Mémoires sur la vie privée de Marie-Antoinette/Tome 3/7

QUELQUES NOTES

SUR MA CONDUITE

AUPRÈS DE LA REINE.


Avant la révolution, ma famille était comblée des bienfaits de la reine ; ces bienfaits m’avaient attiré des ennemis. Les crises révolutionnaires leur fournirent l’occasion de satisfaire leur haine.

Le voyage de Varennes est l’époque sur laquelle on s’est attaché à noircir ma conduite ; rien ne pouvait mieux prouver l’aveuglement de mes détracteurs ; car je n’étais point à Paris lors de ce funeste départ.

Avant que je m’absentasse, la reine m’avait prévenue du projet ; elle voulait prendre des mesures pour trouver, dans les Pays-Bas, divers objets qui lui étaient commodes.

Au mois de mars 1791, Sa Majesté m’avait ordonné de lui faire faire secrètement un trousseau complet ; j’exécutai la commission.

Madame Cardon, ma tante, femme de chambre de la reine, partit pour la Belgique, et fit sortir de France la malle[1] qui contenait le trousseau.

À peu près dans le même temps, j’emballai, seule avec la reine, les diamans qu’elle voulait faire passer à l’étranger. M. le duc de Choiseul porta ces diamans à Bruxelles.

Lorsque le mois de juin fut choisi pour l’époque du voyage, la reine me fit partir pour l’Auvergne. Les plus grands chagrins et les projets de la plus haute importance ne distrayaient point Sa Majesté de la bienveillance qu’elle accordait à d’anciens serviteurs. C’était par ses ordres que les médecins envoyaient M. Campan, mon beau-père, aux eaux du Mont-d’Or. La reine voulait l’éloigner des scènes populaires qu’elle croyait devoir se passer après le départ de la famille royale.

Le mois de juin n’était pas dans mon service ; je ne pouvais donc partir avec la reine. Sa Majesté voulait cependant que je la suivisse ; elle pensait que de l’Auvergne, en gagnant Lyon, j’aurais plus de facilité pour sortir de France. Je me mis donc en route, avec l’ordre formel de la rejoindre dès que j’aurais appris quel était le lieu de son séjour en pays étranger.

Avant mon départ, la reine me chargea de choisir une personne dévouée, chez qui je pusse déposer un porte-feuille qui me serait remis par Sa Majesté. Je choisis madame Vallayer-Coster, peintre en fleurs : cette dame garda le porte-feuille jusqu’en septembre 1791, époque à laquelle je le retirai de ses mains pour le remettre à la reine.

Je partis de Paris le Ier juin ; j’appris au Mont-d’Or l’arrestation de la famille royale. Mon beau-père se mourait ; nous ne revînmes à Paris qu’à la moitié du mois d’août.

Ah ! que ne puis-je faire connaître à ceux qui me calomnient, l’accueil, à la fois sensible et déchirant, que je reçus alors de la reine ! Ils rougiraient de leur injustice.

Pendant mon absence, les trahisons de la femme de garde-robe, R........., avaient été découvertes. La reine avait choisi pour la remplacer, une femme qui m’appartenait : cette R......... avait découvert l’emballage des diamans ; elle l’avait dénoncé, ainsi que l’envoi du nécessaire. Le maire Bailly fit remettre ces dénonciations à la reine.

Je ne quittai point Paris, ni le château, depuis mon retour des eaux, jusqu’à la journée du 10 août.

La reine se rendait souvent dans mon appartement pour y donner des audiences loin des yeux qui épiaient ses moindres démarches.

Chaque jour, Sa Majesté me chargeait des commissions les plus importantes ; la nuit je consolais ses veilles, et j’essuyais ses larmes.

Je ne recevais aucun député. Un ancien ami de ma famille avait été élu membre de l’Assemblée ; le jour de son élection j’avais cessé de le voir.

Mon frère, M. Genet, chargé d’affaires de France en Russie, embrassa le parti constitutionnel. Il était, depuis cinq ans, à cinq cents lieues de moi ; mais on me rendit responsable de ses opinions ; on m’en imputa de semblables ; les journaux royalistes me dénoncèrent comme démocrate. La reine reçut nombre d’avertissemens sur le danger qu’il y avait à se fier à moi. Le roi le sut, il daigna venir me trouver dans mon appartement ; il me dit : « Vous vous affligez d’être calomniée, ne le suis-je pas moi-même ? On vous dit constitutionnelle, on me l’a dit, je ne l’ai pas démenti ; vous nous en serez plus utile : si je vous rendais hautement la justice que vous méritez, les gens qui vous accusent vous justifieraient avec bruit. Vous deviendriez un objet d’inquiétude pour l’Assemblée ; la reine serait peut-être contrainte à vous éloigner d’elle. »

Ces paroles sont celles du roi ; je les ai conservées dans ma mémoire avec un saint respect.

Dans les premiers jours de juillet 1792, le roi me confia un énorme porte-feuille : ce porte-feuille était si lourd, que Sa Majesté le porta elle-même jusque chez moi. Le roi me dit de le déposer où je voudrais ; mais de me souvenir qu’il pouvait en avoir besoin d’un moment à l’autre.

La reine me dit que si l’Assemblée était assez criminelle pour oser faire un procès au roi, ce porte-feuille renfermait des pièces qui, révolutionnairement parlant, lui seraient funestes ; mais que, cependant, il y avait, dans ce même porte-feuille, une pièce qui, dans le même cas, pourrait être utile. C’était un procès-verbal d’un conseil où Sa Majesté avait opiné contre la déclaration de guerre.

La journée du 10 août arriva ; je n’étais pas de service ; mais je ne quittai pas l’appartement de la reine. Deux de mes sœurs, une de mes nièces y étaient avec moi. M. Rousseau, mon beau-frère, était rangé parmi les grenadiers des Filles-Saint-Thomas.

Après le siége, nous fûmes conduites, madame Auguié et moi, chez M. Auguié ; et j’appris, le lendemain, que la reine me demandait. Ma maison avait été pillée, je ne possédais plus rien, je n’avais plus une robe ; car je n’avais évité d’aller le 10 à l’Abbaye, qu’en me déguisant en servante. J’empruntai des vêtemens ; je me rendis aux Feuillans avec madame Auguié ; madame Thibaut, elle et moi, nous eûmes le douloureux honneur d’y servir la reine.

La reine avait su l’incendie et le pillage de ma maison ; dans cette misérable cellule des Feuillans, malgré le trouble, l’incertitude et la douleur qui remplissaient l’ame de Sa Majesté, elle daigna me parler de la perte que j’avais faite. J’en pris occasion pour lui dire que mes effets, étant tous épars sur le Carrousel, ou pris, j’étais inquiète de l’abus qu’on pourrait faire des comptes relatifs à mes fonctions de trésorière, et au bas desquels se trouvait la signature de la reine.

Sa Majesté plaçait souvent sa signature assez loin des chiffres, pour que le bas de la page pût servir de blanc-seing. Madame Élisabeth, madame la princesse de Lamballe, madame la marquise de Tourzel, étaient auprès de la reine ; une d’elles pensa qu’il fallait faire une déclaration de ce fait. La reine me l’ordonna. J’allai aussitôt à un comité qui se tenait dans le bâtiment de l’Assemblée. M. Hue m’y accompagna ; les membres de ce comité refusèrent de recevoir ma déclaration, et la reine regretta de m’avoir donné cet ordre. J’ai su que depuis la rentrée du roi, dans le château même de Sa Majesté, ma visite à ce comité avait été outrageusement défigurée.

Dans le cours de la journée que je passai aux Feuillans, la reine me dit qu’elle désirait que je la suivisse là où elle irait. Je sortis donc le soir pour aller prendre soin de ce que deviendrait mon fils, et pour emprunter des vêtemens. Le lendemain matin, je me représentai aux Feuillans, je ne pus parvenir jusqu’à la reine ; j’étais consignée. J’appris que Pétion avait décidé que la reine n’aurait au Temple qu’une femme de son service : c’était madame Thibaut qu’il avait désignée comme étant de mois. J’allai sur-le-champ chez le maire de Paris, pour lui demander la permission de m’enfermer au Temple avec la reine ; sa porte me fut refusée. Un ami qui m’accompagnait parvint à entrer et exposa ma demande à Pétion qui répondit que, si je réitérais mes sollicitations, il m’enverrait à la Force. Il ajouta d’autres discours, auxquels mon ami (M. de Valadon) répondit que lorsqu’on demandait à partager des fers, on ne méritait pas d’insulte. Pétion répliqua par ces mots cruels : « Qu’elle se console de ne pas aller au Temple, le service qui y entre n’y restera pas long-temps. »

Forcée de renoncer à servir la reine dans sa prison, je m’occupai d’être utile, en surveillant les papiers importans qui m’avaient été confiés.

Après le 10 août, les visites domiciliaires remplirent Paris d’effroi. Il devenait difficile de soustraire long-temps un porte-feuille volumineux. Cependant on annonçait le procès du roi ; j’étais préoccupée de cette seule pensée, que le porte-feuille contenait un papier qui pouvait être utile à Sa Majesté, et d’autres qui pouvaient lui être funestes.

J’étais retirée chez M. Auguié, j’y gardais le porte-feuille, j’étais irrésolue ; on vint me donner avis que la maison allait subir une visite domiciliaire, et que la section cherchait des papiers. Je n’avais pas de temps à perdre, j’ouvris le porte-feuille[2], j’en tirai le procès-verbal mentionné plus haut ; je brûlai une grande partie de ces papiers, je craignais de faire un feu trop considérable ; M. Gougenot qui était avec moi, en emporta pour en brûler chez un homme dont il était sûr.

Peu d’instans après, la maison de M. Auguié fut envahie et fouillée à tel degré, qu’on creusa dans le jardin, qu’on retourna les fumiers.

Lorsque les défenseurs du roi furent nommés, je m’occupai de leur faire passer le papier qui pouvait servir, et l’avis que les autres étaient détruits. M. Gougenot se déguisa, alla trouver M. de Malesherbes, et lui remit ce papier ; il retourna peu de jours après chez ce digne avocat d’une si grande et si touchante cause. J’appris avec une bien grande satisfaction ce que le roi me faisait dire. Sa Majesté se félicitait de ne m’avoir donné aux Feuillans aucun ordre relatif au porte-feuille ; la nécessité d’exécuter sa volonté aurait pu me gêner dans ma résolution ; j’avais fait ce qu’il avait fallu faire ; le roi daignait m’en remercier.

Après l’époque de la terreur, je me vouai à l’instruction publique. Douze cents Françaises successivement confiées à mes soins, ont appris de moi à révérer les vertus de Louis XVI et de Marie-Antoinette ; le besoin m’avait fait embrasser l’état d’institutrice, mon ambition s’y était bornée ; et, considérée dans cette profession, je jouissais aussi de quelque estime pour mon dévouement connu envers la reine.

Le suffrage de plusieurs personnes illustres[3], mon manque de fortune, témoignages évidens de ma fidélité, la publicité que, sous tous les gouvernemens, je n’ai pas craint de donner à mes sentimens pour la reine ; enfin, la force de la vérité avaient triomphé des impostures dont on avait voulu m’accabler ; mais par un concours de circonstances fatales à moi seule, le retour du roi a ramené sur moi des doutes injurieux.

On a interprété la réforme de la maison d’éducation que je dirigeais et que j’avais organisée. On s’est plu à trouver, dans ce témoignage de défaveur, la confirmation tacite de torts antécédens ; et, dans le doute funeste que laissait, et que laisse encore planer sur moi le silence des personnes les plus augustes, la calomnie a eu le champ libre, et les libelles et les discours calomnieux sont venus troubler mes dernières années.


  1. Il y avait aussi dans cette malle des robes et du linge pour Madame, des habits et du linge pour monseigneur le dauphin.
  2. Les papiers que je trouvai dans le porte-feuille étaient les correspondances de Monsieur et de M. le comte d’Artois avec le roi ; celles de Mesdames ; des rapports, projets et correspondances de plusieurs personnes attachées à la cause royale ; toutes les pièces touchant les relations de Mirabeau avec la cour ; un plan de départ de la famille royale de la main de Mirabeau. Les anciens sceaux de l’État se trouvaient dans le porte-feuille : je les fis jeter dans la rivière par M. Gougenot.
  3. Mesdames la marquise de Tourzel et la duchesse de Luynes, madame la maréchale de Beauvau, mesdames les princesses de Poix et d’Hénin, M. le duc de Choiseul, M. le marquis de Lally, ont bien voulu combattre les impressions fâcheuses que chaque émigré rapportait contre moi des pays étrangers.