Mémoires sur l’électromagnétisme et l’électrodynamique/Notice biographique

NOTICE BIOGRAPHIQUE.
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André-Marie Ampère naquit à Lyon le 20 janvier 1775. Son père, Jean-Jacques Ampère, ayant quitté le négoce peu de temps après la naissance de son fils, se retira à Polémieux près de Lyon. André reçut son instruction dans la maison paternelle et ne fréquenta jamais d’école. « Il n’a jamais eu d’autres maîtres que lui-même », dit son père. Dès sa plus tendre enfance, il montra une aptitude remarquable pour les mathématiques et lisait, avec avidité tout ce qui lui tomba sous la main. À peine âgé de 14 ans il lisait l’Encyclopédie de d’Alembert et de Diderot d’un bout à l’autre, et sa mémoire était d’une force telle qu’il pouvait en citer de longs passages relatifs aux sujets les plus éloignés des connaissances communes. Une fois en possession des connaissances mathématiques élémentaires, il aborda la lecture des œuvres des grands géomètres, tels que Euler, Bernoulli, etc.

Doué d’un esprit inventif de premier ordre et d’une ardente imagination, il s’essayait de très bonne heure aux sujets les plus difficiles. C’est ainsi qu’il conçut l’idée, après avoir lu l’article langue dans l’Encyclopédie, de reconstituer la langue primitive et de montrer comment les langues existantes en sont sorties par voie de dérivation. Il avait ensuite ébauché la grammaire et le dictionnaire d’une langue nouvelle dans laquelle il avait même composé un poème.

En 1793, le père d’Ampère retourna à Lyon et y accepta les fonctions de juge de paix. Après le siège de Lyon par l’armée républicaine, Collot d’Herbois et Fouché y commirent les pires excès et Jean-Jacques Ampère fut une de leurs nombreuses victimes : il mourut sur l’échafaud le 24 novembre 1793.

Cet événement tragique porta un coup terrible à André Ampère, il dépérissait à vue d’œil et tomba dans un état d’hébétude complète. Cet état pénible durait plus d’une année, et il en fut tiré grâce aux Lettres sur la botanique de J.-J. Rousseau qui lui tombèrent par hasard entre les mains. S’adonnant avec passion à l’étude de la botanique, il reprit de l’intérêt aux recherches et réussit même à déterminer la place que doit occuper le Begonia dans la classification des plantes, problème que les botanistes n’arrivaient pas à résoudre.

Ampère épousa le 2 août 1799 Mlle Julie Carron et fut obligé de donner des leçons de mathématiques à un prix dérisoire pour subvenir aux besoins du ménage. Au mois de décembre 1801 il obtint une place à l’école centrale de Bourg dans le département de l’Ain, où il enseigna la chimie, la physique et l’astronomie. Il y continua d’ailleurs à donner des leçons particulières pour augmenter ses maigres revenus.

Après avoir composé quelques mémoires restés inédits, il publia en 1802 ses Considérations sur la théorie mathématique du jeu qui excita l’admiration de Delambre. Grâce à l’intervention de ce dernier, Ampère fut nommé en 1803 professeur au Lycée de Lyon. C’est cette année même qu’il perdit sa femme qu’il aimait d’un amour sans bornes. Cette perte le plongea dans une profonde prostration et le rendit malheureux pour tout le reste de sa vie.

En 1805 il fut nommé répétiteur à l’École Polytechnique, en 1806 membre du bureau consultatif des arts et métiers, en 1808 inspecteur général de l’Université, en 1809 professeur d’Analyse à l’École Polytechnique, en 1814 membre de l’Académie des Sciences et en 1824 professeur de Physique au Collège de France.

Depuis son arrivée à Paris en 1805 jusqu’en 1820 Ampère s’est occupé de questions de mathématiques, de physique et de chimie. Il établit sa réputation de grand géomètre par les deux mémoires sur l’intégration des équations aux dérivées partielles, publiés dans le tome XI du Journal de l’École Polytechnique. Mais c’est dans le domaine de l’électricité qu’il lui était réservé de faire des découvertes d’une portée incalculable.

Les marins avaient depuis longtemps observé que les violents coups de foudre occasionnaient tantôt des affaiblissements, tantôt des destructions, tantôt des renversements de polarité dans les aiguilles des boussoles. Vainement les chercheurs essayèrent de fixer par des lois la connexion entre ces deux ordres de phénomènes. Æpinus est celui qui, dans son discours académique de 1760, avait insisté avec beaucoup d’énergie sur l’identité de ces deux forces de la nature. Cette simple hypothèse reçut une confirmation éclatante par les expériences mémorables du physicien danois Œrsted sur les déviations d’une aiguille de boussole par le courant électrique. Il les commença en 1819 et en communiqua les résultats définitifs dans son Mémoire intitulé Experimenta circa effectum conflictus electrici in acum magneticam, qui fut publié en 1820 et envoyé à tous les grands physiciens et aux Sociétés savantes de l’Europe. Cette expérience fut répétée devant les membres de l’Académie des Sciences le 11 septembre 1820, et, dans la séance suivante, le 18 septembre, Ampère exposa devant l’Académie les résultats des expériences faites pendant la semaine et les publia aussitôt après dans les Annales de Chimie et de Physique (t. XV). Ils forment la plus grande partie du premier mémoire, qu’il suffit de lire pour comprendre l’enthousiasme qu’il a provoqué dans le monde savant. On ne sait en effet ce qu’il faut y admirer le plus, la perspicacité de l’esprit d’Ampère, ou l’ingéniosité des expériences, ou la finesse des appareils, qu’il a lui-même inventés et fait construire à ses frais. Son humble cabinet de la rue des Fossés-Saint-Victor, où il faisait ses étonnantes découvertes, devint un lieu de pèlerinage pour les physiciens français et étrangers. Aujourd’hui, à un siècle de distance, l’admiration pour ce travail doit être plus grande encore, car aucune découverte scientifique n’a été suivie de conséquences aussi prodigieuses, théoriques et pratiques, que celles d’Ampère.

Partant du principe newtonien de l’égalité de l’action et de la réaction des forces, Ampère s’est ensuite proposé de trouver les formules analytiques représentant l’attraction et la répulsion entre deux éléments infiniment petits de deux conducteurs voltaïques. Les résultats de ces recherches sont contenus dans le second mémoire, publié en 1822. Il poursuivit ses investigations avec un effort inlassable, raffermissant ses conceptions par des expériences de plus en plus délicates, et publia en 1827 son Mémoire sur la théorie mathématique des phénomènes électrodynamiques uniquement déduite de l’expérience.

L’Électrodynamique a été construite de toutes pièces par Ampère, et sur des assises d’une solidité inébranlable. « L’étude expérimentale, dit Maxwell, par laquelle Ampère a établi les lois de l’action mécanique qui s’exerce entre les courants électriques, constitue un des plus brillants exploits de la Science.

Il semble que cet ensemble de théorie et d’expérience ait jailli dans toute sa puissance, avec toutes ses armes, du cerveau du Newton de l’électricité. La forme en est parfaite, la rigueur inattaquable, et le tout se résume en une formule, d’où peuvent se déduire tous les phénomènes et qui devra toujours rester la formule fondamentale de l’Électrodynamique[1]. »

Il faut encore mentionner son important travail sur la classification des corps simples et celui dans lequel il soutient que la chaleur et la lumière résultent de mouvements vibratoires.

On aurait une idée incomplète d’Ampère si l’on ne mentionnait pas son goût très vif pour la psychologie et la métaphysique. Dès son arrivée à Paris, il fréquenta la Société d’Auteuil, où il discuta passionnément sur ces problèmes avec Destutt de Tracy, Maine de Biran et Cabanis. Vers 1830, il fit sienne la théorie de l’unité de plan des êtres animés, soutenue par Geoffroy Saint-Hilaire, et la défendit au Collège de France contre l’opinion contraire de Cuvier. En 1834, Ampère a publié son Essai sur la philosophie des sciences ou exposition analytique d’une classification naturelle de toutes les sciences humaines, qui abonde en réflexions profondes et en aperçus de génie.

Les travaux d’Ampère rendent un témoignage éclatant de son immense savoir, de sa puissante intelligence et de son sens critique aigu, auxquelles qualités il faut ajouter sa chaude tendresse et sa grande bonté de cœur. Non seulement les malheurs de la France, mais encore ceux des peuples les plus lointains lui causaient de vifs chagrins, comme si c’eussent été des malheurs personnels. Prenant un intérêt très vif à tout ce qui concernait l’humanité, il croyait à sa perfectibilité et à son progrès indéfini.

Les tourments et les chagrins qu’il a subis pendant son existence ont fortement ébranlé sa santé. Pendant une tournée d’inspection, il fut frappé à Marseille par une pneumonie à laquelle il succomba le 10 juin 1836.

M. S.


Remarque. — Les deux mémoires figurant dans ce volume sont reproduits d’après le Recueil d’observations électrodynamiques, publié en 1822. C’est à ce Recueil que se rapportent les renvois d’Ampère.

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  1. James Clerk MAXWELL. traité de l’électricité et du magnétisme, t. II, p. 204. Gauthier-Villars, éditeur, Paris ; 1889.