Traduction par Zoria.
Albert Savine (p. 9-14).
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PRÉFACE




La vive admiration que l’on manifeste à Paris pour les ouvrages de Tolstoï, la sympathie avec laquelle on accueille chaque nouveau volume de ses œuvres, et l’intérêt qu’on porte à son individualité, m’ont donné l’idée de traduire ce petit volume intitulé Ma Confession.

Ce livre n’a jamais été publié en Russie. Confession trop franche pour être tolérée dans un pays où la pensée même est sévèrement contrôlée, il n’a circulé dès l’année 1882 qu’en nombreux manuscrits parmi la société intelligente de toute la Russie. Ensuite, à Genève, il a eu deux éditions, dont la dernière date de 1886.

Je regrette de ne l’avoir pas traduit plus tôt ; il aurait dû précéder Que faire ?, Ma Religion, et leur servir d’introduction, puisque c’est justement le récit de l’évolution par laquelle Tolstoï a été amené à ses dernières idées. Or, pour tous ceux qui s’intéressent à notre illustre écrivain, cette évolution doit présenter un vif intérêt. Le psychologue, le moraliste, le médecin même y trouveront des matériaux pour leurs observations et leurs recherches, car, envisagée sous tous ces points de vue, la confession d’un grand écrivain, faite avec une entière franchise, ne peut pas être stérile.

Y lira-t-on l’explication de l’état où se trouve actuellement Tolstoï ? Pourra-t-on en tirer une explication pour les idées bizarres qui se sont emparées de lui dans ces dernières années ?

Je l’espère, et j’espère surtout qu’on pourra annoncer une réaction dans son esprit et une guérison complète, si c’est une maladie.

Qu’on me comprenne bien ; je suis loin de classer Tolstoï parmi les aliénés. Admiratrice passionnée de mon cher compatriote, j’aurais éprouvé trop de peine à en parler, si jamais je l’avais pensé. Mais si j’ose exprimer mon humble opinion, je le crois fatigué moralement, comme du reste il le dit lui-même : « Je tombai malade, plutôt moralement que physiquement, etc.[1] », ou : « Il arriva ce qui se produit quand une maladie intérieure est sur le point de se déclarer, etc.[2] »

Or, on ne saurait expliquer autrement ce manque de logique dans ses raisonnements qu’on remarque après une critique sérieuse et suivie. Je dis une critique suivie, car Tolstoï possède au plus haut point ce don de captiver le lecteur dès le premier abord et de le rendre esclave souvent contre sa propre volonté, tant le choix des exemples est heureux, le style irrésistible et la sincérité de l’auteur convaincante.

Hélas ! c’est une triste influence que celle-ci en Russie !… Son pessimisme ne pousse pas à l’action, il ne tend pas à élever les malheureux jusqu’à nous, il veut que nous nous abaissions jusqu’à eux…

Mais comme le disait M. Sarcey dans sa conférence sur Que faire ?[3], les idées ne sont pas dangereuses en France. Effectivement, à part le charme du style bien affaibli par une traduction, le caractère francais, l’état politique de la nation et bien d’autres raisons l’empêchent de tomber sous l’influence des dernières idées de Tolstoï qu’il regardera plutôt comme une simple curiosité.

Zoria. xxxxxxxxxxxxxx
  1. Page 39.
  2. Page 43.
  3. Traduction Marina Polonsky et G. Debesse, Albert Savine, éditeur, 18, rue Drouot.