Méthode d’équitation basée sur de nouveaux principes/Mobilisation de la croupe

XII

MOBILISATION DE LA CROUPE.


Le cavalier, pour diriger le cheval, agit directement sur deux de ses parties : l’avant-main et l’arrière-main. Il emploie à cet effet deux agents : les jambes, qui donnent l’impulsion par la croupe ; les mains, qui dirigent et modifient cette impulsion par la tête et l’encolure. Un parfait rapport de forces doit donc toujours exister entre ces deux puissances ; mais la même harmonie n’est pas moins nécessaire entre les parties de l’animal qu’elles sont particulièrement destinées a impressionner. En vain se sera-t-on efforcé de rendre la tête et l’encolure flexibles, légères, obéissantes au contact du mors, les résultats seront incomplets, l’ensemble et l’équilibre imparfaits, tant que la croupe restera lourde, contractée, rebelle à l’agent direct qui doit la gouverner.

Je viens d’expliquer par quelle sorte de procédés simples et faciles on donnera à l’avant-main les qualités indispensables pour obtenir une bonne position ; il me reste à dire comment on assouplira de même l’arrière-main pour compléter l’assouplissement du cheval, et ramener l’ensemble et l’harmonie dans le développement de tous ses ressorts. Les résistances de l’encolure et celles dé la croupe se soutenant mutuellement, notre travail deviendra plus facile, puisque nous avons déjà annulé les premières.

1° Le cavalier tiendra les rênes de la bride dans la main gauche, et celles du filet croisées l’une sur l’autre dans la main-droite, les ongles en dessous ; il ramènera d’abord la tête du cheval dans sa bonne position par un léger appui du mors ; puis, s’il veut exécuter le mouvement à droite, il portera la jambe gauche en arrière des sangles et la fixera près du flanc de l’animal jusqu’à ce que la croupe cède à sa pression. Le cavalier fera sentir la rêne du filet du même côté que la jambe, en proportionnant son effet à la résistance qui lui sera opposée. De ces deux forces imprimées ainsi par la rêne gauche et la jambe du même côté, la première est destinée à combattre les résistances, et la seconde à déterminer le mouvement. On se contentera dans le principe de faire exécuter à la croupe un ou deux pas de côté seulement. (Planche 14.)

2° La croupe ayant acquis plus de facilité de mobilisation, on pourra continuer le mouvement de manière à compléter à droite et à gauche des pirouettes renversées. Aussitôt que les hanches céderont à la pression de la jambe, le cavalier fera sentir immédiatement la rêne opposée à cette jambe. Son effet, léger d'abord, sera augmenté progressivement jusqu'à ce que la tête soit inclinée du côté vers lequel marche la croupe, et comme pour la voir venir. (Planche 15.)

Pour faire bien comprendre ce procédé, j'ajouterai quelques explications d'autant plus importantes qu'elles sont applicables à tous les exercices de l'équitation.

Le cheval, dans tous ses mouvements, ne peut conserver sa légèreté sans une combinaison des forces opposées, habilement ménagée par le cavalier. Dans la pirouette renversée par exemple, si, lorsque le cheval a cédé à la pression de la jambe, on continue à opposer la rêne du même côté que cette jambe, il est évident qu'on dépassera le but, puisqu'on fera usage d'une force devenue inutile. Il faut donc établir deux moteurs dont l'effet se balance sans se contrarier; c'est ce que produira dans la pirouette la tension de la rêne opposée à la jambe. Ainsi on débutera par la rêne et la jambe du même côté, jusqu'à ce que le cheval réponde à la seule pression de la jambe, puis avec la bride tenue dans la main gauche; enfin, avec la rêne du filet ou de la bride opposée à la jambe. Les forces se trouvant alors maintenues dans une position diagonale, l’équilibre sera naturel et l’exécution du mouvement facile. La tête du cheval, inclinée vers le côté où se dirige la croupe, ajoute beaucoup au gracieux du travail, et donne au cavalier plus de facilité pour régler l’activité des hanches et maintenir les épaules en place. L’expérience seule pourra, du reste, lui indiquer l’usage qu’il doit faire de la jambe et de la rêne, de manière que leurs effets se soutiennent sans jamais se contrarier.

Je n’ai pas besoin de rappeler que pendant toute la durée du travail, comme toujours, du reste, la mâchoire doit être mobile. Si, en combattant la contraction de la croupe, nous permettions au cheval d’en rejeter la roideur sur l’avant-main, nos efforts seraient vains et le fruit de nos premiers travaux perdu. Nous faciliterons, au contraire, l’assouplissement de l’arrière-main en conservant les avantages que nous avons acquis sur l’avant-main, et en forçant les contractions que nous avons encore à combattre à rester isolées.

La jambe du cavalier opposée à celle qui détermine la rotation de la croupe ne doit pas demeurer éloignée durant le mouvement, mais rester près du cheval et le contenir en place, en donnant d’arrière en avant une impulsion, que l’autre jambe communique de droite à gauche ou de gauche à droite. Il y aura ainsi une force qui maintiendra le cheval en position, et une autre qui déterminera la rotation. Pour que les deux jambes ne contrarient pas réciproquement les effets de leur pression simultanée, et pour arriver de suite à s’en servir avec ensemble, on placera la jambe chargée de déplacer la croupe plus en arrière des sangles que l’autre, qui restera soutenue avec une force égale à celle de la jambe déterminante. Alors l’action des jambes sera distincte ; l’une portera de droite à gauche et l’autre d’arrière en avant. C’est à l’aide de cette dernière que la main place et fixe les jambes de devant.

Afin d’accélérer les résultats, on pourra, dans le commencement, s’adjoindre un second cavalier qui se placera à la hauteur de la tête du cheval, tenant les rênes de la bride dans la main droite et du côté opposé à celui où se portera la croupe. Celui-ci saisira les rênes à seize centimètres des branches du mors, afin d’être à même de combattre les résistances instinctives de l’animal. Le cavalier qui est en selle se contentera alors de soutenir légèrement les rênes du filet, en agissant avec les jambes comme je viens de l’indiquer. Le second cavalier n’est utile que lorsqu’on a affaire à un cheval d’un naturel irritant, ou pour seconder l’inexpérience du cavalier ; mais il faut autant que possible se passer d’aide, afin que le praticien juge par lui-même des progrès de son cheval, tout en cherchant les moyens de régulariser l’emploi de ses aides.

Bien que ce travail soit élémentaire, il conduira néanmoins le cheval à exécuter promptement au pas tous les airs de manège de deux pistes. Après huit jours d’un exercice modéré, on accomplira ainsi, sans efforts, un travail que l’ancienne école n’osait essayer qu’après plus d’une année d’étude et de tâtonnements.

Lorsque le cavalier aura habitué la croupe du cheval à céder promptement à la pression des jambes, il sera maître de la mobiliser ou de l’immobiliser à volonté, et pourra, par conséquent, exécuter les pirouettes ordinaires. Il prendra à cet effet une rêne du filet dans chaque main ; l’une servira à déterminer l’encolure et les épaules du côté où l’on voudra opérer la conversion, l’autre à seconder la jambe opposée, si elle était insuffisante pour contenir la croupe en place. Dans le principe, cette jambe devra être placée le plus en arrière possible, et n’exercer son contact qu’autant que les hanches se porteraient sur elle. Dès que la croupe est immobile, la jambe opposée devient inutile. Une progression bien ménagée amènera de prompts résultats ; on se contentera donc, en débutant, de quelques pas bien exécutés pour l’arrêter par un effet d’ensemble, puis rendre immédiatement au cheval sa liberté d’action, ce qui suppose cinq ou six temps d’arrêt durant la rotation complète des épaules autour de la croupe. Si ce travail est exécuté avec lenteur et ménagements, si la légèreté accompagne tous les mouvements, je garantis des résultats surprenants. Mes élèves livrés à eux-mêmes, ou les personnes qui pratiquent à l’aide du livre seulement, éprouvent souvent des échecs ou des retards dans l’éducation de leurs chevaux : cela provient de ce que l’on passe souvent trop vite d’un exercice à un autre. Aller lentement pour arriver vite, voilà le grand précepte, et, s’il est mis en pratique avec intelligence, il donnera des résultats infaillibles.

Je vais expliquer comment on établira le parfait accord du mécanisme au moyen des effets d’ensemble.