Méthode d’équitation basée sur de nouveaux principes/Rassembler

XXII

DU RASSEMBLER.




Comment définit-on le rassembler dans les écoles d’équitation ? On rassemble son cheval en élevant la main et en tenant les jambes près. Je le demande, à quoi pourra servir ce mouvement du cavalier sur un animal mal conformé, contracté, et qui reste livré à toutes les mauvaises propensions de sa nature ? Cet appui machinal des mains et des jambes, loin de préparer le cheval à l’obéissance, n’aura d’autre effet que de doubler les moyens de résistance, puisqu’en l’avertissant qu’on va exiger de lui un mouvement, on reste dans l’impuissance de disposer ses forces de manière à l’y astreindre.

Le véritable rassembler consiste à réunir au centre les forces du cheval, pour faciliter plus ou moins le rapprochement des jambes de derrière, du milieu du corps. Il y a plusieurs degrés de rassembler, indispensables à la facilité et à la justesse des différentes allures et des différents airs de manège.

Pour bien nous faire comprendre, nous établirons l’échelle suivante :

Avant-main. Centre Arrière-main.

6 5 4 3 2 10

Je dirai encore une fois qu’avant de commencer ces effets de rassembler, il faut nécessairement que le cheval soit parfaitement léger à la main ; alors il sera facile de diminuer, sans contrainte pénible, la marche des jambes de devant et d’augmenter celle des jambes de derrière. Les premiers effets de rassembler qui amèneront les jambes de derrière aux degrés 1, 2, 3, seront utiles aux allures du trot cadencé ou allongé, du galop modéré. Ce rassembler peut s’obtenir en travaillant au pas avec le concours des jambes et même de l’éperon, si l’action des jambes était insuffisante ; la main devra détruire toutes les contractions nuisibles qui pourraient se produire, et faciliter ainsi le juste équilibre utile au rassembler. C’est par l’emploi de ces moyens qu’on arrivera à obtenir que les jambes de derrière gagnent en vitesse sur celles de devant. Quant au rassembler plus complet, dans lequel les jambes de derrière atteignent les degrés 4, 5, 6, il faut, pour l’obtenir, arrêter le cheval et multiplier les oppositions de main et de jambes ou d’éperons, jusqu’à ce qu’il se mobilise, autant que possible, sans avancer, ou n’avancer qu’imperceptiblement, puis l’arrêter par un effet d’ensemble. La répétition fréquente de cette mobilité plus ou moins régulière des jambes conduira insensiblement au rassembler le plus complet, et ce rassembler donnera pour résultat naturel le piaffer avec rhythme, mesure et cadence. Si le cheval est bien conformé, le rassembler s’obtiendra facilement et bientôt après les grandes difficultés de l’équitation qui en dépendent. Reste à savoir s’il est possible de les aborder lorsqu’on a pour sujet un cheval de construction médiocre, c’est-à-dire possédant une partie des défauts ci-après : les hanches courtes, les reins longs et faibles, la croupe basse, ou trop haute par rapport au garrot, les cuisses effilées, les jarrets plus ou moins coudés, trop rapprochés ou trop éloignés l’un de l’autre, trop ou trop peu d’action ; je suis forcé d’avouer que ces sortes de chevaux présentent de grandes difficultés ; mais, en les surmontant, l’on prouve que l’on est non-seulement écuyer, mais encore homme d’intelligence, de sens et de conception équestre.

J’ai déjà expliqué et démontré que le cheval n’a pas la bouche dure ; j’ai dit que la faiblesse des reins, la mauvaise disposition de l’arrière-main sont en général les seules causes des résistances que présente le cheval. En effet, si la longueur des reins, par exemple, éloigne les jambes de derrière de la place qu’elles devraient occuper pour que le mouvement soit régulier, la flexion et l’extension des jarrets qui reçoivent le poids et le rejettent en avant ne peuvent se faire que péniblement ; c’est pour remédier à ces inconvénients qui rendraient toute belle éducation impossible, qu’il faut avoir recours aux premiers effets du rassembler, une fois la mise en main obtenue ; dans ce cas, les jambes de derrière se rapprocheront du centre et se trouveront à la place qu’elles occupent naturellement chez les chevaux bien conformés. Pourquoi certains chevaux résistent-ils par la mâchoire et l’encolure ? Parce que les reins, les hanches et les jarrets, fonctionnant mal, s’opposent à la translation régulière du poids. Ce qui confirme ce principe, c’est que plus un cheval a de légèreté et de mobilité naturelle dans la mâchoire, plus sa conformation se rapproche de la perfection ; dans ce cas, ses dispositions physiques sont dans de bonnes proportions pour obtenir immédiatement un juste équilibre : aussi le rassembler complet, facile pour les bonnes constructions, devient-il d’une difficulté très-grande pour les constructions médiocres. Il faut employer des moyens bien méthodiques et être doué d’un grand tact pour amener ces sortes de chevaux à exécuter un travail compliqué et précis. Je dirai même qu’une semblable tâche serait sans succès, si elle était entreprise par un cavalier qui ne pratiquerait pas la méthode dans tous ses détails et dans son ensemble. Le cheval mal conformé n’acquiert jamais la grâce du cheval bien équilibré naturellement ; mais combien il est beau pour les spectateurs habiles et érudits ! Voilà le merveilleux résultat de l’équitation : L’art a fait plus que la nature.

Le rassembler complet, c’est-à-dire celui qui amène les jambes de derrière aux degrés de 4 et 6, sert au piaffer, au passage en avant et en arrière, au galop raccourci, espèce de terre-à-terre, aux pirouettes ordinaires, au galop en arrière, etc., etc. Il est indispensable à tous les mouvements ascensionnels, puisque dans cette position les jarrets exécutent plus facilement la flexion de bas en haut que celle d’arrière en avant, ce qui prouve qu’une fois le rassembler complet obtenu, le cheval peut exécuter les mouvements les plus difficiles, sans que cela lui soit pénible, et sans porter atteinte à sa construction ; ses poses sont toujours justes, ses points d’appui exacts, et ses mouvements toujours gracieux.

L’animal se trouve alors transformé en une sorte de balance, dont l’avant-main et l’arrière-main représentent les deux plateaux, et il suffira du moindre appui sur l’un des deux pour les déterminer immédiatement dans la direction qu’on voudra leur imprimer. Le cavalier reconnaîtra que le rassembler est complet lorsqu’il sentira le cheval prêt, pour ainsi dire, à s’enlever des quatre jambes. C’est avec ce travail qu’on donne à l’animal le brillant, la grâce et la majesté ; ce n’est plus le même cheval, la transformation est complète. Si nous avons dû employer l’éperon pour pousser d’abord jusque sur ses dernières limites cette concentration de forces, les jambes suffiront par la suite pour obtenir le rassembler nécessaire à la cadence et à l’élévation de tous les mouvements compliqués.

Ai-je besoin de recommander la discrétion dans ce travail ? Si le cavalier, arrivé à ce point de l’éducation de son cheval, ne sait pas comprendre et saisir de lui-même la finesse de tact, la délicatesse de procédés indispensables à la bonne application de ces principes, ce sera une preuve qu’il est dénué de tout sentiment équestre, et tous mes conseils ne sauraient remédier à cette imperfection de sa nature.