Garnier Frères (p. 414-416).
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NOTE



Béranger ne ressemblait guère à la plupart des portraits qu’on a donnés de lui. Nous avons mis dans ce livre une gravure à l’eau-forte d’un dessin de Charlet, qui date de 1834 et qui est un croquis d’une grande vérité.

Il semble que les écrivains aient pris à tâche d’être encore moins fidèles à la vérité dans leurs descriptions que les artistes dans leurs figures. À en croire des esquisses récentes, on se tromperait fort sur la physionomie de Béranger et les habitudes de sa vie privée. Rien en lui ne sentait, comme on l’a dit, l’homme qui a voulu vivre dans une retraite trop étroite, et il n’avait de rustique que ce que Chateaubriand a loué en lui, je ne sais quelle franchise peinte sur le visage.

Sa taille, fort exactement proportionnée, atteignait à peine cinq pieds un pouce, mais sa tête le grandissait d’une coudée, et c’était sur cette tête seule que le regard se portait. Elle était forte et d’une structure tout à fait extraordinaire : la boîte osseuse du cerveau était d’une capacité singulière[1] et s’avançait vers le front comme si elle eût contenu avec peine une pensée trop puissante. Dès vingt-trois ans, Béranger était devenu chauve ; il avait gagné cet air si doux dans la jeunesse et plus tard si vénérable d’un homme que la vie a lassé et d’un patriarche qui se repose. D’ailleurs, le peu de cheveux qui lui restaient, d’une couleur blonde qui avait fort peu blanchi, et qu’il laissait croître et retomber sur ses épaules, encadraient de la façon la plus aimable son aimable visage.

La fermeté du caractère était empreinte dans tous ses traits ; mais on y lisait aussi la douceur de son âme. Ses grands yeux bleus, saillant un peu de l’orbite, avaient une expression que nul ne pouvait oublier. Vers la fin de sa vie, ils s’étaient voilés et obscurcis ; mais ils avaient conservé, jusque dans le trouble de la vue, la sérénité du regard, et ils vous parlaient encore avec bonté lorsque sa bouche était déjà muette. Si une grande pensée avait traversé son esprit, un vif éclair en jaillissait, et l’indignation pouvait les enflammer. Sa bouche surtout était d’un dessin remarquable : de ses lèvres arquées partaient à la fois le sourire de la bienveillance et le sourire de l’ironie. Les belles paroles en coulaient sans cesse, vibrantes et harmonieuses. Cette voix, d’un timbre presque toujours agréable et doux, trouvait au besoin des notes sévères. On a remarqué, dans les dernières journées, son accent prophétique ; il résonne encore à nos oreilles.

Longtemps maladif, Béranger a été dans sa jeunesse délicat, chétif même, et, comme il l’a dit, sujet à de très-fréquentes et cruelles migraines dont l’âge l’avait en partie délivré. Son air, « fin et voluptueux » avec grâce, n’était pas sans mélancolie ; jamais il n’a été négligé, il était simple. Sa main était petite, souple et fine. C’était un grand marcheur ; il avait le pas ferme et léger. Presque toutes ses chansons sont nées pendant ses promenades.

Son costume était celui d’un pasteur protestant. Ses vêtements simples, toujours de couleur foncée, et son large chapeau de feutre souple lui seyaient mieux qu’à personne. Il avait respecté les modes d’autrefois et nouait sa cravate autour d’un grand col de chemise relevé comme aux temps de sa jeunesse ; mais la simplicité même de ce costume n’avait rien d’affecté : elle ne recherchait que l’aisance et l’ampleur.




  1. Circonférence, 0m,59 ; plus grande longueur, 0m,21.