Mémoires secrets et inédits pour servir à l’histoire contemporaine/Tome 1/20

◄  CHAP. XVI.
EXPÉDITION D’ÉGYPTE


CHAPITRE XVII

ET DERNIER.

Débarquement des Anglais. — Premiers engagemens avec nos troupes. — Conduite du général Menou. — Bataille d’Alexandrie. — Marche des armées alliées et combinées sur le Caire. — Évacuation du Caire et de l’Égypte par l’armée française.

Arrivé aux événemens de cette époque, je trouve que mes notes, auxquelles je donnai, en général, la forme d’une récapitulation mensuelle des faits, sont plus en ordre et mieux liées ensemble. Je crois donc pouvoir me dispenser de faire un nouveau travail, et je vais les reproduire telles que je les ai rédigées dans le temps. Cette dernière partie d’ailleurs est le dénoûment de l’expédition. Elle embrasse quinze à dix-huit mois. Je conserverai aussi, comme dans mon manuscrit primitif, l’indication des dates du calendrier républicain, alors en usage, sauf à le faire concorder de temps en temps avec le vieux style.

Événemens pendant le mois de messidor an 8 (juin et
juillet 1800).

Le général Menou a changé la garnison d’Alexandrie avec celle du Caire. Le général Friant a pris le commandement de cette place ; le général Lanusse est remonté au Caire. Un vaisseau turc, de l’escadre du capitan-pacha, qui croisait sur les côtes de l’Égypte, avec quelques autres bâtimens anglais, s’est perdu sur l’île d’Aboukir, par une fausse manœuvre. Le fort d’Aboukir a fait feu dessus pour faire rendre le vaisseau ; un canot français, qui allait à bord, a pris un canot anglais à l’abordage ; ce canot était commandé par le citoyen Colonne, aspirant de la marine. Une corvette anglaise est venue mettre le feu au vaisseau, le même jour.

Le général Menou a organisé l’armée pendant tout le mois de messidor ; il a fait plusieurs réformes, et, par sa conduite, s’est attiré la haine de tous les généraux partisans du général Kléber. Des conciliabules ont eu lieu chez le général Damas, et chez l’ordonnateur inspecteur-général Daure. Le général Menou se voyant isolé, s’est efforcé d’attirer les soldats dans son parti, en leur faisant distribuer de l’argent comme solde, au lieu de l’employer à payer les dépenses extraordinaires, traitemens de table, et gratifications aux généraux.

Il a fait travailler aux fortifications du Caire, au fort de Lesbé, près Damiette, à Burlos et au lac Menzaléh. Le général a adressé plusieurs proclamations au peuple, tendant à l’amener à l’obéissance la plus parfaite. Le peuple aime assez le général Menou, parce qu’il s’est fait turc, et qu’il observe avec assez d’exactitude la religion mahométane. On peut croire que si, après la défaite de l’armée d’Orient, en ventôse, germinal et floréal, le peuple ne s’est point révolté, le général Menou en a été redevable à l’influence qu’il avait sur le peuple, aux sages conseils qu’il lui a donnés, à la manière distinguée avec laquelle il a traité les Turcs, fait célébrer les fêtes du Prophète, et respecter la religion, les femmes et les propriétés.

Sous Menou, le soldat a été très-discipliné ; il y avait cependant des femmes publiques dans nos quartiers. On dira sans doute que cette espèce de tolérance a dû exciter des rixes ; non. Et pourquoi ? Les corps de l’armée d’Orient étaient liés entre eux par une sorte de confraternité cimentée par la valeur ; une insulte faite à un homme d’un corps, d’une compagnie, était vengée par tous les camarades de celui à qui elle venait d’être faite. On peut dire que jamais harmonie n’a mieux régné que dans cette armée. On ne compte que huit duels pendant les années 8 et 9 (1800 et 1801). Chaque soldat connaissait sa position ; tout le monde était frère ; un homme avait-il perdu ses effets dans une affaire, le corps le dédommageait ; la somme était faite par ceux qui en avaient les moyens.

Événemens pendant le mois de thermidor an 8 (juillet
et août 1800).

Au commencement de thermidor, le général Menou a donné des ordres pour les réglemens à exécuter en quarantaine. Il a visité les hôpitaux, a témoigné sa satisfaction au directeur des poudres et salpêtres, ainsi qu’aux commandans d’artillerie et du génie. L’escadre du capitan-pacha a continué à croiser. Deux corvettes, commandées par Isaac-Bey, ont conduit et débarqué à Damiette le général Bodot, ci-devant aide-de-camp du général Kléber, fait prisonnier. Le citoyen Bodot s’est loué des bons traitemens qu’il avait reçus du capitan-pacha. Il s’est plaint de la manière barbare dont l’a fait traiter le grand-visir Joucef-Pacha. Ce général a été échangé contre plusieurs effendis turcs. Des bâtimens arrivés de France ont appris nos succès en Europe, et la défaite des Russes. Toutes ces nouvelles ont beaucoup contribué à ramener l’esprit du soldat. Le général Menou a reçu des nouvelles du gouvernement, qu’il a communiquées par une proclamation.

La paix a été conclue avec plusieurs chefs arabes. Mourad-Bey gouverne toujours une partie de la haute Égypte. On a travaillé à approvisionner la place de Ramaniéh ; quantité de riz a été envoyée dans cette place. On a appris que les Anglais avaient des troupes à l’île de Rhodes, dans l’Archipel, et qu’on y construisait des chaloupes canonnières.

Le général Menou a organisé les contributions ; il a accordé des fonds aux corps pour leur entretien. De grandes parades ont été ordonnées ; enfin l’armée d’Orient n’a jamais autant brillé par sa tenue et par la propreté de ses armes ; elle n’est jamais resté tant de temps sans se battre.

Des grains ont été envoyés de la haute Égypte ; la citadelle du Caire a été fortifiée ; des décharges d’artillerie ont été ordonnées pour les bonnes nouvelles arrivées de France.

Proclamation (pièce connue). « Soldats ! je mande au premier consul, que je suis votre caution, et que je réponds de vous à la vie et à la mort… »

Fructidor (août et septembre).

Les généraux de l’armée se sont assemblés et se sont présentés chez le général en chef, savoir : le général Reynier, le général Verdier, le général Lanusse, l’inspecteur Daure. Le général Verdier a porté la parole (avec un écrit en 32 articles qui n’a point été lu), et a dit : « Général, les généraux de division vous observent que votre conduite est celle d’un fou ; que vous ordonnez ce que vous n’avez pas le droit de faire avant d’être confirmé par le gouvernement. Si vous continuez, un conseil s’assemblera pour conférer le commandement de l’armée à un général qui aurait dû l’avoir. » Réponse de Menou : « Généraux, si vous venez pour m’insulter, vous vous insultez vous-mêmes ; si c’est pour vous battre, voici mes armes. » Il leur montra le brevet qu’il venait de recevoir du gouvernement par les derniers bâtimens arrivés de France. Les généraux sortirent. Le général Verdier fut renvoyé en France.

L’escadre du capitan-pacha croisa au large ; des canonnières vinrent attaquer les nôtres aux bogajes de Dibé. Ces affaires n’ont été que des canonnades. Entre Alexandrie et Rosette, des bricks anglais interceptaient notre cabotage de djermes. En fructidor, la garnison de Salahiéh s’est préparée à être échangée.

Vers le 25 fructidor, le général en chef ordonna que la fête du Ier vendémiaire an 9 (21 septembre 1800) serait célébrée avec toute la solennité que pourraient le permettre les circonstances.

Le dernier jour de l’an, le général Damas ne pouvant plus sympathiser avec le général Menou, sous aucun rapport, a donné sa démission de chef de l’état-major de l’armée. Le général Menou a nommé à sa place le général de brigade Lagrange ; il a fait sentir, dans son ordre du jour, qu’il avait été satisfait de la gestion du général Damas pendant ses fonctions de chef d’état-major.

Fête du Ier vendémiaire an 9.

À la fête on a décerné des prix ; le général Menou a fait une proclamation (pièce connue).

Dans le mois de vendémiaire, il est arrivé des nouvelles de France. Toute l’armée était en bonne tenue ; la colonie prospérait.

Brumaire an 9 (novembre 1800).

En brumaire, on a appris que les Anglais avaient été forcés à Minorque et à Malte. L’armée était dans les villes les plus considérables de l’Égypte. Elle a été payée.

Le général Menou a continué à être mal avec les généraux ; il a donné le commandement de la haute Égypte au général Damas ; il a fait plusieurs autres nominations.

Frimaire et nivôse (décembre 1800, et janvier 1801).

Pendant les trois mois de frimaire, nivôse, pluviôse, le général en chef a simplifié le code d’administration. Des bâtimens sont venus de France. De ce nombre, sont les frégates la Justice, l’Égyptienne, qui nous ont apporté des conscrits, des munitions de guerre et des médicamens. Les nouvelles de France annoncèrent la paix avec l’empereur d’Autriche et la république. Partout victoires.

L’escadre du capitan-pacha était dans l’Archipel. Une petite croisière anglaise était toujours devant Alexandrie. Proclamation (pièce connue).

Pluviôse (février 1801).

L’armée était à la fin de pluviôse dans la même position que j’ai indiquée, savoir : division Friant, à Alexandrie ; Lanusse, Reynier, au Caire ; Rampon, à Damiette ; et à Rosette la colonne aux ordres du général Zayonscheck. Dans ces trois mois, l’armée a été tranquille en cantonnement.

Ventôse an 9 (mars 1801). — Grands événemens.

Le 11 ventôse, une flotte de cent trente-cinq voiles s’est trouvée au point du jour devant Alexandrie. La générale battit tout de suite. Au lever du soleil, l’escadre arbora pavillon anglais. Elle resta en panne jusqu’à onze heures. Le général Friant fit armer tous les marins, les fit placer dans les batteries et redoutes, dans les forts, phares et cretins d’observation. Il forma de sa troupe de ligne une colonne mobile, dont il prit le commandement, composée de la 75e de bataille, de la 61e de bataille, du 18e régiment de dragons, et d’une compagnie d’artillerie volante ; cette colonne se tint prête à marcher au besoin ; elle était de deux mille hommes. À onze heures et demie, l’escadre fit voile pour la baie d’Aboukir. Un coup de vent se leva, et la força de retourner au large se mettre à la cape. Les troupes de Rosette, composées de détachemens de différens corps, avec un peu de cavalerie, se tinrent en défense. Le fort d’Aboukir était armé et défendu par un bataillon de la 61e demi-brigade. Le fort Julien, au bogase de Rosette, également bien armé. Le citoyen Rinache, chef du bataillon du génie, qui avait fait faire les réparations du fort d’Aboukir, en avait le commandement. Sa conduite héroïque sera citée ci-après.

Le 11 ventôse, le général Friant dépêcha un Arabe porteur des dépêches pour le général Menou ; il arriva au Caire le 13, à deux heures après-midi. Le général Friant mandait à Menou qu’une flotte anglaise avait paru, qu’elle avait été obligée de tenir le large vu la grosse mer ; qu’il culbuterait dans la mer les Anglais s’ils s’avisaient de débarquer. Il demandait un régiment de cavalerie de plus ; avec cela et sa colonne, il répondait, disait-il, de la côte. L’adjudant Martinet, ci-devant capitaine de frégate, commandait l’avant-garde de la colonne mobile du général Friant ; le général Zayonscheck commandait la colonne de Rosette, forte de onze cents hommes. À la nouvelle de l’arrivée de la flotte anglaise, le général Menou ordonna de suite ce qui suit :

Ordre donné le 13 ventôse après-midi.

La division Reynier, composée de la 9e et 85e[1], partira pour Belbéis, pour s’y tenir en observation. Voir si le grand-visir marche sur l’Égypte, des espions ayant rapporté que le visir était en marche.

Le 14 au matin cette division partit. Le 22e régiment de chasseurs à cheval partit de son côté pour Alexandrie ; une demi-brigade le suivit. Ces troupes allèrent porter du renfort au général Friant.

Avant le départ, les généraux se rendirent tous chez le général en chef, en visite de corps. Leur but était de se réconcilier avec lui au moment où toute querelle particulière devait cesser, afin de s’entendre pour travailler tous de concert à battre l’ennemi.

Le général Menou les a reçus froidement. Le général Reynier porta la parole, et dit : « Je suis général de division, il est de mon devoir de vous communiquer mes lumières ; ce n’est plus avec des Turcs que nous avons à combattre, c’est avec une puissance européenne, qui a une armée très-supérieure. Général, j’obéis à votre ordre ; mais je vous observe que ma présence serait plus nécessaire à Aboukir. Le grand point doit être d’empêcher l’ennemi de débarquer. Je vous en donne ma parole ; je vous réponds que nous n’avons rien à craindre du côté du désert. Le grand-visir n’est pas prêt à marcher ; il manque d’outres, de chameaux et de vivres pour passer le désert ; nous aurons le temps de battre l’ennemi, et de venir après le recevoir. Je suis mieux instruit que vous ; j’ai des espions reconnus fidèles depuis long-temps. » Le général Menou n’a point accueilli ces observations. Les généraux se sont retirés.

Le 14 ventôse, à neuf heures du matin, un aide-de-camp du général Friant arrive d’Alexandrie ; il annonce que l’escadre avait reparu et mouillé à Aboukir, au même nombre de voiles. Le général était parti avec sa colonne, et avait été camper au Camp des Romains, près le fort d’Aboukir, pour s’opposer au débarquement.

Le général Zayonscheck, de son côté, était parti de Rosette, et s’était porté sur la côte jusqu’à l’embouchure du lac Madiéh, où était embossée la canonnière de la république la Victoire. Une partie de notre flottille du Nil défendait les embouchures de ce fleuve. Le général Rampon fut instruit à Damiette de ces événemens, et envoya quelques compagnies de grenadiers du côté d’Alexandrie. Le général Friant annonçait dans sa lettre, qu’un canot anglais étant venu à terre pour reconnaître le point de débarquement, ce canot avait été pris par la djerme armée de la république la Vigilante, qui allait de Rosette à Alexandrie. Des officiers de marque anglais ont été faits prisonniers : l’un d’eux a été tué.

Le général Friant apprend aussi que la frégate française la Régénérée, partie de Rochefort avec la frégate l’Africaine, est arrivée au Port-Neuf à Alexandrie, le 12 au matin ; elle nous a apporté des hommes et des armes. Le brick le Lodi est arrivé le même jour ; il était parti de Toulon il y avait dix jours. Ce bâtiment ainsi que la frégate la Régénérée ont forcé le passage, malgré la croisière anglaise, l’armée et l’escadre mouillées à Aboukir. Le brick le Lodi a apporté le traité de paix définitif avec les empereurs d’Allemagne et de Russie, et la nouvelle de la coalition du Nord.

Le général Friant continue à persuader le général en chef qu’avec ses forces il empêchera le débarquement. Ce général voulait en avoir la gloire. Il est reconnu que c’est une imprudence, et qu’il est la cause des premières fautes du général Menou. On reproche à Menou de s’être trop confié à ce général ; on lui reproche de s’être endormi au Caire ; de s’être occupé à faire célébrer des fêtes en l’honneur de la paix, tandis que l’ennemi pouvait débarquer ; on lui reproche de n’avoir pas assez envoyé de troupes de renfort au général Friant. On présume que le général Menou craignait le grand-visir, et qu’il est resté au Caire pour être à portée de défendre cette capitale contre un mouvement concerté entre l’armée ottomane et les Anglais.

Le général Friant mande que les bâtimens ennemis sont mouillés très au large.

Le général Menou fait partir deux mille hommes, le 14. Il donne ensuite ordre de faire halte. Le même jour, il fait tirer des salves d’artillerie en l’honneur de la paix.

Pièce officielle. — Menou, général en chef, à l’armée.

« Soldats ! Une armée anglaise ! une armée d’Osmanlis !… Si des troupes débarquent, vous les culbuterez dans la mer… »

Pièce officielle. — Au peuple.

« C’est Dieu qui dirige les armées ; il donne la victoire à qui il lui plaît........... »

Le même jour, cette nouvelle est expédiée au général Rampon. Des détachemens de sa division, qui étaient au Caire, retournent à Damiette. Le général Menou dirige cette division vers la haute Égypte. Des ordres sont donnés pour faire venir des grains.

Le 15 et le 16, on travaille à de grands préparatifs. Le général Menou attendait les nouvelles d’Alexandrie pour se décider à partir. Il attendait également celles de Salahiéh, pour savoir de quel côté sa présence, avec le corps d’armée, serait le plus nécessaire.

Le 19, le général en chef Menou apprend du général Friant, que le 17 ventôse, à la pointe du jour, la mer étant calme, un convoi d’embarcations, protégé par de fortes chaloupes canonnières, était venu sur trois colonnes à terre, et avaient abordé après s’être mis sur une ligne de front. L’adjudant-général Martinet avec son avant-garde a voulu empêcher le débarquement de la colonne de droite. Ses troupes étant peu considérables, il n’a pu attaquer toutes les colonnes à la fois. Le général Friant s’est aussitôt mis en marche avec sa colonne, mais l’ennemi avait déjà débarqué au nombre de six mille hommes sans canon. Le général Martinet a été blessé mortellement sur le bord de la mer. Ses troupes se sont débandées, et ont été se rallier au général Friant. Ce général se proposait de faire une vive résistance sur sa position du Camp des Romains ; il avait l’avantage d’avoir du canon, l’ennemi n’en avait que sur des chaloupes. Les Anglais, sans hésiter, montent à l’assaut à la baïonnette. Le général Friant fait une vive résistance, mais il est forcé de battre en retraite à Alexandrie, et perd deux pièces de canon. L’ennemi a pris position sur la langue de terre qui se trouve entre le lac Madiéh et la mer ; quelques régimens vont bloquer le fort d’Aboukir, qui fait entendre ses canons de 24. Le soir, un second débarquement de 6,000 hommes s’est opéré ; et le lendemain 18, un troisième, avec tout l’état-major-général de l’armée anglaise. Le général Abercromby, qui connaissait la valeur de l’armée d’Orient, jusqu’alors victorieuse de toutes les troupes qui s’étaient présentées, fit prendre de suite les mesures nécessaires pour se retrancher sur trois lignes. Des barques canonnières furent embossées à l’avenue sur la gauche des côtes de la mer. Les Anglais ne poursuivirent point nos troupes. Le général Friant fit sa retraite ; il arriva le même soir à Alexandrie. Nous avons perdu quatre cents hommes entre tués et blessés. L’ennemi a fait une plus grande perte que nous.

Détails de l’affaire.

L’adjudant-général Martinet a donné de grandes preuves de bravoure ; il a chargé avec son cheval jusque dans la mer, pour sabrer les Anglais à bord de leurs chaloupes. Les compagnies de grenadiers ont fait beaucoup de mal à l’ennemi par une longue fusillade, bien soutenue. Les canonniers français des deux pièces de canon prises ont été hachés à leur poste, ne voulant point rendre ces pièces. Les Anglais avaient ordre en débarquant de ne pas tirer un coup de fusil, et de monter à l’assaut à l’arme blanche. Ils ont donné en cette occasion, comme dans toute la campagne d’Égypte, des preuves d’une valeur froide et soutenue.

Le 18, l’ennemi débarqua des canons ; vingt-quatre pièces de 36 furent mises en position pour battre le fort d’Aboukir, qui faisait un feu terrible sur les lignes anglaises. Trente chaloupes canonnières-bombardes furent s’embosser à portée de l’artillerie. On connaît le siége, on peut dire que cette canonnade ressemblait à un combat naval.

Le 20 ventôse, le fort a été ruiné, toute la garnison a été tuée ou blessée, le commandant Vinache a été tué ; on n’a point amené le pavillon, il est tombé avec les remparts. L’armée anglaise s’est fortifiée et retranchée avec de bonnes redoutes, depuis la mer jusqu’au lac Madiéh ; dans sa position elle ne pouvait être attaquée que de front. Elle avait à droite la mer, à gauche le lac ; derrière l’embouchure du lac, plusieurs canonnières-bombardes étaient embossées.

La colonne aux ordres du général Zayonscheck, voyant le débarquement effectué, vu sa faiblesse, s’est retirée. Les lignes de signaux, par le moyen desquels le général Friant donna ses ordres au général Zayonscheck, prescrivirent au général commandant à Rosette de faire passer les troupes de Rosette, Ramaniéh, Menouf et Semenouf, sur Alexandrie. Ces troupes consistaient dans la 25e de bataille, et dans des détachemens de différens corps.

L’armée anglaise débarqua du fort calibre, qu’elle mit en position en troisième ligne. Les troupes auxiliaires furent placées de manière à ce qu’elles pussent agir à propos et selon les circonstances.

Pendant ces opérations les Arabes, qui, selon leur usage, se tournent du côté le plus fort, nous ont abandonnés ; l’or des Anglais les a décidés en faveur de ces nouveaux alliés ; ils ont fourni quantité de chevaux à l’armée anglaise, et en ont été bien payés.

À ces nouvelles, le général en chef Menou a fait partir la division Lanusse avec les autres troupes pour Alexandrie ; des ordres ont été donnés au général Rampon de s’y rendre, en traversant le Delta, et de laisser seulement à Damiette une partie de la 2e légère, la marine, et le tout aux ordres du général de brigade Morand. Le général Menou est parti lui-même avec la cavalerie, le 21 ventôse au matin ; il n’a laissé pour la garnison du Caire, vieux Caire, Gizéh et Boulacq, qu’une demi-brigade. Ainsi, presque toute l’armée était partie ; il ne restait que neuf cents hommes dans la haute Égypte, vu qu’on avait fait descendre une partie de la 21e légère, et les 9e, 13e et 85e demi-brigades de bataille, de la division Reynier, toujours à Belbéis ; la 12e formait la garnison de Salahiéh et de la citadelle.

Le 22 ventôse, arriva au Caire la division Reynier, venant de Belbéis ; ce général était revenu sans ordre ; il savait positivement que le grand-visir n’était point prêt à marcher ; il était parti le même jour avec la 85e et 13e de bataille, et son artillerie, pour Alexandrie. Le général Menou s’est formalisé de ce que Reynier avait fait ce mouvement sans ses ordres.

Le général Rampon, de son côté, était en marche pour se rendre au point de ralliement.

Le général de division Belliard resta commandant au Caire ; le général Donzelot, de la haute Égypte ; le chef de brigade Langlois, de la place de Salahiéh ; le général Morand, de Damiette ; le général Alméras, de Gizéh ; le chef de brigade Dupas, de la citadelle.

Le général Menou a rallié ses troupes pendant les journées des 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28 et 29 ventôse. Il apprit en route que le général Lanusse étant arrivé à la hauteur du camp anglais, se dirigeant sur Alexandrie, venait d’être attaqué avec sa division par l’armée anglaise, sortie de ses retranchemens pour aller pousser une reconnaissance. Le général Lanusse, après avoir rangé sa division en bataille, fit faire plusieurs feux. Son artillerie l’a bien secondé dans le commencement ; mais celle de l’ennemi ayant été renforcée, ainsi que les troupes, le général Lanusse a été forcé d’ordonner la retraite. Ses troupes ont pris la débandade, et sont entrées à Alexandrie en désordre. Les Anglais n’ont point poursuivi nos colonnes ; s’ils l’eussent fait, on croit qu’ils auraient pris ce jour-là Alexandrie.

Détails de l’affaire.

Les Anglais marchaient sur deux colonnes ; leur artillerie était tirée à bras. L’affaire a été engagée par les tirailleurs ; le 22e régiment de chasseurs à cheval a chargé avec perte. Le général Lanusse a laissé battre ses troupes en détail ; mais il a déployé de grands talens pour dérober ses forces à l’ennemi.

Nous avons perdu cent quatre-vingts hommes de tués, cent cinquante blessés. Les ennemis ont fait une perte inférieure. Cependant le général Lanusse a fait camper sa division en rase campagne devant Alexandrie ; il a couru de grands risques dans la journée du 22 ; il a souvent exposé sa vie pour encourager ses troupes et faire exécuter la retraite en bon ordre, en faisant face de temps en temps à quelques bataillons.

Après cette affaire les Anglais sont rentrés dans leurs retranchemens, et ont commencé à les fortifier par toute sorte de moyens ; des dards, des trous de loups ont été faits dans leur camp pour exterminer notre cavalerie, dans le cas où elle viendrait à y pénétrer.

Cependant les troupes de l’armée d’Orient étaient réunies, le 29 ventôse, devant Alexandrie. Le général en chef ordonna et passa la revue de l’armée ce jour-là. Voici le total des troupes, et les numéros des corps et divisions destinés à attaquer l’armée anglaise :

  Division Reynier, 85e et 13e.
  — — — Friant, 61e et 75e.
  — — — Rampon, 32e et 2e.
  — — — Lanusse, 69e, 18e et 4e.
  — — — aux ordres du général Destaing, 21e et 88e.

Corps de dromadaires, aux ordres du chef de bataillon Cavallier.

Corps de cavalerie, aux ordres du général Roize.

Menou, général en chef.

Lagrange, chef de l’état-major.

Réné, adjudant-général, sous-chef d’état-major.

Total approximatif : 9,000 hommes.

À l’arrivée du général Reynier à Alexandrie, le général Menou reprocha à ce général d’avoir abandonné son poste à Belbéis, sans avoir reçu ses ordres. Le général Reynier dit qu’il avait pris sur lui cette démarche.

Le 29 ventôse, le général Menou donna ses ordres pour les préparatifs de défense de la place d’Alexandrie, dans le cas où l’armée serait obligée de se retirer sous les remparts.

Le général en chef avait préparé son plan de bataille, je vais en donner une esquisse.

L’armée anglaise était appuyée à droite sur la mer, et à gauche sur le lac Madiéh. Le général Menou conçut le projet de faire faire une fausse attaque par les dromadaires sur la redoute de gauche, et en même temps d’attaquer vivement le centre de l’armée anglaise. Il ne voulait point chercher à pénétrer par la droite, vu les forces navales qui y étaient placées ; il se contenta de placer la division Reynier en observation.

Le 30 ventôse (21 mars), à une heure après minuit, l’armée se mit en marche ; la division Reynier sur la gauche, les dromadaires sur la droite, les divisions Lanusse, Destaing et Friant vers le centre ; la division Rampon en réserve. Avant le jour, les dromadaires étaient déjà arrivés sur leur point d’attaque. Les autres divisions approchaient, de même que les dromadaires. Les Anglais, prenant ce corps pour de leurs troupes, les laissent avancer. Ils sont déjà dans la redoute au moment même où on les reconnaît ; la fusillade s’engage. On vit dans cet instant un spectacle unique. Les Anglais se tenaient sur leurs gardes depuis plusieurs jours ; ils savaient que l’armée française faisait des mouvemens hostiles. On vit, dis-je, dans le moment où les dromadaires s’emparaient de la redoute, une fusillade générale en feux de file, se prolongeant d’un bout de la ligne à l’autre ; on aurait dit, à quelque distance une ligne de lumière placée pour une fête. Ce feu s’ouvrit sans vrai motif ; car nos troupes n’étaient point encore à la portée du fusil. Si le général Menou eût envoyé des forces aux dromadaires, il n’y a pas de doute qu’ils n’eussent pénétré dans le retranchement ; mais il ne fut point instruit de la réussite de cette attaque : il tenait d’ailleurs à son plan, qui se développait. Le général Reynier s’était porté à la droite de l’ennemi. Il tint sa colonne en file : elle commença à être canonnée vivement par les chaloupes canonnières. Les autres divisions commencent l’attaque des retranchemens à la pointe du jour. En vain le général Destaing veut forcer un angle palissadé, il y est blessé grièvement. Le général Menou ordonne, à sept heures du matin, une plus vive attaque. Les divisions Rampon, Lanusse et Destaing, dirigées par l’adjudant-général Ramon, eurent ordre de franchir le retranchement : on hésita au point que ces divisions restèrent près de deux heures sous le feu le plus vif de l’ennemi. Enfin, les troupes, encouragées par leurs généraux, font un dernier effort, mais sans succès ; elles sont obligées de rétrograder hors la portée de la mitraille : alors les dromadaires abandonnent la redoute dont ils s’étaient rendus maîtres. De toutes parts nos troupes étaient repoussées, même la division Reynier, qui, sans avoir tiré un coup de fusil, avait perdu trois cents hommes par le feu des chaloupes canonnières. Alors le général Menou, n’ayant plus aucune ressource, aurait dû se replier sur Alexandrie, ne pouvant après deux premières attaques pénétrer dans les retranchemens. Les Anglais de leur côté étaient encouragés par leurs chefs, qui leur assuraient la conquête de l’Égypte, et leur prompt retour en Angleterre. Leur artillerie était bien servie et continua le feu le plus vif. Enfin, le général Menou ordonne par écrit au général de brigade Roize, commandant notre corps de cavalerie de 1400 hommes, de charger sabre à la main dans les retranchemens. Le général de cavalerie, après quelques observations, exécute l’ordre ; les 14e, 3e, 15e, 18e, 20e, 22e et 7e régimens de cavalerie chargent, leur général à leur tête.

Menou avait enjoint à l’infanterie de suivre la cavalerie ; mais, pour approcher des retranchemens, nous perdîmes beaucoup de monde. Le général Lanusse eut une cuisse emportée par un boulet de canon ; le général Bodot fut tué ; le général Burrard le fut également, ainsi que l’adjudant-général Sornet.

Notre cavalerie, par son premier choc, a pénétré dans la première ligne ; les troupes anglaises de cette ligne ont tourné crosse en l’air et se sont couchées dans le fossé. Déjà même notre cavalerie sabrait les Anglais dans leurs tentes, lorsque le général en chef Abercromby voyant le danger imminent, se porte au centre avec un corps d’infanterie de réserve, précédé par plusieurs compagnies de grenadiers. Notre cavalerie veut se mettre en bataille, elle n’en a pas le temps. Les Anglais de la première ligne, à la vue de ce renfort, reprennent leurs armes, et mettent entre deux feux notre cavalerie qui est bientôt forcée de faire sa retraite ; notre infanterie n’avait pu la soutenir, étant retenue par le feu et la mitraille de l’artillerie de position et de campagne. Notre cavalerie perdit 650 hommes dans cette dernière attaque, où périrent le général Roize, qui la commandait, et le général Abercromby, général en chef de l’armée anglaise. Ce fut alors seulement que le général Menou, se voyant repoussé de toutes parts avec de grandes pertes, désespéra de battre les Anglais. En vain le général Rampon ranime les troupes, il veut avancer, mais il fait des pertes considérables, il revient avec son habit criblé de balles. Le général en chef ordonne enfin la retraite à une heure après-midi ; elle est mal exécutée, nos troupes sont foudroyées par le canon des Anglais, jusqu’à ce qu’elles soient hors de portée. Après l’affaire, des hommes furent envoyés de part et d’autre pour enterrer les morts.

Le général en chef Menou a eu deux chevaux blessés sous lui.

Nous avons perdu dans cette journée trois mille hommes, dont quinze cents tués ; le reste blessé ou prisonnier ; presque tous les chefs des corps ont été blessés ou tués ; outre les généraux Lanusse, Roize, Boussard, Sornet, Bodot, plusieurs chefs de brigade, et officiers de la plus grande espérance.

Les Anglais ont fait aussi de grandes pertes. On assure que le général en chef Abercromby dit en mourant : « Je meurs avec plaisir, après avoir repoussé les premières troupes du monde. »

Après sa retraite, notre armée prit la défensive. Le général ordonna ce qui suit : « Les généraux Friant et Rampon sont nommés lieutenans-généraux ; le général Destaing, général de division ; l’adjudant-général Réné, général de brigade ; le chef de brigade Dannugum, général de brigade. L’armée sera formée en deux divisions, une aux ordres du lieutenant-général Rampon, et l’autre aux ordres du lieutenant-général Friant. » Menou ordonna en outre la suspension et l’emprisonnement des généraux Reynier et Damas, pour avoir mal exécuté les instructions qui leur avaient été données à la bataille. Quelques jours après, il les fit partir pour la France avec l’adjudant-général Boyer et le commissaire-ordonnateur Daure.

Les Anglais établirent un pont de barques pour communiquer du côté de Rosette ; et ils fortifièrent leur camp. Une escadre de cent voiles arriva de Constantinople sous les ordres du capitan-pacha, qui débarqua avec son armée. À l’arrivée de ce nouveau renfort, les Anglais formèrent une armée pour marcher sur le Caire. Le général en chef Hutchinson, qui venait de remplacer Abercromby, et le capitan-pacha, se dirigèrent sur Rosette avec une armée combinée de 30,000 hommes, tant Turcs qu’Anglais. Le 19 germinal, l’ennemi s’est rendu maître de Rosette ; et le 21, le fort Julien et la flottille située au Bogaze, se sont rendus. Nos troupes, composées de trois cents hommes de garnison à Rosette, se sont repliées à Ramaniéh. À cette nouvelle, le général Menou donna le commandement d’une division, qui fut formée à Alexandrie, au général Valentin, qui partit pour couvrir Ramaniéh, en passant par Damanhour, avec deux bataillons de la 69e, la 85e demi-brigade, et quelques détachemens de cavalerie, qui arrivèrent à Ramaniéh le 25 germinal. Le général Morand, qui commandait à Damiette, reçut ordre d’évacuer la place, et de se porter avec ses forces à Ramaniéh. L’ennemi se fortifiant à Rosette, Menou envoya d’Alexandrie le général de division Lagrange, pour prendre le commandement de cette portion de l’armée, avec les 13e, 14e, et toute la cavalerie.

Enfin, le général Lagrange, avec son nouveau renfort, alla prendre position à Élaf, pour donner bataille aux Anglais. Le 17, l’ennemi avance sur trois colonnes, une sur le Delta. Leurs forces trop supérieures déterminent le général Lagrange à faire sa retraite sur Ramaniéh. La flottille force le passage à Foua ; le commandant Rouvier y est blessé.

Le 18, nos troupes se rallient à Ramaniéh. Le général Lagrange y fait armer la redoute.

Le 19 floréal, à la pointe du jour, la flottille anglaise et l’armée ont attaqué en même temps nos troupes. Le général Lagrange a déployé sa colonne, et a envoyé des tirailleurs qui, soutenus à propos par notre cavalerie et artillerie légère, ont contenu l’ennemi toute la journée. À l’entrée de la nuit, l’ennemi a fait un mouvement pour cerner notre division ; le général Lagrange a cru ce moment propice pour évacuer et faire sa retraite sur le Caire. Le 23, il est arrivé avec sa petite armée au Caire.

Le grand-visir, qui s’était rendu maître de Damiette, Salahiéh, Mikamar, Mansoura, menaçait cette capitale. Le général de division Belliard, avec les troupes qu’il avait réunies de la haute Égypte, des garnisons de Salahiéh, Belbéis et Suez, s’y était retranché, et avait fait fortifier la citadelle et Gizéh. Les corps de troupes aux ordres du général Lagrange lui apportèrent un puissant renfort ; les travaux pour la défense de la place furent activés.

De son côté, le général Menou était resserré à Alexandrie ; et enfin, le 25 floréal, nous n’occupions plus en Égypte que deux points, le Caire et Alexandrie.

Le 24, le général Belliard résolut d’aller reconnaître les forces du grand-visir ; dans la nuit, il partit pour Belbéis, et laissa seulement la garnison de la citadelle de Gizéh, et la 22e demi-brigade dans le retranchement, aux ordres du général de brigade Alméras. Le 24, à six heures du matin, le général Belliard trouva l’ennemi à Chalacan ; il le repoussa au bruit du canon. Le grand-visir avança de son côté ; alors, au-delà d’un rideau, dont la pente est insensible, notre corps avancé est enveloppé par plus de vingt mille hommes de cavalerie qui harcelaient nos troupes ; les canons et les obus faisaient un grand ravage, parce qu’ils étaient dirigés par les Anglais. Le soir, le général Belliard fit sa retraite sur le Caire, craignant un mouvement de la part des habitans de cette ville ; nous perdîmes dans cette affaire deux cent cinquante hommes. Pendant ce temps, l’armée anglaise, aux ordres d’Hutchinson, s’acheminait de Ramaniéh au Caire ; elle avançait avec de puissans moyens, et, secondée par une flottille de quatre-vingts canonnières qui remontaient le Nil. Le général Belliard prit aussi de grands moyens de défense : il adressa plusieurs proclamations aux Égyptiens, et leur dit que le signal de la révolte serait le signal de la destruction totale de la ville du Caire, la sainte et bien gardée.

Des dromadaires ont donné des nouvelles d’Alexandrie, en traversant le désert en passant par le Fayum ; le général Menou feignait d’ignorer la position du général Belliard : elle était critique. (V. le rapport de ce général.)

Le 20 prairial, les armées aux ordres du grand-visir, du capitan-pacha, et d’Hutchinson, se réunirent à la pointe du Delta ; une salve générale d’artillerie des trois armées annonça cette réunion des 80,000 hommes. Les Mameloucks qui venaient de perdre Mourad-Bey de la peste, rompirent la trève, et le traité qui avait été conclu par Kléber ; ils se rendirent au camp des Anglais. Le général Belliard avait résolu d’opposer la plus vigoureuse résistance. Le Nil fut même barré, et de fortes batteries de trente-six tiraient sur la ligne de la flottille formidable de l’ennemi.

Le 28, l’ennemi s’est avancé vers le Caire et Gizéh. Sa marche était imposante ; elle était annoncée par des signaux au bruit du canon, et les habitans étaient pleins d’effroi dans leurs mosquées. La vue de tant d’armes était terrible ; il ne fallait rien moins que l’héroïque constance de la valeur française pour voir avancer, sans se déconcerter, de telles forces, portant la terreur et la mort partout. Le général Belliard se présenta aux troupes, et leur dit : « Soldats ! rappelez-vous que dans la haute Égypte nous nous vîmes au moment d’être tous perdus ; c’est à vous, brave 21e, à qui je parle ; soldats ! vous devez mourir tous dans vos retranchemens ; mais songez que la postérité nous rendra justice ; vous le devez à l’honneur et aux mânes de vos camarades qui ont déjà tourné leurs derniers regards et leur dernière pensée vers la patrie ! » À ce mot, chaque soldat a juré de mourir dans son retranchement.

Le 29, des tirailleurs ennemis, de cavalerie et d’infanterie, ont fait l’attaque des postes et vedettes ; l’armée du grand-visir avait pris position depuis la rive gauche du Nil, en cernant le Caire, jusqu’au mont Katan, et l’armée anglaise, depuis les pyramides jusqu’à la rive droite du Nil.

Le Ier messidor, une attaque de reconnaissance a été faite en même temps de la part des deux armées. Le canon les a repoussées aux approches de Gizéh. Dans la nuit du Ier au 2, des batteries de brèche ont été dressées. Le 3, l’ennemi a demandé si on voulait entrer en négociation. Le général a demandé à consulter son conseil de guerre.

Le soir du 3, le général Belliard l’a assemblé ; le général Barrière a été chargé de faire connaître la position de la place ; les commandans d’artillerie et du génie ont présenté l’état des fortifications et munitions de guerre ; après, on a mis aux voix. Sur vingt-cinq officiers réunis en conseil, vingt-un ont voté pour traiter. Les généraux Lagrange, Valentin, Denauter, et le chef de brigade Dupas, commandant la citadelle, ont donné un avis contraire.

Le 9, le traité d’évacuation de la ville du Caire, a été conclu. Les hostilités ont cessé. Le 25, l’armée est partie pour se rendre au point de l’embarquement, où elle est arrivée, et a été totalement embarquée le 22 thermidor. Ainsi la division aux ordres du général Belliard est rentrée avec armes et bagages en France, et avec du canon, en signe d’honneur. Je rejoignis ce corps d’armée ; ainsi je n’entrerai pas dans le détail des faits qui se sont passés depuis à Alexandrie. Le corps anglais, qui y était resté en position, s’était retranché, non-seulement par une ligne d’ouvrages, mais encore en rompant les digues, et en faisant ainsi des saignées au lac, afin de produire des inondations qui interceptèrent toutes les communications entre Alexandrie et Ramaniéh, et permirent à la flottille anglaise de concourir à l’attaque d’Alexandrie.

Ceci mérite une explication : les terres qui environnent Alexandrie, sont plus basses que le niveau de la mer, dont les flots ne sont arrêtés que par les éminences qui bordent la côte. Ainsi on doit considérer toutes ces éminences comme des digues naturelles qui tiennent la mer dans ses bornes. On a dit dans plusieurs relations, et dans divers ouvrages sur l’Égypte, que le non-entretien et la dégradation des canaux du Nil ont été la cause de la formation de plusieurs lacs, tels que ceux de Menzaléh et de Burlos ; le premier à l’est de Damiette, et l’autre au centre d’Adebra. Il n’en est pas de même des lacs Mareotis et Madiéh, plus rapprochés d’Alexandrie. De grands coups de vents ayant agité la mer, lui ont fait franchir les digues naturelles, et les eaux se sont accumulées aux environs d’Alexandrie et d’Aboukir ; elles ont formé ces deux derniers lacs d’eau saumâtre.

Une plus grande fracture faite aux digues peut inonder toute cette partie occidentale de l’Égypte.

Cette opération entra dans les combinaisons des Anglais pour resserrer le blocus d’Alexandrie, et pour avoir un plus grand nombre de forces disponibles. Ils employèrent quatre mille hommes à faire une plus large ouverture à la digue, et même à en faire une plus grande au-delà de la Maison carrée. Ils réunirent ainsi le lac Madiéh au lac Mareotis, en inondant tout l’espace de terrain qui les séparait. Il ne fut plus possible de communiquer à Alexandrie, qu’en suivant les éminences du bord de la mer ; et une flottille considérable de plus de quatre-vingts chaloupes canonnières, bricks et djermes armés, entrant par la passe, alla débarquer des troupes à la colonne de Pompée. Là étaient nos retranchemens extérieurs, et il y eut plusieurs affaires. Le 22 thermidor, pendant que l’escadre anglaise faisait une fausse attaque, le général ennemi assaillait les ouvrages extérieurs, et s’en emparait. Au commencement de fructidor, les Anglais se rendirent maîtres du Marabou, et alors la place d’Alexandrie fut totalement bloquée. Ne recevant plus aucun secours, et dépourvu de tout, le général Menou envoya d’abord demander un armistice, et le 15 fructidor (2 septembre 1801), il signa la capitulation d’Alexandrie.

C’est ainsi que l’Égypte nous est échappée ; c’est ainsi que la France a perdu cette superbe possession, après y avoir sacrifié une escadre, et avoir fortifié inutilement le Caire, Damiette, Gizéh, Alexandrie, Salabiéh, Aboukir et Ramaniéh. Nous y avons perdu un bon tiers de l’armée, et les meilleurs soldats de la république.


FIN DES MÉMOIRES SUR L’EXPÉDITION D’ÉGYPTE.

  1. Le reste de la division formait la garnison du Caire et de Salahiéh.