Mémoires sur la vie privée de Marie-Antoinette/Tome 1/5


CHAPITRE III.

Arrivée de l’archiduchesse en France. — Madame de Noailles, sa dame d’honneur. — Comment elle s’attira le surnom de madame l’Étiquette. — Brillante réception de la dauphine à Versailles. — Sa beauté, sa franchise ; grâce et noblesse de son maintien. — Elle charme Louis XV. — Jalousie de madame Du Barry. — Événement malheureux de la place Louis XV. — Trait de sensibilité de la dauphine. — Mot spirituel. — Anecdotes. — Elle fait son entrée à Paris. — Enthousiasme des habitans. — Froideur du dauphin. — Intrigues de cour. — Société intime du dauphin, des princes ses frères, et de leurs épouses. — Les trois princesses et les deux frères du dauphin jouent la comédie en cachette. — Singulière circonstance qui interrompt ce genre d’amusement. — Les courtisans se rapprochent de Marie-Antoinette et du dauphin.

On avait préparé, sur les frontières auprès de Kell, un superbe pavillon composé d’un très-vaste salon qui communiquait à deux appartemens : l’un où devaient se tenir les dames et les seigneurs de la cour de Vienne, l’autre destiné à la suite de la dauphine, composée de madame la comtesse de Noailles, sa dame d’honneur ; madame la duchesse de Cossé, sa dame d’atours ; quatre dames du palais, M. le comte de Saulx-Tavannes, chevalier d’honneur ; M. le comte de Tessé, premier écuyer ; M. l’évêque de Chartres, premier aumonier, les officiers des gardes-du-corps et les écuyers.

Lorsqu’on eut entièrement déshabillé madame la dauphine, pour qu’elle ne conservât rien d’une cour étrangère, pas même sa chemise et ses bas (étiquette toujours observée dans cette circonstance), les portes s’ouvrirent ; la jeune princesse s’avança cherchant des yeux la comtesse de Noailles, puis s’élança dans ses bras, en lui demandant, les larmes aux yeux, et avec une franchise qui partait de son cœur, de la diriger, de la conseiller, d’être en tout son guide et son appui. On ne put qu’admirer cette marche aérienne : on était séduit par un seul sourire ; et dans cet être tout enchanteur, où brillait l’éclat de la gaieté française, je ne sais quelle sérénité auguste, peut-être aussi l’attitude un peu fière de sa tête et des épaules, faisait retrouver la fille des Césars.

En rendant justice aux vertus de la comtesse de Noailles, les gens sincèrement attachés à la reine ont toujours regardé comme un de ses premiers malheurs, peut-être même comme le plus grand qu’elle pût éprouver à son entrée dans le monde, de n’avoir pas rencontré, dans la personne naturellement placée pour être son conseil, une femme indulgente, éclairée, et unissant à des avis sages cette grâce qui décide la jeunesse à les suivre. Madame la comtesse de Noailles n’avait rien d’agréable dans son extérieur ; son maintien était roide, son air sévère. Elle connaissait parfaitement l’étiquette ; mais elle en fatiguait la jeune princesse sans lui en démontrer l’importance. Toutes ces formes étaient gênantes à la vérité ; mais elles avaient été calculées sur la nécessité de présenter aux Français tout ce qui peut leur commander le respect, et surtout de garantir une jeune princesse, par un entourage imposant, des traits mortels de la calomnie. Il aurait fallu faire sentir à la dauphine qu’en France sa dignité tenait beaucoup à des usages qui n’étaient nullement nécessaires à Vienne pour faire respecter et chérir la famille impériale par les bons et soumis Autrichiens. La dauphine était donc perpétuellement importunée par les représentations de la comtesse de Noailles, et en même temps excitée par l’abbé de Vermond à tourner en dérision et les préceptes sur l’étiquette et celle qui les donnait. Elle écouta plutôt la raillerie que la raison, et surnomma madame la comtesse de Noailles : madame l’Étiquette. Cette plaisanterie fit présumer qu’aussitôt que la jeune princesse agirait selon ses volontés elle se soustrairait aux usages imposans[1].

Les fêtes qui eurent lieu à Versailles pour le mariage du dauphin, furent très-brillantes. La dauphine y arriva pour l’heure de sa toilette, après avoir couché à la Muette, où Louis XV avait été la recevoir, et où ce prince, aveuglé par un sentiment indigne d’un souverain et d’un père de famille, avait fait souper la jeune princesse, la famille royale et les dames de la cour avec madame Du Barry.

La dauphine en fut blessée ; elle en parlait assez ouvertement dans son intérieur, mais elle sut dissimuler son mécontentement en public, et son maintien fut parfait[2].

On la reçut à Versailles dans un appartement du rez-de-chaussée, au-dessous de celui de la feue reine, qui ne fut prêt que six mois après le jour de son mariage.

Madame la dauphine, alors âgée de quinze ans, éclatante de fraîcheur, parut mieux que belle à tous les yeux. Sa démarche tenait à la fois du maintien imposant des princesses de sa maison, et des grâces françaises ; ses yeux étaient doux, son sourire aimable. Lorsqu’elle se rendait à la chapelle, dès les premiers pas qu’elle avait faits dans la longue galerie, elle avait découvert, jusqu’à l’extrémité de cette pièce, les personnes qu’elle devait saluer avec les égards dus au rang, celles à qui elle accorderait une inclination de tête, celles enfin qui devaient se contenter d’un sourire, en lisant dans ses yeux un sentiment de bienveillance fait pour consoler de n’avoir pas de droits aux honneurs.

Louis XV fut enchanté de la jeune dauphine ; il n’était question que de ses grâces, de sa vivacité et de la justesse de ses reparties. Elle obtint encore plus de succès auprès de la famille royale, lorsqu’on la vit dépouillée de tout l’éclat des diamans dont elle avait été ornée pendant les premiers jours de son mariage. Vêtue d’une légère robe de gaze ou de taffetas, on la comparait à la Vénus de Médicis, à l’Atalante des jardins de Marly. Les poëtes célébrèrent ses charmes, les peintres voulurent rendre ses traits. Il y en eut un dont l’idée ingénieuse fut récompensée par Louis XV. Il avait imaginé de placer le portrait de Marie-Antoinette dans le cœur d’une rose épanouie.

Le roi ne parlait que de la dauphine, et madame Du Barry s’efforçait aigrement de faire tomber son enthousiasme. En s’occupant de Marie-Antoinette, elle faisait remarquer à tout propos l’irrégularité de ses traits ; elle critiquait les mots qu’on citait d’elle ; elle raillait le roi sur sa prédilection. Madame Du Barry était offensée de ne point obtenir de la dauphine les attentions auxquelles elle prétendait ; elle ne cachait point au roi ce grief ; elle craignait aussi que les grâces et la gaieté de la jeune princesse ne rendissent l’intérieur de la famille royale plus agréable au vieux souverain, et qu’il ne lui échappât. Mais la haine contre le parti de Choiseul contribuait puissamment à exciter l’inimitié de cette favorite.

On sait que sa honteuse élévation était l’ouvrage du parti anti-Choiseul. La chute de ce ministre eut lieu en novembre 1770, six mois après que sa longue influence dans le conseil eut amené l’alliance avec la maison d’Autriche, et l’arrivée de Marie-Antoinette à la cour de France. Cette princesse, jeune, franche, légère, inexpérimentée, se trouva sans autre guide que l’abbé de Vermond, dans une cour où régnait l’ennemi du ministre qui l’y avait appelée, au milieu de gens qui haïssaient l’Autriche et qui détestaient toute alliance avec la maison impériale.

Le duc d’Aiguillon, le duc de La Vauguyon, le maréchal de Richelieu, les Rohan et beaucoup d’autres familles considérables, qui s’étaient servies de madame Du Barry pour faire tomber le duc, n’avaient pu, malgré leurs puissantes intrigues, penser à faire rompre une alliance solennellement annoncée, et qui touchait à de grands intérêts politiques. Sans renoncer à leurs projets, ils changèrent donc de marche ; et l’on verra plus bas comment la conduite du dauphin servit de base à leurs espérances.

Madame la dauphine ne cessait de donner des preuves d’esprit et de sensibilité : quelquefois même elle se laissait entraîner à ces élans de bonté compatissante, qui ne sont arrêtés ni par le rang, ni par les usages qu’il établit.

Lors de l’événement du feu de la place Louis XV, à l’occasion des fêtes du mariage, le dauphin et la dauphine envoyèrent l’année entière de leurs revenus, pour soulager les familles infortunées qui avaient perdu leurs parens dans cette journée désastreuse.

Cet acte de générosité rentre dans le nombre de ces secours d’éclat qui sont dictés par la politique des princes, au moins autant que par leur compassion ; mais la douleur de Marie-Antoinette fut profonde et dura plusieurs jours ; rien ne pouvait la consoler de la perte de tant d’innocentes victimes ; elle en parlait, en pleurant, à ses dames, lorsqu’une d’elles, cherchant sans doute à la distraire, lui dit qu’un grand nombre de filous avaient été trouvés parmi les cadavres, que leurs poches étaient remplies de montres et d’autres bijoux. « Ils ont été au moins bien punis, ajouta la personne qui racontait ces détails. — Oh ! non, non, Madame, reprit la dauphine, ils sont morts à côté d’honnêtes gens. »

En passant par Reims, à son arrivée de Strasbourg : « Voilà, dit-elle, la ville de France que je désire revoir le plus tard possible. »

La dauphine avait apporté de Vienne une grande quantité de diamans blancs ; le roi y ajouta le don des diamans et des perles de la feue dauphine, et lui remit aussi un collier de perles d’un seul rang dont la plus petite avait la grosseur d’une aveline, et qui, apporté en France par Anne d’Autriche, avait été substitué, par cette princesse, aux reines et dauphines de France[3].

Les trois princesses, filles de Louis XV, se réunirent pour lui offrir de magnifiques présens. Madame Adélaïde donna en même temps à la jeune princesse une clé des corridors particuliers du château, par lesquels, sans aucune suite, et sans être aperçue, elle pourrait parvenir jusqu’à l’appartement de ses tantes, et les voir en particulier. La dauphine leur dit, avec infiniment de grâce, en prenant cette clé, que pour lui faire apprécier toutes les choses superbes qu’elles voulaient bien lui donner, il n’eût pas fallu, en même temps, lui en offrir une d’un prix inestimable, puisqu’elle devrait à cette clé une intimité et des conseils si précieux pour son âge. Elle s’en servit en effet bien souvent ; mais madame Victoire seule l’autorisait, tant qu’elle fut dauphine, à rester familièrement chez elle ; madame Adélaïde ne pouvait vaincre ses préventions contre les princesses autrichiennes, et était ennuyée de la gaieté un peu pétulante de la dauphine ; madame Victoire s’en affligeait, et sentait que leur société et leurs avis eussent été bien utiles à une jeune personne exposée à ne rencontrer que des complaisans ou des flatteurs. Elle chercha même à lui faire trouver de l’agrément dans la société de madame la marquise de Durfort, sa dame d’honneur et sa favorite. On donna plusieurs fêtes agréables chez cette dame : la comtesse de Noailles et l’abbé de Vermond s’opposèrent bientôt à ces réunions.

L’événement arrivé à la chasse, près du village d’Achères, dans la forêt de Fontainebleau, donna à la jeune princesse l’occasion de développer son respect pour la vieillesse et sa sensibilité pour l’infortune. Un paysan très-âgé est blessé par le cerf ; la dauphine s’élance hors de sa calèche, y fait placer le paysan avec sa femme et ses enfans, fait reconduire la famille jusqu’à sa chaumière, et la comble de tous les soins et de tous les secours nécessaires. Son cœur était toujours prêt à éprouver les émotions de la compassion ; et dans ces circonstances, l’idée de son rang n’arrêtait jamais les effets de sa sensibilité. Plusieurs personnes de son service entraient un soir dans sa chambre, croyant n’y trouver que l’officier de garde[4] ; elles aperçoivent la jeune princesse assise à côté de cet homme déjà avancé en âge ; elle avait placé auprès de lui une jatte pleine d’eau, étanchait le sang qui sortait d’une blessure qu’il avait à la main, après avoir déchiré son mouchoir pour lui faire des compresses, et remplissait enfin auprès de lui toutes les fonctions d’une pieuse fille de la charité. Le vieillard, attendri jusqu’aux larmes, laissait par respect agir son auguste maîtresse. Il s’était blessé en voulant avancer un meuble un peu lourd que la princesse lui avait demandé.

Au mois de juillet 1770, un événement fâcheux, arrivé dans une famille que la dauphine honorait de ses bontés, contribua à montrer encore, non-seulement sa sensibilité, mais la justesse de ses idées. Une de ses femmes avait un fils officier dans les gendarmes de la garde ; ce jeune homme se crut offensé par un commis de la guerre ; un cartel en forme fut imprudemment envoyé : il tua son adversaire dans la forêt de Compiègne ; la famille du jeune homme tué, munie du cartel, demanda justice. Le roi, affligé de plusieurs duels qui venaient d’avoir lieu, avait malheureusement prononcé qu’il n’accorderait point de grâce, au premier événement de ce genre dont on pourrait donner la preuve ; le coupable fut arrêté. Sa mère, dans le désordre de sa plus grande douleur, courut se jeter aux pieds de la dauphine, du dauphin et des jeunes princes ; ils obtinrent du roi, après une heure de prière, la grâce tant désirée. Le lendemain, en félicitant madame la dauphine, une grande dame, qui s’était sûrement laissé prévenir contre la mère du gendarme, eut la méchanceté d’ajouter que cette mère n’avait négligé, dans cette circonstance, aucun moyen de réussir ; qu’elle avait sollicité, non-seulement la famille royale, mais même madame Du Barry. La dauphine répondit que ce trait justifiait l’opinion favorable qu’elle avait conçue de cette brave femme ; que, pour sauver la vie de son fils, rien ne devait coûter au cœur d’une mère ; et qu’à sa place, si elle l’eût jugé nécessaire, elle aurait été se jeter aux pieds de Zamore[5].

Quelque temps après les fêtes du mariage, madame la dauphine fit son entrée à Paris ; elle y fut reçue avec des transports de joie. Après avoir dîné dans l’appartement du roi, aux Tuileries, elle fut forcée, par les cris multipliés de la foule qui remplissait le jardin, de se présenter sur le balcon, en face de la grande allée. Elle s’écria, en voyant toutes ces têtes pressées, les yeux levés vers elle : « Grand Dieu, que de monde ! — Madame, lui dit le vieux duc de Brissac, gouverneur de Paris, sans que Monseigneur le dauphin puisse s’en offenser, ce sont autant d’amoureux[6]. » M. le dauphin ne s’offensait ni des acclamations, ni des hommages dont madame la dauphine était l’objet. Une indifférence affligeante, une froideur qui dégénérait souvent en brusquerie, étaient les seuls sentimens que lui montrait alors le jeune prince. Tant de charmes n’avaient même rien obtenu sur ses sens ; il venait, par devoir, se placer dans le lit de la dauphine, et s’endormait souvent sans lui avoir adressé la parole. Cet éloignement qui dura fort long-temps, était, dit-on, l’ouvrage de M. le duc de La Vauguyon. La dauphine n’avait véritablement de sincères amis à la cour que le duc de Choiseul et son parti. Croira-t-on que les projets formés contre Marie-Antoinette allaient jusqu’à voir la possibilité d’un divorce ? Quelques gens, possédant à la cour des places éminentes, me l’ont assuré, et beaucoup de choses pouvaient confirmer cette opinion. Au voyage de Fontainebleau, l’année du mariage, on gagna les inspecteurs des bâtimens, pour que l’appartement de Monseigneur le dauphin, attenant à celui de la dauphine, ne se trouvât pas achevé, et on lui en fit donner un provisoirement à l’extrémité du château. La dauphine, sachant que c’était le résultat d’une intrigue, eut le courage de s’en plaindre à Louis XV, qui, après de sévères réprimandes, donna des ordres si positifs, que dans la semaine l’appartement se trouva prêt. Tout était employé pour entretenir et augmenter la froideur que le dauphin témoigna long-temps à sa jeune épouse. Elle en fut profondément affligée, mais ne se permit jamais d’articuler la moindre plainte à cet égard. L’oubli, le dédain même pour des charmes qu’elle entendait louer de toutes parts, rien ne lui faisait rompre le silence ; et quelques larmes, qui s’échappaient involontairement de ses yeux, étaient les seules traces que son service ait pu voir de ses peines secrètes.

Un seul jour, fatiguée des représentations déplacées d’une vieille demoiselle qui lui était attachée, et qui voulait s’opposer à ce qu’elle montât à cheval, dans la crainte que cela ne l’empêchât de donner des héritiers à la couronne : « Mademoiselle, lui dit-elle, au nom de Dieu, laissez-moi en paix, et sachez que je ne compromets aucun héritier. »

J’ai dû peindre, au commencement de ces Mémoires, l’homme obscurément ambitieux qui dirigea Marie-Antoinette depuis son enfance jusqu’à l’époque fatale de la révolution.

J’ai fait connaître le caractère de la dame d’honneur de la dauphine ; j’ai donné quelques détails sur les préventions de madame Adélaïde, fille aînée de Louis XV, contre la maison d’Autriche ; j’ai parlé de la bonté extrême de la seconde princesse, madame Victoire ; de l’attrait qu’elle avait eu pour Marie-Antoinette ; enfin j’ai donné une idée du caractère de madame Sophie, troisième fille de Louis XV, et qui offrait à sa nièce, encore bien moins que Mesdames ses sœurs, les utiles ressources de la société.

Madame la dauphine avait trouvé à la cour de Louis XV, avec les trois princesses, filles du roi, les princes frères du dauphin en éducation ; mesdames Clotilde et Élisabeth encore entre les mains de madame de Marsan, gouvernante des enfans de France. L’aînée de ces deux princesses épousa, en 1777, le prince de Piémont, devenu roi de Sardaigne. Cette princesse était, dans son enfance, d’une si énorme grosseur, que le peuple lui avait donné le sobriquet de gros Madame[7]. La seconde princesse était la pieuse Élisabeth, victime de son respect et de son tendre attachement pour le roi son frère, et dont les hautes vertus méritent la couronne céleste[8]. Elle était encore presqu’à la lisière, à l’époque du mariage du dauphin. La dauphine lui donnait une préférence marquée. La gouvernante, qui cherchait à faire valoir celle des deux princesses que la nature avait traitée moins favorablement, sut mauvais gré à madame la dauphine de son affection particulière pour madame Élisabeth, et, par des plaintes indiscrètes, elle refroidit l’amitié qui existait cependant entre madame Clotilde et Marie-Antoinette. Il s’éleva même quelque rivalité sur l’article de l’éducation, et on s’expliqua assez haut et très-défavorablement sur celle que l’impératrice Marie-Thérèse avait fait donner à ses filles. L’abbé de Vermond se crut offensé, prit part dans cette querelle, et unit ses plaintes et ses plaisanteries à celles de madame la dauphine sur les critiques de la gouvernante, et s’en permit même à son tour quelques-unes sur l’instruction de madame Clotilde. Tout se sait dans une cour. Madame de Marsan fut à son tour instruite de ce qui s’était dit chez la dauphine, et lui en sut très-mauvais gré. À partir de ce moment, il s’établit un foyer d’intrigues, ou plutôt de commérage, contre Marie-Antoinette, dans la société de madame de Marsan ; ses moindres actions y étaient mal interprétées ; on lui faisait un crime de sa gaieté et des jeux innocens qu’elle se permettait quelquefois dans son intérieur avec les plus jeunes de ses dames, et même avec des femmes de son service. Le prince Louis de Rohan, placé à l’ambassade de Vienne par cette société, y fut l’écho de ces injustes critiques, et se jeta dans une série de coupables délations qu’il colorait du nom de zèle. Il représentait sans cesse la jeune dauphine comme s’aliénant tous les cœurs par des légèretés qui ne pouvaient convenir à la dignité de la cour de France. Cette princesse recevait souvent de Vienne des remontrances dont la source ne pouvait lui demeurer long-temps cachée, et c’est à cette époque qu’il faut rapporter l’éloignement qu’elle n’a jamais cessé de témoigner au prince de Rohan.

Vers le même temps, la dauphine eut connaissance d’une lettre écrite par le prince Louis à M. le duc d’Aiguillon, dans laquelle cet ambassadeur s’exprimait en termes peu convenables sur l’attitude de Marie-Thérèse, relativement au partage de la Pologne. Cette lettre du prince Louis avait été lue chez la comtesse Du Barry[9] ; la légèreté de la correspondance de l’ambassadeur blessait à Versailles la sensibilité et la dignité de la dauphine, tandis qu’à Vienne les rapports qu’il faisait à Marie-Thérèse contre la jeune princesse, finirent par lui rendre suspects les motifs de ces interminables plaintes.

Marie-Thérèse, partageant enfin les mêmes soupçons, prit le parti d’envoyer à Versailles son secrétaire du cabinet, le baron de Neni, qui devait examiner avec attention la conduite de madame la dauphine, et acquérir la mesure juste de l’opinion de la cour et de Paris sur le compte de cette princesse. Le baron de Neni, après y avoir mis le temps et la sagacité convenables, détrompa sa souveraine sur les exagérations de l’ambassadeur français ; l’impératrice n’eut pas de peine à remarquer dans les calomnies qu’on avait osé lui faire parvenir, à titre d’intérêt pour son auguste fille, la preuve de l’inimitié d’un parti qui n’avait jamais approuvé l’alliance de la maison de Bourbon avec la sienne[10]. À cette époque, madame la dauphine n’ayant encore obtenu aucun pouvoir sur le cœur de son époux, craignant Louis XV, se défiant avec raison de tout ce qui tenait à madame Du Barry et au duc d’Aiguillon, n’avait pas mérité le moindre reproche sur ce genre de légèreté que la haine et ses malheurs ont, par la suite, transformée en crime. Convaincue de l’innocence de Marie-Antoinette, l’impératrice donna l’ordre au baron de Neni de solliciter le rappel de M. le prince de Rohan, et d’instruire le ministre des affaires étrangères de tous les motifs qui le lui faisaient désirer ; mais la maison de Rohan se mit entre son protégé et l’envoyé autrichien, et l’on ne répondit que d’une manière évasive.

Ce ne fut que deux mois après la mort de Louis XV, que la cour de Vienne obtint son rappel. Les griefs positivement énoncés, furent : 1o les galanteries publiques du prince Louis avec des femmes de la cour et d’autres d’un genre moins distingué ; 2o sa morgue et sa hauteur à l’égard des autres ministres étrangers, ce qui aurait eu des suites majeures, surtout avec les ministres d’Angleterre et de Danemarck, si l’impératrice elle-même ne s’en fût mêlée ; 3o son mépris pour les choses de la religion dans le pays où il était le plus nécessaire d’en montrer. On l’avait vu souvent se revêtir d’habits de toutes les couleurs, prenant les uniformes de chasse des différens seigneurs chez qui il allait, avec tant de publicité, qu’un jour de Fête-Dieu, lui et toute sa légation, en uniforme vert, galonné en or, avaient forcé une procession qui les gênait, pour se rendre à une partie de chasse chez le prince de Paar ; 4o des dettes immenses contractées par lui et ses gens, dettes qui ne furent que tardivement et imparfaitement acquittées[11].

Les mariages successifs du comte de Provence et du comte d’Artois avec deux filles du roi de Sardaigne, augmentèrent à Versailles le nombre des princesses de l’âge de Marie-Antoinette, procurèrent à la dauphine une société plus conforme à son âge, et changèrent sa position. D’assez beaux yeux attirèrent à madame la comtesse de Provence, lors de son arrivée à Versailles, les seules louanges qu’il était raisonnablement permis de lui donner.

La comtesse d’Artois, sans difformité dans la taille, était fort petite et avait un très-beau teint ; son visage assez gracieux n’avait cependant rien de remarquable que l’extrême longueur de son nez. Mais, bonne et généreuse, elle fut aimée de ceux qui l’environnaient, et jouit même de quelque crédit, tant qu’elle fut la seule qui eût donné des héritiers à la couronne[12].

Dès ce moment la plus grande intimité s’établit entre les trois jeunes ménages. Ils firent réunir leurs repas, et ne mangèrent séparément que les jours où leurs dîners étaient publics. Cette manière de vivre en famille exista jusqu’au moment où la reine se permit d’aller dîner quelquefois chez la duchesse de Polignac, lorsqu’elle fut gouvernante ; mais la réunion du soir pour le souper ne fut jamais interrompue, et avait lieu chez madame la comtesse de Provence. Madame Élisabeth y prit place lorsqu’elle eut terminé son éducation ; et quelquefois Mesdames, tantes du roi, y étaient invitées. Cet usage, qui n’avait point eu d’exemple à la cour, fut l’ouvrage de Marie-Antoinette, et elle l’entretint avec la plus grande persévérance.

La cour de Versailles n’éprouva aucun changement d’étiquette pendant la durée du règne de Louis XV. Le jeu se tenait chez madame la dauphine, comme étant la première personne de l’État. Il avait eu lieu, depuis la mort de la reine Marie Leckzinska jusqu’au moment du mariage de monsieur le dauphin, chez madame Adélaïde. Ce changement, suite d’un ordre de préséance qui ne pouvait être dérangé, n’en avait pas moins désobligé madame Adélaïde qui, ayant établi un jeu séparé dans ses appartemens, ne se rendait presque jamais à celui où devait se réunir non-seulement la cour, mais la famille royale. La visite en grand appareil au débotter du roi avait toujours lieu. La messe en musique était entendue tous les jours ; les promenades des princesses n’étaient que de rapides courses qu’elles faisaient en berlines, accompagnées de gardes-du-corps, d’écuyers, de pages à cheval. On se rendait au grand galop à quelques lieues de Versailles ; les calèches ne servaient que pour suivre la chasse.

Les jeunes princesses voulurent animer leur société intime d’une manière utile et agréable. On forma le projet d’apprendre et de jouer toutes les bonnes comédies du théâtre français ; le dauphin était le seul spectateur ; les trois princesses, les deux frères du roi, et MM. Campan père et fils composèrent seuls la troupe ; mais on mit la plus grande importance à tenir cet amusement aussi secret qu’une affaire d’État : on craignait la censure de Mesdames ; et on ne doutait pas que Louis XV n’eût défendu de pareils amusemens, s’il en avait eu connaissance. On choisit un cabinet d’entresol où personne n’avait besoin de pénétrer pour le service. Une espèce d’avant-scène, se détachant et pouvant s’enfermer dans une armoire, formait tout le théâtre : M. le comte de Provence savait toujours ses rôles d’une manière imperturbable ; M. le comte d’Artois assez bien ; il les disait avec grâce : les princesses jouaient mal. La dauphine s’acquittait de quelques rôles avec finesse et sentiment. Le bonheur le plus réel de cet amusement était d’avoir tous les costumes très-élégans et fidèlement observés. Le dauphin prenait part aux jeux de la jeune famille, riait beaucoup des figures des personnages, à mesure qu’ils paraissaient en scène, et c’est à dater de ces amusemens qu’on le vit renoncer à l’air timide de son enfance, et se plaire dans la société de la dauphine.

Le désir d’étendre le répertoire des pièces que l’on voulait jouer, et la certitude que ces amusemens seraient entièrement ignorés, avaient fait admettre mon beau-père et mon mari à l’honneur de figurer avec les princes.

Je n’ai su ces détails que long-temps après, M. Campan en ayant fait un secret ; mais un événement imprévu pensa dévoiler tout le mystère. La reine ordonna un jour à M. Campan de descendre dans son cabinet pour y chercher quelque chose qu’elle avait oublié ; il était habillé en Crispin et avait même son rouge ; un escalier dérobé conduisait directement à cet entresol dans le cabinet de toilette. M. Campan crut y entendre quelque bruit, et resta immobile derrière la porte qui était fermée. Un valet de garde-robe, qui en effet était dans cette pièce, avait de son côté entendu quelque bruit, et, par inquiétude ou par curiosité, il ouvrit subitement la porte ; cette figure de Crispin lui fit si grande peur, que cet homme tomba à la renverse en criant de toutes ses forces : Au secours ! Mon beau-père le releva, lui fit entendre sa voix, et lui enjoignit le plus profond silence sur ce qu’il avait vu. Cependant il crut devoir prévenir la dauphine de ce qui était arrivé ; elle craignit que quelque autre événement de la même nature ne fît découvrir ces amusemens : ils furent abandonnés.

Cette princesse s’occupait beaucoup, dans son intérieur, de l’étude de la musique et de celle des rôles de comédie qu’elle avait à apprendre ; ce dernier exercice avait eu au moins l’avantage de former sa mémoire et de lui rendre la langue française encore plus familière.

L’abbé de Vermond venait chez elle tous les jours, mais évitait de prendre le ton imposant d’un instituteur, et ne voulait pas même, comme lecteur, conseiller l’utile lecture de l’histoire. Je crois qu’il n’en a pas lu un seul volume, dans toute sa vie, à son auguste élève ; aussi n’a-t-il jamais existé de princesse qui eût un éloignement plus marqué pour toutes les lectures sérieuses.

Tant que dura le règne de Louis XV, les ennemis de Marie-Antoinette n’essayèrent pas de changer l’opinion publique sur son compte. Elle était toujours l’objet des vœux et de l’amour des Français en général, et particulièrement des habitans de Paris qui, privés de la posséder dans leur ville, venaient successivement à Versailles, la plupart attirés par le seul désir de la voir. Les courtisans ne partageaient pas entièrement cet enthousiasme vraiment populaire qu’avait inspiré madame la dauphine : la disgrâce de M. le duc de Choiseul l’avait privée de son véritable appui, et le parti qui dominait à la cour, depuis l’exil de ce ministre, était, par ses opinions politiques, aussi opposé à sa famille qu’à elle-même. La dauphine était donc à Versailles environnée d’ennemis.

Cependant tout le monde cherchait extérieurement à lui plaire : l’âge de Louis XV et le caractère du dauphin avertissaient assez la prévoyante sagacité des courtisans, du rôle important qui était réservé à cette princesse, si, sous le règne suivant, le dauphin finissait par lui être attaché.


  1. Madame la comtesse de Noailles, dame d’honneur de la reine, était remplie de vertus ; la piété, la charité, des mœurs irréprochables faisaient d’elle une personne vénérable ; mais tout ce qu’un esprit exactement borné peut ajouter d’importun, même aux plus nobles qualités, la dame d’honneur en était abondamment pourvue. Il eût fallu à la reine une dame d’honneur qui lui fît bien connaître l’origine de ces étiquettes, à la vérité très-gênantes, mais érigées comme une barrière imposante contre la malveillance. L’usage d’avoir des dames et des chevaliers d’honneur, celui de porter des vertugadins de trois aunes de tour, a sans doute été inventé pour donner à nos jeunes princesses un entourage si respectable que la malicieuse gaieté des Français, leur penchant au dénigrement et trop souvent à la calomnie, ne pussent trouver l’occasion de les attaquer.

    La comtesse de Noailles tourmentait sans cesse la reine par mille représentations sur ce qu’elle aurait dû saluer celui-ci de telle façon, celui-là de telle autre. Paris sut que la reine l’avait nommée madame l’Étiquette ; selon la disposition des esprits, les uns approuvèrent ce sobriquet, les autres le blâmèrent, mais tous jugèrent les dispositions de la jeune reine à s’affranchir d’entraves fatigantes.

    (Note de madame Campan.)
  2. Voyez les Mémoires de Weber, T. Ier *. En général, les Mémoires de cet écrivain qui était frère de lait de Marie-Antoinette, complètent ce que madame Campan a dit de cette princesse : les deux ouvrages sont presque inséparables.
    (Note de l’édit.)

    *. 2 vol. in-8o qui font partie de la Collection, mais qui se vendent aussi séparément.

  3. Je cite particulièrement ce collier, parce que la reine crut devoir, malgré cette substitution, le remettre aux commissaires de l’Assemblée nationale, quand ils vinrent dépouiller le roi et la reine des diamans de la couronne.
    (Note de madame Campan.)
  4. On appelait officiers de l’intérieur les valets de chambre et les huissiers.
    (Note de madame Campan.)
  5. Petit Indien qui portait la queue de la robe de la comtesse Du Barry. Louis XV s’amusait assez souvent de ce petit sapajou ; ayant fait la plaisanterie de le nommer gouverneur de Luciennes, on lui donnait 3,000 francs de gratification annuelle.
    (Note de madame Campan.)
  6. Jean-Paul Timoléon de Cossé, duc de Brissac, et maréchal de France, celui-là même dont nous avons cité en note, pag. 30 de ce volume, une réponse pleine de noblesse. Il offrait à la cour de Louis XV et de Louis XVI un modèle des mœurs, de la galanterie et du courage des anciens chevaliers. Le comte de Charolais le trouvant un jour chez sa maîtresse, lui dit brusquement : Sortez, Monsieur. — Monseigneur, répondit vivement le duc de Brissac, vos ancêtres auraient dit : Sortons.
    (Note de l’édit.)
  7. Madame Clotilde de France, sœur du roi, était, en effet, d’un embonpoint extraordinaire pour sa taille et pour son âge. Une des dames de son jeu ayant eu l’indiscrétion de se servir, en sa présence même, du sobriquet qu’on lui donnait, reçut sur-le-champ une réprimande sévère de la comtesse de Marsan qui lui fit entendre qu’elle ferait bien de ne pas reparaître aux yeux de la princesse. Madame Clotilde l’envoya chercher le lendemain : Ma gouvernante a fait son devoir, lui dit-elle, et je vais faire le mien ; revenez nous faire votre cour, et ne vous rappelez plus une étourderie que j’ai moi-même oubliée.

    Cette princesse, si épaisse de corps, avait un esprit agréable et fin. Son affabilité, ses grâces prévenantes la rendaient chère à tous ceux qui l’approchaient. Un poëte, uniquement occupé du prodigieux embonpoint de madame Clotilde, composa le quatrain suivant, lorsqu’il fut décidé qu’elle épouserait le prince de Piémont.

    Pour en saisir l’esprit ou pour mieux dire le sens, il ne faut point oublier que deux princesses de Savoie venaient d’épouser deux princes français.

    Le bon Savoyard qui réclame
    Le prix de son double présent,
    En échange reçoit Madame ;
    C’est le payer bien grassement.

    (Note de l’édit.)
  8. Élisabeth-Philippine-Marie-Hélène de France, était née à Versailles le 3 mai 1764. « Madame Élisabeth, dit M. de La Salle, auteur d’un article biographique sur cette intéressante et malheureuse princesse, n’avait pas reçu de la nature, comme madame Clotilde, son auguste sœur, cette douceur et cette flexibilité de caractère qui rendent les vertus faciles ; elle annonçait plus d’un trait de ressemblance morale avec le duc de Bourgogne, l’élève de Fénélon. L’éducation et la piété agirent sur elle comme sur ce prince : les leçons, les exemples dont on l’entoura l’ornèrent de toutes les qualités, de toutes les vertus, et ne lui laissèrent de ses premiers penchans qu’une aimable sensibilité, de vives impressions, une fermeté qui semblait faite pour les malheurs terribles auxquels le ciel la réservait. »

    Nous aurons plus d’une fois occasion, dans le cours de ces Mémoires, et dans l’ensemble de cette Collection, de remarquer sa constante amitié, sa touchante résignation, son dévouement sublime, ou son angélique douceur, jusqu’au moment où elle montra le courage héroïque et calme du martyr.

    (Note de l’édit.)
  9. Voyez les détails piquans relatifs à cette anecdote dans les Mémoires de Weber, tome Ier, pag. 304.
  10. L’impératrice Marie-Thérèse connaissait fort bien les personnages de la cour de Louis XV qui pouvaient être favorables ou contraires à Marie-Antoinette. On prétend qu’au moment du départ de cette princesse pour la France, l’impératrice lui remit la note suivante écrite de sa main :

    « Liste des gens de ma connaissance.

    » Les duc et duchesse de Choiseul ;

    » Les duc et duchesse de Praslin ;

    » Hautefort ;

    » Les Du Châtelet ;

    » D’Estrées ;

    » D’Aubeterre ;

    » Le comte de Broglie ;

    » Les frères de Montazet ;

    » M. d’Aumont ;

    » M. Gérard ;

    » M. Blondel ;

    » La Beauvau, religieuse ;

    » Sa compagne ;

    » Les Durfort. C’est à cette famille que vous marquerez en toute occasion votre reconnaissance et attention.

    » De même pour l’abbé de Vermond : le sort de ces personnes m’est à cœur. Mon ambassadeur est chargé d’en avoir soin. Je serais fâchée d’être la première à sortir de mes principes qui sont de ne recommander personne ; mais vous et moi devons trop à ces personnes pour ne pas chercher en toutes les occasions à leur être utiles, si nous pouvons le faire sans trop d’impegno.

    » Consultez-vous avec Mercy. Je vous recommande en général tous les Lorrains dans ce que vous pourrez leur être utile*. »

    *. On trouvera dans les éclaircissemens (lettre D) quelques détails relatifs à cette liste.

    L’existence de cette liste n’a rien d’impossible. Ce qui pourrait la rendre encore plus vraisemblable, c’est un fait curieux rapporté par l’abbé Georgel dans ses Mémoires ; mais il ne faut pas perdre de vue, en lisant ce passage, que Georgel, malgré son apparente modération, est un des plus dangereux ennemis de Marie-Antoinette. Nous en prévenons le lecteur.

    Georgel, secrétaire de l’ambassade de France en Autriche, tenait d’un mystérieux inconnu, comme on l’a pu voir en lisant la note (B), les secrets les plus importans de la cour de Vienne.

    « L’homme masqué me remit un jour, dit-il, deux instructions secrètes envoyées au comte de Mercy pour les remettre lui-même à la reine : la première ostensible au roi ; la seconde pour la reine seule. Cette dernière contenait des conseils sur le mode à prendre pour suppléer à l’inexpérience du roi, et profiter de la facilité de son caractère pour influer dans le gouvernement sans avoir l’air de s’en mêler. Cette leçon politique était donnée avec beaucoup d’art à Marie-Antoinette : on lui faisait sentir que c’était la voie la plus sûre pour se faire adorer des Français dont elle pourrait par-là faire le bonheur ; et en même temps resserrer les liens qui unissaient les deux maisons d’Autriche et de Bourbon. »

    On voit ce que Georgel veut faire entendre ; et si la cour de Vienne est habile dans ses leçons, l’abbé l’est aussi dans sa haine.

    (Note de l’édit.)
  11. Voyez dans les pièces, lettre (E), les détails donnés par l’abbé Georgel, secrétaire de l’ambassade de Vienne, sur le rappel du cardinal.
    (Note de l’édit.)
  12. « Madame d’Artois, dit un écrit du temps, a fait son entrée à Paris. Les équipages étaient superbes et aussi élégans que riches ; elle est venue, selon l’usage, rendre ses actions de grâces dans l’église de Sainte-Geneviève. Cette princesse a une physionomie très-intéressante, et la peau d’une blancheur extrême. On l’a vue avec ce plaisir qui naît du sentiment ; de son côté, elle a paru touchée des applaudissemens qu’on lui a prodigués. » (Correspondance secrète de la cour.)
    (Note de l’édit.)