Mémoires sur la vie et les ouvrages de Jean Racine

MÉMOIRES

SUR

LA VIE ET LES OUVRAGES DE JEAN RACINE,

PAR LOUIS RACINE.




Lorsque je fais connaître mon père, mieux que ne l’ont fait connaître jusqu’à présent ceux qui ont écrit sa vie, en rendant ce que je dois à sa mémoire, j’ai une double satisfaction : Fils et père à la fois, je remplis un de mes devoirs envers vous, mon cher fils, puisque je mets devant vos yeux celui qui, pour la piété, pour l’amour de l’étude, et pour toutes les qualités du cœur, doit être votre modèle. J’avais toujours approuvé la curiosité que vous aviez témoignée pour entendre lire les Mémoires dans lesquels vous saviez que j’avais rassemblé diverses particularités de sa vie; et je l’avais approuvée sans la satisfaire, parce que j’y trouvais quelque danger pour votre âge. Je craignais aussi de paraître plus prédicateur qu’historien, quand je vous dirais qu’il n’avait eu la moitié de sa vie que du mépris pour le talent des vers, et pour la gloire que ce talent lui avait acquise. Mais maintenant qu’à ces Mémoires je suis en état d’ajouter un recueil de ses lettres, et qu’au lieu de vous parler de lui, je puis vous le faire parler lui-même, j’espère que cet ouvrage, que j’ai fait pour vous, produira en vous les fruits que j’en attends, par les instructions que vous y donnera celui qui doit faire sur vous une si grande impression.

Vous n’êtes pas encore en état de goûter les lettres de Cicéron, qui étaient les compagnes de tous ses voyages ; mais il vous est d’autant plus aisé de goûter les siennes, que vous pouvez les regarder comme adressées à vous-même. Je parle de celles qui composent le troisième recueil.

Ne jetez les yeux sur les lettres de sa jeunesse que pour y apprendre l’éloignement que l’amour de l’étude lui donnait du monde, et les progrès qu’il avait déjà faits, puisqu’à dix-sept ou dix-huit ans il était rempli des auteurs grecs, latins, italiens, espagnols, et en même temps possédait si bien sa langue, quoiqu’il se plaigne de n’en avoir qu’une petite teinture, que ces lettres, écrites sans travail, sont dans un style toujours pur et naturel.

Vous ne pourrez sentir que dans quelque temps le mérite de ses lettres à Boileau, et de celles de Boileau : ne soyez donc occupé aujourd’hui que de ses dernières lettres, qui, quoique simplement écrites, sont plus capables que toute autre lecture de former votre cœur, parce qu’elles vous dévoileront le sien. C’est un père qui écrit à son fils comme à son ami. Quelle attention, sans qu’elle ait rien d’affecté, pour le rappeler à ce qu’il doit à Dieu, à sa mère et à ses sœurs ! Avec quelle douceur il fait des réprimandes, quand il est obligé d’en faire ! Avec quelle modestie il donne des avis !

Avec quelle franchise il lui parle de la médiocrité de sa fortune ! Avec quelle simplicité il lui rend compte de tout ce qui se passe dans son ménage ! Et gardez-vous bien de rougir quand vous l’entendrez répéter souvent les noms de Babet, Fanchon, Madelon, Nanette, mes sœurs : apprenez au contraire en quoi il est estimable. Quand vous l’aurez connu dans sa famille, vous le goûterez mieux lorsque vous viendrez à le connaître sur le Parnasse ; vous saurez pourquoi ses vers sont toujours pleins de sentiment.

Plutarque a déjà pu vous apprendre que Caton l’ancien préférait la gloire d’être bon mari à celle d’être grand sénateur, et qu’il quittait les affaires les plus importantes pour aller voir sa femme, remuer et emmailloter son enfant. Cette sensibilité antique n’est-elle donc plus dans nos mœurs, et trouvons-nous qu’il soit honteux d’avoir un cœur ? L’humanité, toujours belle, se plaît surtout dans les belles âmes ; et les choses qui paraissent des faiblesses puériles aux yeux d’un bel esprit, sont les vrais plaisirs d’un grand homme. Celui dont on vous a dit tant de fois, et trop souvent peut-être, que vous deviez ressusciter le nom, n’était jamais si content que quand, libre de quitter la cour, où il trouva dans les premières années de si grands agréments, il pouvait venir passer quelques jours avec nous. En présence même d’étrangers il osait être père ; il était de tous nos jeux ; et je me souviens (je le puis écrire, puisque c’est à vous que j’écris), je me souviens de processions dans lesquelles mes sœurs étaient le clergé, j’étais le curé, et l’auteur d’Athalie chantant avec nous, portait la croix.

C’est une simplicité de mœurs si admirable dans un homme tout sentiment et tout cœur, qui est cause qu’en copiant pour vous ses lettres, je verse à tous moments des larmes, parce qu’il me conununique la tendresse dont il était rempli.

Oui, mon fils, il était né tendre, et vous l’entendrez assez dire ; mais il fut tendre pour Dieu lorsqu’il revint à lui ; et du jour qu’il revint à ceux qui, dans son enfance, lui avaient appris à le connaître, il le fut pour eux sans réserve : il le fut pour ce roi dont il avait tant de plaisir à écrire l’histoire ; il le fut toute sa vie pour ses amis ; il le fut, depuis son mariage et jusqu’à la fin de ses jours, pour sa femme et pour tous ses enfants, sans prédilection ; il l’était pour moi-même, qui ne faisais que de naître quand il mourut, et à qui ma mémoire ne peut rappeler que ses caresses.

Attachez-vous donc uniquement à ses dernières lettres, et aux endroits de la seconde partie de ces Mémoires où il parle à son fils, qu’il voulait éloigner de la passion des vers, que je n’ai que trop écoutée, parce que je n’ai pas eu les mêmes leçons. Il lui faisait bien connaître que les succès les plus heureux ne rendent pas le poëte heureux, lorsqu’il lui avouait que la plus mauvaise critique lui avait toujours causé plus de chagrin que les plus grands applaudissements ne lui avaient fait de plaisir. Retenez surtout ces paroles remarquables, qu’il lui disait dans l’épanchement d’un cœur paternel : « Ne croyez pas que ce soient mes pièces qui m’attirent les caresses des grands. Corneille fait des vers cent fois plus beaux que les miens, et cependant personne ne le regarde ; on ne l’aime que dans la bouche de ses acteurs. Au lieu que sans fatiguer les gens du monde du récit de mes ouvrages, dont je ne leur parle jamais, je les entretiens de choses qui leur plaisent. Mon talent avec eux n’est pas de leur faire sentir que j’ai de l’esprit, mais de leur apprendre qu’ils en ont. »

Vous ne connaissez pas encore le monde, vous ne pouvez qu’y paraître quelquefois, et vous n’y avez jamais paru sans vous entendre répéter que vous portiez le nom d’un poëte fameux, qui avait été fort aimé à la cour. Qui peut mieux que ce même homme vous instruire des dangers de la poésie et de la cour ? La fortune qu’il y a faite vous sera connue, et vous verrez dans ces Mémoires ses jours abrégés par un chagrin pris à la vérité trop vivement, mais sur des raisons capables d’en donner. Vous verrez aussi que la passion des vers égara sa jeunesse, quoique nourrie de tant de principes de religion, et que la même passion éteignit pour un temps dans ce cœur si éloigné de l’ingratitude, les sentiments de reconnaissance pour ses premiers maîtres.

Il revint à lui-même ; et sentant alors combien ce qu’il avait regardé comme bonheur était frivole, il n’en chercha plus d’autre que dans les douceurs de l’amitié, et dans la satisfaction à remplir tous les devoirs de chrétien et de père de famille. Enfin ce poëte, qu’on vous a dépeint comme environné des applaudissements du monde et accablé des caresses des grands, n’a trouvé de consolation que dans les sentiments de religion dont il était pénétré. C’est en cela, mon fils, qu’il doit être votre modèle ; et c’est en l’imitant dans sa piété et dans les aimables qualités de son cœur, que vous serez l’héritier de sa véritable gloire, et que son nom que je vous ai transmis vous appartiendra.

Le désir que j’en ai m’a empêché de vous témoigner le désir que j’aurais encore de vous voir embrasser l’étude avec la même ardeur. Je vous ai montré des livres tout grecs, dont les marges sont couvertes de ses apostilles, lorsqu’il n’avait que quinze ans. Cette vue, qui vous aura peut-être effrayé, doit vous faire sentir combien il est utile de se nourrir de bonne heure d’excellentes choses. Platon, Plutarque, et les lettres de Cicéron, n’apprennent point à faire des tragédies ; mais un esprit formé par de pareilles lectures devient capable de tout.

Je m’aperçois qu’à la tête d’un Mémoire historique, je vous parle trop longtemps : le cœur m’a emporté ; et pour vous en expliquer les sentiments, j’ai profité de la plus favorable occasion que jamais père ait trouvée.

La Vie de mon père qui se trouve à la tête de la dernière édition de ses Œuvres, faite à Paris en 1736, ne mérite aucune attention, parce que celui qui s’est donné la peine de la faire ne s’est pas donné celle de consulter la famille[1]. Au lieu d’une Vie ou d’un Éloge historique, on ne trouve dans l’Histoire de l’Académie française qu’une lettre de M. de Valincour, qu’il appelle lui-même un amas informe d’anecdotes cousues bout à bout et sans ordre. Elle est fort peu exacte, parce qu’il l’écrivait à la hâte, en faisant valoir à M. l’abbé d’Olivet, qui la lui demandait, la complaisance qu’il avait d’interrompre ses occupations pour le contenter ; et il appelle corvée ce qui pouvait être pour lui un agréable devoir de l’amitié, et même de la reconnaissance. Personne n’était plus en état que lui de faire une Vie exacte d’un ami qu’il avait fréquenté si longtemps ; au lieu que les autres qui en ont voulu parler ne l’ont point connu. Je ne l’ai pas connu moi-même, mais je ne dirai rien que sur le rapport de mon frère aîné, ou d’anciens amis, que j’ai souvent interrogés. J’ai aussi quelquefois interrogé l’illustre compagnon de sa vie et de ses travaux, et Boileau a bien voulu m’apprendre quelques particularités. Comme ils ont dans tous les temps partagé entre eux les faveurs des Muses et de la cour, où, appelés d’abord comme poëtes, ils surent se faire plus estimer encore par leurs mœurs que par les agréments de leur esprit, je ne séparerai point dans ces Mémoires deux amis que la mort seule a pu séparer. Pour ne point répéter cependant sur Boileau ce que ses commentateurs en ont dit, je ne rapporterai que ce qu’ils ont ignoré, ou ce qu’ils n’ont pas su exactement. La vie de deux hommes de lettres, et de deux hommes aussi simples dans leur conduite, ne peut fournir des faits nombreux et importants ; mais comme le public est toujours curieux de connaître le caractère des auteurs dont il aime les ouvrages, et que de petits détails le font souvent connaître, je serai fidèle à rapporter les plus petites choses.

Ne pouvant me dispenser de rappeler, au moins en peu de mots, l’histoire des pièces de théâtre de mon père, je diviserai cet ouvrage en deux parties. Dans la première, je parlerai du poëte, en évitant, autant qu’il me sera possible, de redire ce qui se trouve déjà imprimé en plusieurs endroits. Dans la seconde, le poëte ayant renoncé aux vers, auxquels il ne retourna que sur la fin de ses jours, et comme malgré lui, je n’aurai presque à parler que de la manière dont il a vécu à la cour, dans sa famille, et avec ses amis. Je ne dois jamais louer le poëte ni ses ouvrages : le public en est juge. S’il m’arrive cependant de louer en lui plus que ses mœurs, et si je l’approuve en tout, j’espère que je serai moi-même approuvé, et que quand même j’oublierais quelquefois la précision du style historique, mes fautes seront ou louées ou du moins excusées, parce que je dois être, plus justement encore que Tacite écrivant la Vie de son beau-père, professione pietatis aut laudatus aut excusatus.


PREMIÈRE PARTIE.


Les Racine, originaires de la Ferté-Milon, petite ville du Valois, y sont connus depuis longtemps, comme il paraît par quelques tombes qui y subsistent encore dans la grande église, et entre autres par celle-ci :


« Cy gissent honorables personnes, Jean Racine, receveur pour le roi notre sire et la reine, tant du domaine et duché de Valois que des greniers à sel de la Ferté-Milon et Crespy en Valois, mort en 1593, et dame Anne Gosset, sa femme. »


Je crois pouvoir, sans soupçon de vanité, remonter jusqu’aux aïeux que me fait connaître la charge de contrôleur du petit grenier à sel de la Ferté-Milon. La charge de receveur du domaine et du duché de Valois, que possédait Jean Racine, mort en 1593, ayant été supprimée, Jean Racine, son fils, prit celle de contrôleur du grenier à sel de la Ferté-Milon, et épousa Marie Desmoulins, qui eut deux sœurs religieuses à Port-Royal des Champs. De ce mariage naquit Agnès Racine, et Jean Racine, qui posséda la même charge, et épousa en 1638 Jeanne Sconin, fille de Pierre Sconin, procureur du roi des eaux et forêts de Villers-Coterets. Leur union ne dura pas longtemps. La femme mourut le 24 janvier 1641, et le mari le 6 février 1643. Ils laissèrent deux enfants, Jean Racine, mon père, né le 21 décembre 1639 ; et une fille qui a vécu à la Ferté-Milon jusqu’à l’âge de quatre-vingt-douze ans. Ces deux jeunes orphelins furent élevés par leur grand-père Sconin. Les grandes fêtes de l’année, ce bonhomme traitait toute sa famille, qui était fort nombreuse, tant enfants que petits-enfants. Mon père disait qu’il était comme les autres invité à ce repas, mais qu’à peine on daignait le regarder. Après la mort de Pierre Sconin, arrivée en 1650, Marie Desmoulins, qui, étant demeurée veuve, avait vécu avec lui, se retira à Port-Royal des Champs[2], où elle avait une fille religieuse, qui depuis en fut abbesse, et qui est connue sous le nom d’Agnès de Sainte-Thècle Racine.

Dans les premiers troubles qui agitèrent cette abbaye, quelques-uns de ces fameux solitaires qui furent obligés d’en sortir pour un temps, se retirèrent à la chartreuse de Bourg-Fontaine, voisine de la Ferté-Milon : ce qui donna lieu à plusieurs personnes de la Ferté-Milon de les connaître et de leur entendre parler de la vie qu’on menait à Port-Royal[3]. Voilà quelle fut la cause que les deux sœurs et la fille de Marie Desmoulins s’y firent religieuses, qu’elle-même y passa les dernières années de sa vie, et que mon père y passa les premières années de la sienne.

Il fut d’abord envoyé pour apprendre le latin dans la ville de Beauvais, dont le collége était sous la direction de quelques ecclésiastiques de mérite et de savoir : il y apprit les premiers principes du latin. Ce fut alors que la guerre civile s’alluma à Paris, et se répandit dans toutes les provinces. Les écoliers s’en mêlèrent aussi, et prirent parti chacun selon son inclination. Mon père fut obligé de se battre comme les autres, et reçut au front un coup de pierre, dont il a toujours porté la cicatrice au-dessus de l’œil gauche. Il disait que le principal de ce collége le montrait à tout le monde comme un brave, ce qu’il racontait en plaisantant. On verra dans une de ses lettres, écrite de l’armée à Boileau, qu’il ne vantait pas sa bravoure.

Il sortit de ce collége le 1er octobre 1655, et fut mis à Port-Royal, où il ne resta que trois ans, puisque je trouve qu’au mois d’octobre 1658 il fut envoyé à Paris pour faire sa philosophie au collége d’Harcourt, n’ayant encore que quatorze ans[4]. On a peine à comprendre comment en trois ans il a pu faire à Port-Royal un progrès si rapide dans ses études. Je juge de ses progrès par les extraits qu’il faisait des auteurs grecs et latins qu’il lisait.

J’ai ces extraits écrits de sa main. Ses facultés, qui étaient fort médiocres, ne lui permettant pas d’acheter les belles éditions des auteurs grecs, il les lisait dans les éditions faites à Bâle sans traduction latine. J’ai hérité de son Platon et de son Plutarque, dont les marges, chargées de ses apostilles, sont la preuve de l’attention avec laquelle il les lisait ; et ces mêmes livres font connaître l’extrême attention qu’on avait à Port-Royal pour la pureté des mœurs, puisque dans ces éditions même, quoique toutes grecques, les endroits un peu libres, ou pour mieux dire trop naïfs, qui se trouvent dans les narrations de Plutarque, historien d’ailleurs si grave, sont effacés avec un grand soin. On ne confiait pas à un jeune homme un livre tout grec sans précaution.

M. le Maistre, qui trouva dans mon père une grande vivacité d’esprit avec une étonnante facilité pour apprendre, voulut conduire ses études, dans l’intention de le rendre capable d’être un jour avocat : il le prit dans sa chambre, et avait tant de tendresse pour lui qu’il ne l’appelait que son fils, comme on verra par ce billet, dont l’adresse est, Au petit Racine, et que je rapporte, quoique fort simple, à cause de sa simplicité même ; M. le Maistre l’écrivit de Bourg-Fontaine, où il avait été obligé de se retirer : « Mon fils, je vous prie de m’envoyer au plus tôt l’Apologie des SS. PP. qui est à moi, et qui est de la première impression. Elle est reliée en veau marbré, in-4o. J’ai reçu les cinq volumes de mes Conciles, que vous aviez fort bien empaquetés. Je vous en remercie. Mandez-moi si tous mes livres sont bien arrangés sur des tablettes, et si mes onze volumes de saint Jean Chrysostôme y sont, et voyez-les de temps en temps pour les nettoyer. Il faudrait mettre de l’eau dans des écuelles de terre où ils sont, afin que les souris ne les rongent pas. Faites mes recommandations à votre bonne tante, et suivez bien ses conseils en tout. La jeunesse doit toujours se laisser conduire, et tâcher de ne point s’émanciper. Peut-être que Dieu nous fera revenir où vous êtes. Cependant il faut tâcher de profiter de cet événement, et faire en sorte qu’il nous serve à nous détacher du monde, qui nous paraît si ennemi de la piété. Bonjour, mon cher fils ; aimez toujours votre papa comme il vous aime ; écrivez-moi de temps en temps. Envoyez-moi aussi mon Tacite in-folio. »

M. le Maistre ne fut pas longtemps absent, il eut la permission de revenir ; mais en arrivant il tomba dans la maladie dont il mourut ; et après sa mort, M. Hamon prit soin des études de mon père[5]. Entre les connaissances qu’il fit à Port-Royal, je ne dois point oublier celle de M. le duc de Chevreuse, qui a conservé toujours pour lui une amitié très-vive, et qui, par les soins assidus qu’il lui rendit dans sa dernière maladie, a bien vérifié ce que dit Quintilien, que les amitiés qui commencent dans l’enfance et que les études font naître, ne finissent qu’avec la vie.

On appliquait mon père, quoique très-jeune, à des études fort sérieuses. Il traduisit[6] le commencement du Banquet de Platon, fit des extraits tout grecs de quelques traités de saint Basile, et quelques remarques sur Pindare et sur Homère. Au milieu de ces occupations, son génie l’entraînait tout entier du côté de la poésie, et son plus grand plaisir était de s’aller enfoncer dans les bois de l’abbaye avec Sophocle et Euripide, qu’il savait presque par cœur. Il avait une mémoire surprenante. Il trouva par hasard le roman grec des Amours de Théagène et Chariclée. Il le dévorait, lorsque le sacristain Claude Lancelot, qui le surprit dans cette lecture, lui arracha le livre et le jeta au feu[7]. Il trouva le moyen d’en avoir un autre exemplaire qui eut le même sort, ce qui l’engagea à en acheter un troisième ; et pour n’en plus craindre la proscription, il l’apprit par cœur, et le porta au sacristain, en lui disant : « Vous pouvez brûler encore celui-ci comme les « autres. »

Il fit connaître à Port-Royal sa passion plutôt que son talent pour les vers, par sept odes qu’il composa sur les beautés champêtres de sa solitude, sur les bâtiments de ce monastère, sur le paysage, les prairies, les bois, l’étang, etc.[8]. Le hasard m’a fait trouver ces odes, qui n’ont rien d’intéressant, même pour les personnes curieuses de tout ce qui est sorti de la plume des écrivains devenus fameux : elles font seulement voir qu’on ne doit pas juger du talent d’un jeune homme par ses premiers ouvrages. Ceux qui lurent alors ces odes ne purent pas soupçonner que l’auteur deviendrait dans peu l’auteur d’Andromaque.

Il était, à cet âge, plus heureux dans la versification latine que dans la française ; il composa quelques pièces en vers latins, qui sont pleines de feu et d’harmonie. Je ne rapporterai pas une élégie sur la mort d’un gros chien qui gardait la cour de Port-Royal, à la fin de laquelle il promet par ses vers l’immortalité à ce chien, qu’il nomme Rabotin.


Semper honor, Rabotine, tuus, laudesque manebunt ;

Carminibus vives tempus in omne meis.


On jugera mieux de ses vers latins par la pièce suivante, que je ne donne pas entière, quoique dans l’ouvrage d’un poëte de quatorze ans tout soit excusable[9].


AD CHRISTUM[10].


« O qui perpetuo moderaris sidera motu,

« Fulmine qui terras imperioque regis,

« Summe Deus, magnum rebus solamen in arctis,

« Una salus famulis præsidiumque tuis, »

Sancte parens, facilem præbe implorantibus aurem,

Atque humiles placida suscipe mente preces ;

« Huc adsis tantum, et propius res aspice nostras,

« Leniaque afflictis lumina mitte locis. »

Hanc tutare domum, quæ per discrimina mille,

Mille per insidias vix superesse potest.

Aspice ut infandis jacet objectata periclis,

Ut timet hostiles irrequieta manus.

Nulla dies terrore caret, tinemque timoris

Innovat infenso major ad hoste metus.

Undique crudelem conspiravere ruinam,

Et miseranda parant vertere tecta solo.

Tu spes sola, Deus, miseræ. Tibi vota precesque

Fundit in immensis nocte dieque malis.

« Quem dabis æterno finem, rex magne, labori ?

« Quis dabitur bellis invidiæque modus ?

« Nullane post longos requies speranda tumultus ?

« Gaudia sedato nulla dolore manent ?

« Sicne adeo pietas vitiis vexatur inultis ?

« Debita virtuti præmia crimen habet. »

Aspice virgineum castis penetralibus agmen,

Aspice devotos, sponse benigne, choros.

Hic sacra illæsi servantes jura pudoris,

Te ventente die, te fugiente vocant.

Cœlestem liceat sponsum superare precando :

Fas sentire tui numina magna patris.

Hue quoque nos quondam tot tempestatibus actos

Abripuit flammis gratia sancta suis.

Ast eadem insequitur mœstis fortuna periclis :

Ast ipso in portu sæva procella furit.

Pacem, summe Deus, pacem te poscimus omnes ;

Succedant longis paxque diesque malis.

Te duce disruptas pertransiit Israel undas :

Hos habitet portus, te duce, vera salus.

« Hie nemora, hic nullis quondam loca cognita muris,

« Hic horrenda tuis laudibus antra sonant.

« Huc tua dilectas deduxit gratia turmas,

« Hinc ne unquam Stygii moverit ira noti. »


En parlant des ouvrages de sa première jeunesse, qu’on peut appeler son enfance, je ne dois point oublier sa traduction des hymnes des féries du Bréviaire romain. Boileau disait qu’il l’avait faite à Port-Royal, et que M. de Sacy, qui avait traduit celles des dimanches et de toutes les fêtes pour les Heures de Port-Royal, en fut jaloux ; et voulant le détourner de faire des vers, lui représenta que la poésie n’était point son talent. Ce que disait Boileau demande une explication. Les hymnes des féries imprimées dans le Bréviaire romain, traduit par M. le Tourneux, ne sont pas certainement l’ouvrage d’un jeune homme ; et celui qui faisait les odes sur les bois, l’étang et le paysage de Port-Royal, n’était pas encore capable de faire de pareils vers. Je ne doute pas cependant qu’il ne soit auteur de la traduction de ces hymnes ; mais il faut qu’il les ait traduites dans un âge avancé, ou qu’il les ait depuis retouchées avec tant de soin, qu’il en ait fait un nouvel ouvrage. On lit, en effet, dans les Hommes illustres de M. Perrault, que longtemps après les avoir composées, il leur donna la dernière perfection. La traduction du Bréviaire romain fut condamnée[11] par l’archevêque de Paris, pour des raisons qui n’avaient aucun rapport à la traduction de ces hymnes. Cette condamnation donna lieu dans la suite à un mot que rapportent plusieurs personnes, et que je ne garantis pas. Le roi, dit-on, exhortait mon père à faire quelques vers de piété : « J’en ai voulu faire, répondit-il, on les a condamnés. »

Il ne fut que trois ans à Port-Royal; et ceux qui savent combien il était avancé dans les lettres grecques et latines n’en sont point étonnés, quand ils font réflexion qu’un génie aussi vif que le sien, animé par une grande passion pour l’étude, et conduit par d’excellents maîtres, marchait rapidement. Au sortir de Port-Royal, il vint à Paris, et fit sa logique au collége d’Harcourt, d’où il écrivit à un de ses amis:


Lisez cette pièce ignorante,
Où ma plume si peu coulante
Ne fait voir que trop clairement.
Pour vous parler sincèrement,
Que je ne suis pas un grand maître.
Hélas ! comment pourrais-je l’être !
Je ne respire qu’arguments;
Ma tête est pleine à tous moments
De majeures et de mineures, etc.

En 1660, le mariage du roi ouvrit à tous les poêtes une carrière dans laquelle ils signalèrent à l’envi leur zèle et leurs talents. Mon père, très-inconnu encore, entra comme les autres dans la carrière, et composa l’ode intitulée la Nymphe de la Seine. Il pria M. Vitart, son oncle, « le la porter à Chapelain 1[12], qui présidait alors sur tout le Parnasse, et par sa grande réputation poétique, qu’il n’avait point encore perdue, et par la confiance qu’avait en lui M. Colbert pour ce qui regardait les lettres. Chapelain découvrit un poète naissant dans cette ode, qu’il loue beaucoup, et parmi quelques fautes qu’il y remarqua, il releva la bévue du jeune homme, qui avait mis des Tritons dans la Seine. L’auteur, honoré des critiques de Chapelain, corrigea son ode ; et la nécessité de changer une stance pour réparer sa bévue, le mit en très-mauvaise humeur contre les Tritons, comme il paraît par une de ses lettres. Chapelain le prit en amitié, lui offrit ses avis et ses services, et non content de les lui offrir, parla de lui et de son oncle si avantageusement à M. Colbert, que ce ministre lui envoya cent louis de la part du roi, et peu après le fit mettre sur l’état pour une pension de six cents livres en qualité d’homme de lettres. Les honneurs soutiennent les arts. Quel sujet d’émulation pour un jeune homme, très-inconnu au public et à la cour, de recevoir de la part du roi et de son ministre une bourse de cent louis ! et quelle gloire pour le ministre qui sait découvrir les talents qui ne commencent qu’à naître, et qui ne connait pas encore celui même qui les possède !

Il composa en ce même temps un sonnet qui, quoique fort innocent, lui attira, aussi bien que son ode, de vives réprimandes de Port-Royal, où l’on craignait beaucoup pour lui sa passion démesurée pour les vers. On eût mieux aimé qu’il se fût appliqué à l’étude de la jurisprudence, pour se rendre capable d’être avocat, ou que du moins il eût voulu consentir à accepter quelqu’un de ces emplois qui, sans conduire à la fortune, procurent une aisance de la vie capable de consoler de l’ennui de cette espèce de travail, et de la dépendance plus ennuyeuse encore que le travail. Il ne voulait point entendre parler d’occupations contraires au génie des Muses ; il n’aimait que les vers, et craignait en même temps les réprimandes de Port-Royal. Cette crainte était cause qu’il n’osait montrer ses vers à personne, et qu’il écrivait à un ami : « Ne pouvant vous consulter, j’étais prêt à consulter, comme Malherbe, une vieille servante qui est chez nous, si je ne m’étais aperçu qu’elle est janséniste comme son maître, et qu’elle pourrait me déceler, ce qui serait ma ruine entière, vu que je reçois tous les jours lettres sur lettres, ou plutôt excommunications sur excommunications à cause de mon triste sonnet 2[13]. » Voici ce triste sonnet ; il le fit pour célébrer la naissance d’un enfant de madame Vitart, sa tante 3[14] :

Il est temps que la nuit termine sa carrière :



Un astre tout nouveau vient de naître en ces lieux,
Déjà tout l’horizon s’aperçoit de ses feux,
Il échauffe déjà dans sa pointe première.


Et toi, fille du jour, qui nais devant ton père.
Belle aurore, rougis, ou le cache à nos yeux :
Cette nuit un soleil est descendu des cieux,
Dont le nouvel éclat efface ta lumière.


Toi qui dans ton matin parais déjà si grand.
Bel astre, puisses-tu n’avoir point de couchant !
Sois toujours en beautés une aurore naissante.


A ceux de qui tu sors puisses-tu ressembler !
Sois digne de Daphnis et digne d’Amaranthe :
Pour être sans égal, il les faut égaler.


Ce sonnet, dont il était sans doute très-content à cause de la chute, et à cause de ce vers. Fille du jour, qui nais devant ton père, prouve, ainsi que les strophes des odes que j’ai rapportées, qu’il aimait alors ces faux brillants, dont il a été depuis si grand ennemi. Les principes s du bon goût, qu’il avait pris dans la lecture des anciens et dans les leçons de Port-Royal, ne l’empêchaient pas, dans le feu de sa première jeunesse, de s’écarter de la nature, dont il s’écarte encore dans plusieurs vers de la Thébaïde ! Boileau sut l’y ramener.

Il fut obligé d’aller passer quelque temps à Chevreuse, où M. Vitart, intendant de cette maison, et chargé de faire faire quelques réparations au château, l’envoya, en lui donnant le soin de ces réparations. Il s’ennuya si fort de cette occupation et de ce séjour, qui lui parut une captivité, qu’il datait les lettres qu’il en écrivait, de Babylone. On en trouvera deux parmi celles de sa jeunesse.

On songea enfin sérieusement à lui faire prendre un parti ; et l’espérance d’un bénéfice le fit résoudre à aller en Languedoc, où il était à la fin de 1661, comme il paraît par la lettre qu’il écrivit à la Fontaine, et par celle-ci, datée du 17 janvier 1662, dans laquelle il écrivit à M. Vitart : « Je passe mon temps avec mon oncle, saint Thomas et Virgile. Je fais force extraits de théologie, et quelques-uns de poésie. Mon oncle a de bons desseins pour moi ; il m’a fait babiller de noir depuis les pieds jusqu’à la tête : il espère me procurer quelque chose. Ce sera alors que je tâcherai de payer mes dettes. Je n’oublie point les obligations que je vous ai : j’en rougis en vous écrivant : Erubuit puer, salva res est. Mais cette sentence est bien fausse ; mes affaires n’en vont pas mieux. »

Pour être au fait de cette lettre et de celles qu’on trouvera à la suite de ces Mémoires, il faut savoir qu’il avait été appelé en Languedoc par un oncle maternel, nommé le père Sconin, chanoine régulier de Sainte-Geneviève, homme fort estimé dans cette congrégation, dont il avait été général, et qui avait beaucoup d’esprit. Comme il était inquiet et remuant, dès que le temps de son généralat fut expiré, pour s’en défaire on l’envoya à Uzès, où l’on avait joint pour lui le prieuré de Saint-Maximin à un canonicat de la cathédrale : il était, outre cela, officiai et grand vicaire. Ce bon homme était tout disposé à résigner son bénéfice à son neveu ; mais il fallait être régulier ; et le neveu, qui aurait fort aimé le bénéfice, n’aimait point cette condition, à laquelle cependant la nécessité l’aurait fait consentir, si tous les obstacles qui survinrent ne lui eussent fait connaître qu’il n’était pas destiné à l’état ecclésiastique.

Par complaisance pour son oncle, il étudiait la théologie ; et en lisant saint Thomas, il lisait aussi l’Arioste, qu’il cite.souvent, avec tous les autres poètes, dans ses premières lettres adressées à un jeune abbé le Vasseur, qui n’avait pas plus de vocation que lui pour l’état ecclésiastique, dont il quitta l’habit dans la suite. Dans ces lettres, écrites en toute liberté, il rend compte à son ami de ses occupations et de ses sentiments, et ne fait paraître de passion que pour l’étude et les vers. Sa mauvaise humeur contre les habitants d’Uzès, qu’il pousse un peu trop loin, semble venir de ce qu’il est dans un pays où il craint d’oublier la langue française, qu’il avait une extrême envie de bien posséder. Je juge de l’étude particulière qu’il en faisait, par des remarques écrites de sa main sur celles de Vaugelas, sur la traduction de Quinte-Curce, et sur quelques traductions de d’Ablancourt. On voit encore par ces lettres qu’il fuyait toute compagnie, et surtout celle des femmes, aimant mieux la compagnie des poètes grecs 1[15]. Son goût pour la tragédie lui en fit commencer une dont le sujet était Théagène et Chariclée. Il avait conçu dans son enfance une passion extraordinaire pour Héliodore : il admirait son style et l’artifice merveilleux avec lequel sa fable est conduite. Il abandonna enfin celle tragédie, dont il n’a rien laissé, ne trouvant pas vraisemblablement que des aventures romanesques méritassent d’être mises sur la scène tragique 2[16]. Il retourna à Euripide, et y prit le sujet de la Thébaïde, qu’il avança beaucoup, en même temps qu’il s’appliquait à la théologie.

Quoique alors la plus petite chapelle lui parût une fortune, las enfin des incertitudes de son oncle, et des obstacles que faisait renaître continuellement un moine nommé dom Cosme, dont il se plaint beaucoup dans ses lettres, il revint à Paris, où il fit connaissance avec Molière, et acheva la Thébaïde.

Il donna d’abord son ode intitulée la Renommée aux Muses, et la porta à la cour, où il fallait qu’il eût quelques protecteurs, puisqu’il dit dans une de ses lettres : « La Renommée a été assez heureuse ; M. le comte de Saint-Aignan la trouve fort belle : je ne l’ai pas trouvé au lever du roi, mais j’y ai trouvé Molière, à qui le roi a donné assez de louanges. J’en ai été bien aise pour lui, et il a été bien aise aussi que j’y fusse présent. » On peut juger par ces paroles que le jeune roi aimait déjà à voir les poètes à sa cour. Il fit payer à mon père une gratification de six cents livres, pour lui donner le moyen de continuer son application aux belles-lettres, comme il est dit dans l’ordre signé par M. Colbert, le 26 août 1664.

La Thébaïde fut jouée la même année ; et comme je ne trouve rien qui m’apprenne de quelle manière elle fut reçue, je n’en dirai rien davantage. Je ne dois parler ici qu’historiquement de ses tragédies, et presque tout ce que j’en puis dire d’historique se trouve ailleurs 3[17]. Je laisse aux auteurs de l’Histoire du Théâtre-Français le soin de recueillir ces particularités, dont plusieurs sont peu curieuses, et


toutes fort incertaines, parce qu’il n’en a rien raconté dans sa famille ; et je ne suis pas mieux instruit qu’un autre de ce temps de sa vie dont il ne parlait jamais 4[18].

Le jeune Despréaux, qui n’avait que trois ans plus que lui, était connu de l’abbé le Vasseur, qui lui porta l’ode de la Renommée, sur laquelle Despréaux fit des remarques qu’il mit par écrit. Le poète critiqué trouva les remarques très-judicieuses, et eut une extrême envie de connaître son critique. L’ami commun lui en procura la connaissance, et forma les premiers nœuds de cette union si constante et si étroite, qu’il est comme impossible de faire la vie de l’un sans faire la vie de l’autre. J’ai déjà prévenu que je rapporterais de celle de Boileau les particularités que ses commentateurs n’apprennent point, ou n’apprennent qu’imparfaitement, parce qu’ils n’étaient pas mieux instruits.

Il n’était point né à Paris, comme on l’a toujours écrit, mais à Crône, petit village près Villeneuve-Saint-Georges : son père y avait une maison, où il passait tout le temps des vacances du palais ; et ce fut le 1er novembre 1636 que ce onzième enfant y vint au monde. Pour le distinguer de ses frères, on le surnomma Despréaux, à cause d’un petit pré qui était au bout du jardin. Quelque temps après, une partie du village fut brûlée, et les registres de l’église ayant été consumés dans cet incendie, lorsque Boileau, dans le temps qu’on recherchait les usurpateurs de la noblesse, en vertu de la déclaration du 4 septembre 1696, fut injustement attaqué, il ne put, faute d’extrait baptistaire, prouver sa naissance que par le registre de son père. Il eut à souffrir dans son enfance l’opération de la taille, qui fut mal faite, et dont il lui resta pour toute sa vie une très-grande incommodité. On lui donna pour logement dans la maison paternelle une guérite au-dessus du grenier, et quelque temps après on l’en fit descendre, parce qu’on trouva le moyen de lui construire un petit cabinet dans ce grenier, ce qui lui faisait dire qu’il avait commencé sa fortune par descendre au grenier ; et il ajoutait dans sa vieillesse qu’il n’accepterait pas une nouvelle vie, s’il fallait la commencer encore par une jeunesse aussi pénible. La simplicité de sa physionomie et de son caractère faisait dire à son père, en le comparant à ses autres enfants : « Pour Colin, ce sera un bon « garçon qui ne dira mal de personne. »

Après ses premières études, il voulut s’appliquer à la jurisprudence ; il suivit le barreau, et même plaida une cause, dont il se tira fort mal. Comme il était près de la commencer, le procureur s’approcha de lui pour lui dire : « N’oubliez pas de demander que la partie soit interrogée sur faits et articles. »

— « Et pourquoi, lui répondit Boileau, la chose n’est-elle pas déjà faite ? Si tout n’est pas prêt, il ne faut donc pas me faire plaider. » Le procureur fit un éclat de rire, et dit à ses confrères : « Voilà un jeune avocat qui ira loin ; il a de grandes dispositions. » Il n’eut pas l’ambition d’aller plus loin : il quitta le palais, et alla en Sorbonne ; mais il la quitta bientôt par le même dégoût. Il crut, comme dit M. de Boze dans son Éloge historique, y trouver encore la chicane sous un autre habit. Prenant le parti de dormir chez un greffier la grasse matinée, il se livra tout entier à son génie, qui l’emportait vers la poésie ; et lorsqu’on lui représenta que s’il s’attachait à la satire, il se ferait des ennemis qui auraient toujours les yeux sur lui, et ne chercheraient qu’à le décrier : « Eh bien ! répondit-il, je serai honnête homme, et je ne les craindrai point. »

Il prit d’abord Juvénal pour son modèle, persuadé que notre langue était plus propre à imiter la force de ce style que l’élégante simplicité du style d’Horace. Il changea bientôt de sentiment. Sa première satire fut celle-ci : Damon, ce grand auteur, etc. Il la fit tout entière dans le goût de Juvénal ; et pour en imiter le ton de déclamation, il la finissait par la description des embarras de Paris. Il s’aperçut que la pièce était trop longue, et devenait languissante ; il en retrancha cette description, dont il fit une satire à part. Son second ouvrage fut la satire qui est aujourd’hui la septième dans le recueil de ses œuvres : Muse, changeons de style, etc. Après celle-ci il en adressa une à Molière, et fit son Discours au Roi. Ensuite il entreprit la satire du festin 1[19] et celle sur la noblesse, travaillant à toutes les deux en même temps, et imitant Juvénal dans l’une et Horace dans l’autre. Ses ennemis débitèrent que dans la satire sur la noblesse, il avait eu dessein de railler M. de Dangeau. Il n’en eut jamais la pensée. Il l’adressait d’abord à M. de la Rochefoucauld ; mais trouvant que ce nom, qui devait revenir plusieurs fois, n’avait pas de grâce en vers, il prit le parti d’adresser l’ouvrage à M. de Dangeau, le seul homme de la cour, avec M. de la Rochefoucauld, qu’il connût alors.

1 La satire du festin eut pour fondement un repas qu’on lui donna à Château-Thierry, où il était allé se promener avec la Fontaine, qui ne fut pas du repas, pendant lequel le lieutenant général de la ville lâcha ces phrases : « Pour moi, j’aime le beau français… Le Corneille est quelquefois joli. » Ces deux phrases donnèrent au poëte, mécontent peut-être de la chère, l’idée de la description d’un repas également ennuyeux par l’ordonnance et par la conversation des convives. Il composa ensuite la satire à M. le Vayer, et celle qu’il adresse à son esprit. Celle-ci fut très-mal reçue lorsqu’il en fit les premières lectures. Il la lut chez M. de Brancas, en présence de madame Scarron, depuis madame de Maintenon, et de madame de la Sablière. La pièce fut si peu goûtée qu’il n’eut pas le courage d’en finir la lecture. Pour se consoler de cette disgrâce, il fit la satire sur l’homme, qui eut autant de succès que l’autre en avait eu peu.

Comme il ne voulait pas faire imprimer ses satires, tout le monde le recherchait pour les lui entendre réciter. Un autre talent que celui de faire des vers le faisait encore rechercher : il savait contrefaire ceux qu’il voyait, jusqu’à rendre parfaitement leur démarche, leurs gestes et leur ton de voix. Il m’a raconté qu’ayant entrepris de contrefaire un homme qui venait d’exécuter une danse fort difficile, il exécuta avec la même justesse la même danse, quoiqu’il n’eût jamais appris à danser. Il amusa un jour le roi, en contrefaisant devant lui tous les comédiens. Le roi voulut qu’il contrefit aussi Molière, qui était présent, et demanda ensuite à Molière s’il s’était reconnu. « Nous ne pouvons, » répondit Molière, juger de notre ressemblance ; mais la « mienne est parfaite, s’il m’a aussi bien imité qu’il a imité les autres. » Quoique ce talent, qui le faisait rechercher dans les parties de plaisir, lui procurât des connaissances agréables pour un jeune homme, il m’a avoué qu’enfin il en


eut honte, et qu’ayant fait réflexion que c’était faire un personnage de baladin, il y renonça, et n’alla plus aux repas où on ne l’invitait que pour réciter ses ouvrages, qui le rendirent bientôt très-fameux.

Il se fit un devoir de n’y nommer personne, même dans les traits de raillerie qui avaient pour fondement des faits très-connus. Son Alidor, qui veut rendre à Dieu ce qu’il a pris au monde, était si connu alors, qu’au lieu de dire la maison de l’Institution, on disait souvent par plaisanterie la maison de la Restitution. Il ne nommait pas d’abord Chapelain : il avait mis Patelin ; et ce fut la seule chose qui fâcha Chapelain. Pourquoi, disait-il, défigurer mon nom ? Chapelain était fort bon homme, et content du bien que le satirique disait de ses mœurs, lui pardonnait le mal qu’il disait de ses vers. Gilles Boileau, ami de Chapelain et de Cotin, ne fut pas si doux : il traita avec beaucoup de hauteur son cadet, lui disant qu’il était bien hardi d’oser attaquer ses amis. Cette réprimande ne fit qu’animer davantage Despréaux contre ces deux poètes. Ce Gilles Boileau, de l’Académie française, avait aussi, comme l’on sait, du talent pour les vers. Tous ses frères avaient de l’esprit. L’abbé Boileau, depuis docteur de Sorbonne, s’est fait connaître par des ouvrages remarquables par les sujets et par le style. M. Pui-Morin, qui fut contrôleur des Menus, était très-aimable dans la société ; mais l’amour du plaisir le détourna de toute étude. Ce fut lui qui étant invité à un grand repas par deux juifs fort riches, alla à midi chercher son frère Despréaux, et le pria de l’accompagner, l’assurant que ces messieurs seraient charmés de le connaître. Despréaux, qui avait quelques affaires, lui répondit qu’il n’était pas en humeur de s’aller réjouir. Pui-Morin le pressa avec tant de vivacité, que son frère perdant patience, lui dit d’un ton de colère : « Je ne veux point aller manger chez des coquins qui ont crucifié Notre-Seigneur. » — Ah ! mon frère, s’écria Pui-Morin en « frappant du pied contre terre, pourquoi m’en faites-vous n souvenir lorsque le dîner est prêt, et que ces pauvres « gens m’attendent. 1 » Il s’avisa un jour, devant Chapelain, de parler mal de la Pucelle : « C’est bien à vous à en juger, « lui dit Chapelain, vous qui ne savez pas lire. » Pui-Morin lui répondit : « Je ne sais que trop lire, depuis que vous faites imprimer, » et fut si content de sa réponse, qu’il voulut la mettre en vers. Mais comme il ne put en venir à bout, il eut recours à son frère et à mon père, qui tournèrent ainsi cette réponse en épigramme :

Froid, sec, dur, rude auteur, digne objet de satire,
De ne savoir pas lire oses-tu me blâmer ?
Hélas ! pour mes péchés, je n’ai su que trop lire
Depuis que tu fais imprimer.

Mon père représenta que le premier hémistiche du second vers rimant avec le vers précédent et avec l’avant-dernier vers, il vaudrait mieux dire de mon peu de lecture. Molière décida qu’il fallait conserver la première façon : « Elle est, lui dit-il, la plus naturelle ; et il faut sacrifier toute régularité à la justesse de l’expression ; c’est l’art même qui doit nous apprendre à nous affranchir des règles de l’art. »

Molière était alors de leur société, dont étaient encore la Fontaine et Chapelle ; et tous faisaient de continuelles réprimandes à Chapelle sur sa passion pour le vin. Boileau le rencontrant un jour dans la rue, lui en voulut parler. Chapelle lui répondit— : « J’ai résolu de m’en corriger ; je sens la vérité de vos raisons : pour achever de me persuader, « entrons ici ; vous me parlerez plus à votre aise. » Il le fit entrer dans un cabaret, et demanda une bouteille, qui fut suivie d’une autre. Boileau, en s’animant dans son discours contre la passion du vin, buvait avec lui jusqu’à ce qu’enfin le prédicateur et le nouveau converti s’enivrèrent.

Je reviens à l’histoire des tragédies de mon père, qui après avoir achevé celle d’Alexandre, la voulut montrer à Corneille, pour recevoir les avis du maître du théâtre. M. de Valincour rapporte ce soit dans sa lettre à M. l’abbé d’Olivet, et m’a assuré qu’il le tenait de mon père même. Corneille, après avoir entendu la lecture de la pièce, dit à l’auteur qu’il avait un grand talent pour la poésie, mais qu’il n’en avait point pour la tragédie ; et il lui conseilla de s’appliquer à un autre genre. Ce jugement, très-sincère sans doute, fait voir qu’on peut avoir de grands talents, et être un mauvais juge des talents.

Il y avait alors deux troupes de comédiens ; celle de Molière et celle de l’hôtel de Bourgogne[20]. V Alexandre fut joué d’abord par la troupe de Molière ; mais l’auteur, mécontent des acteurs, leur retira sa pièce, et la donna aux comédiens de l’hôtel de Bourgogne : il fut cause en même temps que la meilleure actrice de Molière le quitta pour passer sur le théâtre de Bourgogne ; ce qui mortifia Molière, et causa entre eux deux un refroidissement qui dura toujours, quoiqu’ils se rendissent mutuellement justice sur leurs ouvrages. On verra bientôt de quelle manière Molière parla de la comédie des Plaideurs ; et le lendemain de la première représentation. du Misanthrope, qui fut très-malheureuse, un homme qui crut faire plaisir à mon père, courut lui annoncer cette nouvelle, en lui disant : « La pièce est tombée : rien n’est si froid : vous pouvez m’en croire ; j’y étais. — Vous y étiez, reprit mon père, et je n’y étais pas ; cependant je n’en croirai rien, parce qu’il est impossible que Molière ait fait une mauvaise pièce. Retournez-y, et examinez-la mieux. »

Alexandre eut beaucoup de partisans et de censeurs, puisque Boileau, qui composa cette même année 1665 sa troisième satire, y fait dire à son campagnard :

Je ne sais pas pourquoi l’on vante l’Alexandre.

La lecture de cette tragédie fit écrire à Saint-Évremond « que la vieillesse de Corneille ne l’alarmait plus, et qu’il « n’avait plus à craindre de voir finir avec lui la tragédie : » et cet aveu de Saint-Évremond dut consoler le poète de la critique que le même écrivain, dont les jugements avaient alors un grand crédit, fit de cette même tragédie. Il est vrai qu’elle avait plusieurs défauts, et que le jeune auteur s’y livrait encore à sa prodigieuse facilité de rimer. Boileau sut la modérer par ses conseils, et s’est toujours vanté de lui avoir appris à rimer difficilement[21].


Ce fut enfin l’année suivante que les satires de Boileau parurent imprimées. On lit dans le Bolœana par quelle raison on fut près de révoquer le privilège, que le libraire avait obtenu par adresse, et l’indifférence de Boileau sur cet événement. Jamais poète n’eut tant de répugnance à donner ses ouvrages au public. Il s’y vit forcé, lorsqu’on lui en montra une édition faite furtivement, et remplie de fautes. À cette vue, il consentit à remettre son manuscrit, et ne voulut recevoir aucun profit du libraire. Il donna en 1674, avec la même générosité, ses Épitres, son Art poétique, le Lutrin et le Traité du sublime. Quoique fort économe de son revenu, il était plein de noblesse dans les sentiments : il m’a assuré que jamais libraire ne lui avait payé un seul de ses ouvrages ; ce qui l’avait rendu hardi à railler dans son Art poétique, chant IV, les auteurs qui mettent leur Apollon aux gages d’un libraire, et qu’il n’avait fait les deux vers qui précèdent,

Je sais qu’un noble esprit peut sans honte et sans crime
Tirer de son travail un tribut légitime,


que pour consoler mon père, qui avait retiré quelque profit de l’impression de ses tragédies. Le profit qu’il en tira fut très-modique ; et il donna dans la suite Esther et Athalie au libraire, de la manière dont Boileau avait donné tous ses ouvrages.

Andromaque, qui parut en 1667, fit connaître que le jeune poète à qui Boileau avait appris à rimer difficilement avait en peu de temps fait de grands progrès. Mais je suis obligé d’interrompre l’histoire de ses tragédies pour raconter celle de deux ouvrages d’une nature bien différente.

Le public ne les attendait ni d’un jeune homme occupé de tragédies, ni d’un élève de Port-Royal. La vivacité du poète, qui se crut offensé dans son talent, ce qu’il avait de plus cher, lui fit oublier ce qu’il devait à ses premiers maîtres, et l’engagea à entrer, sans réflexion, dans une querelle qui ne le regardait pas.

Desmarets de Saint-Sorlin, que le mauvais succès de son Clovis avait rebuté, las d’être poète, voulut être prophète, et prétendit avoir la clef de l’Apocalypse. Il annonça une armée de cent quarante-quatre mille victimes, qui rétablirait, sous la conduite du roi, la vraie religion. Par tous les termes mystiques qu’inventait son imagination échauffée, il en avait déjà échauffé plusieurs autres. Il eut l’honneur d’être foudroyé par M. Nicole, qui écrivit contre lui les lettres qu’il intitula Visionnaires, parce qu’il les écrivait contre un grand visionnaire, auteur de la comédie des Visionnaires. Il fit remarquer, dans la première de ces lettres, que ce prétendu illuminé ne s’était d’abord fait connaître dans le monde que par des romans et des comédies : « qualités, ajoute-t-il, qui ne sont pas fort honorables au jugement des honnêtes gens, et qui sont horribles, considérées suivant les principes de la religion chrétienne. Un faiseur de romans et un poète de théâtre est un empoisonneur public, non des corps, mais des âmes. Il se doit regarder comme coupable d’une infinité d’homicides spirituels, ou qu’il a causés en effet, ou qu’il a pu causer. »

Mon père, à qui sa conscience reprochait des occupations qu’on regardait à Port-Royal comme très-criminelles, se persuada que ces paroles n’avaient été écrites que contre lui, et qu’il était celui qu’on appelait un empoisonneur public. Il se croyait d’autant mieux fondé dans cette persuasion, qu’à cause de sa liaison avec les comédiens il avait été comme MÉMOIRES SUR LA VIE DE JEAN RACINE.

9

exclus de Port-Royal par une lettre de la mère Racine, sa tante, qui est si bien écrite qu’on ne sera pas fâché de la lire.

GLOIRE A JÉSUS-CHRIST

ET AU TRÈS-SAINT SACREMENT.

« Ayant appris que vous aviez dessein de faire ici un voyage, j’avais demandé permission à notre mère de vous voir, parce que quelques personnes nous avaient assuré que vous étiez dans la pensée de songer sérieusement à vous ; et j’aurais été bien aise de l’apprendre par vous-même, afin de vous témoigner la joie que j’aurais, s’il plaisait à Dieu de vous toucher : mais j’ai appris depuis peu de jours une nouvelle qui m’a touchée sensiblement. Je vous écris dans l’amertume de mon cœur, et en versant des larmes que je voudrais pouvoir répandre en assez grande abondance devant Dieu pour obtenir de lui votre salut, qui est la chose du monde que je souhaite avec le plus d’ardeur. J’ai donc appris avec douleur que vous fréquentiez plus que jamais des gens dont le nom est abominable à toutes les personnes qui ont tant soit peu de piété, et avec raison, puisqu’on leur interdit l’entrée de l’église, et la communion des fidèles, même à la mort, à moins qu’ils ne se reconnaissent. Jugez donc, mon cher neveu, dans quel état je puis être, puisque vous n’ignorez pas la tendresse que j’ai toujours eue pour vous, et que je n’ai jamais rien désiré sinon que vous fussiez tout à Dieu dans quelque emploi honnête. Je vous conjure donc, mon cher neveu, d’avoir pitié de votre âme, et de rentrer dans votre cœur pour y considérer sérieusement dans quel abîme vous vous êtes jeté. Je souhaite que ce qu’on m’a dit ne soit pas vrai : mais si vous êtes assez malheureux pour n’avoir pas rompu un commerce qui vous déshonore devant Dieu et devant les hommes, vous ne devez pas penser à nous venir voir : car vous savez bien que je ne pourrais pas vous parler, vous sachant dans un état si déplorable, et si contraire au christianisme. Cependant je ne cesserai point de prier Dieu qu’il vous fasse miséricorde, et à moi en vous la faisant, puisque votre salut m’est si cher. »

Voilà une de ces lettres que son neveu, dans sa ferveur pour les théâtres, appelait des excommunications. Il crut donc que M. Nicole, en parlant contre les poètes, avait eu dessein de l’humilier : il prit la plume contre lui et contre tout Port-Royal, et il fit une lettre pleine de traits piquants, qui, pour les agréments du style, fut goûtée de tout le monde. « Je ne sais, dit l’auteur de la continuation de l’Histoire de l’Académie française, si nous avons rien de mieux écrit ni de plus ingénieux en notre langue. » Les ennemis de Port-Royal encouragèrent le jeune écrivain à continuer, et même, à ce qu’on prétend, lui firent espérer un bénéfice. Tandis que M. Nicole et les autres solitaires de Port-Royal gardaient le silence, il parut deux réponses, dont la première, fort solide, et qui fut d’abord attribuée à M. de Sacy, était de M. du Bois ; la seconde, fort inférieure, était de M. Barbier d’Aucour. Mon père connut bien au style qu’elles ne venaient pas de Port-Royal, et il les méprisa. Mais peu après, ces deux mêmes réponses parurent dans une édition des Visionnaires, faite en Hollande, en deux volumes ; et il était écrit dans l’avertissement, à la tête de cette édition, qu’on avait inséré « dans ce recueil les « deux réponses faites à un jeune homme qui s’étant chargé de l’intérêt commun de tout le théâtre, avait conté des histoires faites à plaisir, parce que ces deux réponses feraient plaisir, ayant pour leur bonté partagé les juges, dont les uns estimaient plus la première, tandis que les autres se déclaraient hautement pour la seconde. »

Mon père, moins piqué de ces deux réponses que du soin que messieurs de Port-Royal prenaient de les faire imprimer dans leurs ouvrages avec un pareil avertissement, fit contre eux la seconde lettre, et mit à la tête une préface qui n’a jamais été imprimée, et qu’il assaisonna des mêmes railleries qui règnent dans les deux lettres. Après avoir dit qu’il n’y a point de plaisir à rire avec des gens délicats qui se plaignent qu’on les déchire dès qu’on les nomme, et qui, aussi sensibles que les gens du monde, ne souffrent volontiers que les mortifications qu’ils s’imposent eux-mêmes, il s’adressait ainsi à M. Nicole directement : « Je demande à ce vénérable théologien en quoi j’ai erré, si c’est dans le droit ou dans le fait. J’ai avancé que la comédie était innocente : le PortRoyal dit qu’elle est criminelle ; mais je ne crois pas qu’on puisse taxer ma proposition d’hérésie, c’est bien assez de la taxer de témérité. Pour le fait, ils n’ont nié que celui des capucins, encore ne l’ont-ils pas nié tout entier. Toute la grâce que je lui demande, est qu’il ne m’oblige pas non plus à croire un fait qu’il avance, lorsqu’il dit que le monde fut partagé entre les deux réponses qu’on fit à ma lettre, et qu’on disputa longtemps laquelle des deux était la plus belle : il n’y eut pas la moindre dispute là-dessus, et d’une commune voix elles furent jugées aussi froides l’une que l’autre. Mais tout ce qu’on fait pour ces messieurs a un caractère de bonté que tout le monde ne connaît pas.

« Il est aisé de connaître, ajoutait-il, par le soin qu’ils ont pris d’immortaliser ces réponses, qu’ils y avaient plus de part qu’ils ne disaient. A la vérité, ce n’est pas leur coutume de laisser rien imprimer pour eux qu’ils n’y mettent quelque chose du leur. Ils portent aux docteurs les approbations toutes dressées. Les avis de l’imprimeur sont ordinairement des éloges qu’ils se donnent à eux-mêmes ; et l’on scellerait à la chancellerie des privilèges forts éloquents, si leurs livres s’imprimaient avec privilège. »

Content de cette préface et de sa seconde lettre, il alla montrer ces nouvelles productions à Boileau, qui, toujours amatent de la vérité, quoiqu’il n’eût encore aucune liaison avec Port-Royal, lui représenta que cet ouvrage ferait honneur à son esprit, mais n’en ferait pas à son cœur, parce qu’il attaquait des hommes fort estimés, et le plus doux de tous’, auquel il avait lui-même, comme aux autres, de grandes obligations. « Eh bien ! répondit mon père, pénétré de ce reproche, le public ne verra jamais cette seconde « lettre. » 11 retira tous les exemplaires qu’il put trouver de la première ; et elle était devenue fort rare, lorsqu’elle parut

1 M. Nicole, qui avait régenté la troisième à Port-Royal, avait été son maître. Tout le monde sait quelle était sa douceur : il subsistait du profit de ses ouvrages, et le grand débit des trois volumes de la Perpétuité lit dire dans le public qu’il profitait du travail d’autrui, parce qu’on croyait cet ouvrage commun entre lui et M. Arnauld, qui avait seulement mis un chapitre de sa façon dans le premier volume, et ne vit pas les autres. M. Nicole souffrit ce discours sans y répondre. Lorsque le P. Bouhours, en écrivant sur la langue française, releva plusieurs expressions des traductions de Port-Royal, M. de Sacy dit qu’il ne se soumettrait point à ces remarques ; M. Nicole dit qu’il se corrigerait, et en effet n’employa point dans les Essais de morale celles qui lui parurent justement critiquées. Dans les petits troubles qui arrivaient à Port-Royal sur quelques diversités de sentiments, il ne prenait aucun parti, disant qu’il n’était point des guerres civiles. Madame de Longueville, qui de l’envie de connaître les hommes fameux pa&sait souvent, comme bien d’autres, à l’ennui de les voir trop longtemps, ne changea jamais à l’égard de M. Nicole, qu’elle trouvait fort poli. Dans les conversations où il était contredit, ce qui arrivait plus d’une fois, elle prenait toujours son parti ; ce qui lui lit dire, quand elle mourut, qu’il avait perdu tout son crédit : « J’ai « même, disait-il, perdu mon abbaye, » parce qu’elle l’appelait toujours M. l’abbé Nicole. (L. R.) MÉMOIRES SUR LA VIE DE JEAN RACINE.

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dans des journaux. Brossette, qui la fit imprimer dans son édition de Boileau, quoiqu’elle n’eftt aucun rapport aux ouvrages de cet auteur, joignit en note que le Port-Royal « alarmé d’une lettre qui le menaçait d’un écrivain aussi a redoutable que Pascal , trouva le moyen d’apaiser et de » regagner le jeune Racine. » Brossette était fort mal ins- tmit. Le Port-Royal garda toujours le silence , et ne fit au- cune démarche pour la réconciliation. Mon père fit lui seul, dans la suite, toutes les démarches que je dirai. On n’ignore pas le repentir qu’il a témoigné ; et un jour il fit une réponse si humble à un de ses confrères, qui l’attaqua dans l’Aca- démie par une plaisanterie au sujet de ce démêlé, que per- sonne dans la suite n’osa le railler sur le même sujet. Lors- que Brossette fit imprimer la première lettre, il ne connaissait pas la seconde, qui n’était connue de personne, ni de nous- mêmes. Elle fut trouvée, je ne sais par quel hasard, dans les papiers de M. l’abbé Dupin ; et ceux qui en furent les maîtres après sa mort la firent imprimer.

Je reprends l’histoire des pièces de théâtre, et je viens à Andromaque. Ellefut représenléeen 16G7 , et fit, au rapport de M. Perrault, à peu près le môme bruit que le Cid avait fait dans les premières représentations. On voit, par Fépître dédicatoire, que l’auteur avait eu auparavant l’honneur de la lire à Madame : il remercie son altesse royale des conseils qu’elle a bien voulu lui donner. Cette pièce coûta la vie à Montfleiu-i , célèbre acteur : il y représenta le rôle d’Oreste avec tant de force, qu’il s’épuisa entièrement : ce qui fit dire à l’auteur du Parnasse réformé, que tout poète désormais voudra avoir l’honneur de faire crever un comédien.

La tragédie A’ Andromaque eut trop d’admirateurs pour n’avoir pas d’ennemis. Saint-Évremond ne fut ni du nombre des ennemis, ni du nombre des admirateurs, puisqu’il n’en fit que cet éloge : « Elle a bien l’air des belles choses : il ne « s’en faut presque rien qu’il n’y ait du grand. »

Un comédien, nommé Subligny, se signala par une criti- que en forme de comédie ’. Elle ne fut pas inutile à l’auteur critiqué, qui corrigea, dans la seconde édition A’ Androma- que, quelques négligences de style, et laissa néanmoins subsister certains tours nouveaux , que Subligny mettait au nombre des fautes de style, et qui ayant été approuvés de- puis comme tours heureux, sont devenus familiers à notre langue. Les critiques les plus sérieuses contre cette pièce tom- bèrent sur le personnage de Pyrrhus, qui parut au grand Condé trop violent et trop emporté, et que d’autres accusèrent d’être un malhonnête homme, parce qu’il manque de parole à Hermione. L’auteur, au lieu de répondre à une critique si peu solide , entreprit de faire dans sa tragédie suivante le portrait d’un parfaitement honnête homme. C’est ce que Boileau donne à penser quand il dit à son ami , en lui représentant l’avantage qu’on retire des critiques :

Au Cid persécuté Cinna doit sa naissance ;

Et ta plume peut-être aux censeurs de Pyrrhus

Doit les plus nobles traits dont tu peignis Burrhus.

La comédie des Plaideurs précéda Britannicus, et parut en 1668. En voici l’origine :

• Subligny n’était pas comédien , il était avocat , ou du moins il en prenait le titre. Sa comédie était intitulée la Folle que- relle, ou la critique à’ Andromaque. Elle fut jouée au mois de mai 1668, et imprimée la même année. Il annonçait dans la préface avoir trouvé plus de trois cents fautes de sens dans Andromar que. La Folle querelle a été réimprimée dans un recueil en deux volumes in-l2 de dissertations sur plusieurs tragédies de Corneille et de Racine , publié par l’abbé Granet. Subligny donna des leçons de versilication à la célèbre comtesse de la Suze. On a de lui une traduction des fameuses Lettres Portu- gaises, la Fausse Clélie, roman médiocre, et plusieurs opus- cules pour et contre Racine. ( A. M. )

Mon père avait enfin obtenu un bénéfice, puisque le pri- vilège de la première édition à’ Andromaque, qui est du 28 décembre 1667 , est accordé au sieur Racine, prieur de l’É- pinay : titie qui ne lui est plus donné dans un autre privilège accordé quelques mois après , parce qu’il n’était déjà plus prieur.Boileaulefuthuitouneufans ;mais quand il reconnut qu’il n’avait point de dispositions pour l’état ecclésiastique, il se fit un devoir de remettre le bénéfice entre les mauis du collateur ; et pour remplir un autre devoir encore plus diffi- cile, après avoir calculé ce que le prieuré lui avait rapporté pendant le temps qu’il l’avait possédé, il fit distribuer cette somme aux pauvres , et principalement aux pauvres du lieu ; rare exemple donné par un poète accusé d’aùner l’argent.

Son ami eût imité une si belle action, s’il eût eu à restituer des biens d’église ; mais sa vertu ne fut jamais à une pa- reille épreuve. A peine eut-il obtenu son bénéfice, qu’un régulier vint le lui disputer, prétendant que ce prieuré ne pouvait être possédé que par un régulier ; il fallut plaider ; et voilà ce « procès que ni ses juges ni lui n’entendirent, » comme il le dit dans la préface des Plaideurs. C’était ainsi que la Providence lui opposait toujours de nouveaux obstacles pour entrer dans l’état ecclésiastique, où il ne voulait entrer que par des vues d’intérêt. Fatigué enfin du procès , las de voir des avocats et de solliciter des juges, il abandonna le bénéfice, et se consola de cette perte par une comédie contre les juges et les avocats.

Il faisait alors de fréquents repas chez un fameux traiteur ’ où se rassemblaient Boileau, Chapelle, Furetière, et quel- ques autres. D’ingénieuses plaisanteries égayaient ces repas , où les fautes étaient sévèrement punies. Le poème de la Pu- celle, de Chapelain, était sur une table, et on réglait le nombre de vers que devait lire un coupable, sur la qualité de sa faute. Elle était fort grave quand il était condamné à en Ih-e vingt vers : et l’arrêt qui condamnait à lire la page entière était l’arrêt de mort. Plusieurs traits de la comédie des Plaideurs furent le fruit de ces repas : chacun s’em- pressait d’en fournir à l’auteur. M. de Brilhac, cx)nseiller au parlement de Paris, lui apprenait les termes de palais. Boi- leau lui fournit l’idée de la dispute entre Chicaneau et la comtesse : il avait été témoin de cette scène, qui s’était pas- sée chez son frère le greffier, entre un homme très-connu alors, et une comtesse , que l’actrice qui joua ce personnage contrefit jusqu’à paraître sur le théâtre avec les mêmes ha- billements , comme il est rapporté dans le Commentaire sur la seconde satire de Boileau ^. Plusieurs autres traits de cette comédie avaient également rapport à des personnes alors très-connues ; et par l’Intimé, qui, dans la cause du chapon, commence, comme Cicéron, pro Quintio : Quœ res dua : plurimumpossunt....graUaeieloquentia, etc.ondésignaiil un avocat qui s’était servi du même exorde dans la cause d’un pâtissier contre un boulanger ^. Soit que ces plaisan-

> C’était un cabaret à l’enseigne du Mouton blanc. Ce cabaret existe encore avec la même enseigne, place Saint-Jean. C’est dans une de ces réunions que furent esquissés les premiers traits de cette plaisanterie de Chapelain décoiffé par la Serre, qui courut dans le public sans l’aveu des auteurs. ( A. M. )

^ L’original de cette comtesse, dit un commentateur de Ra- cine , était la comtesse de Crissé, plaideuse de profession , et qui avait dissipé en mauvais procès une fortune considérable. Le parlement, d’après les demandes de Ja famille, lui fit défense d’intenter à l’avenir aucun procès sans avoir pris d’abord l’avis par écrit de deux avocats qui lui furent nommés par la cour. Cette interdiction de plaider la rendit furieuse , et elle passait ses jours à tourmenter ses juges et ses avocats. {Anomjme. )

3 Voici une autre anecdote qui avait beaucoup amusé le pa- lais. Un avocat nommé Montauban, connu par la longueur deses plaidoyers, ayant un jour été interpellé par le premier prési- dent de répondre s’il serait long, avait répondu que oui ; sur Page:Racine - Œuvres, Didot, 1854.djvu/23 Page:Racine - Œuvres, Didot, 1854.djvu/24 Page:Racine - Œuvres, Didot, 1854.djvu/25 Page:Racine - Œuvres, Didot, 1854.djvu/26 Page:Racine - Œuvres, Didot, 1854.djvu/27 Page:Racine - Œuvres, Didot, 1854.djvu/28 Page:Racine - Œuvres, Didot, 1854.djvu/29 Page:Racine - Œuvres, Didot, 1854.djvu/30 Page:Racine - Œuvres, Didot, 1854.djvu/31 Page:Racine - Œuvres, Didot, 1854.djvu/32 Page:Racine - Œuvres, Didot, 1854.djvu/33 Page:Racine - Œuvres, Didot, 1854.djvu/34 Page:Racine - Œuvres, Didot, 1854.djvu/35 Page:Racine - Œuvres, Didot, 1854.djvu/36 Page:Racine - Œuvres, Didot, 1854.djvu/37 Page:Racine - Œuvres, Didot, 1854.djvu/38 Page:Racine - Œuvres, Didot, 1854.djvu/39 Page:Racine - Œuvres, Didot, 1854.djvu/40 Page:Racine - Œuvres, Didot, 1854.djvu/41 Page:Racine - Œuvres, Didot, 1854.djvu/42 Page:Racine - Œuvres, Didot, 1854.djvu/43 Page:Racine - Œuvres, Didot, 1854.djvu/44 Page:Racine - Œuvres, Didot, 1854.djvu/45 Page:Racine - Œuvres, Didot, 1854.djvu/46 Page:Racine - Œuvres, Didot, 1854.djvu/47 Page:Racine - Œuvres, Didot, 1854.djvu/48 Page:Racine - Œuvres, Didot, 1854.djvu/49 Page:Racine - Œuvres, Didot, 1854.djvu/50 Page:Racine - Œuvres, Didot, 1854.djvu/51 Page:Racine - Œuvres, Didot, 1854.djvu/52 Page:Racine - Œuvres, Didot, 1854.djvu/53 Page:Racine - Œuvres, Didot, 1854.djvu/54 Page:Racine - Œuvres, Didot, 1854.djvu/55

  1. Le peu qu’en a écrit M. Perrault dans ses Hommes illustres est vrai, parce qu’il consulta la famille, et par la même raison, l’article du Supplément de Moréri, 1735, est exact ; mais le P. Niceron et les auteurs de l’Histoire des théâtres n’ont fait que compiler la Vie qui est à la tête de l’édition de 1736, ou la lettre de M. de Valincour, les notes de Brossette, et le Bolœana, recueil très-peu sûr en plusieurs endroits. J’aurai occasion d’en parler dans la suite. (L. R.)
  2. Elle y mourut le 12 août 1662. Voyez le Nécrologe et les historiens de Port-Royal. (A. M.)
  3. Lorsqu’en 1638 le cardinal de Richelieu eut fait arrêter l’abbé de Saint-Cyran, il envoya ordre à Antoine le Maistre et à le Maistre de Séricourt de quitter Port-Royal ; et les deux frères allèrent chercher une retraite à la Ferté-Milon, chez madame Vitart, tante de Racine. (A. M.)
  4. Il y a évidemment ici une erreur sur l’âge de Racine. Il était né en décembre 1639. Il sortit du collége de Beauvais, dit l’auteur des Mémoires, en octobre 1655, il avait donc près de seize ans. Il resta ensuite trois ans à Port-Royal, et fut envoyé, en octobre 1658, au collége d’Harcourt à Paris. Il avait donc alors près de dix-neuf ans, et cependant il est dit dans ce paragraphe : n’ayant encore que quatorze ans. (A. M.)
  5. M. le Maistre mourut le 4 novembre 1658. À cette époque, Racine n’était plus à Port-Royal ; il était au collége d’Harcourt depuis le mois d’octobre précédent : d’où il faut conclure que M. Hamon, médecin de Port-Royal, ne veilla pas à ses études après la mort de M. le Maistre.
  6. S’il n’a pas fait cette traduction à Port-Royal, il l’a faite à Uzès : c’est un ouvrage de sa jeunesse. Quoique la traduction soit bonne, un fragment si peu considérable ne méritait peut-être pas d’être imprimé ; il le fut cependant chez Gandouin en 1732. On a mis à la tête une lettre sans date d’année, qui m’est inconnue, et ne se trouve point parmi les autres lettres écrites à Boileau, qui sont entre mes mains. (L. R.)
  7. Lancelot eut la plus grande part à la célèbre Grammaire de Port-Royal. On lui doit aussi les meilleurs éléments des langues grecque, latine, espagnole, italienne, et plusieurs autres ouvrages. Il s’était chargé d’enseigner le grec à Racine, et c’était le plus grand service que l’érudition pût rendre au talent. (A. M.)
  8. Ces odes se trouvent dans cette édition. Elles sont d’un grand intérêt, puisqu’elles offrent le point d’où Racine est parti pour arriver jusqu’à Athalie. (A. M.)
  9. Il y a encore ici une erreur sur l’âge de Racine, erreur qu’il est facile de rectifier, d’après notre observation précédente. Nous croyons devoir citer la pièce entière, en plaçant des guillemets aux vers que Louis Racine avait supprimés. (A. M.)
  10. On reconnaît dans cette pièce un jeune homme nourri des bons poëtes latins, dont il sait employer à propos les tours et les expressions. C’est en imitant les anciens dans leur langue que Racine est parvenu à servir à jamais de modèle dans la sienne.
  11. Elle fut condamnée uniquement comme version en langue vulgaire. (L. R.) Ces hymnes sont recueillies dans cette édition.
  12. 1 Nicolas Vitart, oncle de Jean Racine, mourut en 1641. Ce ne fut donc pas lui qui porta à Chapelain, en 1660, l’ode intitulé la Nymphe de la Seine, mais bien son fils, intendant de la maison de Chevreuse. Ce fils était cousin germain de Jean Racine, qui lui adressa plusieurs lettres que l’on trouve dans sa correspondance. (A. M.)
  13. 2 Ce n’est pas ce sonnet, comme le croit Louis Racine, qui attira à son père les réprimandes de Port-Roval, mais bien un sonnet composé à la louange du cardinal de Mazarin, à l’occasion de la paix des Pyrénées. Voyez la première lettre de Racine à l’abbé le Vasseur : elle ne laisse aucun doute à ce sujet (A. M.)
  14. 3 C’est une erreur. M. Vitart, intendant de la maison de Chevreuse, chez qui Racine fut employé pendant quelques années au sortir du collège, était son cousin, et non son oncle. (A. M)
  15. 1 On croit cependant que ce fut à cette époque, et pendant son séjour dans cette délicieuse contrée, qu’il éprouva les premiers traits de cette passion dont il fut dans la suite un si habile peintre. (A. M.)
  16. 2 Il présenta cette tragédie à Molière, alors directeur du théâtre du Palais-Royal, et qui avait la réputation de bien accueillir les jeunes auteurs. Molière entrevit sans doute dans cette production, toute faible qu’elle était, le germe d’un heureux talent ; il encouragea le jeune homme, loua ses dispositions ; on assure même qu’il le secourut de sa bourse, et lui prêta cent louis, l’excitant à traiter le sujet de la Thébaïde comme plus théâtral. (A. M.)
  17. 3 Il est dit, dans le Nécrologe de Port-Royal, que, « lié avec les savants solitaires qui habitaient le désert de Port-Royal, cette solitude lui fit produire la Thébaïde. » Ces paroles, que les auteurs de l’Histoire des théâtres rapportent avec surprise, ne prouvent que la simplicité de celui qui a écrit cet article, et qui n’ayant jamais, selon les apparences, lu de tragédie, s’est imaginé, à cause de ce titre, la Thébaïde, que celle-ci avait quelque rapport à une solitude. Il se trompe aussi quand il dit que cette tragédie fut commencée à Port-Royal. (L. R.)
  18. 4 La Grange-Chancel disait avoir entendu dire à des amis particuliers de Racine, que pressé par le peu de temps que lui a\ ait donné Molière pour composer cette pièce, il y avait fait entrer, sans presque aucun changement, deux récits entiers tirés de l’intrigue de Rotrou, jouée en 1638. Ces morceaux disparurent dans l’impression de la Thébaïde. Quelques commentateurs donnent un autre motif à l’insertion de ces morceaux. Ils disent que Racine n’avait traité le sujet de la Thébaïde qu’avec une extrême défiance, et que tourmenté par la crainte qu’on ne l’accusât d’avoir voulu lutter contre Rotrou, il prit le parti de lui emprunter un récit qui passait alors pour un morceau inimitable. (A. M.)
  19. 2 Boileau, qui avait quelques obligations à Brossette, à cause d’une rente à Lyon qu’il lui faisait payer, lui donnait quelques éclaircissements sur ses ouvrages, quand il les lui demandait ; mais Brossette n’ayant pas vécu avec lui familièrement, n’a pas été instruit de tout, et son commentaire, où il y a de bonnes choses, est fort imparfait. (L. R.)
  20. C’est ainsi que cette pièce, dans sa naissance, fut jouée par les deux troupes ; mais dans l’Histoire du Théâtre-Français, tome IX, il est dit qu’elle fut jouée le même jour sur les deux théâtres : ce qui n’est pas vraisemblable. (L. R.) L’assertion de Louis Racine est détruite par la gazette en vers de Robinet, qui écrivait jour par jour tout ce qui arrivait de curieux à Paris. Ce gazetier parle du succès de la pièce, et dit expressément que Racine produisit en même temps l’Alexandre sur les deux théâtres français. Ce genre de succès est unique ; mais Racine le paya trop cher, puisqu’il lui fit perdre l’affection de Molière. (A. M.)
  21. Il me souvient, dit l’abbé Dubos, de ce que dit M. Despréaux à M. Racine concernant la facilité de faire des vers. Ce dernier venait de donner sa tragédie d’Alexandre lorsqu’il se lia d’amitié avec l’auteur de l’Art poétique. Racine lui dit, en parlant de son travail, qu’il avait une facilité surprenante à faire ses vers. « Je veux, répondit Despréaux, vous apprendre à faire des vers avec peine, et vous avez assez de talent pour le savoir bientôt. » Racine disait que Despréaux lui avait tenu parole. M. Despréaux, dit le commentateur de Boileau, faisait ordinairement le second vers avant le premier ; c’est un des plus grands secrets de la poésie, pour donner aux vers beaucoup de sens et de force. Il conseilla à M. Racine de suivre cette méthode. Il disait à ce propos : « Je lui ai appris à rimer difficilement. » (A. M.).