.qu’un bois.marche sur Dunsinane ! — Aux armes, aux armes, et.sortons !’— Si ce qu’il raconte nous apparaît, il n’y a ni ai fuir d’ici, .ni à s’y renfermer-. Je commence à être fatigué du, soleil., et je souhaiterais- que le monde fût maintenant à sa fin ;. — Sonnez la cloche-d’alarmes ! — Souffle ;. vent ! viens, .

naufrage ! nous mourrons au.moins notre harnais sur le : dos. (Ils sortent.)

SCÈNE VI.

DUNSINANE. — Une plaine devant le château.
Entrent avec tambours et drapeaux, MALCOLM, LE VIEUX SIWARD, MACDUFF, etc., avec leurs soldats portant des rameaux devant eux.

MALCOLM. — Maintenant, nous sommés assez.proche ;. jetez vos écrans feuillus, et- montrez-vous au grand jour tels que vous êtes. Vous, ’mon digne oncle 5, avec mon cousin, votre très-noble fils, vous commanderez notre premier engagement : le noble Macduff et nous, nous prendrons sur nous de décider ce qui nous reste à faire, conformément à notre plan.

SIWARD. — Adieu. — Si nous rencontrons seulement les forces du tyran ce soir, je veux bien que nous soyons ; battus, si nous ne le combattons pas.

MALCOLM. — Faites résonner toutes nos trompettes ; donnez la parole à toutes ces messagères retentissantes de sang et de mort. (Ils sortent.)

SCÈNE VII.

DUNSINANE. — Une autre partie de la plaine.
Alarmes. Entre MACBETH.

MACBETH. — Ils m’ont lié à un poteau ; je ne puis fuir, mais il faut que comme un ours je combatte jusqu’à la fin. Quel est-il celui qui n’est pas né de la femme ? c’est celui-là qu’il me faut craindre, ou personne.

Entre LE JEUNE SIWARD.

LE JEUNE SIWARD. — Quel est ton nom ?

MACBETH. — Tu trembleras en l’entendant.

LE JEUNE SIWARD. — Non, quand bien même tu t’appellerais d’un nom plus chaud qu’aucun de ceux qui sont en enfer.

MACBETH. — Mon nom est Macbeth.

LE JEUNE SIWARD. — Le diable lui-même ne pourrait pas prononcer un nom plus haïssable à mon oreille.

MACBETH. — Non, ni plus redoutable.

LE JEUNE SIWARD. — Tu mens, tyran abhorré ! avec mon épée, je te prouverai que tu profères un mensonge. (Ils combattent, et le jeune Siward est tué.)

MACBETH. — Tu étais né d’une femme. Mais je me ris des épées, je méprise les armes brandies par l’homme né d’une femme. (Il sort.)

Alarmes. Entre MACDUFF.

MACDUFF. — C’est de ce côté qu’est le bruit. — Tyran, montre ta face ! Si tu es tué, et que ce ne soit pas un de mes coups qui t’abatte, les fantômes dema femme et de mes. enfants me hanteront encore. Je ne puis frapper de misérables Kernes dont les bras sont loués pour porter leurs pieux : c’est toi que je veux tuer, Macbeth, ou bien je rengaine mon épée vierge de toute action et avec son tranchant intact. C’est ici que tu dois être : ce terrible cliquetis d’armes, semble proclamer la présence d’un personnage d’une très-haute marque.. — Permets-moi de le trouver, ô Fortune ! et je ne te demande rien de plus. (Il sort. Alarmes.)

Entrent MALCOLM et LE VIEUX SIWARD.

SIWARD. — De ce côté, Monseigneur ; — le château s’est facilement rendu : les. gens du tyran divisés combattent de deux côtés différents ; les nobles thanes se comportent bravement dans cette guerre ; la journée est presque sur le point de se proclamer vôtre, et il ne reste que peu de chose à faire.

MALCOLM. — Nous avons trouvé des ennemis qui sont venus combattre à nos côtés.

SIWARD. — Entrons dans le château, Sire. (Ils sortent. Alarmes.)

Rentre MACBETH.

MACBETH. — Pourquoi jouerais-je Je fou l’omain, et moùrrais-je en me perçant de mon épée ? Tant que’je’vois"" des gens vivants, les blessures font mieux sur eux que sur moi.

Rentre MACDUFF.

MACDUFF. — Retourne-toi, chien d’enfer, retournetoi !

MACBETH. — Tu es de tous les hommes celui que j’ai le plus évité : mais retourne-t’en ;.mon âme est déjà trop chargée du sang des tiens.

MACDUFF. — Je n’ai pas de paroles.... ma voix est, dans mon épée : scélérat plus sanguinaire, que les mots ne peuvent l’exprimer ! (Ils combattent.)

MACBETH. — Tu perds tés peines : tu pourrais aussi aisément blesser l’air indivisible avec ton épée tranchante que faire jaillir ; mon sang : fais tomber ta lame sur des. cimiers vulnérables ; je suis porteur d’une vie enchantée, qui ne doit pas céder à un homme né de : la femme.

MACDUFF. — Désespère de ton charme, et que l’ange que tu as toujours servi t’apprenne que Maçdùff fut arraché avant term.edù ventre çle sa mère. . : MACBETH. — Maudite soit la langue qui me parie ainsi, car elle a découragé la meilleure, partie de l’homme que je suis ! et puissent-ils ne plus être crus ces démons char-, . latans. quL.nous trompent âv.eç..des.mots :.à.dquble..sens. ; qui donnent à nos oreilles des paroles de promesses, et qui les démentent à, nos espérances !, — Je ne combattrai pas avec toi.

MACDUFF. — Rends-toi en ce cas, lâche, et vis pour être le spectacle et la bête curieuse de l’époque. Nous te ferons peindre sur une enseigne fichée en haut d’une perche, comme nos monstres rares, et au-dessous, nous écrirons : ce Icivous pouvez voir le tyran. »

MACBETH. — Je ne me rendrai pas pour aller baiser la terre devant les pieds du jeune Malcolm, et pour être poursuivi par les malédictions de la canaille. Bien que le bois de Birnam soit venu à. Dunsinane, et que je t’aie en face de moi, toi qui n’es pas né de la femme, j’essayerai cependant ma dernière chance. Je placé devant mon corps mon ; bouclier de guerre :. en garde, Macduff, et damné soit celui qui criera le premier : arrête, assez ! (Ils sortent en combattant.)

Retraite. Fanfares. Entrent tambours battants et enseignes déployées, MALCOLM, LE VIEUX SIWARD, ROSS, LENNOX, ANGTJS, ÇAITHNESS, MENTEITH, et des soldats.

MALCOLM. — Je voudrais que, les amis, qui.nous, manquent nous fussent revenus sains et saufs.

SIWARD. :— Quelques-uns devront nécessairement rester en route ; et cependant, par.ceux que je vois ici, on peut dire qu’une journée aussi importante a été achetée ; bon marché. ; -,

MALCOLM. — Macduff manque ainsi que votre noble fils.

Ross.— Votre fils, Monseigneur, a payé la dette d’un soldat ; il n’a. vécu que jusqu’au moment où il a atteint l’âge d’homme, ; et il n’a pas eu.plutôt prouvé sa prouesse dans leposte Où il à combattu sans fléchir, qu’il est mort., comme un homme.

SIWARD.— En ce cas/il est mort ? ’ Ross. —.Oui, et enlevé du. champ de bataille : vous ne devez pas mesurer à son mérite votre.sujet de chagrin, car alors votre douleur n’aurait pas de terme. « SIWARD. — A-t-il reçu ses blessures par devant ?

ROSS. — Oui, sur le front.

SIWARD. — Eh bien, en ce cas, qu’il soit le soldat de Dieu ! Quand j’aurais autant de fils que j’ai de cheveux, je ne leur souhaiterais pas une plus belle mort : et maintenant son glas funèbre est sonné. ’ '

MALCOLM. — Il mérite de plus grands regrets, et il les aura de moi.

SIWARD. — Il n’en mérite pas de plus grands. Ils disent qu’il est bien parti de ce monde, et qu’il a paye sa’ dette de bravoure : en bien, que Dieu soit avec lui, alors ! ..Voici venir un plus nouveau sujet de Consolation.

Rentre MACDUFF avec la tête de MACBETH.

MACDUFF. — Salut, roi ! car tu es roi : regarde, au bout de ce pieu est fichée la tête maudite de l’usurpateur : notre pays est libre ! Je te vois entouré de la fleur de ton royaume, et je sais que leurs âmes prononcent le même salut que moi ; je demande que leurs voix, toutes d’accord avec la mienne, crient bien haut : s Salut, roi d’Écosse ! »Tous. — Salut, roi d’Écosse ! '(Fanfares.)

MALCOLM. — Nous ne laisserons pas s’écouler un long" temps avant de dresser le compte de chacune de vos affections et de nous acquitter envers vous. Mes thanes et parents, désormais vous serez comtes, les ; premiers que l’Écosse aura jamais nommés de ce titre 4. Quant aux autres choses à faire que réclament lesnouvelles circonstances,

— comme rappeler a leurs foyers nos amis exilés, à l’étranger pour avoir fui les pièges dé la tyrannie soup-,

Vçonneusé, instruhe le procès des ministres cruels de ce boucher mort et de sa reine à l’âme de démon, laquelle, suppose-t-on, s’est débarrassée de la vie, ’en portant, sur elle-même des mains violentes, :— ces mesures et d’autres

"•qui "sont encore "nécessaires, avec l’aide de "Dieu, nous les prendrons successivement, en temps et lieu. Maintenant, je vous adresse à tous en général, et à chacun en particulier, mes remercîrnents, et je vous invite à venir nous voir couronner "à Scônè. (Fanfares’. Ils sortent.)" ’"'"..


COMMENTAIRE.

ACTE I.

1. Yieux nom populaire du chat.

2. Vieux nom populaire du crapaud.

3. Tins is the sergeant. Sergent ne désignait pas autrefois le sousofficier d’aujourd’hui ; c’était un véritable officier, égal en rang à un squire^ chargé de la garde du roi et de services importants, tels que l’arrestation des traîtres, etc.

4. Nous n’avons plus besoin d’expliquer au lecteur.ce qu’étaient les Kemes et les Gallowglasses après les notes nombreuses que nous leur ayons consacrées dans les drames historiques. Voir Richard II et le deuxième Henri FI notamment,

5. Saint Colmé’s Inchy dit le texteiZrcc/z ou inse en langue erse signifie île. C’est une petite île à l’embouchure du Forth3 près d’Édimbourg, qui s’appelle aujourd’hui Incliçonib. Elle contient une abbaye qui était dédiée à saint Colomban. La circonstance dont parle Ross est ainsi racontée par ïïollinshed : à Les Danois qui échappèrent et regagnèrent leurs vaisseaux obtinrent de Macbeth pour une grosse somme d’or que ceux de leurs amis qui avaient été tués seraient ensevelis dans l’îléde Saint-Co^ lomban ; par suite de quoi, on peut voir dans ladite île beaucoup de vieux tombeaux -avec les armes danoises gravées sur leurs pierres, »

6. Aroint thee witck ! Cette expression aroint se rencontre plusieurs fois dans Shakespeare dans ïe sens de away, arrière, " et ne se rencontre dans aucun autre écrivain anglais. Aussi les commentateurs se sont-ils perdus en conjectures pour deviner d’où ce mot pouvait dériver. Quelques-uns ont cru à une erreur typographique, et lisent anoint (oindre) au lieu à1 aroint. "Dans le cas où cette supposition serait vraie, la réponse de. la femme du marin équivaudrait à : « va te graisser, sorcière, J> ce qui est bien une réponse à jeter à la face d’une sorcière, les personnes de cette profession étant célèbres par l’onguent dont elles se frottent avant d’aller au sabbat. D’autres ont cru que cette expression était une corruption de rowan tree, le frêne, arbre qu’on regardait comme toutpuissant contre les sortilèges. Biais toutes ces suppositions sont plus qu’évidemment fausses, tout ingénieuses qu’elles sont. Il paraît que dans le Cheshire, les laitières ont l’habitude d’adresser cette interjection roÎ7it theeJ à leurs vaches, lorsque celles-ci ne s’éloignent pas assez pour se laisser traire commodément. C’est Nares qui cite ce fait dans son Glossaire. Le docteur-Johnson de son côte avait vu une vieille gravure représentant saint Patrick faisant une visite aux enfers ; de la "bouche d’un des diables qui conduit une troupe -de-damnes sortaient ces paroles : « Out, ont, arougi.-» D’où vient cette expression ? Kares la fait dériver du latin averrunco^ préserver, détourner. Di averi-uncent ! que les dieux nous en préservent ! était une interjection assez fréquente chez les anciens. Ce mot a pu être employé dans les conjurations que les exorcistes faisaient toujours en latin, et passer de la langue latine dans l’idiome vulgaire du peuple.

7. The rump fed ronyon. Autrefois dans les grandes maisons et les établissements publics, les cuisiniers et cuisinières réclamaient comme partie de leurs émoluments, les restes, débris de viandes, os, peaux, etc.j toutes ces parties qu’on nomme réjouissance dans l’argot des bouchers, et les vendaient aux pauvres gens.

8 : Sir "W~. C. Treveïyan a remarqué que -dans les Iroyages d’Eakluyt, il se trouve diverses lettres et journaux d’un voyage fait à Aïep sur le vaisseau le Tigre, de Londres, dans l’année -1583. [Édition STATJXTON.)

9. En 1591, il parut en Écosse un pamphlet intitulé : lYouvelles d’Ecosse racontant la vie et la mort damnahle du docteur Fian sorcier notable. Ce docteur Fian, paraît-il, s’était mis à la tête d’une conspiration de deux cents sorcières pour ensorceler et noyer en mer le* roi Jacques. TJnéde ces sorcières, -Agnès Thompson, — déclara que dans la nuit de la Toussaint, elle avait fait partie d’une bande nombreuse qui avait exécuté une promenade sur mer ; chacun des voyageurs était monté sur un crible ou tamis. En mer ils avaient fait bombance et bu force flacons : enfin ils avaient débarqué près de l’église de North Bcrvrick, dans le Lothian ; et s’étaient mis à danser en chantant ce refrain :

« Passez devant, vous dis-je, passez devant,
« Si vous ne voulez pas passer devant, laissez moi aller ! »

1O. Les sorcières pouvaient se changer en n’importe quel animal ; maïs quel que fût l’animal dont elles empruntaient la forme, il leur manquait toujours la queue, parce qu’il n’y avait dans leur "corps aucune partie qui pût fournil- l’appendice caudal. (STEEYEKS.)

M. Sîeevens fait remarquer que ce don d’un vent était une gracieuseté de la part de la sorcière, car les sorcières faisaient des vents un objet de trafic. Elles en faisaient commerce tout récemment encore, pas plus tard qu’en 4 84 4. À Stromness, dans les Orcades, Walter Scott rendit visite à une personne qui tenait cette singulière marchandise..«Nous montons par des sentiers escarpés et boueux, dit le grand romancier, à une éminence qui s’élève au-dessus de la ville et qui domine une belle vue. Une vieille sorcière vit sur cette hauteur dans une misérable cabane, et subsiste du commerce des vents. Tout capitaine de vaisseau marchand, moitié par plaisanterie, moitié sérieusement, donne à la vieille six pence, et elle fait bouillir sa marmite pour lui procurer une brise favorable. C’était une figure d’aspect misérable, âgée de. plus de quatre-vingt-dix ans, nous dit-elle, et sèche comme une momie. » (LOCKHA.RT ; Vie de JValter Scott.) Walter Scott lui acheta un -vent., et la -vieille se montra, paraitil, toute joveuse de la rémunération qu’elle reçut en échange de sa précieuse denrée qu’il lui arrivait rarement de vendre cher. Dans une de ses notes, Steevens cite d’après une vieille traduction des voyages de Marco Polo, le trait suivant d’un sorcier qui vendait la même marchandise. « Ils lui demandèrent un vent, et lui, mettant les mains derrière son dos, leur montra d’où le vent viendrait, D C’est malpropre, mais c’est drôle, et tout à fait digne d’un sorcier. On sait que les sorciers et sorcières sont les plus mal élevées et les pins grossières de toutes les créatures humaines. C’est dans d’autres conditions sociales qu’il faut chercher l’urbanité. Toutefois il faut reconnaître qu’ils ont parfois beaucoup de cette verve qui se tire de l’irritation continuelle et un certain esprit lugubre qui n’est pas toujours sans valeur.

12. Il s’agit de la pratique connue en magie sous le nom d’envoûtement. Nous avons dit dans notre commentaire du deuxième Henri VI en quoi consiste cette pratique.

13. Le thaneshîp de Glamis était l’ancien héritage de la famille de Macbeth. Le château où vécurent les Macbeth est encore debout, et était dans ces dernières années la résidence du comte de Strathmore. [Edition PETER et GAEPIN.)

14. Sinell était le père de Macbeth.

15. Cette racine est ia racine de ciguë selon les uns, la racine de jusquiame selon les autres.

16. À La conduite du thane de Cavrdor correspond dans presque toutes ses circonstances à celle du malheureux comte d’Essex, telle qu’elle est rapportée par Stovré. Le pardon qu’il demanda à la reine, sa confession, son repentir, son soin de se conduire en toute dignité sur l’échafaudj sont minutieusement racontés par cet historien. Une telle allusion ne pouvait manquer dïavoir l’effet désiré sur un auditoire où se trouvaient dé nombreux témoins oculaires de la sévérité de cette justice qui priva le siècle d’un de ses plus grands ornements, et Soutbampton, le patron de Shakespeare, de son plus cher ami.».(STEP.VEKS.)La sévérité de cette justice, n’en, déplaise à Steevens, priva surtout le siècle d’un traître aussi coupable que traître puisse l’être, et la noblesse de sa mort n’y change rien. Qu’un homme de son rang, de son courage, de sa valeur morale ait su mourir avec dignité, bienséance et beauté, cela n’a rien que de fort naturel. Ce qui serait extraordinaire, c’est qu’il en eût été autrement.

17. Duncan et Macbeth étaient les fils de deux sœurs, Béatrice et Doada, filles de Malcolm, précédent roi d’Écosse ;

18. Primitivement la couronne d’Écosse n’était pas strictement héréditaire, et lorsque le successeur était désigné du vivant du roi, ce roi futur prenait le titre de prince de Cumberland.

19. Le roi d’Écosse avait coutume de faire à traversées États UE voyage annuel pendant lequel il séjournait dans les châteaux de se ? nobles.

20. Le corbeau, c’est-à-dire le serviteur qui porte à Lady Macbeth îa nouvelle de cette visite qui sera fatale à Duncan.

21. Sur ce charmant passage, Sir Joshua E.eynolds nous a laissé une note qui est un modèle de fine critique. « Ce-court dîalogueentreDuncan etJBanquo, au moment où ils approchent.du château de. Macbeth, : m’a toujours paru un exemple frappant de ce qui en peinture est appelé repos. Leur conversation tourne fort naturellement sur la beauté de la situation du château et lJagréable salubrité de l’air, et Banquo observant des nids de martinets dans toutes les encoignures des corniches, remarque que là où ces oiseaux bâtissent et couvent l’air est délicat. Le sujet de cette tranquille et aisée conversation crée ce repos si nécessaire à l’esprit après le tumulte des scènes précédentes} et fait un parfait contraste avec la scène qui lui succède immédiatement. Il semble que Shakespeare se soit demandé : <r Qu’est-ce qu’un prince dans une occasion de ce. a genre peut bien dire aux personnes de sa suite ? x C’est tout le contraire de nos modernes écrivains qui semblent toujours courir après de nouvelles pensées telles gue jamais elles ne se présenteraient a. des, hommes dans la situation qu’ils décrivent. C’est aussi fréquemment la pratique d’Homère qui, au milieu des batailles et des horreurs, soulage et rafraîchit l’esprit du lecteur en introduisant quelque paisible image rustique, quelque peinture de la vie domestique, a

ACTE II.

1. Pûsseis, dit le texte. Nous avons expliqué dans nos notes aux deux Henri IV et aux Joyeuses commères de Windsor, que le posset était une sorte de crème très-épaisse composée de sucre, de vin d’Espagne et d’oeufs battus ensemble. On prenait d’habitude le posset avant d’aller au lit.

2. Roasi your goose. L’oie, goose, est ici le nom du large morceau de fer que nos tailleurs français nomment carreau..

3. Gorgone est ici pour Méduse, la plus célèbre des trois Gorgones gui avaient, on. le sait, la propriété de changer en pierre tous ceux qui les regardaient.

4. Ce" n’est pas a là’m’ôrf dû roi Duncan que les chroniqueurs rapportent ce prodige, ainsi que les autres, mais au meurtre du roi Duffe ;, Parmi ces prodiges il en est un que Shakespeare a omis, celui d’un enfant qui serait venu au monde sans yeux, sans nez, sans mains et sanspieds,

6. L’importance historique de Scone est de très-ancien ne date. C’est Tfîrs 906 ou 909 qu’elle reçut le titre de cité royale.^La Chronique Picte nous informe que Constantin, fils de Ed, et l’évêque Kellach, de concert avec les Scots, jurèrent solennellement d’observer les lois et la discipline de la foi, les droits des églises et de l’Évangile, sur la colfine de la croyance, près de l’antique cité dé Scone. S’il est vrai que la pierre de la destinée fut transportée par Kenneth Mac Alpine de Dunstaffnage dans l’Argylesbire à Scone, en 838, nous avons l’explication du titre de cité royale que cette ville semble avoir porté avant la réunion du concile ecclésiastique. Un des combats les plus mémorables pour la possession de cette pierre fut livré contre les Danois, à Collin, près de Scone, au temps de Donald IV, fils dé Constantin II. Cet événement doit être antérieur à 904, année où Donald périt dans un combat à Forteviot. Il est dit qu’une maison religieuse fut établie à Scone lorsque la pierre y fut transportée par Kenneth Mac Alpine. Durant le règne d’Alexandre, Seone semble avoir été occasionnellement une résidence royale, et comme Saint-André et d’autres localités dans lesquelles des monastères avaient été établis, cette ville était un marche pour les nations étrangères, Alexandre adressa une lettre royale aux marchands d’Angleterre pour les inviter a. commercer avec Scone. en leur promettant protection, à la condition qu’ils payeraient une redevance à l’abbaye. Cette redevance était un impôt frappé sur tous les navires qui trafiquaient avec Scone, ce qui semble établir que cette ville était anciennement uri port.

Édouard I (Édouard Plantagenét, le grand-père de l’Édouard III de Crécy et de Poitiers), ayant pénétré au nord jusqu’à Elgin et réduit Balliol à un état d’abjecte soumission, au moment de son retour ordonna que la fameuse pierre sur laquelle les rois d’Écosse étaient couronnés fût enlevée de l’abbaye de Scone et transportée à Westminster, en témoignage, dit Hemingford, un chroniqueur anglais contemporain, de la conquête et de la soumission du royaume. Le rétablissement de lapierre. quoique omis dans le traité de Norlîiampton (1328), fut stipulé par un traité séparé. Mais la pierre, comme il est bien connu, ne fut jamais rétablie. Cette pierre de la destinée, dit Walter Scott, avait, prétendait-on, été apportée d’Irlande par Fergus, fils d’Eric, qui conduisit les Dalriads aux rivages de l’Argyleshire. Les vertus qui lui étaient attribuées sont contenues dans ces vers célèbres - :

« jTi fallat fatum, Scoti, quoeunque locatum.
« Invenient lapidem, régnare tenentur ibidem. »

a A moins que le destin ne soit menteur à ses promesses, partout orj les Écossais trouveront cette pierre placée, là même ils établiront leur domination. » Il y eut des Écossais qui tinrent cette prophétie pour accomplie à l’avènement de Jacques VI à la couronne d’Angleterre, et qui proclamèrent.qu’en.enlevant leur palladium, la politique d :Édouard avait ressemblé à celle qui introduisit le cheval de bois dans Troie et amena la destruction de la famille royale de Priam. La pierre est encore conservée et forme la base du fauteuil d’Édouard le Confesseur que le souverain occupe à son couronnement. En préparant ce fauteuil pour le couronnement de sa présente Majesté, la reine Victoria, quelques petits fragments de cette pierre furent brisés. [Edition STAUNTQÏÙ)

6. Coïme-KilL un des noms de l’île d’ïona, que l’on nomme en langue écossaise i’île des Druides (tnnis-nan-Druidneach), ou l’île du Cimetière, ou de Colomban (Ii — cholum chilïe). Un certain Monro qui voyagea dans ces îles de l’ouest en 4 549 en a laissé une description assez circonstanciée. Elle nous apprend que cette île contenait un monastère et un couvent de religieuses, élevés et dotés par les anciens rois d’Écosse ; que cette abbaye fut l’église cathédrale des cvèques des îles à partir du jour où ils furent chassés par les Anglais de l’île de Man, siège de la métropole religieuse des îles ; que dans l’intérieur se trouve un grand et beau cimetière où l’on voit trois tombes en forme de petites chapelles sur lesquelles il est écrit : Tumuïus regum Scotiae ; que dans ces monuments se trouvent les restes de quarante-huit rois écossais, et que dans ce cimetière se trouvent en outre la plupart des lignages des Lords des îles. (Extrait de l’édition STATIKTOK.)

ACTE III.

1. Voir nos notes sur Antoine et Cléopâtre.

2. Hécate était" de toute antiquité la reine des sorcières, puisque c’était sous ce nom que Diane était connue aux enfers. Réginald Scott, dans sa. Découverte de la sorcellerie, rapporte que les sorcières avaient, de nuit, des entrevues avec Hérodiade et les dieux païens, et qu’elles couraient à cheval avec Diane, la déesse païenne. Leur reine, ou maîtresse souveraine, est toujours une divinité païenne, Dame Sibylle, Minerve, ou Diane. (TOIXET.)

3. Ce chant est perdu, mais M. Statua ton conjecture qu’il n’était autre que le chant qui se trouve dans une scène correspondante de la Sorcière de Middleton, et que d’Avenant a modernisé dans sa paraphrase de Macbeth. Voici ce chant :

Vois dans Voir

Viens-t’en, viens-t’en^

Hécate, Hécate, viens-t’en..

HÉCATE :

J’y vais, j’y vais, j’y vais,

Avec toute la diligence possible. Maintenant je cours, maintenant je vole, Avec mon doux esprit Malkin.

Oh ! quel délicat plaisir cela est De chevaucher dans les airs

Lorsque la lune brille avec éclat, De chanter, de danser, de badiner, de se baiser ; Par-dessus les bois, ’les hauts rochers et les montagnes, Par-dessus les mers, fontaines de notre maîtresse. Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Montégut, Hachette, 1871, tome 8.djvu/504 Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Montégut, Hachette, 1871, tome 8.djvu/505 Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Montégut, Hachette, 1871, tome 8.djvu/506

  1. Vieux nom populaire du chat.
  2. Vieux nom populaire du crapaud.