Ma vie (Cardan)/Avant-propos

Traduction par Jean Dayre.
Texte établi par Jean DayreHonoré Champion (p. 1).

MA VIE[1]

Cardan à soixante-huit ans
(Portrait de provenance inconnue en tête du t. I des Opera omnia, Lyon, 1663).

(1) JÉRÔME CARDAN

MA VIE

De tout ce qu’il est donné au genre humain d’acquérir, rien ne paraît plus agréable ni plus important que la connaissance de la vérité. Aussi, et puisque aucune œuvre des mortels ne peut être par faite et encore moins rester à l’abri de la calomnie, ai-je suivi l’exemple du philosophe Antonin[2], considéré comme très sage et excellent, et j’ai entrepris d’écrire le livre de ma vie. (2) Rien, je l’affirme, n’y est ajouté par vanité ou pour l’ornement du récit : le livre est composé, autant qu’on a pu, du récit des événements auxquels eurent part mes élèves — particulièrement Ercole Visconti, Paolo Eufomia et Rodolfo Silvestri — ainsi que des notes déjà rédigées. L’entreprise avait été tentée, il y a quelques années, par Gaspare Cardano, un de mes parents et de mes élèves, médecin de profession, qui, surpris par la mort, ne put l’achever. Un particulier, un juif même[3], a pu agir pareillement sans en être repris. Ma vie, pourtant, ne compte point de circonstances aussi grandes ; mais il s’en trouve, assurément, plusieurs dignes d’admiration. Je n’ignore pas que Galien fit un essai analogue, bien qu’il lui parût plus modeste de le disperser parmi ses autres ouvrages ; — et telle est l’apathie des savants que personne n’a essayé de l’ordonner en un tout. Le nôtre, sans fard et sans prétention d’instruire, se satisfait d’un simple récit et (3) ne contient qu’une vie et non des révolutions comme celles de Sylla, de César et d’Auguste qui, cela ne fait aucun doute, écrivirent leur vie et leurs exploits. Tout ceci suit donc l’exemple des anciens, loin d’être nouveau et imaginé par moi.


  1. Le texte pris pour base est celui de Naudé (N) qui est en quelque sorte traditionnel depuis près de trois siècles.

    Il était cependant possible de l’améliorer. Dans quelques passages la copie milanaise (M) donne une leçon plus claire, plus cohérente et, surtout, confirmée par les ouvrages publiés du vivant de Cardan. C’est cette leçon qui a été introduite dans le texte et celle de N reportée en note.

    Entre deux variantes également obscures ou pareillement indifférentes c’est N qui a eu la préférence. Mais, à l’exception des détails d’orthographe (italianismes comme accademia, ingiurias, Genevra ; particularités de la prononciation dialectale du copiste : grassa, etc. ; habitudes graphiques comme Fatius, nuntius ou Facius, nuncius, etc.), de grossières erreurs de lecture ou des non-sens, assez nombreux (nondum mulgatis libris [c. 3] ; nixi [uixi, c. 3] ; paresga [parerga, c. 10] ; rectoris [rhetoris] ; etc., etc.), toutes les différences entre M et N ont été signalées dans les notes. — On y trouvera en particulier ce que Naudé a coupé et que M a conservé : à la lecture il sera aisé de comprendre pourquoi on n’a pas jugé nécessaire de le réintroduire dans le texte.

    Les corrections conjecturales sont en petit nombre et se justifient graphiquement ou par des rapprochements avec d’autres textes de Cardan.

    Les variantes qui ne sont suivies d’aucun sigle viennent de M.

    La pagination de l’édition originale a été reproduite en marge.

  2. L’édition princeps des Pensées de Marc-Aurèle fut publiée en 1559 par Xylander sous le titre suivant : M. Antonini imp. de se ipso seu vita sua libri XIII.
  3. Il s’agit de Flavius Josèphe qui a composé son autobiographie (ΒΊΟΣ) pour justifier sa conduite lors de la défense de la Galilée contre les Romains.