Biographie (1/2)

Biographie (2/2)

M. F. MAURY

Mathieu-Fontaine Maury descendait, comme son nom l’indique, d’une famille française, qui avait émigré en Amérique après la révocation de l’édit de Nantes. Quatrième fils de Richard Maury, il était né le 10 janvier 1806[1], dans le comté de Spott-Sylvania, en Virginie, la patrie de Washington, Jefferson, Henry et Lee. Il avait quatre ans quand son père, cultivateur, vint établir sa ferme dans le Tennessee, près du village de Franklin, situé à 18 milles environ au sud de Nashville.

Après avoir acquis l’instruction élémentaire qui pouvait lui être donnée dans les écoles de cette région, le jeune Maury, dans sa seizième année, entra à l’Académie d’Harpeth, alors dirigée par le Rév. James Otey, qui fut depuis évêque du Tennessee. L’esprit actif, l’intelligence, les habitudes studieuses du nouveau pensionnaire attirèrent bientôt la bienveillante attention de ses professeurs, lui valurent leur attachement, et tant que vécut le bon évêque, il ne cessa de témoigner la plus cordiale affection à son ancien élève.

En 1825, après avoir obtenu un brevet d’aspirant, Maury quitta l’école pour entrer dans la marine militaire des États-Unis. À cette époque, le gouvernement n’avait pas encore établi une Académie navale, et les aspirants devaient immédiatement commencer l’apprentissage de leur profession. On comprendra facilement combien dut paraître étrange à un jeune garçon élevé librement au milieu des forêts l’étroit espace où il devait maintenant vivre avec ses compagnons, et combien aussi fut nouvelle pour lui la sévère discipline d’un bâtiment de guerre. Le milieu dans lequel il se trouvait ainsi placé était peu favorable à l’étude. Mais, avec une persévérante volonté, il cherchait cependant toutes les occasions d’acquérir la pratique et la théorie de sa profession, et, par ses consciencieux efforts, de justifier la confiance qu’on lui montrait déjà dans les circonstances où il y avait à faire preuve de zèle et de savoir. Il était surtout attiré par les études purement scientifiques, et ses camarades, à un âge où l’on recherche ardemment les plaisirs, le plaisantaient quelquefois sur les préoccupations qui le poussaient à tracer des figures géométriques sur le pont pendant ses quarts.

Durant la première année de son service, il visita les côtes d’Angleterre sur la frégate Brandywine. Mais n’ayant d’autres ressources que ses faibles appointements, dont il envoyait la moitié à l’une de ses sœurs, il ne put profiter de ce voyage comme il l’aurait voulu, et dut renoncer aux excursions intéressantes dont l’occasion lui était offerte.

Après une croisière, dans la Méditerranée, sa frégate retourna à New-York en 1826. Il fut alors embarqué sur la corvette Vincennes, qui faisait une campagne autour du monde. Ce changement lui fut très-favorable. Il trouva sur son nouveau bâtiment plus de tranquillité, plus de facilités pour l’étude. En dehors de son service et des amusements qu’il partageait avec ses camarades, il continuait à s’instruire avec un zèle constant, et il fit de tels progrès dans la science qu’il put construire durant cette campagne une série de tables lunaires. Malheureusement il apprit à son retour que ces tables existaient déjà.

En 1831, il fut embarqué comme maître[2] sur la corvette Falmouth, qui allait prendre la station de l’océan Pacifique. Promu au grade d’aspirant de première classe, et remplissant les fonctions de maître, il avait pour travailler une chambre à lui, et sa modeste bibliothèque s’était accrue d’une collection de bons livres mise à sa disposition par un de ses camarades. C’est pendant la traversée du Falmouth de New-York à Rio-Janeiro que son esprit actif conçut l’idée des cartes de vents et de courants qui depuis ont rendu de si grands services au commerce du monde entier, Pour la première fois il avait en partie la responsabilité du voyage, et il désirait naturellement une rapide traversée. Avant de quitter New-York il recueillit toutes les informations relatives aux vents et aux courants qu’il devait rencontrer, afin de tracer la meilleure route à suivre. Il reconnut bientôt le peu de valeur de ces informations, et il résolut dès lors de s’appliquer aux recherches qui devaient combler plus tard une lacune si préjudiciable à la navigation.

En doublant le cap Horn, pendant le même voyage, il fut frappé des irrégularités barométriques de cette région. Il inséra sur ce sujet dans le Journal américain des arts et des sciences (ann. 1834) un mémoire qui fut sa première publication scientifique. C’est durant la même campagne qu’il prépara, avec les matériaux qu’il amassait depuis plusieurs années, un ouvrage sur la navigation. Après avoir passé du Falmouth sur la goélette Dolphin, où il remplit les fonctions de premier lieutenant, il fut embarqué sur la frégate Potomac, sur laquelle il retourna aux États-Unis en 1834, Ce bâtiment y désarma, et le jeune auteur eut le loisir nécessaire pour publier sa Navigation à Philadelphie. Paraissant sous le nom d’un officier qui n’avait pas encore dépassé le grade d’aspirant, cet ouvrage fut d’abord assez mal accueilli. Mais il obtint en Angleterre un légitime succès et fut plus tard également adopté par la marine des États-Unis.

Pendant le séjour qu’il fit alors à terre, Maury retourna dans son pays natal, où il se maria avec mademoiselle Ann Herndon, sa fiancée depuis plusieurs années.

M. F. Maury, d’après une photographie.

En 1837, il fut promu au grade de lieutenant. Peu de temps après il eut le malheur de se casser la jambe droite dans une chute de voiture, et devint boiteux pour toute sa vie. Pendant longtemps il ne put marcher qu’avec des béquilles. Durant cette pénible épreuve, au moment où sa carrière semblait brisée, il retrouva la force dans sa foi religieuse, et il composa une prière qu’il redisait à ses enfants sur son lit de mort. L’activité physique est si nécessaire dans la vie du marin, que ce triste accident le contraignit à renoncer entièrement au service de mer et au rapide avancement qu’il aurait sans doute obtenu dans ce service. Mais il ne voulut cependant pas cesser de suivre une carrière dans laquelle il espérait être utile à son pays. C’est alors qu’il commença à écrire une série d’articles sur la réforme des institutions navales des États-Unis. Ces articles exposaient avec clarté les abus résultant de l’état de choses alors existant, proposaient des réformes qui ont été depuis en partie adoptées, et qui ont amené d’importants progrès dans la marine nationale, entre autres l’établissement d’une Académie navale.

C’est aussi à la suite d’un projet présenté par Maury que fut créé, d’après ses plans, le chantier de construction de Memphis, dans le Tennessee. Sous sa direction, le lieutenant Marr fit sur ce point une série d’intéressantes observations relatives au Mississipi, origine des recherches semblables qui ont depuis fait connaître tout ce qui se rapporte à la vitesse, à la masse et à la nature des eaux de ce grand fleuve dans les diverses saisons. Maury proposa aussi et fit adopter l’établissement d’échelles indicatrices dans les principales villes qui bordent le Mississipi et ses tributaires, afin que les capitaines de bateaux à vapeur et autres personnes intéressées passent chaque jour être informées par le télégraphe de la hauteur des eaux. Un registre des chiffres notés sur les diverses échelles permettait de déterminer l’effet probable d’une crue du fleuve ou de l’un de ses tributaires dans la région non encore atteinte. En même temps qu’il s’occupait de ces utiles observations, Maury demandait comme œuvre nationale, l’élargissement du canal de l’Illinois et du Michigan, afin qu’un vaisseau de guerre pût au besoin passer du golfe du Mexique dans les grands Lacs, et réciproquement. Ses publications sur ce sujet excitèrent un vif intérêt et lui valurent de nombreuses approbations.

C’est en 1842 que le lieutenant Maury fut nommé directeur du dépôt des cartes et des instruments de marine à Washington. Grâce à ses soins éclairés, à son intelligente initiative, à son énergique volonté, ce dépôt devint bientôt l’observatoire national et le département hydrographique des États-Unis. Un vaste champ s’ouvrit dès lors à son génie pratique, et il put espérer réaliser quelques-uns des projets, qu’il avait conçus pour le bien de son pays et pour le développement du commerce universel. Nous avons vu comment, onze ans auparavant, il avait constaté le manque de cartes indiquant aux navigateurs les routes et les courants des parages qu’ils avaient à traverser, et nous avons dit sa résolution de combler un jour, s’il le pouvait, cette lacune. En consultant les anciens journaux de bord, relégués depuis longtemps au dépôt de la marine, il en tira, non sans peine, toutes les observations valables qu’ils renfermaient. Il recueillit ensuite les meilleures informations sur la traversée des États-Unis à Rio Janeiro, et put construire, avec ces divers documents, les premières cartes de la série qu’il voulait ensuite compléter. Mais ces cartes, comme la plupart des innovations, ne furent pas appréciées tout d’abord, et il se passa quelque temps avant qu’on eu fît usage. Le capitaine Jackson, commandant le Wright, de Baltimore, fut le premier qui se détermina à suivre la nouvelle route qu’elles indiquaient. L’expérience réussit à souhait : il fit le voyage, aller et retour, dans le même temps à peu près qu’il fallait, par l’ancienne route, pour la seule traversée jusqu’à Rio. Encouragé par ce premier succès, Maury fit imprimer des journaux de bord contenant des colonnes pour l’enregistrement de tous les faits dont la connaissance pouvait servir à la construction des cartes. Ces journaux étaient remis aux capitaines des navires en partance ; ces officiers étaient invités à recueillir des matériaux durant leur voyage, afin d’obtenir des cartes en échange de leur collaboration. Le plus actif intérêt fut ainsi excité parmi les marins, et sur toutes les mers du globe l’entreprise commencée eut bientôt un grand nombre d’intelligents et zélés collaborateurs, dont les observations étaient recueillies et groupées à Washington.

Maury fut alors autorisé par son gouvernement à solliciter la coopération des États européens pour l’établissement d’un système général d’observations météorologiques à la mer. Des exemplaires de ses cartes et de ses instructions nautiques furent distribués aux marines militaires de ces États, et donnés aussi gratuitement aux capitaines des bâtiments de commerce, qui prenaient l’engagement de tenir leur journal de bord dans la forme prescrite, et de l’adresser, après chaque voyage soit à Washington, soit au bureau méléorologique dirigé par l’amiral Fitz-Roy, à Londres.

Élie Margollé.

La suite prochainement.


  1. Note Wikisource : une erreur s’est glissée, Mathieu-Fontaine Maury est né le 14 janvier 1806.
  2. Master, officier à qui peut être confiée la direction d’un bâtiment.