Mémoires secrets de Bachaumont, Tome Deuxième (1766-1769)

Texte établi par M. J. Ravenel, Brissot-Thivars éditeurs & A. Sautelet et Compagnie (Tome II (1766-1769)p. 1-460).
MÉMOIRES

SECRETS.



1766.

Ier Janvier. — M. le chevalier de Boufflers continue à enrichir notre poésie de ses jolies productions : voici des vers qu’il a faits pour sa mère, le jour de Sainte-Catherine, sa fête. Ils n’ont assurément pas la fadeur des bouquets ordinaires :


Votre patrone, au lieu de répandre des larmes,
Le jour qu’elle souffrit pour le nom de Jésus,
Parla comme Caton, mourut comme Brutus ;
ParlaElle obtint le ciel : et vos charmes
ParlaL’obtiendront comme ses vertus.
Reniez Dieu, brûlez Jérusalem et Rome,
Pour docteurs et pour saints n’ayez que les Amours ;
ParlaS’il est vrai que le Christ soit homme
ParlaIl vous pardonnera toujours.

3. — Une nouvelle femme auteur entre en lice : c’est madame Benoît, auteur d’Élisabeth, roman en quatre parties. Il affecte le cœur ; les caractères en sont bien dessinés et bien soutenus. Tout y est naturel et ressent le ton de la bonne compagnie.

4. — On lit dans le Journal encyclopédique du 15 décembre 1765, l’annonce suivante : « On a enfin donné à M. d’Alembert, le 16 novembre dernier, la pension que M. Clairaut a laissée vacante, et à laquelle M. d’Alembert avait tant de droits. Il est vrai qu’il n’avait pas fait la moindre démarche pour l’obtenir. Mais douze volumes in-4o qu’il a donnes au public sur la plus haute géométrie (indépendamment de tous ses autres ouvrages), les représentations réitérées de ses confrères, et les vœux de tous les gens de lettres et du public, demandaient pour lui cette pension depuis plus de six mois. Quoiqu’il semblât dans cet intervalle que cette justice souffrait quelques difficultés, il a été vivement sollicité, comme nous l’apprenons par nos correspondans, d’accepter dans les pays étrangers les places les plus avantageuses et les plus brillantes. Ceux qui connaissent M.  d’Alembert ne s’étonneront pas qu’il ait fait à sa patrie et à ses amis ce nouveau sacrifice. Il y aurait eu lieu de s’étonner que la France fût le seul pays où l’on ne rendît pas justice à un savant qui donne de tels exemples. »

8. — M.  Du Clairon vient de nous donner la traduction d’une tragédie britannique, intitulée : Gustave Vasa ou le Libérateur de son pays[1]. La pièce est de M.  Henri Brooke, écuyer. Elle n’a presque point de rapport avec celle de M.  Piron[2]. Ces deux auteurs ont envisagé leur sujet d’une manière opposée. Il y a de grandes beautés dans ce drame, et des coups de pinceau dans la manière anglaise, que le traducteur a bien rendus.

9. — Copie d’une lettre de M.  de Voltaire à M. le marquis de Villette.

Au château de Ferney, le 4 janvier 1766.

C’est vous, Monsieur, qui m’avez appris que de bons et braves citoyens de Paris avaient porté des chandelles à la statue d’Henri IV. Je vous dois la réponse que je fais à ces bonnes gens. Si j’avais été a Paris je les aurais accompagnés ; mais comme je ne veux point me brouiller avec les moines de Sainte-Geneviève, je vous demande en grâce, avec les instances les plus vives, de ne laisser prendre aucune copie de ces vers[3]. Il est vrai que de la poésie allobroge, venant du pied du Mont-Jura et du fond des glaces affreuses qui nous environnent, ne mérite guère la curiosité des gens de Paris ; mais le sujet est si intéressant, qu’il peut tenter les moins curieux.

De plus, il m’est important de savoir ce qu’on pense de ces vers avant qu’on les publie. Je dois peut-être adoucir la préférence trop marquée que je donne à l’adorable Henri IV sur sainte Geneviève. Ma passion pour ce grand homme m’a peut-être emporté trop loin. Je n’ai songé qu’aux bons Français en composant cet ouvrage tout d’une haleine, et je n’ai pas assez songé aux dévots, qui peuvent trop songer à moi.

Recueillez les voix, je vous en prie, et instruisez-moi de ce qu’on dit, afin que je sache ce que je dois faire.

Vous m’appelez plaisamment votre protecteur, et moi je vous appelle sérieusement le mien dans cette occasion.

Réponse de M. le marquis de Villette.

Lorsque je reçus votre lettre,
Dont je suis encore attendri,
Chacun commençait à connaître
Votre Oremus au grand Henri.
Dans une espèce de bréviaire

Je l’insérai dévotement :
Moitié triste, moitié content
Je le chantais à ma manière.
Mais tel que ces vieux libertins,
Ces invalides de Cythère,
Qui nuls, et même les matins[4],
Se bercent de mille chimères,
Qui voudraient, quoique sans vigueur,
Cueillir cette première fleur
Qu’un vieux pécheur ne trouve guères,
J’aurais voulu tenir de vous
Jusqu’au moindre petit ouvrage,
Pouvoir l’admirer avant tous
Et jouir de ce pucelage.
Ah ! qu’il m’aurait fait de jaloux !
Il m’eût procuré l’avantage
De publier ces vers touchans
Que dévots lisent avec rage,
Avec transport les bonnes gens.
C’est ainsi que chacun raisonne.
Votre muse après soixante ans
Nous plaît encore et nous étonne,
Elle joint aux fruits de l’automne
Les fleurs brillantes du printems.

10. — Il paraît un Mandement de M.  l’archevêque de Paris, qui ordonne des services dans cette capitale pour le repos de l’âme de feu M.  le Dauphin. On l’admire et l’on est attendri du pathétique qui règne dans cet ouvrage. On raconte à cette occasion que M.  l’archevêque s’étant trouvé avec Piron ces jours-ci, lui a demandé ce qu’il en pensait et s’il l’avait lu ; « Non, Monseigneur, a répondu le vieux caustique ; et vous ? »

15. — Le Cœur,
Par M.  le chevalier de Boufflers.

Le cœur est tout, disent les femmes.
Sans le cœur point d’amour, sans lui point de bonheur :
Le cœur seul est vaincu, le cœur seul est vainqueur.
Mais qu’est-ce qu’entendent ces dames,
En nous parlant toujours du cœur ?
En y pensant beaucoup, je me suis mis en tête
Que du sens littéral elles font peu de cas,
Et qu’on est convenu de prendre un mot honnête
Au lieu d’un mot qui ne l’est pas.
Sur le lien des cœurs en vain Platon raisonne,
Platon se perd tout seul et n’égare personne.
Raisonner sur l’amour, c’est perdre la raison ;
Et dans cet art charmant la meilleure leçon
C’est la nature qui la donne.
À bon droit nous la bénissons
Pour nous avoir formé des cœurs de deux façons ;
Car que deviendraient les familles,
Si les cœurs des jeunes garçons
Étaient faits comme ceux des filles ?
Avec variété nature les moula,
Afin que tout le monde en trouvât à sa guise.
Prince, manant, abbé, nonne, reine, marquise,
Celui qui dit Sanctus, celui qui crie si Allah !
Le bonze, le rabbin, le carme, la sœur grise,
Tous reçurent un cœur : aucun ne s’en tint là.
C’est peu d’avoir chacun le nôtre,
Nous en cherchons partout un autre.
Nature, en fait de cœurs, se ploie à tous les goûts.
J’en ai vu de toutes les formes,
Grands, petits, minces, gros, médiocres, énormes.
Mesdames et Messieurs, comment les voulez-vous ?
On fait partout d’un cœur tout ce qu’on en veut faire ;
On le prend, on le donne, on l’achète, on le vend ;

Il s’élève, il s’abaisse, il s’ouvre, il se resserre ;
C’est un merveilleux instrument.
J’en jouais bien dans ma jeunesse ;
Moins bien pourtant que ma maîtresse.
Ô vous, qui cherchez le bonheur,
Sachez tirer parti d’un cœur.
Un cœur est bon à tout ; partout on s’en amuse ;
Mais à ce joli petit jeu,
Au bout de quelque temps il s’use ;
Et chacune et chacun finissent, en tout lieu,
Par en avoir trop ou trop peu.
Ainsi, comme un franc hérétique,
Je médisais du Dieu de la terre et du ciel :
En amour j’étais tout physique ;
C’est bien un point essentiel,
Mais ce n’est pas le point unique.
Il est mille façons d’aimer ;
Et ce qui prouve mon système,
C’est que la bergère que j’aime
En a mille de me charmer.
Si de ces mille ma bergère,
Par un mouvement généreux,
M’en cédait une pour lui plaire,
Nous y gagnerions tous les deux.

16. — Mademoiselle Mandeville a débuté hier aux Italiens, et a eu beaucoup de succès. Sa voix est d’un volume très-étendu, et d’un timbre harmonieux et flexible. Elle joint à une taille élégante une figure très-avantageuse. Elle a beaucoup d’expression dans son regard, d’âme dans son jeu, et joint à ces talens une grande intelligence. C’est une acquisition précieuse.

17. — Mademoiselle La Chassaigne, dite Sainval[5], nièce de mademoiselle La Mothe, ancienne actrice de la Comédie Française, a débuté hier à ce spectacle dans le rôle de Phèdre. On sent bien qu’un pareil rôle, le chef-d’œuvre du poète et du comédien, a été très-pitoyablement rendu. On voit dans cette jeune personne beaucoup de singeries de mademoiselle Clairon. Le vrai talent ne singe personne.

18. — Nos nymphes d’Opéra reproduisent les beaux jours de la galanterie antique. Mademoiselle Allard, célèbre danseuse, et remarquable par sa gaieté et ses folies chorégraphiques, pénétrée de douleur de la mort de son amant, M.  Bontemps, a déclaré que de six semaines elle ne pourrait contribuer aux plaisirs du public. Mademoiselle Basse, danseuse de chœurs, peu connue par ses talens, mais très-digne de l’être par sa constance héroïque, ayant elle-même engagé son amant, M. Prévôt, à contracter un mariage que sa famille désirait, a refusé toutes les pensions qu’on voulait lui faire. Elle a demandé qu’on eut soin de ses enfans, et s’est retirée dans un couvent, ou elle doit prendre le voile, après une vocation bien décidée.

22. — L’Académie Française a arrêté de faire célébrer un service pour le repos de l’âme de M.  le Dauphin. Elle a demandé en même temps la permission au roi d’en faire l’oraison funèbre par un de ses membres, et l’abbé de Boismout a été nommé pour cette cérémonie.

23. — L’on apprend la mort du célèbre Servandoni, arrivée le 20 de ce mois. C’était un homme d’un talent supérieur en architecture, mais d’une inconduite inconcevable. Nous avons négligé d’annoncer celle d’Armand, comédien célèbre, mort il y a deux mois[6]. Il y avait des écarts, dans son jeu, qui n’appartenaient qu’à lui, et qui le rendaient plus original.

24. — Œuvres diverses de M.  de Marivaux[7]. L’insatiable cupidité de plusieurs libraires et d’un tas d’éditeurs infâmes, non contente d’avoir travesti les vivans insulte encore à la cendre des morts, en ramassant sans choix tout ce qu’ont fait les auteurs célèbres, et même ce qu’ils n’ont pas fait. Les deux premiers volumes de cette collection contiennent le Don Quichotte moderne, ouvrage de la jeunesse de M.  de Marivaux, qui, dit-on, eut alors beaucoup de succès, qu’il ne méritait pas, et corrigé par l’auteur dans sa vieillesse. Le troisième offre l’Iliade en vers burlesques, projet le plus injurieux à la mémoire de l’auteur, et dont l’exécution aurait dû être à jamais ensevelie dans les ténèbres. Le dernier renferme quelques dialogues et de méchantes historiettes. En un mot, l’auteur serait indigné s’il voyait reproduire au grand jour ces erreurs de sa jeunesse.

26. — Mademoiselle Doligny continue à donner des exemples d’une sagesse et d’une vertu rares. M.  le marquis de Gouffier, éperdument amoureux d’elle, lui a d’abord fait les offres les plus brillantes qu’elle a refusées. Il a poussé la folie au point de la demander en mariage, et de lui envoyer le contrat prêt à signer. Elle a répondu prudemment qu’elle s’estimait trop pour être sa maîtresse, et trop peu pour être sa femme.

27. — Il s’était répandu le bruit que le Journal de Trévoux serait supprimé. Il paraît un avertissement du libraire qui en annonce la continuation, il est même question de lui donner une existence plus solide, en confiant à la Congrégation de Sainte-Geneviève l’exécution de cet ouvrage périodique, dont M.  Mercier, bibliothécaire, s’est déjà chargé comme simple particulier.

2 Février. — Le Barnevelt, tragédie de M.  Le Mière, sur lequel on comptait, essuie à présent des difficultés. Il y a dans ce drame des morceaux qui ont trait aux circonstances actuelles. Barnevelt, comme l’on sait, fut jugé par une commission[8]. En conséquence, fortes et grandes tirades contre ce tribunal. Notre gouvernement a craint qu’on ne fît des allusions malignes. En un mot, la police a redemandé cette pièce aux Comédiens.

4. — La différence du patriotisme national chez les Français et chez les Anglais, par M.  Basset de La Marelle, premier avocat-général au parlement de Dombes[9]. Cet ouvrage, plein d’éloquence et de chaleur, se ressent trop du zèle de l’auteur. À force de vouloir montrer combien le patriotisme français l’emporte sur le patriotisme anglais, il affaiblit lui-même son raisonnement : il le pousse au point de prétendre que le patriotisme soit nul en Angleterre. Qui croira cet étrange paradoxe ?

M.  Bouchaud, censeur royal et docteur agrégé de la Faculté de Droit, vient de publier une traduction anglaise d’Essais historiques sur les lois[10], avec des notes et une dissertation de sa façon. Le traducteur, qui réunit à une profonde connaissance de la jurisprudence la science de l’histoire et une vaste et agréable littérature, a dépouillé l’anglais de ses raisonnemens prolixes et souvent inutiles, et a jeté dans cet ouvrage autant de savoir que d’agrément.

— Il va paraître incessamment un essai historique de M. l’abbé comte de Guasco, de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres de Paris, intitulé : De l’usage des statues chez les anciens[11]. On voit déjà dans le Journal Encyclopédique un extrait détaillé de cet ouvrage, et le censeur en donne la plus grande idée.

5. — M. l’abbé Aubert a tiré du poëme de Gessner, intitulé : La mort d’Abel, un drame sur le même sujet, en trois actes et en vers[12]. Il serait à souhaiter que cette pièce fût représentée ; elle ramènerait sur notre théâtre cette simplicité dont nous sommes si éloignés, auprès de laquelle les ornemens étrangers qu’on lui substitue sont si puérils lorsqu’ils ne tiennent point à l’action. La poésie est proportionnée au genre, c’est-à-dire d’une diction pure, noble et sans enflure. La pièce avait d’abord été faite en cinq actes. Sur les avis de ses amis, l’auteur l’a refondue et mise en trois actes. Il a fait imprimer séparément les morceaux retranchés, où il y a encore de belles choses. À la suite est le Vœu de Jephté, petit poëme du même auteur, pour être mis en chant, dans lequel on trouve la marche de l’épopée.

6. — Il paraît que mademoiselle Clairon se dispose à satisfaire aux vœux du public, et qu’elle doit remonter sur la scène après Pâques, c’est-à-dire à l’expiration de son congé. Cependant elle a toujours sur le cœur cette terrible excommunication. Elle ne cesse de faire des consultations et d’intéresser quantité de jurisconsultes dans sa cause. Il y a souvent des comités chez elle, et l’on vient enfin d’y rédiger un Mémoire pour la cour de Rome. Elle souhaiterait, en outre, qu’au lieu de la qualité de Comédiens Français, on intitulât sa troupe : Académie royale de Déclamation.

7. — Il est assez plaisant de voir un Russe vouloir corriger Racine. C’est ce que vient de faire M.  de Yemrof, de l’Académie Impériale de Pétersbourg, dans un livre intitulé : Remarques de Grammaire sur Racine, pour servir de suite à celles de M. l’abbé d’Olivet, avec des remarques détachées sur quelques autres écrivains du premier ordre[13]. Entre un grand nombre de ces remarques, peu justes pour la plupart, il en est quelques-unes de judicieuses. Toutes prouvent en général, dans l’auteur, une grande connaissance de notre langue, et une longue et très-heureuse étude de nos auteurs et de notre littérature. Le critique, aux remarques sur Athalie et sur la Thébaïde, a joint des remarques sur les pièces de Racine, examinées déjà par M.  l’abbé d’Olivet ; des remarques critiques sur l’Art de peindre, de M. Watelet, sur le commencement de la Henriade, et sur quelques-uns des plus célèbres écrivains français, tels que M.  de Voltaire, Fontenelle et l’abbé de Vertot ; enfin des observations sur Boileau.

9. — Dans l’Avant-Coureur du 3 septembre 1764, on avait adressé, au nom d’une madame de Ch…, des reproches à M.  Dorat sur sa lettre de Zéila à Valcourt. Cette dame trouvait mauvais que l’auteur eût chargé notre nation d’une atrocité purement anglaise. Notre poète, plus galant, ramène son héros aux pieds de celle qu’il a trahie. L’Héroïde est précédée d’une préface, où M.  Dorat nous apprend que voici l’avant-dernier ouvrage qu’il produira dans ce genre, trop borné pour ne pas dégénérer en galanterie fastidieuse. Il fera bien, s’il peut tenir parole.

12. — M.  de Méhégan, Irlandais, connu par quelques romans, par ses démêlés avec Fréron, et comme ayant travaillé à quelques journaux, vient de mourir[14]. Il avait eu l’illustration de la Bastille pour son livre intitulé : L’origine des Guèbres, ou la Religion naturelle mise en action, où il y avait des choses hardies.

13. — L’Antiquité dévoilée par ses usages, dont nous avons parlé[15], se répand à Paris avec la permission de la police. Il y a déjà long-temps quelle tenait en échec un libraire qui en avait fait passer douze cents exemplaires. Il vient d’avoir permission de les débiter avec des cartons.

19. — Les Comédiens Italiens ont donné aujourd’hui sur leur théâtre la première représentation de la Bergère des Alpes, comédie en trois actes et en vers, mêlée d’ariettes. Ce drame de M.  Marmontel, préconisé depuis quelque temps[16], ne répond point à l’attente qu’on en avait conçue. Le premier acte a fait plaisir ; les deux autres sont pleins de remplissages et dénués d intérêt. La musique, qui avait été goûtée d’abord et avait paru agréable, s’est ressentie de la faiblesse des second et troisième. Elle est de M.  Kohaut.

21. — Pastorales et Poëmes de M.  Gessner, qui n’avaient pas encore été traduits, suivis de deux Odes de M. de Haller, traduites de l’allemand, et d’une Ode traduite de l’anglais de Dryden en vers français (par l’abbé Bruté de Loirelle)[17]. Toutes les pièces rassemblées ici font honneur à la poésie allemande. Les deux principales sont des pastorales. L’une a pour titre Éraste ; elle est composée d’un seul acte, et peint les douceurs de l’amour conjugal entre deux époux, dont la misère ne peut altérer l’union et la tendresse ; le dénouement en est heureux et d’un pathétique singulier. L’autre est une imitation de Daphnis et Chloé ; elle est intitulée Érandre et Alcimne. L’auteur a conservé des mœurs de l’honnêteté la plus circonspecte.

22. — Portrait de feu Monseigneur le Dauphin[18]. Cet ouvrage, attribué à M.  le duc de La Vauguyon, est un monument élevé par la douleur et la reconnaissance à ce prince, mort à la fleur de son âge. On y détaille peu les principaux traits de sa vie qui peuvent le caractériser, et l’on s’attache surtout à sa mort, qui en est l’époque la plus remarquable. L’éloge est simple et noblement écrit. Il est dédié au Dauphin actuel ; on prédit à ce prince qu’il sera aussi grand, aussi vertueux que son père, et que son grand-père.

23. — On a parlé d’un drame intitulé : la Partie de Chasse de Henri IV, comédie en trois actes et en prose, de M.  Collé, lecteur de Son Altesse Sérénissime Monseigneur le duc d’Orléans. Il se répand aujourd’hui imprimé[19]. Ce prince paraît ici, en quelque sorte, en déshabillé. On y peint quelques instans de sa vie privée. L’auteur avertit qu’il a puisé le fond de cet ouvrage dans une pièce anglaise, la même dont M. Sedaine a tiré le roi et le fermier. Ainsi voilà le mérite de l’invention nul. Celui de M. Collé est d’avoir adapté, dans son premier acte, différens traits et discours tirés des Mémoires de Sully. Dans les autres, il peint la naïveté, la sensibilité, les qualités aimables, et les faiblesses peut-être de ce grand roi. Quelques gens de mauvaise humeur jugent que c’est le dégrader ; d’autres qu’il est consolant de se retrouver dans son maître. Quoi qu’il en soit, la pièce n’a pu être jouée aux Français par ces raisons.

25. — M. l’abbé Coyer vient de faire paraître une brochure, moitié scientifique, moitié burlesque, intitulée de la Prédication[20]. Quoiqu’elle se vende publiquement et avec toutes les garanties de la police, nous ne doutons pas que cette brochure ne soit bientôt arrêtée. L’auteur prétend que, depuis Adam, aucun sermoneur ou moraliste n’a fait de conversion ; que toutes les belles sentences débitées, soit dans les chaires, soit aux théâtres, soit dans les écoles de philosophie, ne servent à rien pour l’épurement des mœurs ; que c’est au gouvernement, par une administration fondée sur de bons principes, sévères et soutenus, à former le cœur des citoyens, ou du moins leur conduite. En un mot, punir le vice et récompenser la vertu, voilà les deux mobiles sur lesquels doit rouler toute législation. L’auteur trace, d après ces principes, un plan de police intérieure, aussi qu’impossible à exécuter. Le livre est écrit avec une sorte de chaleur et de rapidité, En général, cet auteur ne peint ni largement, ni à grands traits : sa manière est petite et mesquine. Il y a dans cet ouvrage un tableau de Paris qui n’est point neuf.

27. — M. Dorat vient d’enrichir encore, pour la dernière fois, son recueil d’opuscules légers d’un nouveau poëme, intitulé les Tourterelles de Zelmis[21]. Cette bagatelle ne vaut pas à beaucoup près le Vervet. Ce sont des vers amoncelés avec beaucoup de facilité, mais sans nulle invention. La préface est assez bien écrite, quoique avec un peu trop de prétention. D’ailleurs, elle contient beaucoup d’assertions hasardées, entre autres celle de prétendre que nous n’avons point de poëme érotique dans notre langue.

28. — Les Italiens ont donné hier la première représentation d’une comédie en un acte, mêlée d’ariettes, intitulée le Braconnier et le Garde-Chasse. Elle a été trouvée détestable.

2 Mars. — Le Préservatif contre le Clergé, ou Lettre à un curé, de près de quatre-vingts pages. Cet écrit tend à prouver : 1° que la bulle Unigenitus n’est, ni ne peut être une loi dogmatique ; 2° que le souverain a droit d’imposer silence sur un pareil décret, et de lui fermer l’entrée de ses États ; 3° que, cette loi fut-elle réellement dogmatique, l’opposition n’est pas un crime ; 4° que, dès-lors, l’opposition ne peut être punie par un refus de sacremens ; 5° que, quand elle serait de nature à mériter cette punition, elle n’a été prononcée par aucune loi ; 6° que le magistrat peut donc et doit empêcher ce refus ; 7° enfin, que tout exercice extérieur du ministère religieux est soumis à l’inspection des lois et du magistrat, qui en est, par son état, le défenseur.

4. — On débite, imprimée, une Réponse du roi au parlement, en date du 3 mars, dont le fonds et la forme sont également intéressans. Ce sont les principes du despotisme établis avec la plus grande hardiesse sur ceux du droit naturel. Quant au style, il est fort, nerveux, noble, à quelques phrases près très-entortillées.

5. — On a donné avant-hier la première et dernière représentation du Gustave de M.  de La Harpe. Ce drame a ou beaucoup de peine à parvenir jusqu’à la fin, et les deux derniers actes ont été soufferts très-impatiemment. Rien de plus misérable en effet. Cet auteur, au lieu d’augmenter, n’a fait que décroître depuis sa première tragédie, et montre absolument dans celle-ci son incapacité. C’est un monstre dramatique de toutes façons, où il ne se trouve aucune beauté, même de détail.

6. — Un auteur a voulu venger la gloire de Beauvais, qu’on reprochait à M. de Belloy d’avoir flétrie mal à propos. En conséquence, il a fait le Siège de Beauvais, ou Jeanne Laisnè, tragédie en cinq actes[22]. Cet ouvrage est d’un honnête citoyen, plus capable sans doute de faire une bonne action que de composer un bon drame : c’est M.  Araignon, avocat.

7. — Le Père Fidèle, de Pau, Capucin de la province d’Aquitaine, a prononcé au couvent des Capucins de Paris une Oraison funèbre de Monseigneur le Dauphin[23], qui paraît imprimée. À travers tout le galimatias et le ridicule dont elle est pleine, on découvre une imagination vive et ardente, un génie hardi et fécond. Il ne manque à ces deux facultés que du jugement pour les diriger ; l’auteur fait un abus de termes, qui dénature absolument ses idées. On prétend qu’il a pillé une pareille Oraison funèbre, prononcée autrefois pour le Grand-Dauphin, qu’on trouve imprimée dans quelques recueils. Elle était si plaisante, que madame de Maintenon ne trouva point de meilleur moyen, pour mettre un terme à la douleur de Louis XIV, que de lui faire lire cet ouvrage, dont il ne put s’empêcher de rire.

8. — On vient d’imprimer par ordre du parlement de Provence le fameux discours de M. Le Blanc de Castilhon, dont nous avons donné un extrait[24]. On y rapporte cet extrait, que l’on supprime et condamne comme calomnieux envers le magistrat. Par une singularité inconcevable, ce même précis se retrouve épars tout entier dans le discours, à quelques phrases près, qu’on sent très-bien avoir été supprimées. Il résulte de cette justification, que l’extrait était vraisemblablement très-bien fait, et qu’on n’a rien imputé à M.  de Castilhon qu’il n’eût dit ; mais il convenait de le désavouer. Ce discours, du reste, est très-beau, très-éloquent, et rempli de grandes vues.

9. — M.  de Caylus, en mourant, avait souhaité qu’on mît sur son tombeau à Saint-Germain l’Auxerrois, sa paroisse, un vase antique de porphyre très-cher et très-précieux[25]. Le curé de la paroisse a fait des difficultés : il a témoigné des scrupules de faire entrer dans son église cet ornement profane. La chose n’est point encore décidée. M.  de Caylus voulait qu’on y joignît pour épitaphe : Ci-gît Caylus.

11. — L’Académie des Sciences vient de perdre un célèbre chimiste, M.  Hellot, mort à Paris le 15 février, âgé de quatre-vingt-huit ans. Il avait été chargé de la composition de la Gazette de France, depuis 1718 jusqu’en 1732 ; et cette Gazette, à ce qu’on prétend, était devenue très-intéressante entre ses mains. Mais son mérite brille essentiellement dans les Mémoires de l’Académie, où il développe les plus grandes connaissances dans la Chimie, et le style le plus correct dans sa composition. Le Conseil l’avait charge d’une espèce d’inspection sur les teintures, l’exploitation des mines, et la fabrication des porcelaines de France ; et il a répandu sur tous ces objets des lumières qui seront très-utiles à ceux qui lui succèdent.

12. — L’Oraison funèbre, par le père Fidèle de Pau, a fait tant de bruit dans ce pays où l’on rit de tout, qu’il a fallu l’arrêter, et la police vient de la défendre, ce qui l’a rendue très-chère. Depuis quelque temps l’auteur en avait débite une avec des notes, dont on a saisi deux cents exemplaires dans sa chambre.

13. — M.  de Rosoy vient de faire imprimer un poëme en six chants et en vers libres, intitulé les Sens[26]. Ce gros volume, orné d’estampes et de vignettes, est très-bien imprimé. L’ouvrage est très-médiocre, dénué d’imagination, et l’on a dit plaisamment qu’il y manquait encore un sens.

14. — On est resté long-temps indécis sur la rentrée de mademoiselle Clairon ; il y a eu même là-dessus dissension entre M.  de Valbelle, son amant, et l’actrice en question. Il paraît que le goût naturel de cette héroïne pour la scène, l’envie de perpétuer sa célébrité, et peut-être des raisons de fortune, l’avaient déterminée à passer par-dessus la satisfaction qu’elle se croyait en droit d’attendre pour un châtiment[27] qu’elle ne s’était attiré que par des motifs aussi nobles que louables. Ce militaire délicat sur l’honneur, n’avait pas pensé de même, et prétendait qu’il fallait tout sacrifier plutôt que de faire une démarche peu glorieuse. La dispute avait été si vive entre eux, que le bruit d’une rupture avait couru. Cependant des amis communs ont cherché à les rapprocher, et M. de Valbelle a consenti à s’en rapporter à un comité de gens sages et éclairés. En conséquence on est allé au scrutin chez mademoiselle Clairon, et le grand nombre ayant été pour qu’elle rentrât, M.  de Valbelle y a acquiescé.

15. — Projet d’Écoles publiques[28]. L’auteur de ce projet relève très-bien, dans la première partie de son ouvrage, les abus de l’éducation ordinaire de nos collèges. La difficulté est d’en substituer une réellement bonne. L’auteur en simplifie les objets, et réduit à quatre le nombre des professeurs.

Mademoiselle de R… à son fils, ouvrage philosophique en vers. Ce titre peu édifiant pourra surprendre et même scandaliser les lecteurs. C’est une amante qui, devenue mère, se propose de racheter sa faiblesse par toutes les vertus, et surtout par les soins qu’elle donne à l’éducation de son fils. Il y a de belles choses, et surtout beaucoup de sentiment, dans cette espèce d’Épître.

17. — L’Enthousiasme français[29]. Cette brochure de M. Marchand est la redondance d’un homme d’esprit qui ne peut plus contenir ce qu’il pense. Elle n’est ni aussi légère, ni aussi agréable que celles de sa jeunesse ; elle se sent de la pesanteur de l’âge. L’auteur passe en revue les différens objets qui ont fait la matière des conversations de Paris, depuis les Pantins jusqu’à la scène que firent les histrions français au public, à la rentrée de Pâques 1765[30]. Il finit par une apologie du gouvernement français ; il prétend que c’est celui dans lequel on goûte le plus de liberté.

18. — M. Villaret, le continuateur de l’Histoire de France commencée par l’abbé Velly, est mort ces jours-ci. Il laisse son Histoire à Louis XI : il était plus diffus que son prédécesseur, et n’était pas aussi bien goûté par quantité de gens. Le libraire a choisi M.  l’abbé Garnier pour lui succéder.

19. — Il court une Lettre manuscrite, qu’on attribue à M. de Voltaire. Ce grand poète y parle de la fameuse Réponse du roi, du 3 mars[31] : il respecte avec toute la soumission d’un sujet les principes qui y sont établis ; il ne l’examine que du côté littéraire ; il la trouve si bien écrite, le style en est si fort, si concis, si rapide, si noble, qu’il ajoute que si Sa Majesté n’était pas protectrice de l’Académie, il faudrait sur-le-champ lui donner une place par acclamation[32].

21. — M.  Gaillard, de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, vient de donner l’Histoire de François Ier, roi de France, dit le Grand Roi et le Père des Lettres[33]. L’auteur ne s’est point assujetti à la méthode purement chronologique des annalistes, et n’a pas même mêlé ensemble les événemens d’un ordre différent ; il a séparé l’histoire ecclésiastique de l’histoire civile, l’histoire littéraire de l’histoire politique et militaire, sans pourtant négliger de montrer leur connexion : il donne aujourd’hui seulement la partie civile, politique et militaire. Il justifie dans sa préface cette nouvelle méthode, et traite la manière d’écrire l’histoire ; il y porte les jugemens les plus solides sur nombre d’historiens anciens et modernes.

24. — Mademoiselle Préville, actrice de la Comédie Française, d’un talent noble et distingué dans le haut comique, de mœurs assez honnêtes pour une comédienne, vivait depuis long-temps avec Molé, autre acteur, dont elle était éprise. Celui-ci, jeune et ardent, ne s’en est pas tenu à elle : il a porté ses vues ailleurs, et l’on parle même de son mariage avec mademoiselle d’Épinay. La première en est tombée malade de jalousie : elle est dans une langueur qui fait craindre pour sa vie. Ce bel exemple lui ferait un honneur infini, si elle poussait l’héroïsme jusqu’à en mourir.

25. — On répand très-furtivement une brochure qui a pour titre : Oraison funèbre du Parlement. C’est une satire amère de ce tribunal et de sa conduite dans les circonstances présentes.

2. — Dans le Journal encyclopédique du 15 février 1766 on fit une apologie en raccourci de la Conduite de la Compagnie des Pasteurs de la principauté de Neufchâtel a l’occasion de M. J.-J. Rousseau. Ces messieurs y démontrent la validité de leurs raisons, pour refuser d’admettre à leur communion ce célèbre incrédule, réfutant tout ce qui a été dît là-dessus dans une lettre[34] qu’on suppose écrite de Goa, et dans d’autres écrits clandestins. Ils désavouent en même temps les violences exercées contre M.  Rousseau, les regardant comme tout-à-fait contraires à l’esprit de la religion et au vrai zèle, toujours unis à la plus tendre et à la plus vive charité.

27. — M. Thomas a cru, dans les circonstances présentes, devoir élever aussi la voix. Par son Éloge de Louis, Dauphin de France[35], il prétend moins avoir voulu honorer la cendre du mort, que donner des leçons à ses successeurs ; grande et sublime entreprise, très-mal soutenue dans cet ouvrage, où règne presque partout un ton dogmatique et pédantesque. Il y a accumulé les métaphores outrées, les hyperboles gigantesques, les figures extravagantes ; en un mot, c’est un travail pénible de lire de suite un pareil Éloge. Il faut pourtant rendre justice à l’orateur : il y a un morceau très-bien fait et très-touchant ; c’est celui de la mort. Il est de la plus grande beauté, parce qu’on n’y reconnaît en rien le rhéteur ; c’est un choix heureux de tous les faits, de toutes les circonstances propres à rendre ce moment intéressant, revêtus du style le plus simple et le plus vrai. En cet endroit M.  Thomas est supérieur à tous ceux qui ont traité le même sujet ; il règne, en général, dans son ouvrage un défaut très-grand, c’est que par la manière dont le sujet est traité, l’éloge de M.  le Dauphin est une satire perpétuelle de la conduite du roi.

29. — L’Encyclopédie paraît enfin tout entière ; il y a dix nouveaux volumes. Par un arrangement assez bizarre, le libraire les a fait venir de Hollande, aux environs de Paris, où ils sont imprimés ; et c’est aux souscripteurs à les faire entrer ici à leurs risques, périls et fortune. Il est à présumer cependant que le gouvernement, sans vouloir prêter son autorité à cette publication, ferme les yeux là-dessus, et que le tout se fait avec son consentement tacite.

30. — On parle beaucoup d’un Mandement de Monseigneur l’évêque de Verdun[36], concernant la mort de M. le Dauphin, où cet évêque, en traçant le portrait du prince, s’est permis des traits indiscrets qui paraissent retomber sur le roi. Ce prélat et ses amis cherchent a en retirer les exemplaires, et cette pièce devient rare.

1er Avril. — M.  de Chabanon a été voir M.  de Voltaire cet hiver, pour le consulter sur ses diverses tragédies. Un soir qu’il se trouvait en verve, rentré dans sa chambre, il écrivit les vers suivans à ce grand homme, qu’il suppose occupé de travaux métaphysiques :

J’ai volé pour vous voir des rives de la Seine ;
Et l’estime et le goût de vous m’ont approché :
Faible et timide aiglon, sous vos ailes caché,
J’attends que votre vol me dirige et m’entraîne.
Redevenez vous-même, et prenez votre essor.
RedeFaut-il que je vous voie encor
RedePour des songes métaphysiques
Ouitter l’illusion de nos jeux poétiques ?
Tous vos doutes heureux valent-ils un transport ?
L’homme est un livre obscur et difficile à lire ;
RedeOn n’en connaît pas la moitié.
Qu’est-ce que notre esprit ? On a peine à le dire :
RedeMais tel qu’il est, il fait pitié ;
ReIl est petit, faible et pusillanime
ReChez tant de sots, dignes de nos mépris :

J’aime à l’étudier dans vos charmans écrits :
Il s’y peint éclatant, immortel et sublime[37].

2. — Les Comédiens redoublent leurs efforts pour réussir dans leur projet de se réhabiliter, tant civilement que canoniquement. Ils prétendent avoir trouvé des lettres patentes de Louis XIII qui les établissent valets de chambre comédiens du roi. M.  de Saint-Florentin s’intéresse fortement pour eux ; il s’est chargé d’un Mémoire qu’il doit lire au Conseil, samedi ou dimanche, jour où doit se rapporter ce grand procès. Mademoiselle Clairon parle haut et fait dépendre sa rentrée de cette condition.

3. — M.  Gibert, de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, a été élu aujourd’hui secrétaire des pairs à la place de M.  Villaret : de trente-trois voix il en a eu vingt-neuf. M.  Thomas était son concurrent, et il redoutait fort ce puissant adversaire.

7. — L’affaire des Comédiens a été rapportée ces jours-ci devant le roi. M.  de Saint-Florentin ayant commencé la lecture de son Mémoire en faveur de ces histrions, Sa Majesté l’a arrêté dès la seconde phrase : « Je vois, a-t-elle dit, où vous voulez en venir. Les Comédiens ne seront jamais sous mon règne que ce qu’ils ont été sous celui de mes prédécesseurs ; qu’on ne m’en parle plus. » Le Conseil s’est rompu là-dessus.

13. — Un particulier d Amsterdam, qui ne s’est pas fait connaître, a déposé chez les sieurs Horneca, Hogguer et compagnie, banquiers de cette même ville, une somme de treize cents livres tournois, destinée à former quatre prix, consistant chacun en une médaille de trois cent vingt-cinq livres, et qui seront adjuges à quatre discours sur l’esprit de modération et de paix dans les particuliers, dans les souverains, dans les nations ; ces deux vertus étant prises dans toutes leurs acceptions et leurs applications aux objets physiques et intellectuels. Il désirerait aussi que la Société royale de Londres, l’Académie Française, l’Académie royale des Sciences de Berlin et la Société typographique de Berne proposassent chacune un de ces discours dans la langue qu’elles jugeraient à propos ; les prix seraient ensuite adjugés aux quatre morceaux que chacune de ces compagnies savantes en auraient jugés les plus dignes.

L’Académie Française ayant consenti à être juge des discours qui lui seront envoyés sur le plan proposé, elle adjugera les prix le 2 janvier 1767.

15. — L’Opéra a donné aujourd’hui la première représentation d’Aline, reine de Golconde, avec l’affluence qu’exigeait une pareille nouveauté. Le drame est tiré en partie d’un joli conte du chevalier de Boufflers, qui parut en 1761. L’auteur ne le dissimule pas ; mais on lui reproche d’avoir pris le surplus ailleurs et de n’en rien dire. Au reste, il n’a pas su tirer le parti qu’il aurait dû de ses situations. Rien de si heureux que celle où Saint-Phar se trouve dans le même bocage, avec la même nymphe dont il a eu les premières faveurs. On reproche à M.  Sedaine d’avoir fait des paroles très-peu lyriques, souvent plates et malsonnantes, des ariettes qui ne disent mot. Quant au musicien, M.  de Monsigny, on ne peut encore rien prononcer : cet opéra est d’un genre si nouveau, qu’il doit nécessairement essuyer des contradictions. On ne peut disconvenir que l’auteur n’ait jeté de l’action et de la variété dans les scènes. On y trouve du récitatif obligé, des airs de mouvement, des ariettes, des romances. Ajoutons que dans quelques-uns de nos opéras on s’est plus occupé de l’orchestre que du chanteur, et qu’ici le chanteur n’est jamais sacrifié à l’orchestre.

17. — On attribuait à M.  Dorat l’Épître a mademoiselle Clairon sur l’indécision de sa rentrée au théâtre. Ce poète la désavoue. Sans doute que le ton irréligieux qui y règne l’oblige à se rétracter. On paraît rester convaincu que cette plaisanterie est de lui, surtout à cause des traits épigrammatiques qui retombent sur mademoiselle Dubois. Il y a une vieille animosité de ce poète contre l’actrice, qu’il manifeste partout où il peut.

18. — M.  de Saint-Peravi vient de répandre une Épître sur la Consomption[38], ou il y a de beaux vers, et un sombre qui contraste singulièrement avec la gaieté forcée de tous nos poètes modernes, qui se chatouillent pour se faire rire. L’auteur y a joint des Stances sur une infidélité. C’est la même manière noire, qui ne sera pas goûtée de tout le monde.

21. — On lit dans le Journal Encyclopédique du 15 mars, une Lettre de M.  Le Febvre de Beauvezay, à l’occasion de l’Histoire de miss Honora, ou le Vice dupe de lui-même[39], qu’il revendique. Il prétend avoir autrefois, dans ses momens de loisir, dicté cet ouvrage à un galant homme de ses amis[40], mais qui se l’est tellement approprié en le défigurant, qu’il le désavoue ensuite de la façon la plus amère.

23. — Voici ce que nous apprenons de M. de Villaret. Au sortir du collège, il s’était destiné au barreau. Il débuta dans le monde littéraire par un roman intitulé la Belle Allemande, ou les Galanteries de Thérèse[41], roman tout-à-fait ignoré pour l’honneur de son auteur. Il fit en société avec M.  d’Ancourt, actuellement fermier-général, et M.  Bret, une pièce[42] qui fut jouée sans succès, en 1744, au Théâtre Français. Des affaires domestiques l’obligèrent, en 1748, de s’éloigner de Paris et de prendre le parti du théâtre. Il alla à Rouen, où, sous le nom de Dorval, il débuta dans les rôles d’amoureux. Il y joua ensuite avec succès le Glorieux, le Misanthropie, l’Enfant prodigue, etc. Il fut souvent applaudi à Compiègne pendant les voyages de la cour. Il sentit bientôt les dégoûts d’un état qu’il n’avait embrassé que par nécessité ; il renonça au théâtre à Liège, où il était à la tête d’une troupe de comédiens, qui ne se soutenaient que par ses talens, et il se retira à Paris, où il avait arrangé les affaires qui l’avaient obligé de s’en éloigner. Il a poussé la continuation de l’histoire de l’abbé Velly jusqu’au dix-septième volume inclusivement. Il joignit une belle âme à des talens assez distingués pour l’histoire.

— Les Comédiens Italiens ont donné aujourd’hui la première représentation des Pêcheurs[43], comédie en un acte, mêlée d’ariettes, paroles du marquis de La Salle, musique de Gossec. Cette dernière a paru bonne. Quant au drame, il est détestable, tant pour la forme que pour le fond ; on n’y trouve nulle invention et nulle saillie. Il y a une déclaration d’amour du bailli, en termes de pratique, mise en musique, qu’on a applaudie comme originale.

24. — Le clergé a trouvé très-mauvais qu’on eût choisi le moment où il venait de proscrire authentiquement l’Encyclopédie[44], et celui où il allait se rassembler, pour publier la continuation complète de cet ouvrage, au nombre de dix volumes[45]. Il a tant crié que M. de Saint-Florentin s’est fait donner les noms de tous ceux qui en avaient retiré les exemplaires, et leur a envoyé un ordre du roi de les rapporter au lieutenant de police. Les libraires, auteurs et coopérateurs des travaux de cette édition sont mis à la Bastille.

25. — Poétique de M. de Voltaire, ou Observations recueillies de ses ouvrages, concernant la versification française et les différent genres de poésie, le style poétique, etc.[46]. On sent bien qu’un pareil ouvrage n’a été fait que par M.  de Voltaire lui-même, ou par un de ses suppôts.

29. — Il paraît différens Mémoires dans l’affaire de M. de Lally, très-curieux pour l’historique. Ceux de ce général contiennent un détail de ses opérations sur terre. M.  d’Aché, qui commandait la marine, et sur qui le premier veut faire retomber la perte de l’Inde, s’explique de la façon la plus étendue et la plus détaillée sur ses manœuvres. Il en paraît différens autres, qui, éclaircissant de plus en plus la matière, en formeront une collection très-intéressante. M.  de Bussy et M.  le chevalier de Soupire doivent donner au public la marche de leurs opérations, etc. Tous ces ouvrages sont des archives où l historien doit puiser un jour.

30. — On vend clandestinement un ouvrage intitulé Observations sur tout ce qui s’est passé à la séance de l’Assemblée du clergé en 1765. C’est un volume in-12 de trois cents pages, où l’auteur a extrait tout ce qui a été dit de plus fort contre cette auguste assemblée. Il y a ajouté plusieurs choses, d’où il résulterait que les Actes du clergé ne seraient que effet de l’intrigue et de la cabale.

1er MaiRéflexions hasardées d’une femme importante, qui ne connaît les défauts des autres que par les siens, et le monde que par relation et par ouï-dire. (Par madame de Verzure). Amsterdam et Paris, 1766, deux parties in-12. Ce titre, qui annonce un ouvrage original, n’est pas rempli à beaucoup près. On remarque, au contraire, que l’auteur a beaucoup lu, et peut-être avec trop de mémoire.

3. — Il nous est tombé, depuis quelque temps, entre les mains un Dialogue manuscrit entre Mars et Thalie, récité un des jours du carnaval devant M.  le duc de Brissac. Ce seigneur ayant pris jour pour aller chez M.  Dorat, y fut accueilli par cette ingénieuse galanterie. Une demoiselle, jeune, aimable, et qui a du talent pour le théâtre, était de la partie. On la pria de déclamer au hasard quelque scène d’une pièce prétendue nouvelle. Un homme de condition joua le rôle de Mars. On se doute bien que ce dialogue en vers, trop long pour être copié ici, est composé de louanges très-délicates en l’honneur de M.  le duc de Brissac. Il y a beaucoup d’aisance et de gaieté dans cet ouvrage.

4. — Madame Geoffrin est une femme riche de Paris, qui joint à son opulence un grand goût pour les arts. Sa maison est le rendez-vous des savans, des artistes et des hommes fameux dans tous les genres. Les étrangers surtout croiraient n’avoir rien vu en France, s’il ne s’étaient fait présenter chez cette virtuose célèbre. En un mot, c’est elle qu’a voulu, autrefois, ridiculiser le sieur Palissot dans sa comédie des Philosophes. Il est question aujourd’hui de son voyage en Pologne. Quoique âgée de soixante ans, madame Geoffrin est sur le point de se rendre aux vives sollicitations du monarque[47]. Ce prince, n’étant que comte de Poniatowski, avait vécu, dans son séjour à Paris, fort intimement avec cette dame ; elle l’appellait son fils, et lui a rendu des services dignes d’une mère. Ce jeune seigneur ayant été mis au Fort-l’Évêque pour quelque dérangement de fortune, elle fit face à ses dettes et le retira de cette maison. Poniatowski en a conservé une reconnaissance indélébile, et il sollicite fortement sa bienfaitrice de se rendre auprès de lui. Cet événement mémorable honore l’un et l’autre.

5. — Le Théâtre Français s’occupe à réparer ses pertes. Mademoiselle Sainval, nouvellement arrivée de Lyon, a débuté aujourd’hui dans le rôle d’Ariane. Ses talents sont déjà développés ; c’est une actrice exercée. Elle a beaucoup de feu, des entrailles, un jeu naturel à la fois et raisonné : elle est dans le genre de mademoiselle Dumesnil, et moins irrégulière. Il est dommage qu’elle ait contre elle l’organe et la figure. Elle n’est pas d ailleurs fort jeune. On l’a reçue avec de grands applaudissemens.

10. — Il paraît une Lettre[48] fort curieuse d’un M.  De Rome de Lille, grand naturaliste. Elle roule sur les polypes. Selon lui, ces insectes, qu’on a cru jusqu’à présent de véritables animaux, ne sont en effet que le sac ou le fourreau qui contient des animaux plus petits ; et ce qu’on a pris pour un individu est une famille très-nombreuse réunie sous le même toit : ce système est appuyé de toutes ses preuves. Il y rappelle les observations les plus curieuses qu’on ait faites sur les polypes, et l’on est surpris de voir toutes leurs manœuvres et tous les divers phénomènes de leur nutrition et de leur génération s’expliquer naturellement dans ce système. L’observateur trouve ces animalcules dans les petits grains observés depuis long-temps sur la surface et dans l’intérieur du sac. Cette Lettre, très-intéressante pour le fonds, est en outre bien écrite.

11. — M.  Palissot de Montenoy, qui a la Gazette des deuils de cour, pour rendre cette frivolité plus intéressante, y a joint une espèce d’ouvrage littéraire, appelé Ordre chronologique des deuils de cour, qui contient un précis des ouvrages des auteurs qui sont morts dans le courant de l’année 1765, suivi d’une observation sur les deuils[49]. Jusqu’ici ce nécrologe avait peu de consistance, et les deux premiers volumes, faute de mémoires, ôtaient très-maigres et très-dénués de faits. Le troisième a acquis plus d’étendue. Il contient les éloges historiques de MM. Roy, poète, par M. P. D. M.[50] ; Deshayes, peintre, par M.  Fontaine ; Carle Vanloo, par le même ; Guyot de Merville, auteur comique, par M.  Castilhon l’aîné, un des auteurs du Journal encyclopédique ; Balechou, graveur, par M. P. D. M. ; Clairaut, géomètre, par M.  Fontaine ; Panard, poète, par M.  Castilhon ; Le Clair, musicien, par M. le C. D. B. ; Slodtz, sculpteur, par M. Castilhon ; et Crévier, historien, par M. P. D. M. La plupart de ces éloges sont encore fort secs, soit que les héros n’aient pas prêté, soit, que les rédacteurs aient été mal servis.

14. — Aujourd’hui M. le duc de Duras, gentilhomme de la chambre du roi, de service, a donné au nom de S. M. une fête très-élégante à M.  le prince héréditaire de Brunswick. C’est à l’hôtel des Menus-Plaisirs qu’elle s’est passée. On y a joué pour ce seigneur la pièce de M.  Collé, la Partie de chasse de Henri IV. Elle a été exécutée par les Comédiens Français avec beaucoup de succès.

15. — On vient d’imprimer à Londres la Vie de M. Jacques Quin, Comédien, avec l’Histoire du théâtre depuis son entrée jusqu’à ce qu’il s’en est retiré ; enrichie de plusieurs anecdotes curieuses et intéressantes de diverses personnes de distinction, avec une copie authentique du testament de cet acteur. Le sieur Quin, né en 1693, fut destiné au barreau ; mais, son père étant mort trop tôt, il discontinua l’étude des lois par nécessité, et monta par goût sur le théâtre, où il acquit une grande réputation. Il y resta sans rival, jusqu’à ce que M.  Garrick vînt partager avec lui les suffrages du public. En 1748, Quin se retira à Bath, après avoir eu une querelle fort vive avec le directeur Rich. Quelque temps après, il voulut se raccommoder avec lui, mais sans lui faire aucune sorte d’excuse ; et, croyant qu’il suffisait d’en faire l’ouverture, il écrivit à Rich la lettre suivante :

« Je suis à Bath.

Quin. »

Rich, moins disposé à se raccommoder, fit la réponse suivante :

« Restez-y, jusqu’à ce que le diable vous emporte.

Rich. »

On voit, par cette Vie, que si les comédiens ne sont pas aussi méprisés à Londres qu’à Paris, ils n’en sont pas moins insolens.

Quin fut choisi pour maître de langue anglaise par le feu prince de Galles, père du roi régnant, qui lui avait fait depuis une pension considérable. Il est mort cette année[51].

17. — Histoire des Révolutions de la Haute-Allemagne, contenant les Ligues et les Guerres de la Suisse, avec une notice sur les lois, les mœurs et les différentes formes du gouvernement de chacun des États compris dans le corps Helvétique[52]. Cet ouvrage manquait à notre littérature, et l’on y lit avec le plus grand intérêt le détail des efforts dont est capable un peuple ardent pour la liberté, et qui ne connaît d’autre bien avant celui-là. Le style de l’auteur n’est pas assez châtié.

18. — À défaut de nouveautés théâtrales, le public est régalé de temps en temps de drames faits pour le cabinet. Telle est une tragédie nouvelle en trois actes et en vers libres, qui a pour titre le Héros subalterne[53]. Le sujet en est tiré d’un très-beau Mémoire, écrit par M. Loyseau de Mauléon, en faveur des nommés Savary, Laîné, Delamet, tous trois soldats au régiment des Gardes Françaises, dans une affaire malheureuse, où l’un d’eux s’est trouvé coupable de meurtre.

19. — Histoire des Révolutions de l’empire romain pour servir de suite à celle des Révolutions de la République, par Me  Linguet, avocat au parlement[54]. L’auteur adresse cet ouvrage à un de ses amis, et paraît montrer de l’humeur. Rebuté par quelques dégoûts, inévitables dans la profession des lettres, il s’est jeté dans le sein de la jurisprudence, et c’est ici qu’il fait ses adieux aux Muses. Son Histoire commence où finit celle de l’abbé de Vertot. Elle est distribuée en huit livres, depuis l’usurpation d’Auguste inclusivement, jusqu’à l’assassinat d’Alexandre Sévère, période qui comprend vingt-quatre empereurs. L’auteur semble avoir suivi une route opposée à l’abbé de Vertot. Le dernier ne met dans son ouvrage qu’autant de réflexions qu’il en faut pour lier les faits, et leur donner une certaine consistance : celui-ci ne paraît se servir des faits que pour y mêler des réflexions, tantôt de la plus grande justesse, tantôt un peu hasardées et pleines d’inductions quelquefois arbitraires. Il prend surtout à tâche de contredire toutes les idées reçues. Selon lui, Auguste n’avait aucune bonne qualité, et Tibère lui paraît bien plus honnête homme ; il en défend la mémoire. Il veut rendre suspect d’adulation sourde et raffinée Tacite, qu’il traite de misérable écrivain. Au reste, si ce livre doit être lu avec précaution, on le lit au moins avec plaisir : il est écrit avec beaucoup de génie, de force et de chaleur.

21. — Madame Geoffrin est partie aujourd’hui pour Varsovie au grand regret de ses amis, qui la voient avec peine entreprendre à son âge un si long voyage. On assure que le roi de Pologne lui a ménagé une galanterie bien digne d’un monarque délicat. Il lui a fait construire une maison exactement semblable à sa maison de Paris, distribuée et meublée de même ; elle croira entrer dans sienne. C’est l’ingénieuse fiction d’Aline réalisée.

22. — L’auteur du poème de Richardet[55], en ayant fait envoi à M.  de Voltaire, par une petite pièce en vers, ce grand poète a répondu de même. Voici ces deux morceaux :


À M.  de Voltaire.

SongÔ vous, Apollon de notre âge,
SoQui tour à tour badin, sublime, sage,
SoVous soumettant tous les genres divers,
SoPar vos accords ravissez l’univers,
SongJ’ose vous offrir mon ouvrage.
SoEn recevant ce médiocre don
Songez qu’au grand Virgile, au sommet d’Hélicon,
Jadis de son moineau Catulle fit hommage.


Réponse de M.  de Voltaire.

Vous ne parlez que d’un moineau,
Et vous avez une volière :
Il est chez vous plus d’un oiseau
Dont la voix tendre et printanière
Plaît par un ramage nouveau :
Celui qui n’a plumes qu’aux ailes,
Et qui fait son nid dans les cœurs,
Répandit sur vous ses faveurs :
Il vous fait trouver des lecteurs,
Comme il vous a soumis des belles.

23. — La Pharsale de Lucain, traduite par M.  Marmontel, paraît depuis quelque temps, avec une préface très-longue, servant d’apologie à son auteur et a son ouvrage. Cette préface contient un développement des causes de la dissolution de la république romaine et de la guerre qui l’entraîna sous le joug. Il semble que le public n’en raffole pas, et ce livre fort cher ne se vend pas prodigieusement. L’auteur, au reste, n’a pas tout traduit : il a élagué les morceaux qui ne lui convenaient pas.

24. — M. le prince héréditaire de Brunswick s’est rendu aujourd’hui à l’Académie Française, où il a été admis au rang des membres. M.  Marmontel a commencé la séance par la lecture d’un roman intitulé Bélisaire. M. de Nivernois a lu ensuite cinq fables de sa façon, et enfin M. l’abbé de Voisenon a adressé au prince son compliment, consistant en une pièce de vers, où, après avoir félicité l’Académie du bonheur de posséder ce héros, il s’est rejeté sur les fêtes qu’on lui donne, en a fait voir le ridicule, en ce qu’elles sont toutes dans un genre qui ne lui convient pas. Il s’est moqué de lui, de nous et de tout le public. MM. Duclos et d’Alembert ont ensuite reconduit ce prince à son carrosse. On lui a donné deux jetons, comme aux autres Académiciens. Il a d’abord fait quelque difficulté, c’est-à-dire témoigné sa surprise. Le présentant lui a déclaré qu’ils lui convenaient d’autant mieux qu’ils contenaient sa devise au revers, s’il voulait la lire. Il les a retournés, et il a trouvé ces mots : À l’immortalité.

26. — M.  de Rochefort, qui nous avait donné, il y a un an, l’Essai d’une traduction en vers de l’Iliade d’Homère, ne perd point de vue cette grande et laborieuse entreprise : il vient de faire paraître les six premiers chants[56], avec le discours préliminaire, qu’il a augmenté et perfectionné. Il est fâcheux qu’on ne retrouve point dans sa traduction la chaleur, la vie, la fécondité de l’original.

27. — Les Ennemis réconciliés, pièce dramatique en trois actes et en prose, dont le sujet est tiré d’une des anecdotes les plus intéressantes du temps de la Ligue, par M.  de Merville[57].

Il y a dans ce drame du pathétique de situation, mais les sentimens pourraient être plus approfondis. On y retrouve cependant cette férocité de caractère que produisent nécessairement et la différence de parti et le feu des guerres civiles. Voici l’anecdote : Le baron de Montfort, catholique, est ennemi déclaré du marquis de Langeon, protestant. Il se sont fait la guerre ouvertement, et Langeon a même tué, dans un combat, l’un des fils de Montfort. La nuit de la Saint-Barthélémi fournit à ce père furieux et désespéré un moyen de se venger : il entre, suivi d’une troupe de satellites, chez le marquis, s’empare de lui et de sa fille, les force à monter dans une chaise de poste, monte dans une autre, et les conduit dans un château qui lui appartient. Là il les fait passer dans une chambre, où, à la lueur d’une lampe funèbre, ils aperçoivent sur un brancard une espèce de bière enveloppée d’un drap mortuaire : c’était le cadavre du fils du baron. Il les fait entrer dans un cachot voisin, et les y laisse, en disant : « Attendez votre sort. » Cette attente forme l’intérêt et le nœud de la pièce.

30. — On parle d’un bon mot du roi à M.  le comte de Lauraguais. Ce seigneur, de retour d’Angleterre depuis peu, est allé, suivant l’usage, faire sa cour à Versailles. Le roi ne faisait pas d’abord grande attention à lui : il s’est si fort avancé que Sa Majesté l’a remarqué, et lui a demandé d’où il venait : « De l’Angleterre, Sire. — Et qu’avez-vous été faire là ? — Apprendre à penser. — Des chevaux ? » a repris le roi. Cette allusion a d’autant plus de force que M.  de Lauraguais se pique d’être grand connaisseur en chevaux.

31. — M.  de Saint-Foix vient de donner le cinquième volume de ses Essais historiques sur Paris. On pourrait reprocher à l’auteur que plusieurs anecdotes de cette nouvelle brochure, qui fait le dernier volume de ses recherches, paraissent ne pas tenir à son sujet. Il prévient cette objection en déclarant que son objet est d’y faire voir la conformité ou la différence entre nos mœurs, nos idées, nos usages, nos coutumes, et les mœurs, les idées, les usages et les coutumes des autres nations.

Ier Juin. — La Cacamonade, histoire politique et morale, traduite de l’allemand du docteur Pangloss par ce docteur lui-même, depuis son retour de Constantinople [58]. Cette plaisanterie de M. Linguet est une allégorie soutenue, et décrit très-historiquement tous les progrès de la v… en France et en Europe. L’auteur a personnifié et mis en action le fameux traité de M. Astruc de Morbis venereis.

2. — Il parut, il y a quelque temps, une Histoire de la vie de Henri IV, par M.  de Bury dans laquelle l’auteur s’est permis une critique très-amère du célèbre de Thou. Le chantre du grand Henri n’a pas cru devoir garder le silence contre des accusations aussi peu fondées. Il vient de publier une brochure[59] contre M.  de Bury, dont il relève quelques bévues avec ce sarcasme qui lui est propre, et qui venge l’illustre historien de la critique mal fondée du moderne compilateur.

4. — Les Anglais, qui impriment tout, ont inséré dans le Saint-James Chronicle une Lettre prétendue du roi de Prusse à J.-J. Rousseau. Nous avons déjà fait mention de cette Lettre[60], que le même journal assure être de l’invention d’un grand seigneur anglais, très-connu dans la république des lettres, à Paris.

Le célèbre misanthrope a été si sensible à ce badinage, qu’il a écrit au journaliste la lettre suivante, datée de Woolton le 7 avril 1766.

« Vous avez manqué, Monsieur, au respect que tout particulier doit aux têtes couronnées, en attribuant publiquement au roi de Prusse une lettre pleine d’extravagance et de méchanceté, dont par cela seul vous deviez savoir qu’il ne pouvait être l’auteur. Vous avez même osé transcrire sa signature, comme si vous l’aviez vue écrite de sa main. Je vous apprends, Monsieur, que cette lettre a été fabriquée à Paris, et, ce qui navre et déchire mon cœur, que l’imposteur a des complices en Angleterre.

« Vous devez au roi de Prusse, à la vérité, à moi, d’imprimer la lettre que je vous écris et que je signe, en réparation d’une faute que vous vous reprocheriez, sans doute, si vous saviez de quelles noirceurs vous vous rendez l’instrument. Je vous fais, Monsieur, mes sincères salutations. »

5. — On continue à instruire dans la Faculté de Médecine le procès pour et contre l’inoculation. Il se répand un nouvel ouvrage, propre à donner des lumières sur cette grande question ; on vient de traduire de l’État de l’Inoculation de la petite vérole en Écosse, par M.  Alexandre Monro, le père. C’est une réponse à la lettre des commissaires de la Faculté de Paris, pour examiner la pratique de l’inoculation. L’auteur répond de la façon la plus favorable aux questions de ces Messieurs. Il paraît que l’inoculation a commencé en Écosse vers 1726 ; qu’elle a essuyé, comme ailleurs, des contradictions, et qu’elle y est actuellement très en usage.

6. — On vient de publier un Nouvel Abrégé de l’Histoire de France, à l’usage des jeunes gens[61]. Il n’en paraît encore que le premier volume, qui s’étend depuis le règne de Pharamond jusqu’à la mort de Philippe, en 1108. Cet ouvrage est de mademoiselle L’Espinasse[62], déjà connue par un Essai sur l’Éducation des jeunes demoiselles[63], mais encore plus par ses liaisons avec M.  d’Alembert. Ce philosophe demeure avec elle depuis sa dernière maladie, et le bruit a même couru qu’il l’avait épousée.

8. — Fréron rapporte, dans l’Année littéraire, trois pièces qu’il prétend être imprimées dans les papiers anglais, et qui ne servent qu’à confirmer le peu de sensation qu’a faite dans ce pays, composé d’êtres singuliers J.-J. Rousseau, qui aspire si fort à la singularité. La première est traduite de l’anglais, et a pour titre Lettre d’un Anglais à J.-J. Rousseau. Elle roule sur la sensibilité qu’a témoignée ce philosophe à la plaisanterie du roi de Prusse. Il y a du bon sens dans cette lettre, mais peu de légèreté et un sarcasme très-amer. La seconde est une Lettre d’un Quakre, beaucoup meilleure, pleine de raison et de sentiment. La troisième a pour titre Fragment d’un ancien manuscrit, grec. C’est une allégorie, où l’on décrit, sous le nom d’un charlatan de Grèce, le caractère de J.-J. Rousseau, et les traits généraux de sa vie.

9. — M.  l’abbé Mably, rival du célèbre Montesquieu, vient de nous donner le pendant des Considérations sur les causes de la grandeur des Romains et de leur décadence. Ce sont des Observations sur l’histoire de la Grèce, ou des causes de la prospérité et des malheurs des Grecs[64]. Il y a quelques années que le même auteur publia des Observations sur les Grecs[65]. Il avoue avec candeur qu’il a changé de système en beaucoup d’endroits et vu souvent les choses sous un aspect tout différent dans ce nouvel ouvrage. Outre qu’il y a toujours plus de mérite à ouvrir la carrière, Montesquieu l’emporte encore par la profondeur des vues, la concision, l’énergie et la chaleur du style.

10. — On a imprimé à Besançon un Discours sur le sujet proposé par l’Académie de cette ville : la Prospérité découvre les vices ; l’Adversité les vertus. On ne dit point s’il a concouru pour le prix, mais il mérite d’être distingué pour son originalité et ses écarts dignes du Père Fidèle, de Pau.

13. — Madame Pitrot, ci-devant mademoiselle Rey, cette célèbre danseuse qui brillait à la Comédie Italienne et en partageait la gloire avec son mari, a perdu, vendredi dernier, son singulier procès dont parlé[66], où elle prétendait n’être point mariée avec lui, et s’être débarrassée de toute formalité en jetant au feu son contrat de mariage. Elle est reconnue femme véritable et légitime dudit Pitrot, obligée de retourner avec lui, déclaré le chef de la communauté. Pour se soustraire à l’autorité conjugale, elle est entrée depuis quelque temps à l’Opéra[67].

14. — Étrennes salutaires aux riches voluptueux et aux dévots trop économes, ou Lettre d’un théologien infortuné à une dévote de ses amis, par M.  Travenol, pensionnaire de l’Académie Royale de Musique[68]. Ce Travenol est sans doute celui qui a été impliqué dans le procès de M.  de Voltaire[69].

Il nous paraît que ces Étrennes originales contiennent des reproches aux riches de ce qu’ils ne font pas assez de bien à ceux qui sont pauvres, et que dans ces reproches il entre beaucoup de personnel.

15. — De fades adulateurs, des écrivains mercenaires ne cessent d’élever des trophées à la gloire de M.  de Voltaire, comme si ses propres ouvrages n’étaient pas un monument supérieur à tous ceux qu’on pourrait lui consacrer. On vient d’imprimer les Pensées philosophique de M.  de Voltaire, ou Tableau encyclopédique des connaissances humaines, contenant l’esprit, les principes, maximes, caractères, portraits, etc., tires des ouvrages de ce célèbre auteur, et rangés suivant l’ordre des matières [70]. M.  Contant d’Orville est l’auteur prétendu de cette compilation, dans laquelle on soupçonne que M.  de Voltaire pourrait bien être de moitié, suivant l’usage.

18. — On ne cesse de travailler à grossir l’énorme collection d’ouvrages pernicieux et destructeurs de la religion, qui se publient depuis quelque temps avec autant de constance que de liberté. Il va paraître au premier jour, imprimé, un fameux manuscrit qui ne se prêtait que sous le manteau ; il est intitulé : Examen critique des apologistes de la religion chrétienne. L’auteur, sous prétexte que dans une cause comme celle de la religion on ne doit apporter que des argumens victorieux, discute, détruit, renverse, pulvérise tous ceux de nos plus fameux docteurs, et réduit à rien tout ce qu’ils ont dit de plus fort. L’ouvrage est de M.  Frèret[71], secrétaire perpétuel de l’Académie royale des Belles-Lettres. Son nom doit être mis à la tête, comme pour braver toute décence.

20. — M.  Gautier de Sibert vient de donner un nouvel abrégé de l’histoire de France, qu’il prétend présenter sous un autre point de vue. Il intitule son ouvrage Variations de la monarchie française, dans son gouvernement politique, civil et militaire avec l’examen des causes qui les ont produites[72]. Il a divisé son ouvrage en neuf époques, depuis Clovis jusqu’à la mort de Louis XIV. Il n’en est encore qu’à la sixième époque, qui termine le quatrième tome. Ce livre a resté longtemps à la police et a souffert beaucoup de discussions de la part du ministère.

21. — Histoire d’Izerben, poète arabe, traduite de l’arabe, par M.  Mercier[73]. On comprend que, sous le nom d’un poète arabe, c’est l’histoire d’un poète français qu’on a voulu donner. Voici quelques titres de l’histoire de sa vie, qui pourront le faire connaître : « Le drame d’izerben lu, reçu, joué, applaudi… Izerben reçu dans le grand monde… Il devient amoureux d Almanzaïde… Il l’immortalise… S’arrache au monde… Dissertation du poète Izerben sur la poésie, les poètes, l’art dramatique, et la vénération due aux auteurs tragiques… État de la fortune du poète… Il va à la cour… Il est oblige de prendre la fuite… Il se réfugie dans un royaume voisin… Vieillesse du poète izerben, etc. » Cet ouvrage est écrit de manière à piquer la curiosité : il est agréable, ingénieux, amusant, et donne lieu à des applications[74].

— Les compilateurs, éditeurs, contrefacteurs, tous ces hommes affamés et qui font de la littérature le métier le plus vil et le plus sordide, ne cessent de duper le public et de reproduire le meme ouvrage sous plusieurs formes différentes. On vient d’imprimer les Indiscrétions galantes, amusantes et intéressantes : deux parties in-12. Les différens contes qui forment ce recueil sont tirés des Contes moraux de mademoiselle Uncy et d’autres recueils plus anciens. Non-seulement on n’a point avoué ce larcin, mais on a cherché à déguiser les titres des contes et les noms des personnages. Il y a entre autres l’Enfant abandonné pour un temps, qui se trouve d’abord dans le Mercure de janvier 1719, puis dans le Choix des Mercures et autres journaux, tome IV, p. 47, sous le titre d’Histoire de mademoiselle Cathos. De là il a passé dans le recueil de mademoiselle Uncy. Le compilateur a métamorphosé le nom de Cathos en celui de Reine, le nom de madame Grosse-Tête en celui de madame La Chapelle, et sans faire aucun autre changement dans le cours de l’ouvrage, il a donné le vieux Conte comme une histoire neuve[75].

24. — L’Oraison funèbre du roi Stanislas, prononcée le 10 mai à Nanci, par le Père Elysée, paraît aujourd’hui imprimée[76]. Les deux parties de ce discours sont : I° dans une vie agitée, au milieu d’une vicissitude de revers et de succès, ce monarque a reconnu la puissance du Seigneur, et il paru supérieur à tous les événemens, par une soumission constante à la volonté divine ; 2° dans une vie tranquille, et au milieu des douceurs d’une longue prospérité, il ne s’est montré que bienfaisant, et il n’a usé de sa puissance que pour le bonheur des hommes.

Le nom du Père Elysée et celui du héros répondent d’avance du succès de cet éloge.

25. — Fabliaux et Contes des poètes français, des douzième, treizième, quatorzième et quinzième siècles, tirés des meilleurs auteurs[77]. Depuis quelques années on avait épuisé l’édition de nos premiers poëtes, faite en 1755. On sait que les grands hommes du siècle passé y ont puisé le fond d’un grand nombre de leurs ouvrages. Ces poésies forment comme la base du Parnasse français. Quoique très-anciennes, elles ont encore pour la plupart des lecteurs ce sel et cette finesse qui distinguent les ouvrages de goût et d’agrément, et elles ont par-dessus une naïveté qu’on ne retrouve plus.

26. — Quoiqu’il n’y ait point d’absurdité qui ne s’imprime, et qu’il ne doive plus paraître étonnant de voir soutenir quelque paradoxe que ce soit, on est toujours surpris de certaines assertions. Un nouvel original se met sur les rangs, et, dans un ouvrage appelé le Conservateur du sang humain, ou la Saignée démontrée toujours pernicieuse et souvent mortelle[78], il combat cette pratique reçue depuis si long-temps dans la médecine. L’auteur se nomme M.  de Malon… Il a pris pour épigraphe : Salus populi suprema lex esto. On ne dit point s’il est un homme de l’art.

28. — Lettres écrites en 1743 et 1744 au chevalier de Luzincourt, par une jeune veuve[79]. On nous assure que ces Lettres sont exactement transcrites d’après un manuscrit connu depuis long-temps à Malte, sous le titre de Lettres d’une jeune veuve au chevalier de…, Elles sont écrites avec cette facilité de style qui n’est point rare chez les femmes. Ajoutons que la jeune veuve aime avec une bonne foi qui n’est peut-être pas non plus sans exemple. On trouve du moins dans cet ouvrage un ton français, un tour d’esprit national que ces sortes de recueils n’offrent pas toujours.

29. — M.  l’abbé Ameilhon, censeur royal et sous-bibliothécaire de la Ville, vient d’être reçu à l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, où il a remporté trois prix. Le premier, et le plus important de ces ouvrages couronnés, est celui intitulé : Histoire du commerce et de la navigation des Égyptiens sous le règne des Ptomlémées[80].

En 1763, le même auteur avait fait une dissertation dans laquelle il examinait quels étaient les droits et prérogatives du Pontifex Maximus de Rome sur les autres sacerdoces. C’est son second prix. Le troisième et le plus récent est pour un mémoire sur l’éducation que les Athéniens ont donnée à leurs enfans, dans les siècles florissans de la république.

30. — Madame Benoît, l’auteur d’Élisabeth, fait paraître un nouveau roman, intitulé Céliane, ou les Amans séduits par leurs vertus[81].

Ier Juillet. — Malgré les espérances que le public avait de voir jouer la Partie de Chasse de Henri IV, il est à craindre que la représentation de ce drame n’ait pas lieu, il s’est tenu ces jours derniers un grand Conseil à Versailles sur cette matière. M.  le duc de Choiseul, M.  le prince de Soubise étaient pour la permettre ; M.  de L’Averdy, M.  le duc de Praslin s’y opposaient. Enfin la pluralité a été pour qu’on ne traduisît point indécemment sur la scène ce grand roi.

4. — Il n’est question que des fêtes que madame Geoffrin a reçues dans tous les lieux où elle a passé. L’Empereur a voulu voir cette femme singulière, et s’est trouvé a sa rencontre incognito. Presque toute la noblesse polonaise est allée au-devant d’elle. L’impératrice-reine a dîné avec elle.

6. — Il y a déjà quelques années que M.  de Reganhac, maître des jeux floraux, donna au public une Traduction en prose du premier livre des Odes d’Horace [82], sans nom d’auteur. Il ne parvint à Paris que très-peu d’exemplaires de cet essai imprimé en province. M.  l’abbé Goujet en parle avantageusement dans sa Bibliothèque française. M.  de Reganhac s’est encouragé, et vient de donner un essai de traductions en vers de sept odes du meme auteur[83]. On y trouve une imagination brillante, une chaleur vive et un goût exquis. C’est, après M.  de Nivernois[84], l’homme qui paraît le plus propre à rendre l’aménité du poète latin.

6. — Le roi a nommé une Commission pour examiner les instituts des dififérens ordres religieux et y faire la réforme nécessaire. Cinq archevêques sont a la tête de ce tribunal : ce sont M.  de La Roche-Aymon, archevêque de Reims ; M.  Phelypeaux, archevêque de Bourges ; M. Dillon, archevêque de Narbonne ; M.  de Brienne, archevêque de Toulouse ; enfin M.  de Jumilhac, archevêque d’Arles. Voici l’épigramme qu’on a faite en conséquence.

On a choisi cinq évèques paillards,
Tous cinq rongés de v… et de ch…,
Pour reformer des moines trop gaillards :
Peut-on blanchir l’ébène avec de l’encre ?

8. — On doit se rappeler que le fameux J.-J. Rousseau est passé en Angleterre sous les auspices de M.  Hume, auteur célèbre de la Grande-Bretagne, et qui y jouit de la réputation la plus flatteuse pour un homme de lettres. Ou avait imaginé d’abord que l’arrivée de l’ex-citoyen de Genève à Londres y ferait sensation, et tout le monde a été trompé dans cette attente. Rousseau s’est retiré à la campagne, où il menait une vie fort ignorée ; mais ce à quoi l’on ne s’attendait pas, c’est à la lettre qui vient d’être écrite par M.  Hume à un homme de ses amis à Paris, M.  le baron d’Holbach. Il n’entre dans aucun détail sur les motifs qui lui donnent lieu de se plaindre du philosophe genevois ; mais il marque que c’est un serpent qu’il a porté dans son sein et un monstre indigne de l’estime des honnêtes gens. On attend avec bien de l’impatience le détail de cette querelle.

11. — M.  de Voltaire continue à manier le sarcasme avec la même facilité et la même abondance. Il a fait répandre depuis peu une lettre, qui n’est encore que manuscrite, intitulée : Lettre curieuse de M.  Robert Covelle, célèbre citoyen de Genève, à la louange de J. Vernet, professeur en théologie dans ladite ville. L’auteur paraît en vouloir à M.  Vernet, ministre évangélique, qui s’est comporté vis-à-vis de lui avec une charité peu chrétienne[85].

12. — Le génie, le goût et l’esprit, poëme en quatre chants, dédié à M.  le duc de…[86] ; Le cri de l’honneur épître à la maîtresse que j’ai eue…[87] ; L’usage des talens, épître à mademoiselle Sainval, jeune débutante au Théâtre Français[88]. Ces trois ouvrages de M. de Rosoy, qui viennent à la suite de son gros poème sur les Sens, annoncent en lui une facilité peu commune, surtout à l’âge où il est ; mais en même temps le titre et la forme de la plupart de ses ouvrages donnent une très-médiocre idée de son goût, de son imagination et de son jugement.

14. — Les détails qu’on a reçus jusqu’à présent sur les plaintes que forme M. Hume contre J.-J. Rousseau, ne sont pas assez clairs pour qu’on puisse en inférer l’opinion que les antagonistes du ci-devant citoyen de Genève veulent faire prendre sur son compte, et l’on doit suspendre son jugement sur cet homme singulier, jusqu’à ce que cette discussion soit éclaircie. La cabale encyclopédique jette les hauts cris et met tout le tort du côté de M.  Hume. Cependant on rappelle une anecdote sur le compte de M. Rousseau, qui rendrait tout croyable de sa part. On prétend qu’il a été autrefois colporteur de dentelles en Flandre, et que madame Boivin, fameuse marchande en ce genre, fut chargée, il y a déjà longtemps, d’une lettre-de-change et d’une contrainte par corps contre lui. Il avait enlevé la marchandise et l’argent. M. Rousseau demeurait alors dans la rue de Grenelle-Saint-Honoré. C’était dans le temps où son Discours couronné par l’Académie de Dijon commençait à le rendre célèbre. Madame Boivin s’en étant informée, et ayant appris sa célébrité et la médiocrité de sa fortune, ne voulut point se charger de mettre à exécution contre lui les pouvoirs qu’elle avait, et renvoya le tout à ses correspondans[89].

18. — Un curé de campagne, d’Épinay, nommé l’abbé Dubault, s’est avisé de mettre en vers français le Télémaque de M.  de Fénelon. On sent combien il est ridicule d’entreprendre une pareille tache. Ce laborieux auteur en est pourtant venu à bout. Il a enrichi le tout de notes, de préfaces, de dissertations et d’avertissemens. Il est parvenu à en former cinq volumes, qu’il a copiés de sa main. Il a fait relier le tout très-richement, et s’étant rendu à Louvres, au passage des Enfans de France, l’année dernière, il a présenté ce singulier mélange au duc de Berry. Comme cette anecdote n’a été consignée nulle part, du moins à notre connaissance, nous en faisons mention ici pour la rareté du fait. Ce manuscrit se trouvera quelque jour peut-être dans la bibliothèque des princes, sans qu’on en sache l’auteur ni l’origine.

23. — Les Comédiens Italiens ont donné aujourd’hui la première représentation de la Clochette comédie en un acte et en vers, mêlée d ariettes ; paroles de M.  Auseaume, musique de M. Duni. Le drame n’est autre chose que le conte de La Fontaine, où l’auteur a introduit pour former l’intrigue de sa pièce, un rival qui supplante le ravisseur des moutons. La pièce est très-peu de chose : elle n’a ni les grâces et la douceur d’une pastorale, ni les saillies et la finesse de dialogue d’une comédie. la musique est douce, agréable, et d’un bon genre. Les connaisseurs la trouvent faible.

25. — Si l’on en croit les nouvelles de Londres sur la personne du célèbre Genevois, ses torts tiennent à la nature de son caractère, dont l’orgueil et l’amour-propre font, la base. M.  Hume, qui l’a conduit en Angleterre, ayant cherché à lui être utile, avait obtenu une pension qui lui assurait un bien-être pour sa vie. M.  Hume prétend n’avoir fait des démarches pour obtenir cette grâce que de l’aveu de M.  Rousseau, qui, loin d’en convenir, s’est répandu en invectives sur ce qu’on cherchait à le déshonorer, en lui prêtant une avidité qu’il n’avait pas, et a prétendu qu’il n’avait besoin des bienfaits de personne ; qu’il n’avait jamais été à charge à qui que ce fût ; qu’il ne prétendait pas qu’on mendiât sous son nom des grâces qu’il dédaignait. M.  Hume, justement piqué de ces reproches, a rendu publiques des lettres qui démontrent la fausseté de Rousseau, ce cynique personnage lui témoignant sa reconnaissance des soins qu’il voulait bien se donner pour lui ménager une pension du roi d’Angleterre. Voilà, d’après les lettres venues de la Grande-Bretagne, le fond assez bien éclairci de la querelle qui divise ces auteurs.

26. — Il paraît un livre intitulé : De l’autorité du Clergé et du pouvoir du magistrat politique sur l’exercice des fonctions du ministère ecclésiastique, par M…, avocat au parlement[90]. Cet ouvrage sage, très-savant, très-redoutable au clergé, n’est qu’une extension d’une brochure[91] que le même auteur fît paraître, en 1760, contre la réclamation de l’assemblée du clergé. Un arrêt du conseil vient de proscrire ce livre, contre lequel les évêques ont fulminé[92].

28. — Le Journal de Trévoux passe en de nouvelles mains. Ce n’est plus M.  Mercier, le bibliothécaire de Sainte-Geneviève, qui en aura la direction ; c’est M.  l’abbé Aubert, connu par des ouvrages d’agrément, mais dont les talens, dans le genre de la critique, ne sont pas encore développés. Son ouvrage commence de ce mois-ci.

30. — On parle beaucoup d’une Lettre du docteur Maty, médecin très-renommé de Londres, à M.  de La Condamine, en date du 18 juin, pour la communiquer à l’Académie des Sciences. Il y assure que l’équipage entier d’un des vaisseaux de guerre anglais qui viennent de faire le tour du monde, a vu et examiné cinq ou six mille Patagons de neuf à dix pieds de haut. Il en conclut l’existence des géans en corps de peuple, et que ce ne sont point des variétés rares, individuelles et accidentelles dans l’espèce humaine, comme l’ont soutenu nos plus célèbres naturalistes[93].

31. — La Religion Chrétienne prouvée par un seul fait, ou Dissertation ou l’on démontre que des Catholiques a qui Huneric, roi des Vandales, fit couper la langue, parlèrent miraculeusement le reste de leur vie ; et ou l’on déduit les conséquences de ce miracle contre les Ariens, les Sociniens et les Déistes, et en particulier contre l’auteur de l’Émile, en répondant à leurs principales difficultés ; avec cette épigraphe : Ecce, ego admirationem faciam populo huic, miraculo grandi et stupendo[94]. Nous n’avons rien à ajouter à ce titre original : il indique suffisamment la nature de l’ouvrage et quel il peut être.

1er Août. — C’est très-clandestinement qu’il paraît dans le public la brochure in-12 de quatre-vingts pages d’impression, petit caractère, portant pour titre : Mémoires de M. de La Chalotais, procureur-général au parlement de Bretagne. Le premier contient trente-neuf pages, et ne paraît avoir été fait que sur des imputations vagues ; le prisonnier ignorait alors sur quels chefs précis d accusation on voulait asseoir la procédure. Le second continue jusqu’à la page 68. Tous deux sont datés du château de Saint-Malo, savoir : le premier du 13 janvier 1766, et le second du 17 février suivant. Celui-ci est plus direct, et paraît embrasser tous les griefs dont on charge cet illustre criminel. À la suite est une Addition, de même format, jusqu’à la page 80. C’est une petite défense particulière, dirigée contre un magistrat, M. de Calonne, que l’accusé semble regarder comme son ennemi personnel. Il y est peint sous des couleurs très-flétrissantes. On lit entre autres choses, dans ces Memoires, qu’ils ont été écrits avec une plume faite d’un cure-dent, de l’encre composée d’eau, de suie de cheminée, de vinaigre et de sucre, sur des papiers d’enveloppe de sucre et de chocolat. L’auteur débute ainsi : « Je suis dans les fers ; je trouve le moyen de former un Mémoire. Je l’abandonne à la Providence. S’il peut tomber entre les mains de quelque honnête citoyen, je le prie de le faire passer au roi, s’il est possible, et même de le rendre public pour ma justification et celle de mon fils. »

M. de La Chalotais prétend exposer, dans ces écrits, la source et l’origine de sa disgrâce. Il s’y plaint amèrement de la rigueur de sa détention, invoque la justice du roi, réclame l’exécution des lois, et proteste de son innocence sur quelque point qu’on veuille l’inculper. Ces Mémoires interessent la littérature par leur auteur ; on y reconnaît la plume qui a foudroyé si éloquemment le fanatisme dans ses Comptes rendus des constitutions des Jésuites[95]. Il y a de la chaleur, beaucoup d’esprit, de la modération et de l’énergie dans cet ouvrage précieux, comme discours oratoire. Ce n’est point à nous à toucher au fond de la question.

6. — Il court trois lettres manuscrites, datées du 6 juillet, sur l’affaire et l’exécution de M.  de La Barre, gentilhomme brûlé à Abbeville pour sacrilège. On attribue ces trois lettres à M. de Voltaire : elles en sont dignes par ce cri de l’humanité qu’il fait entendre partout, et par ce sarcasme fin dont il assaisonne tout ce qu’il dit. Il cite entre autres choses dans ces lettres l’histoire d’un M. Le Camus qui, étant jeune prêtre, communia un cochon avec une hostie, et ne fut qu’exilé. Ce même Le Camus, parent de M.  de La Barre, fut depuis cardinal. Le parlement est furieux contre ces lettres, et l’on assure que le premier président en a porté des plaintes au roi. On y semble rendre compte de tout ce qui s’est passé à Abbeville, ainsi que de la fermeté avec laquelle M.  de La Barre a souffert son supplice.

7. — La Raméide, poëme[96]. On y lit pour épigraphe :

Allez, mes vers, craignez peu les méchans,
On ne les connaît pas chez les honnêtes gens.


Et plus bas : Inter ramos lilia fulgent. Cet ouvrage est de M.  Rameau, neveu du fameux musicien.

8. — M.  de Boufflers, officier, amateur plein de goût et de talens, a dessiné tout nouvellement, au château de Ferney, le portrait de M.  de Voltaire, et l’a gravé en profil dans un ovale de huit pouces de hauteur sur sept de largeur. Cette gravure paraît faite à l’eau forte et terminée à la pointe, dans la manière de Rambrandt, avec beaucoup d’art et d’esprit. L’amateur habile a saisi en quelque sorte l’âme et le feu de son modèle, il la représenté d’un air pensif, mais animé, devant son bureau, ayant une main posée sur un papier, et tenant de l’autre une plume, et prêt à écrire ce qu’il médite. La tête est coiffée d’un bonnet, sur une grande chevelure. Une ressemblance parfaite, une attitude facile et intéressante, une exécution nette et brillante, un vrai qui se fait sentir, rendent cette estampe très-précieuse[97].

10. — M.  Huber vient de donner au public un Choix de poésies allemandes en quatre volumes in-12. C’est une traduction des meilleurs poètes allemands. Ce recueil fait honneur à la littérature de leur pays, et peut être très-utile à la nôtre. M.  Huber nous a déjà donné les traductions du poème de la Mort d’Abel, des Pastorales, et du Daphnis de Gessner. On remarque que dans cet ouvrage-ci les fleurons placés au frontispice de chaque volume sont gravés par M.  Watelet, de l’Académie Française.

11. — Le bruit se confirme de plus en plus des plaintes portées au roi par le parlement contre M. de Voltaire et sa licence à critiquer ses arrêts[98], ainsi qu’à écrire sur des matières dangereuse et propres à répandre l’athéisme partout. On prétend que, pour en empêcher les suites fâcheuses, ses amis l’ont engagé à solliciter une retraite auprès du roi de Prusse.

Il est question d’une nouvelle lettre sur le jugement de M. de Lally, qu’on attribue à M. de Voltaire, où il fronde encore le jugement du parlement. Il voudrait le faire réhabiliter comme les Calas[99]. 12. — Pièces posthumes de l’auteur des Cinq Années Littéraires[100]. Cet auteur, comme l’on sait, est M. Clément, de Genève. Il y a peu d’ouvrages périodiques écrits avec autant de feu, avec autant d’esprit, de véhémence, que cette Année Littéraire. Cet ouvrage, où l’auteur avait dit peut-être sa pensée avec trop de liberté, lui occasiona quelques chagrins. Une longue maladie lui fit discontinuer ses travaux littéraires. M. Clément donna une tragédie de Mérope, dans des circonstances qui en empêchèrent la représentation, mais dont la publication fut reçue avec plaisir. Les pièces qu’on donne aujourd’hui au public respirent encore le feu de ses premières années. Il y a plusieurs lettres en vers ; quelques-unes sont écrites de Charenton, dont l’auteur avait été mis. Elles ne se ressentent point des accès de folie qui firent renfermer en pareil lieu ce nouveau Tasse.

13. — Un arrêt du Conseil, du 18 juin dernier, et qui n’avait été connu jusqu’ici que par la voie de la Gazette d’Hollande, vient d’être rendu public aujourd’hui et vendu dans les rues de Paris. Cet arrêt supprime un Mémoire attribué à M. de La Chalotais, sans désignation de format, ni citation de la première et dernière phrase. Il y est seulement dit qu’il est imprimé sans nom d’imprimeur, ni permission, qu’il est répréhensible, comme contenant des faits calomnieux et injurieux à des personnes chargées d’exécuter les ordres de Sa Majesté. De sorte qu’on ignore si cet arrêt regarde le Mémoire imputé à M.  de La Chalotais, dont on a parlé[101]. Ce Mémoire fait un bruit du diable ; il est recherché de tous les curieux et forme une pièce de bibliothèque très-précieuse.

15. — L’activité de l’esprit de M. de Voltaire n’est pas ralentie sur ses vieux ans : ou voit naître chaque jour des productions de sa part ; mais, toujours constant dans ses derniers principes, il semble particulièrement occupé à nourrir dans l’esprit de ses lecteurs ce scepticisme trop répandu depuis quelques années : tout ce qui sort de sa plume aujourd’hui tend à fortifier ses premières assertions. Il vient de paraître un ouvrage qui a pour titre le Philosophe ignorant. On y reconnaît à chaque page l’auteur de la Philosophie de l’Histoire, etc. Il a divisé son livre en Doutes, qu’il serait bien difficile de résoudre, à ne suivre que les lumières ordinaires de la raison, et qui fondent le pyrrhonisme, si dangereux pour les vérités reçues.

16. — Abrégé de l’Histoire ecclésiastique de Fleury, traduit de l’anglais[102]. Cet ouvrage, attribué au roi de Prusse, perce lentement dans le public : il est précédé d’une préface fortement écrite, et plus énergiquement pensée. L’auteur prétend, d’après le récit même de la manière dont l’Église s’est formée, démontrer que c’est une institution tout humaine ; en sorte que cette Histoire est la satire la plus forte et la plus dangereuse de la religion. On y trouve les anecdotes les plus précieuses.

17. — Une rixe élevée entre deux hommes qui se piquent de bel esprit et qui tiennent un rang dans la littérature, et comme auteurs et comme Mécènes, fait beaucoup de bruit : elle intéresse MM. de Lauraguais et de Villetle. Elle a donné lieu à des épîtres de part et d’autre, peu dignes d’être rapportées. Elle est née à l’occasion d’un pari prétendu fait entre les deux adversaires, et que M.  de Villette avait perdu. Il était question d’une course à exécuter par les chevaux et coureurs de ces messieurs. Le dernier n’a pas voulu donner le tableau en jeu, soutenant qu’il n’avait point parié. Ces deux champions, étant sur le point d’entrer en lice, se sont trouvés arrêtés par les gardes des Maréchaux de France, et l’affaire est au tribunal. Elle occupe beaucoup les gens de lettres, qui prennent parti pour ou contre.

18. — Nous avons oublié de faire mention de la mort de M.  Bonneval, auteur lyrique, mort il y a quelques mois. Un acte[103] de lui qu’on va donner en rappelle la mémoire. Il avait été intendant des Menus, il était trésorier de la reine, et est mort à soixante ans environ, de chagrins domestiques. Tous ses ouvrages n’ont eu aucun succès.

20. — Les Comédiens Français ont donné aujourd’hui la première représentation d’Artaxerxe, tragédie nouvelle de M.  Lemière. Le premier acte a été froidement accueilli. Le second a reçu des applaudissemens généraux et a paru de la plus grande beauté. Le troisième, bien loin de renchérir, ne s’est pas soutenu au même point. Le quatrième encore moins. Enfin la catastrophe est tout ce qu’il y a de plus ridicule et de plus absurde, par la complication d’événemens qui se rassemblent en un seul instant, et qui tous formeraient autant de tragédies différentes. On voit que l’auteur, uniquement occupé d’étonner le spectateur par des coups de théâtre inattendus, n’entend en rien la marche des passions, et ne sait pas fouiller dans les replis du cœur.

21. — Voici des détails plus exacts sur la rixe dont on a parlé. La course d’un cheval de M.  de Lauraguais, monté d’un postillon, avait occasioné plusieurs paris. Par un malentendu entre M.  le marquis de Villette et M. le comte de Lauraguais, ce dernier a prétendu avoir gagné un tableau de prix au nouveau marquis[104], qui s’en est défendu. M.  de Lauraguais, piqué de la négative, a écrit à M.  de Villette une lettre qui n’était pas faite pour flatter son amour-propre. Blessé de l’epître, il y a répondu par des épigrammes, et s’est rendu chez mademoiselle Arnould, pour y rejoindre, soi-disant, M. de Lauraguais. Mais, comme cette histoire avait déjà fait bruit, a peine y était-il que, suivant de près, des gardes des Maréchaux de France se sont attachés à leurs personnes. Comme l’un et l’autre ont réellement beaucoup d’esprit, ils en ont fait usage pour s’expliquer plus de sang-froid, et se sont conciliés de façon qu’ils sont devenus les meilleurs amis, ne se quittant presque plus, à la promenade, aux spectacles, etc. M.  de Villette a acquitté le pari ; en revanche M.  de Lauraguais lui a fait présent d’une jolie voiture. Tout cela allait le mieux du monde ; malheureusement il a fallu comparaître au tribunal de MM. les Maréchaux de France, sur le fond de l’affaire. Ce respectable aréopage, après les avoir ouïs et pris connaissance de beaucoup de détails dans lesquels il n’est pas possible d’entrer, a cru devoir prononcer un jugement ; mais il doit être confirme par le roi avant qu’il s’exécute. Cette aventure a fait ici beaucoup de bruit et n’a point surpris de la part des auteurs. M. le comte de Lauraguais n’est pas un homme ordinaire, et M.  de Villette a fait ses preuves, il est fils de l’ancien trésorier-général de l’extraordinaire des guerres, et est aujourd’hui chevalier de Saint-Louis. Il était dans la dernière guerre aide-major-général des logis, de l’armée.

22. — Par jugement du tribunal des Maréchaux de France, MM. de Lauraguais et de Villette ont été condamnés à une prison de six semaines. Le roi a bien voulu accorder la Bastille au premier : le second est à l’Abbaye. Cet événement continue à occasioner beaucoup d’écrits en vers et en prose dans la littérature.

23. — L’Examen critique des apologistes de la religion chrétienne paraît en effet imprimé[105]. Nous n’y avons point trouvé de changement, et c’est une copie exacte du manuscrit : le nom de M. Fréret et sa qualité y sont mis tout du long. Cet ouvrage, peu agréable à lire, n’est pas écrit avec plus de chaleur que les autres traités de ce philosophe ; mais cette modération même et ce calme, pour ainsi dire, des passions, sont fort dangereux. L’auteur y déploie la plus grande érudition, et une connaissance profonde de tous les Pères et de tous les livres canoniques et autres, depuis la naissance du christianisme jusqu’à nos jours.

25. — L’Acadéinie Française a fait aujourd’hui sa distribution du prix. La pièce[106] de M.  de La Harpe, qui l’a obtenu, a été lue par M. d’Alembert, et applaudie par tout l’assemblée. Outre l’Épître aux malheureux[107], le poëme sur la rapidité de la vie[108] a eu aussi un accessit. On a lu encore les extraits de quelques pièces qui ont concouru[109]. L’Académie a proposé pour sujet du prix d’éloquence de l’année prochaine l’Éloge de Charles V, surnommé le Sage.

27. — M.  de Belloy, cet auteur du Siège de Calais, dont la renommée s’était accrue si prodigieusement et s’est éclipsée encore plus vite, est depuis quelque temps dans létat le plus déplorable. Il est attaqué de vapeurs et d’obstructions, qu’on prétend être la suite de ses débauches avec mademoiselle Clairon. Quoi qu’il en soit, elle l’a mis entre les mains de Tronchin, sans succès ; il se plaint beaucoup de l’art des médecins, et paraît se résoudre à ne rien faire. Cet accident a bien éteint sa soif de gloire : il montre peu d’activité pour faire jouer la pièce de Gabrielle de Vergy.

28. — Extrait d’une lettre de M. de Voltaire
28. — Extrà un de ses amis[110],

Au sujet du bruit qui a couru qu’il allait se fixer dans une ville des États du roi de Prusse.

« Il est vrai que j’ai été saisi de l’indignation la plus vive et en même temps la plus durable, mais je n’ai point pris le parti qu’on suppose ; j’en serais très-capable, si j’étais plus jeune et plus vigoureux ; mais il est difficile de se transplanter à mon âge et dans l état de langueur où je suis. J’attendrai, sous les arbres que j’ai plantés, le moment où je n’entendrai plus parler des horreurs qui font préférer les ours de nos montagnes à des singes et à des tigres déguisés en hommes.

« Ce qui a fait courir le bruit dont vous avez la bonté de me parler, c’est que le roi de Prusse m’ayant mandé qu’il donnerait aux Sirven un asile dans ses États, je lui ai fait un petit compliment, je lui ai dit que je voudrais les y conduire moi-même, et il a pris apparemment mon compliment pour une envie de voyager, etc. »

On voit par cette lettre que les bruits qui ont couru, et dont nous avons parlé, ne sont pas tout-à-fait destitués de fondement.

1er Septembre. — M.  de La Condamine, de l’Académie des Sciences et de l’Académie Française, digne émule de feu M.  de Maupertuis, vient de faire ériger aux mânes de ce physicien célèbre un monument qui honore l’un et l’autre[111] : il est placé dans l’église de Saint-Roch. Le fond est une pyramide en marbre, de couleur lugubre. Sur cette pyramide est adossé le médaillon de M.  de Maupertuis ; au-dessous de ce médaillon est une épitaphe très-détaillée. La table est surmontée du Génie de l’astronomie, désigné par une flamme qui lui sort du front et par une couronne d’étoiles qu’il tient à la main. À l’autre côté de la table est un autre Génie, qui montre d’une main le globe de la terre, aplati vers ses pôles. Deux volumes placés à côté du globe, désignent deux des principaux ouvrages de M.  de Maupertuis. La composition de ce monument est noble et simple, et l’exécution fait honneur aux talons de M.  d’Huez. Le médaillon est fort ressemblant, quoique M.  d’Huez n’ait jamais vu le personnage : il l’a copié d’après un buste de M.  Le Moine.

3. — Extrait d’une lettre de M.  de Voltaire. « … J’ai reçu et lu le Mémoire de l’infortuné M.  de La Chalotais. Malheur à toute âme sensible qui ne sent pas le frémissement de la fièvre en le lisant ! Son curedent grave pour l’immortalité… Les Parisiens sont lâches, gémissent, soupent et oublient tout[112]. »

Pour mieux entendre ceci, il faut se rappeler ce que nous avons dit et cité du Mémoire[113].

4. — Le père Fidèle, de Pau, si célèbre par son Oraison funèbre du Dauphin, a mis au jour, depuis quelque temps, un livre non moins curieux par le fond et par la forme. Le titre seul annonce le ton original de l’auteur ; c’est le Philosophe dithyrambique[114]. Il attaque dans cet écrit les grands philosophes de nos jours. C’est par l’ironie que le Capucin se propose de combattre leurs erreurs. « Les dithyrambes, dit-il, étaient des ouvrages faits en l’honneur de Bacchus : productions, d’ailleurs, d’un style emphatique, obscur, vrai galimatias. Aristophane appelait les auteurs dithyrambiques des charlatans. » L’ouvrage est divisé en deux parties : dans la première, l’auteur examine quelles sont les qualités nécessaires à un écrivain en matière de religion, et prouve que les déistes n’ont aucune de ces qualités ; dans la seconde, il parcourt les maux que les livres philosophiques, qu’il appelle libelles, ont causés. C’est partout une imagination déréglée, une érudition indigeste, une diction burlesque, un ton de bouffonnerie, qui amuse d’abord, mais qui ennuie à la fin.

6. — Vers adressés à M.  de Voltaire
Par M.  François, de Neufchâteau en Lorraine, âgé de quatorze ans, associé des Académies de Dijon, Marseille, Lyon et Nancy, en lui envoyant un exemplaire de ses ouvrages[115].
À Neufchâteau, le 15 juillet 1766[116].

Rival d’Anacréon, de Sophocle et d’Homère,
Ô toi, dont le génie a franchi tour à tour,
Ô De tous les arts l’épineuse carrière,
Toi qui chantes les dieux, les héros et l’Amour,
Pardonne à mon audace, ô sublime Voltaire,
Et permets qu’aujourd’hui ma muse téméraire
Et peT’ose offrir ses simples accords ;
EtDaigne accepter cette offrande légère,
EtDaigne sourire à mes premiers transports.
Et DaJe sais que c’est un faible hommage :
Mais si ton indulgence approuve mes efforts,
Un succès si flatteur, excitant mon courage,
UnM’inspirera de plus dignes accens ;
Il saura m’élever au-dessus de mon âge…
Un coup d’œil de Voltaire enfante les talens.

9. — Outre le Mémoire de M.  de La Chalotais dont nous avons parlé, on vient d’imprimer deux lettres de lui, plus éloquentes encore. La première, adressée au roi, en douze pages in-12, petit caractère, comme le Mémoire, est du mois d’avril. Il y demande justice et proteste de son innocence. La seconde, du même format et caractère, a vingt-deux pages ; elle est datée du 7 juin. Elle contient les mêmes réclamations qui sont déposées dans le Mémoire. Il s’élève fortement contre ses ennemis, et donne pour principe de ses disgrâces la haine du parti jésuitique et l’inimitié du commandant de la province, le duc d’Aiguillon.

10. — On vient d’imprimer le discours qui a remporté le prix de l’Académie royale des Belles-Lettres de Caen, le 5 septembre 1765. Le sujet était des plus utiles et des plus curieux : « Quelles sont les distinctions que l’on peut accorder aux riches laboureurs, tant propriétaires que fermiers, pour fixer et multiplier les familles dans cet état utile et respectable, sans en ôter la simplicité qui en est la base essentielle ? » C’est celui de M.  Dornay, qui a été couronné ; il portait pour épigraphe : Honores mutant mores. Il est traité avec toute l’éloquence et toute la vérité possible. Rien de plus philosophique que ce morceau digne d’un excellent citoyen.

11. — Vers à M.  le chevalier de ***,

Sur une indigestion de l’auteur (M.  Dorat).

Vous avez tout, grâces, talens ;
Vous buvez des eaux d’Hippocrène :
Du bon Horace et de Turenne
Vous suivez les drapeaux brillans.
Digérez-vous ? voilà l’affaire ;
L’homme n’a rien s’il ne digère.
Car sans cela plaisirs et jeux
S’envolent au pays des fables.
L’esprit fait les mortels aimables :
Mais l’estomac fait les heureux.

.

12. — M.  de Calonne se trouvant fortement attaqué dans féloquent Mémoire de M.  de La Chalotais, vient d’en présenter un au roi, dans lequel il met sous les yeux de Sa Majesté tout ce qui s’est passé entre lui et M.  de La Chalotais. Cette réponse fort détaillée contient treize pages d’impression in-4o, qu’il n’est pas possible d’analyser. On lit à la fin, que le roi a eu la bonté d’écrire de sa main ce qui suit :

1er septembre.

« Je vous autorise à faire imprimer ce Mémoire. Vous n’avez pas besoin de justification auprès de moi, je rends justice à vos talens et à la droiture de votre conduite. Comptez sur toute ma protection. »

Sur cette apostille de Sa Majesté, ce Mémoire a été imprimé à l’Imprimerie Royale. On a mis à la suite une Lettre de M.  de Calonne, relative à cette discussion. L’ouvrage, comme littéraire, est d’une logique très-faible, sans énergie, sans finesse : le style en est médiocre, et donne une fort petite idée de l’orateur et de son génie.

13. — Si l’on en croit des lettres venues de bonne part, les prétendus torts de J.-J. Rousseau ne sont pas si bien constatés, qu’on ne puisse les révoquer en doute. Un tiers paraît avoir cherché à aigrir les esprits, en rapportant à chacun d’eux séparément des confidences faites pour les indisposer réciproquement ; de là un malentendu de part et d’autre, qui a occasioné une brouillerie au-delà des bornes de l’honnêteté. On assure que les parties se sont rapprochées, et que sur l’explication qu’elles ont eue entre elles, elles se sont réconciliées.

13. — Recherches sur l’origine des découvertes attribuées aux modernes, etc., par M.  Dutens, deux volumes in-8o. Le but de cet ouvrage est de prouver que les différens systèmes qu’on annonce tous les jours comme des découvertes, ont été connus des anciens. Cet ouvrage est plein d’érudition, mais peu consolant.

15. — On a vu avec quelle chaleur M.  de Voltaire a soutenu la cause des Calas dans les écrits sortis de sa plume à ce sujet, ainsi que dans son Traité de la tolérance : il vient d’y ajouter un Avis au public sur les parricides imputés aux Calas et aux Sirven, qui peut servir de supplément. Il y rappelle l’arrêt du parlement de Toulouse, la sentence rendue à Mazamet, dans le pays de Castres, contre les Sirven, et rapporte à cette occasion différens exemples du fanatisme, qui, dans tous les temps, a tyrannisé certains esprits et a produit des excès qui font frémir l’humanité. L’auteur continue à se servir de l’ironie et à traiter, en plaisantant, des matières qui paraissent mériter un ton plus sérieux.

16. — Mademoiselle de La Chalotais, sous le nom de son père et de son frère, comme fondée de leurs pouvoirs et se faisant fort pour MM. de Montreuil, de La Gacherie et de Kersalaun, a fait présenter au roir deux Requêtes tendantes à supplier Sa Majesté de retirer les lettres patentes du 5 juillet dernier, comme étant un obstacle au renvoi qu’ils ont demandé par la cédule évocatoire. La première de ces Requêtes est du 11 août, et la deuxième du 26. Elles sont souscrites par huit des principaux avocats du parlement qui estiment que la procédure faite à Rennes depuis les lettres patentes du 5 juillet dernier, ainsi qu’elle est exposée dans cette Requête, est nulle, par les moyens qui y sont établis, et que cette nullité ne peut que fortifier ceux sur lesquels on a fondé la Requête par laquelle le roi a été très-humblement supplié de retirer ces lettres. Ces deux Requêtes ont près de quatre-vingts pages d’impression in-4o

— Il paraît encore un nouveau Mémoire à consulter et Consultation, sous le nom de la famille de M.  de La Chalotais, qui demande si la preuve par comparaison d’écriture[117], sur laquelle on ne pourrait pas prononcer une condamnation à peine capitale, suffirait pour donner lieu à une peine légère, pour faire ordonner un plus amplement informé ou pour mettre hors de cour sur l’accusation. Le conseil qui a examiné la question et l’ouvrage de Le Vayer sur le même sujet, persiste dans sa Consultation du 26 juillet dernier, et recueille de nouveau une multitude de faits qui prouvent les erreurs et les contradictions continuelles des experts ; d’où il conclut que s’il n’y a contre M. de La Chalotais que la seule déposition des experts, en quelque nombre qu’ils puissent être, on ne peut ni mettre hors de cour, ni prononcer un plus amplement informé, et qu’on doit le décharger de l’accusation. La Consultation ajoute de plus que, par l’examen des pièces imputées, tout dépose en faveur de M.  de La Chalotais ; que jamais délit ne fut moins vraisemblable ; que la qualité du crime, celle de l’accusé, sa conduite, ses sentimens les plus connus, que tout enfin concourt à établir qu’il n’est pas auteur des billets anonymes, et qu’on blesserait également les lois naturelles et positives, en ne le déchargeant pas de l’accusation. Cette Consultation est signée des mêmes avocats que ceux qui ont souscrit celle des Requêtes, et est aussi du 26 août dernier ; elle contient trente-six pages in-4o.

19. — Par des nouvelles de Varsovie, du 16 août 1766, on écrit que madame Geoffrin, qui est encore en Pologne, ne pouvant se refuser à l’invitation de l’impératrice de Russie, se dispose à partir pour Pétersbourg.

20. — On parle beaucoup d’une réponse de M.  de La Chalotais au Mémoire de M.  de Calonne : la rareté de cet ouvrage fait qu’on n’est pas encore en état d’en rendre compte.

24. — On a saisi à Bayonne les Mandemens et Instructions de M.  l’archevêque de Paris et des autres évêques qui ont écrit dans le même esprit en faveur des ci-devant soi-disant Jésuites, dont on a fait un recueil. On les avait traduits en espagnol, avec une préface, un discours raisonné, et le tout était destiné pour l’Espagne.

26. — On mande d’Espagne que le Père Poyant, recteur des Jésuites, ci-devant secrétaire de l’ambassadeur en Russie, a été arrêté par ordre du ministre espagnol ; que l’on a trouvé chez lui l’édition, d’environ trois mille exemplaires, d’une brochure très-séditieuse en faveur des Jésuites de France, où le roi même est très-peu respecté. On ajoute que cette brochure, quoique imprimée à Saragosse, portait le titre de Paris ; que c’est sur la plainte du ministre de France que le Père Poyant a été arrêté et mis dans les prisons.

27. — Il ne paraît pas qu’on soit parvenu à réunir les esprits de M.  Hume et de J.-J. Rousseau, quoi qu’on ait fait pour les réconcilier. L’aigreur du dernier a forcé le caractère pacifique de l’autre, et l’on assure qu’ils vont rendre le public juge de leur différend, en faisant imprimer ce qui l’a occasioné. La singularité de Rousseau n’a fait nulle sensation en Angleterre, et ses ouvrages n’y sont pas accueillis avec la même fureur qu’en France. L’énergie de son style, principal mérite de ses ouvrages, ôte beaucoup de leur prix aux gens qui n’entendent pas parfaitement notre langue.

30. — M.  Piron, toujours original, vient de publier un poëme singulier ; il a pour titre : Feu M.  le Dauphin à la nation en deuil depuis six mois[118]. Il débute ainsi :


France ! rosier du monde, agréable contrée,
Qui ne m’as, dans le temps, qu’à peine été montrée,
Amour des nations, sociables François,
Peuple chéri du ciel, et chérissant vos rois ;
Également aimé de votre auguste maître,
Qui fit tout pour me rendre un jour digne de l’être,
Tandis que je tremblais, l’adorant comme vous,
D’hériter d’un pouvoir pour vous et moi si doux :
Chers amis, que ma voix touchante et fraternelle
Parvienne à vous du haut de la voûte éternelle,
Et ne vous parlant plus que de félicité
Après un deuil si long vous rende à la gaîté.


Qui croirait ces vers sortis de la main qui a crayonné la Métromanie ?

1er Octobre. — Le jeune Molé, comédien très-agréable au Théâtre Français, a une fluxion de poitrine, avec la fièvre maligne. Le public témoigne beaucoup d’intérêt à sa santé et demande de ses nouvelles tous les jours à l’acteur qui vient annoncer. C’est un sujet cher à ses plaisirs, et dont la perte ferait un vide à ce spectacle dans les circonstances actuelles.

2. — On a donné aujourd’hui[119] au Théâtre Italien une nouveauté inattendue : c’est une petite pièce, intitulée la Fête du château, qu’on attribue à M.  Favart. Elle est dans le genre des anciens opéras comiques, c’est-à-dire que tous les airs en sont parodiés. Mais rien de mieux choisi que ces airs, ni de mieux adapté aux paroles. Le fond de ce divertissement paraît avoir été composé à l’occasion d’une fête particulière. Il s’agit de célébrer la convalescence d’une jeune demoiselle qui a été inoculée. Il y a des couplets très-agréables relatifs à l’inoculation. Le fond, peu riche par lui-même, est embelli par des détails ingénieux, piquans et délicats : il nous rappelle à un genre qu’il était fâcheux d’avoir totalement abandonné. Il a fort bien repris.

3. — M. Hardion, de l’Académie Française et de celle des Inscriptions et Belles-Lettres, garde des livres et antiques du cabinet du roi, instituteur de Mesdames, est mort hier#1,

5. — Le public continue de témoigner sa bienveillance à Molé, et la part qu’il prend à sa maladie. L’espérance renaît sur son compte, mais il est à craindre que sa convalescence ne soit très-longue. Le vin lui ayant été conseillé pour ranimer son existence, dans l’épuisement total où il est, il a reçu en un jour plus de deux mille bouteilles de vin de toutes espèces, des différentes dames de la cour. Ce même acteur témoignant à mademoiselle Clairon que sa maladie lui coûtait beaucoup et le ruinerait, si l’on ne faisait quelque chose pour lui, il fut question de demander aux gentilshommes de la chambre une représentation ou deux gratis pour lui : mademoiselle Clairon lui dit qu’elle se chargerait volontiers de cette sollicitation, et même de jouer, si cela pouvait attirer plus de monde.

7. — M. l’abbé Guyot, aumônier de M. le duc d’Orléans, vient de nous donner une édition des Œuvres du Feu Père André, déjà connu par son Essai sur le beau.[120] Ces œuvres contiennent dix-neuf discours, composant un Traité de l’homme selon les différentes merveilles qui le composent. Tout cela est très-bien écrit et nous annonce l’auteur comme étant à la fois théologien, philosophe, mathématicien, orateur et poète. Il y a sans contredit beaucoup de paradoxes, car quel ouvrage de métaphysique en est exempt ? L’éditeur a mis en tête un Éloge historique de l’auteur : il en résulte que ce Jésuite, né a Châteaulin en Basse-Bretagne, le 22 mars 1675, fut reçu au noviciat en 1693 ; qu’en 1726 il fut nommé professeur royal de mathématiques au collège de Caen, remplit cette place avec la plus grande distinction jusqu’en 1759, qu’il fut obligé d’obéir aux ordres de ses supérieurs, et de se reposer, étant déjà âgé de quatre-vingt-quatre ans. Les philosophes qu’il goûtait le plus, dit-on, étaient Platon, Descartes, Malebranche. De tous les poètes français, Corneille lui paraissait le plus grand, et Boileau le plus sensé. Il regardait Rousseau comme le dernier de nos poètes, non dans le sens que pourrait l’entendre M.  de Voltaire, ajoute Fréron dans son extrait, mais comme on disait de Caton, que c’était le dernier des Romains. Le Père André était en relation avec Malebranche, son ami, et Fontenelle, qui ne le connaissait que par lettres. Après la dissolution du collège de Caen, il choisit sa retraite à l’Hôtel-Dieu de cette ville, où le parlement de Rouen pourvut à sa subsistance, au-delà de ses désirs, en ordonnant de lui accorder absolument et sans aucune condition ce qu’il demanderais Il est mort le 26 février 1764.

9. — M.  Poinsinet, poète attaché depuis quelque temps au prince de Condé, vient de faire imprimer un Divertissement fait à l’occasion de l’arrivée de ce prince pour la tenue des États de Bourgogne, il est intitulé : le Choix, des Dieux, au les Fêtes de Bourgogne[121]. Il est en un acte, et a été exécuté à Dijon le 13 juillet dernier. L’auteur n’a sans doute pas prétendu donner une pièce régulière : s’il a eu dessein de faire des scènes agréables, quoique peu liées entre elles, des complimens spirituels et flatteurs, il a parfaitement réussi.

10. — Chanson de M.  le marquis de Saint-Aignan.

Soupirer près de ce qu’on aime
Est un plaisir doux et flatteur ;
Ainsi d’un objet enchanteur
On sait presser l’aveu suprême
Et s’avancer vers le bonheur.
Touchés d’une égale tendresse
Et consumés des mêmes feux,
Bientôt on soupire tous deux :
L’instant qui suit produit l’ivresse,
L’Amour triomphe… On est heureux !

14. — Les Égyptiens ont été les premiers qui ont eu des musées : c’était chez eux un lieu de la ville où l’on entretenait, aux dépens du public, un certain nombre de gens de lettres distingués par leur mérite, et dans lequel on rassemblait tout ce qui avait un rapport immédiat aux sciences et aux arts. À l’exemple de la ville d’Oxford, qui a un musée des plus considérables, il y a plusieurs années qu’on en a établi un à Londres, où non-seulement on rassemble tous les trésors des sciences et des arts, mais encore qu’on enrichit des portraits et des bustes de tous ceux qui ont illustré l’Angleterre par leurs écrits ou par leurs découvertes. La garde de ce sanctuaire des muses est confiée à M.  Maty, secrétaire perpétuel de l’Académie Royale de Londres. Ce savant a demandé permission à madame Du Boccage de placer dans ce Musée le buste de cette illustre française. Voici des vers qu’il lui a adressés à cette occasion :

D’un Phidias ton buste anime le ciseau,
Ciseau fait pour les Dieux, les Muses et les Grâces :
CiseaDu Boccage, le dieu du beau
Au temple d’Albion t’offre le choix des places.
Entre Locke et Platon, Chesterfield et Boileau,
CiseaPrès de Milton, que ton pinceau
EnFit admirer, en le faisant connaître,
Élève de Minerve, hâte-toi de paraître ;
EnEt qu’en voyant cet ouvrage nouveau,
Nos Anglais étonnés doutent qui tu peux être,
EnD’Athenaïs, de Laure ou de Sapho.

17. — M.  Bouchaud, censeur royal et docteur agrégé de la Faculté de droit de Paris, vient de publier des Essais historiques ; ils sont intitulés : de l’impôt du vingtième sur les successions, et de l’impôt sur les marchandises chez les Romains[122]. Ils ne sont que les fragmens d’un traité beaucoup plus étendu de l’impôt. Cet ouvrage savant et bien discuté est dédié à MM. de l’Académie des Belles-Lettres ; c’est un compliment prématuré, qui le désigne pour remplacer à cette Académie M. Hardion.

19. — L’Académie Française, outre les deux pièces qui ont eu l’accessit au mois d’août, a fait imprimer un Extrait[123] d’onze autres pièces, avec un court avertissement, où elle déclare qu’elle a vu, par le choix des sujets, que les poètes aspiraient au solide honneur d’être utiles.

La première est l’héroïde de Marie Stuart, reine d’Écosse, écrite du château de Foderingay à Jacques VI, son fils et son successeur ; la seconde est une Épître adressée aux rois conquérans[124] ; la troisième est intitulée le Génie[125] ; la quatrième, idée du Sage. Le Discours sur la Philosophie, cinquième pièce, est de M. Fontaine, auteur d’une autre pièce qui a eu l’accessit[126] ; la sixième, sur le danger d’être un grand homme, est de M.  Le Prieur ; la septième a pour titre Doit-on pleurer la mort des personnes qu’on aime ? La huitième, Èpître à un ami sur la recherche du bonheur ; la neuvième est une Épître que M.  Le B. D. adresse à une mère qui allaite son enfant ; la dixième roule sur les avantages de la médiocrité. La dernière pièce est une Épître adressée à un jeune homme qui veut embrasser la profession des lettres, qui, dévoré du besoin de la gloire, brûle d’illustrer sa mémoire et sa vie, et qui enfin, obscur par ses aïeux, cherche à s’ennoblir par lui-même.

20. — On vient enfin de publier l’Exposé succinct de la contestation qui s’est élevée entre M. Hume et M.  Rousseau, avec les pièces justificatives[127]. Cette brochure, de plus de cent pages, ne laisse aucun doute sur le fond de la guerre. Il paraît que la première cause est la Lettre supposée du roi de Prusse à Rousseau, écrite et avouée par M.  Horace Walpole, imprimée dans tous les journaux, et particulièrement dans les papiers anglais. M. Rousseau, d’un caractère inquiet et peu liant par sa bizarrerie, a cru voir l’auteur de cette plaisanterie dans la personne de M. Hume, et dès-lors l’a regardé comme un traître et le plus méchant des hommes. Il lui a écrit, dans cette idée, avec toute la chaleur qu’on connaît au Démosthène moderne. Vainement M.  Hume lui a opposé le sang-froid que donne la défense d’une bonne cause, et a cherché à le ramener par la douceur et les bons procédés ; M.  Rousseau n’y a répondu que par une lettre encore plus outrageante ; il a forcé le caractère de M.  Hume, et celui-ci s’est cru obligé de rendre publique la nature de ses liaisons avec Rousseau, les motifs qui l’ont porté à chercher à l’obliger, et l’injustice, pour ne rien dire de plus, de Jean-Jacques envers lui.

23. — L’Exposé succinct publié par M.  Hume contre J.-J. Rousseau n’a pas le suffrage général. On reproche à M. Hume de n’avoir pas conservé le noble dédain qu’il avait témoigné d’abord, et qu’une âme plus philosophique eût montré jusqu’au bout. On y lit des reproches sur des objets de reconnaissance qu’il eût été plus honnête de taire. M.  d’Alembert y figure par une lettre[128] de sa façon, qui lui fait honneur. Rousseau l’inculpait dans cette querelle comme un des coopérateurs de la Lettre du roi de Prusse. Il se justifie, ou plutôt il s’explique avec tout le flegme du vrai philosophe. La lettre de M.  Walpole est ce qu’il y a de plus remarquable pour la fierté, et peut-être l’insolence avec laquelle il traite Rousseau.

25. — Le fameux Père La Tour, ci-devant soi-disant Jésuite, qui a été long-temps principal du collège de Louis-le-Grand, est mort à Besançon, il y a quelque temps. Ce n’était pas un littérateur, mais un des intrigans de la Société, et il y avait une grande prépondérance. Ayant eu l’honneur d’avoir été préfet du prince de Conti, auprès duquel il avait beaucoup de crédit. Son Altesse l’avait d’abord retiré au Temple.

27. — Les plus secrets mystères des hauts grades de la Maçonnerie dévoilés, ou le vrai Rose-Croix, traduit de l’anglais, suivi du Noachite, traduit de l’allemand[129]. Les hauts grades de la maçonnerie, suivant ce livre, sont au nombre de six, et le dernier est celui de chevalier de l’Epée ou de Rose-Croix. La formule de réception est toute militaire : c’est, dit-on, en mémoire de la manière dont les Juifs rebâtirent leur temple et les murs de leur ville, sous la conduite de Zorobabel. Le Noachite ou Chevalier prussien est un grade particulier, ou plutôt un ordre a part, qui regarde le roi de Prusse comme son protecteur. Cet ordre-ci prétend rebâtir la Tour de Babel : il date de 4658 ans. On en trouve dans cet ouvrage toute la filiation ; il y est même question de monumens qui l’attestent.

28. — Pièces fugitives de M.  François, de Neufchâteau en Lorraine, âgé de quatorze ans[130]. Ce jeune auteur a débuté à treize ans, et depuis a été reçu de quatre Académies. Il règne une facilité étonnante, des graces et de l’harmonie dans presque toutes les pièces de M.  François. Ses ouvrages sont quelque fois vides de pensées, et son goût n’est pas encore sûr.

29. — L’Académie de Dijon, dans les annonces qu’elle avait faites du prix de 1767 sur les antiseptiques, en avait fixé la valeur à la somme de trois cents livres ; mais M. le marquis Du Terrail, maréchal des camps et armées du roi, académicien honoraire non résidant, ayant fait, conjointement avec sa femme, une donation à l’Académie de Dijon, de la somme de dix mille livres, pour fonder à perpétuité un prix de la valeur de quatre cents livres, par acte du 9 avril 1766, l’Académie de Dijon annonce en conséquence au public que son prix de 1767 et tous ceux qu’elle donnera dans la suite seront une médaille d’or de la valeur de quatre cents livres.

Ier Novembre. — L’Académie Française procédera jeudi prochain, 6 de ce mois, à l’élection du successeur de feu M.  Hardion. Il paraît que M.  Thomas est le seul aspirant, à l’exception d’un président du parlement de Bourgogne.

2. — On ne peut pas assez s’étonner de l’audace de certains barbouilleurs de papier, qui ont le front de donner au public de prétendues Lettres du chevalier Robert Talbot[131]. Elles roulent sur la France, sur les divers départemens, avec nombre de particularités intéressantes, est-il dit, touchant ses hommes en place : le tout prétendu traduit de l’anglais. Cet ouvrage est une rapsodie misérable d’anecdotes tronquées, de portraits mal dessinés, le tout écrit d’un style pitoyable. Si les lecteurs étrangers prétendaient connaître ce pays sur de tels garans, ils le connaîtraient bien mal.

4. — Aujourd’hui, jour de Saint-Charles Borromée, fête de M.  le président Hénault, madame la comtesse de Jonsac, sa nièce, lui ayant présenté un ananas, on a fait

le quatrain suivant :

Lorsqu’en l’Inde je pris naissance,
Je ne me flattais pas qu’un jour,
Je dusse être offert par l’Amour
À l’Anacréon de la France[132].


6. — M.  Thomas a été élu aujourd’hui pour successeur de M.  Hardion.

8. — M.  Colardeau, pour satisfaire ses critiques, vient de faire réimprimer sa Lettre amoureuse d’Héloïse à Abailard, avec la traduction de divers morceaux qu’on lui reprochait d’avoir élagués. Nous croyons qu’il aurait pu être moins docile. Le goût est la première qualité d’un traducteur, surtout de l’anglais. On a ajouté une Vie d’Abailard de la plume de M.  Marin, censeur royal.

11. — On parle beaucoup d’un ouvrage nouvellement imprimé et fort rare ; il a pour titre le Christianisme dévoilé, ou Examen des principes et des effets de la religion chrétienne[133]. On le fait paraître sous le nom de M. Boulanger, mort il y a quelques années ; mais le style est plus énergique que le sien, et l’on présume qu’il n’est pas de lui. Au reste c’est, à ce qu’on prétend, un des livres les plus terribles contre la religion. Le gouvernement s’oppose autant qu’il peut à son introduction.

13. — Il paraît une brochure in-12 de cent six pages d’impression, petit caractère, avec des notes, ayant pour titre : Des Commissions extraordinaires en matière criminelle[134]. L’anonyme disserte avec beaucoup de savoir sur les abus des commissions, fait l’analyse des plus connues de l’Histoire ; d’où il infère qu’on ne doit pas mettre en question qu’une commission extraordinaire en matière criminelle puisse jamais être licitement établie. Il est facile de voir le but de l’auteur[135], et quoiqu’il tende toujours à son objet principal, il ne se démasque point, et traite cette matière avec discrétion et sentiment. Cet ouvrage est certainement de quelqu’un fort instruit, et dans les circonstances il fait une grande sensation.

15. — Le Docteur Pansophe, ou Lettres de M.  de Voltaire[136]. Ce docteur Pansophe est l’opposé du docteur Pangloss. Celui-ci affirme que tout est bien ; l’autre nous crie depuis douze ans que tout est mal ; et ce docteur Pansophe, comme on le devine aisément, est J.-J. Rousseau. Ces Lettres sont au nombre de deux. Dans la première, adressée à M.  Hume, M.  de Voltaire parle surtout du démêlé actuel de cet Anglais avec le philosophe genevois ; il prétend que ce dernier a d’autant plus de tort de l’accuser comme le plus cruel de ses persécuteurs, qu’il prouve avoir été le premier à lui offrir un asile. La seconde Lettre paraît être adressée à M.  Rousseau lui-même : elle renferme de bonnes plaisanteries et de meilleures raisons, de la gaieté et nulle aigreur.

16. — Madame Geoffrin, cette femme rare, dont on a eu occasion de parler, lors de son voyage en Pologne, est de retour à Paris depuis quelques jours. En passant par Vienne, elle a reçu de la part de l’Impératrice-reine et de l’Empereur toutes les marques de bonté auxquelles des particuliers ne doivent point s’attendre. On y a fait trêve d’étiquette, et elle a eu l’honneur de voir ces têtes couronnées avec les distinctions les plus flatteuses. Quant au roi de Pologne, le motif et l’objet de son voyage, on ne peut rendre jusqu’où ce monarque a porté les attentions et les petits soins.

16. — Il paraît une Justification, de J.-J. Rousseau, dans la contestation qui lui est survenue avec M. Hume[137]. Il est aisé de voir qu’elle est l’ouvrage de l’amitié. Le defenseur ne produit aucun fait nouveau ni aucune pièce nouvelle.

17. — On a traduit de l’anglais une brochure qui a pour titre Mémoire du lord Williams Pitt, comte de Chatham, ou Examen de la conduite d’un ci-devant député à la chambre des Communes. Cet ouvrage, qui a dû fort intéresser à Londres, perd la plus grande partie de son effet en France, où les personnages maltraités sont inconnus au grand nombre des lecteurs. C’est d’ailleurs un libelle, qui répugne par la grossièreté avec laquelle l’auteur se permet de dévoiler des mystères qu’il prétend être venus à sa connaissance. M.  Pitt y est extrêmement maltraité, et tout roule sur lui.

20. — M.  Richer vient de donner une Vie de Mecenas, favori d’Auguste, enrichie de notes historiques et critiques [138].

21. — M.  Maret, secrétaire perpétuel de l’Académie de Dijon, vient de faire imprimer l’Éloge historique de M. Rameau[139], qu’il avait lu à la séance publique de cette Académie le 25 août 1765. On rencontre dans cet écrit quelques faits curieux qui ne se trouvent point dans les autres Éloges.

22. — L’Orpheline, pièce nouvelle en vers et en un acte[140]. Cette comédie, imprimée récemment, n’a été jouée qu’en société. Elle était faite avant que l’Orpheline léguée parût au Théâtre Français. L’auteur convient qu’elle doit son origine à la sensibilité que lui inspirèrent le Père de Famille et le Fils naturel, de M.  Diderot.

23. — M.  le comte de Lauraguais, qui était par ordre du roi au château de Dijon, s’est sauvé avec son valet de chambre : on le soupçonne retiré en Suisse.

24. — M. D. A. vient de faire imprimer Arménide, ou le Triomphe de la constance, poëme dramati-tragi-comique, en cinq actes, en vers alexandrins. Le sujet de la pièce est pris d’un ouvrage espagnol, intitulé Historia de Armmida, o el Padre barbaro. Pour ne pas s’écarter de l’histoire, l’auteur, qui voulait s’assujettir aux règles du théâtre, en a fait un drame mêlé de tragique et de comique. Il a été joué en société, et l’on assure qu’il a produit de très-grands effets. Il ressemble à beaucoup d’autres, et surtout, pour le dénouement, à celui du Duc de Foix ; mais l’auteur a prévenu la critique : ainsi on ne peut lui reprocher aucun plagiat.

26. — Journal des événemens qui ont suivi l’acte des démissions des officiers du parlement de Bretagne, souscrit le 22 ma 1765[141]. Tel est le titre d’une brochure de cent cinquante-six pages in-12, petit caractère, suivie d’un supplément de trente et une pages, qui paraît depuis quelques jours furtivement. L’éditeur y rend compte de tout ce qui s’est passé jusqu’au 30 novembre dernier, concernant M.  de La Chalotais et les autres prisonniers, et de tout ce qui a trait à cette affaire ; elle contient les anecdotes les plus étonnantes. On peut juger dans quel esprit ce Journal est rédigé, par ces mots qu’on y lit en tête.

« La terreur générale que les actes du pouvoir absolu ont répandu dans la province de Bretagne et dans tout le royaume, a empêché ce Journal de paraître plus tôt. Ce n’est qu’après avoir éprouvé des contradictions dont le détail étonnerait, que l’on est parvenu à l’imprimer.

« Le lecteur verra en frémissant les moyens que l’orgueil jaloux, la haine implacable, la vengeance cruelle, les secours que la justice, le sang, l’amitié, l’humanité, s’efforcent de lui offrir. »

27. — C’est bien M. de La Condamine qui, résident à Paris, a été chargé de diriger l’exécution du monument en faveur de M.  de Maupertuis[142], mais ce sont les proches, les alliés et les amis du défunt, qui se sont disputé l’honneur de payer ce tribut à sa mémoire. Quelques-uns des parens et compatriotes de cet homme illustre désiraient que le monument fût placé à Saint-Malo, pour l’avoir sous leurs yeux ; mais l’artiste, M.  d’Huez, de l’Académie de Peinture et de Sculpture, a bien voulu se relâcher sur le prix de son travail, pourvu que le monument fût élevé dans une église de Paris. On a choisi celle de Saint-Roch, paroisse du défunt et lieu de la sépulture de son père.

28. — Le père Husson, religieux Cordelier, définiteur général de l’ordre de Saint-François, connu par un traité fort utile sur la Parfaite Oraison ou la Manière de méditer ou de prier avec fruit, vient de faire imprimer un Éloge historique de Callot, noble Lorrain, célèbre graveur. On y voit toutes les difficultés qu’essuya ce grand homme de la part de sa famille, et combien il est difficile de résister à l’impulsion du génie. Louis XIII ayant proposé à cet artiste, qu’il voulait séduire par les promesses les plus flatteuses, de graver le siège par lequel ce prince venait de soumettre Nancy : « Je suis Lorrain, dit Callot, j’aime mes souverains et ma patrie ; je ne veux rien faire de contraire à leur honneur ; je me couperais plutôt le pouce. » Quelques courtisans sollicitaient le monarque d’employer la contrainte : « Que le duc de Lorraine est heureux, dit Louis-le-Juste, d’avoir des sujets si affectionnés et si fidèles ! » Callot mourut le 24 mars 1635, âgé de quarante-trois ans.

L’auteur parle des ouvrages de cet artiste en homme instruit et intelligent ; il a ajouté à cet Éloge des notes très-curieuses.

30. — On trouve dans la Gazette littéraire de Berlin, du 9 octobre, l’article suivant :

Déclaration de M.  le professeur Toussaint.

Dans un ouvrage français intitulé Supplément aux diverses Remarques faites sur les Actes de l’assemblée du Clergé de 1765, le supplémenteur fait d’abord de vifs reproches au rédacteur des Actes, d’avoir interverti un passage de l’Épître de St. Paul aux Romains, où l’on lit, dans la Vulgate : Non est enim potestas nisi à Deo ; quæ autem sunt, à Deo ordinatæ sunt. Ce qui signifie que toute puissance bien réglée vient de Dieu. Après quoi il raconte qu’un grand magistrat a communiqué au parlement une découverte qu’il a faite dans l’Encyclopédie, savoir, que c’est le trop fameux Toussaint qui a imaginé le premier cette interversion du texte de saint Paul, et la employée dans l’article Autorité[143] ; et là-dessus, prenant le ton ironique et faisant le badin, il raille théologiquement le clergé de France d’être allé prendre ce trop fameux Toussaint pour son docteur et son guide. Mais ce même Toussaint, fameux ou non, sans entrer dans cette discussion grammatico-théologique, déclare et proteste à l’auteur des Remarques, à son grand magistrat et au public, avec toute la sincérité d’un honnête homme, qu’il n’est l’auteur ni de cette interprétation, ni de l’article Autorité. Il ajoute qu’il n’a tenu qu’au supplémenteur et à son grand magistrat de le savoir, puisqu’au commencement du premier volume de l’Encyclopédie, lit qui veut l’explication des lettres par où sont désignés dans le courant de l’ouvrage les auteurs des divers articles ; et pour que l’hommage qui est dû à la vérité soit d’autant plus notoire et plus répandu, il prie tous les auteurs des écrits périodiques de vouloir bien transcrire et notifier à tous leurs lecteurs sa présente déclaration.

1er Décembre. — M.  de Voltaire, dont le zèle infatigable s’est manifesté si utilement en faveur des Calas, ne cesse d’agiter toute l’Europe pour une famille presque aussi infortunée, celle des Sirven. Il se répand une Lettre de ce grand homme à madame Geoffrin, où il la sollicite d’exciter la commisération du roi de Pologne pour ces protestans persécutés : elle est datée du 5 juillet 1766.

« Vous êtes, Madame, avec un roi qui, seul de tous les rois, ne doit sa couronne qu’à son mérite. Votre voyage vous fait honneur à tous deux. Si j’avais de la santé, je me serais présenté sur votre route, et j’aurais voulu paraître à votre suite. Je ne peux mieux faire ma cour à Sa Majesté et à vous, Madame, qu’en vous proposant une bonne action ; daignez lire et faire lire au roi le petit écrit[144] ci-joint.

« Ceux qui secourent les Sirven et qui prennent en main leur cause, ont besoin d’être appuyés par des noms respectés et chéris. Nous ne demandons qu’à voir notre liste honorée par ces noms qui encouragent le public. L’aide la plus légère nous suffira. La gloire de protéger l’innocence vaut le centuple de ce qu’on donne. L’affaire dont il s’agit intéresse le genre humain, et c’est en son nom qu’on s’adresse à vous, Madame. Nous vous devrons l’honneur et le plaisir de voir un bon roi secourir la vertu contre un juge de village, et contribuer à extirper la plus horrible superstition, ».

4. — On attribue le livre des Commissions extraordinaires [145] à M.  Le Paige, avocat, bailli du Temple. Le ministre la envoyé chercher, pour lui faire des reproches d’avoir fait imprimer ce livre sans permission. L’auteur s’est très-bien défendu, en répliquant qu’il n’y avait rien de nouveau dans ce livre, où il avait seulement rapproché les textes les plus forts et les plus précis des ordonnances, ainsi que les faits historiques les plus propres à accréditer son système et ses principes.

5. — Madame Geoffrin n’est point restée en arrière : elle a répondu à M.  de Voltaire par une lettre que nous venons de recouvrer, en date du 25 juillet.

« Dans l’instant même que j’ai reçu votre lettre, Monsieur, je l’ai envoyée au roi, avec les cahiers qui l’accompagnaient. Sa Majesté me fit l’honneur de m’écrire sur-le-champ le billet que voici en original[146]. Comme c’est à vous, Monsieur, que je le dois, je vous en fais l’hommage et le sacrifice. Sa Majesté me fit dire que nous lirions ensemble la brochure[147]. Sa Majesté me la lut : comme le roi lit aussi parfaitement bien que vous écrivez, Monsieur, le lecteur et l’auteur m’ont fait passer une soirée délicieuse. Sa Majesté a été très-touchée du sort des malheureux pour lesquels vous vous intéressez. Elle m’a donné de sa poche deux cents ducats.

« Le roi a soupiré, Monsieur, en lisant l’endroit de votre lettre où vous paraissez regretter de n’avoir pu m’accompagner. Vous avez vu des rois : eh bien ! l’âme, le cœur, l’esprit et les agrémens de celui-ci auraient été pour votre philosophie et votre humanité un spectacle intéressant, touchant, agréable et peut-être nouveau.

« Je paierai bien cher le plaisir que j’ai eu de voir un roi, qui était celui de mon cœur avant d’être celui de la Pologne. Je sens que la présence réelle de ses vertus, de sa sensibilité, des charmes de sa société et de sa personne, remue mon cœur bien plus vivement que ne faisait le souvenir que j’en avais conservé, quoiqu’il me fût toujours présent et assez fort pour me faire entreprendre un grand voyage.

« Cette douce nourriture, que je suis venu chercher pour mon sentiment, va se changer en amertume pour le reste de ma vie, quand il me faudra, en quittant ces lieux, prononcer le mot jamais.

« Je serai de retour chez moi à la fin d’octobre. Vous aurez la bonté, Monsieur, de me faire savoir à qui je dois remettre l’aumône du roi. J’y joindrai le denier de la veuve.

« Soyez persuadé que j’ai la même horreur que vous pour le fanatisme et ses effroyables effets, et que votre humanité, votre zèle, m’inspirent une aussi grande vénération que la beauté de votre esprit, son étendue, et l’immensité de vos connaissances me causent d’admiration.

« La réunion de ces sentimens me rend digne, Monsieur, de vous louer et de vous respecter. Sa Majesté a voulu garder la lettre que vous m’avez fait l’honneur de m’écrire. Par ce sacrifice que je fais au roi, et par celui que je vous fais de son billet, vous devez connaître mon cœur : vous voyez qu’il préfère à sa propre gloire le plaisir de faire des heureux. »

7. — Quoique la pièce ci-jointe soit ancienne, sa rareté, et son genre qui ne lui permet pas un plus grand jour, nous autorisent à la consigner ici : c’est une lettre de M. de Voltaire à M.  le duc de Choiseul, sur ce que, dans le temps de sa querelle avec M.  Le Franc de Pompignan, un des frères de ce dernier, qui est au service, annonçait qu’il voulait donner des coups de bâton à ce grand poète.

« Je ne sais, monsieur le duc, ce que j’ai fait à MM. Le Franc : l’un m’écorche tous les jours les oreilles, l’autre menace de me les couper. Je me charge du rimailleur, je vous abandonne le spadassin, car j’ai besoin de mes oreilles pour entendre ce que la Renommée publie de vous#1. »

10. — Les lettres d’Angleterre continuent à nous apprendre le profond oubli dans lequel M.  Rousseau de Genève est plongé malgré lui. « Cet homme, est-il dit, philosophe en France, a fait chez nous tout ce qui a dépendu de lui pour s’attirer les regards du public ; mais ni ses efforts philosophiques, ni sa mauvaise humeur, n’ont eu aucun effet. Il vit fort ténébreusement à Sommerset-shire, dans une retraite ignorée et dans l’obscurité. Sa querelle avec M.  Hume a un peu réveillé l’attention sur son compte, plus encore par rapport à M.  Hume que par rapport à lui. »

12. — La protection que l’impératrice de Russie accorde aux lettres et aux gens qui les cultivent, n’est point une protection stérile ; elle s’étend jusque sur ceux-mêmes qui ne sont pas nés ses sujets. On a vu#2[148][149] avec quelle générosité elle saisit, il y a quelque temps, la circonstance où M.  Diderot s’est trouvé forcé, par des raisons domestiques, à faire le sacrifice de sa bibliothèque. Aujourd’hui ayant appris qu’on avait négligé de lui payer la pension qu’elle y a attachée, elle a ordonné que, pour prévenir désormais cet obstacle, il lui fût payé cinquante années d’avance, ce qui fait un objet de cinquante mille livres.

13. — M.  de Voltaire, dont la manie est d’écrire toujours, de toujours imprimer, et de désavouer ensuite ce qu’il a fait, vient d insérer dans les ouvrages périodiques un Appel au public contre un Recueil de prétendues Lettres de M.  de Voltaire[150], intitulées Lettres de M. de Voltaire à ses amis du Parnasse, avec des notes historiques, critiques, etc. Il joint à cette réclamation des certificats de M.  Damilaville, de M.  Déodati de Tovazzi, de M.  le duc de La Vallière, et du sieur Wagnière, secrétaire de ce grand poète, qui tous, attestant des interpolations, des infidélités, assurent qu’ils ont en main les originaux. M. de Voltaire broche ensuite sur le tout, réitère ses plaintes tant de fois répétées contre les éditions clandestines de ses œuvres : il insinue que le Dictionnaire Philosophique n’est pas tout entier de lui, et recommence par une nouvelle sortie contre les éditeurs, qu’il appelle calomniateurs, etc. Il voudrait intéresser les puissances à le venger. Rien de plus plaisant que tous ces désaveux, et de plus propre à en imposer à ceux qui ne connaissent pas le dessous des cartes.

14. — Vers de M. de La Condamine[151].

J’ai lu que Daphné devint arbre,
Et que, par un plus triste sort,
Niobé fut changée en marbre ;
Sans être l’un ni l’autre encor,
Déjà mes fibres se roidissent,
Je sens que mes pieds et mes mains
Insensiblement s’engourdissent,
En dépit de l’art des Tronchins.
D’un corps jadis sain et robuste,
Qui bravait saisons et climats,
Les vents brûlans et les frimats,
Il ne me reste que le buste.
Malgré mes nerfs demi-perclus
(Destin auquel je me résigne),
De la santé que je n’ai plus,
Je conserve encore le signe.
Mais, las ! je le conserve en vain ;
On me défend d’en faire usage :
Ma moitié, vertueuse et sage,
Au lieu de s’en plaindre, me plaint.
Ma sœur, la Platonicienne,
Dit : « Qu’est-ce que cela vous fait ?
N’avez-vous pas la tête saine ?
À quoi donc avez-vous regret ? »
Hélas ! à cette triste épreuve
Sitôt je ne m’attendais pas,
Ni que ma femme entre mes bras
De mon vivant deviendrait veuve.

15. — Ésope à Cythère. On a déjà introduit Ésope à

la cour, à la ville, au Parnasse[152] ; on le mène à Cythère, et il doit, sans doute, être étonné de s’y trouver, et du rôle qu’on lui fait jouer. Quoi qu’il en soit, tel est le titre d’une pièce à tiroir, jouée aujourd’hui, pour la première fois, aux Italiens. Le théâtre représente le temple de l’Amour. Les dieux ont envoyé Ésope pour enseigner la morale aux hommes, et l’Amour s’associe à sa mission. Des amoureux mécontens se plaignent à Ésope : le fabuliste leur donne des leçons à sa manière. Un jaloux vient, et est condamné par une fable. Thalie paraît en veuve de Molière, et l’Opéra, en vieillard décrépit, se présente aussi à Ésope, qui renvoie le vieillard à son machiniste, comme à son soutien. Une débutante de Terpsichore semble rajeunir l’Opéra. Cette pièce n’est que le cadre d’une critique sanglante des deux autres spectacles ; elle n’a d’autre mérite que des ordures assez grossières et des épigrammes vives qui font sourire la malignité. Il y a des ariettes, mises en musique par MM. Trial el Vachon. Le prête-nom est M.  Dancourt. En general, la pièce est de société, et l’abbé de Voisenon y a beaucoup de part.

16. — La pièce d’hier fait un bruit de tous les diables. On était déjà prévenu que c’était une satire, mais on ne s’attendait pas à quelque chose d’aussi vif. Les partisans de l’Opéra jettent les hauts cris. M. Marin, le censeur de la police, a pensé perdre sa place pour avoir, par une infidélité manifeste, communiqué le manuscrit à Rebel et Francœur, qui ont fait tout au monde pour empêcher la représentation de la pièce.

17. — M. l’abbé de Voisenon a remis son abbaye du Jard et un petit priéuré qu’il avait dans le diocèse de Chartres : on lui donne huit mille livres de pension sur les économats, franches et quittes, et le roi se charge des réparations.

18. — La première représentation de Guillaume Tell, donnée hier, n’a pas eu la fortune que s’en promettait M. Lemière. Cette tragédie est absolument calquée sur l’histoire ; il y a plus de récit que d’action, plus de traits philosophiques que d’expressions de mœurs, et plus de vrai que de vraisemblable. L’attention est soutenue par l’intérêt de curiosité, mais le cœur est rarement ému par l’intérêt du sentiment. La poésie en est faible et souvent dure. Le sieur Le Kain s’est surpassé par la force, l’intelligence, le feu qu’il a mis dans le rôle de Tell. Les autres acteurs ont très-mal joué. La décoration de la scène a été admirée par l’illusion qu’elle faisait aux yeux. Elle figurait un lac, dans l’enceinte duquel on voyait des rochers entassés jusqu’aux nues. Les Habillemens étaient suivant le costume et pittoresques. Tous ces accessoies essentiels n’ont pas empêché de trouver cette tragédie pitoyable.

19. — Tableau de l’histoire moderne, depuis la chute, de l’empire d’occident jusqu’à la paix de Westphalie[153]. Cet ouvrage posthume de M.  le chevalier de Méhégan donne lieu à la déclaration suivante, dans le premier volume du Journal Encyclopédique de novembre. « Cet ouvrage, auquel le public paraît avoir fait quelque accueil, ne nous est point parvenu. Quelque mal que l’auteur ait tenté de nous faire, quelque légitime que dût être notre ressentiment, nous rendrons compte de cette histoire avec la plus grande impartialité ; si l’auteur vivait encore, nous ne nous vengerions de lui que par le silence ; mais comme ce qui s’est passé entre lui et nous n’était point relatif à ses talens, l’analyse que nous ferons de son livre ne doit avoir rien de commun avec sa cendre. » Ceci a trait à une tentative qu’avait faite M.  le chevalier de Méhégan pour s’emparer de ce journal, ainsi que nous l’avons rapporté autrefois[154].

21. — M.  La Grange, célèbre géomètre, que le roi de Prusse vient d’appeler de Turin, à la recommandation de M.  d’Alembert, pour remplir la place de M.  Euler, père, ayant été reçu à l’Académie royale des Sciences et Belles-Lettres de Prusse, y a prononcé le discours suivant :

« Messieurs, je ne vous ferai point un discours en forme pour vous témoigner ma reconnaissance de l’honneur que je reçois. La fatigue du voyage, et les occupations que j’ai eues depuis mon arrivée, ne m’ont encore permis aucune sorte d’application ; et d’ailleurs il me semble qu’on n’est guère en droit d’exiger une pièce d’éloquence d’un géomètre. Je me contenterai donc, Messieurs, de vous exprimer de la manière la plus simple et en même temps la plus vraie, les sentimens dont je suis pénétré à la vue de vos bontés, et je tâcherai de mériter ces bontés par mon attachement pour vous, et par mon zèle pour la gloire des sciences et des lettres que vous cultivez avec tant de succès. »

22. — On écrit de Genève qu’on vient d’y donner l’opéra-comique d’Isabelle et Gertrude, mis en nouvelle musique par le sieur Grétry, maître de chapelle de l’école romaine. On ne peut rien ajouter aux applaudissemens qu’a reçus à juste titre le compositeur. Sa musique remplie d’idées neuves, d’un genre noble, relevé, et les accompagnemens sont brillans et variés. Cette pièce a été bien exécutée par les acteurs de la troupe actuellement dans cette ville. Le sieur Grétry a augmenté le poëme de quelques ariettes, pour faire briller le talent de la demoiselle Gorion, qui a joué avec succès le rôle de Gertrude. L’auteur, encouragé par le plaisir qu’a fait son ouvrage à de très-habiles gens, travaille à un nouvel opéra, que l’on attend avec une vive impatience.

23. — On vient d’imprimer des Notes sur la lettre de M. de Voltaire à M.  Hume[155]. Elles sont curieuses et piquantes : elles serviront de nouveaux mémoires pour faire connaître le caractère et l’esprit des ouvrages du fameux citoyen de Genève. Ces notes sont accompagnées d’une petite lettre de M.  de Voltaire, où il désavoue la lettre au Docteur Pansophe. On la croit de l’abbé Coyer.

24. — Il paraît une tragédie qui n’a point encore été jouée sur la scène française, quoiqu’elle passe pour être d’un grand maître : elle est intitulée Octave et le jeune Pompée, ou le Triumvirat[156]. On y voit une peinture énergique des mœurs des Romains et du caractère des trois tyrans. L’ordonnance de cette tragédie est imposante, le style en est fort et soutenu, la versification belle et majestueuse. On y trouve beaucoup de vers heureux et faciles ; en un mot, on la juge de M.  de Voltaire. Le Triumvirat est suivi de notes historiques et critiques sur les Romains ; elles sont très-intéressantes et très-instructives. On traite ensuite de ce gouvernement et de la divinité d’Auguste. Enfin il y a un grand morceau historique sur les conspirations contre les peuples, ou sur les proscriptions. L’esprit philosophique, le génie de l’humanité, une connaissance profonde de l’histoire et du cœur des hommes, ont dicté ces observations.

25. — On vient de publier un arrêt du conseil d’État, daté du 6 de ce mois, qui supprime, comme libelles, plusieurs écrits imprimés sans permission. Ils ont pour titre : Des Commissions extraordinaires[157] ; Journal des événemens qui ont suivi les actes de démission du parlement de Bretagne du 22 mai 1765[158] ; Suite du même journal ; Chronologie des lettres de cachet. Il y est dit que dans la vue de prévenir et d’émouvoir les esprits, les auteurs obscurs de ces ouvrages clandestins ont avancé les principes les plus captieux et les plus faux ; qu’ils ont essayé de les accréditer par les citations les plus infidèles ; que, par un artifice aussi condamnable et pour satisfaire leur malignité, ils ont altéré ou déguisé plusieurs faits importans ; qu’ils ont enfin porté leur témérité jusqu’à rendre public ce qui par sa nature devait demeurer secret, et jusqu’à y joindre tout ce qui pouvait le plus aigrir et animer les esprits contre des événemens que les circonstances ont rendus nécessaires.

28. — On annonce aux Français une comédie larmoyante, intitulée Eugénie ou la Vertu malheureuse. Cette pièce, toute romanesque, est prônée avec beaucoup d’emphase. Elle est d’un homme fort répandu, sans avoir aucune considération ; c’est un nommé Caron de Beaumarchais, peu connu dans la littérature. Ses premiers ans ont été employés à acquérir des talens mécaniques. Fils de Caron, horloger, il avait suivi l’état de son père avec succès. Mais, né avec une certaine portion d’esprit et des dispositions naturelles pour des arts aimables, son goût pour la musique l’a mis à même de franchir la distance qui le séparait d’un certain monde. Il est parvenu à approcher de la cour ; il a été assez heureux pour y plaire par ses talens, et d’en profiter pour se ménager des grâces qui l’ont mis en état de faire une fortune considérable. Les morts successives du mari d’une femme qu’il aimait et qu’il a épousée ensuite, ainsi que de cette même femme, après lui avoir fait une donation de tout son bien, jettent sur sa réputation un vernis peu favorable[159]. Il a été refusé dans diverses charges dont il voulait se pourvoir.

30. — Nous apprenons la mort de M.  Reboucher, conseiller en la cour souveraine de Lorraine. Ce galant successeur de Chaulieu faisait des poésies anacréontiques très-agréables. Il est l’auteur d’un joli madrigal à une dame, en lui présentant une violette :

Modeste en ma couleur, modeste en mon séjour,
Franche d’ambition, je me cache sous l’herbe ;
Mais si sur votre front je puis me voir un jour,
La plus humble des fleurs sera la plus superbe[160].

1767.

1er Janvier. — M.  le duc de Choiseul avant été élu premier marguillier d’honneur de Saint-Eustache, M.  le chevalier de Boufflers lui a adressé ces vers pour étrennes, au nom du curé de cette paroisse :

Toi, que je n’ose encore inviter à confesse,
Toi,Et que pourtant dans quatre mois
Toi,Je dois attendre à ma grand’messe[161],
Choiseul, de ton curé daigne écouter la voix,
Toi,Et reçois les vœux qu’il t’adresse :
Toi,Quoique tu sois grand ouvrier,
Puisse-je ne te voir que rarement à l’œuvre !
ToDe L’Averdy le sage devancier
Toi,Dont l’écu porte une couleuvre,
Et qui fut comme toi, grand homme et marguillier,
Ce Colbert, qu’aujourd’hui le peuple canonise,
ToEt qu’autrefois il osa déchirer,
Toi,Fit peu d’ordure en mon église
Toi,Avant de s’y faire enterrer[162].
Toi,Je sais fort bien que les confrères
Toi,De Saint-Eustache et de la cour
Aimeraient mieux qu’ici tu fisses ton séjour ;
Je sais que maint dévot offre au ciel ses prières
ToPour ton salut qui ne t’occupe guères :
Ton vieux curé consent à ne te voir jamais,
Toi,Et s’il forme quelques souhaits,
Toi,C’est que tu restes à Versailles,

Toi,Où par toi le Dieu des batailles
Toi,Serve long-temps le Dieu de Paix.
Amen ! Ainsi soit-il. Si pourtant chaque année,
Toi,Choiseul, tu pouvais une fois
Toi,Quitter le plus chéri des rois
Toi,Qui t’a fait son âme damnée,
Toi,Viens te montrer en ces saints lieux,
Toi,Viens un peu changer d’eau bénite,
Toi,Mais surtout retourne bien vite
Toi,Exorciser tes envieux !

7. — Le sieur Molé commence à se flatter de pouvoir reparaître dans peu sur la scène. Mademoiselle Clairon, toujours zélée pour l’honneur du théâtre et des histrions, a imaginé de proposer des souscriptions en faveur de cet acteur convalescent. Elle a la manie de vouloir reparaître : elle offre de jouer une ou deux fois sur un théâtre particulier, quand on aura rassemblé une quantité d’amateurs suffisante. Les billets seront d’un louis. Ce projet fait la plus grande sensation à la cour et à la ville, et c’est un empressement à qui souscrira.

8. — Un nouvel auteur se mêle de la querelle de MM. Hume et Rousseau : il répand des Réflexions posthumes sur le grand procès de Jean-Jacques avec David [163]. Tel est le titre de sa brochure, qui n’est rien moins que d’un juge impartial, et qui distille l’amertume la plus forte contre les philosophes.

« Qu’importait, dit l’auteur de cette brochure, à l’historien de la maison de Tudor, que l’on crût à Paris pendant quelques jours qu’il s’était moqué d’un Suisse en Angleterre ? Un homme si sage, si bon et si considérable, devait-il s’acharner après un malheureux, pauvre, infirme et proscrit, qui n’a que son orgueil et sa renommée ?  »

9. — Les Comédiens Français ont reçu de M.  de Voltaire une nouvelle tragédie, qu’ils se disposent à donner après Eugénie ; elle a pour titre les Scythes.

10. — On sait que c’est M.  de La Harpe qui doit être couronné dans l’assemblée publique de l’Académie Française, le 22 de ce mois : c’est lui qui, au jugement de cette compagnie, a fait le meilleur discours sur le sujet proposé par le particulier d’Amsterdam[164], ayant pour objet, comme nous l’avons dit, d’exposer les avantages de la paix, d’inspirer de l’horreur pour les ravages de la guerre, et d’inviter toutes les nations à se réunir pour assurer la tranquillité générale.

M. Gaillard a balancé long-temps les suffrages, et l’Académie le voit avec regret rester sans récompense.

11. — M. de Voltaire, toujours universel et toujours jaloux de briller dans tous les genres, a engage M.  de La Borde à mettre son opéra de Pandore en musique.

12. — Le nommé Després Bouquerel, frère d’un négociant de Rennes, impliqué dans l’affaire de Bretagne, convaincu d’avoir écrit des lettres anonymes à M. le comte de Saint-Florentin, où, sans respect pour le ministère, il s’est livré à une déclamation indécente et très-criminelle, a été conduit à Bicêtre.

13. — Les souscriptions proposées par mademoiselle Clairon prennent la plus grande faveur : on ne se contente pas de donner un louis, il est ignoble de ne prendre qu’un billet. Quatre prélats, M.  le prince Louis, l’archevêque de Lyon, l’évêque de Blois et l’évêque de Saint-Brieux, se sont mis au rang de ces amateurs.

Il est question d’imprimer et de rendre publique la liste des souscripteurs.

16. — Almanach philosophique, en quatre parties, suivant la division naturelle de l’espèce humaine en quatre classes ; à l’usage de la nation des philosophes, du peuple des sots, du petit nombre des savans, et du vulgaire des curieux, par un auteur très-philosophe[165]. On l’attribue à M.  de Voltaire. Il est de M.  M.  de Castilhon, C’est un philosophe enjoué, qui s’est égayé à prodiguer dans ce petit ouvrage, sous le titre Almanach, beaucoup d’érudition, de critique, de philosophie, de morale et de bonne plaisanterie. Il se fait auteur d’almanach pour tourner en ridicule le goût du public pour ces petits livrets, et pour attaquer la sotte crédulité de ceux qui en consultent les prédictions. Il plaisante avec esprit les paradoxes de langage et de conduite des prétendus philosophes, qui ne veulent parler, penser ni agir suivant les lumières ordinaires de la saine raison. On trouve dans cet ouvrage beaucoup de saillies, des anecdotes, des dissertations singulières, un mélange agréable de sérieux et de comique.

18. — On chansonne tout : on a établi depuis peu une caisse d’escompte sur laquelle s’égaie la malignité du public. Nous consignons ici la chanson suivante, moins comme une pièce littéraire que comme une pièce historique et faisant anecdote :

Sur l’air : L’avez-vous vu, mon bel ami ?

Arrêt pour l’établissement
ArD’une chambre d’escompte
Qui produira par chacun an

ArCinq millions de bon compte ;
C’est pour remplacer un banquier[166]
Qui voudrait ses fonds retirer,
ArreQu’on établit
ArreEt qu’on bâtit
ArreUne si belle affaire :
Par ses biens jugez du profit
ArQue le public va faire.
ArreLe controleur,
ArreToujours docteur
Et surtout grand calculateur,
ArreA dit au roi :
ArreSire, je croi
Qu’en formant nombre d’actionnaires
Vous ferez de bonnes affaires.
Dans ma place j’ai su gagner
ArDu public la confiance,
À la caisse on ira verser
ArL’argent en abondance ;
Directeurs je saurai nommer
Pour sagement administrer
L’argent qu’on fera fabriquer
ArÀ Pau, comme à Bayonne.
Chaque mois je veux tout coter,
ArParapher en personne ;
Je veux aussi, pour constater
Des profits la totalité,
Des balance en forme arrêter ;
Au moyen des dites balances
On n’aura pas de défiances.
Quinze richards il faut charger
ArDe cettle grande affaire,
Tous les ans il faut leur donner
Vingt mille livres d’honoraires ;
Surtout qu’ils ne soient pas garans
De banqueroutes, d’accidens,

ArreCar j’y ai mis
ArreTous mes amis
ArEt aussi mon beau-père ;
Ainsi, s’ils étaient poursuivis
ArJ’en payerais l’enchère.
Réservez-vous vingt mille actions
Dont la ferme fera les fonds,
ArreQu’elle paiera
ArreQuand elle pourra.
Ce trait de fine politique
À tous fera la nique.

Il faut lire l’arrêt du Conseil qui établit cette caisse d’escompte pour entendre ce vaudeville.

20. — Le bruit s’étant répandu du regret de l’Académie Française de n’avoir qu’une médaille à donner[167], un généreux citoyen lui a fait remettre le prix d’une seconde médaille : ainsi M.  Gaillard ne restera pas sans couronne.

22. — M.  Thomas a prononcé aujourd’hui, dans une assemblée publique de l’Académie Française, son discours de réception, qui a été fort applaudi. Il y a ménagé un épisode où il fait entrer le portrait de l’homme de lettres, et il paraît le regarder comme plus utile aux États que l’homme d’État, le législateur même. Cette assertion paradoxale ne pouvait manquer de recevoir un accueil distingué dans une pareille cérémonie.

Monseigneur le comte de Clermont, prince du sang, était directeur ; mais n’ayant pu se rendre à l’Académie, à cause de sa santé, il a été remplacé par le prince de Rohan Guémené, qui a répondu au récipiendaire avec moins d’emphase et de prétention, mais avec plus de noblesse et d’un style plus académique.

M. Thomas a lu ensuite le quatrième chant d’un poëme épique auquel il travaille depuis long-temps, nommé la Pétréiade. C’est l’éloge de Pierre-le-Grand. Ce chant renferme son voyage en France, avec les licences que tolère la poésie. Le public a paru fort satisfait de cette lecture rapide. L’assemblée était très-nombreuse : la célébrité du récipiendaire avait attiré beaucoup de monde.

C’est dans cette même assemblée que MM. de La Harpe et Gaillard ont été couronnés.

24. — M.  de Silhouette vient de mourir à sa terre, le 20 de ce mois. Nous laissons de côté l’ex-contrôleur-général, pour regretter le philosophe, homme de lettres et d’esprit.

25. — M. Tercier, ci-devant l’un des premiers commis des affaires étrangères, de l’Académie des Belles-Lettres, vient de mourir. On peut se rappeler qu’il fut la victime de son indulgence d’avoir approuvé le trop fameux livre De l’Esprit de M.  Helvétius, et pour lequel le défunt a eu tant de chagrin[168].

27. — Il paraît depuis quelques jours, très-clandestinement, un nouveau Mémoire de M.  de La Chalotais, imprimé avec le même secret et tendant au même but que les précédens. Il paraît avoir été fait avant sa translation à Xaintes. Même force, même énergie, même cri de l’innocence. Il attaque ici formellement M.  le comte de Saint-Florentin, et met dans le plus grand jour la conduite inique et barbare de ce ministre.

— Clairval, acteur de la Comédie Italienne, vivait depuis long-temps avec madame de Stainville : son mari, indigné du goût dépravé de cette femme, a obtenu un ordre du roi, et vient de l’enlever et de la conduire lui-même à Nancy. On a fait une descente chez l’histrion pour enlever lettres et portraits, si aucuns y étaient. On assure que la veille de son départ M.  de Stainville avait trouvé mademoiselle de Beaumesnil, de l’Opéra, sa maîtresse, entre les bras d’un jeune danseur, d’autres disent d’un officier aux gardes.

À propos de cette anecdote, on cite un bon mot de Caillot, camarade de Clairval. Ce dernier, assez inquiet de sa position, consultait l’autre sur ce qu’il devait faire : « Monsieur de Stainville, lui disait-il, me menace de cent coups de bâton si je vais chez sa femme. Madame m’en offre deux cents, si je ne me rends pas à ses ordres. Que faire ? — Obéir à la femme, répond Caillot, il y a cent pour cent à gagner. »

28. — Il est parlé dans les journaux, et surtout dans le Journal encyclopédique du 1er septembre, d’un Éloge de Louis de Bourbon, prince de Condé, surnommé le Grand, mis en parallèle avec Scipion l’Africain. Ce discours a été prononcé le jour de Saint-Louis, à la pension militaire de M.  l’abbé Chocquart, par M.  le comte de Mirabeau, fils de l’auteur de l’Ami des hommes. On voit que ce jeune aiglon vole déjà sur les traces de son illustre père, et l’anecdote devient précieuse par cette circonstance. Le fils a plus de netteté, plus d’élégance dans son style, et son discours est tort bien écrit.

29. — Eugénie, ce drame tant prôné, a été donné aujourd’hui, et n’a pas eu le succès dont l’auteur se flattait. Les trois premiers actes ont été reçus avec assez de bienveillance ; mais les deux derniers ont révolté, et l’on peut regarder cela comme une chute.

31. — Extrait d’une lettre de Rennes.

25 janvier.

… L’évêque de Saint-Brieux, Bareau de Girac, très-lubrique, qui en prendrait sur l’autel, et en conterait à la Vierge, pour se délasser de ses occupations pendant la tenue des États, a entrepris la conquête d’une dame jeune et jolie, et de plus nièce d’un de ses confrères. Dans sa poursuite amoureuse, dont il ne se cachait aux yeux de personne, se trouvant un jour tête à tête avec cette dame, emporté par sa passion, il la presse vivement, et oublie la précaution de mettre le verrou. Le mari survient, entre précisément à l’instant du dénouement : la dame ne perd point la tête ; elle feint que le prélat lui fait violence, saute sur l’épée du mari, et la plonge dans la cuisse du téméraire, il y avait bien de quoi ralentir son ardeur ; il se retire confus, humilié, l’oreille basse, et est obligé de garder la chambre. Cette histoire est aujourd’hui publique : on ne parle que de l’adresse de madame de La M… qui a donné à l’évêque de Saint-Brieux un coup d’épée dans la cuisse sans endommager sa culotte. Cette nouvelle est allée jusqu’à la cour ; on dit que M.  le prince de Conti en a réjoui le roi. M.  l’évêque d’Orléans, très-scrupuleux pour l’honneur de l’épiscopat, a cru devoir en écrire au clergé assemblé aux États, qui, entrant dans le même esprit, a répondu que c’était une histoire calomnieuse, inventée à plaisir. Malheureusement on prétend que Monseigneur en portera toute sa vie la cicatrice imprimée sur sa cuisse.

Ier Février. — Le sieur Pierre Hourcastremé, de Navarrins en Béarn, a eu l’honneur de présenter au roi, le 16 janvier, une Nouvelle démonstration des principes de l’écriture et des dessins à la plume, de sa composition. Cet ouvrage était accompagné des vers suivans :

DansUn citoyen des Pyrénées
DansQui, sans intrigue et sans appui,
Dans le plus doux repos voit couler ses années,
DaOse, grand roi, vous offrir aujourd’hui
De son amour pour vous ce faible et simple gage.
DansL’art n’a point orné cet hommage ;
De la seule nature, hélas ! il est le fruit :
DansC’est toujours elle qui conduit
DansSa main, son cœur et son ouvrage.

2. — Couplets attribués à M.  le duc d’Ayen, dont un du roi, à ce qu’on prétend.

Que l’on goûte ici[169] de plaisirs,
QuOù pourrions-nous mieux être ?
Tout y satisfait nos désirs,
QuTout aussi les fait naître.
N’est-ce pas ici le jardin
QuOù notre premier père,
Trouvait sans cesse sous sa main
QuDe quoi se satisfaire ?

Ne sommes-nous pas encor mieux
QuQu’Adam dans son bocage ?
Il n’y voyait que deux beaux yeux,
QuJ’en vois bien davantage.

Dans ce séjour délicieux
QuJe vois aussi des pommes,
Faites pour charmer tous les yeux
QuEt damner tous les hommes.

Amis ! en voyant tant d’appas
QuQuels plaisirs sont les nôtres ;
Sans le péché d’Adam, hélas !
QuNous en verrions bien d’autres.

Il n’eut qu’une femme avec lui ;
QuEncor c’était la sienne :
Ici je vois celle d’autrui,
QuEt ne vois pas la mienne[170].

Il buvait de l’eau tristement
QuAuprès de sa compagne,
Nous autres nous chantons gaiement
QuEn sablant le champagne.

Si l’on eût fait dans un repas
QuCette chère au bonhomme,
Le gourmand ne nous aurait pas
QuDamné pour une pomme.


3. — On doit faire incessamment, sur le théâtre des Menus-Plaisirs, une répétition de l’opéra de Pandore, mis en musique par M.  de La Borde.

6. — Chanson sur Molé et mademoiselle Clairon,

Sur l’air : Tôt, tôt, tôt, battez chaud.

Le grand bruit de Paris, dit-on,
Est que mainte femme de nom
Quête pour une tragédie,
Où doit jouer la Frétillon

Pour enrichir un histrion,
Tous les jours nouvelle folie.
Tous Le faquin,
Tous La catin,
Tous Intéresse
Baronne, marquise et duchesse.

Pour un fat, pour un polisson
Toutes nos dames du bon ton
Vont cherchant dans le voisinage.
Vainement les refuse-t-on ;
Pour revoir encore Clairon
Dans Paris elles font tapage.
Tous La santé
Tous De Molé
Tous Les engage,
Elles ont grand cœur à l’ouvrage.

Par un excès de vanité
La Clairon nous avait quitté,
Et depuis ce temps elle enrage
Et sent son inutilité ;
Comptant sur la frivolité,
Elle recherche le suffrage
Tous Du plumet,
Tous Du valet.
Tous Quel courage
Pour un aussi grand personnage !

Le goût dominant aujourd’hui
Est de se déclarer l’appui
De toute la plus vile espèce,
Dont notre théâtre est rempli.
Par de faux talens ébloui
À les servir chacun s’empresse.
Tous Le faquin,
Tous La catin

Tous Intéressé
Baronne, marquise et duchesse.

Molé plus brillant que jamais
Donne des soupers à grands frais,
Prend des carrosses de remise,
Entretient filles et valets.
Les femmes vident les goussets
Même des princes de l’Église[171] ;
Tous Pour servir
Tous Son plaisir,
Tous La sottise !
Elles se mettraient en chemise.

Assignons par cette chanson
De chacun la punition ;
Pour ses airs et son indécence,
D’abord à Molé le bâton,
Ensuite, pour bonne raison,
Comme une digne récompense,
Tous À Clairon
Tous La maison
Tous Ou la cage
Que l’on doit au libertinage

7. — M.  Gautier de Sibert, auteur des Variations de la monarchie française, dans son gouvernement politique, civil et militaire, élu de l’Académie des Belles-Lettres à la place de M.  Tercier. M.  de Rochefort a les secondes voix.

8. — M.  Feutry, poète connu par une imagination vaste et noire, vient de publier un poème, intitulé les Ruines[172]. Le génie de la destruction personnifiée est l’âme de cette pièce, où l’on trouve de très-beaux vers.

10. — Le sieur Molé a fait aujourd’hui sa rentrée au Théâtre Français dans la Gouvernante. L’affluence a été des plus nombreuses. Cet acteur est entré en scène, incertain s’il ferait un compliment ou nom. Le public l’ayant accueilli par les applaudissemens les plus nombreux et a harangué le public en deux ou trois phrases, dites à voix basse et du ton le plus entrecoupé et le plus modeste : les battemens de mains ont recommencé, et il a très-bien joué.

On critique beaucoup cette impudence en présence de madame la princesse de Lamballe, qui était venue au spectacle in fiocchi, et avait été annoncée.

11. — La littérature vient de perdre l’abbé Goujet[173], fameux par ses compilations, son supplément au Dictionnaire de Moréri et sa Bibliothèque française, sans compter une immensité d’ouvrages de piété dont le détail serait fort long. Il était plus érudit que bon écrivain.

12. — La fameuse représentation tant annoncée en faveur de Molé doit s’exécuter sur le théâtre de M.  le baron d’Esclapon, faubourg Saint-Germain. Les deux pièces qu’on jouera sont Zelmire[174] et l’Époux par supercherie[175]. On compte sur six cents billets. Cette souscription a reçu beaucoup de contradictions. Il est incroyable avec quelle fureur quelques femmes de la cour font une affaire capitale de cette misère et forcent tous leurs amis à boursiller.

13. — M.  Marmontel a jugé à propos de faire imprimer l’ouvrage dont il lut quelque chose à l’assemblée extraordinaire de l’Académie Française, tenue l’année dernière en faveur du prince héréditaire de Brunswick[176]. Il est intitulé Bélisaire. Quoique ce ne soit qu’une dissertation très-froide, très-longue, très-rebattue sur des objets de morale et de politique, quelques assertions hardies, lâchées dans le quinzième chapitre, ont échauffé le public, et l’ouvrage a eu une célébrité éphémère qui se passera bientôt. Il ne peut être que très-médiocre, quand on le compare à Télémaque, où les mêmes principes sont traités d’une façon plus animée, plus onctueuse, plus intéressante, et d’ailleurs avec les grâces faciles et touchantes d’un style auquel ne peut atteindre la raideur du nouvel académicien.

14. — Le fameux Quinault Dufresne, tant regretté au Théatre Français, et dont on avait peine à oublier la perte, est mort ces jours-ci.

15. — On a fait hier aux Menus-Plaisirs la répétition de l’opéra de Pandore, de M. de Voltaire, remis en musique par M. de La Borde, l’un des premiers valets de chambre du roi. On n’a point trouvé que le musicien ait répondu à la magnificence et à la beauté du poëme, vraiment lyrique.

16. — M.  Antoine Petit, médecin toujours prêt à rompre des lances en faveur de l’inoculation, vient d’écrire une Lettre adressée à M. le doyen de la Faculté[177] à l’occasion de la petite vérole survenue à deux jeunes demoiselles inoculées par M. Gatti. En convenant des faits, il attribue le retour de la petite vérole à l’insuffisance de la méthode de l’inoculation, qui cherchant à donner à ses malades la plus petite maladie possible, quelquefois ne leur donne rien. Cette Lettre est pleine d’une logique adroite et insinuante.

17. — M.  Gazon Dourxigné vient de faire imprimer l’Ami de la vérité, ou Lettres impartiales, semées d’anecdotes curieuses sur toutes les pièces de théâtre de M. de Voltaire[178]. On y trouve en effet quelques anecdotes curieuses.

19. — Jamais assemblée n’a été plus brillante que celle d’hier, à la représentation de Zelmire et de l’Époux par supercherie, au profit de Molé. Cet acteur n’a pas eu les suffrages auxquels il s’attendait, et mademoiselle Clairon n’a pas été enivrée d’encens autant qu’elle devait l’espérer. On compte que l’histrion aura eu vingt-quatre mille livres de bénéfice.

20. — On parle depuis quelque temps d’un nouvel ouvrage très-rare, intitulé la Sabbatine. C’est une satire contre madame Sabbatin, maîtresse de M.  de Saint-Florentin, aujourd’hui marquise de Langeac. Bien des gens révoquent en doute l’existence de ce livre.

21. — Le roman moral et politique de M.  Marmontel, intitulé Bélisaire, a exité du tumulte. La Sorbonne a cru devoir s’élever contre le chapitre XV, qui parle de la tolérance. Sur ses vives représentations, le livre vient d’être arrêté. Le privilège dont il était revêtu doit être cassé. L’archevêque de Paris se dispose à tonner contre les maximes de l’auteur par un mandement, et la Faculté de Théologie va les proscrire par une censure publique. Moins d’éclat eût peut-être produit un meilleur effet, car le plus méchant livre proscrit en devient plus recherché.

22. — On parle beaucoup du luxe généreux du sieur Molé. Il a employé les vingt-quatre mille livres de bénéfice que lui a rendues la représentation tant annoncée, à acheter des diamans à sa maîtresse.

22. — Précis pour M. J.-J. Rousseau, en réponse à l’Exposé succinct de M.  Hume ; suivi d’une lettre de madame D*** à l’auteur de la Justification de M.  Rousseau. On attaque fortement dans ce précis les éditeurs de l’Exposé succinct et les ennemis de M. Rousseau. Il y a de l’esprit dans la lettre de madame D***, et encore plus de générosité si, comme on le croit, c’est madame d’Épinay[179] qui parle en faveur d’un homme dont elle a lieu de se plaindre amèrement. Malheureusement dans toutes ces querelles le public aime à rire et se moque des deux adversaires, sans examiner qui a tort ou raison.

23. — Le singe de Nicolet est toujours à la mode. On vient de lui faire parodier fort ingénieusement la maladie de Molé, et tous les ridicules qui s’en sont suivis. Il paraît sur le théâtre en bonnet de nuit et en pantoufles, joue le moribond, et cherche à exciter la commisération publique.

— On répète les Scythes de M.  de Voltaire, et les Comédiens se disposent à les jouer incessamment. La pièce est déjà tout imprimée, et prête à voir la lumière.

26. — La tempête contre M.  Marmontel commence à se calmer de la part de M. l’archevêque, auquel ce disciple très-docile a promis telle rétractation qu’il voudrait, de faire la profession de foi la plus caractérisée, de signer la Constitution, le Formulaire, etc.

M. Bret, le censeur de cet ouvrage, n’en a pas moins perdu sa place et sa pension[180].

28. — Un grand schisme s’élève à l’Opéra, et l’importance des personnages exige qu’on tienne registre de cette anecdote. Madame Larrivée, toujours amoureuse de son mari, s’est trouvée surprise d’une galanterie qu’elle n’avait pas lieu d’espérer de sa part. Furieuse. elle l’accable des plus sanglans reproches, veut remonter à la source de cette perfidie, Larrivée se trouve d’autant plus confondu, qu’il est obligé d’avouer une infidélité : il convient qu’il a eu les faveurs de mademoiselle Fontenet, autre darne de l’Opéra, très-respectable et appartenant à M.  le duc de Grammont ; d’ailleurs amie très‑intime de madame Larrivée. La colère de celle-ci redouble, en se voyant également dupe de l’amour et de l’amitié. Elle va à l’Opéra : mademoiselle Fontenet venant à elle pour la caresser, elle la repousse avec horreur et l’apostrophe des épithètes les plus infâmes. Mademoiselle Fontenet témoigne son étonnement, demande une explication : on redouble les injures, on lui dit de s’examiner, et on la laisse en proie à sa douleur et à ses remords. Après le spectacle, mademoiselle Fontenet, outrée, n’a rien de plus pressé que d’écrire à son amie, de lui demander raison d’un procédé si nouveau et de déclarer l’innocence la plus complète. Le mari était présent à la réception de cette lettre. L’offensée la lui donne à lire : « Qu’avez‑vous à répondre ? dit-elle. — Je vais le faire de la bonne encre, réplique-t-il. » En effet, il riposte de la façon la plus outrageante à mademoiselle Fontenet. Celle-ci a recours à M.  le duc de Grammont, Ils vont trouver les directeurs de l’Opéra. Mademoiselle Fontenet expose ses griefs ; prétend avoir à se plaindre non-seulement de la calomnie de M.  Larrivée, relativement à sa prétention d’avoir couché avec elle, mais de pousser l’infamie jusqu’à l’accuser d’une maladie honteuse qu’elle n’a jamais connue. Son amant appuie fortement ses plaintes : il y ajoute les siennes. Les directeurs trouvent le cas des plus importans, et ils sont d’avis d’en référer au ministre. L’affaire portée devant lui, M. le comte de Saint-Florentin ordonne que, conformément à la demande de mademoiselle Fontenet, le sieur Pibrac et son confrère se transporteront chez cette demoiselle pour en faire la visite ; ce qui a dû être exécuté aujourd’hui. La demoiselle attend une vengeance éclatante, et ne demande rien moins qu’une réparation authentique de la part du calomniateur. Sur ces entrefaites madame Larrivée, dans l’aveuglement de sa fureur, a écrit une lettre fort singulière à madame la duchesse de Grammont, dans laquelle elle lui marque qu’elle n’ignore pas qu’il y a peu de commerce entre madame la duchesse et M.  le duc ; que cependant il se trouve quelquefois dans les ménages les moins amoureux de ces momens où l’on se rapproche sans s’y attendre ; qu’elle est bien aise de la prévenir de ne point se livrer à sa tendresse pour son mari, si les circonstances la lui rappelaient ; qu’il doit être dans l’état le plus déplorable, etc.

28. — Il paraît un Essai sur l’origine et l’antiquité des langues[181], où l’auteur discute sérieusement si Adam et Ève, dans le jardin d’Éden, avant leur chute, se parlaient par signes, ou bien s’ils employaient un langage particulier. Il prétend qu’il est évident qu’ils se sont entretenus par signes.

1er Mars. — Il est des auteurs qui mettent tout à profit. M.  Roger, ex-Jésuite, ayant eu une dispute avec le receveur de la capitation, a jugé à propos de donner au public cette contestation. Il en a fait une brochure, sous le titre de Dialogue entre un auteur et un receveur de la capitation. par madame D. L. R.[182].

2. — M.  le chevalier de Boufflers s’est égayé sur le compte de Molé, par les couplets suivans :


Quel est ce gentil animal,
Qui dans ces jours de carnaval
Tourne à Paris toutes les têtes,
Et pour qui l’on donne des fêtes ?
Ce ne peut être que Molet[183],
Ou le singe de Nicolet[184].

Vous eûtes, éternels badauds,
Vos pantins et vos Ramponeaux[185] :
Français, vous serez toujours dupe.
Quel autre joujou vous occupe ?
Ce ne peut être que Molet,
Ou le singe de Nicolet.

Il faut le voir sur les genoux
De quelques belles aux yeux doux,
Les charmer par sa gentillesse,
Leur faire cent tours de souplesse.
Ce ne peut être que Molet,
Ou le singe de Nicolet.

L’animal un peu libertin
Tombe malade un beau matin,
Voilà tout Paris dans la peine ;
On crut voir la mort de Turenne.
Ce n’était pourtant que Molet,
Ou le singe de Nicolet.

La digne et sublime Clairon
De la fille d’Agamemnon
À changé l’urne en tirelire,
Et, dans la pitié qu’elle inspire,
Va partout quêtant pour Molet,
À la cour et chez Nicolet.

Généraux, ratios, magistrats,
Grands écrivains, pieux prélats[186],
Femmes de cour bien affligées,
Vont tous lui porter des dragées :
Ce ne peut être que Molet
Ou le singe de Nicolet.

Si la mort étendait son deuil
Ou sur Voltaire, ou sur Choiseul,
Paris serait moins en alarmes
Et répandrait bien moins de larmes,
Que n’en ferait verser Molet,
Ou le singe de Nicolet.

Peuple, ami des colifichets,
Qui portes toujours des hochets,
Rends grâces à la Providence
Qui, pour amuser ton enfance,
Te conserve aujourd’hui Molet
Et le singe de Nicolet.

3. — Dans l’assemblée de la Faculté de Théologie tenue avant-hier, le syndic a rendu compte du roman politique et moral de Bélisaire, de M.  Marmontel. Après avoir parlé avec éloge des talens et du style, ainsi que de la réputation de l’auteur, il a relevé les écarts qu’il s’est permis contre la foi catholique dans le quinzième chapitre de cet ouvrage. Le syndic a fait ensuite lecture de la lettre[187] écrite par M.  Marmontel à M. l’archevêque, pour lui déclarer qu’il signera la profession de foi qui lui sera proposée, et qu’il donnera toutes les explications qu’on voudra exiger.

La Faculté, qui a éprouvé par le passé que les explications données en pareil cas par M.  de Montesquieu au sujet du livre de l’Esprit des Lois, et par M.  de Buffon sur l’Histoire naturelle, avaient été insuffisantes pour réparer le scandale donné, insiste sur la censure de Bélisaire. En conséquence elle a nommé des commissaires pour faire agréer à M.  l’archevêque le désir de la Faculté et lui faire connaître la nécessité de la censure, pour, sur la réponse de M.  l’archevêque, prendre une détermination.

5. — Les Comédiens Italiens ont donné aujourd’hui la première représentation de l’Aveugle de Palmyre, avec des morceaux de musique par M.  Rodolphe. La pièce est en vers et en deux actes. M.  Desfontaines, en est l’auteur. Ce sujet est pris dans quelque roman de féerie. Il est fort mal traité, sans goût, sans délicatesse : beaucoup de grossièretés et de très‑mauvaises plaisanteries

ont révolté le parterre. La musique a eu quelque succès.

6. — Vers sur Bélisaire.

Bélisaire proscrit, aveugle, infortuné,
Ferme dans le malheur, simple, sublime et sage,
Instruisant l’empereur qui l’avait condamné,
De la terre attendrie eût mérité l’hommage.
De lOui, sans doute, chez des païens :
de lMais parmi nous, chez des chrétiens,
Peindre Dieu bienfaisant, exalter sa clémence,
Pour nous unir à lui par les plus doux liens ! …
Jusqu’où peut nous conduire une telle morale ?
Que ce blasphémateur soit puni par le feu ;
N’a-t-il pas dû savoir qu’il causait du scandale,
Quand, malgré la Sorbonne, il faisait aimer Dieu ?


7. — Nouveau Dictionnaire historique portatif, ou Histoire abrégée de tous les hommes qui se sont fait un nom par des talens, des vertus, des forfaits, des erreurs, etc. depuis le commencement du monde jusqu’à nos jours : ouvrage dans lequel on expose, sans flatterie et sans amertume, ce que les écrivains les plus impartiaux ont pensé sur le génie, le caractère, et les mœurs des hommes célèbres dans tous les genres, etc. ; par une société de gens de lettres[188]. On ne pourrait qu’applaudir à ce projet, s’il était bien exécuté : mais il est fait avec la plus grande négligence. On attribue à un auteur les ouvrages d’un autre, on transpose les anecdotes, on les altère, on les controuve ; en un mot, on donne pour morts des gens[189] pleins de vie, et qui fournissent tous les jours des preuves de leur existence.

8. — M.  de Voltaire s’occupe actuellement de la famille des Sirven. Ces infortunés, dans un cas à peu près semblable à celui des Calas, sont depuis quelques années sous sa protection. En attendant qu’il ait armé les lois en leur faveur, il écrit à toutes les puissances pour en obtenir des secours. Le roi de Danemark lui ayant envoyé pour eux quatre cents ducats, notre poète a répondu à cet envoi par ces beaux vers :


Pourquoi, généreux prince, âme tendre et sublime,
Pourquoi vas-tu chercher dans nos lointains climats
Des cœurs infortunés que l’injustice opprime ?
C’est qu’on n’en peut trouver au sein de tes États.
Tes vertus ont franchi, par ce bienfait auguste,
Les bornes des pays gouvernés par tes mains,
Et partout où le ciel a placé des humains,
Tu veux qu’on soit heureux, et tu veux qu’on soit juste.
Hélas ! assez de rois que l’histoire a faits grands,
Chez leurs tristes voisins ont porté les alarmes :
Tes bienfaits vont plus loin que n’ont été leurs armes ;
Ceux qui font des heureux sont les vrais conquerans !


11. — M.  Araignon, avocat, vient de faire imprimer une comédie en cinq actes et en prose. C’est un drame romanesque qui offre le tableau, toujours attendrissant, de l’innocence persécutée et triomphante. Il a pour titre, le Vrai Philosophe[190]. Cette comédie est dédiée à MM. les maire et échevins de Saint-Malo, comme un témoignage de la reconnaissance de l’auteur, gratifié par ces magistrats d’un brevet de citoyen Malouin, ainsi que d’une médaille d’or, au sujet de sa tragédie du Siège de Beauvais[191].

12. — On débite une Lettre de M.  de Voltaire à M.  d’Olivet, sur la nouvelle édition de Prosodie. Cette lettre, datée du château de Ferney, le 5 janvier 1767, relève différentes locutions vicieuses devenues à la mode. En général, M.  de Voltaire y paraît peu content du style de nos auteurs modernes, et surtout du nouveau genre d’éloquence qu’on a introduit ; il critique plusieurs mots usités dans ce qu’on appelle la bonne compagnie. « Dites‑moi si Racine a persiflé Boileau…, si l’un et l’autre ont mystifié La Fontaine… » On y lit aussi cette phrase remarquable, en parlant de M.  de La Harpe : « Un jeune homme d’un rare mérite, déjà célèbre par les prix qu’il a remportés à notre Académie, et par une tragédie qui a mérité son grand succès…[192] » Il nous apprend enfin qu’il reçoit quelquefois des lettres du philosophe de Sans-Souci[193], qu’il a l’honneur d’être encore dans ses bonnes grâces, et que c’est une des consolations de sa vieillesse.

13. — On débite une comédie en un acte et en prose de M.  Collé, intitulée le Galant Escroc, précédée des Adieux de la parade prologue en vers libres[194]. Cette comédie fait partie du Théâtre de société, et ne peut être jouée qu’en société. C’est la peinture malheureusement trop vraie de mœurs qui ne pourraient être présentées sur un théâtre public. La fable en est plaisante, et l’effet en doit être très-heureux.

15. — Suivant la délibération de la Faculté de théologie[195], le doyen, le syndic et les huit commissaires se sont rendus chez M.  l’archevêque il y a quelques jours. Ce prélat leur a déclaré que, dans l’affaire de M.  Marmontel, il ne cherchait que le plus grand bien de la religion, et qu’il s’en rapportait entièrement au jugement de la Faculté.

En conséquence, la Faculté a mis en délibération s’il convenait, pour parvenir au plus grand bien, de faire une censure en forme, ou de se contenter d’explications. Il a été décidé que ce dernier était le parti le plus expédient, et qu’on pourrait joindre au quinzième chapitre une explication très-théologique, qui corrigerait ce qui se trouve de contraire à la religion dans ce chapitre.

Les commissaires doivent s’assembler pour concerter et faire le projet de cette explication théologique, qui, après avoir été acceptée par M. Marmontel, sera présentée à l’assemblée de la Faculté du prima mensis[196].

16. — Nous allons donner un échantillon du style de M. Tronchin, ce médecin si célèbre. C’est une lettre qu’il a écrite de Versailles, le 8 février de cette année, à M. le pasteur Pictet, à l’occasion des troubles de la république de Genève. Il était alors auprès de madame la Dauphine.

« Monsieur, j’ai besoin de cette presse de travail pour n’être pas sans cesse occupé des malheurs de ma patrie. À portée, comme je le suis, de connaître les intentions du roi, instruit d’ailleurs du délire opiniâtre de mes insensés concitoyens, je vois avec la plus grande douleur les malheurs qu’ils se préparent. En faisant semblant de courir après la liberté, ces malheureux vont perdre leur patrie. Les extrêmes se touchent : ils étaient trop heureux. La démarche qu’ils ont faite vis-à-vis M.  le résident[197], a paru ici un persiflage. J’ai reçu de M.  Vernet une lettre qui lui ressemble fort ; aussi ne lui ai-je pas répondu. C’est se moquer que de parler de dévouement et de respect, quand on manque si solennellement au respect et au dévouement qu’on doit à un monarque qui joue le rôle de père, et qui n’a cessé de faire ressentir les effets de sa bienveillance et de sa protection, L’orgueil ira toujours devant l’écrasement, de quelque manière qu’il se masque ; vous le voyez, mon cher Monsieur, sous bien des formes. Ils feront périr ma pauvre patrie ; car, quand l’orgueilleux délire du jour finirait, à moins qu’il ne finisse incessamment, les plaies qu’il a déjà portées à la prospérité et au commerce, laisseront après elles des cicatrices profondes. Oue sera-ce si, par un abandon du ciel, ces plaies subsistaient encore plusieurs mois ! Le commerce et la prospérité, semblables aux rivières qui changent de lit, n’y rentrent point. La fin du délire et la misère entraînent ordinairement le désespoir après elles. Les auteurs de tant de maux en seront les victimes. Le roi n’en démordra pas, je le tiens de sa bouche. Tout ce que je prévois brise jour et nuit mon âme. Je ne goûte pas un moment de repos, car j’aime avec passion ma patrie. Dites ceci à qui voudra l’entendre : au moins n’aurai‑je rien à me reprocher. Souvenez‑vous souvent, mon cher Monsieur, que je vous l’ai dit ; je vous appellerai en témoignage. En attendant je ferai des vœux, et je gémirai en silence. »

18. — On parle beaucoup d’une cassette, précieuse pour les papiers qu’elle contient, laissée par M.  le Dauphin à madame la Dauphine, et dont cette princesse a fait gardien M.  l’évêque de Verdun, son premier aumônier. On prétend que dans cette cassette sont différens mémoires, ouvrages et instructions du prince défunt, à remettre au duc de Berry, le Dauphin actuel, lorsqu’il sera en état d’en profiter.

19. — Un plaisant a répondu à M.  Tronchin, au nom de M.  Pictet ; on attribue même cette facétie à un grand poète[198], si bien accoutumé à tourner tout en ridicule.

« Monsieur, nous étions occupés, mon fils et moi, à relire les discours que je fis à Saint-Pierre aux dernières élections, et nous méditions sur le peu d’effet qu’ils ont produit, lorsque votre lettre nous est parvenue. Comme le travail ne nous enivre guère, mon fils ni moi, mon cher Monsieur, nous avons tout le loisir possible pour songer aux maux de l’État. Les bruits qui courent sur la suspension des rentes nous les font sentir vivement, et le ton pitoyable de votre lettre ajoute encore à notre affliction.

« Nous avons surtout été touchés de ces phrases où vous dites que vous avez l’âme brisée jour et nuit, que l’orgueil va devant l’écrasement, que vous gémissez en silence ; et mon fils proteste n’avoir jamais rien lu de si beau dans les sermons de son grand-père.

« Nous avons aussi admiré la noble hardiesse avec laquelle vous traitez vos concitoyens d’insensés, de malheureux, et leur démarche de persiflage. Mon fils approuve beaucoup la méthode d’insulter les gens ; mais il avoue que, depuis qu’il s’en est mal trouvé deux ou trois fois, il est résolu de ne plus la mettre en pratique, à moins qu’il n’ait, comme vous, le bonheur d’être à cent lieues des représentans. Incontinent après avoir fait nos commentaires, nous avons convoqué, mon fils et moi, les négatifs[199], au cercle des Trois rois, et nous leur avons fait lecture de votre lettre. Ils en ont été enchantés. Mais pour les représentans, le même délire, dont la fin doit être la misère et puis le désespoir, comme vous le dites si bien, et le délire orgueilleux qui fera périr ma pauvre patrie, ce délie opiniâtre enfin, qui leur fait déserter mes sermons, leur a fait désapprouver votre épître. Ce qui me désole, c’est qu’ils s’en moquent : l’un dit qu’elle n’est pas en français, qu’on ne dit pas porter des plaies, mais faire des plaies ; l’autre dit que vous vous êtes belousé lorsque vous avez dit que le roi jouait le rôle de père, que votre intention était sûrement d’exalter sa bonté ; et que cette expression, le roi n’en démordra pas, est tout aussi défectueuse ; un autre dit que les grandes phrases dont est remplie votre lettre indiquent une extrême disette d’idées ; un autre, qu’elles ressemblent à des lambeaux de faux galons appliqués sur de la futaine ; un autre, qu’elles sont pillées. Pour cela je ne puis plus y tenir, et je tape des pieds, en leur disant : « Hem ! ne voyez-vous pas bien que l’auteur de cette lettre est un homme que le travail rendait ivre ; et puis, croyez‑vous que M.  Tronchin fût capable de piller les ouvrages d’autrui ? Cela est bon une fois. » Au reste, mon cher Monsieur et mon ami, M.  Perdriau de la Rochelle la publiera à Saint‑Gervais, après avoir publié les annonces et disposé nos auditeurs par un remède préparatoire, soporifique et anodin, et un sermon de méditation. Mon fils et moi nous souffrons, nous vous aimons, et nous vous honorons. »

25. — M.  Rousseau continue à garder un silence profond. De temps en temps quelqu’un élève la voix en sa faveur. On voit dans le numéro 35 du sieur Fréron un article intitulé : Sentimens d’un Anglais impartial sur la querelle de MM. Hume et Rousseau, extraits des papiers anglais du mois de novembre 1766 ; signé, un Anglais du vieux temps hospitalier et orthodoxe. Que ce jugement soit vrai ou controuvé par le journaliste, il est bien fait, et écrit avec une candeur qui plaira. Il est en faveur de M.  Rousseau, sans déguiser les torts qu’il peut avoir. M.  Walpole, l’auteur de la plaisanterie du roi de Prusse, y est surtout très-maltraité.

M.  Rousseau doit, au reste, goûter quelque consolation par le plaisir de voir son Devin de village traduit en anglais. En outre, un auteur, nommé M.  Burney, vient d’adapter des paroles en sa langue à la musique française. On a donné l’hiver cette pièce au théâtre de Drurylane, avec un succès partagé ; elle est soutenue par le parti anglais contre le parti écossais, qui avait entrepris de la faire tomber, et qui a interrompu les premières représentations par le bruit le plus affreux.

26. — Les Comédiens Français ont donné aujourd’hui la première représentation des Scythes. Cette pièce ne répond pas à ce que l’on pouvait attendre du pinceau sublime qui nous offrit jadis, avec tant de succès, les tableaux contrastés des mahométans et des chrétiens, des Américains et des Espagnols, des Chinois et des Tarares. M.  de Voltaire a voulu mettre ici en opposition l’âpreté des mœurs sévères des Scythes avec le faste orgueilleux des anciens Persans. Le sujet est absolument manqué, et lgon ne peut que s’écrier :

J’ai vu l’Agésilas,
J’ai vHélas[200] !


Il y a cependant, en divers endroits, des morceaux de la plus grande force, et l’on rencontre partout dans ce drame disjecti membra poetæ[201].

27. — Abrégé de l’histoire de Port‑Royal, par M.  Racine, de l’Académie Française[202]. Cette histoire, écrite, à ce qu’on croit, vers 1693, a été long-temps ignorée. Il en parut en 1700 une partie, dont il fallut se contenter, parce qu’on ne put alors en découvrir la suite ; mais l’abbé Racine en avait une copie, d’après laquelle on a fait l’édition dont il est question. L’histoire de Port‑Royal est conduite ici jusqu’à l’affaire du Formulaire. L’auteur ne vit pas la destruction de Port-Royal des Champs. Boileau regardait cet ouvrage comme le plus parfait morceau d’histoire que nous eussions dans notre langue. Ce n’est malheureusement pas le plus intéressant.

28. — Le sieur Fréron, toujours acharné sur M.  de Voltaire, et qui doit une partie de la célébrité de ses feuilles à la guerre qu’il a livrée à ce grand homme, pour réveiller l’attention de son lecteur vient de lâcher, suivant son usage, une nouvelle satire très-propre à piquer la malignité du cœur humain, et à réjouir les ennemis du sien. Il se fait écrire une lettre par un prétendu abbé M…, qui lui envoie la traduction d’une Épître persane à Saadi. Cette épître, très-bien faite, reproche à M. de Voltaire, sous le nom de Saadi, tous ses défauts et surtout son amour‑propre, son envie, son inquiétude. Il y est peint des couleurs les plus offensantes et malheureusement les plus vraies. Cette épître finit par une espèce d’épilogue en quatre vers :

Un miroir à nos yeux distraits
Vient-il offrir notre grimace ?
Il ne faut pas briser la glace,
Mais, s’il se peut, changer nos traits.

29. — M.  de Voltaire, à force de s’intriguer et de se remuer en faveur des Sirven, commence à faire prendre couleur à cette affaire. On vient de publier sous son nom un Mémoire à consulter et une consultation, faits l’un et l’autre par main de maître. Le même sentiment qui a dicté les lettres pathétiques que l’on a lues et les divers écrits publiés au sujet des Calas à l’auteur du Traité de la Tolérance, lui a fait prendre la plume dans cette occasion, et on ne doute pas que le Mémoire à consulter ne soit de lui. La consultation paraît être de M.  Élie de Beaumont, connu au barreau et célèbre surtout par des mémoires en faveur des Calas. Elle est signée de cet avocat, et souscrite de onze jurisconsultes fameux.

Nicole de Beauvais, ou l’Amour vaincu par la reconnaissance[203]. Ce roman est d’une madame Robert. qui a déjà donné : Voyage de mylord Céton dans les sept planètes, ou le nouveau Mentor[204], traduction vraie ou fausse. Nous ne faisons mention de ces ouvrages qu’en faveur de l’auteur. Madame Robert écrit quelquefois avec chaleur, mais d’un style en général faible et sans correction : elle a de l’imagination, mais peu de goût.

30. — Dans les Notes sur la lettre de M.  de Voltaire on reproduit quelques fragmens de lettres de M.  Rousseau à M.  Du Theil, et l’on met à la tête de ces fragmens : Extrait des lettres du sieur J.‑J. Rousseau employé dans la maison de M.  le comte de Montaigu, écrites en 1744 à M.  Du Theil, premier commis des affaires étrangères. Ces Lettres ont été conservées par hasard chez M. Du Theil. Ce dernier, officier aux gardes, a fait insérer, en conséquence, dans l’Année Littéraire, une protestation contre cette assertion. Il y déclare qu’il a toujours ignoré l’existence de ces lettres, et paraît même la révoquer en doute. D’autre part, on appelle M.  Rousseau employé dans la maison du comte de Montaigu, et l’on n’ignore pas qu’il était secrétaire de cet ambassadeur de France à Venise.

31. — Tandis que la Faculté de Théologie est occupée à dresser la rétractation que doit signer M.  Marmontel, et que celui-ci attend avec une foi humble tout ce qu’on proposera à sa docilité, M.  de Voltaire s’égaie et vient de répandre des Anecdotes sur Bélisaire[205], espèce de pamphlet, où il verse le ridicule a grands flots sur qui il appartient. Il y prodigue une foule de citations des pères de l’Église, des docteurs, des casuistes, qui appuient les assertions avancées dans le chapitre XV du Bélisaire tant critiqué, et qui a jeté un si grand scandale dans l’Église.

Ier Avril. — Un anonyme avant écrit à mademoiselle Arnould d’assez mauvais vers sur la querelle entre MM. de Villetle et de Lauraguais, où l’on reprochait entre autres au premier le péché antiphysique, il y a répondu par l’épître suivante.

Monsieur l’anonyme badin,
On ne peut avec plus d’adresse,
De gaîté, de délicatesse,
Dire du mal de son prochain.
Votre muse aimable et légère
M’égratigne si doucement,
Qu’il faudrait être fou vraiment
Pour aller se mettre en colère.
Recevez‑en mon compliment.
Mais pourquoi votre esprit caustique
Sur moi s’égayant sans façon
M’accuse-t-il d’être hérétique
Au vrai culte de Cupidon ?
Avez-vous consulté Sophie,
Vous qui m’imputez ce péché,
Vous sauriez que de l’hérésie,
Je suis un peu moins entiché.
Charmé de cet air de tendresse
Qui des amans flatte l’espoir,
J’ai souhaite voir la princesse
Passer du théâtre au boudoir.
Sur les tréteaux reine imposante,
Elle est ce qu’elle représente ;
Mais ou revient au naturel ;
Chez elle libre, impertinente,
La princesse est femme galante,
Gentil ornement de b…
Oui, oui, la reine Marguerite[206]
L’eût aimée autant que ses yeux,
Elle en eut fait sa favorite ;

On doit ses Contes amoureux
À son penchant pour la saillie ;
Elle aimait les propos joyeux ;
Les plus gros lui plaisaient le mieux,
Elle pensait comme Sophie.
Vais avec l’ardeur de Vénus,
Elle a l’embonponit de l’Envie.
Je cherche un sein, des globes nus,
Une cuisse bien arrondie,
Quelques attraits… Soins superflus !
Avec une telle momie
Si j’ai pourtant sacrifié
Au dieu qui de Paphos est maître,
Me voilà bien justifié,
Ou je ne pourrai jamais l’être.

2. — Il se répand depuis quelque temps un poëme manuscrit, attribué à M.  Bernard, qui a pour titre Pauline et Théodore[207]. Il est en quatre chants et en vers de dix syllables : c’est l’histoire d’Héro et Léandre retournée. Quoiqu’on ne puisse ajouter aucune foi à un manuscrit furtivement enlevé, ou y retrouve en beaucoup d’endroits le pinceau délicat et gracieux de l’auteur. On trouve dans sa fable l’amour incestueux d’un frère et une jalousie atroce, qui la défigurent et répandent de l’horreur sur ce tableau de volupté. Ce crayon noir ne peut s’allier avec les grâces d’une miniature.

4. — Une médaille de la valeur de deux cents livres a été envoyée à l’Académie Française au mois de décembre dernier, pour celui qui, au jugement de l’Académie, aurait composé le meilleur discours sur l’Utilité de l’établissement des écoles gratuites de dessin en faveur des métiers. L’Académie a adjugé ce prix au sieur Descamps, peintre du roi[208].

5. — La tragédie des Scythes, de M.  de Voltaire, imprimée depuis long-temps, commence à se distribuer. On y remarque une épître dédicatoire aux Satrapes Élochivis et Nalrisp (Choiseul et Praslin) du ton le plus bas et plein de l’adulation la plus outrée. Cette adulation sent l’homme qui a envie de revenir à Paris, et qui fléchit le genou devant les tout-puissans pour obtenir cette grace.

Le post-scriptum est amusant, par une sortie que fait l’auteur contre Duchesne, sur l’impression de plusieurs de ses tragédies, qu’il prétend être horriblement défigurées : c’est une parade à l’ordinaire, mais plaisante.

6. — Du Bonheur, par M.  De Serres de La Tour, avec cette épigraphe : Vox clamantis in deserto[209]. Quoique cet ouvrage fasse un certain bruit, il n’a rien de neuf, rien de hardi. On y trouve à la suite un petit ouvrage sur l’Éducation des Anciens, où l’on remarque aussi des vues intéressantes sur la méthode des modernes.

— On annonce un poëme manuscrit de M.  de Voltaire, intitulé la Guerre de Genève ; il est en quatre chants et en vers de dix syllables. On prétend qu’on y retrouve la même plume qui a fait la Pucelle. C’est plus à désirer qu’à espérer.

9. — M.  l’abbé Perau, continuateur des Vies des Hommes illustres de la France, commencées par feu M. D’Auvigny, est mort le 31 mars, âgé de soixante-sept ans. Il était devenu aveugle, et c’est M.  Turpin qu’il avait choisi pour mettre la dernière main à cet ouvrage.

10. — L’auteur des Éphémérides du citoyen, dont nous avons déjà parlé, ne trouvant pas ce titre assez piquant pour le lecteur, a cru le rendre sans doute plus intéressant en appelant son journal Bibliothèque raisonnée des sciences morales et politiques. Il s’ouvre une carrière immense, que nous doutons qu’il puisse remplir. Nous lui souhaitons plus de succès sous cette nouvelle métamorphose.

— On cite la réponse de M.  Bret, le censeur du livre de Bélisaire, lorsque M.  le lieutenant de police lui annonça qu’il était rayé du tableau. Ce magistrat lui donnait cette nouvelle avec toute la mansuétude dont il est capable, les larmes aux yeux : il paraissait la lui apprendre à regret. « Eh bien ! Monsieur, lui dit Bret, ne me plaignez pas tant ; c’est un malheur, mais ce n’est pas un déshonneur, » et Bret s’en alla, faisant une pirouette.

11. — M.  Barthe a fait paraître, il y a quelque temps[210], une Lettre de l’abbé de Rancé à un ami. Elle est supposée écrite pendant le séjour de cet abbé à la Trappe, et roule sur sa conversion et sur son repentir. Il y invite son ami à venir jouir des mêmes douceurs que lui. Cet ouvrage est un amas de descriptions ; on n’y trouve rien de cet onctueux qui doit aller au cœur. Tout y est de mauvais goût, jusqu’aux gravures : dans l’une entre autres on voit l’Amour entre une tête de mort et un crucifix.

M. de La Harpe a écrit à Genève, sous les yeux de M. de Voltaire, la Réponse d’un Solitaire de la Trappe à la Lettre de M.  l’abbé de Rancé. Cette épître est dans le goût des Soupirs du cloître de M.  Guymond, mais infiniment mieux écrite, plus forte de choses hardies et philosophiques. C’est un religieux qui réclame contre ses vœux, qui en fait voir l’injustice, l’absurdité, l’impiété même. Tout cela est fait de main de maître, et bien des gens sont tentés de croire que M. de Voltaire y a mis sa touche[211].

12. — On exalte, on se transmet de bouche en bouche un mot sublime du sieur Le Kain : c’est sur la fin de l’année dramatique et dans les foyers qu’il a été dit. On félicitait cet acteur sur le repos dont il allait jouir, sur la gloire et l’argent qu’il avait gagné : « Quant à la gloire, répondit modestement cet acteur, je ne me flatte pas d’en avoir acquis beaucoup. Cette sorte de récompense nous est contestée par bien des gens, et vous-même me la contesteriez peut-être si je voulais l’usurper. Quant à l’argent, je n’ai pas lieu d’être aussi content qu’on le croirait : nos parts n’approchent pas de celles des Italiens, et en nous faisant justice, nous aurions droit de nous apprécier un peu plus. Une part aux Italiens rend vingt à vingt-cinq mille livres, et la mienne se monte au plus à dix ou douze mille. » — « Comment, morbleu ! » s’écria un chevalier de Saint-Louis qui écoutait le propos, « comment, morbleu ! un vil histrion n’est pas content de douze mille livres de rentes, et moi qui suis au service du roi, qui dors sur un canon, et prodigue mon sang pour la patrie, je suis trop heureux d’obtenir mille livres de pension. » — « Eh ! comptez-vous pour rien, Monsieur, la liberté de me parler ainsi ? » reprend le bouillant Orosmane.

13. — Il se répand assez généralement deux chants du poëme de M. de Voltaire sur la Guerre de Genève. Le premier verse le ridicule à grands flots sur Genève et ses habitans ; il est assez gai, mais d’une gaieté grivoise, qui sent l’homme sortant de la taverne. Il n’y a point de ces morceaux délicats, tels qu’on en trouve dans la Pucelle.

Le second est une satire horrible contre J.-J. Rousseau : Il y est peint sous les couleurs les plus odieuses et les plus infâmes. Il est fait pour intéresser en faveur de ce malheureux ses propres ennemis, et l’humanité seule réclame contre cet abominable ouvrage.

14. — On vient d’imprimer à Avignon la Passion de notre Seigneur Jésus-Christ, mise en vers et en dialogues. Nous n’avons rien à ajouter à ce titre, digne de la barbarie des siècles les plus absurdes et du plus mauvais goût[212].

15. — Discours sur l’administration de la justice criminelle, prononcé par M. S… (Servan), avocat-général du roi au parlement de Grenoble[213]. Cet excellent ouvrage, plein d’une philosophie douce et humaine, doit faire le pendant du traité Des Délits et des Peines. Il a d’autant plus de poids qu’il est dans la bouche d’un magistrat, qui réclame contre une infinité d’abus qu’il voudrait voir réformer. Il est bien écrit en général, quelquefois d’un style trop métaphysique : il est plein d’onction, et tout cœur sensible ne pourra s’empêcher d’être serré à la lecture de ce traité précieux.

17. — M. de Saint-Foix, historiographe des ordres du roi, vient de publier l’Histoire de l’ordre du Saint-Esprit[214]. On y trouve une anecdote bien extraordinaire, soutenue d’assertions plus extraordinaires encore. Cet auteur y prétend, à l’article du duc d’Epernon, que ce seigneur donna le second coup de couteau à Henri IV, lorsque Ravaillac eut porté le premier, et il ajoute : « Ce fait est rapporté dans un manuscrit de M. le duc d’Aumale. Il est d’autant plus digne de créance, que M. le duc d’Aumale vivant parmi les Espagnols, était à portée de savoir la vérité des choses, et que d’ailleurs ayant eu une maladie de langueur très-longue, dans laquelle il avait communié deux fois, il n’est pas vraisemblable qu’il eût laissé subsister une pareille calomnie s’il n’eût été sûr de ce qu’il avançait. »

18. — On se communique l’extrait d’une lettre[215] d’un gentilhomme flamand qui voyage, précieuse par l’anecdote qu’elle contient, relative à ce qui a été dit sur la proposition faite par les Corses à J.-J. Rousseau de leur donner des lois. Voici comme l’auteur s’exprime sur cette république, ou plutôt sur son chef.

« M. Paoli est âgé de quarante-deux ans, d’une figure mâle et belle, ayant le port très-noble, et l’air de ce qu’il est, du chef d’un peuple libre. Son érudition serait surprenante, même dans un homme de lettres de profession. Il est versé dans la littérature anglaise et française, mais Tacite et Plutarque sont ses auteurs favoris. Il est d’une éloquence admirable ; je n’ai vu personne mettre autant de grâces et de force dans ses discours. Il joint a tant de talens une philosophie éclairée et exempte de toute espèce de préjugés. Il a fait un bien étonnant à son pays ; il y a établi une police exacte, il a affermi la constitution, qui ressemble beaucoup à celle d’Angleterre et qui me paraît excellente ; il a établi à Corte une imprimerie et une université, dans laquelle il a su attirer des gens de mérite. Les gazettes ont parlé des démarches qu’il a faites pour engager M. J.-J. Rousseau à se retirer dans son île. J’ai vu toute sa correspondance à ce sujet avec cet écrivain, elle fait également honneur à l’un et à l’autre. »

19. — On assure que M. de Voltaire a un commentaire tout prêt sur les tragédies de Racine : il attend pour le faire paraître que M. Luneau de Boisjermain ait mis au jour celui qu’il promet depuis long-temps.

M. Le Blanc, auteur de Manco Capac, vient d’épouser, il y a quelque temps, une demoiselle Gouilli. Cette fille, célèbre par la mort d’un officier qui s’est brûlé la cervelle de désespoir de ne pouvoir se marier avec elle, était maîtresse de M. Clairaut, et avait vécu avec lui jusques à sa mort.

20. — M. Dreux Du Radier ayant fait imprimer un ouvrage intitulé : Récréations historiques, critiques, morales et d’érudition, avec l’histoire des fous en titre d’office[216], y a maltraité MM.  le président Hénault et l’abbé d’Olivet. Fréron, sous prétexte de venger ces deux illustres, est tombé sur le corps de l’auteur, et l’a traité avec un mépris, une dureté révoltante[217]. Les amis de Voltaire et les ennemis du journaliste, en très-grand nombre, ont aussi pris l’occasion de l’injure faite à M. Du Radier pour obtenir la suspension de ses feuilles. Mais ce pauvre diable n’ayant pas assez de consistance, Fréron vient de répondre, et dans sa fureur tombe d’estoc et de taille sur le sieur Thomas[218]

22. — Il paraît une Lettre de M. *** à M. de Calonne, maître des requêtes, au sujet de son mémoire présenté au roi, contre celui de M. de La Chalotais, procureur-général au parlement de Bretagne. L’auteur prétend relever des contrariétés qu’il croit apercevoir dans la justification de M. de Calonne, qu’il crayonne avec des couleurs peu flatteuses.

— Tandis que la Sorbonne s’occupe de l’examen de Bélisaire, des auteurs anonymes essaient d’en prévenir la censure par des critiques amères, et cherchent à discréditer l’ouvrage par des analyses qui ne sont pas dénuées de toute vérité. Une de ces critiques est attribuée à l’auteur qui a fait celle du discours de M. Thomas : elle est très-forte et très-judicieuse ; elle pulvérise le politique. L’ouvrage a pour titre Examen du Bélisaire de M. Marmontel[219], avec cette épigraphe :

Scribendi rectè sapere est et principium et fons.

23. — Vers de M. le comte de Maugiron, lieutenant-général, une heure avant sa mort :

Ne saTout meurt, je m’en aperçois bien !
Ne saTronchin, tant fêté dans le monde,
Ne saurait prolonger mes jours d’une seconde,
Ne saNi Dumont[220] en retrancher rien.
Ne saVoici donc mon heure dernière !
Ne saVenez, bergères et bergers,
Ne saVenez me fermer la paupière :
Ne saQu’au murmure de vos baisers

Tout doucement mon ame soit éteinte.
Finir ainsi dans les bras de l’amour,
C’est du trépas ne point sentir l’atteinte ;
C’est s’endormir sur la fin d’un beau jour !

M. de Maugiron logeait chez M. l’évêque de Valence ; le clergé se pressait de lui apporter les secours spirituels, lorsqu’il se retourna, et dit à son médecin : « Je les attraperai bien ; ils croient me tenir et je m’en vais. » Il mourut à ce mot[221].

24. — On a fait imprimer un Tableau prétendu des assemblées sercrètes et fréquentes des Jésuites et leurs affiliés à Rennes. On impute à leurs complots la disgrâce et les malheurs de MM.  de Caradeuc et de La Chalotais. On y lit les noms prétendus de ceux qui forment ordinairement ces assemblées, les lieux où elles se tiennent ; on y trouve tous gens affiliés, soi-disant, aux ci-devant Jésuites. Le parlement de Bretagne n’a pas donné à son Arrêt contre les Jésuites toute l’extension de celui de Paris, et Rennes est devenu, pour ainsi dire, l’asile de tous ceux qui n’ont pu en trouver ailleurs.

27. — On écrit de Rome, du 4 mars, qu’on y a enlevé, par ordre exprès du pape, dans le couvent des Cordeliers, tous les exemplaires de l’Hstoire ecclésiastique de la Ligurie, ouvrage de M. Paganette de Gênes, qui venait d’être imprimé dans cette capitale, avec l’approbation des maîtres mêmes du palais. On a trouvé dans cet ouvrage plusieurs passages hardis et injurieux à la cour de Rome, que l’on suppose y avoir été ajoutés par l’auteur après l’approbation obtenue.

30. — On écrit de Stockholm, du 13 mars, qu’on y a publié un édit du roi concernant la liberté de la presse, daté du 2 décembre 1766. Il porte qu’il sera permis à tout particulier d’écrire et de raisonner sur toutes sortes de matières, sur toutes les lois du royaume, et sur leur utilité ou leur mauvaise influence ; sur toutes les alliances du royaume, anciennes ou nouvelles, avec les puissances étrangères ; sur leurs bons ou mauvais effets : sur les propositions à faire pour en conclure de nouvelles, et sur la publicité de ces alliances, à l’exception de leurs articles secrets.

— Deux nouvelles productions de M. de Voltaire continuent à entretenir le public sur son compte. L’une a pour titre Honnêtetés littéraires, et l’autre Questions de Zapata. La première roule sur les querelles des auteurs et sur la façon décente et polie dont ils traitent leurs différends. L’autre est un examen de diverses questions théologiques que notre philosophe résout, et Dieu sait quelle est la théologie de M. de Voltaire !

2. Mai. — Quoiqu’on ait ici le cinquième et le sixième chant de la Guerre de Genève, ceux qui en sont possesseurs ne veulent pas en laisser prendre des copies, dit-on, par égard pour l’auteur. Quelque orduriers et quel quelque méchans que soient ceux que l’on connaît, on prétend que ceux-ci enchérissent encore.

3. — M. de Voltaire a écrit une Lettre à M. Élie de Beaumont, avocat au parlement de Paris, en date du 20 mars 1767. Il loue ce jurisconsulte d’avoir pris genéreusement en main la cause de la famille des Sirven. Sa lettre est écrite avec cette onction, ce pathétique qui coulent si naturellement de la plume de ce grand écrivain lorsqu’il prêche l’humanité et défend les droits de l’innocence opprimée.

4. — Guillaume Tell[222]. C’est une lettre de M. le baron de Zurlauben, avantageusement connu dans la république de lettres par son Histoire militaire des Suisses[223]. Cette lettre a été écrite au sujet de la tragédie de M. Le Mière sur le célèbre fondateur de la liberté des Suisses. M. le baron de Zurlauben fait l’histoire de cet événement, et entre dans un détail où il n’était guère possible que le poète entrât, quoiqu’il ne se soit point écarté, dans sa tragédie, de la vérité historique. On trouve dans cette lettre des autorités qui constatent l’évènement de Tell, qu’un écrivain avait voulu faire révoquer en doute ; elle contient tout ce qui s’est passé avant et après la conjuration[224].

5. — Comme on disputait à un souper sur le nombre des chants du poëme de la Guerre de Genève, M. Cazotte, auteur déjà connu par quelques ouvrages, prétendit qu’il en existait sept : on lui contesta beaucoup le fait ; il soutint qu’il le prouverait et qu’il avait le septième chant en sa possession. La dame du logis le défia : il accepta le cartel et promit qu’il le lui enverrait le lendemain. De retour chez lui, il fabriqua ce chant durant toute la nuit et tint parole. Le lendemain matin, il l’envoya à la dame. Quoi qu’on y voie une manière différente, on y trouve des choses plaisantes.

6. — M. Chauveau vient de faire imprimer une comédie en cinq actes et en vers, intitulée l’Homme de cour[225]. Il se plaint amèrement dans la préface des difficultés qu’éprouve un auteur pour faire parvenir une pièce aux Comédiens et obtenir leur jugement.

7. — M. de Voltaire persiste, ce semble, à vouloir ensevelir la religion avec lui, ou avant lui. Il vient de faire paraître le Recueil nécessaire, espèce d’arsenal infernal où, non content de déposer toutes les armes qu’a fabriquées son impiété, il ramasse encore celles des plus cruels ennemis de tout dogme et de toute morale. Il contient : 1° une Analyse de la religion chrétienne par M. Dumarsais, logicien aussi redoutable par ses raisonnemens éloquens que par sa dialectique vigoureuse ; 2° le Vicaire Savoyard, tiré de l’Émile de Rousseau ; 3° le Dialogue entre un caloyer et un honnête homme, dont on a déjà parlé[226] ; 4° le Sermon des Cinquante, aussi connu ; 5° Examen important, attribué à milord Bolingbrocke, mais en effet de M. de Voltaire : c’est un développement du Sermon des Cinquante, où avec autant d’éloquence et d’érudition, l’auteur a joint plus de raisonnement ; 6° Lettre de milord Bolingbrocke, qui est peu de chose : 7° Dialogue du douteur et de l’adorateur, ouvrage trop frivole pour le sujet, trop grave pour le titre ; 8° Les Dernières paroles d’Epictète son fils.

8. — Les amateurs du Théâtre italien trouvent que l’Arlequin débutant a trop conservé du jeu de sa patrie : il est balourd, niais et sot, et nous exigeons ici beaucoup de finesse dans le jeu, de souplesse dans le geste, de légèreté dans les altitudes, de gentillesse dans toute l’action, de saillies naïves dans le dialogue, de talens, même accessoires, pour amuser. Il est pourtant des gens auxquels il a plu ; d’ailleurs on espère qu’il se formera.

9. — On écrit de Rome qu’on vient d’y défendre, par un édit de la congrégation du Saint-Office, la vente et la lecture d’un livre écrit en français, qui a pour titre : De l’autorité du clergé et du pouvoir du magistrat politique sur l’exercice des fonctions ecclésiastiques[227].

10. — Homélies prononcées à Londres en 1765, dans une assemblée particulière. Cet ouvrage est encore sorti de la plume féconde de M. de Voltaire. Il y a quatre homélies : la première roule sur l’athéisme, qu’il combat mal ; la seconde sur la superstition : ce n’est autre chose que les raisonnemens et les détails pathétiques vus déjà dans son Traité de la tolérance ; les troisième et quatrième roulent sur l’ancien et le nouveau Testament, qu’il examine, qu’il discute, et où il rappelle tout ce qu’on a déjà lu dans son Sermon des Cinquante, dans son Dictionnaire philosophique et ailleurs.

11. — Il paraît deux volumes de Mémoires de madame la marquise de Pompadour, écrits par elle-même[228]. Ils contiennent des portraits de la cour assez bien faits, des détails curieux de politique, peu de galanterie et de l’intérieur du commerce entre les deux amans. Du reste, le style est lâche et négligé, soit qu’il vienne en effet de l’héroïne, soit qu’on ait voulu lui donner plus de vraisemblance par cette affectation. Ces Mémoires ne vont que jusqu’au commencement de la dernière guerre.

16. — Zapata[229] est un bachelier de Valladolid, que M. de Voltaire suppose proposer à la junte des docteurs de Salamanque un nombre de questions qui l’embarrassent dans l’ancien et le nouveau Testament. Ce sont toutes les contradictions, toutes les absurdités, toutes les horreurs et même toutes les impiétés qu’il a déjà relevées dans son Dictionnaire philosophique, et dans les diffèrens ouvrages qu’il a donnés depuis qu’il s’est livré à la théologie et a la métaphysique. En général, il ramène ce qu’il a dit vingt fois ; mais son sarcasme est toujours piquant, et réveille le goût des lecteurs pour des matières remâchées trop souvent. M. de Voltaire prétend que l’original de ces Doutes est dans la bibliothèque de Brunswick. Ils sont au nombre de soixante-sept, et l’on juge bien que les sages maîtres restent sans réponse.

17. — M. l’abbé Cérutti, ci-devant Jésuite, et qui, dès vingt-quatre ans, s’était attiré une sorte de considération par l’Apologie[230] de son ordre, ouvrage plus rempli de feu que de logique, s’est offert, par une inconséquence méprisable, à prêter le serment de renonciation à l’Institut, quand il l’a vu proscrit irrévocablement. On n’a point voulu l’admettre, et les honnêtes gens se sont révoltés contre cette sorte d’apostasie. Il a été obligé de sortir du royaume, et trois femmes de la cour, engouées de lui, lui ont fait mille écus de pension : madame la maréchale d’Estrées est à la tête.

C’est ce même Jésuite qui, étant venu à Paris lors de la dissolution de l’ordre, excita quelques craintes de la part du gouvernement et du public en général. On trouvait mauvais qu’on tolérât en France un homme qui venait de sonner le tocsin en faveur de son ordre : « Ne craignez rien, disait Duclos à tout le monde, les premières personnes qu’il a vues à Paris sont d’Alembert et moi. »

18. — On parle du mariage de M. Sédaine, qui offre des circonstances très-romanesques. Il a épousé la fille d’un avocat au Conseil. Cet avocat est mort, et la mère n’ayant jamais voulu consentir à l’hymen projeté, l’amante a fait des sommations respectueuses. Mais le plus héroïque, c’est la façon dont elle a résisté aux offres séduisantes d’une ancienne inclination du poète maçon[231]. Cette femme se nommait madame Le Comte, espèce de bel-esprit femelle avec qui vivait M. Sédaine. Celui-ci lui ayant déclaré son projet, madame Le Comte pleure, sanglote, jure quelle en mourra. L’amoureux ne tient compte de ces menaces. Elle se retourne du côté de la demoiselle, va la trouver et lui demande en grâce de différer d’un an : elle lui offre cinquante mille livres, si elle se rend à sa proposition. La jeune personne refuse, et le mariage s’est fait. Madame Le Comte en est morte de chagrin peu de temps après.

20. — On annonce Hirza, ou les Illinois, tragédie en cinq actes de M. de Sauvigny. L’auteur réclame d’avance un plagiat dont il accuse M. de Voltaire. Il prétend que lui, Sauvigny, avait donné sa pièce à examiner au sieur Le Kain, au carême de 1766 ; que cet acteur la porta avec lui, dans la vacance de Pâques, chez M. de Voltaire, qu’il alla voir ; qu’en ayant parlé à ce grand poète, et lui avant témoigné le regret qu’il n’eût pas traité un pareil sujet, il excita sa curiosité ; que M. de Voltaire demanda à voir le manuscrit ; qu’il dépeça bien vîte cette composition, et fabriqua en peu de temps les Scythes ; qu’il a ensuite abusé de son crédit et de sa réputation pour retarder la pièce de M. de Sauvigny et faire passer la sienne[232].

21. — À l’occasion de ce qui s’est passé en France relativement aux Jésuites, on renouvelle les vers qui furent faits dans le temps de leur première proscription et qui sont de l’abbé de La Bletterie. Nous les avons cités[233]. Les plaisans qui s’amusent de tout, appliquent à la centurie suivante de Nostradamus l’événement d’Espagne[234]. Voici la prophétie :

Honni du coq et de Papegai
À l’entonnoir d’Inde hypocrite,
Quatre chiffres faisant trois sept
Par Castillan comble détruite.


1767.

22. — M. Marchand, connu par plusieurs plaisanteries ingénieuses, a voulu s’égayer sur le compte de M. Marmontel : il a fait Hilaire, parodie de Bélisaire. M. Marchand n’est plus jeune, et sa plume s’appesantit : cette facétie ne fait point rire.

25. — Histoire de la prédication, ou la manière dont la parole de Dieu a été prêchée dans tous les siècles : ouvrage utile aux prédicateurs, et curieux pour les gens de lettres ; par Joseph Romain Joly[235]. On trouve à la tête de cet ouvrage une lettre où l’auteur réfute la brochure de l’abbé Coyer, intitulée de la Prédication. Cet ouvrage est écrit d’un style pur : la lecture en est intéressante et instructive. On y trouve un tableau curieux de la manière dont la parole de Dieu a été prêchée.

27. — Les Comédiens Français ont donné aujourd’hui Hirza ou les Illinois. La pièce a été fort applaudie pendant les trois premiers actes : dès le quatrième, on a remarqué que les reins du poète faiblissaient tout à coup ; et deux coups de poignard, qui ont absolument raté leur effet dans le cinquième, ont changé en pompe funéraire ce triomphe prématuré.

30. — Il paraît un nouveau Mémoire de M. de La Chalotais, plus volumineux que les autres. Il contient plus de faits, et détaille avec toute la clarté possible l’affaire, origine des persécutions qu’il éprouve. Ce Mémoire est plus circonspect et n’a pas l’éloquence véhémente des autres.

1er Juin. — Dom Pernetti, savant Bénédictin, un de ceux qui étaient, il y a quelque temps, pour la sécularisation de son ordre, va en Prusse comme bibliothécaire du roi. En conséquence, il se met en cavalier.

4. — Il paraît depuis quelques jours dans le public une Lettre d’un actionnaire de la Compagnie des Indes à MM.  les commissaires nommés à rassemblée du 4 avril dernier. Cet écrit, très-intéressant comme politique, discute avec vivacité l’état actuel de cette Compagnie, et traite si mal les administrateurs, qu’ils ont obtenu du gouvernement une recherche sévère sur les différens exemplaires qui s’en répandent.

5. — M. Merian, de l’Académie royale de Prusse, vient de traduire en prose l’Enlèvement de Proserpine[236], poëme de Claudien, précédé d’un excellent discours sur le poète, sur l’épopée en général, et sur les plus illustres poètes épiques. Malgré la chaleur, les grâces et l’élégance du style de cette traduction, on ne peut que savoir mauvais gré à l’auteur d avoir si mal employé ses talens.

7. — On écrit d’Angleterre que J.-J. Rousseau, après s’être brouillé avec M. Davenport, son hôte, lui a écrit une lettre[237] dans le goût de celle à M. Hume, où il lui dit un éternel adieu, ainsi qu’à la Grande-Bretagne. Il doit s’embarquer le 22 mai pour revenir en France, ou du moins pour la traverser, et se rendre d’abord à Amiens, où ses amis l’attendent. On assure que sa tête est bien affaiblie, et sa conduite et son silence paraissent le confirmer.

8. — M. de Chamfort vient de faire imprimer une ode sur la Grandeur de l’homme, qui a remporté le prix à l’Académie des Jeux Floraux de Toulouse. Nous osons dire que cette ode serait digne du célèbre Rousseau.

10. — La première représentation d’Hippolyte et Aricie a eu un plein succès, et fait honneur au goût et à l’intelligence des directeurs de l’Opéra. On a beaucoup applaudi au nouvel air du sieur Boyer, jeune musicien et excellent compositeur. Cet air, chanté par le sieur Le Gros, et accompagné par le sieur Rodolphe, célèbre cor de chasse, a produit le plaisir le plus vif. On a admiré la nouvelle chaconne pleine de chant et d’harmonie, de la composition de M. Gaviniés, célèbre violon. La demoiselle Gardel, jeune danseuse, d’une figure gracieuse et théâtrale, sœur du danseur de ce nom et son élève, a débuté avec succès par une entrée. Elle a fait entrevoir des talens supérieurs pour la danse noble, dans le genre de la fameuse demoiselle Sallé.

11. — On écrit d’Amiens que Rousseau s’est rendu dans cette ville, que ses partisans l’y ont accueilli avec tout l’enthousiasme qu’il est capable d’inspirer ; que quelques-uns même avaient proposé de lui rendre des honneurs publics et de lui offrir les vins de ville ; qu’un homme plus sage a représenté de quelle conséquence serait un pareil éclat en faveur d’un accusé, dans les liens des décrets et dans le ressort du parlement qui l’a décrété. On s’est contenté de le fêtoyer à huis clos, et il s’est rendu à Fleury, où il est chez M. de Mirabeau, l’auteur de l’Ami des hommes. On continue d’assurer que le moral se ressent chez lui beaucoup du physique, qui est en très-mauvais état.

13. — Mademoiselle Gaussin, cette héroïne du Théâtre Français, dont les talens et les grâces ont été si vantés, est morte il y a quelques jours d’une maladie de langueur. Elle avait quitté la Comédie, il y a plusieurs années, et cette aimable actrice n’a pas encore été remplacée. Elle réunissait aux charmes de la figure le son de voix le plus intéressant et le jeu le plus naturel, avec cette sensibilité d’âme qui va au cœur. Elle avait épousé, il y a plusieurs années, un danseur nommé Tavolaygo, qui la rouait de coups et est mort, heureusement, avant elle.

15. — Mademoiselle Clairon avait pris sous sa protection un jeune homme de seize ans, de la plus jolie figure du monde. Elle en voulait faire un acteur, et lui donnait elle-même des leçons de déclamation ; elle se complaisait à le former. Il paraissait répondre à ses vues ; ses talens se développaient ainsi que sa beauté. Elle l’avait surnommé l’Amour. Il n’était connu que sous ce nom. Par une de ces fatalités qui corrompent toutes les joies humaines, ce jeune sujet s’est hasardé à prendre des leçons d’un autre genre et d’une autre maîtresse. La jalousie s’est allumée dans le cœur de la moderne Calypso, et, dans ses emportemens, elle a renvoyé notre Amour nu comme l’est ce dieu. Une pareille expulsion a donné lieu à beaucoup de commentaires parmi l’ordre des actrices et les filles du haut style ; elles se sont répandues en réflexions des plus malignes sur la conduite de mademoiselle Clairon.

16. — Lettre au docteur Maty, secrétaire de la Société royale de Lonares, sur les géants Patagons[238]. On attribue cette brochure a M. l’abbé Coyer. Après une dissertation agréable, légère et savante sur l’existence des géants patagons, certifiée par plusieurs voyageurs et contredite par d’autres, après en avoir soutenu la possibilité, l’auteur, en attendant les éclaircissemens que les Anglais ont envoyé prendre sur les lieux, a imaginé d’écrire leur histoire avant d’en avoir les matériaux. Cette histoire est une critique fine de nos mœurs, de nos usages, de notre éducation, de notre façon de vivre et de quelques-unes de nos lois.

17. — On parle beaucoup d’un libelle, intitulé : Causes de la décadence de l’empire français, sous le règne de Louis XV et sous le règne de M. le duc de Choiseul. On attribue ce livre à un ex-Jésuite, qui l’a composé dans Avignon, et l’on assure que le gouvernement l’a fait artêter dans cette ville avec le plus grand éclat ; que sur le refus du légat de s’assurer de la personne de cet auteur et de le livrer, on avait fait marcher le régiment de Beaufremont, qui la enlevé de force. On l’a conduit ici, et on le dit à la Bastille. 19. — On vient d’imprimer deux brochures qui se débitent avec avidité, et sont extrêmement recherchée par la police : 1° Témoignages des différens ordres de la province de Bretagne sur la nécessité de rétablir le Parlement de Rennes dans son universalité ; 2° Recueil des délibérations, arretés, remontrances et représentations du Parlement sur les affaires de Bretagne. On trouve surtout dans le dernier de ces ouvrages intéressans, comme historiques et politiques, des traits de la plus grande éloquence et dignes de Démosthènes et de Cicéron.

21. — M. l’abbé de Condillac est de retour de Parme. Cet auteur, connu par différens ouvrages, avait été nommé instituteur de l’infant, aujourd’hui régnant. Il se promettait beaucoup de choses de sa place. Il paraît que son ambition n’a pas été satisfaite : il n’a obtenu ni cordon, ni prélature, ni dignité, nul vestige enfin de cet honorable préceptorat. Il rentre obscurément dans la classe des hommes de lettres dont il avait voulu se tirer. On prétend que son inconduite et ses galanteries ont effarouché la cour austère dont il sort.

22. — On a repris aujourd’hui Hirza, ou les Illinois ; malgré tout le temps qu’a eu l’auteur de refondre sa pièce, il n’en a pas profité : il s’est contenté de quelques changemens au dernier acte. M. de Sauvigny, ayant rencontré M. Le Mière, lui demanda s’il avait pleuré ? Celui-ci lui répondit que non, mais bien qu’il avait sué.

23. — Le particulier arrêté à Avignon, et dont on a parlé, est sorti de la Bastille, s’étant justifié des faits qu’on lui imputait. Il paraît qu’il a été victime de gens qui ont cherché à le perdre en l’accusant d’être l’auteur d’un ouvrage qu’il n’a pas fait, et qui peut-être n’existe pas. On assure que le ministère, touché de ses malheurs, veut l’en dédommager en profitant de ses talens.

24. — L’indiculus[239], contenant les propositions extraites du chapitre XV de Bélisaire, n’a pas fait fortune. La Faculté s’est couverte d’un nouveau ridicule, et l’on vient de démontrer l’absurdité du travail des commissaires, dans un écrit intitulé : les xxxvii Vérités opposées aux xxxvii Impiétés de Bélisaire, par un bachelier ubiquiste[240]. On fait savoir que dans ce grand nombre d’assertions il s’en trouve à peine quelques-unes susceptibles de censure. Le corps même de théologie réprouve cet extrait, ou l’on semble avoir pris à tâche de voir des hérésies partout. Les sages maîtres sont décontenancés par ce début, qui ne met pas les rieurs de leur côté, et l’on croit qu’ils prendront le parti d’en rester là et de laisser tomber dans l’oubli cette misérable guerre de chicane, dont ils auraient pu se tirer victorieusement en traitant la matière en grand, sans s’appesantir sur les détails.

27. — Il se répand une espèce de Mémoire de faits concernant le prince du Thibet, canevas de roman d’autant plus intéressant, que le rédacteur, M. Belot, avocat, le prétend vrai. Il contient un précis de l’histoire de ce prince, victime de l’infâme trahison d’un religieux Dominicain portugais, qui abusa de la confiance du roi, père de cet enfant, confié à ses soins, pour s’emparer de toutes ses richesses et de ses esclaves, après être parti avec lui sous prétexte de le conduire en Europe, et de l’y former à nos arts et à nos sciences. Cet enfant roval, dénué de tout, sans secours, sans pouvoir se faire entendre est obligé, pour subsister, de se prêter aux plus vils ministères. On sent combien ces situations prêtent à l’imagination, d’autant mieux que l’avocat n’a point cru devoir faire aucun usage de la sienne, et a rendu les faits sèchement et sans aucun pathos.

28. — Mademoiselle de La Chassaigne, jeune actrice de la Comédie Française et nièce de mademoiselle de La Motte, ancienne coryphée de ce théâtre, est aujourd’hui l’objet de l’attention et de la jalousie de toutes ses camarades. Quoique peu jolie et d’un talent très-médiocre, elle a été honorée des faveurs du jeune prince de Lamballe, nouvellement marié, et elle porte dans ses flancs le fruit de cette union féconde. Le père du héros, très-religieux, a pris toutes les informations nécessaires pour constater la vérité et la légitimité du fait. En conséquence il a fait assurer l’actrice de sa protection, et l’on est à régler son sort, ainsi que celui de l’enfant à naître.

Ier Juillet. — J.-J. Rousseau n’a passé que huit jours à Amiens, où, comme on l’a dit, il a été fort couru et fort célébré. M. le prince de Conti l’a envoyé chercher à mi-chemin d’Amiens à Paris, et l’on présume qu’il est à présent à l’île-Adam. Il déclare avoir renoncé à écrire, et paraît ne s’occuper aujourd’hui que de botanique.

3. — M. Baculard d’Arnaud, grand romancier, après avoir long-temps raconté les aventures de divers héros de galanterie, vient de terminer les siennes, ou plutôt de consommer son propre roman par son mariage avec mademoiselle Chouchou, marchande de modes.

4. — Sellius, ce savant en us, connu par de très-grands ouvrages et par sa vaste érudition, mais surtout par le premier projet de l’Encyclopédie, qu’il apporta en France, en 1743, vient de mourir[241] à Charenton, misérable et fou.

5. — Vers[242] à madame de Richelieu, abbesse de l’Abbaye-aux-Bois,

Présentés par mademoiselle de Montmorency, âgée de neuf ans.

Qu’onJ’entends dire de tous côtés
Qu’on n’a point de raison quand on est à mon âge ;
Cependant je connais le prix de vos bontés,
J’admire vos vertus, on ne peut davantage.
Je vois de votre cœur les grandes qualités :
Qu’onQuant à votre esprit, je l’avoue,
Qu’onJ’y crois comme je crois en Dieu,
Qu’onParce que chacun vous en loue,
Qu’onEt que vous êtes Richelieu.

6. — M. Linguet, avocat connu par divers ouvrages de littérature et par une plume énergique, vient de donner la Théorie des lois civiles, en deux volumes in-12. On sent qu’il est dangereux de courir une pareille carrière après M. de Montesquieu. Aussi l’auteur, pour s’en écarter, a-t-il été obligé de se jeter dans des systèmes aussi singuliers qu’absurdes. Mais que ne soutient-on pas dans ce siècle audacieux ? M. Linguet ose avancer que le despotisme est le gouvernement le plus favorable et le plus naturel. La plume tombe des mains en écrivant cette assertion exécrable.

7. — Un chirurgien de Spalding, dans le comté de Lincoln, ayant écrit en latin une lettre à M. Rousseau, dans laquelle il lui marque qu’il serait charmé de converser avec lui à l’occasion d’une de ses dernières productions, qui, quoique condamnée par beaucoup de gens, a plu infiniment à lui, chirurgien, le Genevois lui a fait la réponse suivante.

À Spalding, le 13 mai 1767[243].

« Vous me parlez, Monsieur, dans une langue littéraire de sujets de littérature comme à un homme de lettres ; vous m’accablez d’éloges si pompeux, qu’ils sont ironiques, et vous croyez m’enivrer d’un pareil encens. Vous vous trompez, Monsieur, sur tous ces points. Je ne suis point homme de lettres ; je le fus pour mon malheur. Depuis long-temps j’ai cessé de l’être. Rien de ce qui se rapporte à ce métier ne me convient plus. Les grands éloges ne m’ont jamais flatté. Aujourd’hui surtout que j’ai plus besoin de consolation que d’encens, je les trouve bien déplacés. C’est comme si, quand vous allez voir un pauvre malade, au lieu de le panser, vous lui faisiez des compliments. J’ai livré mes écrits à la censure publique, elle les traite aussi sévèrement que ma personne. À la bonne heure ! je ne prétends point avoir eu raison. Je sais seulement que mes intentions étaient assez droites, assez pures, assez salutaires, pour devoir m’obtenir quelque indulgence. Mes erreurs peuvent être grandes : mes sentimens auraient dû les racheter. Je crois qu’il y a beaucoup de choses sur lesquelles on n’a pas voulu m’entendre. Telle est, par exemple, l’origine du droit naturel sur laquelle vous me prêtez des sentimens qui n’ont jamais été les miens. C’est ainsi qu’on aggrave mes fautes réelles de toutes celles qu’on juge à propos de m attribuer. Je me tais devant les hommes, et je remets ma cause entre les mains de Dieu, qui voit mon cœur. Je ne répondrai donc, Monsieur, ni aux reproches que vous me faites au nom d’autrui, ni aux louanges que vous me donnez de vous-même. Les uns ne sont pas plus mérités que les autres. Je ne vous rendrai rien de pareil, tant parce que je ne vous connais pas, que parce que j’aime à être simple et vrai en toutes choses. Vous vous dites chirurgien : si vous m’eussiez parlé de botanique et des plantes que produit votre contrée, vous m’auriez fait plaisir, et j’en aurais pu causer avec vous ; mais pour de mes livres, et de toute autre espèce de livres, vous m’en parleriez inutilement, parce que je ne prends plus d’intérêt à tout cela. Je ne vous réponds point en latin par la raison ci-devant énoncée. Il ne me reste de cette langue qu’autant qu’il en faut pour entendre les phrases de Linnæus. Recevez, Monsieur, mes très-humbles salutations. »

9. — J. -J. Rousseau n’a fait que passer à l’Ile-Adam ; il est allé ensuite quelques jours à Fleury chez M. de Mirabeau, l’auteur de l’Ami des hommes, où il est resté avec beaucoup de mystère : il est actuellement en Auvergne[244], dans le château d’un homme de qualité, qui a bien voulu l’y accueillir et y ensevelir le délire et la misère de ce philosophe humilié.

11. — On annonce la Défense de mon oncle, nouvelle brochure de M. de Voltaire. Il y fait parler le neveu de l’abbé Bazin. On sait que la Philosophie de l’histoire a été publiée sous le nom de ce dernier, personnage chimérique qui n’a jamais existé, et c’est ce livre qu’on veut défendre. On dit le mémoire très-plaisant. Mais, malgré les prétentions de M. de Voltaire à rire et à faire rire, les gens sensés ne voient plus en lui qu’un malade attaqué d’une affection mélancolique[245], d’une manie triste qui le rappelle toujours aux mêmes idées, suivant la définition qu’on donne en médecine de cet état vaporeux : delirium circa unum et idem objectum.

12. — Lettre écrite de Saint-Pétersbourg, par M. le comte Orloff, à M. J.-J. Rousseau.

« Vous ne serez point étonné que je vous écrive, car vous savez que les hommes sont enclins aux singularités, Vous avez les vôtres, j’ai les miennes ; cela est dans l’ordre. Le motif de cette lettre ne l’est pas moins. Je vous vois depuis long-temps passer d’un endroit à un autre : j’en sais les raisons par la voix publique, et peut-être les sais-je mal, parce qu’elles peuvent être fausses. Je vous écris en Angleterre chez M. le duc de Richmond, et je suppose que vous y êtes bien. Cependant il m’a pris fantaisie de vous dire que j’ai une terre éloignée de soixante werstes de Saint-Pétersbourg, ce qui fait près de dix lieues d’Allemagne. L’air y est sain, l’eau admirable, les coteaux, qui entourent différens lacs, forment des promenades agréables, très-propres à rêver. Les habitans n’entendent ni l’anglais, ni le français, encore moins le grec et le latin. Le curé ne sait ni disputer ni prêcher. Ses ouailles, en faisant le signe de la croix, croient bonnement que tout est dit. Eh bien ! Monsieur, si jamais ce lieu-là est de votre goût, vous pouvez y venir demeurer ; vous y aurez le nécessaire ; si vous le voulez, sinon vous vivrez de la chasse et de la pêche. Si vous voulez avoir à qui parler pour vous désennuyer, vous le pouvez ; mais en tout et surtout vous ne serez gêné en rien, ni n’aurez aucune obligation à personne. De plus, toute publicité sur ce séjour, si vous le souhaitez, pourrait être encore évitée, et dans ce dernier cas vous feriez bien, selon moi, si vous pouvez supporter la mer, de faire le trajet par eau ; aussi les curieux vous importuneront-ils moins sur ce chemin que sur la route de terre. Voilà, Monsieur, ce que je me suis cru en droit de vous mander, d’après la reconnaissance que je vous ai des instructions que j’ai puisées dans vos livres, quoiqu’ils ne fussent pas écrits pour moi. Je suis, etc.[246] »

14. — Les Comédiens Italiens ont donné aujourd’hui la première représentation du Turban enchanté, pièce italienne en deux actes, avec spectacle et divertissement. Elle est du sieur Colalto, pantalon ; elle a eu le plus grand succès. Carlin y a reparu avec des applaudissemens infinis.

À sa reprise, cet acteur a fait un compliment de remerciement au public, où il lui dit, entre autres choses, qu’il y a vingt ans qu’on a de l’indulgence et des bontés pour lui, qu’il veut recommencer un nouveau bail, et qu’il compte sur les mêmes faveurs. Cet épisode n’a pas essuyé les mêmes critiques que celui du sieur Molé[247]. On permet à un arlequin des familiarités que n’admet point la majesté de la scène française.

15. — Les Italiens, toujours féconds en nouveautés, ont remis aujourd’hui un ancien opéra comique de Vadé, intitulé Nicaise. On l’a enrichi d’ariettes avec une musique toute fraîche du sieur Bambini, M. Framery a retouché les vieilles paroles, et composé les nouvelles. Cet ouvrage, mélange de la simplicité du vaudeville avec les broderies savantes de la musique moderne, n’a point répugné aux oreilles des spectateurs, et l’on court avidement à ce monstre harmonique.

16. — Quoique l’aridité de notre barreau ne prête plus aux grands mouvemens de l’éloquence ancienne, il se trouve pourtant encore quelques occasions où nos avocats peuvent déployer les ressorts les plus brillans de l’art oratoire. Me Gerbier en a donné un exemple ce matin. Il faut savoir qu’un nommé Des Vaux, convaincu de friponnerie à l’égard de madame de La Bourdonnais, a été soustrait au supplice par égard pour sa famille. Ce malheureux a une femme honnête, qui n’avait point trempé dans ses coquineries. Séparée de biens de son criminel époux, elle a été dans le cas de soutenir un procès très-bien fondé contre le comte de Brancas. Son avocat adverse a eu la barbarie de rappeler à l’audience le crime de son mari, absolument étranger à la cause. Il croyait par-là indisposer les juges contre elle : mais Me Gerbier, qui avait eu le courage de prendre sa défense, a tellement rétorqué cet argument, il a mis un tel pathétique dans sa réplique, qu’il a fait fondre en larmes les auditeurs, les juges et même son adversaire ; alors saisissant ce moment victorieux, il a tiré ses plus puissans moyens de ce spectacle attendrissant, et a gagné sa cause tout d’une voix.

17. — On continue à s’entretenir de M. J.-J. Rousseau ; on assure qu’il jouit d’un bien-être très-honnête. Il paraît constant qu’outre dix-huit cents livres de rentes qu’il a, il reçoit, malgré toutes ses réclamations, la pension du roi d’Angleterre, qui est de deux mille livres.

19. — Les Jeux de Simon de Montfort, ou les Forfaits du parlement de Toulouse. Tel est le titre d’un nouveau pamphlet de M. de Voltaire[248], où il attaque et combat le fanatisme et l’intolérance des magistrats en question. On sent combien ce livre doit être défendu, et avec quelle précaution on empêche, autant qu’on peut, qu’il ne se multiplie. Simon de Montfort fut le grand destructeur des Albigeois, sorte d’hérétiques contre lesquels on fit alors une croisade.

23. — L’Esprit du Clergé, ou le Christianisme primitif, vengé des entreprises et des excès de nos prêtres modernes, traduit de l’anglais[249]. Quoique ce livre attaque spécialement le clergé d’Angleterre, comme son esprit est le même partout, on peut y trouver bien des reproches communs à celui des autres États. Il paraît fait solidement, mais le style n’a ni chaleur, ni énergie. En général, l’ouvrage est diffus, minutieux, et ne peut avoir une grande vogue, malgré tout le mal qu’il dit des prêtres.

24. — La Défense de mon oncle est une brochure de plus de cent pages in-8°. C’est une plaisanterie particulièrement dirigée contre un M. Larcher, auteur obscur d’un prétendu Supplément à la Philosophie de L’histoire, qui n’en est que la critique. M. de Voltaire, dont l’amour-propre s’irrite facilement, accommode de toutes pièces ce piteux adversaire. Il enveloppe aussi dans cette facétie Fréron et autres personnages, plastrons ordinaires de ses railleries. On ne peut refuser à cet écrit beaucoup de gaieté et même le feu de la jeunesse.

25. — Le despotisme est le système à la mode. Il paraît un gros livre in-4°, avec permission, intitulé l’Ordre naturel et essentiel des sociétés politiques, où l’on établit la même maxime que l’auteur de la Théorie des lois civiles. Quelque adoucissement que celui-ci y apporte, sous quelque couleur qu’il présente cet abominable gouvernement, il ne peut que révolter tout ami de l’humanité. Cet ouvrage est écrit sans grâces, avec sécheresse, et ne porte nul intérêt ; mais il est savant et profond, très-métaphysique, c’est-à-dire très-obscur. L’auteur est M. Mercier de La Rivière, ci-devant conseiller au parlement et intendant de la Martinique. L’impératrice de Russie l’a invité de se rendre auprès d’elle, et l’aider à travailler à son code.

26. — L’existence d’un certain livre, sur laquelle les bibliographes et les curieux n’étaient pas d’accord, est enfin constatée par divers exemplaires qui ont échappé à la vigilance du magistrat et des personnes intéressées à le proscrire et à en arrêter toute distribution. Il est intitulé les Sabbatines et les Florentines. Il a cent cinquante pages environ, est écrit avec autant de force que de noblesse, en forme de mémoire ou de roman ; il paraît n’embrasser d’abord que des intrigues amoureuses ; mais est entrelardé d’anecdotes politiques, relatives aux deux personnages[250], auxquels on ne fait pas jouer de beaux rôles :

Ces jours derniers la police a fait une descente chez un M. Samarie, homme de lettres qui a été attaché cinq ans au héros de cette brochure. On a inventorié tous ses papiers : on le soupçonnait d’avoir eu part à ce pamphlet très-diffamatoire, ou d’avoir au moins fourni des notes. On n’a rien trouvé qui l’inculpe, et on s’est retiré sans lui déclarer le motif de cette inquisition, qu’il présume seulement, ne voyant rien autre chose qui ait pu donner lieu à quelque accusation contre lui.

27. — Les Honnétetés littéraires sont au nombre de vingt-six, formant une brochure d’environ deux cents pages. M. de Voltaire, pour n’avoir pas l’air trop égoïste, commence d’abord par venger quelques auteurs illustres de leurs ennemis. Il revient bientôt aux siens, entre autres à un certain Nonotte, ex-Jésuite, qui a composé un livre intitulé Erreurs de M. de Voltaire sur les faits historiques et dogmatiques, et l’on est fiché de voir ce grand homme employer trente pages à dire des injures à ce malheureux scribler. Il donne lui-même le modèle des grossièretés qu’il reproche aux autres. Les mots de gueux, de gredin, de canaille, etc., se reproduisent trop souvent. C’est un champion qui d’abord entre en lice en riant, s’échauffe ensuite, éprouve enfin les mêmes fureurs convulsives que son adversaire. La prose est de temps en temps épicée de vers encore plus piquans. On y lit entre autres choses une satire[251] intitulée Maître Guignard, qui n’est sûrement pas une honnéteté littéraire.

30. — Il paraît une Passion de Jésus-Christ, en quatre dialogues et en vers. C’est vraisemblablement la même que nous avions annoncée[252] sur le titre seul. Quoi qu’il en soit, les vers de celle-ci sont très-bien faits ; on y remarque une sorte d’art, et l’on ne peut croire que ce soit une capucinade ou l’ouvrage d’un écolier. D’un autre côté, la noblesse, la décence qui règnent dans le poëme ne doivent pas faire suspecter l’auteur d’avoir voulu jeter du ridicule sur un mystère respectable, fût-ce, comme on le prétend, M. de Voltaire[253]. Imaginons plutôt que, voulant tenter tous les genres de travaux, il se sera imposé cette tâche difficile. Ainsi Corneille, dans sa vieillesse, mit en vers l’Imitation, ainsi Newton commenta l’Apocalypse.

Ier Aout. — Il a paru, il y a quelque temps, une petite brochure contenant une lettre de M. Tronchin à M. le contrôleur-général, des réflexions sur cette lettre, la déclaration de M. Tronchin lors de l’ouverture du corps de madame la dauphine, enfin de nouvelles réflexions sur tout cela. Cet ouvrage, où l’on relevait les erreurs, les bévues et même l’ignorance de cet Esculape genevois, l’a affecté vivement. Il a obtenu de l’autorité les recherches les plus sévères, et le pamphlet est devenu fort rare. Il est attribué à M. de Vernage.

Les Écosseuses de la halle, ambigu poissard, en un acte, en vers libres, mêlé de vaudevilles et de danses, par M. Taconet, a été représenté pour la première fois sur le Grand Théâtre des Boulevards le 25 juin 1767.

Ce Taconet paraît avoir hérité du talent de Vadé pour bien saisir les caractères, les caricatures, les propos des femmes de la halle. Les écosseuses de la halle sont ici rendues d’après nature ; avec une vérité dont quelques personnes s’amuseront par fantaisie. Le théâtre représente d’abord la boutique d’un marchand d’eau-de-vie, ensuite le Carreau de la Halle. Il y a dans le cabaret beaucoup de gaieté et de chansons, et sur le Carreau de la Halle de la mauvaise humeur, des injures et des batteries ; enfin le tout se termine par des chants et des danses.

2. — M. de Voltaire, qui passe facilement d’un genre à l’autre, après avoir houspillé cette tourbe de petits auteurs qui se sont attiré son animadversion, donne des leçons aux rois et plaide la cause de l’humanité, dans une production nouvelle, intitulée Fragmens des instructions pour le prince royal de… (Prusse) ; Berlin, 1767. L’ouvrage contient sept paragraphes. À la suite sont deux petits morceaux sur le divorce et sur la liberté de conscience. Cette brochure, comme tout ce qu’a fait depuis quelque temps cet auteur, est un mélange de la morale la plus exquise avec les assertions les plus hardies et les plus dangereuses, et toujours un vernis de plaisanterie sur les choses les plus graves, des sarcasmes au lieu de logique : c’est Arlequin qui jette bientôt le manteau philosophique et se montre à découvert.

3. — La fête que M. le chevalier d’Arcq a donnée aujourd’hui à madame la comtesse de Langeac, était destinée pour le jour de la Magdeleine, patrone de cette dame ; mais certains préparatifs ayant manqué, et les affaires de M. le comte de Saint-Florentin ne lui ayant pas permis de se rendre à Paris plus tôt, elle n’a eu lieu que ce soir. Cette fête a commencé par une loterie, une lanterne magique, des jeux de gobelets, et par tous les petits amusemens qui peuvent précéder un grand et magnifique souper. Ensuite le spectacle s’est ouvert. Il y a d’abord eu un prologue de la composition de M. le chevalier d’Arcq, exécuté par les enfans de madame la comtesse. On se doute bien qu’il y avait beaucoup d’esprit et des choses très-flatteuses pour la mère et le ministre. On a ensuite exécuté l’acte de Vertumne et Pomone, qui doit faire partie des Fragmens que les nouveaux directeurs se proposent de donner à l’Opéra. Les principaux acteurs étaient Le Gros et mademoiselle Rosalie. La grossesse de madame Beaumesnil ne lui a pas permis de se charger du rôle.

L’opéra comique qui a succédé était intitulé le Bouquet, pièce toute nouvelle, mêlée d’ariettes, dont Audinot est le prête-nom, mais de plusieurs auteurs en société. La musique, très-agréable, est aussi un mélange de différens compositeurs. Audinot y a joué, ainsi que Clairval, mademoiselle Mandeville ; et mademoiselle Dubrieulle, quoique de l’Opéra, n’a point cru dégrader la noblesse de son état en se mêlant avec des acteurs d’un spectacle du second ordre. Ce qui a enchanté et ravi dans ce drame, est la fille d’Audinot, âgée de six ans. Elle a déclamé, elle a chanté, touché du clavecin, dansé un menuet et des entrées, et a reçu des applaudissemens dans tous ces genres. C’est un prodige de la nature, encore plus que de l’art.

M. Poinsinet a donné un plat de sa façon, auquel on ne s’attendait pas : c’est une parade la plus parfaite, c’est-à-dire la plus obscène et la plus ordurière ; elle a pour titre l’Ogre. C’est, en effet, un ogre qui, pour se ragoûter, demande à son confident de la chair fraîche. Il lui faut une fille de quinze ans. Bellecour faisait l’ogre, Auger le confident, et madame Bellecour était la chair fraîche ; on peut juger du reste. Pour purifier ces scènes dégoûtantes, il n’a fallu rien moins que tout le feu du ciel, concentré dans un feu d’artifice très-chaud, très-rapide, terminé par une illumination charmante, qu’a remplacée le jour, auquel tout le monde s’est retiré.

5. — La censure[254] de la Faculté de théologie au sujet de Bélisaire est enfin imprimée telle quelle. Elle est en latin et en français ; mais les sages maîtres ne veulent pas la faire paraître, que M. l’archevêque de Paris n’ait mis en lumière son mandement sur le même sujet, qu’on annonce pour le 10 de ce mois. C’est une déférence d’usage. On ne sait encore ce qui en résultera pour M. Marmontel, plus récalcitrant qu’on ne l’avait cru d’abord. Ce qu’il y a de sûr, c’est que l’Académie Française ne peut garder dans son sein un membre inculpé d’hérésie, sans la rétractation la plus formelle de la part du condamné.

11. — Il a débuté aux Italiens, le 21 janvier dernier, une demoiselle Danguy, fille du joueur de vielle et sœur de madame Content, femme du premier architecte de M. le duc d’Orléans. On applaudit beaucoup alors aux grâces naturelles de sa personne, à l’intelligence de son jeu et au goût avec lequel elle conduisait une voix peu forte, mais agréable et légère. Des raisons de fortune l’ont obligée à prendre le parti du théâtre : abandonnée d’un mari qu’elle avait, et manquant des ressources qu’elle était en droit d’attendre de sa sœur, elle a fait valoir les talens dont elle était douée. Sa famille a trouvé cela très-mauvais ; madame Content a interposé, pour lors, l’autorité de M. le comte de Saint-Florentin, qui voulut bien s’en mêler. La jeune personne offrit de renoncer au théâtre si sa sœur voulait lui faire douze cents livres de pension. Celle-ci n’ayant pas acquiescé aux conditions, le ministre s’est désisté, et la jeune personne a suivi sa destinée. Depuis ce temps madame Content n’a cessé de mettre en œuvre tous les moyens possibles de susciter des dégoûts et des tracasseries à sa sœur. Enfin, mademoiselle Danguy, excédée, a pris le parti d’écrire à sa sœur la lettre suivante, qui couvre celle-ci de ridicule.

Paris, le 25 juillet 1767,

« Cessez, ma chère sœur, vos poursuites auprès de mes supérieurs pour m’arracher au théâtre. Je n’ai embrassé cet état qu’avec réflexion, et sur votre refus persévérant de me fournir les secours dont j’avais besoin pour en prendre un autre. Si vous vous étiez souvenue alors que vous étiez ma sœur, vous ne rougiriez pas de l’être aujourd’hui ; si votre amour-propre souffre, c’est à la dureté de votre cœur qu’il faut vous en prendre. Je suis pourtant encore assez bonne pour venir à votre secours et consoler votre orgueil humilié. Sachez qu’il n’y a pas une si grande différence de vous à moi. Nous sommes toutes deux filles d’un homme à talent ; vous avez enfoui les vôtres, je fais valoir les miens. Vous vous reposez sur ceux de votre mari ; vous ignorez que c’est un architecte médiocre, qui gagnera plus d’argent que de réputation ; moi je crée la mienne et cherche à perpétuer un nom connu dans la musique.

« Le public a daigné applaudir à mes premiers essais ; il me soutient, il n’encourage ; et peut-être mériterai-je un jour les éloges qu’il m’accorde aujourd’hui par indulgence. Vous ne serez jamais qu’une bourgeoise bien cossue, bien étoffée, bien ennuyée dans le cercle étroit de vos coteries obscures : une actrice célèbre roule dans une sphère brillante, qui s’étend à mesure que ses talens se développent. Mon nom sera imprimé dans les nouvelles publiques, dans les gazettes, dans le Mercure ; le vôtre ne le sera pour la première et dernière fois que dans votre billet d’enterrement. Et ne me parlez pas de mœurs ; vous autres honnêtes femmes, faites souvent sonner bien haut un état qui les suppose, pour en pouvoir manquer plus à votre aise ; vous nous les décidez dépravées, au contraire, afin d’autoriser une différence plus extérieure que réelle. Au reste, mademoiselle Doligny, à la Comédie Française, nous venge bien : trouvez, si vous pouvez, dans toute votre bourgeoisie, une vertu plus éprouvée, plus nette, plus reconnue. Reste ce malheureux préjugé d’infamie ; qui dit préjugé a déjà répondu. Bien plus, il est détruit chez les grands et chez les philosophes. Il est encore enraciné dans le peuple ; peu nous importe, nous ne frayons point avec lui. En un mot, trouvons-nous toutes deux à Villers-Cotterets ou au Palais-Royal, vous reconnaîtrez la différence qu’un prince fait de la femme de son architecte à une actrice dont les talens ont le bonheur de lui plaire et de l’amuser. Je vous laisse sur ce paralèlle, et me retranche derrière le mur de séparation que vous avez prétendu élever entre nous. Adieu, ma chère sœur ; n’ayons plus rien de commun, puisque vous le voulez ; mais, malgré vos mauvais procédés, vous ne sortirez point de mon cœur, et c’est peut-être le premier moment où je m’aperçoive qu’il est trop tendre. Adieu. »

16. — Mademoiselle Allard s’est attiré, depuis peu, les hommages d’un seigneur allemand fort riche. La lubricité de la dame a fait tourner la tête à cet amoureux, au point qu’il a offert, par écrit, à l’actrice de l’épouser. Sur son refus réitéré, il a écrit une lettre dernière, où il lui témoigne ses regrets et sa honte ; il lui déclare qu’il ne voit d’autre parti à prendre que de se brûler la cervelle, mais qu’il ira la lui brûler avant. La demoiselle effrayée est allée chez M. le lieutenant de police, qui l’a rassurée, et lui a dit qu’il veillerait sur elle.

17. — Épître à M. de Bussy sur le gain de son procès contre la Compagnie des Indes.

 
Quand Pompée au joug des Romains
Eut soumis les rois de l’Asie,
Et rapporte dans sa patrie
Les lauriers cueillis de ses mains,
Il entendit la sombre Envie
Jeter ses horribles clameurs
Contre la gloire de sa vie,
Contre ses talens et ses mœurs.
Elle appela la Calomnie
Du fond de ses antres obscurs,
Et contre lui sa bouche impie
Exhala ses poisons impurs.
Il se vit en proie aux outrages
Des cœurs mercenaires et vains :
Un tas d’avides publicains
Vint insulter à ses images.
On les vit, au mépris des lois,
En s’arrogeant des droits injustes,
De la main du vengeur des rois
Arracher les palmes augustes
Dont Rome honorait ses exploits.
Aux cris du peuple et de l’armée
L’orateur romain s’éleva[255] :
En voyant la gloire opprimée
Sa grande âme se souleva.
Dans son héros, aux yeux de Rome,
Ce ferme et généreux soutien
Montra les talens du grand homme

les vertus du citoyen ;
Des foudres de son éloquence
il terrassa les envieux,
Et le jour doux de l’innocence
Éclaira bientôt tous les yeux.
Ce sénat qui du Capitole
Fit précipiter Manlius[256],
Qui fait encore son idole
De la justice et des vertus,
Marqua la gloire de Pompée
Du décret le plus solennel ;
Et la haine d’un coup mortel
Par Thémis même fut frappée.
Pour le plus grand de ses guerriers
Rome rougit enfin d’être ingrate,
Et le vainqueur de Mithridate
Se reposa sous ses lauriers

19. — il paraît dans le public un nouveau Mémoire pour M. Charette de La Gacherie, conseiller au parlement de Bretagne. Il tend à justifier sa conduite depuis dix ans, et remet sous les yeux du lecteur toute l’affaire du Bretagne. Il est écrit avec force et simplicité.

M. Charette de La Colinière a répandu aussi le sien, adresse, ainsi que le premier, au roi, le 30 mai dernier, par la voie de M. le comte de Saint-Florentin, Il y expose les motifs de ses disgrâces, y fait les mêmes réclamations que M. de La Gacherie, et rend compte des motifs qui le portèrent, en 1765, à composer une Lettre à une personne de distinction sur l’ancienneté et l’immuabilité des droit que les États et le Parlement ont réclamés, sur les motifs qui ont déterminé l’abdication des magistrats, sur les moyens les plus solides pour parvenir à une réconciliation et rétablir la paix dans la province[257]. Cet écrit, dont il fut alors question, et qui ne parut point dans le public, avait été saisi chez l’imprimeur avant d’être achevé. Il y a apparence que lors de l’enlèvement de M. de La Colinière, le 11 novembre 1765, on trouva, sous les scellés de ses papiers, les minutes informes de ce qui devait le composer. L’auteur prétend que cet ouvrage n’offre rien qui ne se concilie avec le devoir d’un sujet, et que le zèle pour sa patrie ne peut être un crime.

29. — Paris, histoire véridique[258], est une brochure posthume de M. Chevrier. Elle paraît avoir été composée dans la chaleur des différends entre le Parlement et l’archevêque de Paris. L’un et l’autre y sont également maltraités, ainsi que les ministres et madame de Pompadour. Toute l’histoire de Damiens y est rapportée. M. de La Pouplinière revient aussi sur la scène : en un mot, c’est une rapsodie très-digne de servir de pendant au Colporteur : elle est aussi méchante et moins gaie, plus politique que galante. Le style n’en est pas meilleur, et cet ouvrage, comme beaucoup d’autres, ne tire son mérite que de ses ténèbres et de la rareté.

25. — L’Académie Française a tenu aujourd’hui sa séance publique. Beaucoup de curieux, attirés par l’envie de voir M. Marmontel, ont été frustrés de leur espoir. Cet Académicien n’a pas cru devoir se trouver à une fête littéraire et se proposer à notre admiration, étant encore sous les censures ecclésiastiques. Il voyage. M. d’Alembert a lu l’Éloge de Charles V, roi de France, par M. de La Harpe. Cet ouvrage n’a pas eu les applaudissemens que reçoivent d’ordinaire les ouvrages couronnés. On y a remarqué peu de faits et beaucoup de digressions longues, qui font de ce discours plutôt une amplification de rhétorique, qu’un précis rapide et serré de la vie de ce monarque, qui tient une place distinguée dans notre histoire. D’ailleurs l’orateur a pris ce ton magistral et chagrin, mis à la mode par M. Thomas, cette censure amère, qui semble transformer l’homme de lettres en un pédant, toujours armé de la férule pour frapper les grands et les rois. Le style est obscur, verbeux, entortillé, plein d’antithèses puériles et qui même ont quelquefois fait rire l’assemblée. Chaque alinéa se termine par une chute épigrammatique. Le lecteur avait soin de la marquer en enflant la voix et se taisant ensuite un moment ; mais rarement l’auditoire a répondu à cet appel par des battemens de mains unanimes. Il y a deux autres discours qui ont approché de celui de M. de La Harpe : ils sont imprimés. M. le directeur a dit ne pas connaître les auteurs.

M. Watelet a rempli la séance par la lecture de deux morceaux de sa traduction du Tasse : l’un, tiré du chant IV, est le conseil des démons contre Godefroy ; l’autre est le seizième chant, c’est-à-dire la description du palais d’Armide, et de ses amours avec Renaud. Le premier tableau exige une touche mâle et ardente, un coloris sombre, fier et terrible. Il faudrait le pinceau même des Grâces pour rendre la délicatesse, la volupté du second. Le crayon du traducteur, sec et sans force, est trop au-dessous de son original. M. Watelet tourne bien un vers ; il est correct, harmonieux même ; mais il n’a ni l’enthousiasme du poète, ni ce velouté qui rend le Tasse si délicieux dans les peintures d’agrément.

28. — Le Panégyrique de Saint-Louis, prononcé le 25 de ce mois dans la chapelle du Louvre par M. l’abbé Bassinet, grand vicaire de Cahors, fait grand bruit. On lui reproche d’avoir converti en cérémonie absolument profane cet éloge, consacré spécialement au triomphe de la religion. Il en a supprimé jusqu’au signe de croix. Point de texte, aucune citation de l’Écriture, pas un mot du bon Dieu, ni de ses Saints. Il n’a envisagé Louis IX que du côté des vertus politiques, guerrières et morales. Il a frondé les croisades, il en a fait voir l’absurdité, la cruauté, l’injustice même. Il a heurté de front et sans aucun ménagement la cour de Rome ; en un mot, tous les dévots sont alarmés, ils traitent d’athée cet ecclésiastique, et l’on craint qu’on n’arrête l’impression du Panégyrique.

29. — Il paraît une Lettre sur les Panégyriques, que l’on attribue à M. de Voltaire ; et, en effet, elle semble être de lui, à en juger par le style et son art de présenter les choses les moins intéressantes d’une façon piquante. Elle est courte et n’a que quinze pages. L’auteur, comme il lui arrive souvent, tombe dans le défaut qu’il veut corriger, et a tant mérité le reproche qu’il fait aux autres, qu’il a mauvaise grâce de le relever. Au reste, cet écrit est si peu de chose, qu’on n’en parlerait pas s’il ne sortait de la plume de cet homme célèbre.

3. Septembre. — La censure de la Sorbonne contre le Bélisaire est arrêtée par le gouvernement, au sujet de certaines assertions qu’il ne veut pas passer. Les sages maîtres, après avoir établi l’intolérance religieuse comme un principe du christianisme, prétendent que l’intolérance civile en doit découler naturellement, par l’intime union entre les deux puissances, et par la nécessité que le glaive de la justice soutienne les foudres de l’Église. Le Mandement de M. l’archevêque étant écrit dans le même esprit, essuie les mêmes difficultés ; ce qui fait beaucoup rire M. Marmontel et ses partisans.

4. — M. l’abbé Bassinet ne fera décidément point imprimer son discours, contre lequel on s’élève de plus en plus. On regarde cette échauffourée comme un nouvel attentat du parti encyclopédiste contre la religion. Ce grand vicaire a prêché le même sermon à Saint-Roch, en y ajoutant seulement pour texte : Erudimini, qui judicatis terram. C’était M. Duclos qui l’avait proposé au curé, fort scandalisé du choix. Cet apôtre est assimilé à l’abbé de Prades[259]. C’est le premier discours qu’il ait fait en chaire. Son dessein était de prêcher dans Paris ; mais on échauffe M. l’archevêque à ce sujet, on excite son zèle, et l’on croit que la chaire sera interdite à cet orateur.

7. — On vient d’imprimer une Lettre au Roi, par M. l’évêque du Puy, sur l’affaire des Jésuites. C’est une petite brochure de 16 pages, qui paraît avoir été adressée à Sa Majesté lors de la proscription de ces religieux[260]. Le prélat y gémit de la surprise faite à la religion du prince et des tribunaux ; impute aux ennemis de la Société son renversement, met sous les yeux du roi tout ce qui peut militer en faveur de cet ordre, dont il fait le plus grand éloge. On voit par le fait quel égard y a eu le gouvernement.

8. — À la dernière fête que M. le prince de Condé à donnée à Chantilly, il y a eu entre autres surprises celle d’un Amour, qui, au dessert, est sorti d’un ananas. Ce rôle était représenté par un nain de douze ans, d’une figure charmante, très-bien pris dans sa petite taille, et qui à chanté les couplets suivans, avec toute la grace possible, sur air : Il faut, quand on aime une fois, Aimer toute sa vie.

Sous différens traits tour à tour
SoJ’ai paru pour vous plaire,
Mais à vos regards en ce jour
SoJe m’offre sans mystère :
Reconnaissez en moi l’Amour
SoQui cherche ici sa mère.

Mais dans mon cœur en ce moment
SoJe sens un trouble naître,
Ici chaque objet est charmant,
SoAh ! que le tour est traître !
Maman, maman, maman, maman,
SoComment vous reconnaître ?

Vous refusez de m’éclaircir,
SoDe me tracer ma route,
Chacune aime à me voir souffrir,
SoVous riez de mes doutes ;
Eh bien ! je vais vous en punir,
SoJe vous adopte toutes.

Ces couplets sont de M. Poinsinet.

9. — Il s’est établi depuis quelque temps en Allemagne un ouvrage périodique, sous le titre de Courrier du Bas-Rhin. On peut juger combien il doit être recherché, par l’extrait ci-joint du mois de juillet 1767.

Le prince aux clefs jadis terribles,
À six cadavres insensibles

Donne séance en paradis,
Et par mépris pour ce bas monde
Laisse errer et périr sur l’onde
L’élite de ses bons amis.

« On débite ici, ajoute-t-il, la relation de la canonisation de six saints que le pape vient d’installer en paradis. Ces Esculapes divins ne seront pas là-haut sans rien faire : notre Saint-Père leur a assigné à chacun leur département dans les vastes champs des maux physiques qui désolent le meilleur des mondes possibles : l’un guérira de la goutte, l’autre du catarrhe, celui-ci des vapeurs, celui-là de la migraine. Ah ! si quelque jour le pape envoyait en paradis un saint qui eût la vertu de guérir le mal que saint Côme ne guérit pas toujours ! »

11. — Chanson sur le jeu de Wisk,

Par M. de Pleinchesne.
Sur l’air : Ne v’là-t-il pas que j’aime.

Wisk aimable, jeu séduisant,
WTu charmes ma bergère :
IL faut que tu sois amusant,
WOn te joue à Cythère.

Ta marche est celle des Amours,
WLe secret t’environne ;
C’est le côté du cœur toujours
WQui dirige la donne.

Hymen peut te regarder noir
WPar juste antipathie ;
Car qui ne fait que son devoir
WChez toi perd la partie.

Tes tableaux offrent à nos mœurs
WDes traits philosophiques,

Le hasard donne les honneurs,
WLe savoir fait les piques.

De la retourne tout dépend.
WApprenons à nous taire,
On tâte, on invite, on s’entend
WAvec sa partenaire.

Belles, pratiquez ma leçon,
WEmployez l’artifice :
Moins on montre son singleton,
WPlus il rend de service.

Afin de plaire a votre ami
WAyez quelque renonce ;
Au point de Huit ou fait un cri
WBien digne de réponse.

Pour faire le Schelem fameux
WMettez chacun du vôtre ;
On n’obtient ce triomphe heureux,
WQu’en entrant l’un dans l’autre.

Êtes-vous malheureux ? pharez,
WDe Paphos c’est l’usage,
Après le robe relirez :
WLe bonheur est volage.

14. — On attribue à M. Cailhava d’Estandoux, auteur de la comédie du Tuteur dupé, les vers suivans envoyés à mademoiselle Dangeville, le jour de sa fête :

DevançaL’aimable dieu des cœurs
DevançaDans l’empire de Flore
Devançant ce matin le lever de l’aurore
Composait un bouquet des plus brillantes fleurs ;

Les Grâces désiraient d’en former leur parure,
Même désir pressait les Jeux et les Talens ;
Quand l’Amour souriant de leur jaloux murmure
Leur à dit : « Suivez-moi, vous serez tous contens. »
Il part, il vole à vous, émule de Thalie :
Il soupire, il dépose à vos pieds son présent ;
Et les rivaux charmés en vous reconnaissant
S’empressent d’en parer leur élève chérie.

19. — M. Franklin, ce physicien célèbre pour les expériences de l’électricité qu’il a faites et poussées en Amérique au point de perfection le plus curieux, est à Paris. Tous les savans s’empressent de le voir et de conférer avec lui.

21. — Qui croirait que dans ce siècle on pût mettre au jour un ouvrage tel que le suivant ? Ce sont deux énormes volumes, sur l’état des morts heureux de l’Ancien-Testament. Il a pour titre : Thomæ Mariæ Mamachi ord. prædic. theol. Casanatensis, de animabus Justorum in sinu Abrahæ ante Christi mortem expertibus beatæ vision Dei, libri duo[261].

Tableau philosophique de l’histoire du genre humain, depuis la création du monde jusqu’à Constantin[262], ouvrage prétendu traduit de l’anglais, en trois parties, avec cette épigraphe : Aliud quæritur quam corrigatur error ut mortalium. C’est encore une production de M. de Voltaire, qui a voulu lutter cette fois-ci contre Bossuet. Mais c’est un nain qui s’élève en vain sur la pointe des pieds pour atteindre un superbe géant. L’auteur ne perd point de vue de saper toujours la tradition, la révélation, et tout ce qui sert de base à la religion. Il ne le fait point ici aussi ouvertement que dans ses autres écrits, il s’y prend plus sourdement : c’est un ton d’ironie perpétuelle, qui dépare tout-à-fait l’histoire et est indigne de sa majesté. Au reste, l’ouvrage est rapide et serré, et embrasse, en moins de volumes, beaucoup plus de faits que l’Histoire universelle de l’évêque de Meaux.

23. — L’inconstance de M. J.-J. Rousseau ne lui a pas permis de se fixer en Auvergne ; il est revenu en Normandie par la même raison. Il a repris les travaux littéraires qu’il disait avoir sacrifiés à la botanique : il continue actuellement son Dictionnaire de Musique, dont il envoie les feuilles à mesure à Paris. On en a déjà avancé l’impression.

25. — Il paraît une petite brochure qui a pour titre : Cas de conscience sur la commission établie pour réformer les corps réguliers.

26. — M. le prince de Lamballe, qui a épousé l’hiver dernier une princesse aimable et jolie, s’étant laissé aller à la facilité de son caractère, un autre prince (M. le duc de Chartres) a abusé de son amour du plaisir pour lui donner des goûts fort contraires à celui qu’il devait avoir ; du moins on l’en accuse. L’ardeur de son tempérament l’ayant emporté fort loin, la princesse s’est trouvée atteinte d’un genre de maladie qui n’aurait pas dû l’approcher. Le duc son père a écrit au roi de France. On a sévi contre différentes créatures que ce prince avait honorées de ses bonnes grâces ; mais la plus coupable et la plus adroite est une nommée La Forêt, courtisane recommandable par l’excès de son luxe et le raffinement de son art dans les voluptés. N’ayant pu déterminer son illustre amant à la quitter, et craignant les suites de cet attachement, elle a pris le parti de s’éclipser. Elle est partie, sans qu’on sache où elle est ; et le prince de Lamballe est dans la désolation.

27. — On ne parle aujourd’hui que des fêtes de Chanteloup, qui ont répondu à la magnificence du maître. La veille du départ, le duc de Choiseul donna à madame la duchesse de Villeroi et à une cour très-nombreuse, une fête où Préville, mandé exprès de Paris, joua dans une comédie de sa façon, intitulée la Dispute des Comédiens. Après le drame, on chanta plusieurs vaudevilles relatifs au camp de Compiègne, et l’on exécuta enfin un opéra comique nouveau.

28. — Il court une lettre adressée à M. Poinsinet par une demoiselle Le Clerc, une des impures de Paris, très-renommée, et qui par-là fait sensation. La voici :

Paris, Le 29 août 1767

« Vous avez raison, mon cher maître : malheur aux jolies femmes qui établissent leur réputation sur leurs charmes ; elle est fragile comme eux. Heureuses celles que la nature a douées de quelques talens. Je suis bien résolue à faire valoir les miens, et à mériter une gloire que je ne dois jusqu’à présent qu’à des attraits passables. J’ai plaisir à croire qu’une grande actrice doit aller à l’immortalité, et que la sublime Clairon fera l’entretien des races futures comme le prodigieux Voltaire. Je compte donc travailler sérieusement à entrer au spectacle cet hiver. Je me suis dégrossie l’hiver dernier chez madame la duchesse de Villeroi. Je me suis exercée depuis, et je profiterai de mes protections pour débuter aux Français le plus tôt possible. C’est à vous, mon cher maître, à me guider et à me dire de quels rôles vous me croyez plus susceptible ; car on ne peut pas être universel. J’ai, sans me flatter, les grâces des amoureuses, l’ingénuité des Agnès ; je puis prendre à mon gré l’air malin des soubrettes, et je n’aurai pas de peine à en développer toute la malice. Je sais jouer la sévérité des duègnes et des mères ; je monterais, s’il le fallait, à la dignité des coquettes ; j’en aurais les manières folâtres ; en un mot, je suis assez Protée pour prendre toutes sortes de formes ; il s’agit de savoir celle qui me convient le mieux, et c’est à vous, cher maître, que j’ai recours. Vous avez des lumières, vous me connaissez depuis longtemps : décidez-moi, afin que je me fixe ; arrachez-vous un peu aux grandeurs qui vous environnent[263]. Hélas ! il fut un temps où vous m’auriez sacrifié tout cela ! mais ne rappelons point des jours trop heureux… Vos conseils, cher maître, ne me les refusez pas.

« Je suis etc. »

M. Poinsinet n’est pas resté en arrière, et l’on distribue aussi sa réponse à mademoiselle Le Clerc. Elle est curieuse par un examen assez juste des talens de nos principales actrices de la Comédie Française.

À Chantilly, ce 3 septembre 1767.

« Je vous loue, ma belle voisine[264], de votre façon de penser philosophique. Certainement, après un grand poète, une actrice illustre est ce qui fait le plus d’honneur à l’humanité. J’aime à voir fermenter chez vous l’amour de la gloire. Vous êtes faite pour l’acquérir. Puissent nos noms entrelacés passer à la postérité comme ceux de Voltaire et de Clairon ! Vous prenez bien votre modèle. Cette femme illustre n’a percé qu’à force de travail et d’assiduité. Vous avez, comme elle, des grâces extérieures ; votre esprit peut vous être d’un grand secours. Quant aux rôles auxquels vous devez vous appliquer, il y a bien des choses à examiner, et cela mérite quelques détails. Il faut peser vos talens et ceux des concurrentes que vous aurez. Dans les rôles d’amoureuses, je vois mesdemoiselles Hus et Doligny. La première est peu redoutable ; elle a pourtant quelques situations où elle est très-bien. Le public est si engoué de la seconde, qu’il me paraît difficile d’éclipser cette rivale ! mesdemoiselles Dumesnil, Gauthier et Préville brillent dans le genre plus grave ; mais votre jeunesse vous pourrait faire espérer de voir bientôt les deux premières vous céder la place. La dernière a une froideur que surmonterait aisément votre vivacité. Quatre soubrettes courent la même carrière, et chacune a des talens différens. Madame Bellecour joue les nourrices à merveille ; cette énorme tétonnière a la bonhomie franche d’une appareilleuse qui aime bien à rendre service pour de l’argent. On trouve dans madame Le Kain toute l’aigreur, tout le revêche d’une boudeuse dont il faut saisir le moment. Mademoiselle Fanier a le nez retroussé d’une suivante fine, exercée, et faite pour tromper à la fois trois ou quatre amans. On admire dans mademoiselle Luzi la tournure d’une confidente d’une femme du grand monde ; c’est une malice raffinée, approfondie, réfléchie comme celle de sa maîtresse ; et il faut un art bien supérieur pour atteindre à cette méchanceté sublime. Malgré tout cela, je crois que vous êtes née pour un pareil genre. Je ne vois pour vous à craindre que cette dernière ; et vous pouvez, vous devez même éviter la concurrence. Du reste, vous êtes taillée en soubrette ; vous en avez la figure, le propos, le jeu, les gestes. Tenez-vous là, et ne songez point à vous élever davantage. Je vous dis mon avis avec toute l’ingénuité que vous exigez. Vous réussirez sûrement, si vous voulez vous concentrer dans de pareils rôles, et surtout étudier beaucoup.

« Du reste, je suis à vos ordres ; vous n’avez qu’à parler, ma belle voisine ; je suis trop reconnaissant pour ne pas vous rendre tous les services qui dépendront de moi. Est-ce à vous à regretter le temps passé ? Ce serait à moi ; mais il faut suivre ses destins. La fidélité en amour n’est pas ma vertu. J’en suis à ma quatre cent quatre-vingt-cinquième maîtresse, et mademoiselle Arnould, toute Arnould qu’elle est, n’a pu me fixer. Avec ce caractère de légèreté, dont mon tempérament a besoin, je n’en suis pas moins le très-humble serviteur de toutes celles qui le méritent, et pour lesquelles j’ai conservé de l’estime au lieu d’amour. Vous êtes du nombre, ma belle voisine, et je vous prouverai dans tous les temps l’attachement respectueux avec lequel j’ai l’honneur d’être, etc.[265]. »

29. — Qui croirait qu’après plus de deux ans d’un jugement rendu dans une affaire qui a attiré les regards de toute l’Europe, un anonyme viendrait, sous le nom du Sentiment Politique, exposer dans cinq lettres la justice des deux Arrêts du parlement de Toulouse contre Calas père et ses coaccusés ? L’auteur prétend convaincre ses lecteurs sans préventions et sans préjugés, que l’enthousiasme a plutôt opéré dans la capitale que le prétendu fanatisme n’a agi dans la ville de Toulouse.

Ier Octobre. — Les Comédiens Italiens ont donné, lundi, 28 septembre, la première représentation du Double Déguisement, opéra comique bouffon et très-bouffon. Quoique les premières représentations aujourd’hui ne soient qu’une répétition, il paraît que celle-ci n’en aura pas deux. La musique est de M. Gossec ; il y a de jolies choses, mais nul génie, pas plus que dans les paroles, dont l’auteur garde l’anonyme et fait bien.

Le Porte-feuille du R.F. Gillet, ci-devant soi-disant Jésuite, ou Petit Dictionnaire, dans lequel on n’a mis que des choses essentielles, pour servir de supplément aux gros dictionnaires qui renferment tant d’inutilités[266]. On lit à la tête de cet ouvrage un éloge historique du R.F. Gillet, personnage fictif et ridicule, qui donne lieu à quelques plaisanteries. Le Dictionnaire est pareillement dans un ton ironique, satirique et plaisant.

4. — Épigramme de M. Piron, contre le Bélisaire de M. Marmontel, et l’Hilaire, parodie de ce roman, attribuée à l’abbé Coyer ou à l’avocat Marchand[267].

L’un croit que par son Bélisaire
Télémaque est anéanti ;
L’autre prétend que son Hilaire
Vaut le Virgile travesti :
Voilà l’Hélicon bien loti.
Maçon de l’Encyclopédie,
Et vous, homme à la parodie,
À bas trompette et flageolet !
Que l’un reste à l’Académie,
Que l’autre aille chez Nicolet.

5. — Le fameux Massé, si renommé pour la miniature, est mort ces jours-ci[268], âgé de quatre-vingts ans. Il était peintre du roi, garde des plans et tableaux de Sa Majesté.

6. — L’excessive licence qui règne depuis quelque temps sur les matières les plus respectables, est portée à son comble. On voit journellement les écrits les plus répréhensibles, revêtus du sceau de l’immortalité par la voie de l’impression. Tels sont les Doutes sur la religion, suivis de l’Analyse du traité théologi-politique de Spinosa, par le comte de Boulainvilliers[269]. Il y a tout lieu de présumer que ce dangereux et criminel ouvrage est plus celui d’un auteur vivant, que du feu comte, sous le nom duquel on le met.

13. — On montre clandestinement une gravure très plaisante. Elle représente un homme portant une hotte sur ses épaules : il tient à la main une canne à bec de corbin et cherche dans les ruisseaux et dans tous les tas d’ordures. Du bout de son bâton sortent des rouleaux de papier intitulés : Arrêts du conseil. Il a des lunettes sur le nez et paraît avoir la vue fort courte. Au bas est écrit : au grand chiffonnier de France. On devine facilement quel ministre caractérise cette charge. La figure d’ailleurs est fort ressemblante : c’est M. de L’Averdy, controleur-général.

14. — L’Académie royale de Musique a mis hier sur son théâtre des Fragmens nouveaux, précédés du prologue des Amours des Dieux[270]. Ils forment deux ballets en un acte chacun. Le premier à pour titre Théonis, sujet d’imagination du sieur Poinsinet, musique de Berton, Trial et Garnier. Le second est Amphion, paroles de M. Thomas de l’Académie Française, et musique de M. de La Borde, l’un des premiers valets de chambre du roi. À en juger par l’accueil qu’ils ont reçu du public, on en aurait peu d’opinion, et les poëmes ne sont pas faits pour prêter à la musique. On a cherché à les étayer par des ballets agréables, qui ont aussi manqué leur but. En général, à cette première représentation on a été fort mécontent.

15. — Extrait d’une Lettre de Rome.
Du 15 septembre 1767.

« Le pape a perdu une très-belle collection de médailles concernant l’Europe. C’était une suite servant à l’histoire de plusieurs siècles. Ce pontife les avait fait déposer dans sa chambre pour plus grande sûreté, On ne doute pas que quelque curieux n’ait soustrait le trésor. Sa Sainteté offre une pleine absolution à ce voleur virtuose, et une récompense à celui qui rapportera le larcin. »

18. — Il vient de se passer une aventure très-comique et très-vraie. Un particulier venant du grand Caire a rapporté une momie, comme objet de curiosité pour orner un cabinet. Passant par Fontainebleau, il a pris le coche d’eau de la cour pour se rendre à Paris. Mais, par oubli, en faisant emporter ses bagages, il a laissé la boîte qui contenait la momie. Les commis l’ont ouverte, ont cru y voir un jeune homme étouffé à dessein, ont requis un commissaire, qui s’est rendu sur les lieux, avec un chirurgien aussi ignorant que lui. Ils ont dressé un procès-verbal et ordonné que le cadavre serait porté à la Morgue pour y être exposé et reconnu par ses parens ou autres, et qu’on informerait contre les auteurs du meurtre. Cela a excité une grande rumeur dans le peuple, indigné de l’atrocité du crime dont on l’a instruit, et sur lequel on a forgé cent conjectures plus criminelles les unes que les autres. Le propriétaire de la momie, s’étant aperçu de son étourderie, est retourné au coche réclamer sa boîte. On l’y a arrêté, on l’a conduit chez le commissaire, qu’il a rendu bien honteux en lui démontrant sa bévue, son ignorance et celle du chirurgien. Pour retirer de la Morgue le cadavre prétendu, il a fallu se pourvoir par-devant M. le lieutenant-criminel ; ce qui a rendu très-publique cette histoire, qui fait l’entretien de la cour et de la ville.

18. — On parle beaucoup d’un Essai historique et critique sur des dissensions des églises de Pologne, par Joseph Bourdillon, professeur en droit public#1. On l’attribue à M. de Voltaire : il est encore fort rare.

19. — M. de Villette vient de faire imprimer un Éloge de Charles V. Il déclare dans une lettre à M. de Voltaire, qui sert de préface à l’ouvrage, qu’il n’a point été présenté à l’Académie, qu’il n’était pas même destiné à la publicité, mais que cédant à instance de ses amis indulgens, et d’un libraire avide, il l’expose au grand jour. Cet éloge n’est point mal fait, il est plus rempli de traits historiques que celui de M. de La Harpe#2, et d’ailleurs est bien écrit. On y remarque seulement trop de comparaisons. Il est décoré de tous les honneurs typographiques. [271][272] On observe que l’auteur en mettant son nom à la tête de l’ouvrage, n’a point pris la qualité de marquis. Le censeur, M. Marin, la lui restitue, en comblant le manuscrit des plus grands éloges.

20. — Les Prêtres démasqués, ou les Iniquités du clergé chrétien : ouvrage traduit de anglais[273]. Ce livre contient quatre discours d’un livre publié à Londres, en 1742, sous le titre de The axe laid to the root of christian priest-craft, by a lay-man ; ce qui signifie : la cognée mise à la racine de l’imposture sacerdotale chez les chrétiens, par un laïque. Cet ouvrage n’a rien de recommandable, quant au fond, ni de neuf ; il n’est point mal écrit, mais traite la matière d’une façon trop timide, pour qu’il fasse grande sensation.

23. — Charlot, ou la Comtesse de Givri, est un drame tragi-comique en trois actes et en vers, joué au château de Ferney au mois de septembre. Il est de M. de Voltaire, et n’en est assurément pas digne. Quoique sa touche comique n’ait jamais été merveilleuse, elle est du plus mauvais goût dans cet ouvrage très-froid, très-triste, et dont aucun caractère n’est développé qu’aux noms des acteurs. On assure qu’il a broché très-promptement cela, et il y paraît. Il dit, dans un bout de préface, que le fond de la pièce est Henri IV, mais qu’il n’a pas osé mettre ce roi sur la scène, après M. Collé. En effet, il est perpétuellement question de ce prince, qui ne paraît pas, et qui opère pourtant le dénouement. Rien de plus bizarre que cet embryon dramatique, tout-à-fait informe.

25. — De l’Imposture sacerdotale, où Recueil de pièces sur le clergé, traduites de l’anglais[274]. La première est le tableau fidèle des papes, traduit d’une brochure anglaise de M. Davisson, publiée sous le titre de À true picture of popery. On se doute bien que dans cet abrégé effrayant on a seulement résumé toutes les horreurs commises par quelques chefs de l’Église, que l’histoire ecclésiastique même est forcée d’avouer. La deuxième, de l’Insolence pontificale, ou des Prétentions ridicules du pape et des flatteurs de la cour de Rome, extrait de la profession de foi du célèbre Giannone, par M. Davisson. Le titre seul annonce combien ce morceau doit être plaisant. Que d’absurdités, que d’extravagances débitées sur pareille matière ! La troisième : Sermon sur les fourberies et les impostures du clergé romain, traduit de l’anglais sur une brochure publiée à Londres en 1735, par M. Bouru de Birmingham, sous le titre de Popery a craft. L’auteur prend ici la chose au sérieux et prétend prouver, 1° que la religion romaine est une invention purement humaine ; 2° qu’elle ne fut inventée que pour obtenir des richesses, du pouvoir, de la grandeur, ou pour exalter les prêtres et leur asservir le reste du genre humain. Le quatrième, le Prêtrianisme opposé au christianisme, ou la religion des prêtres, comparée à celle de Jésus-Christ, où examen de la différence qui se trouve entre les apôtres et les membres du clergé moderne ; publié en anglais en 1720. Le titre seul annonce combien il prête à une satire malheureusement trop vraie. La cinquième, des Dangers de l’Église, traduit de l’anglais sur une brochure publiée en 1769 par M. Thomas Gordon, sous le titre d’Apology for the danger of the church. L’auteur combat cette assertion, ordinaire dans ce siècle, que l’Église est en danger. Il prétend que c’est le cri de guerre du sacerdoce. La sixième et dernière pièce est Symbole d’un laic, ou Profession de foi d’un homme désintéressé, traduit de l’anglais de M. Gordon, sur une brochure publiée en 1720, sous le titre The creed of an independant Wigh. Cette profession de foi, comme on s’en doute bien, est celle d’un homme qui n’en a point, et la satire de ceux qui en ont. On ne sait si, malgré les titres, tout ceci est traduction, ou l’ouvrage du même traducteur. En général, le style est lâche, diffus, embarrassé, comme les ouvrages anglais.

36. — La brochure intitulée Doutes sur la religion, suivis de l’Analyse du Traité théologi-politique de Spinosa[275], commence à pénétrer dans ce pays-ci. Quoique ces ouvrages soient attribués au comte de Boulainvilliers, on reconnaît facilement dans le premier la tournure d’esprit et le style de M. de Voltaire. À travers les objections fortes qui s’y trouvent et qui ne sont pas de lui, on y démêle ce ton d’ironie qui le caractérise. Il y à spécialement dans le chapitre sur l’Église et les conciles, un dialogue entre l’Église et un Indien, où il se dilate la rate et s’en donne à cœur-joie. Il y prend un singulier plaisir à faire dire à la première bien des sottises et des absurdités. Quant au second traité, il est moins susceptible de plaisanterie. C’est une discussion assez sèche, mais dangereuse, de l’authenticité des livres de l’Écriture-Sainte, et c’est toujours un projet abominable que d’avoir mis à portée du commun des lecteurs et réduit à peu de pages l’énorme dissertation de cet athée, dont le poison se trouvait noyé dans un fatras de verbiages, qui semblaient en arrêter l’activité : l’ennui gagnait avant l’erreur, et l’in-folio tombait des mains.

27. — Vers de M. de La Harpe à M. de Voltaire, pour le jour de Saint-François.

François d’Assise fut un gueux
Et fondateur de gueuserie,
Et ses disciples n’ont pour eux
Que la crasse et l’hypocrisie.
François, qui de Sale eut le nom,
Trichait au piquet, nous dit-on ;
D’un saint zèle il sentit les flammes,
Et vainquit celles de la chair,
Convertit quatre-vingt mille âmes
Dans un pays presque désert.
Ces pieux fous que l’on admire,
Je les donne au diable tous deux,
Et je ne place dans les cieux
Que le François qui fit Alzire.


Bouquet au même, par M. de Chabanon.

L’Église dans ce jour fait à tous les dévots
Célébrer les vertus d’un pénitent austère :
Si l’Église a ses saints, le Pinde a ses héros,
Et nous fêtons ici le grand nom de Voltaire.
Et noJe suis loin d’outrager les saints :
Et noJe les respecte autant qu’un autre ;
Et noMais le patron des capucins
Et noNe devrait guère être le vôtre.
Et noAu fond de ces cloîtres bénits
Et noOn lit peu vos charmans écrits,
Et noC’est le temple de l’ignorance.
Et noMais près de vous, sous vos regards,
Et noLe dieu du goût et des beaux arts

Et noTient une école de science.
Et noDe ressembler aux saints, je crois,
Et noVoltaire assez peu se soucie ;
Et noMais le cordon de saint François
Et noPourrait fort bien vous faire envie :
Et noCe don, m’a-t-on dit, quelquefois
Et noNe tient pas au don du génie.
Et noAllez, laissez aux bienheureux
Et noLeurs privilèges glorieux,
Et noLeurs attributs, leur récompense :
Et noS’ils sont immortels dans les cieux,
Votre immortalité sur la terre commence.


Réponse de M. de Voltaire.

Ils ont berné mon capuchon :
Rien n’est si gai, ni si coupable.
Qui sont donc ces enfans du diable,
Disait saint François, mon patron ?
C’est La Harpe, c’est Chabanon :
Ce couple agréable et fripon
À Vénus vola sa ceinture,
Sa lyre au divin Apollon,
Et ses pinceaux à la Nature.
Je le crois, dit le penaillon,
Car plus d’une fille m’assure
Qu’ils m’ont aussi pris mon cordon.

29. — On a accordé aux Juifs la liberté d’entrer dans le commerce de France, conséquemment dans l’ordre de citoyens et dans les charges municipales. Un caustique a fait le quatrain suivant :

Jésus, pardonne l’infamie
De ces pharisiens nouveaux ;
S’ils ont chassé ta Compagnie,
C’est pour adopter tes bourreaux !

29. — La Théologie portative, ou Dictionnaire abrégé de la religion chrétienne, par M. l’abbé Bernier, licencié en théologie[276], n’est point de M. de Voltaire.

On sent bien aussi que cet abbé Bernier n’est qu’un auteur pseudonyme. Ce Dictionnaire est précédé d’un discours préliminaire, dont l’objet est de prouver que les théologiens font la religion, et que la religion n’a jamais que les théologiens pour objet. Ce résumé suffit pour annoncer combien le fond de cet ouvrage est vicieux. L’auteur adopte une ironie perpétuelle, mais son style est faible, lâche et trivial. Les articles alphabétiques du livre sont dans le même ton de raillerie. L’impiété y règne plus souvent encore. Le sel grossier de l’écrivain et sa plaisanterie lourde servent de contre-poison. On en peut juger par l’article Cordeliers : « Moines mendians, qui depuis cinq cents ans édifient l’église de Dieu par leur tempérance, leur chasteté et leurs beaux argumens. Ils ne possèdent rien en propre ; leur soupe, comme on sait, appartient au Saint Père. »

30. — Suivant l’usage antique et solennel, le lundi d’avant la Saint-Simon et Saint-Jude se prêtent les sermens au Châtelet, et ce jour-là un de MM.  les gens du roi traite un point relatif aux fonctions de la magistrature. M. Duval d’Éprémesnil, avocat du roi à cette juridiction, s’y est distingué par un discours, dont le texte était de l’ambition du magistrat. Il a parlé sur cette matière avec une éloquence peu commune et avec ce feu qui ajoute encore au talent de l’orateur. On y a remarqué des portraits qui entraient dans son sujet et qui ne sont pas restés sans application : on a cru y reconnaître MM. L’Averdy, Langlois, de Calonne, Lambert. Ils ont fait la plus vive sensation dans l’assemblée ; on y a applaudi avec fureur, comme aux éloges des grands hommes qui ont occupé les premiers rangs de la magistrature, et dont la conduite, mise en opposition, a fait encore davantage ressortir celle qui a été l’objet de la censure publique. M. d’Éprémesnil n’a que vingt-deux ans, il joint aux dispositions les plus grandes une mémoire très-heureuse. Cette mercuriale fait grand bruit et ne plaît pas à tout le monde.

Ier Novembre. — Madame Bontemps, veuve du premier valet de chambre du roi, femme jolie, capricieuse et répandue dans le grand monde, a reçu, il y a quelques jours, par la petite poste une lettre, où un inconnu qui signe le chevalier de Vertumne, lui fait une déclaration et lui promet deux mille écus de pension, si elle veut seulement avoir la complaisance d’aller à Opéra le plus souvent qu’il lui sera possible, et regarder dans le parterre en entrant. Il assure qu’il va souvent à ce spectacle, et qu’il sera content de cette marque de bienveillance. Il envoie cinq cents livres en conséquence pour le premier mois d’avance, et ainsi de suite. Madame Bontemps, au lieu de jeter la lettre au feu, de donner les cinq cents livres au curé de la paroisse, de garder un profond silence sur cette aventure, et de laisser se morfondre dans le parterre de l’Opéra ce bizarre soupirant, a porté la lettre et l’argent chez M. le lieutenant général de police, a exigé des recherches et fait un grand cancan : ce qui a donné de la publicité à son histoire et l’a couverte de ridicule.

3. — Le sieur Taconet a mis en parodie l’histoire très-véritable de la momie dont on a parlé[277]. Cette pièce a un succès prodigieux. Le commissaire Rochebrune, qui est le héros de l’aventure, a fait beaucoup de démarches auprès de M. de Sartine pour arrêter le cours de cette facétie, mais en vain. Ce sage magistrat n’a point cru hors de propos qu’on bernât un peu l’ineptie de ce suppôt de la police.

4. — On a parlé[278] de l’évasion de mademoiselle La Forest, au grand regret d’un jeune prince nouvellement marié qui avait conçu pour elle une passion dangereuse. On sait actuellement le motif de cette fuite précipitée. L’amant lui a fait présent d’une partie assez considérable des diamans de la princesse. Sur les recherches que la courtisane a eu vent qu’on faisait, elle a cru devoir s’éclipser. Mieux conseillée, elle s’est présentée depuis peu au duc de Penthièvre, père du jeune prince, a rapporté les diamans, et s’est jetée à ses genoux en implorant ses bontés. Le duc a paru satisfait de cette démarche ; il lui a dit qu’on ferait estimer les diamans, et qu’on lui en paierait la valeur, qu’elle n’eut aucune inquiétude ; que son fils était le seul coupable ; qu’on aurait soin de son enfant si elle était grosse, comme elle disait le soupçonner ; que dans tous les cas on pourvoirait à ses besoins ; mais qu’il exigeait qu’elle ne vît plus le jeune prince, son amant.

6. — M. de La Dixmerie ayant lieu de se plaindre de l’ingratitude des pensionnaires du Mercure, qui pour la plupart n’y contribuent en rien, et veulent cependant le frustrer d’une pension qu’il a droit d’espérer par six années de coopération presque gratuite à ce journal, vient d’exhaler ses plaintes dans une fable allégorique et ingénieuse. La voici.


Le Laboureur et les Oiseaux.

Pour féconder un champ de stérile nature,
Guillot employait tout, soins, travaux et culture.
« Ah ! dit-il, si les dieux secondent mes efforts,
« Si de Cérès le regard m’est propice,
« SiElle doit m’ouvrir ses trésors ;
Le travail assidu vaut bien un sacrifice.
Attendons. » Il attend ; mais un essaim d’oiseaux
Sur les épis dorés vient fondre à tire d’aile,
Et dévore à l’instant le fruit de ses travaux.
« Il sème encore ; incursion nouvelle.
« SiSix fois le père des saisons
De ses douze palais a parcouru la suite,
Et six fois de Guillot l’espérance est détruite.
Un de ces oiseaux meurt[279]. « Çà, dit-il, composons :
Je veux bien, mes amis, travailler pour vous plaire ;
Mais le sage, dit-on, fuit les biens superflus,
« SiPrenez donc votre nécessaire,
Et laissez-moi la part de l’oiseau qui n’est plus. »
« SiÀ ces mots Dieu sait quel ramage ;
« On tient conseil : c’était pour mieux faillir.
« Voici l’arrêt de cet aréopage :
« « Sème Guillot ; semer est ton partage,
« SiLe nôtre est de tout recueillir. »

7. — On a parlé[280] du Cas de Conscience, etc., ouvrage attribué à Dom Clémencet, des Blancs-Manteaux, où l’on attaque la Commission nommée pour l’examen des constitutions des Moines dans son essence et dans sa forme ; on en démontre les irrégularités et le vice. Ce Mémoire n’est pas sorti de la poussière des cloîtres, ou est retombé dans celle des cabinets des savans. Un plaisant a porté à ce tribunal un coup plus mortel. C’est une estampe allégorique, satirique, et d’autant plus offensante pour la prélature, qu’elle est, très-vraie. D’un côté on y voit les cinq archevêques chargés de cette besogne. Celui de Reims (M. de La Roche-Aymon) est en face de l’église romaine, figurée par une femme qui lui fait la moue. Une main paraît présenter un cordon bleu à l’archevèque d’Arles (M. de Jumilhac) ; elle l’attire, l’occupe, l’amuse et se joue de lui. Un équipage de chasse offert à l’archevêque de Narbonne (M. Dillon) captive ses regards, et paraît mériter toute son attention. Celui de Toulouse (M. de Brienne) est à son bureau, deux volumes de l’Encyelopédie ouverts devant lui, l’un à l’article Célibat, l’autre à l’article Moines. Enfin M. l’archevêque de Bourges (Phelypeaux) présente un bouquet à une demoiselle qui l’agace et porte tous les caractères d’une fille de joie. De l’autre côté sont trois moines de différens ordres, avec les attributs de la pénitence, les haires, les cilices, les crucifix, et dans les diverses attitudes qui leur conviennent. Au bas sont écrits ces mots : « Ce sont ceux-là qui réforment ceux-ci. »

Cette pasquinade très-bien faite est de la plus grande rareté ; tout le clergé s’est remué pour en arrêter le débit, malheureusement quelques curieux en ont eu des exemplaires.

17. — On conte une historiette qu’on prétend être arrivée récemment à M. Marmontel, et qu’il nie comme de raison. Cet auteur s’était rendu dans une maison de campagne, chez une dame qui venait de retirer sa fille du couvent. C’était une veuve seule, et qui n’avait pas un gros ménage. À l’arrivée de cet homme célèbre, non attendu, et plus encore sur l’annonce qu’il lui donne de madame Gaulard et sa compagnie, qui vont arriver, elle le quitte pour donner des ordres, lui demandant la permission de s’absenter quelques minutes. Elle recommande à sa fille d’entretenir monsieur, et de faire les frais de la conversation ; elle sort. La demoiselle était jolie, et agnès plus qu’on ne l’est sans doute en sortant de beaucoup de couvens. Quoi qu’il en soit, le sieur Marmontel s’évertue, s’oublie, profite de l’innocence de la jeune personne, et devient fort entreprenant. Sur ces entrefaites la mère revient, fait ses excuses à notre académicien, lui témoigne ses regrets de l’avoir laissé, dit qu’elle craint qu’il ne se soit ennuyé. Il répond, proteste, jure que point du tout, que mademoiselle sa fille a de l’esprit comme un ange ; qu’il s’est fort amusé. La mère se retourne vers elle, témoigne à sa fille combien elle souhaiterait que cette effusion ne fût pas une affaire de politesse… M. Marmontel riposte de nouveau qu’il n’y a rien de plus vrai, qu’il a eu beaucoup de plaisir. La petite, impatiente, répond vivement : « Il ment, maman, il ment. Le beau plaisir de manier le cul des gens avec des mains froides comme glace… » On ne peut entreprendre de peindre l’état de la mère et du sieur Marmontel ; il n’attendit pas le compliment qu’il méritait, et remonta brusquement en voiture.

18. — On a vu un écrit publié sous l’intitulé de Cas de conscience proposé et décidé par des soi-disant théologiens et canonistes, au sujet de la commission royale pour l’examen des réguliers. C’est l’ouvrage attribué à dom Clémencet. Un anonyme vient d’y répondre sous le titre de Réflexions, et paraît l’avoir réfuté aussi fortement que solidement.

19. — Lettre à Son Altesse Monseigneur le prince de *** (Brunswick) sur Rabelais et sur d’autres auteurs, accusés d’avoir mal parlé de la religion chrétienne. Brochure in-8° de cent quarante-quatre pages. On ne pourrait qu’applaudir au but de l’auteur, si, dans le précis des ouvrages qu’il présente, il s’était occupé sérieusement à les combattre ; mais on ne voit que trop que son objet est moins de les réfuter que de remettre sous les yeux du lecteur les opinions dangereuses des Porphyre, des Celse et des Julien, adoptées et rajeunies par les auteurs de la ligue moderne conjurée pour saper et renverser le christianisme jusque dans ses fondemens. Cet ouvrage, pour tout dire, est de M. de Voltaire. Il contient des faits curieux et intéressans. La partie historique en est très-bien faite.

22. — On publie une estampe agréable, qui rend avec la plus grande vérité la demoiselle Allard et le sieur Dauberval dansant le pas de deux qui leur attire tant d’applaudissemens dans le second acte de l’opéra de Sylvie. Les vers mis au bas de l’estampe expriment très-bien le moment dans lequel ces danseurs sont représentés :

SoSur sa fierté la nymphe se repose :
Son amant perd déjà l’espoir de l’attendrir ;
Mais elle le regarde en songeant à le fuir :
SoNymphe qui rêve aux tourmens qu’elle cause,
SoTouche au moment de les guérir.

— On a donné, le 20 de ce mois, sur le Théâtre Français, Les Deux Sœurs, comédie en deux actes et en prose. Elles n’ont apparemment pas été trouvées jolies, puisqu’elles n’ont pas reparu. Cependant une scène passablement dialoguée et supérieurement jouée a paru plaire au public qui a jugé le reste avec peu d’indulgence. L’auteur (M. Bret) a gardé l’anonyme.

24. — L’opéra de Philidor a été joué aujourd’hui avec une affluence qui ne peut se comparer qu’à celle qu’on vit aux Français aux célèbres journées des Philosophes et de l’Écossaise. Toutes les loges étaient louées : il y avait du monde dès midi, et la salle regorgeait, ainsi que les corridors, les galeries, les escaliers, les avenues. Le poëme en trois actes est de Poinsinet, et a pour titre Ernelinde. Le sujet est la réunion des trois couronnes du nord. On a trouvé de beaux morceaux dans la musique, un récitatif obligé très-savamment fait et très-bien chanté. On ne peut refuser des éloges au compositeur. On y remarque beaucoup de talent. Mais il est bien loin du degré de perfection qu’exige le théâtre lyrique. Il serait difficile de prononcer en dernier ressort sur cette nouveauté, et il faut la voir plusieurs fois pour juger de l’effet qu’elle fera sur les esprits et sur les oreilles en général. On n’a pas été satisfait à cette première représentation. Les amis du musicien accusent le poëme, qui à la vérité ne prête pas au chant et à la scène.

20. — Un plaisant a fait l’épigramme ou chanson suivante sur le nouvel opéra de Poinsinet :

La muse gothique et sauvage,
La mDe Poinsinet,
La muse a fait caca tout net :
À Philidor rendons hommage,
Et réservons le persiflage
La mÀ Poinsinet.

27. — L’affluence avait prodigieusement diminué aujourd’hui à l’Opéra : à cinq heures et demie on entrait encore facilement dans le parterre, et l’on a pu juger avec plus de réflexion et de tranquillité. On continue à rejeter sur la méchanceté du poëme et des paroles le peu de succès de cet opéra. Ce défaut empêche l’effet des beautés musicales que Philidor a répandues dans son ouvrage, et qui, étant faites pour produire de l’intérêt, n’y réussissent que faiblement, lorsque le charme est détruit par les absurdités. Le grand morceau du musicien est un récitatif obligé, dont on a déjà parlé, et qui aurait pu ramener le spectacle des Euménides d’Eschyle, si ce qui l’occasione eût été plus vrai, ou plus vraisemblable, ou mieux préparé. Ernelinde, forcée par le tyran à choisir entre son père et son amant, se détermine, comme de raison, mais non dans l’ordre des passions, pour son père. Son choix à peine est fait, que la douleur, les remords la tourmentent : elle croit entendre l’ombre de son amant lui reprocher son ingratitude. L’accompagnement de ce récitatif est exécuté en partie par des cors, qui, par des crescendo admirables, peignent à l’imagination les cris d’une ombre plaintive. On trouve encore des duo, un trio, un ou deux chœurs de la plus grande beauté, et, quoi qu’en disent les détracteurs de ce genre, des symphonies et des airs de danse fort agréables dans le ballet de la fin. On se persuade, malgré tout cela, que cet opéra ne se soutiendra pas. Ce serait une grande perte pour les entrepreneurs, qui ont fait

beaucoup de dépense.
29. — Sur l’opéra de Philidor.

Qui veut de tout, de tout aura,
Qu’il aille entendre l’opéra ;
Chant d’église, chant de boutique,
Du bouffon et du pathétique,
Et du romain et du français,
Et du baroque et du niais,
Et tout genre de symphonie,
Marche, fanfare et cætera ;
Rien ne manque à ce drame-là,
Sinon esprit, goût et génie.

29. — M. Dorat vient de faire paraître la Danse, chant quatrième, qui manquait à son poème de la Déclamation. Il est précédé de notions historiques sur la danse, et suivi d’une Réponse à une lettre écrite de province.

Ier Décembre. — Enfin la Faculté de théologie vient de publier sa Censure contre Bélisaire#1 ; elle forme un volume in-4°, français et latin, de cent vingt-trois pages. Elle s’est restreinte à quinze propositions, qu’elle dissèque, ce dont, il résulte la condamnation la plus détaillée. Elles sont toutes extraites du chapitre XV. Mais les sages maîtres annoncent que s’ils examinaient à la rigueur d’autres chapitres, plusieurs mériteraient aussi de fortes qualifications. On doit se rappeler que les commissaires avaient d’abord proposé à la censure de la Sorbonne trente-sept assertions. Ce choix n’a pas été suivi en tout. Cette censure est terminée par une espèce de profession de foi sur la tolérance civile, en ce qui concerne la religion : article bien délicat et sur lequel la Faculté de théologie s’explique de façon à ne point [281] laisser prise sur l’opinion qu’elle veut donner de ses sentimens à l’égard des droits de l’Église envers les puissances de la terre. La conclusion de cette censure, portée dès le 26 juin dernier, a essuyé beaucoup de contradictions ; ce qui en a retardé la publication.

2. — Chef-d’œuvre de deux auteurs nouveaux.

Air : du cantique de saint Roch.

Or écoutez, s’il vous plaît de m’entendre,
Tous les beaux traits de l’opéra nouveau.
Vous y verrez du terrible et du tendre,
Vous jugerez comme il est bon et beau ;
Vous juSa poésie,
Vous juSon harmonie,
Vous juDu goût français
VousAssurent le progrès.

Un bon papa par un duo sublime
À son enfant annonce des combats ;
Pendant long-temps ce couple magnanime
Parle au public qui ne le connaît pas :
Vous juL’enfant s’alarme,
Vous juLe père s’arme,
Vous juEt l’ennemi
VousAttend qu’il ait fini.

En un instant un grand siège commence.
En un instant les murs sont renversés :
Près d’un autel tombant en défaillance,
La pauvre enfant voit les siens repoussés ;
Vous juMonsieur son père,
Vous juDans sa colère,
Vous juLas du duo,
VousSe bat incognito.

Mais le vainqueur entre, et voit son amante
Évanouie au pied de cet autel :
Il fait un signe à sa troupe sanglante,
Et le héros chante plus doux que miel.
Vous juVient un troisième,
Vous juAmant de même,
Vous juEt le papa
VousPour pleurer s’en vient là.

Mais le tyran veut essuyer ses larmes ;
Déjà l’on danse un petit rigaudon :
L’instant d’après les rivaux parlent d’armes,
Le chien d’amour leur trouble la raison.
Vous juAvant de faire
Vous juPauvres jaloux,
VousQue ne vous parliez-vous.

Or le plus vieux veut que son rival parte,
Et dans l’instant le théâtre est un port :
Au tendre objet dont enfin il s’écarte,
Le matelot s’arrache avec effort :
Vous juTableau tragique,
Vous juEt poétique !
Vous juLà chacun fait,
VousEt porte son paquet.

Mais en dépit de son fier pédagogue,
Le jeune amant se résout à rester :
Le bon papa, dans un beau dialogue,
Au trône encor refuse de monter.
Vous juLe tyran brave
Vous juFait son esclave
Vous juDe cet ami
VousQui lui servait d’appui.

Dans la prison ayant perdu la tête,
Le tendre amant se croit enfin trahi :

Il y maudit son père et sa comquête ;
Son pauvre esprit est bientôt abruti.
Vous juOn le détrompe ;
Vous juMoment de pompe !
Vous juQue je vois d’art
VousDans un double poignard !

Les deux amans veulent s’ôter la vie,
Comme Idamé, comme son cher Zamli ;
L’auteur alors fait preuve de génie,
En déguisant ce larcin travesti.
Vous juLe fer se lève…
Vous juMais est-ce un rêve ?
Vous juNos deux amans
VousSont déjà triomphans !

Le bon papa s’était vu par sa fille,
Sauver au prix des jours d’un tendre époux ;
Mais il revient, déjà son glaive brille,
Et le tyran va tomber sous ses coups.
Vous juEn flanc, en tête,
Vous juChacun l’arrête ;
Vous juTrait peu commun,
VousIls marchent cent contre un.

Mais à la fin tout cela s’accommode ;
Chacun d’accord retourne en son pays.
À ce beau drame, écrit suivant la mode,
Le chromatique ajoute encor un prix.
Vous juCette musique,
Vous juTrès-pathétique,
Vous juEst tout esprit,
VousEt fait beaucoup de bruit.

C’est un essai qu’un grand génie hasarde ;
Comme Sancho Renaud doit s’exprimer.
C’est pour tout dire, une jeune bâtarde,
Qu’on voudrait bien faire légitimer.

Vous juMais le comique
Vous juLa revendique ;
Vous juCar Arlequin
VousVeut être son parrain.

Voilà quelle est cette œuvre merveilleuse,
Chef-d’œuvre hardi du génie et du goût !
Pour l’appuyer Le Mière ingénieuse
A irinplacé la maladroite Arnould.
Vous juRendons jstice :
Vous juC’est une actrice
Vous juQui de tout point
VousL’est comme ou ne l’est point.

3. — M. le chevalier de Rességuier, connu par des vers satiriques contre madame la marquise de Pompadour, qui lui ont mérité sa détention à Pierre-Encise pendant plusieurs années, se trouvait, il y a quelques jours, à souper chez M. le lieutenant-général de police avec beaucoup de monde. Il y avait entre autres personnes M. Daine, maître des requêtes, nommé depuis peu à l’intendance de Bayonne. Ce dernier parlait des Parlemens d’une façon peu patriotique. M. de Rességuier voulut lui en faire sentir l’indécence. L’autre ne fit que confirmer et soutenir ses assertions. La conversation s’échauffa entre eux à tel point, que M. Daine répliqua vivement à l’autre : « En tout cas, Monsieur, si mes propos vous déplaisent, ils ne me feront pas mettre à Pierre-Encise. — Vous avez raison, Monsieur, ils sont d’un homme qui n’est digne que de Bicêtre. »

— On ne peut oublier une pantomime exécutée le dimanche 29 novembre au dernier bal de l’Opéra. Une troupe de six masques est entrée, trois habillés dans le costume des différens rois, personnages de l’opéra nouveau, avec des inscriptions qui les caractérisaient : un quatrième faisait Ernelinde, et portait écrit sur son front femme impie (hémistiche répété souvent) : le cinquième, en habit déguenillé, en mauvaise perruque, avec un domino de papier couvert de vers tirés du poëme, figurait la poésie : le dernier était revêtu d’un domino aussi bariolé de toutes sortes de notes de musique. De ces deux figures la première paraissait se soutenir sur l’autre et la faire chanceler. Ce groupe, après s’être promené beaucoup dans l’assemblée et s’être fait remarquer de tout le monde, s’est rendu au milieu de la salle, et ils sont tombés tous ensemble et tout à plat.

4. — On ne tarit point sur les épigrammes, sarcasmes, quolibets, que s’attire le sieur Poinsinet par sa fatuité et son impudence, malgré la chute générale de son poëme. Il essuya l’autre jour à la Comédie Italienne une mortification bien propre à l’humilier, s’il était susceptible d’humiliation. M. le marquis de Sennecterre, l’aveugle, était au foyer de ce spectacle où la conversation étant tombée sur le nouvel opéra ; il dit à son laquais qui le conduit : « Quand l’auteur paraîtra ici, faites-le venir à moi, que je lui fasse mon compliment. » Poinsinet se présente ; le domestique l’arrête, le mène au marquis qui l’embrasse tendrement, et s’écrie : « Mon cher maître, recevez mon remerciement du plaisir que vous m’avez fait ; votre opéra est plein de beautés, la musique en est délicieuse ; il est fâcheux que vous ayez eu à travailler sur des paroles aussi ingrates. » Et tout le monde de rire.

5. — Deux filles du commun, nées à Compiègne et venues à Paris pour se soustraire à une suite de malheurs, y ont donné, dans leur obscurité, le spectacle rare de l’amitié la plus constante et la plus courageuse. Leur vertu est heureusement venue à la connaissance de madame la comtesse de Forcalquier. Elle en a fait part à madame la marquise du Déffant, et ces deux dames ont excité la charité de M.  le duc et de madame la duchesse de Choiseul, de M.  le duc de Penthièvre et de diverses autres personnes de la cour, au point qu’on a assuré un sort honnête et une sorte de bien-être à ces deux infortunées. Il manquait un historien à tant de belles et généreuses actions : madame la présidente de Meynières, ci-devant madame Belot, connue par des romans et différentes autres productions, vient de les célébrer dans une espèce de nouvelle manuscrite, intitulée le Triomphe de l’Amitié, ou Jacqueline et Jeanneton. Les faits y sont simples et vrais, mais revêtus de tout le charme, de tout le pathétique qu’y peut mettre une femme sensible, exercée à écrire. Sa modestie et quelques raisons particulières ne lui permettent pas de la donner au public. Une de ces deux personnes est attaquée d’une épilepsie accidentelle, et M. Malouet, médecin accrédité et fort charitable, a entrepris la cure gratuitement.

7. — On doit se rappeler deux chants du poëme de la Guerre civile de Genève, qui ont paru il y a quelques mois, le premier et le deuxième. Le troisième se donne aujourd’hui. Il est inférieur aux deux autres : on n’y trouve nulle gaieté et peu de poésie, mais seulement un détail aride des principaux chefs des troubles.


8. — Épigramme sur les Œuvres de M. Dorat.

Bon Dieu ! que cet auteur est triste en sa gaîté !
Bon Dieu ! qu’il est pesant dans sa légèreté !
Que ses petits écrits ont de longues préfaces ;

Ses fleurs sont des pavots, ses ris sont des grimaces :
Que l’encens qu’il prodigue est plat et sans odeur !
C’est, si je veux l’en croire, un heureux petit-maître ;
Mais si j’en crois ses vers, ah ! qu’il est triste d’être
MaisOu sa maîtresse ou son lecteur !

On attribue cette épigramme à M. de La Harpe, d’autres la prétendent de M. de Voltaire[282].

9. — La réforme que l’on veut introduire dans les communautés religieuses n’est pas vue du même œil par tous les membres. Plusieurs ont écrit contre cette prétendue innovation, et l’ont fait avec une amertume vraiment idéologique. Un anonyme, pénétré de sentimens contraires, vient de publier une Lettre sur la Conventualité, et paraît démontrer que c’est l’amour de l’ordre, le respect pour les lois de l’Église et des premiers instituteurs, qui a déterminé les principaux membres de la religion a rappeler à la vie cénobitique et à supprimer les communautés peu nombreuses. L’auteur de cette lettre, qui paraît fort instruit, appuie ses raisons d’autorités qui forcent à souscrire à son assertion.

10. — Le Dictionnaire de Musique de J.-J. Rousseau est incomplet à bien des égards. L’auteur a omis beaucoup de termes techniques, et grand nombre des instrument de symphonie. Il y a quelques définitions peu exactes ; mais plusieurs articles sont traités avec une profondeur hors de la portée du commun des compositeurs et qui étonne les plus habiles. On ne Conçoit pas comment un homme qui a autant senti, autant pensé, peut avoir acquis à ce degré la théorie d’un art aussi aride et dégoûtant dans ses principes qu’agréable dans ses effets. On retrouve dans ce livre tous les paradoxes que ce philosophe a répandus dans ses autres écrits contre la musique française, il ne paraît pas avoir rien changé de ses opinions sur ce point.

Son premier projet avait été de réduire son Dictionnaire en un corps de système raisonné sur la musique ; sans rien déranger a l’ordre alphabétique il aurait mis des renvois : par ce moyen toutes les parties se seraient éclairées et prêté un mutuel accord. Sa patience n’a pu aller jusqu’à l’exécution d’un pareil projet. En général, on désire dans presque tous ses ouvrages cette belle unité, première qualité d’un chef-d’œuvre. M. Rousseau est un génie impétueux, auquel il manque le flegme nécessaire pour mettre la dernière main à ses productions.

10. — Un nommé Le Roi, ci-devant père de l’Oratoire, se disposait à donner une nouvelle édition des œuvres de M. Bossuet. Elle est annoncée dans tous les journaux. Il en avait déjà paru une, de la façon de M. l’évêque de Troyes, neveu de ce grand homme. Elle avait alarmé un certain clergé, qui prétendait qu’on avait inséré dans cet ouvrage des productions étrangères. Les journalistes de Trévoux avaient surtout sonné l’alarme, au point que l’éditeur avait pris le parti de déposer le manuscrit chez un notaire, et de sommer les journalistes de reconnaître l’authenticité de l’écriture ; matière d’un procès dans lequel les Jésuites avaient succombé. On voit l’arrêt imprimé à la tête du livre des Élévations de M. Bossuet, évêque de Troyes.

L’édition projetée ne donne pas moins d’inquiétude. L’annoncé que M. Le Roi a faite de manuscrits retrouvés fait craindre qu’on ne répande dans cet ouvrage diverses opinions favorables au jansénisme, pour lequel on sait que le grand Bossuet avait un secret penchant. En conséquence le clergé s’est échauffé ; on a mis M. l’archevêque en jeu ; il est allé chez M. le lieutenant-général de police, il l’a prié de suspendre l’impression de cet ouvrage. Le magistrat s’y est refusé, en disant que cela ne dépendait pas de lui ; M. l’archevêque a insisté, il a témoigné ses inquiétudes sur les interpolations qu’on pouvait y glisser. M. de Sartine, pour le rassurer, a nommé un nouveau censeur, le syndic Riballier. Celui-ci doit suivre l’édition avec le plus grand soin, et ne rien laisser passer qui ne soit reconnu pour être de l’auteur. Au moyen de la nomination de cet examinateur, peu agréable à M. l’archevêque, sa précaution devient nulle, et l’on ne doute pas que l’ouvrage ne contienne bien des choses qui lui déplairont et à ceux de son parti.

10. — Le 4 décembre il y a eu en Sorbonne un grand débat sur la nouvelle censure de Bélisaire. Il faut savoir l’anecdote qui y a donné lieu. On a dit que cette censure préparée, rédigée, arrêtée par la Faculté de Théologie, suivant la conclusion portée le 26 juin 1767, avait déplu au ministère, par quelques propositions concernant la nécessité de l’Intolérance civile, sur laquelle M. l’archevêque et ce corps devaient appuyer de concert, et caver au plus fort en proscrivant le livre en question. L’ouvrage était resté suspendu pour la publicité. Le Gouvernement a imaginé de mander les gens du roi et de leur proposer de corriger ce qui blessait sur l’article en question. Les corrections ont été faites ; on a exigé du syndic Riballier, homme dévoué à la cour, de les faire passer. Celui-ci a gagné les commissaires, au point que, de quinze, un seul a réclamé contre les nouveaux sentimens qu’on prêtait à la Faculté, et il était décidé que la censure paraîtrait en cet état. Il en a même été délivré des exemplaires. Cependant l’assemblée s’est tenue : on a fait les reproches les plus vifs au syndic et aux commissaires d’avoir laissé glisser des opinions aussi erronées. On a voulu dresser sur-le-champ une protestation. Ce syndic a cherché à calmer les esprits, et, ayant obtenu que la délibération serait renvoyée au mois prochain, il a remercié les sages maîtres de leur déférence à son avis, et en même temps a tiré une lettre de cachet pour leur prouver qu’ils avaient d’autant mieux fait, qu’il avait des ordres supérieurs pour arrêter toute délibération à cet égard. Cependant M. l’archevêque, fâché de se voir désuni parla de la façon de penser avec la Faculté, s’est trouvé dans le-plus grand embarras sur son mandement. Les évêques zélateurs se sont assemblés chez ce prélat, et il paraît qu’ils ont obtenu quelque retard de la cour, puisque l’ouvrage qui devait être mis en vente le 7 décembre est décidément arrêté.


11. — Vers pour mettre au bas du portrait d’un roi conquérant et philosophe :

Ce mortel profana tous les talens divers,
Il charma les humains qui furent ses victimes.
Barbare en actions et philosophe en vers,
Il chanta les vertus et commit tous les crimes.
Haï du dieu d’amour, cher au dieu des combats,
Il baigna dans le sang l’Europe et sa patrie.
Cent mille hommes par lui reçurent le trépas,
Cent Aucun n’en a reçu la vie[283].

12. — On ne saurait rendre le degré d’avilissement ou est tombé M. Poinsinet par sa présomption intolérable. On en peut juger par les deux vers qu’on va rapporter, très-dignes du personnage, s’ils ne le sont pas trop d’être présentés au public :

Pégase constipé, s’efforçant un matin,
Le petit Poinsinet fut son premier crotin[284].

12. — L’Académie des Belles-Lettres a élu, le 4 de ce mois, M. de Rochefort à la place de M. Mesnard. M. de Rochefort est connu pour un grand enthousiaste d’Homère : il a entrepris en vers la traduction de ce poète, et a déjà donné au public les six premiers livres.

— Pour contre-balancer la Censure de Bélisaire par la Faculté de Théologie de Paris, ou vient de faire imprimer des Lettres de l’impératrice de Russie, du roi de Pologne, du prince royal de Suède et de différens hommes illustres du Nord, qui font le plus grand éloge du livre[285] et traitent les sages maîtres comme des cuistres. Avant la publicité de ce manuscrit, M. Marmontel a fait mettre prudemment dans les Petites-Affiches qu’il avait perdu son porte-feuille, et l’on ne doute pas que les originaux n’y fussent. Il met par-là sa modestie à couvert, et se disculpe de tout reproche. Il a prévenu ensuite qu’on lui avait renvoyé anonymement ledit porte-feuille réclamé.

14 — Réflexions d’un Universitaire, en forme de Mémoire à consulter, concernant les Lettres patentes du 20 août 1767 ; in-4° de cinquante-quatre pages. Cet ouvrage a été condamné au feu par arrêt du parlement du 9 décembre ; ce qui n’a servi qu’à lui donner plus de célébrité, et à le faire rechercher davantage en le rendant plus rare. Avant d’en rendre compte, il faut premièrement observer qu’en faisant rentrer le collège de Louis-le-Grand dans le sein de l’Université, deux choses avaient été principalement établies pour le bien et l’avantage de cette maison, dont on voulait faire comme le chef-lieu et le centre de ce corps littéraire. Ces deux choses étaient un bureau de discipline qui en embrassait l’ordre moral, et un bureau d’administration concernant l’ordre physique ou des biens temporels. On avait en outre réuni à ce collège tous les boursiers épars dans quantité d’autres petits collèges subalternes. L’auteur du Mémoire prétend que, par les Lettres patentes du 20 août dernier, le bureau de discipline est supprimé, celui d’administration est augmenté, une nouvelle forme de règle est ordonnée, toutes les bourses, quant à la valeur, sont réduites à une même espèce. La durée de plusieurs d’elles est changée, l’application et la destination de celles qui étaient affectées aux Facultés de Droit et de Médecine sont réunies jusqu’à ce que ces Facultés aient fourni leur mémoire et donné leur avis à ce sujet. Les bourses théologiques ne sont promises qu’à condition que ceux qui en étaient titulaires auront obtenu de nouvelles provisions. L’admission définitive des boursiers est reculée et attachée à des conditions qui la rendent arbitraire. Leur destination est abandonnée à une autorité qui, faute de digue, pourrait devenir despotique. Les aliénations sont autorisées, soit qu’au préalable l’Université et les supérieurs majeurs en aient été avertis, ou qu’ils en aient donné leur avis. Pour prouver les différentes assertions, l’Universitaire divise son Mémoire en deux parties : la première traite des atteintes données à la dignité et aux droits de l’Université, quant au temporel ; la seconde, des atteintes données à l’autorité de l’Université relativement à l’ordre moral.

15. — Il est question du Joueur anglais, pièce traduite par M. Saurin, et dont les Comédiens s’occupent[286]. On prétend que cet Académicien a apporte de nouvelles situations à ce drame, déjà très-intéressant et très-noir. Il est écrit en vers libres. Il a été joué à Saint-Germain chez M. le duc de Noailles, par les dames et seigneurs de sa société, et a fait grande sensation.

17. — M. Dorat a pris le parti de répondre aux vers contre ses œuvres, mais il a mis l’épigramme de côté, et tout le monde applaudit à la façon honnête et ingénieuse dont il s’est tiré d’un pas toujours difficile, quand l’amour-propre est en jeu. Quoique l’épigramme passe généralement pour être de M. de La Harpe, comme quelques personnes l’attribuent à M. de Voltaire, il est parti de là, et la suppose réellement de ce grand poète. Voici ce qu’il lui dit :

Je mGrâce, grâce, mon cher censeur,
Je m’exécute, et livre à ta main vengeresse
JeMes vers, ma prose et mon brevet d’auteur.
Je mJe puis fort bien vivre heureux sans lecteur ;
Je mMais par pitié laisse-moi ma maîtresse.
Laisse en paix les amours, épargne au moins les miens.
Je n’ai point, il est vrai, le feu de ta saillie,
JeTes agrémens ; mais chacun a les siens.
Je mOn peut s’arranger dans la vie :
Je mSi de mes vers Eglé s’ennuie,
JePour l’amuser je lui lirai les tiens.

19. — M. de Clermont-Tonnerre, chevalier de Malte et désigné ambassadeur en Portugal, est un grand amateur de musique, et est musicien lui-même, mais défenseur de la musique française, à l’exclusion de toute autre. À l’occasion du nouvel opéra, il a rompu différentes lances, entre autres contre M. le chevalier de Chastellux, partisan décidé de la musique italienne. M. Poinsinet, qui voudrait s’identifier mal à propos avec Philidor, quoique le public en fasse une grande différence, a trouvé mauvais que M. le chevalier de Clermont se déchaînât partout contre Ernelinde. Sa bile s’est exaltée, et il a fait une tirade de vers injurieux contre ce seigneur ; il a eu la hardiesse de les avouer et d’en donner des copies. Le détracteur de la musique italienne n’a fait que rire de cette espèce de satire ; il l’a fait copier lui-même et l’a envoyée à tous ses amis. Cette querelle musicale a fait du bruit. Le magistrat de la police en a été instruit, et l’on était sur le point de sévir contre M. Poinsinet et de le mettre au Fort-l’Évêque, lorsque M. le chevalier de Clermont est allé demander grâce pour ce poète. Il a fait entendre à M. de Sartine qu’un pareil éclat ferait plus de tort à un ambassadeur de Portugal qu’à un malheureux satirique ; que M. Poinsinet était à l’abri de tout ridicule ; mais que c’en serait un pour lui, chevalier de Clermont, qu’il souhaitait qu’on lui épargnât. En conséquence M. de Sartine s’est contenté de mander le sieur Poinsinet, et de le réprimander en pleine audience.

20. — Il s’est formé à Paris une nouvelle secte appelée les Économistes : ce sont des philosophes politiques, qui ont écrit sur les matières agraires ou l’administration intérieure. Ils se sont réunis et prétendent faire un corps de système qui doit renverser tous les principes reçus en fait de gouvernement, et élever un nouvel ordre de choses. Ces messieurs avaient d’abord voulu entrer en rivalité contre les Encyclopédistes et former autel contre autel ; ils se sont rapprochés insensiblement ; plusieurs de leurs adversaires se sont réunis à eux, et les deux sectes paraissent confondues dans une. M. Quesnay, ancien médecin de madame la marquise de Pompadour, est le coryphée de la bande ; il a fait, entre autres ouvrages, la Philosophie rurale. M. de Mirabeau, l’auteur de l’Ami des hommes et de la Théorie de l’Impôt, est le sous-directeur. Les assemblées se tiennent chez lui tous les mardis, et il donne à dîner à ces messieurs. Viennent ensuite MM. l’abbé Bandeau, qui est a la tête des Éphémérides du Citoyen ; M. Mercier de La Rivière, qui est allé donner des lois dans le Nord et mettre en pratique, en Russie, les spéculations sublimes et inintelligibles de son livre de l’Ordre naturel et essentiel des sociétés politiques ; M. Turgot, intendant de Limoges, philosophe pratique et grand faiseur d’expériences ; et plusieurs autres, au nombre de dix-neuf à vingt. Ces sages modestes prétendent gouverner les hommes de leur cabinet par leur influence sur l’opinion, reine du monde.

21. — On parle d’une scène comique, arrivée ces jours derniers, dans l’appartement de la reine, entre madame la princesse de Talmont et M. le contrôleur-général. La première ne connaissant pas M. de L’Averdy, ou faisant semblant de le méconnaître, l’a entrepris dans une conversation où, par un persiflage allégorique et soutenu, elle a continuellement comparé ses opérations a des drogues, mauvaises, altérées, falsifiées, rajustées. Quand on en est venu à l’éclaircissement, elle a prétendu l’avoir pris pour l’apothicaire de Sa Majesté. Ceux qui connaissent madame la princesse de Talmont assurent quelle est d’une gaieté à se permettre pareille malice.

22. — Un anonyme vient de s’attacher à la critique particulière du quinzième chapitre de Bélisaire, sous le litre de Lettre à M. Marmontel par un déiste converti[287]. L’auteur, qui entre en lice, discute dialectiquement toutes les propositions qu’il regarde comme répréhensibles, et finit par dire qu’il faut que M. Marmontel ait bien du temps à perdre pour s’être amusé a faire un écrit plein de contradictions, de sophisme et d’impiétés. Cette brochure peut se mettre encore au rang des Honnêtetés théologiques.

23. — Il court de temps en temps ici de petites historiettes, dont les oisifs s’emparent avec avidité ; elles servent d’aliment aux conversations ; chacun se les transmet avec plus ou moins de grâces ; mais à force d’être répétées et ressassées, elles acquièrent un air de vérité, et se perpétuent jusqu’à ce qu’il succède quelque chose de nouveau. L’aventure du capucin de Meudon peut être mise au rang de ces contes frivoles, quoique bien des gens l’attestent.

Ce capucin était un frère quêteur qui revenait dans son couvent avec ce qu’il avait de poisson pris. Un voleur l’arrête et lui demande, le pistolet sous la gorge, la bourse ou la vie. Le moine fait ses représentations, lui déclare que c’est tirer la poudre aux moineaux, qu’un homme de sa robe n’a pas grand’chose à donner : l’autre insiste, lui fait vider ses poches, ses goussets, ses aisselles, sa tirelire, forme une capture de trente-six livres, et s’en va. Le moine le rappelle, et lui dit : « Monsieur, vous me paraissez mettre bien de l’humanité dans votre procédé ; rendez-moi un service ; je vais rentrer dans mon couvent : j’aurais besoin de justifier que j’ai été volé, ou je cours risque d’essuyer un châtiment plus cruel que la mort ; tuez-moi, ou fournissez-moi quelque excuse. — Père, que faut-il faire ? — Tirez-moi votre pistolet dans quelque endroit de ma robe, que je puisse prouver avoir fait quelque défense. — Volontiers, étendez votre manteau. » Le voleur tire. Le capucin regarde. « Mais il n’y paraît presque pas — C’est que mon pistolet n’était chargé qu’à poudre… ; je voulais vous faire plus de peur que de mal. — Mais, vous n’avez point d’autre arme sur vous ? — Non. » À ces mots, le capucin lui saute au collet… : « Coquin ! nous sommes donc à armes égales… » Ce moine était grand, gros et vigoureux ; il terrasse le voleur, le roue de coups, le laisse pour mort sur la place, reprend ses trente-six livres et un louis en outre, et revient triomphant à son couvent.

25. — M. de La Louptière a envoyé à M. Dorat le madrigal suivant, à l’occasion de l’épigramme qu’on a vue sur les vers de ce poète :

Ne teNon, les clameurs de tes rivaux
Ne te raviront point le talent qui t’honore ;
Ne teSi tes fleurs étaient des pavots,
Ne teTes jaloux dormiraient encore.

27. — La demoiselle Duprat, chanteuse des chœurs de l’Opéra, ayant besoin de deux cent soixante-huit livres, il y a neuf ans, M. Poinsinet s’offrit de les lui faire trouver sur une montre de quarante louis qu’elle avait. Cette demoiselle lui confia sa montre, et M. Poinsinet lui apporta l’argent, sans lui donner aucun renseignement sur ce qu’était devenu le bijou ; il se contenta de lui en faire une reconnaissance. Quelque temps après, mademoiselle Duprat, se trouvant en fonds, remit à son agent douze louis pour retirer sa montre et payer le principal et les arrérages du prêt : oncques depuis elle n’a revu ses douze louis, ni sa montre, ni M. Poinsinet. Depuis qu’il est question de son opéra, elle a retrouvé cet auteur ; elle l’a d’abord traduit devant M. le lieutenant-général de police, qui a bien voulu s’en mêler. Mais ce magistrat ayant en vain interposé sa médiation, il a conseillé à la demoiselle de porter l’affaire en justice réglée ; ce qui a été fait. Un nommé Vermeille, avocat en possession de faire des mémoires plaisans et de remplacer le sieur Marchand à cet égard, se propose de s’égayer sur la friperie de M. Poinsinet. Il y a de quoi.

29. — Le Parlement et le Conseil s’étant battus réciproquement à l’occasion d’un maître des requêtes, nommé Chardon, un facétieux a fait l’épigramme suivante :

Pour un Chardon on voit naître la guerre.
Le Parlement à bon droit y prétend,
LeEt d’un appétit dévorant
LeS’apprête à faire bonne chère.
Le roi leur dit : « Messieurs, tout doucement !
LeJe ne saurais vous satisfaire :
LeLaissez là tout cet appareil ;
LeJe vois mieux ce qu’il en faut faire ;
LeJe le garde pour mon Conseil ! »


1768.

2 Janvier. — M. Dupont, trésorier de l’École Militaire et associé à l’intendance dont il a la survivance, vient de publier un livre intitulé la Physitocratie, ou Constitution naturelle du gouvernement le plus avantageux au genre humain[288]. Cet ouvrage, qui devrait être à la portée des gens les plus simples, puisqu’il traite de la beauté de la nature et des travaux de la campagne, commence par un titre scientifique et inintelligible. C’est un membre de la société des Économistes, et voilà à peu près comme écrivent tous ces messieurs.

3. — La cour redoutait l’assemblée de la Faculté de Théologie qui devait se tenir hier. En conséquence, le syndic Riballier avait une lettre de cachet qui défendait toute délibération quelconque sur la Censure de Bélisaire, réputé l’ouvrage complet et absolu de ce corps. Le doyen Xaupy avait ordre, en cas qu’on voulût faire des représentations sur le fond et sur la forme, de déclarer qu’il n’y pouvait consentir ; que les sages maîtres pourraient cependant en délibérer dans des assemblées particulières, mais qu’il ne pourrait en être question dans une assemblée générale. Soit que les craintes du ministère fussent mal fondées, soit que les docteurs eux-mêmes, qui n’ignoraient pas ce dont il était question, fussent effrayés, il a été faiblement parlé de la Censure : la délibération a encore été renvoyée, et les doyen et syndic n’ont pas été dans le cas de faire usage de leurs pouvoirs. Cette circonstance embarrasse M. l’archevêque, dont le mandement est tout imprimé. On ne sait s’il le fera paraître. On le dit bon, en ce qu’il est court et qu’il a la prudence de ne traiter que vaguement l’article ces deux pouvoirs.

4. — Les Comédiens Italiens ont donné aujourd’hui la première représentation de l’Ile sonnante, comédie en trois actes mêlée d’ariettes. Les paroles sont de M. Collé, lecteur de M. le duc d’Orléans, la musique est de Monsigny. Cette pièce de féerie, dont il était question depuis long-temps, et qu’on paraissait avoir rejetée comme détestable pour le poëme, a trouvé grâce, retouchée par le sieur Sédaine, qui n’a pu, avec tout son talent, en faire un bon drame. C’est un amphigouri, une parade, une parodie ; c’est, en un mot, un ouvrage très-digne des tréteaux de la Foire, qui a pu amuser, à Bagnolet, la cour de M. le duc d’Orléans, mais qui n’a aucun sel pour le public. Peut-être qu’en un acte cette bouffonnerie aurait passé, et se serait soutenue par sa gaieté folle. La musique est pleine de choses agréables. Il y a de belles décorations. M. le duc d’Orléans, comme protecteur de l’auteur, était annoncé sur l’affiche.

7. — Le militaire philosophe, ou Difficultés sur la religion, proposées au R.P. Mallebranche, prêtre de l’Oratoire, par un ancien officier[289]. Tel est le titre du livre dont, si l’on en croit l’avertissement, on ne connaît point l’auteur. Ce traité est imprimé pour la première fois d’après un manuscrit provenant de l’inventaire de feu M. le comte de Vence. Ce livre dangereux est composé avec beaucoup de méthode et de logique. Il est d’un homme qui cherche plus à convaincre qu’à persuader. Nul enthousiasme, nulle chaleur ; un style simple, un raisonnement froid : voilà ce qui le caractérise. Il est assez dans le goût et dans le style de Fréret. On promet au public un ouvrage du même philosophe sur la morale[290]. Il annonce lui-même, dans une note, que ses principes sur cette matière sont développés dans un autre traité, où il prétend faire voir l’indépendance de la morale de toute religion factice, qui ne peut jamais que nuire à la morale universelle, ou à la religion de la nature.

9. — Les Français ont donné aujourd’hui Amélise, tragédie nouvelle d’un M. Ducis, employé dans les bureaux à Versailles, âgé de plus de quarante ans[291]. Ce drame, qui ne mérite aucune analyse, est tombé, sans pouvoir se relever comme tant d’autres. On ne conçoit pas comment les Comédiens, qui font les difficiles vis-à-vis les auteurs, et sont quelquefois plusieurs années à recevoir une pièce, ont pu agréer celle-ci, détestable en tout point, qui n’a pu les séduire ni par des coups de théâtre, ni par la beauté de la versification. Cet exemple prouve mieux que jamais combien ces juges sont ineptes et destitués de toutes les qualités nécessaires pour un pareil examen.

10. — On parle d’une plaisanterie récente de M. de Voltaire, intitulée le Dîner du comte de Boulainvilliers. C’est un dialogue entre un grand-vicaire, l’abbé Couet, M.  et madame de Boulainvilliers et Fréret, ce fameux athée, de l’Académie des Belles-Lettres. Il est en trois parties, embrassant l’avant-dîner, le dîner et l’après-dîner. La religion est ordinairement la matière principale des nouveaux pamphlets de M. de Voltaire. Celui-ci est encore fort rare : on le dit très-gai et très-impie.

11. — Dans un conseil tenu le lundi 4 janvier, Sa Majesté a signé le nouveau projet pour continuer la reconstruction du Louvre. Il y a eu de grands débats. M. le contrôleur-général s’opposait fortement à cette dépense. M. le marquis de Marigny l’a emporté, il sera appelé le Palais des sciences et des arts. On y doit transporter la Bibliothèque du Roi, y établir un Muséum, c’est-à-dire une galerie, où l’on placera les bustes et les monumens élevés aux génies de la nation. Les cabinets d’histoire naturelle, les académies, les tableaux du roi, etc., occuperont ce grand monument. On doit vendre l’emplacement de la Bibliothèque du Roi, lorsqu’elle sera transportée.

12. — Il se passe de grands mouvemens dans la littérature relativement au Mercure. Un ci-devant avocat, devenu libraire, nommé Lacombe, offre de se charger de l’entreprise du journal, de payer toutes les pensions assignées dessus, de faire un sort très-heureux à M. de La Place, d’augmenter même les fonds de cet établissement. Il ne demande que la liberté de faire faire l’ouvrage par qui bon lui semblera. Ou croit que c’est pour le remettre entre les mains de M. Marmontel.

15. — M. Rousseau de Genève étant venu à Paris avec son opéra des Neuf Muses[292], que les nouveaux directeurs lui ont demandé, il s’en est fait une répétition chez le prince de Conti, au Temple, d’où l’on a conclu que cet opéra n’était pas jouable. M. Rousseau a par occasion été voir son Devin de village ; il est sorti enthousiasmé du jeu de mademoiselle d’Ervieux.

16. — La Faculté de Médecine a rendu hier un décret de tolérance à l’égard de l’inoculation. Il a passé à la pluralité de trente voix contre vingt-trois ; mais il faut qu’il soit confirmé dans une assemblée subséquente. Lorsque le décret de la Faculté sera revêtu de toutes ses formalités, il faudra qu’il soit remis au procureur-général. Il sera ensuite communiqué à la Faculté de Théologie, qui s’expliquera et donnera sa décision. Avant que ce concours de suffrages soit réuni, il s’écoulera bien du temps.

17. — On vient de rendre publique, dans un écrit périodique qui s’imprime en Allemagne, une Relation authentique de la mort du marquis de Monaldeschi, grand-écuyer de la reine Christine de Suède, par le R.P. Le Bel, prieur de la sainte Trinité du couvent de Fontainebleau, copiée sur le manuscrit original qui est conservé dans la bibliothèque de ce couvent. Ce morceau d’histoire[293] est d’autant plus curieux, que ce prieur Le Bel est celui que la reine prit pour unique confident dans cet assassinat, et qui fut le confesseur du patient.

18. — La secte des Économistes a une rivale. À la tête de ce dernier parti est M. de Forbonnais. Les premiers regardent l’agriculture comme le seul bien d’un État. Ceux-ci font résider sa richesse dans les manufactures et dans le commerce. Ces messieurs, suivant l’usage, se chantent pouille réciproquement. Chaque parti a un journal, qui est comme l’arsenal où se déposent tous les traits qu’on se lance de part et d’autre. Les Éphémérides, dont on a parlé, est celui des Économistes : le Journal économique est le répertoire de l’autre secte. C’est M. de Grâce qui fait ce dernier journal.

19. — L’assemblée de la Faculté de Théologie du prima mensis de ce mois, prorogée au jour du lundi 18, a enregistré la lettre de cachet du Roi[294], qui leur défend de délibérer et de réclamer contre l’addition faite à la Censure de Bélisaire, et a cependant délibéré que cette addition n’était pas son ouvrage, s’abstenant néanmoins de dire son sentiment sur le fonds de cette addition.

M. l’abbé Barthélemy, garde des médailles du roi, de l’Académie des Belles-Lettres, a succédé à M. Dubois dans la place de secrétaire-général des Suisses. Cette place vaut trente mille livres de rentes. Elle est faite pour un tout autre homme qu’un savant, et des officiers généraux l’ont reçue pour récompense.

20. — La fermentation de Bretagne semble se soutenir malgré le laps du temps. On vient d’imprimer, au commencement de cette année, la Liste des membres du Parlement actuel de Rennes, avec des notes satiriques. On y a joint une lettre de M. Dugay, nouvel intendant de Bretagne, très-propre à le couvrir de ridicule. On y a joint un jeu de mots qui n’en est peut-être un qu’aux oreilles.

22. — M. Sédaine, auteur du Philosophe sans le savoir, ayant envoyé chercher de l’argent à la caisse des Comédiens, a été fort surpris quand on lui a dit que la pièce était tombée dans les règles, et qu’il n’y avait plus de droit. L’auteur confondu a écrit aux histrions une lettre à cheval, où il les traite avec le dernier mépris, et attaque même leur probité, en se plaignant : 1° qu’il n’a point été averti ; 2° que les Comédiens ont malicieusement joué sa pièce dans des circonstances malheureuses, où ils sentaient bien qu’il n’irait personne au spectacle ; 3° qu’ils louent pour cinquante mille écus de petites loges à l’année, dont le produit réparti devait entrer dans le calcul journalier ; 4° qu’ils ont une infinité d’entrées arbitraires, dans lesquelles les auteurs ne devraient pas entrer, et qu’il faudrait mettre encore en ligne de compte. Les Comédiens ont été fort indignés qu’un comique maçon les traitât avec cette hauteur. On assure qu’en conséquence ils ont arrêté qu’ils renverraient leurs rôles à M. Sédaine, et que sa pièce ne serait plus représentée, pour preuve de leur désintéressement et de leur générosité. Cette affaire fait grand bruit, et pourrait être mise en justice.

23. — L’abbé Routh, ou plutôt le père Routh, car il n’avait jamais abjuré l’institut des Jésuites, retiré à Bruxelles, vient d’y mourir. Il avait travaillé à la continuation de l’Histoire romaine des Pères Catrou et Rouillé. Il avait eu part aux journaux de Trévoux pendant plusieurs années, et passait en outre pour un génie délié et politique, très-initié dans les mystères de son ordre, dont il était grand enthousiaste.

24. — l’abbé Le Gendre, grand-oncle de madame la duchesse de Choîseul, de madame la maréchale de Broglie, frère de madame Doublet, fameuse par sa société illustre, savante et choisie, vient de mourir, âgé de quatre-vingt-huit ans. C’était une espèce d’homme de lettres médiocre, mais fort lié avec beaucoup d auteurs, et surtout avec Piron, qui l’a célébré dans différentes pièces de vers. Il avait fait une comédie du Gourmand. On peut juger, par cet échantillon, dans quel genre il travaillait. Il n’a rien fait imprimer. Du reste M. l’abbé Le Gendre avait les mœurs très-douces, était un excellent convive, et jouissait, dans la plus grande vieillesse, de cette santé de corps à laquelle contribue beaucoup la tranquillité d’âme, qu’il a conservée jusqu’au dernier instant.

24. — On parle beaucoup d’une belle action de mademoiselle Guimard, la première danseuse de l’Opéra. Cette actrice, très-célèbre par ses talens, ayant eu un rendez-vous, dans un faubourg isolé, avec un homme dont la robe exigeait le plus grand mystère, a eu occasion d’y voir la misère, la douleur et le désespoir répandus dans le peuple de ce canton, à l’occasion des froids excessifs. Ses entrailles ont été émues d’un pareil spectacle, et des deux mille écus, fruit de son iniquité, elle en a distribué elle-même une partie, et porté le surplus au curé de Saint-Roch pour le même usage. On sera peut-être surpris qu’il y ait un homme assez fou pour payer aussi cher une semblable entrevue. On le sera moins quand on saura que mademoiselle Guimard est entretenue, par M. le maréchal prince de Soubise, dans le luxe le plus élégant et le plus incroyable. La maison de la célèbre Deschamps, ses ameublemens, ses équipages, n’approchent en rien de la somptuosité de la moderne Terpsichore. Elle a trois soupers par semaine : l’un composé des seigneurs de la cour et de toutes sortes de gens de considération ; l’autre, d’auteurs, d’artistes, de savans, qui viennent amuser cette Muse, rivale de madame Geoffrin en cette partie. Enfin un troisième, véritable orgie, où sont invitées les filles les plus séduisantes, les plus lascives, et où la luxure et la débauche sont portées à leur comble.

25. — Les Comédiens Français ont donné aujourd’hui la première représentation des Fausses Infidélités, comedie en un acte et en vers de M. Barthe. On ne s’attendait pas que le froid auteur de la pièce exciterai la sensation qu’il a faite aujourd’hui. On a trouvé dans son drame une adresse d’intrigue, une vivacité de dialogue, un piquant de style, qui lui ont procuré tous les suffrages. On ne peut dissimuler que le jeu des acteurs n’ait infiniment contribué à ce succès : Molé surtout s’est distingué par les grâces et par le feu qui lui sont naturels, mais où il s’est en quelque sorte surpassé lui-même. On a demandé unanimement l’auteur, qui a paru avec la modestie convenable dans un triomphe.

26. — Il n’est point de passion que le temps n’use à la fin. Mademoiselle Clairon est dans la plus grande désolation ; M. de Valbelle, sur le cœur duquel elle comptait au point de se flatter de l’épouser, vient de la jeter dans le désespoir par une apparition subite qu’il a faite après une longue absence, et un retour encore plus rapide en Provence, où il est, dit-on, éperduement épris d’une femme de considération.

— Les directeurs de l’Opéra, pour se dédommager du peu de monde qu’ils ont à leur spectacle, ont imaginé de former des quadrilles pour les bals, qu’ils ont composés des danseuses les plus élégantes et les plus agréables, avec des habillemens très-propres a exciter la curiosité. Ce genre varié d’amusemens attire beaucoup de gens, amateurs de la nouveauté.

27. — Les Italiens ont donné aujourd’hui la première représentation des Moissonneurs, comédie en trois actes et en vers, mêlée d’ariettes. Les paroles sont de M. Favart, et la musique est de M. Duni. Quant au drame, c’est exactement l’histoire de Booz, de Ruth et de Noémi. Il est singulier de voir un tel sujet présenté sur un pareil théâtre. Quelque susceptible qu’il soit de morale et d’intérêt, il prête peu à la gaieté, aux sarcasmes, qu’on regarde comme l’assaisonnement des drames chantans. Il y a dans le premier acte des morceaux philosophiques sur l’agriculture, trop embellis d’un esprit étranger à la chose. Quoi qu’il en soit, la pièce a été reçue avec les transports qu’on a pour tout ce qui vient de cet auteur. La musique est agréable, mais n’a pas cette force d’harmonie dont Philidor a coutume de nous étonner. Madame Favart y a joué, comme de raison, et en faveur de l’enfant qu’elle vient d’avoir, on lui a permis de prétendre encore aux grâces de la coquetterie. Quelques plaisanteries triviales et grossières ont fait remarquer aux critiques deux sortes de style dans cet ouvrage, et l’on veut toujours que l’abbé de Voisenon prête sa main officieuse au sieur Favart. Il est certain qu’on y a distingué deux sels tirés de différentes mines

28. — Le mausolée du cardinal de Fleury, découvert depuis peu à Saint-Louis-du-Louvre, est du sieur Le Moine. On y voit le cardinal couché ; la Religion le reçoit dans ses bras. Aux pieds est la France éplorée, qui détourne les yeux de ce spectacle douloureux. Dans l’enfoncement on reconnaît l’Espérance, ferme sur son ancre, qui, levant les yeux au ciel, semble désigner le bonheur du cardinal. Cette dernière idée du compositeur n’est pas assez sentie par le commun des spectateurs. La figure du cardinal est très-bien ; celle de la Religion a de la noblesse et de l’onction. On n’est pas si content de celle de la France. En général, elles sont trop colossales pour la petitesse du vaisseau, et l’on ne peut y trouver le point de vue nécessaire, Ce monument, qui devait être exécuté aux frais du roi, n’a été payé qu’en partie par Sa Majesté ; la famille a fait le reste, ainsi qu’une chapelle qui est vis-à-vis, où le même artiste a sculpté en relief une Annonciation[295].

30. — On croit que le Mandement de M. l’archevêque contre Bélisaire, après beaucoup de variations de la part de ce prélat, sera lancé incessamment et même publié demain dimanche au prône. Pour le coup, l’auteur sera sans doute obligé de donner une rétractation, pour pouvoir rester dans le sein de l’Académie Française. Un prêtre, nommé Vial, compatriote de Marmontel et l’homme de confiance de M. de Beaumont, avait suspendu le coup jusqu à présent ; mais la foudre va partir. Les plaisans continuent à rire de l’auteur. On rajeunit l’épigramme ci-jointe, peu répandue jusqu à présent :

Il Si Marmontel eût été Bélisaire,
Il eût bien mieux parlé du trône et de l’autel :
Il Si Bélisaire eût été Marmontel,
Il eut pris sagement le parti de se taire.

31. — Le gentilhomme ordinaire de la chambre de service a voulu réconcilier le sieur Sédaine avec les Comédiens. Il l’a envoyé chercher, et l’a sollicité de faire quelques politesses à la troupe. Cet auteur s’y est refusé, et Préville a juré de ne point jouer dans la Gageure de village, petite pièce en un acte de ce poète maçon, annoncée depuis long-temps. Il y a apparence quelle sera mise au rebut. L’autorité, en général, ménage beaucoup les histrions. Ier Février. — Épigramme de M. Marmontel contre M. Piron[296].


Le vieil auteur du cantique à Priape,
Humilié, s’en allait à la Trappe,
Pleurant le mal qu’il avait fait jadis.
Mais son curé lui dit ; « Bon Métromane,
C’est bien assez d’un plat De profundis.
Rassurez-vous : le Seigneur ne condamne
Que les vers doux, faciles, arrondis ;
Ce qui séduit, voilà ce qui nous damne :
Les rimeurs durs vont tous en paradis. »

— Avant hier on a brûlé au pied du grand escalier un livre intitulé : Histoire impartiale des Jésuites, depuis leur établissement jusqu’à leur première expulsion. L’arrêt du Parlement, rendu le 29 janvier et publié aujourd’hui, le condamne comme contenant des maximes dangereuses, des principes erronés et une déclamation indécente contre tous les ordres monastiques. Ce livre est de M. Linguet, auteur de la Théorie des lois civiles.

— On a publié hier au prône le Mandement de M. l’archevêque de Paris, portant condamnation d’un livre qui a pour titre : Bélisaire, par M. Marmontel, de l’Académie Française. M. l’archevêque fait lui-même l’analyse de son Mandement dans sa conclusion. Il y donne la récapitulation de tous les points traités dans le corps de l’ouvrage. Il y dit que la raison doit être subordonnée à la révélation ; qu’il sera toujours glorieux aux souverains de protéger la foi catholique ; que c’est leur droit et leur devoir, en usant du glaive (comme il est dit au corps du Mandement, page 34) ; que la religion catholique est le plus ferme appui du trône. La conclusion du Mandement condamne l’ouvrage de Bélisaire, comme contenant des propositions fausses, captieuses, téméraires, scandaleuses, impies, erronées, respirant l’hérésie et hérétiques. Ce Mandement contient cinquante-six pages in-4°.

2. — On a dû jouer aujourd’hui, sur le théâtre de madame la duchesse de Villeroi, l’Honnête criminel. Ce drame a été resserré et retouché, quant au style, par M. Marmontel et autres auteurs de cette cour-là. Ce sont les Comédiens Français qui représentent. Il y a eu dimanche une répétition très-larmoyante.

5. — Le bal de cette nuit a été fort gai. Le sieur Poinsinet en a fait en grande partie les honneurs et le plaisir. Différentes demoiselles des quadrilles, à la tête desquelles était mademoiselle Guimard, ont entouré le poète qui n’était point masqué, et, sans dire gare, sont tombées sur lui à coups de poing, à qui mieux mieux. En vain le pauvre diable, qui n’osait se revancher, demandait pourquoi ou le tourmentait ainsi ? « Pourquoi as-tu fait un méchant opéra ? » lui répondait-on en chorus. Et les coups de pleuvoir de nouveau sur lui comme grêle. Cette farce, assez bête, a attiré tous les spectateurs, et n’en fut pas moins désagréable pour le sieur Poinsinet, qui a eu beaucoup de peine a s’échapper, roué, moulu de coups, maudissant sa gloire, et sentant combien une grande réputation est à charge.

5. — Il s’est répandu depuis quelque temps un livre sur l’origine et la propriété des biens ecclésiastiques[297]. On l’attribue à M. le marquis de Puységur, lieutenant-général des armées du roi. Il a fait grand bruit par la nouveauté des systèmes de l’auteur. Il y prétend spécialement que les biens ecclésiastiques ne sont autre chose que des usurpations sur la noblesse ; que c’est mal à propos que le clergé s’intitule le premier ordre de l’État, puisqu’il n’est point un ordre distinct et ne peut l’être, Ces assertions hardies dans ce siècle des paradoxes, ont effrayé le clergé, qui est en mouvement pour faire arrêter et supprimer le livre.

6. — Il se répand une Épître de M. Marmontel à mademoiselle Guimard, trop longue pour être transcrite ici. C’est à l’occasion de l’aumône dont on a parlé[298]. Le poète, qui l’appelle jeune et belle damnée, étale dans cette plaisanterie une gaieté pédantesque. On voit qu’il cherche à faire contre fortune bon cœur. Elle ne cadre nullement avec la componction qu’il devrait avoir, et ne sent point le pénitent gémissant sous les censures ecclésiastiques.

À propos de mademoiselle Guimard, on a oublié de dire que M. de La Borde, le valet de chambre ordinaire du roi, ne contribue pas peu à soutenir le luxe de cette actrice. M. le maréchal prince de Soubise est l’amant honoraire ; le second est l’amant utile, mais modeste, se tenant toujours dans la plus grande réserve, sortant comme les autres, et même avant les autres, des soupers brillans qu’elle donne toutes les semaines, ainsi qu’on a dit.

7. — Un écrit imprimé, portant pour titre : Entretien sur l’assemblée des États de Bretagne, en 1766, a été dénoncé, vendredi 5, au Parlement, et il a été ordonné qu’il serait communiqué au procureur-général du roi pour donner ses conclusions[299].

9. — Dans l’assemblée de la Faculté de Théologie du 3 de ce mois, il a été fait lecture d’une lettre de M. le comte de Saint-Florentin au syndic, pour lui dire que l’intention du roi était toujours qu’il ne fût plus parlé de délibéré en rien sur la conclusion de la Censure de Bélisaire. Malgré cette lettre et les défenses de la part du roi, la Faculté continue à s’occuper de cet objet dans des assemblées particulières. Elle n’est pas contente du mandement de M. l’archevêque. Elle reproche à son tour à ce prélat, ou à ceux qui ont fait son Mandement, de ne s’être pas expliqué nettement sur la matière traitée, dans la conclusion de la Censure de Bélisaire, par cette même Faculté.

M. l’archevêque, échauffé par les dévots, s’est plaint au Gouvernement de l’audace avec laquelle le sieur Favart a osé traduire sur le théâtre de la Comédie Italienne un sujet de l’Écriture sainte[300]. Il a demandé suppression de ce drame, tant à la représentation qu’à la lecture. On en a suspendu la vente. Quant au premier point, la pièce va encore et la chose est restée indécise.

11. — M. l’abbé Barthélemy est fort scandalisé d’une farce jouée au bal, qui est une espèce d’épigramme en action contre lui. Un grand homme maigre, sec, dégingandé comme cet abbé, s’est présenté devant l’assemblée, masqué en Suisse, avec une calotte et un manteau noir : « Qu’est-ce que cela, beau masque ? De quel état êtes-vous ? abbé ou Suisse ? — L’un et l’autre, tout ce qu’on voudra, pourvu que cela me rende trente mille livres de rentes[301]. » On prétend que M. le duc de Choiseul est irrité de cette critique, et voudrait découvrir le plaisant.

12. — Une pièce en un acte et en prose de M. Rochon, intitulée les Valets maîtres de la maison, ou le Tour de Carnaval, a été jouée aujourd’hui. Ce n’est qu’une farce établie sur un fond trivial. Rien de piquant dans l’intrigue, ni dans le style. Le seul caractère assez plaisant est celui de Préville, qui a quelquefois des saillies heureuses, une critique fine, très-disparate avec le gros sel dont est saupoudré le reste du drame. On raconte, à propos de cette comédie, un tour d’escroc arrivé récemment, et qui serait beaucoup plus amusant s’il était ajusté au théâtre. Quatre grivois, voulant faire franche lippée, vont chez Aubry et se font donner une chère en gras qu‘ils n’avaient point envie de payer. Après le repas on demande la carte. Le garçon vient ; on commence par lui donner un écu pour boire ; ensuite grande contestation à qui sera l’Amphitryon de la fête. Chacun veut défrayer ses camarades. Enfin, l’un d’eux s’écrie : « Messieurs, nous ne finirions pas, donnons le choix au hasard ; habillons ce garçon en Colin-maillard ; tenons-nous chacun à un coin de la chambre, et celui qu’il touchera de son plein gré sera le payant. » Le garçon admire leur générosité et leur gaieté. On lui bande les yeux, puis s’éclipse l’un après l’autre et emporte ce qu’il trouve d’argenterie. Cependant le garçon se démenait un andabate ; il se lasse enfin ; il crie, il appelle ; le maître monte ; le premier le saisit par le bras comme celui qui devait payer ; le maître ne sait ce que cela veut dire ; il croit son garçon fou ; bref, le tour s’éclaircit, et le traiteur en est pour son repas, ses couverts, etc.

13. — Outre l’Almanach des Spectacles, intitulé les Spectacles de Paris, les intendans des Menus-Plaisirs font imprimer, par ordre des gentilshommes de la chambre, un autre almanach, qui a pour titre : État actuel de la musique du roi et des trois spectacles de Paris. C’est le sieur Vente, libraire, qui a ce privilège, et le livre n’est soumis à aucune inspection de police. Il s’est adressé au sieur Poinsinet pour faire l’article historique de la Comédie Italienne, c’est-à-dire une notice ou espèce d’avertissement concernant ce spectacle. Cet auteur l’a traîné en longueur jusqu’à la veille du jour de l’an, et dans un moment où il le savait à Versailles, il a envoyé le morceau. Le prote et autres garçons, très-pressés et instruits de l’attente du libraire, se sont mis tout de suite en besogne, et l’on a porté l’almanach en présent, suivant l’usage, aux acteurs de chaque Comédie. Ceux de la Comédie Italienne ont été surpris de s’y voir très-maltraités, et d’y trouver un éloge complet du petit auteur ; ils s’en sont plaints à M. le duc de Duras. On a arrêté la vente de l’almanach, et l’on a été obligé de mettre un carton pour corriger l’impertinence du sieur Poinsinet. Le premier exemplaire est devenu très-rare et fort cher.

15. — De tous les scandaleux écrits qui ont paru jusqu’à ce jour, aucun ne méritait plus l’anathème des sages maîtres que celui qu’on vient d’imprimer sous ce titre : le Catéchumène. L’auteur, qui se cache, y rassemble en trente-quatre pages in-12 d’impression, sous une fiction ingénieuse, tout le sel de la plus coupable plaisanterie. On ne peut pas pousser plus loin l’ironie et le sarcasme sur les matières les moins faites pour en être l’objet. On ne doute pas que cet ouvrage soit de M. de Voltaire[302].

16. — Un cordonnier de femme, nommé Charpentier, fait aujourd’hui le second tome de M. André, perruquier si fameux, il y a quelques années, par sa pièce du Tremblement de terre de Lisbonne. Celui-là ne compose point encore, mais joue des comédies chez lui, entre autres Zaïre, où il exécute le rôle d’Orosmane. Cette parade fait l’histoire du jour dans ce pays de modes et d’oisiveté, surtout depuis que le duc de Chartres y a assisté avec d’autres seigneurs de la cour. Ce prince y est allé à six chevaux, et c’est à qui aura des billets pour ce spectacle burlesque.

17. — M. Poinsinet ne joue pas toujours un rôle passif ; il attaque à son tour, et vient de s’escrimer contre M. Marmontel, qu’il plaisante sur son Épître à mademoiselle Guimard[303]. C’est une espèce de lettre en vers, où il reproche à ce philosophe de louer l’action de cette demoiselle, comme si elle était extraordinaire parmi les filles de son état, qu’il trouve aussi susceptibles d’humanité que les autres. Il le blâme ensuite de prétendre qu’un théologien ait nécessairement un cœur de bronze. Cette facétie est trouvée par bien des gens plus légère que celle de M. Marmontel.

19. — Le sieur Sédaine va bientôt paraître en justice pour une anecdote qui ne lui fait point honneur, quelque bon que son procès paraisse au fond et dans la forme. On a parlé[304] de son mariage, exécuté l’année dernière et de la réclamation des héritiers de madame Le Comte morte de chagrin. L’ingratitude de ce poète maçon a contribué autant que la jalousie à faire périr cette femme de douleur. Elle avait fait donation au sieur Sédaine d’une maison ayant trois corps-de-logis, bon et excellent bien. On prétend qu’il voulut, dès qu’il fut marié, la mettre à exécution et faire sortir cette bonne femme de chez elle. Cette scène, renouvelée du Tartuffe, est un des moyens que font valoir les héritiers pour rentrer en possession du bien, et faire casser une donation qu’ils regardent comme le fruit de la séduction et de l’obsession.

20. — Le sieur Auger a débuté hier par le rôle de Huascar de la tragédie des Illinois. Il y avait une affluence de monde prodigieuse. Cet acteur n’a pas vu tout le succès qu’il se promettait. On ne lui a trouve ni la chaleur ni la noblesse nécessaires pour un pareil rôle. Il a cependant été applaudi, surtout dans un endroit où ayant mal débité deux vers qui l’ont fait huer, il n’a point perdu la tête, les a recommencés avec une autre inflexion de voix, et a entraîné les suffrages.

21. — L’Homme aux quarante écus est une nouvelle brochure de M. de Voltaire, où il prétend démontrer d’abord l’absurdité des faiseurs de projets qui voudraient n’établir qu’un impôt unique. Cette critique tombe sur la Richesse de l’État[305] et sur le livre de M. de La Rivière[306]. Il enveloppe ensuite dans ses sarcasmes les deux sectes des économistes et des commercans. Il traite après différentes matières, qu’il passe en revue avec assez peu d’adresse. Il n’est pas jusqu’à la v… qui n’y trouve sa place et son chapitre. Cette facétie n’est point amusante comme les autres ; elle n’a ni grâce ni légèreté. Fréron, Nonotte et tous les autres plastrons ordinaires des railleries et des injures de M. de Voltaire reparaissent encore sur la scène. Cela devient fastidieux jusqu’à la nausée.

22. — On ne parle plus de l’affaire du sieur Poinsinet[307]. On assure pourtant qu’elle se poursuit toujours par les voies ordinaires de la justice. Des gens prétendent même qu’il y aura un mémoire, non par l’avocat Vermeille, mais par Palissot, auquel cas il sera plus méchant que plaisant. D’ailleurs il est à craindre qu’il ne vienne trop tard.

25. — M. l’abbé Bandeau, secrétaire de la société des Économistes et rédacteur de leur journal, appelé les Éphémérides du citoyen, va en Pologne, où on lui fait avoir une prévôté royale, bon et excellent bénéfice. On prétend que le monarque, d’ailleurs, est bien aise d’avoir ses conseils pour la législation, dont il doit devenir maître incessamment ; auquel cas il veut mettre en pratique les principes essentiels de la société politique. En un mot, cet abbé va être le pendant de M. de La Rivière en Russie. Les gens de Paris, qui ont vu de près ces modernes Solons, rient bien de voir associés au gouvernement des États ces philosophes cyniques, qui ne savent pas gouverner leur ménage. On reproche entre autres choses à M. de la Rivière d’avoir un femme qu’il tient éloignée de lui, et pour laquelle il a les plus mauvaises manières.

26. — Le Triomphe de la probité, comédie en deux actes et en prose, imitée de l’Avocat, comédie de Goldoni. Madame Benoît est auteur de ce drame. La pièce est conduite sagement et écrite avec facilité. On désirerait plus d’art dans le tissu de l’intrigue et plus de force dans les caractères.

28. — L’inépuisable auteur du Siècle de Louis XIV vient de donner, sous le nom de Josias Rossette, ministre du saint Évangile, un Sermon prêché à Bâle le premier jour de l’an 1768. Cet écrit très-agréable à lire, roule sur l’esprit de tolérance qui commence à se répandre de proche en proche. L’impératrice des Russies y est célébrée avec un faste, un enthousiasme fort à la mode chez la secte encyclopédique. Le roi de Pologne y est aussi prôné. Il est fâcheux que l’auteur, après avoir débuté d’une façon grave et imposante, ne puisse soutenir le même ton, et revienne aux mauvaises plaisanteries qu’il a remâchées cent fois contre la religion, qui peuvent faire rire dans un ouvrage ad hoc, mais sont toujours déplacées dans un discours sérieux.

Ier Mars. — Il paraît un livre intitulé : Doutes sur le livre de l’ordre naturel et essentiel des sociétés politiques. On y prétend que M. de La Rivière, sous l’apparence de l’amour de la justice et de l’humanité, n’est qu’un promoteur dangereux du despotisme le plus décidé et le plus complet. Il règne dans cet ouvrage une fierté de caractère, un goût pour la liberté, bien digne de l’auteur des Observations sur L’Histoire de France. Tout le monde sait que le Gouvernement a arrêté la suite de ce livre ; que, pour mieux fermer la bouche à M. l’abbé Mably, on avait tâché de le séduire par la faveur ; qu’en conséquence on avait fait demander par Sa Majesté même à M. l’évêque d’Orléans, pour cet abbé, un bénéfice dont il est pourvu ; qu’il est en outre occupé pour les affaires étrangères. Bien des gens sont surpris de voir cet auteur, qu’on croyait vendu à la cour, déployer dans ce nouvel ouvrage une vigueur, une indépendance plus propres au patriote qu’au courtisan. Il donne pourtant à croire qu’il n’a pris la plume que par ordre de la cour, ou qu’avec son agrément ; que M. de La Rivière n’a point rempli l’objet qu’il s’était proposé, et que son livre ne plaît point dans ce pays-là autant qu’il l’espérait. On en peut conclure que le Gouvernement a peut-être bien autorisé M. l’abbé Mably à répondre à M. de La Rivière, mais que celui-ci a un peu abusé de la permission. Le livre de M. de La Rivière déplaît au Gouvernement, en ce qu’il voudrait ramener tous les impôts à un impôt unique, et que trop de gens sont intéressés au système contraire pour qu’il réussisse.

2. — On a parlé d’un ouvrage intitule : Entretiens sur l’assemblée des États de Bretagne[308], composé par ordre et sous les auspices de M. le duc d’Aiguillon. Il paraît aujourd’hui la contre-partie : c’est la Lettre d’un gentilhomme de Bretagne à un noble Espagnol. Elle est fort rare et roule principalement sur les menées des Jésuites pour se venger de M. de La Chalotais. Il règne dans cet écrit une aigreur peu propre à inspirer la confiance, et toujours maladroite de la part de l’auteur.

3. — On vient d’imprimer les Trois Imposteurs, manuscrit relégué jusqu’à présent dans les plus profondes ténèbres. Cet ouvrage, sur lequel il y a plusieurs dissertations pour prouver à qui on l’attribue, est un de ceux qui ont excité le plus de recherches dans leur temps. Aujourd’hui que ce genre de dispute s’est multiplié à l’infini, on n’y trouve plus que des choses peu nouvelles. On y a joint une Lettre du sieur Pierre Frédéric Arpe, de Kiel dans le Holstein, auteur de l’Apologie de Vanini, imprimée à Rotterdam, in-8°, 1712. Il rend compte dans cette Lettre de la manière dont il a eu le manuscrit De tribus Impostoribus, et dont il en a fait la traduction ; en sorte qu’il n’y a guère lieu de douter de l’existence de ce livre infernal.

4. — M. de Voltaire, grand défenseur de Bélisaire, vient de répandre une plaisanterie contre le mandement de M. l’archevêque de Paris sur cet ouvrage. Elle est intitulée : Lettre de l’archevêque de Cantorbery à l’archevêque de Paris. Cette facétie, dans laquelle l’Anglais appelle Milord le français, n’est soutenue ni par le raisonnement ni par la gaieté. Elle ne tire sa célébrité que de son auteur, et cette célébrité ne peut être qu’éphémère. Il y a un post-scriptum, où fauteur a rapproche différens évènemens, concernant la décadence du pouvoir papal sous une allégorie soutenue et dans le goût anglais.

6. — Les représentations des Moissonneurs se continuent avec une fureur qui redoublerait, s’il était possible, et si la salle pouvait s’élargir. Il n’y a pas de représentation où quelques gens étouffés, pour le moment, n’attestent la bonté du spectacle. Quoi qu’il en soit, les dévots sont outrés de ce succès, et n’ayant pu arrêter le cours de ta pièce, ils ont voulu se venger sur le censeur, dont voici l’approbation littérale :

« J’ai lu par ordre de monseigneur le vice-chancelier les Moissonneurs. Si l’on n’avait représenté sur nos théâtres que des pièces de ce genre, il ne se serait jamais élevé de question sur le danger des spectacles, et les moralistes les plus sévères auraient mis autant de zèle à recommander de les fréquenter, qu’ils ont souvent déclamé avec chaleur pour détourner le public d’y assister. À Paris, ce 24 janvier 1768 Signé Marin. »

Cette approbation, en effet très-singulière, a fait crier contre le sieur Marin, et le clergé s’est remué avec chaleur pour s’en plaindre. La rumeur paraît pourtant apaisée ; mais il a fait mettre des cartons à tous les exemplaires qu’il a pu retirer, et a substitué une approbation toute simple. M. le contrôleur-général l’a rayé de sa main sur la liste des pensions, et il lui en a ôté mille livres qu’il avait.

7. — On débite à l’occasion des circonstances actuelles, relatives à la Bretagne et à la nomination de M. Ogier pour aller tenir les États extraordinaires de Saint-Brieuc, une centurie de Nostradamus que voici :

Dans une armurique cité
Doit être allégresse publique,
Quand Aiguillon sera piqué
Par le dard du valet du pique[309].

8. — Madame Denis, nièce de M. de Voltaire, et sa compagne fidèle depuis nombre d’années, vient de quitter ce cher oncle, et est à Paris depuis peu avec madame Dupuits, la petite-fille du grand Corneille, et qui doit son établissement au zèle officieux de M. de Voltaire. Cette séparation donne lieu à mille propos que le temps seul peut éclaircir. On débite aussi que M. de Voltaire va à Stuttgard, chez le duc de Wurtemberg, répéter des sommes considérables qui lui sont dues. D’autres donnent à ce voyage un motif plus important et plus fâcheux. Ils disent que M. de La Harpe, accueilli par M. de Voltaire avec tant de bonté, a eu l’ingratitude de lui voler des manuscrits, où il s’explique, avec toute la liberté qu’on se permet dans le silence du cabinet, sur le Gouvernement de France, les ministres et le roi même ; que, dans la crainte que cette publicité ne lui attire des ennemis redoutables et de fâcheuses affaires, il avait cru devoir prévenir la poursuite de sa personne en se retirant chez l’étranger.

9. — Mademoiselle Heinel, danseuse de Stuttgard, élève du sieur L’Épi, élève lui-même du sieur Vestris, est à Paris, et a débuté à l’Opéra le 26 du mois dernier. Sa manière noble, majestueuse, et accompagnée des grâces sévères de la haute danse, attire tout Paris. On croit voir Vestris danser en femme. La structure un peu colossale de cette Allemande et les grands traits de sa figure ne plaisent pas également à tout le monde.

10. — Relation de la mort du chevalier de La Barre, par M. Cassen, avocat aux conseils du roi, à M. le marquis de Beccaria. Toute cette histoire tragique est contée de manière à inspirer l’horreur la plus forte contre les auteurs du jugement dont il y est question. Il faut se rappeler que ce malheureux jeune homme a été condamné à la mort pour quelques impiétés dont, on l’accusait, qui ne paraissent pas bien prouvées, qui pouvaient s’attribuer à un excès d’intempérance, et qui d’ailleurs ne faisaient aucun tort direct à la société.

11. — L’épître suivante, peu recherchée pour son mérite poétique, va être consignée ici comme pouvant servir à l’histoire et faire anecdote.


Épître à M. Le président Ogier,
Sur sa mission en Bretagne,

Pour les fanges de la Vilaine
Quitter les trésors de la Seine,
Cher Ogier, quel aveuglement !
Tu veux passer bien saintement
La rigoureuse quarantaine.
Reçois mes adieux : Carnaval
Est trop bien ici pour te suivre
Dans un pays où tout va mal,
Où pas un homme ne s’enivre,
Nulle femme ne songe au bal.
Long-temps j’en ai fait mes délices ;
Mais depuis un lustre je vois
Qu’on ne parle à ces bons Gaulois
Que de dragons et de supplices :
Que pour les réduire aux abois,
De par le plus juste des rois,
On a fait cent mille injustices
Et violé quarante lois.
Malheureux ! la cour les abhorre
Et les hait : c’est là le bon ton.
Que vas-tu faire en ce canton ?
Tu brûles d’être utile encore
À notre bien-aimé Bourbon ;
Tu veux que son peuple breton
Plus que jamais l’aime et l’adore,
Et ne tremble plus à son nom.
Quoi donc ! oserais-tu lui dire
Qu’en dépit de leurs ennemis,
Les Bretons sont les plus soumis,
Les plus zélés de son empire ?
Je te crois un peu trop prudent :

Dans ce pays, cher président,
Répands de nouvelles alarmes ;
Prends ce qui lui reste d’argent ;
Laisse-lui ses fers et ses larmes.

14. — Mademoiselle Grandi, danseuse en double de l’Opéra et figurante d’un talent médiocre et d’une figure très-ordinaire, se plaignait, il y a quelques jours, sur le théâtre de l’Opéra, d’avoir perdu un amoureux qui lui avait donné mille louis en cinq semaines. Un des spectateurs lui dit qu’elle était faite pour trouver aisément à remplacer cette perte. La demoiselle répond que cela ne se répare pas si facilement : elle ajoute qu’en tout cas elle ne veut d’amant qu’à la condition d’un carrosse et de deux bons chevaux, avec au moins cent louis de rentes assurées pour les entretenir. La conversation tombe. Le lendemain il arrive chez mademoiselle Grandi un magnifique carrosse, attelé de deux chevaux. Trois chevaux suivent en lesse, et l’on trouve cent trente mille livres en espèces dans le carrosse. On ne dit point encore le nom de ce magnifique personnage, bien digne d’être inscrit dans les fastes de Cythère. On assure que c’est un étranger, ce qui est injurieux pour la galanterie française.

— On ne tarit point sur les histoires de toute espèce auxquelles donne lieu l’arrivée de madame Denis dans ce pays-ci. Il passe pour constant aujourd’hui que M. de Voltaire est encore à Ferney, avec un secrétaire et le Père Adam, qu’il a recueilli lors du désastre de la Société, et duquel il disait plaisamment, en le présentant à la compagnie : « Messieurs, voilà le Père Adam. Il est inutile de vous avertir que ce n’est pas le premier homme du monde. » En effet, ce Jésuite est, dit-on, très-borné.

17. — Trop est trop : capitulation de la France avec ses moines et religieux de toutes les livrées, avec la revue générale de tous ses patriarches. Tel est le titre d’une œuvre du sieur Maubert, mort depuis peu à Altona. On sait que cet auteur était transfuge d’un couvent de capucins de France ; il s’ensuit que les religieux ne sont sûrement pas bien traités dans cette brochure satirique, et qui par-là même est très-amusante. Il y règne une licence réprouvée chez les honnêtes gens, mais qui réveille leur attention.

19. — On écrit de Rennes que le procureur général ayant requis que la Lettre d’un gentilhomme de Bretagne à un noble Espagnol[310], dont on a parlé, fut brûlée par la main du bourreau, un des conseillers du Parlement, dit : « Eh ! Messieurs, ne nous lasserons-nous jamais de faire brûler la vérité ? »

20. — Le mariage de mademoiselle Mazarelli, cette virtuose également connue sur le Parnasse et à Cythère, est enfin déclaré avec M. le marquis de Saint-Chamond. Elle jouit de tous les honneurs et privilèges de son titre de marquise ; elle a pris livrée ; on lui porte la robe, le sac, le carreau à l’église, etc.

M. de Beauchamp, auteur des Recherches sur les théâtres de France, de quelques romans et pièces dramatiques, est mort, il y a déjà quelque temps[311], dans un âge assez avancé. Avant de mourir, il avait consigné ses sentimens dans une espèce de testament, qui roule purement sur sa façon de penser, et est une espèce d’apologie de sa manière de vivre. Il ne dit rien de nouveau sur les motifs d’incrédibilité, et répète seulement en assez bon ordre les principaux argumens qu’ont fait valoir ceux qui ont écrit sur cette matière. Cet ouvrage manuscrit court dans les mains des gens du parti, et sans doute il sera imprimé quelque jour.

22. — Si la réforme que l’on se propose de faire dans les communautés religieuses a le vœu du Gouvernement et d’une partie même des ordres monastiques, il y a des particuliers intéressés à la combattre, et quelques-uns se sont permis d’attaquer la commission par des écrits qu’ils ont fait paraître anonymement. On vient d’y répondre sous le titre de Lettres d’un religieux à son supérieur général, sur la réforme des communautés religieuses ; troisième lettre sur la conventualité[312]. On ne peut présenter avec plus de décence et avec de meilleures preuves les raisons que l’auteur met en avant pour justifier son assertion.

23. — Un chat s’étant introduit dernièrement au Parlement, dans l’assemblée des chambres, cet animal a attiré l’attention de Messieurs ; M. de Saint-Fargeau, président à mortier, grand ami de cette engeance, a pris ce chat, et l’a caché sous sa robe, croyant arrêter par là le désordre et le scandale ; mais cet animal a miaulé, égratigné, fait le diable, et il a fallu le mettre a la porte. Un plaisant de l’assemblée, M. Héron, conseiller, a dit là-dessus le bon mot, matière de l’épigramme suivante :


Tandis qu’au temple de Thémis
On opinait sans rien conclure,
Un chat vînt sur les fleurs de lis
Etaler aussi sa fourrure.
« Oh ! oh ! dît un des magistrats,
Ce chat prend-il la compagnie

Pour conseil tenu par les rats ?
— Non, reprit son voisin tout bas ;
C’est qu’il a flairé la bouillie
Que l’on fait ici pour les chats. »

26. — Éricie ou la Vestale, tragédie, qui successivement présentée à la police, à l’archevêque et à la Sorbonne, a paru contenir des tirades trop fortes contre la vie religieuse, paraît imprimée. Ce drame, qui n’est autre chose que l’acte de la Vestale ou du Feu tiré des Élémens[313], a le mérite d’une action simple, étendue en trois actes. Il n’est pas traité aussi supérieurement que le sujet le comportait, et d’ailleurs n’a point dans le style cette énergie nécessaire pour peindre toute l’horreur de la vie monastique : tableau qui paraît avoir été le principal but de M. de Fontanelle, et auquel son drame ne devait servir que de cadre.

27. — M. l’abbé Barthélemy a remis trois mille livres de pension qu’il avait sur le Mercure, dont mille livres en faveur de M. de Guignes, mille en faveur de M. de Chabanon, mille à la masse. Il en avait déjà remis deux mille, il y a quelque temps, dont mille en faveur de M. Marin, censeur de la police, et mille à la masse. Les arrangemens ultérieurs du Mercure n’étant pas finis, les choses restent in statu quo.

27. — La Princesse de Babylone est un roman de M. de Voltaire, espèce de féerie ou de folie. Il y règne une grande gaieté, à laquelle il a su adapter des traits philosophiques, comme aussi des satires contre des personnages qu’il aime à remettre sur la scène.

28. — Un des principaux griefs de M. de Voltaire contre M. de La Harpe, c’est d’avoir retenu de mémoire les divers lambeaux que le premier récitait à l’autre, du deuxième chant du poëme de la Guerre civile de Genève et de les avoir fait paraître sans son aveu ; d’autant qu’il y a une tirade contre M. Tronchin, que l’auteur n’eût pas voulu rendre publique. Tel est le fait, comme le raconte madame Denis[314].

28. — Mademoiselle Heinel, célèbre danseuse de Stuttgard, dont on a prôné les succès prodigieux à l’Opéra, où elle a débuté depuis peu, vient d’opérer une merveille plus grande encore : ses charmes ont séduit M. le comte de Lanraguais, au point de lui faire oublier ceux de mademoiselle Arnould. Il a donné trente mille livres pour présent de noces à l’Allemande, vingt mille à un frère qu’elle aime beaucoup, un ameublement exquis, un carrosse, etc. On compte que la première coûte cent mille livres à ce magnifique seigneur. Mademoiselle Heinel ne s’était jugée modestement qu’à quatorze mille livres.

30. — Il paraît très-constant que madame Denis est a Paris pour y rester ; que sa séparation d’avec son oncle, M. de Voltaire, est une suite de querelles domestiques qui ne leur permettent plus de vivre ensemble. Les dépenses considérables que M. de Voltaire a faites aux Délices et dans ses châteaux de Tournay et de Ferney, ont fort dérangé les affaires de ce grand homme, qui n’a pas assez compté avec lui-même. Il se trouve aujourd’hui fort en avance sur ses revenus, dont la plupart ne sont pas liquidés ; ce qui l’a forcé à une réforme de maison, dont l’entretien était très-cher, et surtout entre les mains de personnes peu économes. Dans cet embarras, M. de Voltaire, qui se trouvait un riche malaisé, a voulu, pour se débarrasser tout de suite de ses créanciers et se mettre au niveau, vendre sa terre de Ferney, comme d’une défaite plus facile, ou comme celle dont la vente rendrait davantage, il a fallu le consentement de madame Denis, sous le nom de laquelle elle était acheté, et cette nièce l’a refusé opiniâtrement. Inde iræ[315] !

— Longchamps, cette promenade fort en vogue dans les jours de la semaine sainte, a commencé à s’ouvrir hier avec toute l’affluence que promettait la beauté du jour. Les princes, les grands du royaume, s’y sont rendus dans les équipages les plus lestes et les plus magnifiques ; les filles y ont brillé à leur ordinaire ; mais mademoiselle Guimard, la belle damnée, comme l’appelle M. Marmontel dans son Épître[316] peu catholique, a attiré tous à attiré tous les regards par un char d’une élégance exquise, très-digne de contenir les grâces de la moderne Terpsichore. Ce qui a surtout fixé l’attention du public, ce sont les armes parlantes qu’a adoptées cette courtisane célèbre : au milieu de l’écusson se voit un marc d’or, d’où sort un guy de chêne. Les Grâces servent de supports, et les Amours couronnent le cartouche. Tout est ingénieux dans cet emblème.

Ier Avril. — Il court une lettre de M. de La Harpe, justificative de sa conduite envers M. de Voltaire ; on dit qu’elle doit être insérée dans les journaux. La voici : « Monsieur, je n’ai eu connaissance qu’aujourd’hui d’un article inséré dans la Gazette d’Utrecht, au sujet de mon départ de Ferney, article qui n’est composé que d’injures et de faussetés. Le correspondant du gazetier, auteur de ce morceau, commence par dire que je n’ai jamais su me concilier l’amitié de personne. Il paraît du moins que je n’ai pas la sienne. Il prétend que j’ai été recueilli et congédié par M. de Voltaire. Quand cela serait vrai, je ne vois pas trop pourquoi ou en ferait un article de gazette ; mais l’un et l’autre est faux. Il ajoute que je perds six mille livres de rentes, que M. de Voltaire m’avait assurées après sa mort. Cet homme apparemment a lu le testament de M. de Voltaire. Comme je n’en sais pas autant que lui, je n’ai rien à répondre là-dessus. Il finit par insinuer, sans rien affirmer pourtant, que c’est moi qui ai répandu dans le public le Catéchumène[317], l’Homme aux quarante écus[318], le Sermon prêché à Bâle[319], et la Lettre de M. l’archevêque de Cantorbéry[320]. Je doute que M. de Voltaire trouve bon qu’on lui attribue ainsi publiquement le Catéchumène, qui n’est point de lui, et d’autres ouvrages anonymes, qu’il n’est permis d’attribuer à personne, à moins d’avoir des preuves. Quant à ce qui me regarde, tout ce qui a le moindre commerce avec la littérature sait à quel point l’imputation du gazetier, au sujet des ouvrages ci-dessus, est fausse et calomnieuse. Ce serait lui donner plus d’importance qu’elle n’en mérite, que d’y répondre par des témoignages authentiques qui sûrement ne me manqueraient pas. Je satisfais suffisamment à ce que je me dois a moi-même, en opposant la vérité au mensonge.

« Je dois ajouter aussi, quoi qu’il en doive coûter au bonheur de certaines gens, que je ne suis point brouillé avec M. de Voltaire, et que ce grand homme n’a rien diminué de son amitié pour moi, qui m’est aussi chère qu’honorable.

« Je vous supplie, Monsieur, de rendre cette lettre publique. J’ai l’honneur d’être, etc.

Ce 26 mars 1768,

Ier Avril. — Il paraît deux nouveaux chants de la Guerre civile de Genève, le quatrième et le cinquième, qui terminent ce poëme satirique. Ils sont imprimés, ainsi que les autres. Il paraît que cette publicité est une suite de l’infidélité de M. de La Harpe. On assure que M. de Voltaire, irrité de ces larcins et des tracasseries qui en résultent, a signifié qu’il ne voulait plus recevoir chez lui tous ces petits auteurs. Ce sont ses termes[321].

3. — Le parlement de Bretagne a rendu, le 29 mars, un arrêt qui condamne un nommé Boctoy à être renfermé le reste de ses jours dans une maison de force, comme soupçonné d’avoir voulu faire imprimer une brochure sur les Troubles de la France, et comme soupçonné d’avoir voulu donner le jour à deux libelles, dont l’un, intitulé le Royaume des Femmes, et l’autre les Aventures du comte de ***. Les manuscrits ont été lacérés et brûlés. On ne sait encore quels sont tous ces ouvrages criminels, et quel mérite littéraire ils peuvent avoir.

5. — Les Italiens doivent donner bientôt Memnon, opéra-comique, tiré d’un petit roman de M. de Voltaire, très-ingénieux et très-philosophique. Deux auteurs se sont trouvés avoir traité le même sujet, et étaient en concurrence, M. de Pleinchesne, ancien gouverneur des pages, et M. Guichard. Ce dernier, déjà connu à ce tripot, l’a emporté sur l’autre.

7. — Le sieur Riballier, syndic de la Faculté de Théologie, vient d’obtenir de la cour, à la nomination de Pâques, l’abbaye de Chambon. Son corps regarde cette faveur comme la récompense de sa complaisance pour la cour, et de toutes ses menées dans son sein pour faire échouer le zèle des défenseurs de la foi, concernant l’affaire de Bélisaire. C’est aussi un dédommagement de tout le ridicule dont a été couvert ce docteur par M. Marmontel, M. de Voltaire, et différens plaisans qui se sont égayés sur cette matière.

8. — M. de Voltaire vient de s’égayer encore aux dépens de la religion, dans un libelle intitulé Relation de l’expulsion des Jésuites de l’empire de la Chine, par l’auteur du Compère Mathieu. C’est à peu près la même tournure que celle du Catéchumène, qu’on prétend aujourd’hui n’être pas de lui. Ici, l’empereur de la Chine fait venir un Jésuite pour apprendre de lui la religion qu’il vient prêcher de si loin. L’auteur fait dire à cet imbécile tant d’absurdités, que le prince se met à lui rire au nez, et lui permet de prêcher où il voudra ses folies, persuadé qu’elles ne tourneront pas beaucoup de têtes. Mais sur la déclaration que lui fait l’apôtre, de l’intolérance de cette religion, il chasse le Jésuite et tous ses sectateurs.

9. — M. de Chabanon, de l’Académie des Belles-Lettres, revenu depuis quelque temps d’auprès de M. de Voltaire, a cru devoir saisir le moment de solitude où se trouve ce grand homme, pour lui offrir de retourner à Ferney et de lui tenir compagnie. Il a répondu par une lettre fort polie, où il éconduit M. de Chabanon avec l’honnêteté la plus adroite ; ce qui prouve le dire qu’on lui attribue[322], qu’il ne voulait plus de ces petits auteurs[323].

10. — Quoique les vers suivans ne soient pas merveilleux, on ne peut se refuser de les insérer ici comme historiques et ne se trouvant imprimés nulle part. Ils ont été présentes à M. le président Ogier par des jeunes jardiniers qui sont venus à son passage par Rennes, avec des corbeilles de fleurs et vêtus galamment :


Ô vous que le plus grand et le meilleur des rois
Pour finir nos malheurs honora de son choix,
Des faveurs de Louis sage dépositaire,
Vous, notre illustre appui, notre ange tutélaire,
Ô généreux Ogier ! en quittant ces climats
Quel flatteur souvenir ne nous laissez-vous pas !
Ah ! qu’avec juste titre, à votre bienfaisance
Le plus doux sentiment de la reconnaissance
Conserve pour jamais un temple en tous les cœurs.
De nos mains, en partant, daignez prendre ces fleurs :
Nous vous les présentons au nom de Flore même,
Et mettant en vous seul sa confiance extrême,
Flore, aux cris des Bretons, ose mêler ses cris,
Et vous dit avec eux, en bénissant Louis :
« Achevez, sage Ogier, de calmer nos alarmes ;
Du bonheur sur ces bords assurez le retour :
Portez aux pieds du roi nos soupirs et nos larmes,
Et portez-y surtout nos respects, notre amour. »

11. — Le bruit est général, depuis quelques jours, que M. de Voltaire a fait ses pâques[324]. Il passe pour constant qu’il est arrivé de Ferney ici, en même temps, deux lettres de ce grand homme, qui s’expliquent tout différemment là-dessus. Dans la première, écrite à M. le duc de Choiseul, M. de Voltaire renouvelle et perpétue les désaveux si souvent faits de toutes les productions clandestines qu’on lui attribue ; elle contient une espèce de profession de foi, et il y déclare que, pour preuve de la vérité de ses sentimens, il a profité de sa solitude et des bonnes instructions du père Adam, pour faire un retour vers Dieu et se présenter à la sainte table. Dans l’autre, à madame la marquise Du deffand, il se plaint du public peu reconnaissant ; il se désespère de voir que, malgré le sacrifice qu’il lui a fait de sa santé et de sa liberté, en consacrant sa vie à ses plaisirs et à son amusement, il soit assez injuste pour adopter légèrement tous les bruits que ses ennemis font courir sur son compte, et qu’en dernier lieu, il apprend que, pour comble de ridicule, on débite et l’on croit à Paris qu’il s’est confessé et a fait ses pâques. Il finit par ajouter qu’il n’est ni assez hypocrite pour se prêter à des actions aussi contraires à sa façon de penser, ni assez imbécile pour donner de bonne foi dans de pareilles puérilités. Toutes ces inconséquences sont dans le caractère de M. de Voltaire, et n’étonnent point ceux qui le connaissent.

15. — M. le cardinal de Luynes se trouvant ces jours-ci chez madame la duchesse de Chevreuse, M. de Conflans plaisanta Son Éminence sur ce qu’elle se faisait porter la queue par un chevalier de Saint-Louis. Le prélat répliqua que c’était un usage ; qu’il en avait toujours un pour gentilhomme caudataire ; « et le prédécesseur de celui-ci, qui plus est, ajouta-t-il, portait le nom et les armes de Conflans. — Il y a long-temps en effet, répliqua l’autre avec gaieté, il y a long-temps qu’il se trouve dans ma famille de pauvres hères, dans le cas de tirer le diable par la queue. » Son Éminence déconcertée est devenue la risée générale, et a été si furieuse qu’elle à exigé de madame la gouvernante qu’elle ne reçût plus chez elle cet homme à bons mots.

16. — Il n’est plus de doute sur le fait des pâques de M. de Voltaire : on varie seulement sur les motifs, que les uns attribuent à la peur du diable, d’autres à la politique. L’acte dont il a accompagné cette cérémonie peut servir de commentaire à sa conduite. Le jour même, et sortant de la sainte table, il a prêché ses vassaux, il leur a débité tous les principes de la morale la plus pure et la plus sage ; il a apostrophé un de ses paysans, connu pour un coquin ; il l’a exhorté à se réconcilier avec Dieu, à reconnaître combien il lui était redevable, et à lui son seigneur, de n’avoir pas été pendu ; il a fini par lui dire que s’il n’avait pas encore accusé ses fautes, de le faire à son pasteur, ou à lui. Ce dernier mot ayant gâté tout le reste, a fait dégénérer en farce ce spectacle vraiment édifiant pour les dévots. Les deux lettres dont on a parlé sont également vraies, et celle à madame Du deffand donne encore mieux la clef de cette étrange conduite.

17. — M. le marquis de Ximenès, fort connu dans la république des lettres, comme auteur et comme protecteur, est sur le point de se marier avec la fille d’un nommé Jourdan, dont on a quelques romans et autres ouvrages peu connus. Son peu de fortune et sa très-mince réputation donnent à cet hymen un air de désintéressement, qui fait beaucoup d’honneur à M. de Ximenès. La mère était une madame Duhalley, fort renommée autrefois par sa beauté, son esprit, sa galanterie et ses intrigues ; elle avait fini par épouser le pauvre diable, père de la demoiselle en question.

18. — Quoique M. de La Harpe ait répandu une lettre justificative, où il prétend répondre au gazetier d’Utrecht qui attribue son retour de Genève au mécontentement de M. de Voltaire, on trouve que ce jeune homme se défend très-mal des griefs qu’on lui impute. 1° Quant à l’article où son cœur se trouve si fortement attaqué par le reproche de n’avoir jamais su se concilier l’amitié de personne, il ne montre point la vivacité de toute âme honnête sur une pareille imputation ; il glisse légèrement à la faveur d’une épigramme, et c’est mettre de l’esprit où il faudrait du sentiment ; 2° il pèche contre la gratitude et la vérité, en assurant qu’il n’a point été recueilli chez M. de Voltaire. Il se serait fait plus d’honneur en ne protestant pas avec tant de délicatesse contre un mot peut-être offensant pour l’amour-propre, mais jamais pour la reconnaissance. Il ne peut nier que lui et sa femme n’aient été au moins accueillis, s’ils n’ont pas été recueillis, par ce grand homme, pendant un an ou dix-huit mois. 3° On voit qu’il élude le vrai larcin dont il est coupable, en affectant de donner le catalogue de ceux dont on ne l’accuse pas aussi formellement. C’est le second chant de la Guerre civile de Genève, de la publicité duquel M. de Voltaire se plaint, et c’est cette réclamation dont M. de La Harpe ne parle point. Enfin, il assure qu’il a toujours l’amitié de M. de Voltaire ; mais il ne dit pas si c’est par suite d’un sentiment non interrompu, ou à titre de générosité, de compassion, de pardon… Une lettre du philosophe de Ferney à son ami, M. Damilaville, va nous apprendre jusqu’où il faut apprécier celle de M. de La Harpe, et l’ostentation fastueuse avec laquelle il fait valoir la continuité des bontés d’un ami de cette trempe. Dans cette lettre, que plusieurs personnes ont lue, M. de Voltaire, en convenant du larcin de M. de La Harpe et du chagrin qu’il lui donne, termine par dire « que le public met à la chose plus d’importance qu’elle n’en mérite, et qu’il lui pardonne de tout son cœur. » Cette phrase, jointe à ce que madame Denis débite là-dessus, prouve que M. de La Harpe est réellement coupable, et que malheureusement ce qui ne serait qu’une légère infidélité ou une gentillesse, dans tout autre cas, devient une faute grave, un vice du cœur vis-à-vis d’un bienfaiteur aussi généreux ; et M. de La Harpe, bien loin d’avoir pour lui la même indulgence que M. de Voltaire, devrait pleurer amèrement une pareille offense.

19. — Un nommé Lévêque, garde-magasin des Menus-Plaisirs, a laissé une veuve fort riche. Malgré la jouissance des plaisirs de toute espèce que lui offrait ce tripot, elle s’est éprise de M. Caron de Beaumarchais, auteur d’Eugénie, plus renommé encore par ses intrigues que pour ses talens littéraires, et veuf aussi. Tous deux convolent en secondes noces ; et, quoique la femme soit encore dans le deuil, elle a déposé ses crêpes funèbres pour s’orner des atours de l’hymen le plus galant.

On assure que M. le duc d’Aumont à qui madame Lévêque a présenté son contrat de mariage à signer, comme au gentilhomme de la chambre d’année, son supérieur, lui a répondu : « Rappelez-vous, Madame, le sort de la première ; je crains bien de signer en même temps votre billet d’enterrement. »

20. — On voit dans l’Avant-Coureur du 18 la déclaration suivante de M. de Voltaire :

« J’ai appris dans ma retraite qu’on avait inséré dans la Gazette d’Utrecht, du 11 mars 1768, des calomnies contre M. de La Harpe, jeune homme plein de mérite, déjà célèbre par la tragédie de Warwick et par plusieurs prix remportés à l’Académie Française avec l’approbation du public. C’est sans doute ce mérite-là même qui attire les imputations envoyées de Paris contre lui à l’auteur de la Gazette d’Utrecht.

« On articule dans cette gazette des procédés avec moi dans le séjour qu’il a fait à Ferney. La vérité m’oblige de déclarer que ces bruits sont sans aucun fondement, et que tout cet article est calomnieux d’un bout à l’autre. Il est triste qu’on cherche à transformer les nouvelles publiques et d’autres écrits plus sérieux en libelles diffamatoires. Chaque citoyen est intéressé à prévenir les suites d’un abus si funeste à la société.

« Fait au château de Ferney, pays de Gex en Bourgogne, ce 31 mars 1768. Signé Voltaire. »

20. — Lettre de M. de La Harpe a M. de Voltaire[325].

« Je n’avais pas besoin, mon cher papa, de la lettre que vous avez écrite à M. d’Alembert pour être bien sûr que votre amitié pour moi n’a jamais été altérée un moment, et que je n’ai commis qu’une indiscrétion en donnant à vos parens et à vos amis un manuscrit de deux cents vers que plusieurs personnes avaient déjà. Si j’ai eu tort de rendre public ce que ces personnes avaient donné en secret, du moins vous m’avez rendu la justice de croire que je n’ai jamais eu intention de vous faire de la peine, et que je n’ai fait que céder à l’empressement de quelques curieux.

« Cependant, quelque rassuré que je fusse sur cet article, j’ai été d’autant plus touché de l’effusion de cœur qui règne dans votre lettre, et des soins palernels dont vous vous occupez pour ma petite fortune, que la rage absurde et insolente de mes ennemis a déjà forgé les histoires les plus odieuses sur ce léger mécontentement que vous avez eu, et sur mon retour à Paris : on ne va pas moins qu’à dire que je vous ai pris des manuscrits pour les vendre à des libraires. Il est vrai que l’on n’articule pas encore le nom de ces libraires, ni le titre des imprimés, ni le prix que j’en avais reçu ; mais tout cela viendra bientôt. Le fond du roman est bâti, et je m’en rapporte à ces auteurs pour les embellissemens. Des impostures sont les seuls ouvrages d’imagination où je les trouve heureux ; car vous savez comme moi de quelles boutiques sortent tous ces poisons. Ce sont les mêmes qui débitaient, il y a trois ans, que j’avais composé une cinquantaine de couplets, fort gais et fort ingénieux, sur le produit des deniers royaux, les actions des fermes, et la caisse des amortissemens, le tout contre M. de L’Averdy, apparemment pour en obtenir une ordonnance sur le trésor royal. J’ai lieu de croire que ce ministre sage et bienfaisant ne m’attribue pas cette petite saillie de gaieté, puisqu’il vient de m’accorder une gratification de douze cents livres sur les fonds destinés aux gens de lettres ; mais cela n’empêche pas que, lorsque ce beau bruit se répandit, tout Paris me crut enfermé.

« Voilà les petites douceurs que j’ai essuyées de la part des gens qui n’ont pas l’âme plus douce que leur prose et leurs vers.

« Si les beaux-arts sont l’aliment des belles âmes, il faut avouer que les harpies viennent souvent les souiller de leurs ordures.

« Tout Israël va donc se disperser. Madame Denis vient à Paris, et vous allez à Stuttgard[326]. On y donnait autrefois de belles fêtes ; votre arrivée en sera une plus belle. On dit que le duc vous doit de grosses sommes : beaucoup de gens de lettres sont les protégés de princes, vous êtes leur créancier.

« Adieu, mon cher papa ; aimez toujours votre cher enfant, qui vous aime, vous respecte et vous admire. »

21. — M. Poinsinet, ce poète très-médiocre, plus renommé que les poètes les plus célèbres, reparaît aujourd’hui sur la scène, à l’occasion de l’escroquerie dont on a parlé dans le temps[327], et dont l’accuse mademoiselle Duprat, chanteuse des chœurs de l’Opéra. Le mémoire contre cet auteur, que différens avocats se disputaient le plaisir de faire, paraît enfin ; mademoiselle Duprat le débite elle-même : il est signé d’elle, mais on le croit de Me Cocqueley de Chaussepierre. Il n’est pas aussi plaisant qu’il pouvait l’être, et l’on a manqué l’à-propos. Marchand, le grand faiseur de pareilles facéties, est désolé de n’avoir pas eu à traiter cette matière ; il dit qu’il aurait acheté à prix d’argent la clientelle de cette chanteuse.

29. — M. l’abbé Yvon, qui a fait tant de bruit lors de la thèse de l’abbé de Prades[328], et poursuivi comme infidèle, quoique le plus croyant de France, avait entrepris une Histoire ecclésiastique, qu’il avait déjà conduite à son troisième volume. Comme il avait pour censeur le même que M. Marmontel lors de Bélisaire, le lieutenant de police a cru qu’il n’était pas prudent de laisser à la discrétion d’un pareil examinateur un livre de l’importance de celui en question. Après différens reviremens, l’affaire a été portée devant M. l’archevèque, qui, entouré d’hommes ignorans et à préjugés, s’est absolument opposé à la publicité de la suite de cette Histoire qui devait avoir douze volumes. En vain l’abbé a demandé ce qu’on trouvait de répréhensible dans son ouvrage ; il n’a pu en tirer raison ; il a été obligé de suspendre ou de laisser là son manuscrit.

24. — Mademoiselle Le Blanc de Crouzol, connue à l’Opéra sous le nom de mademoiselle Duprat, a excité contre elle un orage considérable par le mémoire qu’elle a répandu contre M. Poinsinet. Il a eu recours à madame la comtesse de Langeac, ci-devant madame Sabbatin, sa protectrice, et M. de Saint-Florentin a exigé des directeurs de renvoyer cette actrice.

— Les brochures les plus sanglantes se succèdent sans relâche en Bretagne, malgré les arrêts du Parlement et les diverses brûlures dont on les honore. On parle d’une nouvelle, intitulée : De l Affaire générale de la Bretagne. Elle a 141 pages, de même format que la Lettre d’un gentilhomme de Bretagne ; elle est encore extrêmement rare.

26. — Il paraît que le sieur Audinot, dont la troupe joue à Versailles, a beaucoup de succès. On parle surtout de sa fille, âgée de huit ans, appelée mademoiselle Eulalie, qui réunit les talens du chant, de la danse et de la déclamation. Elle avait déjà reçu les applaudissemens les plus distingués, le 3 août dernier, à la fête que M.  le chevalier d’Arcq donna à madame la comtesse de Langeac, dans un opéra-comique nouveau, intitulé : Le Bouquet. Il a été donné à Versailles avec un aussi grand succès.

27. — M. de Voltaire remplit Paris de lettres où il parle de sa communion pascale. Dans une entre autres à M. de Falbaire, l’auteur de l’Honnête criminel, il avoue cette bonne action ; mais il ajoute : « Toujours rancune tenante contre maître Aliboron, dit Fréron. » Tout cela vérifie le pronostic du bon père Adam. Ce Jésuite, très-long-temps assez déplacé chez M. de Voltaire, était le plastron de toutes les plaisanteries, des sarcasmes, des bons mots de ceux qui étaient à la table de ce poète magnifique. Quelqu’un lui dit un jour : « Que faites-vous ici, Père ; ne voyez-vous pas que vous n’allez pas à tout ce monde-là ? » Le béat répondit : « Je patiente, je guette le moment de la grâce. » Au reste, M. de Voltaire commence à se rendre un peu au grand monde, et le duc de Villa-Hermosa, Espagnol, qui était à Paris pour apprendre le français, a obtenu l’agrément de ce grand homme, et se rend auprès de lui.

28. — Une dame Vestris, échappée des débris de la troupe des spectacles du duc de Wurtemberg, est venue ici, et a donné dans les yeux du duc de Duras, qui veut en conséquence l’attacher à la Comédie-Française. On l’a fait jouer sur le théâtre des Menus-Plaisirs pour coup d’essai, et toute la cour du gentilhomme de la chambre la trouve divine. Elle prétend débuter dans les rôles de mademoiselle Clairon. On verra si le public ratifiera ce jugement très-suspect.

Une autre actrice doit débuter incessamment dans le role de Médée ; c’est une demoiselle Fleury, appelée la belle, ou la bête, car elle est susceptible des deux surnoms. On la distingue ainsi de deux autres Fleury, illustres dans les fastes de Cythère : Fleury la douairière, ou la marquise de Fleury, celle sur laquelle Chevrier s’est si fort étendu dans son Colporteur ; et Fleury la Jolie, ou Fleury-Hocquart, du nom de son entreteneur, Quoi qu’il en soit, la première veut que son nom passe d’une manière plus durable à la postérité : elle a été initiée à l’art de la déclamation par le chevalier de La Morlière, auteur très-connu par ses aventures, ses escroqueries et son admirable talent de bien jouer la comédie sur le théâtre et hors du théâtre.

28. — Madame Denis n’ayant pas trouvé sa conduite envers son oncle fort approuvée dans ce pays-ci, s’est enfin rendue à ses instances, à ce qu’on assure, et a donné son consentement pour la vente de Ferney. On prétend que M. de Voltaire, par arrangement, lui a fait ici un sort pécuniaire qui doit la mettre à même de tenir une maison[329] ; en conséquence, elle en a loué une.

29. — Le président Langlois de La Fortelle vient de mourir : c’était un homme d’esprit, quoique de la chambre des Comptes. Il avait fait, en sortant du collège, c’est-à-dire il y a plus de vingt ans, un vaudeville fort couru dans le temps et fort caustique, dont le refrain était :

Ah ! le voilà, ah ! le voici,
Celui qui n’en a nul souci.

20. — Épigramme sur M. Poinsinet le mystifié, par M. Guichard.

De lui toujours satisfait
Il se croit le héros du Pinde,

Il vante tout ce qu’il a fait,
Tout, jusqu’à sa froide Ernelinde[330].
« Messieurs, et mon Cercle[331] aux Français ? »
De son cercle il ne sort jamais,
Catins sont ses douces liesses ;
Il est sans goût, sans mœurs, sans lois ;
Enfin il ressemble à ses pièces,
On ne peut le voir qu’une fois.

M. Poinsinet ayant écrit, à cette occasion, au père de M. Guichard pour lui dénoncer son fils comme un mauvais sujet, il a reçu la réponse suivante[332] :

« J’ai bien l’honneur de vous connaître, Monsieur ; votre réputation en tout genre est établie, et je suis étonné que mon fils ose l’attaquer ; je lui en dirai deux mots très-vertement. Je n’ai point vu son épigramme, ou ses épigrammes contre vous. Mais si, de votre aveu, il n’a que de petits talens, quel tort peut-il faire à ces grands talens que Paris et la cour admirent dans M. Poinsinet ? Ernelinde sera-t-elle moins Ernelinde ? ainsi du reste… Vous êtes trop sensible : M. de Voltaire est, dit-on, de même ; le moindre trait qu’on lui décoche le rend malade : c’est apparemment le faible des âmes sublimes.

« Votre délicatesse sur le chapitre des mœurs est, par exemple, on ne peut mieux placée. J’ai en main une lettre anonyme de votre fabrique à Hérissant contre mon fils, laquelle, jointe à d’autres faits de cette nature, prouve merveilleusement que vos mœurs sont irréprochables, et combien ce malheureux fils aurait dû les respecter. Les siennes ne sont pas si pures, si j’en crois ces chansons obscènes que vous marquez lui avoir entendu chanter à votre table. Je puis vous assurer cependant, Monsieur, de sa réserve à cet égard devant moi et parmi mes sociétés ; ce qui me ferait conclure, avec votre permission, qu’il faut absolument que votre cercle ne soit pas bien composé. Comme l’accusation est grave, et qu’en matière de mœurs je suis au moins aussi rigide que vous, je vous prie de m’envoyer quelques-unes de ces chansons, pour voir un peu si cela est de la force de Gilles, garcon peintre[333], et de Cassandre, aubergiste[334].

« Je suis, avec tous les sentimens que vous méritez, Monsieur, etc.

« P. S. Pardon si, dans la suscription de cette lettre, je ne fais point usage de votre qualité d’Académicien des Arcades de Rome ; je craindrais de paraître faire une plaisanterie. »

30. — La secte des Économistes, fort alarmée du départ de l’abbé Baudeau qui se dispose à passer en Pologne, où il est nommé, comme on a dit, à un bénéfice, après différens conciliabules, a déféré la plume à M. Dupont, un de ses membres. Il avait déjà travaillé au journal de la Société, connu sous le nom des Éphémérides, et il va reprendre cette tâche. Quant à l’abbé Baudeau, avant de partir il n’a pas voulu laisser la France sans ses dernières instructions sur ce que ces enthousiastes appellent la science : il a consigné ses principes dans l’Avis au peuple sur son premier besoin, et dans la Lettre d’un gentilhomme de Languedoc à un conseiller au Parlement de Rouen. On a déjà parlé de cette dernière. Il se récrie dans l’un et l’autre sur les craintes qu’a occasionées l’exportation. Il attaque entre autres les Remontrances du Parlement de Rouen, et provoque cette cour, avec une hardiesse et une véhémence qui caractérisent un homme très-abondant dans son sens. Cet ouvrage fait grand bruit.

— Il est question de créer à l’Académie des Belles-Lettres deux places d’honoraires de plus, et deux places de pensionnaires. Les deux premières paraissent destinées au cardinal de Bernis et à M. de Boulogne, intendant des finances. Les deux plus anciens des associés monteront à celles de pensionnaires, qui seront désormais fixées à douze, ainsi que celles d’honoraires, et il se trouvera deux places d’associés à donner.

Ier Mai. — Toutes les circonstances de la communion pascale de M. de Voltaire sont remarquables : voici l’ordre et la marche de cette cérémonie[335]. Il faut savoir d’abord qu’il a fait bâtir l’église paroissiale de Ferney, avec cette inscription, très-propre à fournir matière aux dissertations des commentateurs futurs : Dicavit Deo de Voltaire[336]. M. de Voltaire est parti de chez lui, précédé de deux de ses gens portant des hallebardes, en forme de suisses. Venait après l’architecte avec le plan de l’église, espèce d’offrande que le catéchumène faisait précéder comme acte de sa réconciliation. Il marchait ensuite, avec la figure d’un pénitent, avec la componction sur le visage et sans doute dans le cœur. Deux gardes-chasses fermaient la marche, la baïonnette au bout du fusil. À l’entrée de l’église s’est trouvé le père Adam, qui a fait le rôle de médiateur entre le ciel et le pécheur. On est instruit du reste, et du sermon surtout. Il ne faut pas oublier les tambours et les fanfares qui célébraient ce grand jour.

— Les Comédiens Français se disposent à jouer dans la semaine prochaine Béverley, tragédie bourgeoise, que le sieur Saurin a tirée d’une pièce de Moore, intitulée The Gamester. Le traducteur a voulu enchérir sur le génie sombre et noir de son modèle ; il a ajouté la scène de l’enfant, prise dans une situation de Cléveland. Ce genre, à coup sûr, n’aurait pas réussi jadis ; mais le Français commence à regarder avec intrépidité les scènes atroces, et si son âme n’a pas plus d’énergie qu’autrefois, son œil en supporte au moins davantage dans l’action théâtrale.

2. — Il est dans ce pays-ci des gens à bons mots qui rient de tout et ne manquent jamais l’épigramme sur quelque sujet que ce soit. On a dit, à l’occasion des nouveaux habillemens des officiers aux gardes, si beaux par devant et si laids par derrière, que c’était pour les empêcher de tourner le dos. Réflexion amère et qui rappelle des faits peu honorables pour le régiment.

— Mademoiselle Asselin, qui avait dansé à l’Opéra, où elle avait eu peu de succès, il y a neuf ou dix ans, vient d’y reparaître. Elle arrive chargée des dépouilles de l’Angleterre, où elle a brillé long-temps. Elle est fort courue aujourd’hui ; elle n’a pas la majesté de mademoiselle Heinel, mais elle est taillée en grand, comme elle, et s’attire beaucoup de partisans. D’ailleurs elle a le genre plus étendu, et, outre le terre à terre, elle donne dans la gargouillade et les entrechats. Elle a la jambe un peu grosse. En un mot, c’est une recrue très-agréable pour les spectateurs luxurieux qui abondent à ce théâtre.

3. — M. le prince de Conti donne ordinairement tous les lundis un concert en son hôtel. Hier, au lieu de ce divertissement, il a fait exécuter à huis clos une petite fête pour Mademoiselle. Il n’y avait que six personnes, à cause des conjonctures douloureuses où se trouve la famille royale[337]. On a représenté l’impromptu de campagne, comédie en un acte, de Poisson. M. le duc de Chartres y a fait le rôle de père : ce qui a beaucoup amusé sa sœur, par les bouffonneries que le jeune prince a mêlées dans son rôle.

5. — M. Le Camus, de l’Académie des Sciences, l’un de ceux qui ont été dans le Nord pour déterminer la mesure de la terre, en 1736, vient de mourir de la poitrine.

6. — La Vénitienne, jouée aujourd’hui sur le théâtre de l’Académie royale de Musique, a été aussi mal accueillie qu’il est possible. Les paroles pleines d’esprit, puisqu’elles sont de La Motte, ne présentent aucun morceau de sentiment, chose essentielle à ce spectacle. Elles sont d’ailleurs on ne peut moins lyriques, et l’on ne conçoit pas comment le sieur Dauvergne s’est avisé d’aller déterrer un pareil drame, qui n’avait pas reparu depuis 1705. La musique a quelques détails agréables, mais annonce pas un homme de génie, dans son ensemble. Les ballets dont on a surchargé ce spectacle ne dédommagent en rien du reste : en un mot, de mémoire d’homme, aucun opéra n’a été plus universellement hué : un sifflement général a terminé cette malheureuse représentation.

M. Poinsinet n’est pas resté sans réplique au Mémoire de mademoiselle Le Blanc de Crouzol : le sien paraît. Au grand étonnement de tout le monde, il est plein de bon sens, de sagesse et de modération, ce qui fait présumer qu’il n’est pas de cet auteur. Il présente sa cause dans le jour le plus favorable, et ramène de son côté le public équitable. Il est signé du sieur Blanc de Verneuil, avocat.

7. — Il court une histoire aussi plaisante que vraie sur M. Barthe, poète provençal, auteur des Fausses infidélités, et plus propre, à ce qu’il paraît, à manier la plume que l’épée. Ayant eu une querelle littéraire dans une maison avec M. le marquis de Villette, la dissertation a dégénéré en injures, au point que le dernier a défié l’autre au combat, et lui a dit qu’il irait le chercher le lendemain matin à sept heures. Celui-ci, rentré chez lui et livré aux réflexions noires de la nuit et de la solitude, n’a pu tenir à ses craintes et à toutes les horreurs qu’il envisageait pour le lendemain. Il est descendu chez un nommé, Solier, médecin, homme d’esprit et facétieux, demeurant dans la même maison, rue de Richelieu, et lui a exposé ses perplexités et demandé ses conseils… « N’est-ce que cela ? je vous tirerai de ce mauvais pas. Faites seulement tout ce que je vous dirai. Denain matin, quand M. de Villette montera chez vous, donnez ordre à votre laquais de dire que vous êtes chez moi, et de me l’amener. Pendant ce temps, cachez-vous sous votre lit. » Barthe veut répliquer : « Ne craignez rien, encore un coup, et laissez-vous conduire. » Le lendemain on introduit M. de Villette chez M. Solier, sous prétexte d’y venir chercher M. Barthe. « Il n’y est point ; mais que lui veut monsieur le marquis ?… » Après les difficultés ordinaires de s’expliquer, il conte les raisons de sa visite. « Vous ne savez donc pas, monsieur le marquis, que M. Barthe est fou ? C’est moi qui le traite, et vous allez en voir la preuve… » Le médecin avait fait tenir prêts des crocheteurs. On monte, on ne trouve personne dans le lit ; on cherche dans l’appartement. Enfin M. Solier, comme par hasard, regarde sous le lit ; il y découvre son malade. « Quel acte de démence plus décidé ! » On l’en tire plus mort que vif. Les crocheteurs se mettent à ses trousses et le fustigent d’importance, par ordre de l’Esculape. M. Barthe étonné de cette mystification, ne sait s’il doit crier ou se taire. La douleur l’emporte, il fait des hurlemens affreux. On apporte ensuite des seaux d’eau, dont on arrose les plaies du pauvre diable. Puis on l’essuie, on le recouche : et son adversaire émerveillé se frotte les yeux, à peine à croire tout ce qu’il voit, mais ne peut disconvenir que ce poète ne soit vraiment fou : il s’en va, en plaignant le sort de ce malheureux. Du reste, M. Barthe a trouvé le remède violent, surtout de la part d’un ami, et ne prendra vraisemblablement plus M. Solier pour le guérir de ses accès de folie.

8. — Le Joueur anglais a paru hier sous le nom de Béverley, tragédie bourgeoise imitée de l’anglais. On n’avait point fait mention sur l’affiche de M. le duc d’Orléans, quoiqu’on l’ait annoncé la veille : ce qui signifiait que ce prince, dans sa douleur, s’abstenait du spectacle, ou du moins qu’il n’y était qu’incognito, à cause de la mort du prince de Lamballe.

Ce drame a eu un très-grand succès, et le mérite. Il en est peu qui réunissent des actes aussi pleins, avec un sujet aussi simple, une marche aussi rapide et tant d’action.

Le rôle du Joueur à été fort bien exécuté par le sieur Molé. Il y a mis toute la fureur, toutes les convulsions, tous les déchiremens d’un forcené. Celui du traître est rendu par Préville. On ne sait pourquoi cet acteur, excellent dans son genre de bouffon et de pantomime, veut ainsi se prodiguer à toute sauce et faire des personnages auxquels il n’est nullement propre. Dans celui-ci, qui est rempli d’adresse et de forfanterie, sous les dehors imposans de la candeur, de la probité, de l’amitié la plus chaude et la plus désintéressée, il a transporté les grimaces, les singeries d’un valet fripon, et a encore exténué ce rôle, qui n’est pas aussi fortement frappé que l’exige la hardiesse de l’intrigue. Mademoiselle Doligny représente la femme du Joueur ; elle donne beaucoup d’intérêt à ce rôle. Malheureusement son organe ne répond pas toujours à l’énergie de l’action et à la violence de la douleur où elle doit être plongée. Les autres rôles sont peu de chose et ne méritent aucune discussion.

9. — La demoiselle Le Blanc de Crouzol fait paraître une Réponse au Mémoire du sieur Poinsinet. Celle-ci est signée d’un avocat nommé Ader, et en conséquence est plus grave que la première sortie contre cet Académicien des Arcades de Rome. Elle ramène le lecteur du côté de la demanderesse.

Il est très-vrai que la demoiselle de Crouzol à été renvoyée de l’Opéra pour cette affaire.

11. — La pièce de Béverley a eu encore plus de succès aujourd’hui que samedi. L’auteur a adouci la férocité du dernier acte, en ne faisant lever au Joueur qu’une fois le poignard sur son fils ; il s’attendrit tout à coup et l’embrasse. On a remarqué que presque toutes les mêmes femmes qui avaient assisté à la première représentation, étaient revenues à la seconde, malgré les frémissemens convulsifs qu’elles avaient éprouvés. On ne donnera ce spectacle que deux fois par semaine, à cause de Molé, dont le rôle est très-fort, et dont la poitrine pourrait ne pas suffire à un service plus répété. Tout est loué jusqu’à la sixième représentation.

12. — On a parlé[338] d’une déclaration de M. de Voltaire en date du château de Ferney, pays de Gex en Bourgogne, le 31 mars 1768. Elle disculpe vaguement M. de La Harpe et porte sur les mêmes procédés articulés dans la Gazette d’Utrecht, qui sont en effet étrangers au vrai grief de ce jeune homme. On voit facilement que l’humanité a dicté cet écrit à celui qui l’a tant célébré. Quoi qu’il en soit, il paraît que M. Boutin, intendant des finances, n’a pas eu grande foi à ce certificat. M. de La Harpe était entré chez lui comme secrétaire intime ; il l’a congédié sous prétexte qu’ayant une femme, cela entraînerait une suite de procédés trop gênans. Il est plus vraisemblable que ce protecteur, ne sachant à quoi s’en tenir, d’après les bruits injurieux à l’âme de M. de La Harpe, a craint d’élever un serpent dans son sein. D’ailleurs, M. de La Harpe, en se consacrant au service de M. Boutin, annonçait bien la perte de tout espoir de rentrer en grâce auprès de M. de Voltaire.


13. — Sur la tragédie de Béverley,
Imitée de l’anglais par M. Saurin.

Grace à l’anglomanie, enfin sur notre scène
Saurin vient de tenter la plus affreuse horreur :
En bacchante on veut donc travestir Melpomène.
Racine m’intéresse et pénètre mon cœur
RaSans le broyer, sans glacer sa chaleur.

Laissons à nos voisins leurs excès sanguinaires,
Malheur aux nations que le sang divertit !
Ces exemples outrés, ces farces mortuaires
CeNe satisfont ni l’âme mi l’esprit.
Les Français ne sont point des tigres, des féroces
Qu’on ne peut émouvoir que par des traits atroces.
CeDérobez-nous l’aspect d’un furieux.
Ah ! du sage Boileau suivons toujours l’oracle :
Il est beaucoup d’objets que l’art judicieux
Doit offrir à l’oreille et reculer des yeux[339].
CeLoin en ce jour de crier au miracle,
CeAnalysons ce chef-d’œuvre vanté :
Un drame tantôt bas, et tantôt exalté :
Des bourgeois ampoulés, une intrigue fadasse,
Un joueur larmoyant, une épouse bonasse ;
Action paresseuse, intérêt effacé ;
Des beautés sans succès, le but outrepassé ;
Un fripon révoltant, machine assez fragile ;
Un homme vertueux, personnage inutile,
Qui toujours doit tout faire et qui n’agit jamais ;
Un vieillard, un enfant, une sœur indécise ;
Pour catastrophe, hélas ! une horrible sottise ;
PourForce discours, très-peu d’effets ;
Suspension manquée ; on sait partout d’avance
Ce qui va se passer ; aucune vraisemblance
Dans cet acte inhumain, ni dans cette prison,
CeOù Béverley, d’une âme irrésolue,
Deux heures se promène en prenant son poison,
Sans remarquer son fils qui lui crève la vue,
CeEt qu’il ne voit qu’afin de l’égorger.
D’un monstre forcené le spectacle barbare
Ne saurait attendrir, ne saurait corriger :
Nul père ayant un cœur ne peut l’envisager.
Oui, tissu mal construit et de tout point bizarre,
Oui,Tu n’es fait que pour affliger.
Puisse notre théâtre, ami de la nature,
Ne plus rien emprunter de cette source impure.

À M.  Saurin,
Sur le rôle de madame Béverley.

CeSaurin, cette femme si belle,
CeCe cœur si pur, si vertueux,
CeÀ tous ses devoirs si fidèle,
De ton esprit n’est point l’enfant heureux.
CeTu l’as bien peint : mais le modèle
CeVit dans ton âme et sous tes yeux[340] !

14. — Un nommé Mouton, élève de l’Académie d’Architecture, entretenu à Rome, suivant un brevet de nomination du 23 septembre 1765, a été exclu de l’Académie, le 19 août 1767, par M. Natoire, directeur de la maison royale de l’Académie à Rome, pour n’avoir pas satisfait à son devoir pascal, ou du moins pour n’avoir pas rapporté un billet de communion, quoiqu’il en rapportât un de confession. Ce Mouton vient de faire imprimer un Mémoire à consulter[341], dans lequel il demande si les Français envoyés par le roi à l’Académie de Rome sont obligés de souffrir les exactions introduites par le sieur Natoire, et s’il ne doit pas les faire connaître, afin qu’il y soit pourvu ; s’il peut demander son rétablissement à l’Académie ; s’il est fondé à demander contre M. Natoire une réparation d’honneur et des dédommagemens, etc.

Si cette cause est portée en justice, jamais fait plus singulier n’aura occupé la magistrature. On ne croit pas qu’il y en ait d’exemple. Il était réservé à nos jours de produire des phénomènes dans tous les genres. Il paraît que cette expulsion est la suite d’une cabale jésuitique, tenue chez le sieur Natoire, qui admettait dans son cercle tous les boute-feu de la Société, et notamment l’abbé de Caveirac et l’abbé d’Alais, renommés par leurs libelles. Ce jeune homme avait en horreur des propos séditieux qu’il leur avait entendu tenir chez son directeur, et s’était retiré de la compagnie. Peut-être en avait-il donné avis à M. l’ambassadeur. Son Excellence contraignit depuis M. Natoire à ne plus recevoir dans la maison royale ces ennemis de la France. Inde mali labes.

16. — M. Bossu, capitaine dans les troupes de la marine, a fait paraître, il y a quelque temps, de Noureaux Voyages aux Indes occidentales, etc., en deux volumes. Ils sont en forme de lettres, et n’ont du côté du style qu’un mérite fort médiocre : l’historique même n’en est ni bien curieux ni bien important : il traite peu, et fort indirectement encore, de tout ce qui a trait à la dernière guerre, quoique l’auteur paraisse avoir écrit dans ce temps-là. Cependant M. Poncet de La Grave, le censeur, a donné à ce livre une approbation très-ample et très-affectée ; les journaux l’ont prôné avec éloge ; il a fait un certain bruit, et, sans doute, trop pour M. Bossu, qui vient d’être mis à la Bastille. M. de Kerlerec, capitaine des vaisseaux du roi, ancien gouverneur de la Louisiane, à la suite de la cour depuis plusieurs années pour une affaire contre un grand nombre d’officiers de la colonie, a été alarmé de la publicité et de la profusion de ce livre ; il y est nommé en plusieurs endroits, et presque toujours défavorablement : il y a même des phrases très-fortes contre lui. Ce commandant a eu recours à M. le duc de Praslin ; il a représenté que ce livre n’avait été composé que pour y enchâsser des faits et des propos injurieux à sa réputation ; que c’était la suite de l’animosité des mécontens et le résultat de leurs complots. Quoi qu’il en soit, le ministre de la marine à mis en cause le lieutenant de police. Le livre est arrêté : le censeur à été vertement réprimandé, et M. Bossu conduit en prison, comme on a dit, pour son obstination à n’avoir pas voulu se rétracter et mettre des cartons à son livre, sous prétexte qu’il n’avait rien avancé que de vrai. Heureusement M. le duc d’Orléans, qui protège cet officier, a voulu remonter à la source de cette vexation, et s’est plaint au ministre. M. Bossu doit sortir incessamment, s’il n’est pas encore sorti de la Bastille.

17. — On assure que le Mémoire de mademoiselle Le Blanc de Crouzol a été présenté au roi pour l’amuser dans ses petits appartemens, qu’il s’en est beaucoup réjoui, et que M. Poinsinet, très-glorieux déjà d’avoir occupé un moment Sa Majesté, se flatte qu’elle n’aura pris par cette lecture aucune impression défavorable de ses mœurs ni de ses talens, et qu’elle lui fera l’honneur encore plus grand de lire celui qui justifie si complètement son innocence.

19. — On s’imagine tenir la clef de la conduite de M. de Voltaire, en supposant, ce qui est facile à croire, qu’il ait toujours un désir ardent de rentrer dans sa patrie, ou du moins de venir à Paris. On veut que sur ses sollicitations auprès d’un grand ministre, celui-ci lui ait fait entendre que la reine s’y opposait, prévenue contre lui, en le regardant comme auteur de tous les libelles contre la religion qui se répandent depuis quelque temps en France ; que la seule façon de démentir ces calomnies, et de mériter l’indulgence de cette Majesté, était de faire un acte de catholicité qui détruisit les imputations de ses ennemis ; que, d’après ces conseils, ce vieux pécheur se soit déterminé à rentrer dans le giron de l’Église. Malheureusement, à force de vouloir donner de l’éclat à sa conversion, il a joué une scène de dérision, dont on n’a pas manqué de se prévaloir auprès de la reine pour l’indisposer encore plus contre lui ; et conséquemment toute cette hypocrisie est en pure perte, et ne lui servira ni pour le ciel ni pour la terre[342].

— Un ami de M. le marquis de Chauvelin, lieutenant-général nommé pour commander les troupes en Corse, lui a adressé le madrigal suivant, à l’occasion de la douleur où se trouve madame de Chauvelin, qui n’accompagne pas son mari et prend peu de part à la gloire qu’il va acquérir :

Ta glSous mes doigts ma lyre est muette :
Ta glJe la pince en vain nuit et jour,
Ta gloire me plaît moins, qu’elle ne m’inquiète.
Peut-être j’entends peu les finesses de cour,
Mais mon âme flétrie à la douleur s’apprête,
Quand mes yeux éblouis contemplent sur ta tête
Des lauriers arrosés des larmes de l’Amour.

22. — Le sieur Palissot se dispose à nous régaler d’une nouvelle édition de sa Dunciade, avec un chant tout neuf. On connaît ce poëme, espèce de libelle diffamatoire contre tous les gens de lettres.

— Nous avons parlé[343] d’un livre du père Thomas-Marie Mamachi, intitulé : De animabus justorum in sinu Abrahæ ante Christi mortem expertibus beatæ visionis Dei, etc. Un chanoine, nommé Jean Cadonici, s’avise de critiquer cette folle production. Ces ouvrages, qui ont paru en Italie, indiquent combien il y a encore de barbarie et d’ineptie dans cette contrée.

23. — Extrait d’une lettre de Berlin, du 15 avril.

Aujourd’hui l’Académie royale des Sciences de cette ville a tenu son assemblée publique, dans laquelle on a fait lecture d’une lettre de l’impératrice de Russie, adressée à l’Académie. Cette lettre, datée de Pétersbourg le 4 du mois dernier, est conçue en ces termes :


« Messieurs de l’Académie de Prusse,

« J’ai tâché de remplir les devoirs de mon état et n’ai pas cru avoir rien fait qui me rendit digne du titre que vous me donnez dans votre lettre du 21 janvier. Sous les auspices d’un roi doué d’un esprit si sublime, si éclairé, et environné de tant de gloire, vous êtes accoutumés à juger des hommes et des choses sans préjugés et sans illusion. Vous ne voyez en moi que la personne même, et néanmoins vous me qualifiez de votre associée. Flattée de ce témoignage de votre estime, je veux bien l’accepter. Cependant, Messieurs, ma science se borne à savoir que tous les hommes sont mes frères. J’emploierai toute ma vie à régler mes actions sur ce principe. Si jusqu’à présent j’ai réussi dans quelques entreprises, il faut n’en attribuer le succès qu’au sentiment de cette vérité. Au reste, je souhaite, Messieurs, que vos travaux puissent être utiles aux sciences, aux arts et surtout à l’Académie ; je serai charmée de trouver souvent les occasions de donner à ses membres des marques de mon estime.
Catherine.

« P. S. Je joins à cette lettre deux cartes géographiques très-exactes, l’une du cours du Wolga, depuis la ville de Twer jusqu’à la mer Caspienne ; et l’autre de cette mer. J’espère, Messieurs, qu’elles vous feront plaisir. »

La première de ces cartes est un in-folio, format d’atlas, contenant une suite de quarante-sept cartes ; à la vingt-sixième desquelles est écrit de la main de Sa Majesté Impériale, « depuis la ville de Twer jusqu’à cet endroit (Gozod Cahelurckb) cette carte a été vérifiée sous mes yeux et en partie par moi-même. »

L’Académie a témoigné sa reconnaissance et sa vénération à l’Impératrice par une lettre fort respectueuse, où elle lui demande la permission de lui envoyer la collection de ses Mémoires.

24. — Le poëme de la Guerre civile de Genève paraît enfin complet dans toutes ses parties et orné des honneurs typographiques. Malgré la fécondité de son auteur, il semble avoir coûté à M. de Voltaire plus de temps qu’il n’en consacre ordinairement à ces sortes de productions. Il est en cinq chants. Les deux derniers n’ont rien de ces couleurs atroces répandues à grands flots dans les premiers ; ils sont gais, et font honneur à l’imagination riante de ce poète aimable. Il y a beaucoup de notes, qui servent à faire connaître tous les obscurs bourgeois de Genève, qu’il a plu à M. de Voltaire d’illustrer, et qui sans lui n’auraient jamais été connus.

— Un jeune auteur ayant composé une héroïde sur les reproches d’une mère à son époux qui, ayant voulu faire inoculer son fils, est supposé l’avoir perdu, la police n’a point voulu passer cette fable, dans la crainte qu’elle ne fit impression sur quelques âmes faibles. On voit par ce trait combien le Gouvernement protège une méthode qu’il regarde sans doute comme salutaire à la nation. 25. — Le trait historique de l’homme au masque de fer, détenu et mort à la Bastille au commencement de ce siècle, est un problème qui jusqu’à ce jour n’a pas encore été résolu. Diverses opinions ont partagé les auteurs qui en ont parlé ; et M. de Voltaire lui-même, en rapportant les faits, ne détermine point celui que cela pourrait regarder, M. de Saint-Foix vient de publier une Lettre[344] au sujet de cet inconnu : il porte le flambeau de la critique dans cette matière ténébreuse ; Il discute les sentimens des écrivains, et conclut que l’homme au masque de fer n’était autre chose que le duc de Monmouth[345], fils naturel de Charles II, roi d’Angleterre, qui voulut monter sur le trône, auquel il disait avoir droit par sa naissance légitime. Il ajoute que cet acte de clémence s’était fait de concert avec le roi Jacques ; que ce monarque en avait donné sa parole à Charles II mourant, et qu’il n’avait pas voulu l’enfreindre ; que, par politique, il avait été forcé à le faire passer pour décapité, et avait obtenu de Louis XIV qu’il fût enfermé. Il faut avouer que les raisonnemens de M. de Saint-Foix ne sont pas sans réplique à beaucoup près. Il serait à souhaiter que la discussion de cette matière, qui ne peut plus être qu’un objet de curiosité, engageât ceux qui ont ce secret à le divulguer.

26. — M. Linguet, auteur estimé de divers livres historiques, se trouvant maltraité dans les notes du Tacite de M. l’abbé de La Bletterie, n’a pu contenir son ressentiment ; du moins on lui impute l’épigramme suivante[346], qui a en effet assez l’air d’une personnalité :

Apostat[347] comme ton héros[348],
Janséniste signant la bulle,
Tu tiens de fort mauvais propos,
Que de bon cœur je dissimule ;
Je t’excuse et ne me plains pas ;
Mais que t’a fait Tacite, hélas !
Pour le traduire en rididule ?

28. — Les spectateurs curieux de l’Opéra souffrent impatiemment l’absence de mademoiselle Heinel, cette danseuse si propre à exciter leur lubricité. On a raconté[349] comment M. le comte de Lauraguais, enflammé pour elle, avait versé l’or avec profusion au sein de cette beauté ; mais, par une fatalité malheureuse qui empoisonne presque toujours nos plaisirs, mademoiselle Heinel s’est trouvée chatouillée d’une maladie de peau qui se communique avec rapidité, et qui a fait dire plaisamment qu’elle avait fait de son amant un prince de Galles.

30. — Copie de la réponse de l’Académie de Berlin à la Lettre de Sa Majesté l’impératrice de Russie :

« Madame,

« Parvenus au comble de nos vœux, nous serons à jamais pénétrés de reconnaissance de la faveur signalée que Votre Majesté Impériale vient de nous accorder et des témoignages précieux de son auguste bienveillance, dont elle a daigné l’accompagner. Nous transmettons à nos derniers neveux cette brillante époque, avec toutes les circonstances qui peuvent en conserver l’éclat et le souvenir. Que ne pouvons-nous, Madame, présenter nous-mêmes à Votre Majesté Impériale nos profonds hommages et aller au pied de son trône la proclamer tout d’une voix notre associée ! Qu’il nous soit au moins permis d’y placer la collection des Mémoires de notre Académie, que nous allons former incessamment et faire parvenir à sa glorieuse destination !

« Nous rendons de très-humbles grâces à Votre Majesté des cartes qu’elle a bien voulu joindre à sa gracieuse réponse. En parcourant de l’œil les contrées qu’elles représentent, nous partageons en idée le bonheur dont leurs habitans ont joui, en voyant leur auguste souveraine y marquer elle-même tous ses pas par les traits ineffaçables de sa sagesse et de sa bonté, vertus seules propres à faire des puissances de la terre les vivantes images de la puissance suprême.

« Nous sommes dans les sentimens de la plus haute vénération et d’une immortelle gratitude. »

2. Juin. — Le sieur Grandval, après avoir fait les beaux jours de la scène française, s’en était retiré assez à temps pour emporter les regrets du public. Obligé de rentrer depuis, par des raisons de fortune, il a insensiblement perdu toute sa célébrité, et s’est vu forcé de disparaître tout-à-fait à Pâques dernier. Pour mettre le comble à ses humiliations, il vient de s’enrôler dans la troupe de Lyon, et terminera probablement ainsi sa malheureuse carrière. Tel on a vu Bélisaire demandant l’aumône ; où plutôt, tel le roi de Syracuse devint maître d’école. 3. — Les Comédiens Italiens donnent demain la première représentation de Sophie ou du Mariage caché, comédie en trois actes, mêlée d’ariettes. L’original de la pièce est de Garrick et Colman. Le baron d’Holbach et le sieur Suard l’ont arrangée au théâtre pour la faire passer sous le nom de Panckoucke, libraire, et beau-frère de ce dernier, à qui ils voudraient faire avoir ses entrées ; enfin, Favart a mis la dernière main à cette besogne, qui ne peut être que très-mauvaise. Le sieur Kohaut, Allemand, a fait la musique[350].

4. — Le sieur Poinsinet a gagné sa cause en plein. Hier ses lettres de rescision ont été entérinées ; la demoiselle Le Blanc de Crouzol condamnée aux dépens, dommages et intérêts ; le Mémoire supprimé.

5. — M. Mercier de La Rivière, l’auteur du livre de l’Ordre naturel et essentiel des Sociétés politiques, est de retour à Paris depuis mercredi dernier. On sait qu’il avait été appelé en Russie pour présider à la rédaction du nouveau Code que l’Impératrice fait faire. Il paraît que ce voyage, prôné avec tant d’emphase dans les papiers publics, n’a pas satisfait l’amour-propre de ce magistrat autant qu’il l’espérait. Il est tombé malade en route, et n’est arrivé à Saint-Pétersbourg qu’au mois d’octobre. Sa Majesté Impériale était à Moscou ; il a trouvé cette capitale occupée par huit cents députés arrivés de toutes parts, à l’effet de travailler au grand ouvrage en question. Il a réprouvé une loi préliminaire, par laquelle Sa Majesté Impériale s’obligeait de ne punir jamais de mort aucun des membres de cette espèce de sénat de la nation ; et vraisemblablement cette opposition lui a fait des envieux. L’Impératrice, à son retour, l’a accueilli comme un nouveau sujet dont elle se félicitait. On lui avait fait entendre que M. de La Rivière, dans une sorte de disgrâce en France, ne serait pas fâché de s’expatrier ; il a déclaré qu’il n’était rien de tout cela, et qu’il ne comptait point rester en Russie ; en un mot, soit refroidissement de Sa Majesté Impériale, soit qu’il ait prévu son inutilité, il est reparti dès que la saison l’a permis. L’Impératrice lui a fait un présent de dix mille roubles, et de mille à son secrétaire. Peut-être la grande vénération que les étrangers avaient conçue pour lui sur son livre, s’est-elle un peu dissipée aux approches de sa personne.

6. — L’Opéra doit donner, vendredi 10 de ce mois, Daphnis et Alcimadure, pastorale languedocienne, avec un prologue, dont les paroles ont été traduites en français par le même poète. On sait qu’elles étaient originairement de Mondonville, auteur du patois et de la musique. On prétend que l’abbé de Voisenon doit lui prêter son secours. Quoi qu’il en soit, on doute que ce travestissement fasse un bon effet, et que toutes les grâces apprêtées de l’Académicien vaillent la naïveté de l’original. On a voulu mettre en défaut le spectateur qui a vu jouer autrefois ce drame par Jéliotte, La Tour, et mademoiselle Fel, tous trois Languedociens, et l’on a craint le parallèle avec les acteurs d’aujourd’hui. Il paraît à cette occasion une Lettre en gascon très-caustique et très-plaisante.

10. — La pastorale de Daphnis et Alcimadure a eu plus de succès qu’on ne s’en promettait ; elle a été reçue avec des applaudissemens extraordinaires, et l’on y a observé ce qui ne s’était point encore passé à l’Opéra : les acteurs et la musique ont suspendu leur exécution pour donner un libre cours aux battemens de mains réitérés des spectateurs. Cet enthousiasme sera-t-il durable ? est-il bien fondé ? c’est ce que l’expérience prouvera.

11. — Extrait dune Lettre de Lyon du 5 juin.

« Nos comédiens ont joué vendredi sur leur théâtre Éricie ou la Vestale. Cette tragédie, proscrite par votre Sorbonne, a eu le plus grand succès à la représentation d’avant-hier. Malheureusement M. le prévôt des marchands a été obligé d’arrêter le cours de cette nouveauté. La cabale des dévots a crié contre un drame où la vie monastique est dépeinte sous les couleurs les plus effrayantes et les plus vraies. C’est devenu, comme à Paris, une affaire de religion, et il a fallu sacrifier à ces clameurs dangereuses les plaisirs du public. »

12. — Lettres à un Conseiller au Parlement de ***, pour servir de supplément a l’ouvrage qui est dédié à ce même magistrat, et qui a pour titre : Sur la Destruction des Jésuites en France, par un auteur désintéressé. On sait que cet auteur désintéressé est M. d’Alembert. Même fiel dans ces nouvelles Lettres, mêmes petits détails peu nobles et qui sentent plus l’auteur satirique que le véritable historien. Au reste, il tombe également d’estoc et de taille sur les Jésuites et sur leurs adversaires. S’il attaque les premiers à force ouverte et comme de véritables ennemis contre lesquels il n’y a rien à ménager, il prend une autre forme pour plaisanter les seconds ; il se travestit en arlequin, et les couvre, par ses lazzis, du plus grand ridicule. Les détails sur les convulsionnaires sont surtout fort curieux ; il apprend qu’ils se divisent en anti-convulsionistes décidés ; en Convulsionistes décidés, où mitigés, sous-divisés les uns et les autres en Vaillantistes, Augustinistes, Margoullistes, Secouristes, Anti-Secouristes, Mélangistes, Discernans, etc., etc.

13. — M. l’abbé de Bassinet, auteur du Panégyrique de saint Louis, roi de France, prononcé dans la chapelle du Louvre, devant l’Académie Française, le 25 août 1767, a su qu’on lui faisait un crime de son ouvrage : 1° parce qu’il n’y avait pas mis un texte, suivant l’usage ; 2° parce qu’il y fait l’éloge de la pragmatique sanction de saint Louis ; 3° parce qu’il y condamne les croisades ; 4° parce que dans Louis IX il considère plus l’homme que le saint. Pour se justifier, il passe par-dessus sa modestie, et publie son discours où il y a vraiment du neuf.

— Un événement à peu près semblable à celui du Tartuffe se réalise aujourd’hui, et cause beaucoup de rumeur dans la finance, en ce qu’il intéresse la famille des La Borde. Le sieur de Claustre, prêtre de Lyon, après avoir été quinze ans précepteur des enfans de M. de La Borde, ancien fermier-général, est resté dans cette maison depuis son éducation finie jusqu’en 1762. Sa longue habitude dans la famille lui en a fait connaître tous les tenans et aboutissans ; il a profité de la faiblesse, du dérangement et de l’espèce d’abandon de ses parens les plus proches, où était un La Borde Desmastres, neveu du premier, pour s’insinuer dans son esprit, se rendre nécessaire, et lui faire enfin épouser la demoiselle Boutaudon, sa nièce, le 18 avril 1766. Alors il a montré les dents, et se mettant à la tête des affaires du jeune homme, a fait des répétitions considérables contre le père et l’oncle de son neveu, capables de ruiner l’un et l’autre si elles étaient accordées dans leur totalité. Trois Mémoires très-volumineux sont déjà éclos dans cette contestation, vrai labyrinthe où l’on se perd, et d’où il résulte en général pour le lecteur des impressions fâcheuses contre toute cette famille. On y trouve de chaque part une aigreur capable de nuire aux meilleures causes, et les parties auraient infiniment mieux fait d’ensevelir dans l’oubli, à quelque prix que ce fût, un détail de faits peu honorables pour tous. On voit toujours avec peine un neveu provoquer son oncle, un fils son père, et un oncle et un père réduire le neveu et le fils à la cruelle nécessité de s’armer contre eux. La pièce la plus curieuse de tout ceci est un bout de Mémoire du sieur de Claustre qu’il a joint à celui de son neveu. Le ton cafard qui y règne, les versets de l’Écriture dont il est lardé, l’esprit de modération, de paix, de charité que ce prêtre affiche, sont une présomption forte contre lui, et le font passer, aux yeux de bien des gens, pour un monstre de chicane, revêtu de la peau d’un agneau. Il ne faut point confondre ce La Borde avec le La Borde, ancien banquier de la cour, souche d’une autre famille.

16. — Vers à Eglé, le jour de sa fête,

Par M.  Colardeau.

Vers les antres du nord l’hiver fuit en courroux,
Et déjà le soleil lance un rayon plus doux :
Sur son humble buisson la rose renaissante
Développe l’éclat de sa pourpre brillante,
Et le dieu du printemps aux portes du matin
Vient sourire à la terre et parfumer son sein.
Églé, dans ces beaux jours, que la nature est belle !
Vous lui prêtez encore une grâce nouvelle,

Vous ajoutez un charme à de si doux instans :
Le jour de votre fête est un jour de printemps.
Eh ! qu’importe en effet, lorsque rien ne nous lie,
Que la nature expire ou renaisse embellie ?
Il faut qu’un intérêt plus vivement senti
Ouvre sur les beautés notre œil appesanti ;
Il faut que l’amitié, peut-être l’amour même…
Que sais-je ? rien n’est beau qu’autant que le cœur aime :
Nos passions, nos goûts, sont l’âme de nos sens,
Et la nature échappe aux yeux indifférens.
Elle me plaît par vous et m’en plaît davantage.
Églé ! j’aime les fleurs dont je vous fais hommage :
Sans le tendre intérêt d’en parer votre sein,
Leur fraîcheur, leur émail n’eût point tenté ma main ;
Elles ont plus d’éclat quand l’amour les moissonne,
Heureux qui les reçoit, plus heureux qui les donne !
Mais plaignez le mortel qui seul, dans son ennui,
Va cueillir une fleur et la garde pour lui.

19. — Histoire de l’Opéra Bouffon, contenant les jugemens de toutes les pièces qui ont paru depuis sa naissance jusqu’à ce jour, pour servir à l’histoire des théâtres de Paris (par M.  Contant p’Orville). On trouve dans cet ouvrage des extraits de pièces très-bien faits. Cette histoire est un très-bon répertoire, parsemé d’anecdotes amusantes. Au reste, on sait que les Bouffons ont fait époque en France, et qu’on leur doit l’enthousiasme des Français pour la musique italienne.

20. — M. de Sauvigny, qui s’est déjà essayé dans le genre naïf par son roman de Pierre-le-Long[351], vient de nous donner l’Innocence du premier âge en France ; la Rose ou la Fête de Salency[352]. Dans cet ouvrage, l’auteur marie avec élégance les grâces et la vertu. 22. — Un Bénédictin vient de prendre en main la cause des moines, et la sagesse, la modération avec lesquelles il les défend, lui concilieraient beaucoup de lecteurs, s’il n’y avait encore de meilleures raisons à lui opposer. Son livre est intitulé : le Cénobitophyle, ou Lettres d’un religieux français a un laïque, son ami, sur les préjugés publics contre l’état monastique.

23. — M. Pigalle, cet artiste célèbre chargé de terminer les travaux de la statue équestre de Louis XV, commencée par Bouchardon[353], doit élever à M. de Montmartel un monument, témoignage de la douleur de sa famille. Il a imaginé de représenter un vase antique, contenant les cendres de ce citoyen estimable. Madame de Montmartel, sous la figure de la Piété, jette des fleurs sur cette urne précieuse. Un Génie, de l’autre côté, dans l’attitude de la plus grande tristesse, exprime les regrets dont tous les honnêtes gens ont honoré un financier bienfaisant. Il semblerait naturel que le personnage de la Piété étant représenté par madame de Montmartel, on eût reconnu M. de Brunoy dans la seconde figure. Malheureusement ce dernier ne paraît pas assez agréable au public pour avoir permis au compositeur de le mettre en scène. Quoi qu’il en soit, ce dessin sage et simple est proportionné au sujet, et marque dans M. Pigalle un homme de goût, capable de différens genres. On sait qu’il est l’auteur du mausolée de M. le comte de Saxe. 25. — Épître a M. le marquis de ***,

Par M.  Fumars, de Marseille.

À toi, l’enfant gâté de la coquetterie,
À toiQui d’un air gai, libre et charmant
À toi, Sais dans le même instant
ÀBaiser la main de la tendre Sylvie,
Enflammer d’un coup d’œil la sensible Égérie
À toiEt presser le genou tremblant
À toi, De la douce Isménie ;
À toiToi qui soupires en riant,
À toiQui traites l’Amour en enfant.
À ton système enfin me voilà plus docile ;
À toiDes Céladons, des Amadis,
À toiJ’abjure l’exemple imbécile,
À toiC’est toi, fripon, qui m’as appris
Qu’il n’est qu’un seul plaisir pour les cœurs trop épris,
Et que le vrai bonheur est pour les infidèles,
À toi, Ah ! que l’Amour n’a-t-il quatre ailes !
À toiUn seul objet peut-il nous rendre heureux ?
J’aime à voir une fleur que je trouve jolie ;
À toiMais quel plaisir de promener mes yeux
Sur l’émail varié d’une belle prairie !
À toi, J’aime, à la fraîcheur du matin,
À toiÀ caresser l’incarnat d’une rose,
À toi, Qu’en secret je vois éclose
Dans un vase isolé de mon petit jardin ;
À toiJaime à sentir le parfum qu’elle exhale ;
À toi, Mais jamais ce plaisir n’égale
À toi, La vivacité, les douceurs,
Le charme que j’éprouve aux champs de la Provence,
Quand le soleil ornant avec magnificence
Et la terre et les cieux des plus belles couleurs,
La troupe des Zéphyrs que guide l’Inconstance
Ravit par ses baisers l’esprit de mille fleurs

Et me flatte à la fois des plus douces odeurs.
Ah ! qu’un autre languisse auprès de sa Climène !
Que je serais heureux de voir une inhumaine
En proie à des tourmens justement mérités,
Humble enfin à mes pieds et répandant des larmes,
Rougir de ses soupirs froidement écoutés,
Et moi d’un fier souris dédaignant ses alarmes
Venger d’un seul regard mille amans maltraités.
À L’amour folâtre est l’amour que j’adore.
J’aime du papillon les légères ardeurs ;
Volage adorateur des filles de l’Aurore,
Joyeux, il en quitte une, et mouillé de ses pleurs,
Guidé par le Zéphire, il vole vers ses sœurs,
À Pour les charmer et les quitter encore.
Je laisse la constance et ses fades douceurs ;
À Oui, s’asservir est d’une âme commune.
Quand on ose y prétendre, on soumet tous les cœurs,
À toiLes papillons, toujours vainqueurs,
À toiSont aimés de toutes les fleurs,
À toiEn ne se fixant sur aucune.

27. — Extrait d’une lettre du Vexin-Français, le 18 juin 1768.

« Il est très-vrai ; Rousseau est ici depuis près d’un an, c’est-à-dire depuis son retour d’Angleterre. Il est sous un nom étranger, et dans le ressort du parlement de Normandie. C’est le prince de Conti qui lui donne un asile à Trye. Quand il y vint, malgré la recommandation du prince, ses gens n’eurent pas beaucoup d’égards pour un homme simple, sans mine, et qui mangeait avec sa gouvernante.

« L’inconnu eut la délicatesse de ne point se plaindre ; mais il écrivit à son protecteur de ne point trouver mauvais qu’il quittât ce lieu, et de lui permettre de se soustraire à ses bienfaits. Le prince de Conti se douta de ce qui était ; il arrive chez lui, arrache son secret à Rousseau, le fait manger avec lui, assemble sa maison, et menace de toute son indignation, dans les termes les plus énergiques, celui qui manquera à cet étranger.

« Du reste, il paraît faux que ce grand homme fasse imprimer à présent ses mémoires, comme on a dit ; sa gouvernante assure même qu’il a tout brûlé. Il est revenu de la vanité d’auteur : à peine a-t-il une plume et de l’encre chez lui. Il botanise depuis le matin jusqu’au soir, et forme un herbier considérable ; il a très-peu de relations, ne lit rien, aucun papier public, et ne saura peut-être jamais que M. de Voltaire ait fait une épître où il le plaisante, »

28. — On vient de traduire en français le Marchand de Venise, un des drames les plus vantés du célèbre Shakspeare. Les Anglais le regardent encore comme le chef-d’œuvre de leur théâtre, où cette pièce a aujourd’hui tout autant de succès qu’elle en eut lors des premières représentations. Pour nous autres qui mettons d’autres conditions à un chef-d’œuvre, en convenant des beautés de détail de cette pièce, nous la regarderons dans son ensemble comme un vrai monstre dramatique. Le traducteur a conservé, autant qu’il a pu, le mérite de l’original dans sa prose forte et harmonieuse.

30. — M. l’abbé Baudeau, qui était appelé en Pologne et devait partir au mois de mai pour y mettre en pratique le système des Économistes, a changé de projet ; il se rend aux instances de M. le duc de Choiseul, qui lui fait assurer par M. l’évêque d’Orléans un bénéfice de vingt mille livres de rentes, tel que celui qu’on lui offrait dans les pays étrangers. En attendant, ce ministre veut lui procurer une pension, soit sur les postes, soit sur les économats ; ce qui n’est pas encore décidé. Cet auteur ne reprend pas la plume au journal des Éphémérides, et M. Dupont en reste en possession. Il s’occupe aujourd’hui à répandre dans le public différens écrits toujours relatifs aux principes de la société, et se fait à lui-même des réponses sous des noms anonymes, afin d’avoir occasion de répliquer. On sent bien qu’il se ménage dans cette controverse, et ne se propose jamais d’objections qu’il ne puisse résoudre. Il se croit cette petite charlatanerie permise pour le bien de la chose et pour l’utilité générale.

2 Juillet. — En conséquence d’une lettre du roi, du 25 juin, où Sa Majesté fait part à M. l’archevêque de la mort de la reine[354], son épouse et compagne, et sollicite les prières de l’Église pour le repos de l’âme de cette princesse, M. l’archevêque a fait un mandement, daté du 30 dudit mois, qui, après un préambule pathétique sur les pertes successives que la France a faites, et un éloge de la reine, ordonne qu’il sera fait pour elle un service à Notre-Dame. La lettre du roi et le mandement ont été publiés hier. La simplicité de la première et une sorte de désordre qui y règne, forment un genre d’éloquence très-propre à peindre le trouble du cœur affligé de cet auguste époux.

5. — Le concours du prix de poésie à l’Académie Francaise roule ordinairement entre vingt et trente pièces. Cette année il en a été remis quatre-vingt-quatre au secrétaire, On prétend qu’un homme de qualité, âgé de quatre-vingt-deux ans, le baron de Châteauneuf, n’a point dédaigné d’entrer en lice contre la brillante jeunesse qui court la même carrière. Les vœux seront a coup sur pour le moderne Sophocle, et il serait à souhaiter, pour l’honneur du siècle, qu’il eût le prix.

6. — Journal d’un voyage à la Louisiane, fait en 1720 ; par M. ***, capitaine de vaisseau du roi[355].

On paraît s’être proposé pour modèle de ce Journal celui du Voyage de Siam, par l’abbé de Choisy ; c’est-à-dire qu’on a cherché à y répandre du badinage et de la gaieté, et on n’y a mis, au contraire, que du trivial et du plat.

— Madame Benoit, déjà connue par des romans, vient de s‘élever jusqu’à la comédie, et de nous en donner une en un acte et en prose, qui a pour titre : la Supercherie réciproque[356]. L’intrigue n’en est pas mal conduite ; il y a de la simplicité dans le style, mais nulle énergie dans les caractères, et rien de comique dans les situations. Cette pièce restera dans la bibliothèque des amis auxquels l’auteur femelle en a fait part.

7. — M. de Voltaire, ranimant les restes de son feu, qu’il assure n’être plus que de la cendre, vient d’enfanter une ode pindarique a occasion d’un tournois donné en Russie par la Czarine. On croirait, en lisant cette production, que le poète a eu moins en vue de célébrer l’Impératrice, que de déprimer Pindare[357]. C’est plutôt une satire burlesque qu’un ouvrage héroïque. On y remarque les convulsions effrayantes d’un forcené, au lieu des sublimes élans d’un homme de génie. Ce grand homme dans différens genres, a toujours échoué dans celui-ci, et il voudrait effacer du Temple de Mémoire les noms des grands maîtres de l’ode.

8. — Le sieur Taconet, auteur et acteur du théâtre de Nicolet, vient de s’exercer sur un sujet plus noble ; il a de l’agrément de la police, fait imprimer des stances[358] sur la mort de la reine, en forme d élégie. Il faut avouer que si cet ouvrage fait honneur au cœur de cet histrion, il dégrade singulièrement l’héroïne. On est surpris qu’après l’exemple de l’Oraison funèbre du Père Fidèle, de Pau, si fameuse par son ridicule et par l’éclat scandaleux qu’elle fit à la mort de monseigneur le Dauphin, on n’ait pas examiné de plus près la pièce burlesque du sieur Taconet. Il est des éloges qui doivent être interdits à de certaines bouches.

9. — Extrait du Chapitre de l’Ordre de Saint-Michel, tenu aux Cordeliers le 9 mai 1768, auquel a présidé M. le duc de Duras, commandeur et commissaire des Ordres du Roi et du Saint-Esprit. Tel est le titre d’un discours de M. Morand, chirurgien des Invalides et chevalier dudit ordre, qui paraît imprimé et fait grand bruit par le style ridicule dans lequel il est écrit, et par l’éloquence toute nouvelle de l’orateur.

10. — Le sieur Sédaine, ce maçon devenu poéte et auteur estimé de plusieurs pièces de théâtre jouées aux trois spectacles, mais plus habile encore a tracer le plan d’un édifice que celui d’un drame, vient d’être nommé secrétaire de l’Académie d’Architecture a la place de M. Le Camus, dont on a annoncé la mort.

11. — Il paraît une tragédie bourgeoise en cinq actes et en prose, qui a pour titre : les Amans désespérés, ou la Comtesse d’Olinval. C’est plutôt un roman bizarre, où on ne trouve point la vraisemblance qui doit annoncer, préparer et lier les événemens. Ce sont des monstres et non des caractères qu’on a dessinés. Le style de ce drame est faible et diffus.

12. — Un négociant de Nantes ayant écrit à M. de Voltaire qu’il avait baptisé un de ses vaisseaux du nom de ce grand poète, il y a répondu par une Épître fort longue adressée au vaisseau : elle est pleine de fraîcheur, de poésie et de philosophie ; mais elle est déparée par cet esprit satirique et burlesque, qui se mêle aujourd’hui aux plus beaux ouvrages du philosophe de Ferney.

15. — M. de Voltaire, depuis sa communion, était resté dans un silence édifiant, mais il paraît que le diable n’y a rien perdu. Il tombe aujourd’hui sur le corps d’un nouvel adversaire ; c’est M. Bergier, curé en Franche-Comté, auteur de plusieurs ouvrages en faveur du christianisme, qu’on connaissait peu, et qui devront leur célébrité au grand homme qui les tire de la poussière : et les honore de sa critique. Son pamphlet est intitule Conseils raisonnables a M. Bergier, par une société de bacheliers en théologie. Sans approuver le fond de cet ouvrage impie, on peut dire qu’on y reconnaît facilement son auteur, peu logicien, mais toujours agréable dans les matières les moins susceptibles de gaieté. Ces Conseils contiennent vingt-cinq paragraphes et forment environ trente pages d’impression.

16. — Le célèbre M. Winkelman, cet homme rare par son goût et ses vastes connaissances, était revenu de Vienne à Trieste, pour se rendre à Rome, où depuis quelques années il faisait son séjour ordinaire. Il a été assassiné dans l’auberge par un étranger qui, après plusieurs conversations, s’était insinué dans l’esprit de ce savant. Un jour, sur les dix heures du matin, ce scélérat est entré dans la chambre de M. Winkelman, et lui a demandé à voir trois belles médailles d’or dont l’Impératrice-Reine lui avait fait présent. Dans le moment où il ouvrait son coffre, il lui a donné sept coups de poignard. Son domestique étant accouru au bruit, l’assassin l’a renversé sur le carreau d’un coup de poing, et s’est sauvé sans avoir rien emporté. Ce savant estimable a survécu de quelques heures à ses blessures : il a eu le temps d’instituer son exécuteur testamentaire le cardinal Albani, et d’écrire à ce prélat pour le prier de remercier l’Impératrice-Reine de toutes les grâces dont cette auguste souveraine avait daigné le combler, ainsi que le prince de Kaunitz et plusieurs autres seigneurs de la cour de Vienne.

Le monstre qui occasione aujourd’hui nos regrets, est le nommé Archangely, de Pistoye : il a été arrêté dans la suite, et ramené à Trieste le 15 juin.

17. — M. Bouret, cet homme ingénieux, toujours occupé de plaire à son maître, et qui dispense tant de trésors pour satisfaire cette noble passion, s’occupe à embellir encore le fameux pavillon du roi, où il compte recevoir Sa Majesté cet automne, dans le temps des fameuses chasses dans la forêt de Senart. Il vient de faire exécuter en marbre la figure de Louis XV, avec tous les attributs de la royauté. C’est le sieur Tassard, sculpteur, reçu depuis peu à l’Académie, mais d un mérite distingué, qu’il a chargé de ce travail. Elle doit être placée dans l’appartement du roi, au lieu du lit qui y était, et dont Sa Majesté n’a jamais fait usage. La statue sera en dedans de la balustrade, avec des gradins au bas du piédestal. De cet appartement galant, M. Bouret en fait un appartement magnifique par les dorures et les richesses qu’il doit y répandre, sorte d’ornemens analogues à l’usage qu’il veut en faire aujourd’hui. On sait que ce financier très-opulent, mais très-dérangé dans ses affaires, avait été réduit à la pension par M. de La Borde, qui s’était chargé de l’administration de ses biens, et ne lui avait laissé que quinze mille livres de rentes. Maintenant qu’il se trouve libre, la dépense dont nous venons de parler est le premier emploi qu’il fait de ses immenses revenus. Un coup d’œil favorable de son maître le dédommagera de tout et fera son bonheur.

19. — Les Italiens ont donné hier un opéra comique, intitulé le Jardinier de Sidon ; la musique est de Philidor. Quant au drame, ce sujet avait autrefois été traité par Fontenelle : le nouvel auteur[359] ne se nomme pas, ce qui n’annonce pas un succès très-sûr. Au reste, depuis quelque temps, les premières représentations ne décident de rien, et la réputation d’un ouvrage ne se fixe qu’à la seconde, troisième ou quatrième.

22. — Le bruit court que M. Rousseau est sorti de sa retraite de Trye et est passé à Lyon, sans qu’on donne d’autres raisons de cette émigration que l’inconstance du personnage. On ne sait s’il restera dans cette ville, où il se trouve dans le ressort du Parlement de Paris : on présume qu’il y a conservé son nom étranger.

23. — La Comédie Italienne vient de perdre mademoiselle Camille Véronèse, morte, le 20 de ce mois, des suites d’une vie trop voluptueuse, comme il arrive assez souvent à ces demoiselles, qui aiment à la faire courte et bonne. Au reste, c’était une grande et très-grande actrice ; elle possédait la partie du sentiment dans un degré supérieur, et depuis mademoiselle Sylvia aucune n’avait montré tant de talens pour la scène. Elle emporte avec elle les regrets des partisans de ce théâtre, qu’elle laisse absolument vide relativement à son genre. On n’y voit plus en femmes que des cantatrices, et l’on sera obligé de renoncer absolument aux pièces italiennes qu’elle soutenait par son jeu : elle était l’âme d’Arlequin même, quelle inspirait et dont elle échauffait la verve.

24. — M. de Voltaire ne perd aucune circonstance de faire su cour à la Czarine, qu’il appelle la Sémiramis du Nord. À l’occasion des nouveaux troubles de Pologne, il paraît un Discours aux Confédérés catholiques de Kaminiech en Pologne, par le major Kaiserling, au service du roi de Prusse. Tel est le titre d’une petite brochure de seize pages d’impression, échappée récemment à la plume de cet écrivain célèbre. Elle est digne de l’apôtre de la tolérance ; mais l’humanité lui saurait plus de gré de son zèle, s’il n’était toujours armé de sarcasmes, et s’il ne prodiguait trop immodérément des éloges qu’on pourrait suspecter de flatterie. On est tenté de croire qe le fonds de tous ces ouvrages n’est qu’un cadre pour enchâsser des hors-d’œuvre qui reviennent si souvent qu’ils font tort à la pureté des intentions de l’auteur.

27. — Jacques-Bernard Durcy de Noinville, président honoraire au Grand-Conseil, est mort il y a quelques jours[360] : il était académicien libre de l’Académie royale des Inscriptions et Belles-Lettres, et membre de la Société royale de Londres.

M. Piron, qui, dans un âge encore plus avancé que M. de Voltaire, conserve, ainsi que lui, tout le feu de sa jeunesse, et toujours son rival quand il s’agit de faire assaut d’esprit et de sarcasmes, s’est permis une saillie à l’occasion de la longue Épître du dernier au vaisseau baptisé sous son nom : il l’adresse au négociant propriétaire du bâtiment, et s’écrie :

Si j’avais un vaisseau qui se nommât Voltaire,
Sous cet auspice heureux j’en ferais un corsaire.

M. de Moissy, connu au Théâtre Italien par quelques pièces jouées avec succès, vient de s‘essayer au Théâtre Français, où il n’a pas été aussi heureux. On a donné aujourd’hui ses Deux frères ou la Prévention vaincue, comédie en cinq actes et en vers. Comme l’auteur est aimé et qu’il n’y avait point de cabale, on a supporté patiemment tout l’ennui de ce drame mortel, sauf à n’y plus revenir. En effet, il paraît qu’il n’y aura pas de représentations. Cette chute subite dispense de faire aucune analyse de la pièce. En général on a reconnu que M. de Moissy avait une stérilité peu propre a soutenir un ouvrage d’une pareille étendue. Point d’ensemble point de cohérence dans les actes et dans les scènes, un style trivial et souvent bas, des détails peu nobles et[illisible] amenés. Tous ces défauts ont fait proscrire cette comédie, dont l’intrigue, maniée par une meilleure main, aurait pu prêter à une pièce en trois actes seulement.

28. — Nos auteurs secondent nos armes contre le pape[361]. On est inondé d’écrits pour prouver la légitimité de notre invasion ; mais aucun n’est aussi éloquent que l’arrêt du Parlement de Provence, pièce victorieuse, à laquelle le Saint-Père n oppose encore qu’un jubilé.

29. — La pièce des Italiens, dont on a parlé, va tant bien que mal, et l’auteur des paroles n’a pu garder plus long-temps l’incognito. C’est un M. de Pleinchêne dont on ne connaît encore qu’une assez mauvaise chanson sur le Wisk, qu’il réclama l’an passé avec chaleur dans différens journaux[362]. Quant à la musique, quoique de Philidor, les gens difficiles la réduisent à deux ariettes.

M. de Bury a fait, il y a déjà quelques années, une histoire de Henri IV[363], peu digne de ce héros. M. de Voltaire, sous un de ces noms étrangers dont il se masque si souvent, attaque aujourd’hui cet auteur, le taxe de peu d’exactitude, et relève ses erreurs de toute espèce ; mais on est tenté de croire que cette guerre directe n’est qu’un prétexte pour se ménager une excursion sur le president Hénault, dont il dissèque et met en pièces l’Abrégé chronologique. On est d’autant plus indigné de cette sortie, que, dans son discours de réception à l’Académie Française, M. de Voltaire avait parlé de ce livre avec le plus grand éloge. Il est a craindre que cette critique, quoique injuste, ne jette de l’amertume sur la vieillesse du president. Il y sera d’autant plus sensible, qu’une sorte d’amitié avait toujours paru régner entre les deux écrivains. On ne peut encore attribuer son incartade qu’a un de ces accés de jalousie dont est sans cesse rongé l’immortel auteur de la Henriade[364].

— Il s’éléve de toutes parts une tempête littéraire contre M. l’abbé de La Bletterie, et les différens auteurs qu’il a attaqués lui rendent avec usure les traits de satire qu’il leur a lancés. Au reste, son ouvrage prête infiniment à la censure et pour le fond et pour le style. Il aurait dû être plus modeste, et se souvenir que lorsqu’on a une maison de verre, il ne faut pas jeter des pierres dans celle d’autrui.

30. — Mademoiselle Camille est morte dans sa jolie maison de Montmartre, ou M. Cromot, premier commis des finances, lui a donné jusqu’au dernier moment les marques de l’attachement le plus tendre. Elle a expiré entre les bras de cet amant magnifique. En vertu du privilège qu’ont les Comédiens Italiens de n’être point excommuniés, cette actrice a reçu ses sacremens, et elle a été enterrée en l’église du lieu. C’est le sieur Dehesse qui, comme doyen des comédiens ses camarades, a conduit le deuil. Par les soins de M. Cromot, il s’est trouvé un : cortège magnifique au convoi ; on y comptait plus de cinquante carrosses bourgeois. Mademoiselle Camille était fort aimée, et joignait aux plus grands talens toutes les qualités de l’âme les plus précieuses. Elle a fait un testament en faveur de sa famille, qui fait également honneur à son jugement et a son cœur.

31. — On travaille au pont qui doit suppléer a celui de Neuilly, qui déperit depuis long-temps, et dont la débâcle des glaces de l’hiver dernier avait accéléré la ruine. Le nouveau pont doit être au bout du Cours, en face de la place de Louis XV. On doit couper une partie de la montagne connue sous le nom de l’Étoile, comme aussi élever de beaucoup la grille de Chaillot. M. Perronet, ingénieur célèbre des ponts-et-chaussées, est chargé de la construction de ce monument.

Ier Août. — Il est très-vrai que J.-J. Rousseau est parti de Trye et s’est rendu a Lyon, toujours herborisant, botanisant. Cette passion l’occupe aujourd’hui tout entier. Il est resté peu de temps dans cette dernière ville, pour y voir une dame de ses amies ; il y a fait recrue de quelques enthousiastes du même genre, et le moderne Tournefort s’est mis en marche avec eux pour faire ensemble des découvertes de plantes et de simples. Ils sont actuellement dans les montagnes du Dauphiné. On juge qu’ils pénétreront jusqu’aux Alpes. Il est incroyable a quel degré le philosophe genevois pousse l’ardeur de cette étude. On ne doute pas qu’il ne se distingue un jour dans ce genre, comme il a déjà fait dans tous ceux qu’il a embrassés. Ces nouvelles connaissances doivent le satisfaire d’autant plus, quelles le mettent à même d’exercer l’amour de l’humanité dont il est si noblement dévoré, et peut-être sera-t-il plus heureux à guérir nos maux physiques qu’il ne l’a été dans la cure de nos maux moraux.

— Les amateurs commencent a se préparer pour la vente de la bibliothèque de feu M. Gaignat, ce curieux si recherché qui se piquait de n’avoir que des livres uniques. L’impératrice de toutes les Russies a fait offrir du cabinet de livres entier, d’abord la prisée telle qu’elle a été faite, le quart en sus, ce qu’on voudrait y ajouter pour la fantaisie des acheteurs et des concurrens, enfin deux cent mille livres de pot de vin. La clause du testament de M. Gaignat portant expressément que ces livres soient vendus a l’encan, s’est opposée à des conditions aussi avantageuses. On cite entre autres raretés de ce cabinet, un exemplaire des Contes de La Fontaine, écrit à la main et sur du vélin, dont le travail a coûté dix-huit cents livres. Enfin chaque Conte est enrichi de deux ou trois estampes, plus ou moins, gravées par des jeunes gens habiles que M. Gaignat a pris chez lui, et dont lui seul a eu les planches, qu’il a fait rompre. On estime cet ouvrage complet vingt-cing à trente mille livres.

5. — Le sieur Poinsinet, ce jeune poète brûlant d’une soif de gloire inextinguible, qui a déjà tant fait parler de lui, va de nouveau occuper la scène ; il est question de remettre à l’Opéra son Ernelinde. Comme ce drame roule sur la réunion des trois couronnes du Nord, les directeurs de l’Académie royale ont cru faire leur cour au roi de Danemarck, en faisant jouer cet opéra devant ce prince, qu’on attend à Paris dans quelques mois : s’ils ne flattent ses oreilles, ils espèrent charmer son cœur. D’ailleurs, on assure que le sieur Marmontel s’est chargé de retoucher les paroles : on ne sait s’il est propre a ce genre, et il n’a pas fait preuve jusqu’ici d’une oreille bien lyrique. Quant a la musique, on sait qu’elle a des partisans très-chauds ; elle est dans un genre qui peut plaire aux étrangers.

— On vient de remettre sous les yeux du public la querelle de deux philosophes, dont ils auraient dû pour leur gloire ne pas rendre le public témoin et juge. C’est un assez plat auteur qui, dans une brochure[365] fort insipide, récapitule ce procès célèbre. Il est question du différend de M. Hume avec J.-J. Rousseau. L’anonyme prétend que le Genevois n’est que malade, et non pas méchant ; que l’Anglais, au contraire, est malade et méchant tout à la fois. On ne croit pas que M. Rousseau adopte un pareil défenseur, plus propre a infirmer sa cause qu’a la soutenir. Par occasion, ce scribler fait une excursion sur M. de Voltaire, et, au lieu d’adresser a ce grand homme les reproches qu’il peut mériter justement, il ressasse de vieilles calomnies répétées cent fois et cent fois réfutées. La rage d’écrire peut seule avoir fait prendre la plume a ce méchant écrivain, et son insipide production ne fait pas plus d’honneur a son cœur qu’a son esprit.

— Le Discours de Paoli à ses compatriotes est répandu ici et fait la plus grande sensation. Les âmes les plus viles sont toujours réchauffées aux discours d’un vrai patriote. Malgré les bruits répandus des intelligences de ce général avec la France, on ne peut croire que sa vertu républicaine se soit laissé corrompre par les promesses d’un monarque. Le caractère de Paoli paraît trop indépendant pour ne pas préférer la liberté aux plus magnifigues récompenses. D’ailleurs, tous les traits qu’on rapporte de ce grand homme, saccordent avec l’idée quon en a, et la confirment.

9. — Le Ciel ouvert a tous les hommes, ouvrage théologique[366], est un de ces écrits furtifs, dont s’augmente chaque jour la bibliothèque des esprits forts. Ils ne sauront gré a l’auteur de celui-ci que de sa bonne volonté : c’est un vrai galimatias. Il prétend faire voir qu’il y a une connexion essentielle entre Jésus-Christ et Adam, de sorte qu’Adam est l’anti-type de Jésus-Christ. Cela n’est-il pas bien clair ? Ce livre pourra passer pour l’Apocalypse des incrédules.

11. — L’Oraison funèbre de la reine, prononcée à Saint-Denis, a duré cinq quarts d’heure. M. de Pompignan a mis en opposition la religion de Sa Majesté avec l’esprit d’incrédulité si commun aujourd’hui. Il a paru se complaire a faire des portraits satiriques des philosophes du siècle, et a se venger théologiquement de tous les brocards que plusieurs lui ont prodigués. On se doute bien que M. de Voltaire n’est pas celui qu’il ait eu le moins en vue, et il l’a désigné avec les couleurs odieuses que lui a fournies son zèle amer.

12. — Un particulier se promenant aux Tuileries, il y a quelque temps, un inconnu l’aborde, le salue, et lui dit qu’il a des choses importantes à lui communiquer dans un tête a tête. Le premier s’écarte de sa compagnie et reste seul avec l’étranger. Celui-ci lui déclare qu’il se connaît à l’avenir ; qu’il lui voit sur la physionomie les choses les plus heureuses à lui apprendre, et qu’il ne doute pas qu’il ne lui sache gré de son attention. L’autre, faible et crédule, sans doute, se livre à la charlatanerie de cet imposteur qui, après les simagrées ordinaires, après avoir visité ses mains, observé tous les traits du visage du patient, lui étale et lui pronostique une longue suite de prospérités. La dupe enchantée remercie fort le devin, lui donne un écu de six livres, et s’en va fort contente. Le bohémien, piqué d’avoir fait tant de frais pour une si légère récompense, rappelle cet homme, lui ajoute qu’il y a quelque chose qu’il ne lui a pas dit, parce que ce n’est pas un événement aussi heureux que les autres ; que, toute réflexion faite, il est pourtant essentiel qu’il en soit prévenu pour y remédier, s’il est possible. Il lui confirme alors toute la bonne fortune dont il l’a flatté ; mais il lui annonce qu’il aura à trois époques différentes, très-prochaines, trois accès de convulsions, dont le dernier sera si terrible qu’on ne peut savoir s’il en réchappera ; que s’il est assez heureux pour en revenir, il entrera dans un cours de félicités qui durera le reste de ses jours. Le prétendu sorcier quitte à ces mots le pauvre diable, et part comme un trait. Ce malheureux, frappé, retourne à ses amis, auxquels il raconte son aventure : ils veulent en vain le rassurer. Il revient chez lui dans une consternation dont il ne peut se remettre, et, après avoir eu successivement les deux accès de convulsions pronostiqués, il entre dans le troisième, si terrible que tous les médecins n’y peuvent rien. On arecours a M. Petit, philosophe encore plus que médecin, et qui joint à de grandes connaissances de l’anatomie les talens d’un mime consommé. D’après l’exposition de l’état du malade, il se dispose à jouer une farce, dont il attend plus de succès que de ses remèdes. Il se revêt de tout l’appareil d’un Bohémien : accoutrement singulier, longue barbe, extérieur malpropre, baguette à la main, rien n’est omis ; et, s’étant bien mis au fait de toutes les circonstances de l’aventure, il se rend chez le convulsionnaire, auquel il en impose d’abord par sa hardiesse et l’étalage de son érudition. Il écoute le récit du malade : il convient de l’habileté du devin qui lui a prédit sa maladie ; mais ce n’est encore qu’un élève dans l’art de la nécromancie, et il n’a pu voir tout ce qu’un plus grand maître peut découvrir. Il fait alors montrer au malade sa main : il lui répète tous les heureux pronostics du premier sorcier ; il en ajoute d’autres ; enfin il en vient aux signes diagnostiques des convulsions, et, après bien des recherches, il trouve qu’elles ne seront point mortelles. Il dit cela avec tant d’emphase et de confiance, qu’il frappe l’imagination du malade. Et lui prescrit quelques remèdes simples, auxquels il joint des formules précises et bizarres, qui annoncent toute la profondeur de son art. Bref, après avoir fait quelques visites à cet hypocondre, il ranime son espoir au point de faire cesser les accidens funestes qui étaient survenus. Il lui administre quelque dose de gaieté de temps à autre, et le guérit radicalement, au point que l’homme est comme a son ordinaire.

Les docteurs moroses ont voulu critiquer la conduite de M. Petit : ils ont prétendu qu’il avait avili sa profession par un rôle indécent et malhonnête ; comme si leur première science n’était pas de guérir, et si le plus habile médecin n’était pas celui qui emploie le moins de remèdes ! Cette cure fait infiniment d’honneur au moderne nécromancien auprès des philosophes et des amis de l’humanite,

13. — Épître aux Romains, par le comte de Passeran ; traduction de l’italien. Tel est le titre une brochure de quarante-deux pages, où l’on établit un parallèle de l’ancienne Rome avec la nouvelle, qui n’est sûrement pas à l’avantage de la dernière. On fait figurer l’Église de Saint-Pierre vis-a-vis le Capitole, et le pape vis-à-vis les dictateurs. Sur le titre seul, et mieux encore au style, on juge aisément que cette parodie est de M. de Voltaire. Quelque rassasié que le public soit de pareilles facéties, on court toujours avec avidité aprés ses productions. On compte y trouver du nouveau, et le lecteur n’est réveillé que par le sel de l’impiété dont cet auteur assaisonne aujourd’hui tous ses ouvrages. Cette Épître aux Romains ne sera point mise au rang de celles de saint Paul, mais bien a côté de l’Épître a Uranie, digne sœur à laquelle elle mérite d’être accouplée.

14. — Quelqu’un se plaignant, devant l’abbé de Voisenon, du grand chaud qu’il faisait à Saint-Denis, celui-ci répliqua : « C’est d’autant plus étonnant que vous aviez la fraîcheur du puits. » Cette mauvaise pointe a pris dans ce pays à quolibets, et fait beaucoup parler de l’Oraison funèbre de M. Le Franc de Pompignan, évêque du Puy, qui en effet était, de l’aveu de tous les auditeurs, d’un froid à glacer.

— La république des lettres vient de perdre le sieur Deforges, mort subitement a table il y a quelques jours. C’était un auteur moins célèbre par ses opuscules que par ses malheurs. En 1749 il était a l’Opéra, lorsque le Prétendant fut arrêté. Il fut indigné de cet acte de violence ; il crut que l’honneur de la nation était compromis, et exhala ses plaintes dans une pièce de vers fort courue alors, qui commence ainsi :

Peuple, jadis si fier, aujourd’hui si servile,
Des princes malheureux vous n’êtes plus ll’asile…

Il ne put prendre sur son amour-propre de garder l’incognito ; il se confia à un ami prétendu, qui le trahit ; il fut arrêté et conduit au Mont-Saint-Michel, où il resta trois ans dans la cage, qui n’est point une fable, comme bien des gens le prétendent. C’est un caveau creusé dans le roc, de huit pieds en carré, où le prisonnier ne reçoit le jour que par les crevasses des marches de l’église. M. de Broglie, abbé de Saint-Michel, eut pitié de ce malheureux. Il obtint enfin qu’il eût l’abbaye pour prison. Ce ne fut qu’avec des précautions extrèmes qu’on put le faire passer à la lumière, de cette longue et profonde obscurité. Le caractère de M. Deforges, son esprit et ses qualités personnelles, lui gagnèrent les bonnes grâces de cet abbé, au point d’obtenir son élargissement au bout de cinq ans. Il le donna a son frère, M. le maréchal, en qualité de secrétaire ; et madame la marquise de Pompadour étant morte, il fut fait commissaire de guerre, de la nomination de ce général, suivant le droit de tous le maréchaux de France. M. Deforges avait supporté courageusement sa longue et cruelle captivité. Son esprit n’était point affaibli de tant de disgrâces, et M. le maréchal en faisait grand cas.

16. — La Gréve n’a point désempli depuis quelque temps, et les supplices de toute espèce se sont succédé sans relâche. Ce spectacle affligeant pour l’humanité a réveillé la question si importante de savoir si un homme a le droit d’en faire périr un autre ? On discute de nouveau le code criminel ; on en démontre l’absurdité, l’atrocité. On s’étonne que nos magistrats n’aient pas encore porté au pied du trône leurs représentations sur cette matière. Nos philosophes voudraient qu’on tournât au profit du bien public les bras dont on prive l’État par tant d’exécutions. Ils prétendent avoir résolu toutes les objections que l’on pourrait faire, et nous donnent pour exemple de la possibilité de concilier cette indulgence avec la sûreté générale, celui de la feue impératrice de Russie#1, qui, pendant son règne, s’était impose la loi de ne point signer un arrêt de mort ; ils trouvent honteux qu’il nous vienne du Nord de pareilles leçons de morale et de législation.

17. — Mademoiselle Dangeville, cette héroïne émérite du Théâtre Français, l’amour et les délices de tous les gens de goût, a une très-belle maison de plaisance à Vaugirard. C’est là qu’avant-hier, jour de sa fête, on lui en a donné une aussi agréable que magnifique. Elle a fait l’entretien du jour. Il y a d’abord eu un dîner de dix-neuf personnes, composé en beaux esprits, de MM.  de Saint-Foix, Le Mière, Dorat, Rochon et Duclairon, tout récemment arrivé de son consulat de Hollande : en gens de la Comèdie, des demoiselles La Motte, Fannier et de madame Drouin. Le reste était des anciens amis ou amans de la maîtresse de la maison. Il ne faut pourtant pas oublier M. de Saint-Aubin, peintre, qui n’a pas le moins contribué au divertissement. À la fin du dîner, aprés avoir beaucoup tosté en l’honneur de la reine de Vaugirard, M. de Saint-Foix a commencé des couplets sur la fête : tous ses émules l’ont suivi, jusqu’à ce qu’une symphonie partie du jardin ait annoncé quelque chose de nouveau. On s’est transporté vers les lieux d’où elle s’annonçait ; on est entré dans un bosquet délicieux, où s’est trouvée la statue de mademoiselle Dangeville sous la figure de Thalie, avec tous les attributs de son art. On lisait, au bas du piédestal, un hymne de la composition de M. de Saint-Foix. On a procédé à l’inauguration[367] de cette statue, et tous les beaux esprits sont venus en cadence, des guirlandes de fleurs à la main, lui rendre leurs hommages. On a encore chanté des couplets ; on a joué différentes petites parades courtes, spirituelles et délicates. Ensuite, le jour tombant, tous les bosquets se sont trouvés illuminés : on a introduit le peuple ; il s’est formé des danses partout. On avait établi des rafraîchissemens pour cette populace, qui bénissait sans cesse l’illustre Marie. Enfin un feu d’artifice très-brillant a terminé le spectacle. Un grand souper a suivi, et le champagne et l’esprit ont recommencé a couler avec la même abondance.

17. — Des quatre-vingt-quatre pièces qui ont concouru pour le prix de l’Académie Française, neuf ont été choisies et ont suspendu long-temps les suffrages des juges. M. de La Harpe était du nombre. Son Épître, qui roule sur les avantages de la Philosophie, avait beaucoup de partisans, et vraisemblablement il l’aurait emporté ; il a malheureusement eu l’imprudence de se vanter d’avance qu’il avait le prix. Le bruit en est revenu à l’Académie, qui, instruite de cette présomption contraire aux règlemens et aux lois du concours, a formé une délibération par laquelle M. de La Harpe a été déclaré exclus du concours. Seconde délibération en même temps, qui décide que, pour éviter dorénavant de semblables indiscrétions, on n’ouvrira les billets des noms des concurrens que le jour même de la Saint-Louis, ou dans la séance qui doit le précéder.

19. Entre les circonstances qui rendent remarquable le concours de cette année pour le prix de poésie de l’Académie Française, on en rapporte une des plus singulières. Un auteur a eu l’impudence d’envoyer une pièce érotique dans le genre le plus infâme, et très-propre à servir de pendant à la fameuse Ode a Priape. M. Duclos, le secrétaire, a été chargé de la part de la compagnie de lui écrire une lettre très-forte, de lui faire la réprimande qu’il méritait, et de lui déclarer que l’Académie voulait bien par indulgence ne pas le dénoncer a la police, et lui épargner le châtiment qu’il aurait subi infailliblement.

20. — Les Italiens ont donné aujourd’hui la première representation du Huron, comédie en deux actes et en vers, mélés d’ariettes. Ce sujet, tiré de l’Ingénu de M. de Voltaire, ne comporte point les traits de gaieté répandus dans ce roman, mais inadmissibles sur la scène. Ce n’est qu’une faible copie de l’Arlequin sauvage de M. Delisle. Ainsi cette pièce ne peut être que très-médiocre. Elle se réduit à une intrigue de mariage plate et triviale, relevée par des accessoires bizarres et des incidens brusques et invraisemblables. La musique contient de fort jolis détails, annonce beaucoup de talens dans l’auteur qu’on nomme M. Grétry. Le nom du poète[368] est un mystère : un inconnu a présenté le drame aux Comédiens, en déclarant qu’il n’en était pas l’auteur, et qu’il ne pouvait le faire connaître. Des gens qui se prétendent bien instruits poussent la témérité jusqu’à l’attribuer à M. de Voltaire lui-même ; c’est un hochet de sa vieillesse.

22. — M. labbé Coyer, cet ex-Jésuite, persifleur politique, continue à nous instruire par ses productions qui, sous les apparences de la frivolité, contiennent les leçons les plus lumineuses et les plus patriotiques. Son Chinki, histoire cochinchinoise, se répand depuis peu, et peut étre regardée comme le pendant de l’Homme aux quarante écus de M. de Voltaire. Dans le dernier, un pauvre diable échappé de sa campagne, vient à la ville et fait fortune. Le héros de M. l’abbé Coyer, au contraire, vivait heureux dans son état d’agriculteur. Obligé de quitter sa terre par l’accroissement des impôts, il cherche à placer ses enfans dans différens arts ou métiers, et ne pouvant réussir d’aucune façon, ils finissent tous tristement. Il faut convenir qu’outre le mérite de l’invention que le philosophe ex-Jésuite doit céder au philosophe de Ferney, il y a dans le roman de celui-ci des grâces, une gaieté, une aménité et une variété dont manque absolument Chinki. L’abbé Coyer n’a qu’un seul cadre, et tourne toujours autour de la même idée. Malgré cela, le livre est fort couru, à cause des choses hardies qu’il contient et d’une censure amère du Gouvernement. Il est étonnant que l’auteur ait eu une permission tacite ; mais il n’y a pas de doute que le livre ne soit bientôt arrêté, et ne reçoive de la prohibition toute la vogue qui lui manquerait du côté de son mérite intrinsèque.

24. — M. Dudoyer de Gastel, ex-Oratorien, est depuis plusieurs années très-respectueux adorateur de mademoiselle Doligny, cette virtuose de la scène française, que ses camarades admirent beaucoup sans être assez sottes pour l’imiter. La verve de cet auteur s’est échauffée auprès de cette beauté angélique, et ne pouvant s’évaporer autrement, elle s’est condensée en un petit drame composé exprès pour y faire briller notre héroïne. Le sujet est tiré d’un conte de M. Marmontel, intitulé Laurette. On attend avec impatience la représentation d’un pareil drame, véritable production de l’amour le plus pur.

25. — La foule empressée d’assister a la séance publique de l’Académie Française, le jour de Saint-Louis, augmentant d’année en année, et la garde ordinaire de six Suisses ne suffisant pas, on l’a renforcée cette fois-ci d’un détachement d’invalides, commandé par un officier. Malgré cette barricade formidable, le tumulte augmentait ; la salle ne pouvait plus contenir les spectateurs, lorsque M. Duclos, secrétaire, maître des cérémonies de l’Académie, a fait fermer les portes, et Messieurs étant en place, M. de Chateaubrun, directeur, a déclaré que la pièce qui avait remporté le prix cette année avait pour titre : Lettre d’un fils parvenu à son père, laboureur. Il a ajouté que trois autres avaient eu l’accessit, sans que l’Académie prétendit assigner aucune préférence entre elles ; que la première était une Épître aux Pauvres ; la seconde, un Discours sur la Nécessité d’être utile, et que la troisième avait pour titre : le Philosophe. Il a témoigné les regrets de la compagnie de ne pouvoir couronner tant d’excellens ouvrages. Il a encore fait mention d’une pièce intitulée les Ruines[369], d’une autre sur les Disputes, mais contenant des réflexions et des détails sur lesquels la sagesse de l’Académie ne lui a pas permis d’appuyer beaucoup, et que ses statuts l’ont obligée de réprouver malgré tout son mérite. Il a dit qu’elle était de M. de Rulhiéres, officier de cavalerie. Après quoi M. Marmontel a lu, ou plutôt déclamé l’ouvrage couronné. Il a mis tant de pathétique, tant de chaleur dans son débit, que les gens peu au fait ont cru que cette épître était de lui. M. le directeur a repris la parole, a nommé l’auteur, M. L’abbé de Langeac ; il l’a invité de paraître, et ce jeune élève d’Apollon est venu prendre la médaille. Tout le monde a applaudi a sa modestie et aux grâces ingénues de la mère, répandues sur la physionomie du fils.

Quant à la pièce, on y a remarqué beaucoup de sentimens, mais point de logique, c’est-à-dire nul rapport entre les actions et les affections du personnage ; peu d’harmonie dans la versification et de pittoresque dans les détails. On a d’autant plus de tort d’en soupçonner pour auteur M. Marmontel, que cette épître est une véritable amplification de rhétorique, et ressemble très-fort à l’ouvrage d’un écolier. M. Duclos, d’un ton cavalier, a invité les spectateurs a prêter une oreille favorable au morceau qu’il allait lire. Il a rappelé à l’assemblée que Pelisson avait commencé une Histoire de l’Académie Française, continuée par l’abbé d’Olivet jusqu’en 1700 ; et chargé par sa place de succéder à ce dernier, il a offert de faire lecture d’un échantillon de son ouvrage, l’Eloge de Fontenelle. Il a soumis cet écrit au jugement de l’assemblée, en déclarant qu’il continuerait, s’il était encouragé par ses suffrages ; sinon qu’il en resterait là, ce qui lui serait encore plus aisé. Toutes ces phrases débitées d’un air libre, sans être impudent, ont concilié les auditeurs à M. Duclos, et il a commencé. On ne peut dissimuler que cet ouvrage ne soit moins l’éloge du héros qu’une débauche d’esprit de l’auteur, qui, surchargé de ses saillies, semble avoir été obligé de chercher un sujet pour s’épancher. Nul plan suivi ; des divisions confondues, point de liaisons dans les détails ; très-peu de faits, et une immensité de réflexions ou plutôt d’épigrammes, quelquefois inintelligibles, mais auxquelles on a toujours applaudi à compte, dans l’espoir de les mieux entendre à la lecture. En un mot, comme l’a dit un plaisant, cet Éloge n’est qu’un feu d’artifice tiré en l’honneur de Fontenelle.

M. le duc de Nivernois a lu ensuite six fables de sa composition, savoir : l’Homme, les deux Enfans et les deux Ruisseaux ; le Sultan, le Visir et les deux Hiboux ; l’Écho ; le Palais de la Mort ; le Roi, le Santon, le Fleuve et la Poignée de terre ; enfin les Oiseaux, les Quadrupèdes et la Chauve-Souris. Rien de plus agréable que ces fables, dans lesquelles l’auteur a réuni la naïveté de La Fontaine, le sel d’Horace et les grâces du courtisan le plus aimable. Des moralités justes et piquantes, une narration pure, facile et poétique, des applications neuves, une richesse de détails prodigieuse : tout a paru charmant dans ces petits apologues, et le public ne pouvait se rassasier des instructions de ce philosophe ingénieux.

M. Duclos a fini la séance par la lecture du programme du prix d’éloquence pour 1769. Le sujet est l’Éloge de J.-B. Pocquelin de Moliere. Il a appuyé sur la déclaration de l’Académie : « que ceux qui prétendent au prix sont avertis que s’ils se font connaître avant le jugement, ou s’ils sont connus, soit par l’indiscrétion de leurs amis, soit par des lectures faites dans des maisons particulières, leurs pièces ne seront point admises au concours. » Il a ajouté verbalement que l’indécence du concours de cette année avait été si grande, que l’Académie avait été obligée de se prescrire cette sévérité pour l’avenir. Cet article paraît concerner spécialement M. de La Harpe, en faveur duquel Académie a bien voulu se relâcher cette fois, malgré exclusion qu’on lui avait donnée dans une assemblée. On a compris sa pièce dans les accessit ; c’est celle du Philosophe. Le Discours sur la Nécessité d’être utile est de M. Prieur ; l’Épître aux Pauvres, de M. Desfontaines. On ne sait pourquoi cette fois-ci on n’a point nommé les auteurs de ces accessit, et qu’on n’en a rien lu.

Il est arrivé, à cette assemblée, un petit incident qui, tout puéril qu’il soit, mérite d’être rapporté. Les portes de l’Académie étant fermées, et les Suisses de l’extérieur retirés, il est survenu beaucoup de monde, et l’on a pénétré facilement jusque dans l’Académie des Belles-Lettres, dont la salle précède celle de l’Académie Française. Vains efforts pour aller plus loin. MM.  Le Mière et Dorat, courroucés de rester a la porte du sanctuaire des Muses, ont proposé de tenir l’Académie. Tout le peuple littéraire a applaudi ; on s’est rangé autour de la table, et quelqu’un qui avait la pièce couronnée imprimée, ayant proposé d’en faire lecture, on a parodié la grande assemblée. C’étaient des éclats de rire, des brouhahas dont le bruit retentissait jusque dans l’autre salle ; ce qui a beaucoup incommodé les lecteurs, et surtout M. Marmontel, dont les accens passionnés se perdaient quelquefois dans le tumulte.

L’Académie se propose de prendre des précautions pour éviter dorénavant une farce aussi indécente, et empêcher que rien ne puisse troubler la solennité de cette auguste séance.

26. — On sait aujourd’hui que l’homme de qualité, âgé de quatre-vingt-deux ans, dont on a parlé[370], et qui a concouru pour le prix de l’Académie Française, est M. le baron de Châteauneuf, frère du feu maréchal de Maillebois. On est surpris que l’Académie n’ait fait aucune mention de cette circonstance. Ainsi l’on a vu, dans ce jeu littéraire, la vieillesse aux prises avec l’enfance, et, suivant l’usage, la fortune a favorisé la dernière. M. le baron de Châteauneuf est un courtisan épicurien. Il a payé d’abord à la patrie le tribut des services militaires auxquels il a cru que sa naissance et sa qualité de citoyen l’obligeaient, et s’est livré bientôt a un loisir philosophique ; il a coulé ses jours fortunés entre les arts et les plaisirs, passant tour à tour des bras de Vénus dans ceux des Muses. Il s’adonne aussi à la peinture, à la musique, et s’entend un peu à tout.

1er Septembre. — Il parut a Londres, en 1704, un ouvrage du célèbre Toland, sous le titre de Letters to Serena. Quelques savans ont cru que cette Serena était la reine de Prusse. Quoi qu’il en soit, ce livre fit beaucoup de bruit dans le temps de sa publication, et a depuis été très-recherché par les curieux, étant devenu fort rare. On vient de le traduire en français, sous le titre de Lettres philosophiques sur l’origine des préjugés, etc.[371]. Elles sont au nombre de cinq.

Ce livre, très-savant et très-dangereux, est heureusement hors de la portée du commun des lecteurs. Les deux dernières lettres surtout sont remplies dune métaphysique sèche et abstraite, qui ne peut être entendue qu’avec la plus grande contention d’esprit, et qui exige un raisonnement très-exercé sur cette matière.

3. — Madame Bontems, auteur de quelques ouvrages, et entre autres d’une traduction en prose du poëme des Saisons[372] de Thompson, est morte, il y a quelques jours, des suites d’une maladie de femme, longue et douloureuse. Cette virtuose n’est point une grande perte pour la littérature. Cependant, en faveur de son sexe, on lui doit savoir gré de ses efforts, et elle mérite qu’on jette quelques fleurs sur son tombeau.

4. — La comparaison des différentes piéces imprimées qui ont concouru pour le prix de l’Académie, n’est point, au gré des connaisseurs, à l’avantage de celle de M. l’abbé de Langeac. Cela occasione une grande fermentation dans le peuple littéraire, et bien des gens taxent l’Académie de partialité. On sait combien la mère a de crédit aupres de M. le comte de Saint-Florentin, et l’intérêt vif que ce ministre prend aux enfans de madame de Langeac. Un caustique, s’imaginant que ces raisons n’avaient pas peu contribué a déterminer les suffrages des juges, a fait l’épigramme suivante :

De par le roi, ces vers soient trouvés beaux !
Signé Louis, et plus bas, Phelypraux.

— On cite plusieurs traits du roi de Danemark qui annoncent sa jeunesse aimable. Ils ne répondent point à la gravité dont quelques gens, qui ne connaissent point l’humanité, voudraient qu’un monarque fût toujours accompagné. Il y a quelques jours que dans un souper ou était l’ambassadeur de cette Majesté, on en parlait. Madame la marquise de Nicolai dit fort étourdiment à ce ministre : « On assure que votre roi est une tête… — Oui, Madame, une tête couronnée, » répliqua-t-il. Tout le monde applaudit à la manière honnête et polie avec laquelle cet étranger releva, dans la bouche d’une femme, l’indiscrétion et l’indécence du propos.

5. — M. De Parcieux, de l’Académie royale des Sciences, vient de mourir, le 2 de ce mois, d’une maladie de langueur, dans laquelle il a constamment soutenu la douceur de son caractère et la fermeté de son âme. Ce citoyen estimable et éclairé ne s’arrêtait pas à des spéculations vagues, propres seulement a exercer le génie d’un savant ; il mettait ses études en pratique, et ne formait que des projets utiles et d’une exécution dont l’avantage était sensible pour tout le monde.

6. — Le service pour le repos de l’âme de la reine s’est fait aujourd’hui à Notre-Dame en la manière accoutumée.

M. Poncet de La Rivière n’a pas été tout-à-fait aussi long que M. l’évêque du Puy, mais son Oraison funèbre n’a pas paru de beaucoup supérieure a la précédente. On a prétendu que les Jésuites étaient autrefois d’un grand secours à ce prélat dans ses compositions, et qu’on s’est aperçu qu’ils lui manquent aujourd’hui. Quoi qu’il en soit, elle ne répond point à ses autres ouvrages du même genre, et ce n’est assurément pas la matière qui manquait a l’orateur.

7. — Il paraît que la pièce du Huron, quoique ayant une sorte de succès, répudiée par différens auteurs auxquels on l’attribuait, reste enfin à M. Marmontel. C’est pour la troisième fois qu’il échoue dans ce genre. Aprés avoir travaillé deux fois sur son propre fonds, il a voulu essayer s’il serait plus heureux d’après la fiction ingénieuse d’un grand maître ; mais il n’a pas mieux réussi, et cette pièce ne doit la continuation de son existence qu’au musicien dont les connaisseurs applaudissent le talent naissant.

10. — On ne donnera plus Ernelinde à l’Opéra pendant le séjour du roi de Danemark à Paris. On croyait flatter ce monarque par un pareil drame, mais son ambassadeur a fait sentir que le prédécesseur de son maître ne jouait pas un assez beau rôle dans cette tragédie pour qu’un pareil spectacle pût lui être agréable. M. Marmontel comptait bien raccommoder tout cela, mais le sieur Poinsinet a trouvé mauvais que l’académicien voulût le corriger sans son aveu. Il a fait intervenir M. le comte de Saint-Florentin ; et pour remédier à ces tracasseries, il a été décidé qu’on laisserait Ernelinde dans l’obscurité et elle est rentrée.

11. — Les presses infernales de l’étranger ne cessent de gémir. Une production abominable vient d’en sortir encore. Elle a pour titre : Lettres a Eugénie, ou Préservatif contre les préjugés[373], avec cette épigraphe :

Relligionum animos nodis exoAretis
Relligionum animos nodis exsolvere pergo.


Il est aisé de juger par cette espèce de tocsin, quels principes ce livre doit contenir. Il est en douze lettres, faisant deux parties. Dans la première, on retrouve ce qu’on a dit cent fois sur les sources de la crédulité, sur la nécessité d’examiner la religion, sur les idées absurdes, affreuses même qu’elle donne de la Divinité. On examine les Écritures, l’économie du christianisme et les preuves sur lesquelles il se fonde, ses dogmes fondamentaux, celui de l’immortalité de l’âme, et celui de l’autre vie ; enfin les mystères, les sacremens, les cérémonies religieuses, les pratiques ou exercices de piété, les prières, les austérités, etc. L’auteur ne fait que remanier tous les raisonnemens employés par les incrédules ; mais ils sont ici développés, étendus, délayés en quelque sorte dans une infinité d’idées accessoires, qui, en leur faisant perdre sans doute de leur force, les mettent cependant plus à portée de l’héroïne à laquelle est dédié ce traité et de son sexe entier. Voilà ce qui caractérise particulièrement la méthode de cet ouvrage, et la rend plus dangereuse. Dans la seconde partie, qui offre des vues plus nouvelles, l’auteur, après avoir renversé les vertus évangéliques et ce qu’on appelle la perfection chrétienne, prétend prouver que le gouvernement n’a aucun besoin de la religion pour se soutenir ; quelle lui est même nuisible ; qu’elle n’est pas plus avantageuse a ceux qui la professent ; que la morale humaine ou naturelle est la seule véritable, la seule qui nous convienne, la seule par laquelle puisse exister la société. Il veut établir et confirmer l’assertion de Bayle : « qu’une république de vrais chrétiens ne saurait subsister. » Il termine par désirer la plus grande tolérance pour les opinions des hommes. Il paraît avoir une propension secrète a l’athéisme, sans cependant se déclarer tout-à-fait, mais en cherchant à prouver que ce système n’est point absurde, et peut facilement être le résultat de notre ignorance.

L’éditeur[374], dans un avertissement, insinue que ce manuscrit, fort rare, mais connu depuis long-temps, doit avoir été composé par quelqu’un de l’École de Sceaux[375], qu’Eugénie n’est vraisemblablement pas une femme supposée, mais quelque dame de la même école ou de celle du Temple[376]. Quoi qu’il en soit, le style annonce en effet un homme du grand monde. Il y règne, en général, un ton d’ironie qui n’est pas celui du genre, mais qui caractérise assez le courtisan. L’érudition y est cachée par toutes les tournures d’une conversation ordinaire, et l’auteur, après s’être bien rempli l’esprit des traités les plus savans sur cette matière, après les avoir bien digérés, semble se les être rendus propres, et en avoir formé un corps de doctrine à l’usage des moins lettrés, et pour l’intelligence duquel il ne faut que du bon sens et une logique naturelle. Il serait bien à souhaiter que la religion trouvât de son côté quelque courtisan savant et aimable, qui écrivit dans le même goût en sa faveur, et fit un contraste qui servit de contre-poison à celui-ci, pour les femmes, les faibles et les ignorans.

12. — Le Gouvernement, toujours en garde contre les livres prohibés, dont le commerce devient de plus en plus étendu, est alerte pour arrêter l’introduction qu’on pourrait faire de cette marchandise. On vient de surprendre un ballot d’une quantité très-grande d’exemplaires de la tragédie de Lothaire et Walrade, ou le Royaume mis en interdit[377]. On voit, à l’inspection seule du titre, combien il est sage à la police de ne point laisser pénétrer une pareille brochure dans les conjonctures critiques de ses divisions avec la cour de Rome[378].

13. — Les Comédiens Français, depuis quelques jours, nous promettaient sur leurs affiches la nouvelle comédie de Laurette en deux actes et en vers ; elle était annoncée le dimanche pour hier lundi. On a vu avec surprise que non-seulement il n’en était plus question pour ce jour même, mais : qu’elle avait absolument disparu. Tout Paris s’est intrigué pour savoir la véritable raison de cette suspension. Quelques gens ont eu l’absurdité de l’attribuer aux intrigues de la famille de M. Dudoyer, très-absorbée dans la dévotion, et vouée au jansénisme le plus outré ; d’autres ont prétendu que la pièce roulant sur un enlèvement, elle rappellerait une aventure qui a fait beaucoup de bruit cet hiver, et qui intéresse de prés un gentilhomme de la chambre, et qu’on avait cru lui devoir la déférence d’éviter les applications en ne la jouant pas. Il est des gens qui se sont imaginé que mademoiselle Doligny, véritable Laurette de ce drame romanesque, ayant subi un rapt momentané, on lui avait fait sentir l’indécence de se glorifier elle-même sur la scène, et le danger de ranimer contre elle la vengeance d’un seigneur accrédité, qui pourrait trouver mauvais d’être ainsi joué en plein théâtre. Les plus sensés ont voulu que la police se fût tout uniment opposée à la représentation, à cause de l’indécence des mœurs des personnages.

14. — Laurette a reparu sur l’affiche, et a été jouée aujourd’hui. Cette comédie, dans laquelle il n’y a aucune intelligence du théâtre, a été fort mal reçue. Rien de plus gauche que la manière dont l’auteur a transporte ce sujet sur la scène : bien loin d’améliorer le conte, il l’a gâté, rétréci, étranglé ; il a dégradé absolument tous les caractères. Laurette n’est plus naïve ; elle est niaise. Le comte n’est ni amoureux, ni petit-maître, ni scélérat ; c’est un froid débauché, un libertin révoltant ; le père même de la fille perd toute la dignité de son rôle par l’argent qu’il reçoit bassement, et par l’acceptation trop brusque du ravisseur de Laurette pour son gendre. L’article de l’enlèvement est traité de la façon la plus indigne. En un mot, excepté quelques tirades de force et de sentiment dans la bouche du vieillard, excepté une sortie vigoureuse contre les filles, ce drame aurait tombé sans le moindre applaudissement. Le style de l’auteur n’est pas non plus un style fait. Il y a quelquefois de la pureté et de la noblesse, quelquefois des incorrections et des expressions basses. On a trouvé son dialogue froid, triste, langoureux ; il aurait dû réserver pour les tête-à-tête avec mademoiselle Doligny, toutes ces petites scènes dolentes, si insipides pour les spectateurs, et s’appliquer a lui-même ce joli vers de sa pièce :

L’amour-propre est causeur et l’amour est discret.

15. — On prétend que M. de Voltaire ne marche jamais sans la Bible, sous prétexte que lorsqu’on a un procès, il faut toujours avoir sous les yeux le factum de ses adversaires. Quoi qu’il en soit, il est certain qu’il possède parfaitement ce livre ; il s’en est pénétré, il en est plein, il le retourne sans cesse, il le dépèce pour enrichir ses ouvrages, mais à sa manière, et non sans doute comme le prédicateur, le théologien, ou le défenseur de la religion. On sait que l’Écriture-Sainte veut être lue dans la simplicité du cœur et de l’esprit ; qu’aux génies superbes elle offre souvent des ridicules, des absurdités, des barbaries, des impiétés même, et c’est ce que M. de Voltaire ne manque pas d’y trouver. On voit surtout son genre de travail dans sa Profession de foi des théistes, par le comte d’A… au R.D.P., traduit de l’allemand, opuscule où, non content de ressasser ce qu’il a répété cent fois, il cite ses propres écrits et en remet des pages entières sous les yeux du lecteur.

M. De Lisle, fameux astronome, vient de mourir le 11 de ce mois, âgé de quatre-vingt-un ans. Il était pensionnaire vétéran de l’Académie des Sciences et professeur au Collège royal. Son ardeur pour l’astronomie lui avait fait entreprendre différens voyages. Il avait été jusqu’en Sibérie. Il avait professé a Pétersbourg, et avait en conséquence prêté serment de fidélité à l’Impératrice. De retour à Paris, on lui en fit un grief : il essuya des dégouts à l’Académie, où l’on ne le regardait plus que comme pensionnaire étranger. Il demanda sa retraite. Cette espèce de disgrâce, la jalousie de ses rivaux, les tracasseries qu’ils lui suscitèrent, empoisonnèrent sa vieillesse, d’ailleurs malaisée : il est mort dans une sorte d’indigence.

M. le duc de Nevers[379] vient de s’éteindre, âgé de prés de quatre-vingt-douze ans. C’était un seigneur de beaucoup d’esprit, mais dont les mœurs ont passé quelquefois à la cour pour trop philosophiques. On prétend qu’il avait épousé la demoiselle Quinault, excellente comédienne, et sœur du fameux Dufresne. Le présent qu’il a fait à la France de M. le duc de Nivernois, est le plus beau trait de sa vie.

22. — Il s’est élevé depuis quelques années en France une secte de philosophes audacieux qui semblent avoir eu le système réfléchi de porter une clarté fatale dans les esprits, d’ébranler toute croyance, de renverser la religion et de la saper jusque dans ses fondemens. Les uns, troupes légéres du parti, armés du sarcasme et de l’ironie, ont d’abord, sous des allegories sensibles, des fictions ingénieuses, couvert d’un ridicule indélébile ses ministres, ses dogmes, sa lithurgie et sa morale même. D’autres, spéculateurs profonds, cuirassés d’érudition, hérissés de métaphysique, se sont présentés le front découvert, l’ont attaqué a force ouverte, ont déployé contre elle les raisonnemens les plus formidables, et ne trouvant point d’athlètes dignes d’eux, sont malheureusement restés maîtres du champ de bataille. Aujourd’hui, que ces incrédules regardent leur ouvrage comme bien avancé, qu’ils attendent du bénéfice du temps, que la lumière gagnant de proche en proche, dissipe totalement la nuit des préjugés, de l’ignorance et de la superstition, ils attaquent leurs adversaires dans leurs derniers retranchemens : ils prétendent prouver que la politique n’a aucun besoin de la religion pour le soutien et le gouvernement des États. C’est contre cette assertion si ancienne, si répandue, et que les défenseurs du christianisme, poussés à bout, opposent pour dernier argument, qu’ils réunissent aujourd’hui leurs forces, et qu’ils semblent préparer un corps d’ouvrages dont plusieurs pénètrent déjà dans ce pays-ci. Tel est le livre intitulé la Contagion sacrée, ou Histoire naturelle de la superstition[380]. On le prétend traduit de l’anglais d’un M. Jean Trenchard, qui le publia en 1709, sans nom d’auteur. Le résultat de ce traité est que la crainte fut l’origine des religions ; qu’on remarque dans toutes un génie superstitieux, mélancolique, sinistre, apocalyptique, qui, de leurs sectateurs, ne peut faire que des citoyens mous, tristes, lâches, sans énergie ; qu’elles ne sont bonnes qu’a favoriser le despotisme, et à le détruire ensuite, s’il veut secouer le joug de la servitude des prêtres ; que leur morale est tout-à-fait étrangère, opposée même à celle de la nature, la seule sur laquelle puisse se fonder et se maintenir une société. En un mot, qu’elles sont toutes par essence fausses et intolérantes, et qu’un monarque qui veut travailler à son bonheur et à celui de ses peuples, ne doit


_ affermir son trône que par la liberté et la vérité. Il règne en général dans ce livre un esprit républicain, une antipathie contre le sacerdoce, une force de raisonnement, une véhémence de style, qui le caractérisent parfaitement anglais.

27. — On vient de décocher encore un trait à M. l’abbé de Langeac, ou plutôt à l’Académie. Il y a apparence que c’est le dernier effort des mécontens. Voici l’épigramme :

L’Académie, et ab hoc et ab hac,
À tes vers plats, sans raison et sans rime,
Donnant le prix, te prouve bien, Langeac,
Plus fortuné qu’un enfant légitime.

28. — On vient d’imprimer une Lettre du Parlement de Normandie au roi. Elle est en date du 19 du mois dernier. Son objet est de revenir à la charge sur l’affaire de Bretagne, que les magistrats ne perdent point de vue. Ils sollicitent la justice de Sa Majesté de faire cesser les maux qui tourmentent la Bretagne ; de rappeler de leur exil les six magistrats reconnus innocens par les réponses mêmes du roi, et de rendre aux vœux de toute cette province le Parlement, tel qu’il était avant l’édit du mois de novembre 1765. On ne peut lire cet écrit sans attendrissement sur les peintures affligeantes qu’il contient, et sans se sentir l’âme élevée par l’éloquence mâle dont il est animé. Il enchérit, s’il est possible, sur tout ce qui a paru dans ce grand procès. Cette brochure n’est répandue que depuis deux jours.

30. — Les directeurs de l’Académie royale de Musique ont proposé aux curieux de chercher une devise[381] pour la salle de l’Opéra qui n’est pas encore finie. Cette devise doit être en français et en deux vers. On n’en a encore vu que de mauvaises. M. Le Clerc de Montmerci propose les deux suivantes :

Les arts dans ce palais prodiguent leurs merveilles,
Pour enchanter les cœurs, les yeux et les oreilles.

Ou

Dans ce palais brillant des beaux-arts et des fées,
Héros, dieux et démons, tous les êtres divers,
Dociles aux accords des modernes Orphées,
Sont le tableau mouvant de ce vaste univers.

Quoique celle-ci soit contre les conditions établies, que ce soit même plutôt une description qu’une inscription, les amis de l’auteur l’ont trouvée si belle, qu’ils lui ont conseillé de la rendre publique.

Ier Octobre. — Antoine-Jacques Roustan, pasteur suisse à Londres, s’est avisé de publier un ouvrage qui a pour titre : Lettres sur l’état présent du Christianisme. il n’a pu résister à la rage de mordre M. de Voltaire. Tout théologien croit lui devoir au moins un coup de dent en passant. Celui-ci, d’ailleurs, était personnellement en reste avec lui[382]. Le philosophe de Ferney n’a pas tardé a prendre sa revanche. Il vient de publier une petite brochure de prés de trente pages, sous le nom de Remontrances du Corps des Pasteurs du Gévaudan à Antoine-Jacques Roustan. Il ne paraît point en champ clos comme le premier, armé de toute l’armure scolastique, et cherchant à écraser son adversaire sous le poids de son érudition ; mais il voltige autour de lui, il le harcéle légèrement, il le couvre de ses sarcasmes, et le laisse en cet état exposé à la risée publique.

2. — On a exécuté ces jours-ci un arrêt du Parlement, qui condamne Jean-Baptiste Josserand, garçon épicier, Jean Lecuyer, brocanteur, et Marie Suisse, femme dudit Lecuyer, au carcan pendant trois jours consécutifs ; condamne, en outre, ledit Josserand à la marque et aux galères pendant neuf ans, ledit Lecuyer aussi à la marque et aux galères pendant cinq ans, et ladite Marie Suisse à être renfermée pendant cinq ans dans la maison de force de l’Hôpital général, pour avoir vendu des livres contraires aux bonnes mœurs et a la religion. Ces livres sont : le Christianisme dévoilé, l’Homme aux quarante écus, Éricie ou la Vestale, lesquels ont été lacérés et brûlés par l’exécuteur de la haute justice, lors de l’exécution des coupables. On s’est récrié contre la sévérité d’un pareil arrêt, qu’on attribue à M. de Saint-Fargeau, président de la chambre des vacations, homme dur et inflexible, et dont le jansénisme rigoureux n’admet aucune tolérance[383].

3. — Le 30 du mois dernier, les prévôts et échevins de la ville de Paris ont fait célébrer, dans l’église de Saint-Jean en Gréve, un service pour le repos de l’âme de la reine. Cette cérémonie a été exécutée avec une pompe presque égale à celle du service fait à Notre-Dame. Le curé de cette paroisse a prononcé l’oraison, supérieure a celles de M. l’évêque du Puy et de M. l’ancien évêque de Troyes.

4. — Sa Majesté, qui n’avait point honoré M. Bouret de sa visite pendant tout le temps que le dérangement des affaires de ce financier l’avait mis dans le cas de suspendre les travaux du fameux Pavillon du Roi, n’a pu se refuser cette année aux désirs de ce serviteur si jaloux des regards de son auguste protecteur. Le roi est allé un instant, le mercredi 28 septembre, visiter ce fameux bâtiment. Il l’a trouvé augmenté de plusieurs choses curieuses, mais surtout de sa statue, dont on a parlé il y a quelque temps, et qui est exécutée, en marbre, par le sieur Tassard. Ce qui a le plus flatté Sa Majesté, ce sont deux vers inscrits au bas, composés par le sieur Bouret même[384] dans l’enthousiasme heureux de son amour et de sa reconnaissance. Ils caractérisent à merveille les vertus du maître, et le zèle tendre du sujet. Ils sont dignes de passer à la postérité la plus reculée, et valent sans doute toutes les légendes qu’aurait pu enfanter l’Académie des Belles-Lettres. Les voici :

Juste, simple, modeste, au-dessus des grandeurs,
Au-dessus de l’éloge, il ne veut que nos cœurs.

5. — Un plaisant s’est égayé au sujet de l’inscription que les directeurs ont demandée pour la nouvelle salle d’Opéra. Il en a fait une qui ne sera sûrement pas adoptée ; mais elle est piquante et mérite d’être transmise au public :

Ici, les dieux du temps jadis
Renouvellent leurs liturgies :
Vénus y forme des Laïs,
Mercure y dresse des Sosies.

6. — On a pu voir dans plusieurs papiers publics la découverte faite sur des colimaçons auxquels on a coupé la tête qui leur est revenue quelques jours après. M.  de Voltaire vient de répandre à cette occasion un petit pamphlet ayant pour titre : les Colimaçons du Révérend Père L’Escarbotier, par la grâce de Dieu capucin indigne, prédicateur ordinaire et cuisinier du grand couvent de la ville de Clermont en Auvergne, au Révérend Père Elie, Carme chaussé, docteur en théologie. Ce bavardage est une rapsodie sur quantité de faits et de systèmes de physique que l’auteur entasse et discute. Cette première pièce est suivie de plusieurs autres du même genre, dans lesquelles on remarque une érudition superficielle, mais dont il a l’adresse de se parer, et qui peut en imposer aux lecteurs frivoles. Le tout est assaisonné de plaisanteries bonnes et mauvaises, mais qui acquièrent un grand mérite par le nom du critique. Cette facétie, qu’on a accouplée a la brochure intitulée les Droits des hommes et les Usurpations des papes, n’est pas, à beaucoup près, de la même force, ni pour l’intérêt, ni pour le sarcasme, ni pour le style.

7. — On a déjà parlé d’une critique amère de l’Abrégé chronologique de l’Histoire de France, du président Hainault[385], insérée dans des réflexions sur l’Histoire de Henri IV, par M. de Bury, et l’on n’a point dissimulé à qui l’on attribuait cette cruauté littéraire. Les amis du vieux président n’ont eu garde de lui parler d’une telle perfidie ; ils ont même évité avec soin de laisser tomber cette nouveauté sous ses mains. L’auteur, M. de Voltaire, qui se repent souvent le soir de ce qu’il a fait le matin, et qui depuis long-temps est accoutumé à désavouer de sa main gauche ce qu’il a écrit de la main droite, s’est cru obligé d’écrire au président Hainault une lettre d’excuse, où, avec son persiflage ordinaire, il fait la filiation de cette œuvre de ténébres qu’il renie. Toute la sagesse des amis du magistrat a été confondue par cette étourderie ; il a fallu montrer l’ouvrage, et adoucir, comme on a pu, cette censure, d’autant plus sensible, qu’elle est d’une vérité a laquelle les partisans même de l’historien ne peuvent résister.

8. — Bien des gens ont été étonnés de la dureté avec laquelle on a sévi contre les colporteurs flétris dernièrement par arrêt du Parlement, surtout vu l’énoncé des livres prohibés qu’on les accusait d’avoir vendus. Les gens au fait prétendent que leur grand grief est d’avoir distribué un libelle qu’on a craint de nommer dans un arrêt, quoiqu’il ait été annoncé, il y a plus d’un an, dans des gazettes étrangères. C’est le pamphlet intitulé : les Sabbatines et les Florentines[386]. Le titre seul prouve combien ils étaient coupables, et justifie l’austérité des magistrats aux yeux des gens au fait de l’énormité des crimes politiques.

9. — Les Droits des hommes et les Usurpations des papes, traduction prétendue de l’italien, datée de Padoue le 24 juin 1768. L’auteur rapproche dans un court espace le tableau des usurpations de la cour de Rome. Il fait voir que ce qu’on appelle le patrimoine du Saint-Père, que les droits du pape sur Naples et sur la Sicile, que le duché de Ferrare, que Castro et Ronciglione, qu’en un mot tout ce que possède le Saint-Siège, ne sont que les fruits de la fraude et de la violence. On accumule dans ce mémoire formidable les moyens de toute espèce qu’ont mis en usage tant de pontifes, f’humble mémoire, pour étendre leur domination, et l’on y trouve des forfaits nouveaux dont l’atrocité semblait leur être réservée. Le lecteur indigné serait tenté de rejeter et de fouler aux pieds un pareil libelle, s’il n’était malheureusement qu’un extrait succinct de tout ce qu’on trouve épars dans l’histoire. On sent qu’un pareil ouvrage était digne de la plume de M. de Voltaire. Aussi l’y reconnaît-on facilement. On ne peut qu’admirer l’art avec lequel ce grand historien sait égayer cette terrible matière, et rapprocher quantité d’anecdotes également rares et curieuses.

10. — M. l’abbé d’Olivet, de l’Académie Française, tombé en apoplexie-paralysie, il y a deux mois, et qui, malgré son age de quatre-vingt-sept ans, a lutté depuis ce temps contre la mort, vient enfin de succomber après cette belle défense. Ce personnage, vraiment académique, est une perte d’autant plus grande, qu’il travaillait dans un genre peu à la mode aujourd’hui et qu’on semble mépriser. Ses traductions de Cicéron, regardées comme un chef-d’œuvre dans leur espèce, lui procureront une gloire, sinon brillante, du moins solide et durable, chez la postérité qui en recueillera les avantages. Quant à la partie grammaticale de ce savant, quoiqu’il n’approchât pas de la métaphysique lumineuse des Girard et des Dumarsais, il avait sur cette matière un génie de discussion pur, exact et correct. En général, il avait plus de bon sens et de précision que de finesse et de légèreté. Il ne manquait pourtant pas d’un certain esprit ; mais surtout il avait une mémoire prodigieuse, qui le servait à propos et le faisait briller avec celui des autres au défaut du sien.

11. — M. Bernard, secrétaire du gouverneur de Choisi, et appelé, par excellence, le Gentil-Bernard, nom que lui a donné M. de Voltaire et qui lui est resté, a obtenu du Gouvernement un terrain qu’il a approprié avec beaucoup de goût et d’élégance. Il a fait des devises en vers pour toutes les pièces de cette agréable maison. En voici deux qui paraissent les meilleures et les plus propres a caractériser les mœurs et le goût du maître. Au-dessus d’une glacière il a fait arranger une espèce de Parnasse, et a écrit au bas le quatrain suivant :

Sous cette voûte souterraine
Les cœurs froids, les auteurs glacés
Sont avec la neige entassés ;
Et ma glacière est toujours pleine.

Au-dessus d’un boudoir délicieux il a mis :

Habitons ce petit espace,
Assez grand pour tous nos souhaits :
Le bonheur tient si peu de place,
Et ce dieu n’en change jamais.

Tout le reste répond à cette aimable philosophie, et fait de ce séjour un lieu riant et voluptueux.

12. — M. l’abbé d’Olivet a été enterré dimanche 8, et le mercredi 11 son testament avait été ouvert, lu et exécuté. Il laisse à son neveu, président à mortier au Parlement de Franche-Comté et son légataire universel, quatre-vingts actions des fermes, pour cinquante mille écus de terres, plus de trente mille francs d’arrérages, deux cent cinquante louis en argent comptant, trois cent cinquante marcs de vaisselle d’argent, une très-belle bibliothèque et des meubles de peu de valeur, etc. Cette succession paraît fort honnête pour celle d’un homme de lettres.

13. — Extrait d’une lettre de Ferney, du 30 décembre.

« Rassurez-vous, Monsieur, sur les inquiétudes que vous avez à l’égard de M. de Voltaire. Ce grand homme, accoutumé a dire qu’il se meurt depuis plus de cinquante ans, se porte à merveille. Il se plaint d’être sourd et aveugle. Le fait est qu’il lit encore sans lunettes et qu’il a l’ouïe très-fine. Il est sec et ingambe : il est peu courbé. Le jour que j’ai eu l’honneur de le voir, il avait de gros souliers, des bas blancs roulés, une perruque naissante, des manchettes d’entoilage qui lui enveloppaient toute la main, une robe de chambre de Perse. Il nous fit beaucoup d’excuses de n’être point habillé : mais il n’est jamais autrement. Il parut a l’entremets. On avait réservé un grand fauteuil a bras, ou cet illustre vieillard se mit, et mangea rondement des légumes, des piéces de four, des fruits, etc. Il pétilla d’esprit. On pourrait lui reprocher d’être trop emphatique, et de n’avoir point dans la conversation ce ton cavalier qui caractérise si bien le style de ses écrits. Après le dîner, il nous mena dans sa bibliothèque, très-vaste, très-nombreuse et très-belle. Il nous lut des passages de livres rares sur la religion, c’est-à-dire contre la religion, car c’est aujourd’hui sa manie : il revient sans cesse sur cette matière. Il joua aux échecs avec le Père Adam, qui, sans être le premier homme du monde, est assez Jésuite pour se laisser perdre : M. de Voltaire ne lui pardonnerait pas de le gagner. On fit ensuite de petits jeux d’esprit ; puis on se mit a dire des histoires de voleurs. Chaque dame ayant conté la sienne, on engagea M. de Voltaire à avoir son tour. Il commença ainsi : « Mesdames, il était un jour un fermier-général… Ma foi, j’ai oublié le reste. » Nous le laissâmes après cette épigramme, la meilleure sûrement qu’il ait faite de la journée. » 14. — Extrait d’une lettre de Fontainebleau, du 10 octobre.

« Le bruit avait couru ici que M. de Voltaire était décédé. Il avait pris tellement faveur que la cour paraissait croire cette nouvelle. On l’a inféré du propos de M. le comte d’Artois. Ce prince a son dîner, parlant de cet événement, a dit : « Il est mort un grand homme et un grand coquin[387]. » Les ennemis de M. de Voltaire ont saisi avidement cette phrase, et l’ont répandue avec profusion. Effectivement, il est aisé d’en conclure quelle est sa réputation auprès de ceux qui ont l’honneur d’être chargés de l’éducation des Enfans de France. Quoi qu’il en soit, la nouvelle est absolument fausse et destituée de fondement. La Providence laisse encore a ce philosophe incrédule le temps de se repentir et de mériter un éloge funéraire plus flatteur. »

15. — Depuis quelque temps il court ici une chanson intitulée : la Bourbonnaise, qui a été répandue avec une rapidité peu commune. Quoique les paroles en soient fort plates, que l’air soit on ne peut plus niais, elle est parvenue jusqu’aux extrémités de la France. Elle se chante jusque dans les villages, et l’on ne peut se transporter nulle part sans l’entendre. Les gens qui raffinent sur tout, ont prétendu que c’était un vaudeville satirique, sur une certaine fille rien[388], parvenue, de l’état le plus crapuleux, à jouer un rôle et à faire une sorte de figure à la cour. Il est certain qu’on ne peut s’empêcher de remarquer dans l’affectation à la divulguer si généralement, une intention décidée de jeter un ridicule odieux sur celle qu’elle regarde. Les gens a anecdotes n’ont pas manqué de la recueillir et d’en grossir leur porte-feuille, avec tous les commentaires nécessaires pour son intelligence, et capables de la rendre précieuse pour la postérité.

16. — Il paraît une réponse à la plaisanterie des colimaçons de M. de Voltaire. Elle a pour titre : Réponse d’un compagnon de Pierre Fort, au philosophe de Saint-Flour, Capucin et cuisinier, sur les coquilles et bien d’autres choses. L’auteur, qui ne se nomme pas, traite didactiquement et sérieusement la matière. Ce lourd champion, armé de toutes pièces, voudrait écraser de son poids son adversaire, dont la légèreté et la gaieté trouvent infiniment plus de prosélytes que toute cette pesante érudition.

18. — M. l’abbé Morellet est connu dans la république des lettres par plusieurs ouvrages, et très-particulièrement par la rédaction du Dictionnaire de Commerce de Savary, qu’il veut présenter sous un jour nouveau. Il y travaille depuis long-temps, et sera, à ce qu’on espère, bientôt en état de le produire. On voit avec plaisir la fortune accueillir ce savant, et le mettre au rang de ses favoris qui prouvent qu’elle n’est pas toujours aveugle. Il vient d’être désigné pour remplacer un nommé Le Grand dans les fonctions de secrétaire-général du commerce.

19. — Le jeudi, 13 octobre, les Comédiens Italiens ordinaires du roi ont joué la première représentation de la Meunière de Gentilly, comédie nouvelle en un acte, mêlée d’ariettes. Cette production, de deux gens de cour, avait sans doute été donnée pour essai. On a voulu juger si elle mériterait d’être présentée au roi de Danemark. On ne sait si elle conviendra à cette Majesté, mais le public a semblé ne la pas trouver digne de lui. L’auteur de la musique se nomme, et est connu de tout le monde. C’est M. de La Borde, premier valet de chambre du roi, amateur aussi distingué qu’auteur médiocre. Quant aux paroles, on les attribue au sieur Le Monnier, secrétaire de M. le comte de Maillebois, sous le nom duquel ont déjà paru au théâtre, le Cadi dupé et le Maître en droit, que les gens au fait des anecdotes savent être de son maître. On serait tenté de laisser ce drame-ci au prête-nom, comme indigne des deux autres. L’esprit et le goût des lettres est héréditaire dans la famille de Maillebois. On a déjà parlé[389] de M. le baron de Châteauneuf, oncle de celui-ci, qui, dans un âge très-avancé, cueille encore des fleurs sur le Parnasse. Son neveu marche sur ses traces, et ne pouvant, dans la paix, ceindre les lauriers de Mars, se couronne de ceux d’Apollon.

20. — M. l’abbé de Langeac, cet Alexandre littéraire, dont la vaste ambition voudrait, dès l’age le plus tendre, envahir toutes les couronnes académiques, vient de faire imprimer un Éloge de Corneille, qui a concouru pour le prix de l’Académie de Rouen. Ce discours en prose n’annonce pas encore dans ce jeune candidat un orateur plus grand que le poéte. Il est décousu, sans cohérence dans le plan, sans suite et sans-progression dans les idées. Le style en est dur, boursouflé, plein d’images gigantesques et puériles. Il paraît que l’Académie de Rouen a eu plus de pudeur que Académie Française, et n’a pas osé couronner cette médiocre production. Il est fâcheux que les journalistes adulent à l’envi M. de Langeac, et étouffent le peu de talens qu’il pourrait avoir.

M. l’abbé Baudeau, prévôt mitré de Widziuneski, économiste infatigable, dévore d’un feu patriotique qu’il ne cesse d’exhaler, de communiquer, et dont il voudrait embraser tous ses concitoyens avant de quitter la France, vient de consigner ses derniers sentimens dans une nouvelle brochure qui a pour titre : Avis aux honnêtes gens qui veulent bien faire. Son objet est « de procurer au pauvre peuple des villes et des campagnes de meilleur pain, a meilleur marché, sans être obligé d’y rien perdre, et même sans se donner beaucoup de peine. »

21. — Homélie du pasteur Bourn, prêchée a Londres le jour de la Pentecôte ; mdcclxviii. Tel est le titre d’un nouveau sermon de M. de Voltaire, qui, comme tous les sermonneurs du monde, répète ce qui a été dit mille fois, non par les Bourdaloue, les Massillon, etc., mais par les Bayle, les Fréret, les Boulanger et autres docteurs de l’incrédulité. Celui-ci est spécialement dirigé contre la morale de Jésus-Christ, dont l’auteur infirme les principes. Ce sermon, qui, dans sa brièveté, résume de très-gros in-folio, n’en sera que plus couru et conséquemment plus dangereux. On ne peut que déplorer le malheureux talent de M. de Voltaire, d’extraire si agréablement les plus ennuyeuses productions, et de rendre délicieux les poisons les plus abominables.

La suite est un Fragment prétendu d’une lettre du lord Bolingbrocke, dans laquelle il fait sentir l’insuffisance de la superstition pour gouverner les États. Ceci n’est qu’une digression rapide sur cette matière, déjà traitée au long dans les Lettres a Eugénie[390], et dans l’Histoire naturelle de la superstition[391] encore mieux, c’est-à-dire plus diaboliquement.

22. — Le roi de Danemark n’a point voulu se montrer en public qu’il n’ait vu le roi de France, son frère. En conséquence il a été aujourd’hui à la Comédie Française en petite loge, dans celle de madame de Villeroi. Malgré cet incognito, comme on était prévenu, le public s’est porté en foule à ce spectacle, et tout y était plein de très-bonne heure. Le sieur Le Kain, revenu depuis quelque temps, a joué dans Warwick, tragédie de M. de La Harpe, et a déployé devant le jeune monarque toute la noblesse théâtrale dont il est susceptible.

23. — Tandis que les magistrats et les ministres s’occupent à ramener l’abondance, et à trouver les moyens de procurer au peuple une subsistance à meilleur marché, les économistes continuent a spéculer sur cette importante matière, et à faire des suppositions vagues, qui malheureusement ne nous guérissent de rien. Il paraît une brochure, intitulée : Réponse d’un magistrat du Parlement de Rouen, a la Lettre d’un gentilhomme des États de Languedoc, sur le commerce des blés, des farines et du pain[392]. L’auteur, avant de permettre l’exportation avec toute la liberté possible, voudrait que toutes les provinces adoptassent la méthode de la mouture économique : suivant lui, on gagnerait par là le septième du grain conservé en farine, ce qui donnerait une surabondance de grains bien supérieure à celle qu’on exporterait. On attribue cette nouvelle Lettre à M. l’abbé Baudeau, qui, comme on l’a observé, sans doute pour mieux éclaircir la matière, s’écrit et répond tour a tour. La secte regrette infiniment un citoyen estimable, qui, las d’attendre les grâces de la cour de France, prend enfin le parti d’aller en Pologne jouir du gros bénéfice dont on a parlé. Il espère revenir dans un an pour l’hiver, et recommencer ses instructions sur la science. C’est un terme par lequel messieurs les économistes expriment l’excellence de leurs recherches dogmatiques.

24. — Quelques confrères de M. l’abbé d’Olivet, touchés de sa perte, n’ont pu s’empêcher, dans l’excès de leur douleur, de répandre une anecdote jusqu’ici conservée dans le sein de l’Académie, et qui nous apprend quelle est la cause de sa mort. Dans la séance où il fut décidé que la pièce de M. l’abbé de Langeac aurait le prix, cet académicien, qui n’avait rien à ménager à son âge, s’opposa à une préférence qui, selon lui, déshonorait l’Académie. Il fit sentir combien le public se récrierait contre un tel choix, et s’armant de l’éloquence de l’orateur romain dont il était pénétré[393], il pérora longuement pour ramener ses confrères a un jugement plus impartial. Ce fut inutilement : c’était un parti pris ; il n’eut que peu de partisans. MM. d’Alembert et Duclos le traitèrent durement, l’appelèrent radoteur, et renouvelèrent enfin une scène de halle telle qu’il en avait déjà eu une avec ce dernier confrère, il y a quelques mois ; mais n’ayant pas le sang aussi bouillant, il fut saisi vivement de ces apostrophes injurieuses ; il fut frappé à mort dès l’instant, et tomba en apoplexie dès le soir même.

26. — Le Marseillais et le Lion, fable en vers, avec un petit avertissement, où l’on prétend que cet opuscule est de M. de Saint-Didier, auteur d’un poème ignoré, intitulé : Clovis. À cette petite ruse et à ce persiflage on reconnait M. de Voltaire ; mais encore mieux à l’ouvrage même où ce grand poète se retrouve tout entier. Rien de plus philosophique et de plus mâle. Dans ce dialogue l’homme prétend établir sa supériorité sur les bêtes, et il est obligé de reconnaître à chaque réponse son infériorité. L’auteur prouve que le droit du plus fort est le seul droit de la nature, et il embellit son raisonnement de toutes les richesses de la plus brillante poésie. Il est dommage que M. de Voltaire, trop indulgent à son génie caustique, y ait joint quantité de notes peu convenables à un ouvrage aussi grave, ou il s’efforce de faire rire le lecteur par le ridicule qu’il jette à son ordinaire sur des passages de l’Écriture sainte.

27. — Les curieux ont tenu un journal exact de la marche et des propos du roi de Danemark, qui marque beaucoup d’esprit dans ses réponses. Les circonstances les plus essentielles de cet itinéraire sont celles de son entrevue avec le roi. Après être descendu au chateau à l’appartement de feu madame la Dauphine, et le roi étant prêt à recevoir ce monarque, Sa Majesté Danoise se rendit dans le cabinet du roi. Elle était accompagnée des ministres, des seigneurs de sa suite, du duc de Duras, premier gentilhomme de la chambre du roi, et du duc de Choiseul, ministre et secrétaire d’État, ayant le département des affaires étrangères. Il y avait deux fauteuils dans le cabinet du roi. Les premiers complimens faits, le roi pressa son frère de s’asseoir : il s’en défendit, et demanda à rester debout. Il renouvela de vive voix sa satisfaction de voir le plus grand potentat de l’Europe. Le roi, de son côté, témoigna qu’il regardait cette époque comme remarquable dans son règne ; qu’il se ressouvenait très-bien avoir vu le Czar à sa cour, quoiqu’il n’eut alors que sept ans, et que cette réception ne lui serait pas moins flatteuse. Ensuite Sa Majesté Danoise ayant demandé à aller chez monseigneur le Dauphin, s’y rendit vers les huit heures, et alla souper avec le roi. Les deux monarques avaient avec eux vingt-quatre dames de la cour, les plus brillantes et les plus choisies. Sa Majesté Danoise déclara qu’elle n’avait jamais vu réunis tant de grâces et tant de charmes. Le lendemain M. le duc de Choiseul lui donna à souper, et le surlendemain elle mangea encore avec le roi. Le jeudi, étant repartie pour Paris, M. le duc de Duras fit jouer chez lui, devant elle, la pièce de la Partie de Chasse de Henri IV. Tous les jours on executera aux différens spectacles les drames que demandera cette Majesté, et sur l’affiche on mettra : Par ordre.

Entre les bons mots de ce monarque, on en cite un qui indique la vivacité de ses réponses et sa facilité pour les saillies. Dans son passage par la Hollande, un seigneur de ce pays-là lui présenta une généalogie par laquelle il prétendait lui appartenir. « Mon cousin, lui dit le roi, je suis ici incognito, faites de même. », Dans son entrevue avec le roi, Sa Majesté, en parlant de la disproportion d’âge qui était entre eux, lui dit : « Je serais votre grand-père. — C’est ce qui manque à mon bonheur, » répondit avec effusion Sa Majesté Danoise. On ne peut omettre encore un mot de Louis XV, qui indique toute la sensibilité de son âme et combien il aime ses peuples. Le roi de Danemark, après avoir visité toute la famille royale, dit au roi, qui parlait des pertes qu’il avait faites, que la famille nombreuse qui lui restait était un dédommagement bien précieux : « J’en ai une bien plus nombreuse encore, qui ferait vraiment ma félicité, si elle était heureuse. » Paroles remarquables et bien consolantes pour la nation !

Voici à peu près ce qu’on a trouvé de plus essentiel dans ce journal, chargé d’un tas de formules répétées et d’une étiquette fastidieuse.

28. — Madame Du Boccage, connue par les grâces de son esprit et de sa figure, auteur de différens ouvrages, ayant adressé, le 4 de ce mois, des vers à M. de Voltaire, au sujet de la Saint-François, sa fête, ce grand homme, qui n’est jamais en reste, y a répondu par ceux-ci :

Qui parle ainsi de saint François ?
Je crois reconnaître la sainte
Qui de ma retraite, autrefois,
Visita la petite enceinte.
Je crus avoir sainte Vénus,
Sainte Pallas, dans mon village.
Aisément je la reconnus,
Car c’était sainte Du Boccage.
L’Amour même aujourd’hui se plaint
Que dans mon cœur étant fétée,
Elle ne fut que respectée.
Ah ! que je suis un pauvre saint !


29. — M. Gauthier de Mont-d’Orge, trésorier de la chambre aux deniers, vient de mourir des suites d’une apoplexie dont il avait été frappé il y a quelques années, et dont il ne s’était jamais bien relevé. C’était un financier, qui, dans son temps, avait eu des prétentions au bel esprit. On connaît de lui, entre autres choses, le ballet des Talens lyriques et l’Acte de société, deux ouvrages dont le premier surtout a eu beaucoup de succès a l’Opéra, moins sans doute par les paroles de cet auteur, que par la musique de l’immortel Rameau. Dans le répit que lui a laissé sa maladie, il avait épousé une certaine chanoinesse, bâtarde adultérine de M. d’Étioles et de madame de Belvaux, mais qui, par un raffinement de la corruption de nos mœurs, avait trouvé un père et une mère adoptifs. Un gentilhomme pauvre avait eu la bassesse de la reconnaître pour sa fille, et une demoiselle, en s’accouplant à cet homme vil, avait eu l‘infamie de la reconnaître aussi comme procréée avant le mariage. Au reste la jeune personne ne paraît point avoir hérité de tout ce déshonneur, et s’est montrée digne d’une naissance plus illustre. Quoiqu’elle n’ait goûté aucun agrément dans hymen de M. de Mont-d’Orge, absolument paralysé sur tous ses sens, elle s’est conduite envers lui avec toute la noblesse, toute la reconnaissance qu’il avait plus de droit que de raison d’en attendre. Elle ne l’a point quitté dans toutes ses infirmités ; elle ne s’est montrée nulle part, n’a participé à aucun plaisir, et, dans la plus grande jeunesse, s’est comportée avec toute la prudence de la femme la plus raisonnable. Elle est à même de recueillir aujourd’hui les fruits de sa sagesse par plus de cent mille livres de rentes, dont elle se trouve avoir l’usufruit.

30. — Le roi de Danemark ne perd aucun moment dans ce pays-ci, et visite avec le plus grand soin tous les lieux qui peuvent lui présenter des objets dignes de sa curiosité ou de son instruction. Il est allé hier aux Gobelins, il a admiré cette manufacture ; mais, dans les différens ouvrages qu’il a vus, une tenture representant l’histoire d’Esther et d’Assuérus d’après les dessins du fameux Vanloo, a surtout attiré son attention. Ce monarque a été saisi d’étonnement, et dans son admiration il a demandé pour qui était destiné cet ameublement ? « Pour Votre Majesté, » lui a répondu le duc de Duras.

30. — Les Comédiens Italiens ont donné hier la seconde représentation des Sabots, opéra comique en un acte, mêlé d’ariettes, du sieur Sédaine. Ce petit drame naïf, et dans le vrai genre de son auteur, a été joué jeudi devant le roi de Danemark, qui n’a pas goûté extrèmement la musique. Elle est du sieur Duni, et simple comme le sujet. Mais ce monarque, accoutumé a la musique italienne, ne peut se faire à la nôtre. Notre Opéra, par la même raison, a le talent de l’ennuyer, comme tous les étrangers. Les ballets cependant paraissent le frapper davantage, et il sent toute la supériorité de notre chorégraphie.

31. — On continue à s’entretenir du roi de Danemark, dont on admire les réponses ingénieuses. Chacun s’efforce de mériter quelque chose de flatteur de sa part. On s’évertue aussi, et l’on se répand en saillies pour plaire à ce prince aimable. On cite de nouveaux bons mots de ce monarque et de ceux qui ont l’honneur de l’approcher. Nous en choisirons quelques-uns seulement. Dans un souper qu’il fit chez le roi, Sa Majesté lui demanda quel age il donnait à madame de Flavacourt, qui paraissait l’enchanter ? Il répondit trente ans. « Elle en a plus de cinquante, » dit le roi. — « Sire, c’est une preuve qu’on ne vieillit point à votre cour. »

4 Novembre. — Les trois Empereurs en Sorbonne, espèce de conte en vers que M. de Voltaire met aujourd’hui sous le nom de l’abbé Caille. Il n’approche pas de la fable du Marseillais et le Lion. C’est un cadre où il a voulu enchâsser de nouvelles injures contre la Sorbonne relativement à la Censure de Bélisaire, ou plutôt une nouvelle évacuation de bile, car Fréron, qui n’était pour rien dans cette querelle, s’y est trouvé placé, ainsi que d’autres cuistres littéraires dont notre auteur prétend avoir à se plaindre ; et, non content d’injurier en vers tous ces gens-la, il y a encore des notes où il les injurie en prose. Plus on réfléchit sur ce grand homme, et plus on se console de n’avoir point ses talens compensés par tant de faiblesses.

6. — Les filles qu’on appelle du bon ton fondaient de grandes espérances sur la prochaine arrivée du roi de Danemark : elles se préparaient de longue main à captiver ce jeune monarque, et l’on ne finirait point de détailler toutes les ruses qu’elles avaient mises en usage pour paraître à ses yeux les premières. Les unes ont été au-devant de cette Majesté, dans de superbes équipages à quatre et à six chevaux ; d’autres sont venues s’installer dans les environs de son palais, Quelques-unes, à force d’argent, avaient obtenu du tapissier de placer leurs portraits dans les cabinets et boudoirs de son hôtel. Enfin, mademoiselle Grandi, de l’Opéra, accoutumée à s’enrichir des dépouilles des étrangers, et dont la cupidité dévorerait un royaume, à eu l’audace d’envoyer sa figure en miniature à ce prince. Il paraît que tous les charmes de ces nymphes ont échoué contre la sagesse de ce moderne Télémaque. Il se conduit avec une décence qui fait un honneur infini à la pureté de ses mœurs et à sa tendresse conjugale.

8. — On parle beaucoup d’une fête donnée hier par madame la duchesse de Mazarin à Chilly, en l’honneur de Sa Majesté Danoise. Rien de plus élégant et de plus agréable. On y a exécuté Hylas et Sylvie, nouvelle pastorale de M. Rochon de Chabannes, qui doit se donner incessamment aux Français.

10. — M. le duc de Duras continue, avec un zèle infatigable, à promener Sa Majesté Danoise dans tous les lieux propres à satisfaire sa curiosité et ses connaissances. Ce monarque trouve partout des marques de l’attachement de la nation et de sa politesse. À la Monnaie, on a frappé sous ses yeux, sans qu’il s’en apercût, une médaille représentant son effigie. À la Savonnerie, il s’est trouvé un superbe tapis à ses armes. À la manufacture de Sèvres, ou lui a présenté un service de porcelaine, dont toutes les pièces étaient chargées de son écusson. On estime ce présent du roi cent mille écus. M. de Marigny a eu l’honneur de recevoir cette Majesté a l’Académie de Peinture. Au Cabinet du Roi, elle a développé devant M. de Buffon et les autres spectateurs, des connaissances d’histoire naturelle étonnantes pour son rang et pour son âge. Elle a trouvé qu’il manquait plusieurs choses à différentes collections, et s’est chargée de les envoyer au roi.

Mademoiselle Clairon a joué hier chez madame la duchesse de Villeroi le rôle de Didon devant le roi de Danemark. Il a été enchanté de cette actrice qui, avec Le Kain, paraissent les deux personnages qui l’aient le plus affecté au théâtre. Du reste, on trouve qu’on le fatigue de trop de spectacles, et l’on admire sa complaisance à se prêter a toutes les galanteries qu’on veut lui faire en ce genre. On juge de cette complaisance par des baillemens qui échappent quelquefois à ce monarque, et qui annoncent qu’il ne prend pas toujours tout le plaisir qu’on voudrait lui procurer. On a remarqué entre autres excès de cette espèce, qu’on lui a fait voir en un seul jour dix-sept actes, tant en prose qu’en vers, en déclamation, en chant, en musique, etc., en italien et en français.

11. — L’Académie royale de Musique a repris mardi Sylvie, qu’elle continue aujourd’hui. Sa Majesté Danoise y a assisté. C’est mademoiselle Duranci qui a fait le rôle principal. Sa figure, son organe et le genre de son jeu la rendent également impropre au personnage d’une jeune nymphe naïve, aimable et pleine de grâces naturelles. Il est fâcheux que mademoiselle Rosalie, qui fait supérieurement l’Amour, n’ait pu exécuter le rôle de Sylvie. Cette pastorale, très-médiocre, n’était nullement digne d’être mise sous les yeux d’un monarque étranger. On doit donner incessamment Énée et Lavinie, ancien opéra de Fontenelle, dont la musique, de Colasse, a été refaite par M. Dauvergne. Tous ces ouvrages ne sont pas faits pour réconcilier un amateur de la musique italienne avec la nôtre. Si quelque opéra pouvait faire ce miracle, c’était Castor et Pollux, le spectacle le plus propre a donner à Sa Majesté Danoise une idée de nos merveilles lyriques et de la perfection de notre exécution.

— On a vu au salon, il y a quelques années, le portrait du roi en pied, en tapisserie des Gobelins. Tout le monde admira la vérité de cet ouvrage et son exécution. Le roi de Danemark n’en a pas moins été flatté, et a paru désirer être rendu de la même manière. En conséquence Michel Vanloo a peint ce monarque, pour servir de modèle aux artistes.

12. — Les Comédiens Français avaient affiché pour cette semaine Hylas et Sylvie, pastorale, jouée a Chilly chez madame la duchesse de Mazarin, et qui y avait eu du succès. Ce drame a été arrêté a la police, a cause de quantité de gravelures très-agréables dans un petit comité, mais que la décence ne permet pas de laisser glisser sur un théâtre. Comme il y en a beaucoup qui tiennent aux circonstances, aux gestes, aux attitudes, à l’ensemble de la scène, M. de Sartine a exigé qu’il y eut une répétition sous ses yeux, et il jugera lui-même ce qu’il peut y avoir de répréhensible.

13. — Dans la fête que madame la duchesse de Mazarin a donnée au roi de Danemark, une femme de la compagnie lui chanta, pendant le souper, le couplet suivant :

Un roi qu’on aime et qu’on révère
N’est étranger dans nuls climats :
Il a beau parcourir la terre,
Il est toujours dans ses états[394].

— On voit ici une lettre de Paoli, digne des anciens Romains. Il s’y explique en termes les plus nobles, les plus patriotiques et les plus forts sur l’invasion de la France, qu’il regarde comme une entreprise contraire au droit des gens et à tous les principes de l’humanité. Il invoque la foudre vengeresse et déploie cette éloquence dont est toujours armé un grand homme quand il parle d’après son cœur.

14. — Il est parvenu enfin ici quelques exemplaires du Royaume mis en interdit[395], tragédie qui n’était encore connue en France que par la brûlure dont elle avait été illustrée à Rome. L’auteur, qu’on dit être un jeune Genevois de la plus grande espérance, a pris pour sujet un trait de notre histoire. En 863, Lothaire, roi de Lorraine, descendant de Charlemagne, répudie sa femme pour épouser Walrade, sa concubine. Le pape Nicolas Ier, pour faire sa cour aux deux oncles du prince, qui ne cherchaient qu’à envahir ses États, excommunie Lothaire, en cas qu’il ne renonce pas à Walrade. Après la mort de Nicolas, Adrien II se laisse fléchir aux prières de Lothaire, qui vient à Rome lui demander son absolution. On sent qu’il a fallu changer absolument le caractère de ce roi, et lui donner la fermeté qu’ont déployée depuis des princes plus instruits de leurs droits et moins accablés sous le joug de la superstition. Dans cet ouvrage, très-propre à détromper le vulgaire stupide, les excès de la cour de Rome sont représentés avec un pinceau mâle et énergique, et la poésie sert ici d’organe à la raison, Les argumens les plus victorieux y sont ornés de toutes les richesses d’une imagination brillante, et n’en doivent que faire un effet plus sûr et plus général. Quant à la partie dramatique, quoiqu’il y ait beaucoup de défauts dans cette tragédie, on ne, peut refuser à l’auteur un grand talent. Le caractère de Walrade annonce combien il a l’âme tendre et sensible. C’est sans contredit le plus beau de la pièce : il produit le plus grand intérêt. Arsène, légat du pape, réunit en lui la fougue de Boniface VIII avec l’austérité d’Innocent XI. Il étale toutes les maximes qui sont encore le code de la politique ultra-montaine. Elles sont réfutées par toutes celles qu’on leur oppose victorieusement, et que l’auteur met dans la bouche du roi, dans celle d’un Raymond, duc d’Aquitaine, personnage épisodique, mais utile à l’intrigue et tenidant au développement, dans celles de tous les autres personnages, dont l’humanité réclame plus ou moins contre ces abominables principes, et qu’ils détestent en les observant, frappés de cette terreur irrésistible que la superstition imprime partout autour d’elle. C’est surtout dans le quatrième acte, lorsque le légat fulmine l’interdît, que le spectateur éprouve quelle impression dangereuse peut faire sur les esprits le fanatisme, revêtu de tout l’appareil de la religion. Cet acte, tout-à-fait neuf au théâtre, produirait à coup sûr le plus grand effet à la représentation. Il est dommage que le cinquième acte n’y réponde pas, et surtout que le dénouement soit absolument nul et vicieux. Au reste, ce drame, qui ne sera vraisemblablement jamais joué dans les États catholiques, aura toujours le droit d’intéresser les cœurs sensibles, et de plaire aux philosophes, réunion de suffrages bien difficile à obtenir. Le style n’est pas aussi châtié qu’il pourrait l’être. Il y a des vers durs, incorrects, mais presque tous pleins de pensées ou de sentimens. D’ailleurs, point de tirades hors d’œuvre : elles partent toutes des affections ou de la façon de penser et d’être des personnages. Les prêtres regardent cette nouvelle production comme une des plus scandaleuses qui aient paru depuis longtemps, c’est-à-dire comme faisant le plus d’honneur à la raison humaine.

15. — Les Comédiens Italiens ordinaires du roi avaient annoncé hier sur leur affiche la présence du roi de Danemark, par le mot de convention : par ordre ; ce qui leur avait attiré une foule étonnante. Cette Majesté n’a pu satisfaire à ses engagemens. On a appris avec douleur qu’elle était incommodée d’une indigestion. Le peuple, dont elle est l’adoration, s’est porté en foule vers son hôtel pour en savoir des nouvelles. On ne saurait rendre combien ce prince est aimé. Tous les indigens de ce canton retrouvent en lui un second père. Il distribue un argent étonnant, et son cœur tendre est vivement affecté de la misère. dont on ne peut lui cacher beaucoup de détails. Ce roi paraîtrait souhaiter qu’on tournât en secours abondans pour les malheureux tant de fêtes qu’on prépare de toutes parts à si grands frais. Ce serait, sans doute, la plus belle qu’on pût lui donner, et la plus digne des princes augustes, auxquels ceux qui les approchent devaient suggérer cette manière d’être vraiment grande.

— Un nommé Fierville, comédien, directeur de troupe, venu de Berlin en ce pays-ci depuis quelque temps, a été arrêté à Châlons-sur-Marne et envoyé en prison. On ne sent pas trop les raisons de cette punition. Il est des gens qui prétendent que c’est pour s’être refusé aux sollicitations des gentilshommes de la chambre, qui voulaient le faire débuter aux Français. Le sieur Fierville est un homme d’un très-grand talent et de beaucoup supérieur au sieur Le Kain, pour la figure, l’organe et les autres parties de l’extérieur du comédien. Il a montré beaucoup d’esprit et de grandes connaissances sur l’art dramatique.

17. — Le roi parlant du roi de Danemark à madame la comtesse de Chabannes, cette dame demanda à Sa Majesté si ce monarque était bien riche ? Le roi lui répondit que les finances de ce royaume avaient été dérangées, mais que ce prince avait un ministre qui avait bien réglé ses affaires et les avait mises sur un bon pied. « Ah ! Sire, repartit cette dame, vous devriez bien débaucher ce ministre-là. »

18. — On continue à recueillir les différens mots du roi de Danemark, qui soutiennent la bonne opinion qu’on avait conçue de la délicatesse de son goût et de la finesse de son esprit. On ne finirait pas de les rapporter tous. On choisira le suivant, comme le plus adroit et le plus honnête. Ce monarque revenait de Fontainebleau : en passant à Essonne, une foule de peuple l’entoure, et se met à crier : Vive le roi ! Ce prince se met à la portière, et d’un air affable il s’écria : « Mes enfans, il se porte bien ; je viens de le voir. »

22. — On a oublié de parler de M. l’abbé Mangenot, mort le mois dernier. Ce poète aimable mérite bien qu’on jette quelques fleurs sur son tombeau. Dès l’âge de dix-huit ans il avait concouru, sans le savoir, pour le prix de l’Académie des Jeux Floraux, et le remporta. Son oncle Palaprat avait envoyé sa pièce, et ne lui lit part de sa démarche qu’en lui annonçant le succès. Il fut peu sensible à ce triomphe : il préférait le plaisir de jouir, à la gloire de vivre chez la postérité. Il faisait des vers, plus par besoin que par désir de la célébrité. Aussi ne connaît-on guère d’imprimé de lui que la fameuse églogue couronnée dont on vient de parler. Ses ouvrages sont dans les porte-feuilles de ses amis. Ce sont de petits riens, des épigrammes, des madrigaux, des chansons, dont certains auteurs à prétention se seraient élevé un grand trophée, mais que celui-ci oubliait dès qu’il les avait faits. Il était attaqué depuis dix-huit ans d’une paralysie, qui semblait ne lui avoir laissé de libre que l’esprit. Il avait conservé dans cet état son aménité, sa gaieté et sa philosophie. Il était prêtre et chanoine du Temple. Il est mort doucement, comme il avait vécu, âgé de soixante-neuf ans. Il est à souhaiter qu’un homme de goût ramasse ses productions légères, et les réunisse en recueil. Tout ce qu’il a fait est marqué au coin de la naïveté et des grâces. Il était idolâtre des femmes, et semblait ne travailler que pour plaire à cette partie du genre humain.

24. — Depuis plusieurs jours il était décidé que le roi de Danemark irait au Palais aujourd’hui. En conséquence on a feuilleté les registres, et l’on est convenu de suivre le cérémonial usité à l’égard du czar Pierre Ier, lorsqu’il y vint. Le roi est descendu à neuf heures du matin à l’hôtel du premier président : MM. le marquis d’Aligre et l’abbé d’Aligre sont venus le recevoir au bas de son carrosse. Il a été conduit de la même manière à la lanterne qui lui était destinée ; sa suite a été mise dans une autre. Celle du roi étranger était découverte. Il était dans un fauteuil : un tapis, sur le devant de la lanterne, annonçait cette Majesté. Le sieur Gerbier, avocat, a présenté, suivant l’usage, les lettres du nouveau chancelier[396]. Il a fait à cette occasion un discours, ou il a accumulé les éloges du roi, du chancelier Lamoignon, du vice-chancelier, du chancelier actuel, de M. d’Aligre, premier président, de M. de Vaudueil, conseiller du Parlement de Paris, nommé premier président de celui de Toulouse, et enfin du roi de Danemark. Le fond de ce discours ne pouvait être qu’une répétition de lieux communs, de fadeurs et de contre-vérités. On a admiré l’art avec lequel l’orateur a rajeuni ce vieux protocole de mensonges insipides, et surtout les transitions heureuses par lesquelles il a passé six fois d’un compliment à l’autre, prodiguant à chacun de ses héros l’encens convenable. Ensuite M. Séguier, l’avocat-général, a requis l’enregistrement desdites lettres, et a pris occasion de là pour rendre aussi hommage de son éloquence au monarque présent. Ce discours n’a pas eu le même succès que celui du sieur Gerbier, et l’avocat a paru l’emporter de beaucoup sur l’académicien.

Les lettres lues et enregistrées, on a appelé une cause. Le sieur Legouvé, avocat, a pris la parole. Cette cause majeure roule sur la cassation demandée par l’ambassadeur de Naples d’un testament de son frère en faveur d’un enfant d’une demoiselle Delair, sa concubine. Cet orateur ne pouvant se défaire de la mauvaise habitude qu’ont les avocats d injurier leurs parties adverses, avait déjà ébauché d’une façon peu flatteuse le portrait de l’ambassadeur, lorsque le premier président, sentant l’indécence de ce spectacle, a fermé la bouche au sieur Legouvé en faisant lever l’audience. En sorte que ce dernier a remis dans son porte-feuille le compliment dont il se disposait aussi à régaler Sa Majesté Danoise.

Ensuite on a conduit le roi étranger à la buvette, où le premier président lui a présenté tous Messieurs. Ce prince a demandé le sieur Gerbier ; il l’a remercié de son discours en ce qui le concernait, et lui a déclaré qu’il n’avait point encore entendu d’aussi grand orateur : après quoi il est retourné chez le premier président comme pour lui faire une visite. Il y est resté environ un quart d’heure, et le premier président l’ayant reconduit jusqu’à son carrosse, il est parti.

— Ce même matin, le roi de Danemark est allé en Sorbonne, où il a été reçu par M. l’archevêque de Paris comme proviseur de la maison, et par M. le duc de Richelieu comme héritier du fondateur. On a régalé ce prince d’une thèse, soutenue quelques minutes en sa présence, ornée de ses armes, et qui lui était dédiée. Il est allé voir dans l’église le tombeau du cardinal de Richelieu, un des beaux monumens de sculpture connus. Il est monté dans la bibliothèque, où on lui a présenté le premier livre imprimé en Francé[397], en 1470, intitulé : Spéculum humanæ salvationis. On lui a fait passer en revue les autres curiosités de la bibliothèque, entre autres une bible russe envoyée par le Czar. Ce monarque a demandé à cette occasion s’il y en avait une en danois ? et d’après la réponse négative, il a promis d’en envoyer une. Il a été obligé de recevoir, avant de partir, différentes pièces de vers latins d’écoliers du collège du Plessis, que le principal a introduits à sa rencontre. Ce prince, fatigué d’éloges, de complimens et d’encens, ne les a pas lus, mais a demandé pour eux des congés ; puis on l’a reconduit, et il est retourné à son hôtel se reposer et se disposer à la fête du soir.

25. — M. de Voltaire s’amuse de tout : il ne dédaigne aucun genre ; il embouche avec une égale facilité la trompette et le flageolet. Il court aujourd’hui une énigme sous son nom. Les sociétés de la cour et de la ville s’en occupent. On la propose à deviner successivement à tous les nouveau-venus. La voici :

Énigme.


Je suÀ la ville ainsi qu’en province
Je suis sur un bon pied, mais sur un corps fort mince,
Robuste cependant, et même faite au tour.
Je suMobile sans changer de place,

Je suJe sers, en faisant volte-face,
Et la robe et l’épée, et l’église et la cour.
Je Mon nom devient plus commun chaque jour ;
Je suChaque jour il se multiplie
Je suEn Sorbonne, à l’Académie,
Dans le conseil des rois et dans le Parlement :
Par tout ce qui s’y fait on le voit clairement.
Je suEmbarrassé de tant de rôles,
Je Ami lecteur, tu me cherches bien loin,
Quand tu pourrais peut-être, avec un peu de soin,
Je suMe rencontrer sur tes épaules.

Le mot de cette énigme est Tête à perruque.

26. — Sa Majesté Danoise, non contente de voir les merveilles muettes de ce pays-ci, a voulu s’entretenir aussi avec les gens de lettres les plus renommés ; ce qui a occasioné beaucoup de rumeur et d’intrigues dans tout ce monde-là. Enfin son ministre en a invité à dîner environ vingt, qu’il a présentés ensuite à son maître. De ce nombre étaient MM.  de Mairan, d’Alembert, Saurin, Marmontel, La Condamine, Diderot, l’abbé de Condillac, Helvétius, etc. Ce prince les a tous accueillis avec bonté ; il leur a dit à chacun des choses flatteuses, et leur a adressé des éloges directs relatifs à leurs ouvrages : preuve qu’il les a lus et qu’il sait les apprécier. On ne saurait croire combien de mécontens a fait le choix du ministre. Il n’est point de grimaud du Parnasse qui ne se soit cru digne de cette faveur, et qui ne regarde comme une injustice atroce d’avoir être excepté.

29. — M. l’abbé de Lattaignant, chanoine de Reims, ne s’était jusqu’ici exercé que dans les poésies légères et dans les chansons agréables, il est peu de soupers où il ne soit pour quelque chose, et où les convives ne fournissent leur contingent aux dépens de son esprit. Ce poète aimable vient de s’élever à un genre plus distingué, et, quoique dans un âge déjà avancé, il a enrichi le théâtre de Nicolet d’une pièce nouvelle, intitulée la Bourbonnaise. Ce titre, si connu par le vaudeville satirique[398] qui a couru toute la France, a fait la fortune de l’ouvrage, et le public se porte en foule à cette parade burlesque, dont la petite intrigue, assez bien menée, est soutenue de beaucoup de saillies polissonnes, très à la mode aujourd’hui. Les courtisanes, qui donnent le ton à ce théâtre, trouvent le chanoine de Reims délicieux.

30. — La Bourbonnaise est une chanson répandue dans toute la France. Sous les paroles plates et triviales de ce vaudeville, les gens à anecdotes découvrent une allégorie relative à une créature[399] qui, du rang le plus bas et du sein de la débauche la plus crapuleuse, est parvenue à être célèbre et à jouer un rôle. Ou ne saurait mieux rendre l’avilissement dans lequel est tombé M. de L’Averdy depuis sa chute[400], que par l’association que le public semble en faire avec cette femme perdue, en le chansonnant avec elle. Voici le couplet :

DiLe roi, dimanche,
Dit à L’Averdy,
Dit à L’Averdy,
DiLe roi, dimanche,
Dit à L’Averdy,
Di« Va-t’en lundi ! »

1er Décembre. — M. le chancelier a voulu jouir aujourd’hui de son droit de présider le Parlement. En conséquence il s’y est rendu ce matin sur les dix heures, et a siégé à la grand’chambre avec tout l’appareil usité en pareil cas. Il était accompagné de quatre conseillers d’État et de quatre maîtres des requêtes. Il s’est mis à la place du premier président, c’est-à-dire dans l’angle. Le premier président s’est reculé à sa gauche, à la tête du grand banc, où étaient, comme d’ordinaire, les présidens à mortier. Sur le même rang, mais un peu plus bas, étaient les clercs. À la droite étaient les quatre conseillers d’État ; ensuite les conseillers d’honneur, les maîtres des requêtes, puis le doyen des conseillers laïcs et tous lesdits conseillers. Le chancelier a fait un discours très-applaudi, où il a témoigné son attachement pour la compagnie, avec toutes les grâces enchanteresses dont il accompagne ce qu’il dit. Le premier président lui a répondu, et M. le premier avocat-général Séguier a pris occasion de la présentation d’un avocat pour encenser à son tour le chef de la magistrature.

Le sieur Legouvé, cet avocat qui avait essuyé la mortification dont on a parlé[401], le jour que le roi de Danemark vint au Parlement, et qui, en conséquence, avait eu le dessein de ne plus paraître au barreau, n’a pu se refuser aux instances de M. le chancelier, qui avait exigé de lui qu’il plaidât. Il a repris sa cause ; il y a mis plus d’honnêteté, et a plaidé avec autant d’éloquence que de discrétion. Il n’a point été en reste avec les autres orateurs qui avaient parlé avant lui, et a également adressé un compliment convenable dans les circonstances. Il a été dédommagé, par les suffrages qu’il a obtenus aujourd’hui, des huées de l’autre jour.

3. — Extrait d’une lettre de Ferney, du 25 novembre 1768.

« M. de Voltaire se porte toujours à merveille pour son âge. Il ne voit plus personne, et semble redoubler d’assiduité au travail. Son Siècle de Louis XV imprimé. Il est en deux volumes, de la même étendue à peu près que celui de Louis XIV et dans le même goût. Il le conduit jusqu’en 1766. Je ne vois rien de bien hardi dans cet ouvrage, et qui doive l’empêcher de pénétrer chez vous. Ce qui m’y a paru le plus singulier, c’est la chaleur avec laquelle l’auteur justifie M. de Lally.

« Vous êtes curieux de savoir s’il donnera en 1769 le spectacle édifiant qu’il a donné en 1768 ; on ne peut rien promettre d’un homme aussi inconséquent et aussi variable. Sa dévotion paraît fort ralentie, et il prétexte souvent quelque incommodité pour ne point aller à la messe. Au reste, cette farce a si mal pris la première fois, qu’il pourrait se dispenser de récidiver. »

5. — Il paraît qu’entre les divers spectacles donnés à Chantilly, la comédie du Bourgeois gentilhomme, avec tous ses agrémens et divertissemens, est ce qui a fait le plus de plaisir au roi de Danemark, dont on ne saurait mieux apprécier le goût et la philosophie qu’en vantant le cas extrême qu’il fait de Molière. Tout le reste, d’ailleurs, a répondu aux vues du prince de Condé, et la partie dramatique est ce qui a été le mieux exécuté. Aussi ce prince a-t-il récompensé tous les acteurs principaux de l’Opéra et des deux Comédies qui ont concouru aux divertissemens qu’il a voulu donner à cette Majesté. Ils ont reçu des présens magnifiques, et ont été traités avec la plus grande générosité.

6. — Le roi de Danemark est allé samedi visiter les trois Académies. C’était le jour des séances ordinaires de celle des Sciences et de l’Académie Française. Celle des Belles-Lettres, avertie dès la veille, avait délibéré et arrêté d’en tenir une extraordinaire le même jour pour recevoir cette Majesté.

Ce prince a été d’abord introduit à l’Académie Française, qui l’a reçu absolument à huis-clos, et sous le manteau de la cheminée. On a trouvé singulier qu’elle ne se soit pas mise in fiocchi, et dans sa salle d’apparat et de grand cérémonial. M. l’abbé Batteux, directeur, a ouvert la séance par une harangue à ce monarque, dont le lecteur conçoit d’avance toute la teneur. Il serait difficile de donner du nouveau après les éloges innombrables dont tous les lieux publics ont retenti en sa faveur. Le fonds ni la forme n’avaient rien de saillant. Ce prince, après avoir essuyé le compliment de prose, a été obligé d’en entendre un en vers de M. l’abbé de Voisenon, poète quelquefois agréable, mais souvent précieux et inintelligible. Il s’est surpassé cette fois-ci en galimatias, et ses plus chers partisans ne peuvent se dispenser de le reconnaître. C’est ce qu’on appelle du jargon académique dans toute la force du terme. M. le duc de Nivernois, en courtisan délicat, s’est servi de son talent pour l’apologue. À la faveur de ce travestissement, il a fait goûter au monarque ses louanges ingénieuses. Il a lu trois fables, dont une, le Roi voyageur, était proprement celle du jour, et a fait le plus grand plaisir. Ces pièces lues, on a fait voir au roi de Danemark les portraits de ces messieurs, dont est décoré leur cabinet d’assemblée. On y trouve ceux des rois et des princes protecteurs de l’Academie, et l’on a pris de là occasion pour solliciter ce monarque de vouloir bien que le sien y fût mis. Ensuite MM.  de l’Académie Française ont reconduit le roi, et ceux de celle des Belles-Lettres étant venus au-devant de lui, il a passé par cette double haie, et est venu siéger dans cette dernière. Son fauteuil était au milieu de la classe des honoraires, où on lui a indiqué sa place.

M. le comte de Saint-Florentin, président, aurait dû lui faire le compliment ; il s’en était remis à M. de Malesberbes, le vice-président, qui a renvoyé cet honneur à M. l’abbé Barthélemy, le directeur, et celui-ci enfin s’en étant reposé sur M. Le Beau, secrétaire, l’orateur a fait un petit discours succinct sur l’origine, l’institution et les travaux de la compagnie. Il a parlé de l’époque de la visite du Czar[402], comme d’une des plus mémorables de ses fastes, et il est parti de là pour se féliciter d’en avoir une aussi précieuse à insérer, celle du monarque présent.

M. Dupuy a lu ensuite des extraits de différens mémoires du semestre dernier, ainsi qu’il est d’usage quand les Académies des Sciences et des Belles-Lettres fraternisent ensemble et se visitent deux fois l’an. On avait abrégé cette matière pour qu’elle ne fût point ennuyeuse. À la fin M. le directeur dit au prince que M. de Bréquigny, membre de la compagnie, avait fait une dissertation sur un roi de Danemark, venu en France sous Louis-le-Débonnaire, où il assignait des rapports singuliers et frappans entre cet ancien monarque et le monarque actuel, et où il établissait une alliance et une parenté même entre la maison de France et celle d’Oldenbourg. Ce détail a excité la curiosité du roi de Danemark. Il a demandé à voir M. de Bréquigny, et l’a prié de lui donner sa dissertation. De là ce prince est passé à l’Académie des Sciences, où les autres Académies se sont rendues, et beaucoup d’étrangers ont pénétré à la faveur de l’affluence. Il a pris place au dessus du directeur.

M. d’Alembert, peu louangeur de son naturel, a fait un discours sur l’influence et l’utilité réciproques de la philosophie envers les princes, et des princes envers la philosophie. Il a enchâssé naturellement dans sa dissertation l’éloge du roi présent, et par cette tournure oratoire a évité ce que pouvait avoir de fade un éloge direct dans la bouche d’un encyclopédiste.

M. Du Séjour, conseiller au Parlement, et associé libre de l’Académie pour la partie de l’astronomie, a assigné à ce prince les lieux de son royaume où l’on pourrait le mieux observer le passage de Vénus sur le soleil, ce phénomène dont on espère tirer tant d’utilité pour mesurer la distance du soleil à la terre. Il n’a pas omis le jour, l’heure et la minute de toutes ces observations, et il en a pris occasion d’offrir aussi son tribut d’encens. MM. l’abbé Nollet et Brisson ont fait quelques expériences de chimie, qui ont plus amusé cette Majesté que tous les éloges dont on l’a ennuyée. Il y en a eu deux, roulant sur la pénétrabilité des liqueurs. Ils ont fait voir que deux quantités connues d’esprit-de-vin et d’eau, réunies ensemble, n’occupaient plus le même volume et n’avaient plus le même poids ; ce qui prouvait leur système, encore mieux confirmé par leur fermentation, et par la voûte alternativement convexe et concave que faisait une pellicule servant de séparation aux deux liqueurs, suivant qu’elles étaient placées l’une sur l’autre, et qu’elles y pesaient plus ou moins.

Le roi, émerveillé de tout ce qu’il avait entendu et vu, est convenu que le triple spectacle de ces compagnies savantes était ce qui l’avait le plus frappé en France.

M. d’Alembert, en lui faisant voir les détails et les ustensiles de l’Académie, lui a fait remarquer le buste de M. Winslow, fameux, académicien danois, qui semble partager les hommages de cette compagnie savante avec celui de M. de Réaumur. Il en a inféré combien la France était juste envers le mérite des étrangers. Ce sont là les deux seuls bustes qu’il y ait à cette Académie.

Toutes les Académies ont ensuite reconduit le roi de Danemark à son carrosse, et il a redoublé de remerciemens, de révérences et de signes d’admiration.

Entre autres phénomènes, l’Académie des Sciences se félicite d’y avoir vu siéger ce jour-là M. le maréchal duc de Richelieu, honoraire, qui n’y avait point pris place depuis vingt-huit ans.

9. — Les demoiselles Luzzi et Doligny, et les sieurs Le Kain, Brizard, Préville et Molé, de la Comédie Française, ont été mandés hier à l’hôtel du roi de Danemark, qui a fait donner une boîte à chacune des deux actrices, dont la plus belle à mademoiselle Luzzi, et cinquante louis à chacun des hommes. Cette exception cause une grande rumeur dans le tripot. Il y a beaucoup de jalousie, et les jalousés même ne sont pas trop contens. Ils se trouvent traités avec peu de magnificence par un prince dont la générosité s’est manifestée partout. Ils attribuent cette mesquinerie à M. le comte de Duras, qui a dirigé le monarque à cet égard depuis le départ de son père. Du reste, il a trouvé plus digne du roi de France que celui de Danemark ne payât rien pour ses loges, et ceci est une gratification spéciale pour servir de marque de sa satisfaction. On ne sait encore comment ont été traités les autres spectacles.

12. — L’A. B. C., dialogues curieux, traduits de l’anglais de M. Hut. À ce titre baroque et factice, on reconnaît aisément l’auteur de la brochure, ce Protée littéraire qui depuis quelques années prend toutes sortes de formes, non pour tromper ses semblables, comme celui de la fable, mais pour les éclairer et les instruire. Que de métamorphoses n’a-t-il pas fait subir à la vérité dans l’espoir de la faire recevoir enfin de quelque façon. L’ouvrage en question n’est pas un tout complet, mais un assemblage de plusieurs chapitres roulant sur la politique, la morale, la métaphysique. Quant à la première partie, le dissertateur prouve l’excellence de la constitution anglaise et des lois de ce gouvernement. Ce qu’il dit sur la seconde est, comme tout ce qui sort de sa plume, plein d’onction et d’humanité. La troisième est plus vague. Notre philosophe, ainsi que les autres, se perd dans un labyrinthe de doutes et de conjectures. Il est également inconséquent et contradictoire. M. de Voltaire a saupoudré ce traité de cette critique ingénieuse dont il assaisonne tout ce qu’il fait. Il passe surtout en revue Hobbes, Grotius et Montesquieu, et saisit ingénieusement leurs côtés faibles. On sent que la religion doit entrer pour beaucoup dans cette brochure philosophique. On commence par y prouver un Dieu, qu’on finit par détruire, et le spinosisme paraît le vrai système de l’auteur.

12. — On parle beaucoup des spectacles magnifiques que donne, à sa superbe maison de Pantin, mademoiselle Guimard, la première danseuse de l’Opéra, très-renommée par l’élégance de son goût, par son luxe nouveau, et par les philosophes, les beaux esprits, les artistes, les gens à talons de toute espèce, qui composent sa cour et la rendent l’admiration du siècle. M. Marmontel n’a point craint de dégrader ses talons académiques et la hauteur de son âme, en adressant à cette courtisane une Épître si répandue il y a un an[403]. M. Collé semble avoir consacré son Théâtre de Société à être joué chez elle. M. de Carmontelle a fait un recueil de Proverbes dramatiques destinés au même effet. Ils ont été mis en musique par M. de La Borde, cet amateur, qui ne croit pouvoir mieux employer ses connaissances que pour l’amusement de la moderne Terpsichore. Les acteurs des différens spectacles se dérobent, quand ils le peuvent, à leurs occupations, et viennent jouer à sa maison de plaisance. Jeudi 7, fête de la Vierge, on a représenté la Partie de chasse de Henri IV, avec un proverbe des auteurs dont on vient de parler pour petite pièce. Le public brigue l’honneur d’être admis à ces spectacles, et c’est toujours un concours prodigieux. M. le maréchal prince de Soubise les honore souvent de sa présence, et ne contribue pas peu à soutenir cette dépense fastueuse. Mademoiselle Guimard y joue quelquefois, mais son organe sépulcral ne répond pas à ses autres talens. C’est une courtisane qui fera vraiment époque par son art dans le raffinement des voluptés et dans les orgies qui se célèbrent souvent chez elle, et dont on rapporte des choses merveilleuses.

17. — Les beaux esprits de ce pays-ci ont etc scandalisés de n’avoir pas été fêtés, autant qu’ils l’espéraient, du roi de Danemark, ainsi qu’on l’a dit. À l’exception de quelques encyclopédistes qui lui ont été présentés, il paraît qu’aucun n’a été admis familièrement auprès de ce monarque ; et s’il n’avait été aux Académies peu de jours avant son départ, il partait sans connaître cette précieuse partie d’hommes choisis de la capitale. Ils attribuent une telle négligence à M. le duc de Duras, qui ne s’est pas prêté au goût du prince et a laissé couler le temps sans le satisfaire à cet égard autant qu’il le désirait. Un des mécontens a exhalé sa bile dans l’épigramme suivante, répandue depuis peu seulement. C’est le roi de Danemark qu’on fait parler :

Frivole Paris, tu m’assommes
De soupers, de bals, d’opéras !
Je suis venu pour voir des hommes :
Rangez-vous, monsieur de Duras !

On attribue cette plaisanterie à M. le chevalier de Boufflers[404], jeune courtisan très-aimable, plein de saillies et déjà connu par de très-jolies pièces de vers et de prose. Sa Majesté Danoise, enchantée de l’esprit de ce seigneur, lui a proposé de venir voir sa cour, et il est parti avec elle.

18. — Il se répand un réquisitoire de M. Pierre Perrot, avocat général du roi à la chambre des Comptes, contre un livre qu’il appelle libelle, imprimé à Amsterdam en deux volumes in-12, sans nom d’auteur, se vendant publiquement chez de Hansy le jeune, libraire rue Saint-Jacques, sans permission ni privilège, ayant pour titre : Mélanges historiques et critiques, contenant diverses pièces relatives à l’histoire de France. Il prétend que l’auteur[405] attribue les droits du despotisme le plus rigoureux au roi de France ; que regardant l’établissement de l’impôt comme une marque distinctive de la majesté suprême, il ne met point de bornes à cette ressource malheureuse ; qu’il veut qu’on puisse lever les subsides sur les peuples, sans admettre la nécessité absolue de l’enregistrement dans les tribunaux ; qu’il propose d’exclure de toute charge et de tout emploi public les célibataires ; qu’il veut que les rois puissent à leur gré s’emparer des biens de l’Église ; que l’on diminue le nombre des charges qui donnent la noblesse ; qu’on en augmente considérablement le prix, et que l’on supprime presque tous les tribunaux, le Parlement, selon lui, étant plus que suffisant pour administrer la justice à tous les sujets du roi et remplacer les tribunaux chargés de veiller à l’établissement des impôts, à la perception et à la fidélité de leur manutention et à leur exacte comptabilité. En conséquence la Chambre a ordonné, le 21 novembre, le rapport de M. Athanase-Alexandre Clément de Boissi, conseiller-maître aux semestres assemblés le 23 du même mois, et ledit jour a supprimé ledit livre, comme contraire à l’honneur et au respect dus à la magistrature, et notamment à la juridiction de la Chambre ; fait défenses à tous imprimeurs, libraires, colporteurs et autres, d’imprimer, vendre, ou autrement distribuer ledit livre, à peine de trois mille livres d’amende, etc.

Le réquisitoire, assez bien fait dans son genre, est un monument précieux d’un homme public qui, par les circonstances, n’est pas dans le cas de porter beaucoup la parole dans un tribunal sans auditoire. Au reste, il est aisé de juger par-là combien la Chambre s’est trouvée lésée de l’assertion de son inutilité et de sa surcharge sur l’État,

19. — Le Procès instruit extraordinairement contre MM. de La Chalotais, etc., paraît imprimé en trois volumes in-4°, mais il est d’une rareté excessive. La sévérité de la police et la difficulté de faire passer un ouvrage aussi volumineux, empêchent qu’il ne se répande promptement, il y en a cependant ici plusieurs exemplaires. On en a saisi dernièrement trois cents.

20. — Le Siècle de Louis XV, par M. de Voltaire, est aussi arrêté. Le Parlement a trouvé mauvais que cet historien censurât son jugement de M. de Lally, et ne veut point d’appel de ses arrêts, même à la postérité. Il s’est soulevé contre l’ouvrage, qui ne paraît plus que clandestinement.

— On a parodié l’épigramme contre M. de Duras, et l’on a fait un madrigal dans la même tournure en l’honneur de madame de Coaslin, la femme de la cour pour qui le roi de Danemark a paru prendre le plus de goût. C’est encore ce monarque qui parle :

Je cherche des grâces légères,
Un cœur honnête, un esprit fin :
Retirez-vous, beautés grossières,
Laissez approcher Coaslin !

21. — Mademoiselle Vestris, annoncée depuis longtemps, a débuté lundi aux Français dans les rôles de mademoiselle Clairon. Elle a joué pour la première fois dans Tancrède. Cette nouvelle Amenaïde a enchanté tous les spectateurs par sa figure, par la noblesse de sa position, de ses gestes, par la pureté de sa déclamation par son intelligence ; en un mot, par toutes les qualités qui constituent la grande actrice, et qui peuvent faire oublier celle qu’elle remplace. Elle surpasse déjà de bien loin mademoiselle Dubois, et sera sans contredit bientôt la première de ce spectacle, si elle continue avec le même succès. Ce début attire un monde étonnant aux Français et tient lieu d’autre nouveauté. Le drame d’Hylas et Sylvie passe à la faveur de ce concours et continue à se jouer. Il est vrai que les spectateurs s’échappent à cet le pièce.

22. — On parle beaucoup de la taille supérieure et de la vaste corpulence de l’envoyé de Maroc, passant ici pour aller en Hollande. Les talens cachés du fortuné Musulman répondent à ce bel extérieur, si l’on en croit le bruit des coulisses et des ruelles. On cite des filles qui ont reçu vingt-deux fois dans une nuit les embrassemens de ce favori de Mahomet. Une telle renommée le rend encore plus recommandable dans cette capitale, et les femmes, en le voyant, ne demandent point comment, peut-on être de Maroc[406], mais elles s’écrient : « Ah ! qu’on est heureux d’être de Maroc ! »

23. — Les Comédiens Italiens ont donné hier la première représentation d’un drame nouveau qui a pour titre : le Fleuve Scamandre, C’est une comédie en trois actes et en vers, mêlée d’ariettes. Les paroles sont du sieur Renout, et la musique de la composition du sieur Barthelemon. Rien de plus plat, de plus mal tourné, de plus insipide que le poème, qui déshonore absolument le conte de La Fontaine dont il est tiré. La musique n’a pas paru de beaucoup supérieure ; il y a cependant quelques airs de symphonie qui ont plu aux amateurs.

24. — M. l’abbé Morellet, désigné pour remplacer, dans la place de secrétaire-général du bureau du commerce, le sieur Le Grand, obligé de quitter cette place à raison de la réputation infâme qu’il s’est faite, n’ayant pas été pourvu de la commission par M. de L’Averdy, le contrôleur-général actuel a pris occasion de ce défaut de formalité pour ne point tenir la parole de son prédécesseur et l’ignorer absolument. En conséquence, il a jugé à propos de faire un autre choix. Il est tombé sur le sieur Abeille, secrétaire de M. de Montigny, beau-frère de M. Maynon, et l’un des inspecteurs-généraux du commerce. C’est un écrivain connu par plusieurs ouvrages relatifs à son état. MM.  les économistes se sont servis de sa plume pour étendre et développer leur doctrine.

— Les brochures sur l’affaire de Bretagne se réveillent et font encore l’objet des entretiens du public. Les nouvelles ont pour titre : Mémoires concernant MM. de La Chalotais, et outre l’édition in-4°, il sont réimprimés en trois petits volumes. On y a ajouté une partie de la procédure instruite tant à Rennes qu’à Saint-Malo. Le tout est accompagné de notes très-injurieuses aux personnes qui ont été employées dans ce malheureux procès. On ne doute pas qu’il n’y ait bientôt un arrêt du Conseil, supprimant et condamnant cet ouvrage comme calomnieux, rempli de faits faux et hasardés, séditieux, en un mot avec toutes les qualifications que le ministère public prodigue depuis si long-temps à toutes ces productions ténébreuses, et qui les font rechercher avec tant d’avidité.

26. — Il se répand une nouvelle brochure intitulée : David, ou l’Homme selon le cœur de Dieu. Dans un petit avertissement, on prétend que cet ouvrage parut autrefois en anglais à Londres, en 1761, sous le titre de the History of the own God’s man the heart ; que le but de l’auteur avait été de venger le feu roi d’une comparaison qu’on en avait faite avec le roi-prophète ; que cette ressemblance, bien loin d’être un éloge, ne pouvait que lui être injurieuse, comme on allait le faire voir par la vie même de David. On conçoit que tout ce début n’est qu’un persiflage pour amener l’histoire très-scandaleuse de ce monarque. Il est vrai que les faits articulés sont tirés des livres saints, et ne présentent même que des mémoires très-incomplets, auxquels l’écrivain n’a osé ajouter ni liaisons ni transitions : ce qui rend l’ouvrage décharné et absolument sec. Mais le fond est infiniment plus abominable, et ce qui n’offre que des traits d’un ordre extraordinaire à ceux qui les lisent dans la simplicité de cœur qu’exige l’Écriture sainte, forme, ainsi isolé, un tissu d’horreurs et de cruautés, dont se prévalent les impies pour peindre le saint roi comme un assemblage de tous les crimes.

On a réimprimé, à la suite de cet ouvrage, la tragédie de Saül et David, connue depuis long-temps[407] et d’une main bien supérieure ; car la première production est très-médiocre, écrite avec force quelquefois, mais sans élégance, et dénuée absolument de ce ridicule qui donne la vogue à ces sortes d’ouvrages, et que M. de Voltaire sait répandre avec tant d’art sur les matières qui en sont les moins susceptibles en apparence.

28. — Le réquisitoire de M. Perrot, avocat-général de la chambre des Comptes, dont a parlé, quoique rendu le 21 novembre, était resté dans une sorte d’obscurité qui l’avait mis à l’abri de la censure. Aujourd’hui qu’il est répandu et qu’il acquiert une certaine célébrité, plusieurs membres du Parlement y observent beaucoup de choses à redire. Ils trouvent mauvais que l’orateur, pour réfuter l’assertion de l’auteur du livre supprimé, « que le Parlement pouvait faire toutes les fonctions de la Chambre, » récrimine et prétende à son tour que la Chambre pourrait remplir toutes les fonctions de cette cour ; qu’il s’immisce dans la haute police, en détaillant les différens endroits répréhensibles du livre non relatifs à son ministère et à sa juridiction ; qu’il attaque les maximes prétendues contraires à notre législation, à la politique, à la morale, à la religion ; qu’il veuille même en discuter les points théologiques, comme si toutes ces matières étaient de sa compétence. D’après cette fermentation, il ne serait pas étonnant que ce réquisitoire fût dénoncé au Parlement, et il en est fortement question.

29. — Mademoiselle Guimard se disposait à continuer, la veille et le jour de Noël, les spectacles délicieux qu’elle donne chez elle et dont on a parlé[408]. Une défense de M. de Richelieu aux Comédiens du roi des deux troupes, de jouer ailleurs que sur leur théâtre sans la permission de Sa Majesté, a arrêté le cours de ces divertissemens. On applaudit fort à cette prohibition. Les absences fréquentes des meilleurs acteurs, et la liberté qu’ils prenaient de se consacrer à l’amusement de quelques particuliers, leur ont mérité à juste titre l’animadversion des gentilshommes de la chambre. Mademoiselle Guimard sera obligée d’avoir une troupe de comédiens à elle, et c’est un nouveau genre de luxe très-digne de sa magnificence.

31. — Assemblée publique de l’Académie Française, tenue le 22 décembre 1768, pour la réception de M. l’abbé de Condillac, à la place de M. l’abbé d’Olivet.

Cette séance a été brillante et nombreuse, mais ce qui l’a rendue plus remarquable, c’est le concours du beau sexe s’y rendant en foule. Indépendamment des tribunes qui étaient garnies de femmes, elles s’étaient répandues dans le reste de l’assemblée et même parmi les hommes. Presque toutes étaient du meilleur ton et d’une figure charmante. MM. les Académiciens ont vu avec complaisance les Grâces assister aux travaux des Muses, et le front des plus sévères s’est merveilleusement déridé à cet aspect.

Le récipiendaire s’est mis, suivant l’usage, au bout de la table, en face du directeur. Il était dans l’étiquette, c’est-à-dire ganté de blanc, un castor neuf à la main. Il l’a mis sur sa tête, l’a ôté, puis remis, et a commencé. Après les premiers lieux communs de modestie, après que son organe affaibli par ce sentiment a eu repris sa force, il s’est jeté brusquement dans une digression sur le développement et les progrès de l’esprit humain dans notre Europe. Ce plan vaste et digne de l’assemblée, s’il eût été exécuté d’une manière neuve et oratoire, a dégénéré en dissertation froide, sèche et alambiquée. Le goût de l’auteur pour la métaphysique l’a fait s’appesantir sur une infinité de points sophistiques, sur l’anatomie de l’esprit humain, dont il a fait une dissection aussi savante qu’ennuyeuse. Cette érudition a paru déplacée dans ce lieu, et ressembler beaucoup à du galimatias. Son style sec, sans rapidité, sans chaleur et sans vie, a répondu parfaitement au genre qu’il avait pris. Après s’être promené long-temps, depuis le déluge jusqu’à nous, ce philosophe est enfin parvenu à la fondation de l’Académie Française, et son génie, comme exténué par les efforts et la gêne de tout ce long verbiage, n’a paru reprendre aucune activité pour les éloges qui ont terminé son discours. Il a fini comme il avait commencé : nul art, nulle transition, nulle éloquence. Les grammairiens ont remarqué beaucoup de fautes dans l’élocution du récipiendaire, et prétendent qu’il aurait dû lire le Traité de la prosodie de son prédécesseur avant de le remplacer.

M. l’abbé Batteux, directeur, a répondu. C’était un ami de M. l’abbé d’Olivet. Il s’est étendu avec complaisance sur cet Académicien, dont il a donné une espèce de Vie, que bien des gens ont trouvé longue, mais dont les détails ont paru précieux aux gens de lettres, et qu’en général on doit pardonner à l’amitié. D’ailleurs, M. Batteux a ouvert, en quelque sorte, par-là une route nouvelle. Et ne serait-ce pas la meilleure façon de faire l’histoire de l’Académie, que de prononcer à chaque réception l’éloge historique du mort ? Malheureusement le style flasque de l’orateur ne répondait point à la matière. Il est entré dans des anecdotes, peut-être trop familières pour un discours d’apparat, mais qu’il pouvait relever par la noblesse des expressions et par une tournure énergique. Il faut convenir que le directeur et le récipiendaire n’ont pas paru plus dignes l’un que l’autre de la place qu’ils occupaient, et que ces deux discours ne sont assurément pas les meilleurs prononcés dans l’Académie Française depuis son origine.

Pour occuper le reste de la séance, M. Watelet a lu sa traduction en vers du troisième chant de la Jérusalem délivrée, roulant sur les enchantemens de la forêt. On sait que cet auteur a entrepris de traduire tout le poëme. Il en a déjà présenté plusieurs essais aux assemblées publiques. Ce poète ne l’est point assez, à beaucoup près, pour nous rendre toutes les beautés de l’italien. Son génie froid et aride glace l’imagination brillante et féconde de l’original. C’est ce qui a paru par ce qu’il a fait voir dans les séances précédentes, et ce qu’il a confirmé dans celle-ci. Quoique ce chant ne soit pas le plus beau du poëme, il y a, comme dans tous, des morceaux de poésie et de sentiment admirables, mais infiniment affaiblis chez le traducteur, malgré tout ce qu’il veut y substituer du sien. Ses vers travaillés laissent voir toute la gêne du cabinet, et ne respirent en rien la mollesse et l’aisance que le Tasse sait si bien allier à la force et à la vigueur de ses pinceaux.

Le public serait sorti très-mécontent de cette séance si M. le duc de Nivernois, aujourd’hui duc de Nevers, ne l’avait régalé de quelques fables. Cet ingénieux moraliste en a lu six, toutes exquises dans leur genre : le Soleil et les Oiseaux de nuit ; Jupiter et le Rossignol ; le Sourd et l’Aveugle ; les Carrières ; les deux Somnambules ; les Poissons et les Grenouilles. On ne pourrait que répéter, à cet égard, les éloges déjà donnés à celles de cet auteur lues à l’assemblée de la Saint-Louis.



1769.

2 Janvier. Il paraît un nouveau conte intitulé : Apothéose du roi Pétau. On l’attribue à M. de Voltaire. C’est une allégorie satirique, réservée pour les ténèbres dans lesquelles elle a été enfantée.

3. — Les Étrennes de l’Amour[409], petite comédie jouée le premier jour de l’an, n’a reçu que très-peu d’applaudissemens : c’est une allégorie plate, triviale et misérable, qui ne mérite aucun détail.

5. — Les Comédiens Italiens ont donné aujourd’hui la première représentation de Lucile, comédie en un acte et en vers, mêlée d’ariettes. Tout le monde attribue les paroles à M. Marmontel, qui garde l’anonyme. La musique est du sieur Grétry. Cette pièce romanesque a produit à ce théâtre le rare spectacle d’un auditoire fondant en larmes. Le musicien a secondé le poète à merveille, et a brisé les cœurs par des ariettes passionnées. Chacun est sorti pleurant et enchanté ; en sorte qu’on regarde la pièce comme couronnée par le plus grand succès.

7. — Extrait d’une Lettre de Rennes du 2 janvier 1769.

« Il court ici une caricature dont il faut vous dire l’origine. Un avocat, nommé Du Parc Poulain, tout dévoué aux Jésuites et à leur cabale, a été le défenseur du prêtre Clémenceau dans l’affaire du poison, jugée définitivement le 5 mai 1768. Ce dernier, en reconnaissance, a fait, dit-on, tirer en grand le portrait de ce moderne Cicéron. Le jurisconsulte est représenté en robe, avec la croix de Saint-Michel par-dessus ; il tient d’une main ses Commentaires sur la Coutume de Bretagne, mauvais ouvrage, malgré les éloges de Fréron, et de l’autre sa première requête pour Clémenceau. Il fixe les yeux sur ses œuvres avec un air de complaisance. Des plaisans ont fait graver ce portrait et ont ajouté les deux quatrains suivans. De la bouche de l’orateur on fait sortir celui-ci en lettres d’or :

On dit mes ouvrages mauvais ;
Oui, quelques sages les rejettent ;
Mais plus de cent sots les achètent :
C’est pour eux que je les ai faits.


Et, au bas du portrait, on lit cet autre :

Efflanqué, long et plat, son style est son image :
Détestable copiste, insipide orateur,
DétesÀ l’auteur on connaît l’ouvrage,
DétesÀ l’ouvrage on connaît l’auteur.

»

8. — Une cause importante, portée à la grand’chambre, a donné lieu à un mémoire très-plaisant, répandu avec profusion, qui fait l’entretien du jour, et qu’on trouve également sur les bureaux poudreux des gens de lois et sur les toilettes élégantes des femmes. Il est intitulé : Pour les coiffeurs des Dames de Paris, contre la communauté des maîtres barbiers, perruquiers, baigneurs-étuvistes. Les perruquiers prétendent que c’est à eux seuls à coiffer les dames ; ils ont fait mettre à l’amende et emprisonner plusieurs de leurs adversaires. Ceux-ci se défendent et veulent que le privilège exclusif soit pour eux.

9. — Il paraît une deuxième Lettre d’un gentilhomme breton à un noble espagnol, datée de Rennes le 14 octobre 1768. Cette brochure, de plus de deux cents pages, imprimée en petits caractères, continue d’exposer les prévarications commises, suivant l’auteur, par le prétendu Parlement de Rennes dans le procès criminel commencé le 29 mai 1767, à l’occasion de l’imprimé qui a pour titre : Tableau des assemblées clandestines des Jésuites et de leurs affiliés à Rennes, et jugé définitivement par l’arrêt du 5 mai 1768, dans lequel se trouve impliqué l’incident de l’affaire appelée l’affaire du poison. On y discute en détail les différens mémoires et requêtes des Clémenceau, des Fourneau, etc. L’historique de tout cela est si noir, si atroce, si contradictoire, si incroyable, que le lecteur ne peut être que très en garde contre un pareil récit. Il faut voir comment l’appel sera reçu au Conseil. Ce procès, rempli d’irrégularités, pèche par tant d’endroits, que cet appel ne peut manquer d’être admis. Du reste, l’ouvrage est parsemé d’anecdotes scandaleuses, surtout contre les nouveaux membres de ce que l’historien appelle le bailliage d’Aiguillon ; et ce Parlement, l’aréopage de la province, ne serait, suivant lui, que le résultat de ce qu’il y aurait de plus vil et de plus méprisable.

10. — M. de Voltaire vient de perdre un de ses intimes amis, en la personne de M. Damilaville[410]. La correspondance de ce grand homme et quelques louanges dont il l’a honoré dans ses ouvrages, lui avaient donné une sorte d’illustration. Il avait acquis ainsi une consistance dans la littérature, et s’était trouvé lié avec les personnages les plus célèbres. On prétend même qu’il a fait quelques opuscules anonymes[411]. Quoi qu’il en soit, il est mort d’une maladie de langueur. M. Diderot a long-temps soutenu sa constance ; mais enfin on l’a déterminé à avoir recours aux consolations spirituelles, et le curé de Saint-Roch a remplacé près de lui l’encyclopédiste. Sans doute que M. de Voltaire versera des larmes sur son ami, et que le poète ornera de fleurs l’urne de ce philosophe.

12. — Le roi vient de donner quatre mille livres de pension au sieur Goldoni, appelé en France depuis plusieurs années par les Comédiens Italiens, pour soutenir leur théâtre, et depuis nommé pour apprendre à Mesdames la langue dans laquelle il a donné des drames si intéressans, et qui l’ont fait surnommer le Molière d’Italie. Il est certain que cet auteur, très-inférieur au Français du côté de la force des caractères, de l’énergie des situations, de la finesse de l’intrigue, de la gaieté soutenue de ses personnages, est admirable pour le naturel du dialogue, l’exactitude des détails et l’imbroglio que sa nation entend si bien.

13. — Le mémoire dont on a parlé[412], en faveur des coiffeurs de dames de Paris, a été supprimé, comme indigne de la majesté du tribunal où était portée l’affaire. Les coiffeurs ont gagné en plein contre les perruquiers, et cette fois-ci les Grâces ont triomphé du monstre de la Chicane. Toutes les élégantes de ce pays-ci avaient pris un grand intérêt au procès, et formé les sollicitations les plus puissantes.

14. — Quoique les diverses Remontrances du Parlement sur les édits bursaux, enregistrés au lit de justice, ne soient pas imprimées, Messieurs en laissent transpirer des copies pour que la nation apprenne au moins jusqu’à quel point s’est enflammé le zèle de cette compagnie dans une crise importante où il était si essentiel de ne pas prêter son ministère à cet enregistrement, et de conserver les bornes prescrites par son arrêté vigoureux. Les peuples lisent avec avidité ce double ouvrage, triste tableau des malheurs de la France et du désordre de ses finances. Les Itératives remontrances sont surtout remarquables par la multiplicité de faits qu’elles contiennent, dénués de tout l’accessoire d’une éloquence frivole et de ces lieux communs qui énervent la vérité, qu’on ne saurait montrer en pareille occasion avec trop de force et d’austérité. On attribue ces deux chefs-d’œuvre à M. l’abbé Terrai, qu’on a regardé jusqu’à présent comme un membre trop voué à la cour. Ce trait de vigueur et de patriotisme lui a valu un compliment qui court dans les cercles et que chacun répète avec plaisir. M. Pierron, premier substitut de M. le procureur-général, étant allé voir ce Démosthènes, peu après les phrases d’usage : « M. l’abbé, lui a-t-il dit, je viens vous demander votre amitié pour cette année, mais non votre protection. » M. l’abbé a senti la finesse de cet éloge, qui fait honneur à ces deux bons citoyens et serviteurs du roi.

15. — Le Procès de M. de La Chalotais[413], quoique proscrit avec la plus grande solennité et prohibé sous les peines les plus sévères, se répand malgré son volume. Les curieux le lisent avec avidité, non à raison du fond, très-sec, très-monotone, et ne roulant que sur des pièces de forme et de procédure qui ne prêtent à nulle éloquence, mais à cause de l’intérêt qu’on prend aux personnages, de la tournure nouvelle des interrogatoires, et d’un complot réfléchi, qu’on prétend y trouver, de convertir en coupables des gens innocens. On ne peut dissimuler que le procureur-général ne gauchisse quelquefois, et qu’il ne montre pas toute cette dignité que devraient lui donner, même sur la sellette, sa qualité et la pureté de sa conscience… Quelques lecteurs sont Page:De Bachaumont - Mémoires secrets Tome 2 - 1766-1769 - Ravenel - Ed. Brissot-Thivars - 1830.djvu/395 Page:De Bachaumont - Mémoires secrets Tome 2 - 1766-1769 - Ravenel - Ed. 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  1. Londres (Paris), 1766, in-8o. — R.
  2. Le Gustave Wasa de Piron fut représenté pour la première fois le 6 février 1733. — R.
  3. L’Épître à Henri IV.
  4. Ce vers rappelle la réponse de Fontenelle à une dame qui lui demandai
    s’il ne s’était jamais senti le désir de se marier. « Quelquefois, le matin. » — R.
  5. Il ne faut pas confondre cette actrice avec une autre demoiselle Sainval, dont le début au même théâtre sera annoncé au 5 mai 1766. — R.
  6. Le 26 novembre 1765. Il était né en 1699. — R.
  7. Paris, Duchesne, 1765, 4 vol. in-12. — R.
  8. MM. de La Chalotais, de Caradeuc, Charette de La Colinière, etc. avaient été renvoyés devant une commission extraordinaire comme prévenus d’avoir fomenté des troubles en Bretagne. — R.
  9. Paris, 1765, — R.
  10. Paris, 1766, in-12. — R.
  11. Cette dissertation, qui forme un volume in-4o de 500 pages, n’a été publiée qu’en 1768, à Bruxelles. — R.
  12. La Mort d’Abel, drame en trois actes, en vers, imité du poëme de M. Gessner, et suivi du Veu de Jephté, poëme, Paris, veuve Duchesne, 1766, in-8o. — B.
  13. Berlin, Haude et Spener, 1766, in-12. Le nom d’Yemrof, sons lequel furent publiées ces Remarques, déguisait assez mal celui du véritable auteur, Formey. — R.
  14. Le 23 janvier 1766. — R.
  15. V. 2 novembre 1765. — R.
  16. V. Ier novembre 1763. — R.
  17. Paris, 1766, in-8o. — R.
  18. Paris, 1766, in-8o. Cérutti a été le collaborateur du duc de La Vauguyon. — R.
  19. Florence (Paris), 1766, in-8o. — R.
  20. Amsterdam (Paris), 1766, in-12. — R.
  21. Londres (Paris), 1766, in-8o de 58 pages. — R.
  22. Paris, Lambert, 1766, in-8o. — R.
  23. Paris, Vente, 1766, in-4o. — R.
  24. V. 10 octobre 1765. R.
  25. On lui fit, à cette occasion, cette épitaphe satirique :

    Ci-gît un gentilhomme acariâtre et brusque.
    Oh ! qu’il est bien logé sous cette cruche étrusque.

    — R.
  26. Paris, 1766 in-8o. — R.
  27. V. 18 avril 1765. — R.
  28. Bordeaux et Paris, 1766, in-12. — R.
  29. Londres, 1766, in-12 de 80 pages. — R.
  30. V. 15 avril 1765. — R.
  31. V. 4 mars 1766. — R.
  32. Il s’agit probablement de la lettre à d’Alembert du 12 mars 1766. — R.
  33. Paris, Saillant, 1766, 4 vol. in-12. — R.
  34. Lettre à Mer, relative à M. J.-J. Rousseau ; par Du Peyrou, À Goa (Neufchâtel), Aux dépens du Saint-Office, 1765 in-8o — R.
  35. Paris, 1766. in-8o, Voltaire a fait un Petit Commentaire sur cet Éloge.
  36. Verdun et Paris, 1766, in-4o. — R.
  37. Voyez dans les Œuvres de Voltaire sa réponse à ces vers : elle commence ainsi :

    Aimable amant de Polymnie,
    Jouissez de cet âge heureux… — R.

  38. Londres ( Paris), 1766, in-8o. C’est une nouvelle édition. La première avait paru en 1762. — R.
  39. Londres et Paris, 1766, 4 parties in-12. — R.
  40. L’abbé Irailh. — R.
  41. Amsterdam (Paris), 1745, in-12 — R.
  42. Le Quartier d’hiver, comédie en un acte et en vers libres, non imprimée. — R.
  43. Cette pièce, retirée par l’auteur après la première représentation, fut reprise, avec des changemens et sans beaucoup plus de succès, le 7 juin suivant. — R.
  44. V. 18 septembre 1765. — R.
  45. V. 27 mars 1766. — R.
  46. Par Lacombe. Genève et Paris, 1766, 2 parties in-8o. — R.
  47. Stanislas-Auguste, fils aîné du comte Poniatowski, gentilhomme lithuanien, élu roi de Pologne le 7 septembre 1764 et couronné le 25 novembre suivant. — R.
  48. Lettre à M.  Bertrand sur les polypes d’eau douce. Paris lacombe, 1766, in-12 de 57 pages. Cet opuscule est très-rare. — R.
  49. Paris, 1766, in-12. — R.
  50. Palissot de Montenoy. — R.
  51. Cet article est emprunté au Journal encyclopédique du mois de mai 1766. — R.
  52. Par Philibert. Paris, 1766, 2 vol. in-12. — R.
  53. Paris, 1766, in-8o. — R.
  54. Paris, 1766, 2 vol. in-12. — R.
  55. Dumouriez, V. 20 août 1764. — R.
  56. L’Iliade d’Homère, traduite en vers, avec des remarques ; par M.  de R…, Paris, 1766, in-8o. — R.
  57. La Haye et Paris, 1766, in-8o. C’est à tort que quelques bibliographes attribuent à Guyot de Merville cette pièce, dont le véritable auteur est l’abbé Bruté de Loirelle. — R.
  58. Berne (Paris, Chardon) 1766, in-12. — R.
  59. Le Président de Thou justifié contre les accusations M. de Bury, auteur d’une Vie de Henri IV. Londres (Paris), 1766, in-8o. — R.
  60. V. 28 décembre 1765. — R.
  61. Paris, Saillant 1766-71, 7 vol. in-12. — R.
  62. Le rédacteur des Mémoires se trompe. L’ouvrage dont il est ici question n’est point de l’amie de d’Alembert, mais de mademoiselle de L’Espinassy. — R.
  63. Paris, Hochereau, in-12. — R.
  64. Genève et Paris, 1766, in-12. — R.
  65. Genève, 1749, in-12. — R.
  66. V. ier et 14 septembre 1765. — R.
  67. C’était un des privilèges de l’Opéra que toute fille ou femme qui s’y faisait recevoir comme sujet se dérobait ainsi au pouvoir paternel ou conjugal. — R.
  68. Amsterdam et Paris, 1766, in-12. — R.
  69. Louis Travenol, violon de l’Opéra, ayant fait réimprimer, a l’occasion de la réception de Voltaire à l’Académie Française, un Discours prononcé à la porte de l’Académie, composé en 1743, lors des premières démarches du poète pour entrer dans ce corps, Voltaire le traduisit en justice et le fil condamner. — R.
  70. Paris, 1766, 2 vol. in-12. — R.
  71. L’auteur du Dictionnaire des Anonymes a démontré que l’Évêque de Burigny est le véritable auteur de l’Examen critique. Naigeon en fut l’éditeur, V. 23 août 1766. — R.
  72. Paris, 1765, 4 vol. in-12. — R.
  73. Amsterdam et Paris, Cellot, 1766, in-12. — R.
  74. Cet article est emprunté au Mercure de France, juillet 1766, premier vol., p. 171. — R.
  75. Quelques éditeurs modernes ont surpassé peut-être ce honteux charlatanisme. Ainsi, en 1820, les frères Baudouin publièrent sous le titre d’Histoire du Parlement Anglais, par Louis Bonaparte des Notes de Napoléon, l’ouvrage que l’abbè Raynal avait fait paraître, en 1748, sous celui d’Histoire du Parlement d’Angleterre. — R.
  76. Paris, Lottin, 1766, in-4o. — R.
  77. Par Barbazan. Paris, 1766, 3 vol. in-12. Une nouvelîe édition, corrigée et augmentée par M.  Méon, a paru en 1808, 4 vol. in-8o — R.
  78. Paris, Boudet, 1766, in-12. — R.
  79. Amsterdam et Paris, 1766, in-8o. Ce roman est de la marquise de Belvo, née Ducrest, cousine germaine de madame de Genlis. On en a donné une nouvelle édition en 1769, dans le même format. Mérard de Saint-Just s’est donné pour l’auteur de ces Lettres dans le Catalogne de sa bibliothèque, imprimé en 1783, in-18, chez Didot l’aîné, et tiré à vingt-cinq exemplaires. Il était coutumier du fait, — R.
  80. Paris, Saillant, 1766, in-12. Hubert-Pascal Ameilhon, né à Paris, le 5 avril 1730, y est mort le 13 novembre 1811. — R.
  81. Paris, Lacombe, 1766, in-12. — R.
  82. Toulouse, Crosat, 1754, in-12. — R.
  83. Odes prises d’Horace, lues dans les assemblées publiques de l’Académie des Jeux Floraux. 1766, i-8°. — R.
  84. On a du duc de Nivernais des Réflexions sur le génie d’Horace, de Despréaux et de J.-B. Rousseau. — R.
  85. Vernet venait de publier la troisième édition de ses Lettres critiques d’un voyageur Anglais, dans lesquelles Voltaire était attaqué avec violence. — R.
  86. Amsterdam et Paris, 1766, in-8o. — R.
  87. 1766, in-8o de 16 pages. — R.
  88. 1766, in-8o de 12 pages. — R.
  89. Cet article est remarquable par son inexactitude. On ne peut mieux le réfuter que par l’exposé des faits.

    1o Dans la querelle entre David Hume et J.-J Rousseau tous les hommes de lettres prirent fait et cause pour le premier. À leur tête étaient d’Alembert, Suard, qui traduisirent le pamphlet de Hume*, d’Holbach, qui le colporta, etc, Rousseau, qui ignorait cette publication, était à Wootton. Il n’eut pour défenseur que madame Latour-Franqueville**. On prenait tellement le parti de Hume que les amis de Jean-Jacques lui écrivirent pour lui faire des reproches et lui demander des explications,


    2o La métamorphose de l’auteur en colporteur de dentelles, parcourant la Flandre où il n’a jamais mis le pied, faisant des lettres-de-change, etc., est une mauvaise plaisanterie digne de pitié. À l’époque que l’on indique, Jean-Jacques était à Paris ; il est venu dans cette capitale en 1741 ; il en sortit pour se rendre à Venise auprès du stupide Montaigu, en 1743 ; revint à Paris en 1744 ; y resta jusqu’au mois de juillet 1754 qu’il fit un voyage de trois mois à Genève. Du mois d’octobre 1754, jusqu’au 9 juin 1762 qu’il fut décrété de prise de corps, il passa cet espace de temps à Paris, à l’Ermitage, à Montmorency. De 1762 à 1765, il séjourna en Suisse. Il s’embarqua pour l’Angleterre le 3 juin 1765. Il est difficile de trouver le moment où il aurait colporté des dentelles. ( Note communiquée par Musset-Pathay).


    *. V. 20 octobre 1766. — R. **. V. 22 février 1767. — R.

  90. Par Richer. Amsterdam (Paris), 1766, 2 vol. in-12, — R.
  91. Examen des principes d’après lesquels on peut apprécier la réclamaion attribuée à l’assemblée du clergé en 1760, in-12. — R.
  92. V. 9 mai 1767. — R.
  93. L’abbé Coyer publia à cette occasion sa Lettre au docteur Maty, sur les gèans Patagons. Bruxelles (Paris) 1767, in-12. — R.
  94. Par Rulié. Paris, Barbou, 1766, in-12. — R.
  95. V. 24 février 1762. — R.
  96. Amsterdam (Paris), 1766, in-8o — R.
  97. Il n’est pas certain que cette estampe soit de Boufflers. Ou lit au bas : Dessiné à Ferney, et gravé par M. B…, 1765, — R.
  98. V. 6 août 1766. — R.
  99. Voltaire, au lit de mort, eut la consolation d’apprendre la cassation de l’arrêt qui avait Condamné Lally. On peut voir dans sa Correspondance le billet touchant qu’il adressa au fils du général. — R.
  100. À Amsterdam, et se distribuent chez le défunt, place Saint-Michel, 1766, in-8o. Cet artocle emprunté au Journal encyclopédique, août 1766, p. 136. — R.
  101. V. 1er août 1766. — R.
  102. Berne (Berlin), 1766, 2 v. p. in-8o. L’Abrégé est de l’abbé de Prades ; la préface seule est du roi de Prusse. — R.
  103. Lindor et Ismène. — R.
  104. Le père de Villette avait acheté, peu de temps avant sa mort, le titre de marquis. La bravoure du fils lui attira l’épigramme suivante :

    Villette a tout interverti,
    Soit qu’il se batte ou qu’il caresse,
    Il ne voit point son ennemi,
    Et n’est pas vu de sa maîtresse. — R.

  105. V. 18 juin 1766. — R.
  106. Le Poète, épître qui a remporté le prix de l’Académie Française, Paris, Regnard, 1766, in-8o. — R.
  107. De Gaillard. — R.
  108. De Fontaine. — R.
  109. V. 19 octobre 1766. — R.
  110. Le comte d’Argental. V. dans sa Correspondance, la lettre du 15 auguste 1766. — R.
  111. V. 27 novembre 1766. — R.
  112. Il paraît que cet extrait est tiré d’une lettre à d’Alembert, du 7 auguste 1766. — W.
  113. V. 1er août 1766. — R.
  114. Paris, Vente, 1766, in-12. — R.
  115. V. 28 octobre 1766. — R.
  116. Voyez dans les Œuvres de Vollaire sa réponse commençant par ces vers :

    Si vous brillez votre aurore,
    Quand je m’éteins à mon couchant…

  117. La Chalotais était soupçonné d’avoir adressé au comte de Saint-Florentin plusieurs lettres anonymes ; et des experts, gagés peut-être, avaient déclaré y reconnaître son écriture. — R.
  118. Paris, Ve Duchesne, 1766, in-4o de 12 pages. — R.
  119. Le 25 septembre, suivant le Mercure de France et l’Almanach des Spectacles de Paris. — R.
  120. La Biographie universelle, donne la date du 18 septembre 1766 comme celle de sa mort. — R.
  121. Paris, Ve Duchesne, 1766, in 8°. Ce divertissement a eu deux éditions.
  122. Paris, De Bure, 1766, in-8o. — R.
  123. Extrait de quelques pièces prèsentées à l’Académie Française pour concourir au prix de poésie de l’annee 1766. Paris, Regnard, 1766, in-8o. — R.
  124. Cette épître est probablement du même auteur que celle à un jeune homme qui veut embrasser la profession des lettres, dont il sera parlé plus bas. Elles ont été imprimées ensemble. Dijon, Lagarde, 1766, in-8o. R.
  125. De Mercier. — R.
  126. V. 25 août 1766. — R.
  127. Traduit de l’anglais par Suard, avec une préface du traducteur. Londres (Paris), 1766, in-12. — R.
  128. Cette lettre manque aux Œuvres de d’Alembert. — R.
  129. Jérusalem (Paris), 1766, in-8o. — R.
  130. Neufchâteau, Monnoyer, 1766, in-8o de 96 pages. — R.
  131. Par Maubert. Amsterdam, F. Changuion, 1766, 2 v. in-12. — R.
  132. Ces vers, attribués à Boufflers, oui été recueillis pour la première fois dans une édition des Œuvres complètes de ce poêle, publiée à Paris en 1827, chez Furne, 2 vol. in-8o. — R,
  133. 1767, in-12. Cet ouvrage avait paru dés 1761 ; Londres (Nancy, Leclerc), in-8o. C’est la première des productions anti-chrétiennes du baron d’Holbach. — R.
  134. Par Chaillou, avocat au parlement de Bretagne. Cet ouvrage a été réimpriméprimé, avec des additions de l’auteur, sous ce titre : De la stabilité des lois constitutives de la monarchie en général, etc. ( Rennes), 1789, in-8o. — R.
  135. Une commission extraordinaire avait été nommée pour juger MM. de La Chalotais, de La Colinière, etc. — R.
  136. Londres, 1766, in-12 — R.
  137. Londres (Paris, Panckoucke), 1766, in-12. On voit dans la Correspondance de Voltaire que plusieurs personnes attribuaient cette brochure au libraire Panckoucke, — R.
  138. Paris, Delalain, 1766, in-12. Cette Vie avait paru pour la première fois en 1747, Henri Richer son auteur ne doit pas être confondu avec Fr. Richer dont il a été question au 26 juillet 1766. — R.
  139. Dijon, Causse, 1766, in-8o. — R.
  140. Amsterdam et Paris. Gueffier, 1766. in-8o. — R.
  141. V. 25 décembre 1766. — R.
  142. V. 1er septembre 1766. — R.
  143. Cet article est de Diderot. On l’a, à tort, attribué à Toussaint dans l’Esprit de l’Encyclopédie, Paris, Verdière, 1822, tome II, p. 401-412. — R.
  144. Avis au public sur les parricides imputés aux Calas et aux Sirven. V 15 septembre 1766. — R.
  145. V. 13 novembre 1766. — R.
  146. « J’ai cru voir dans la lettre que Voltaire vous écrit, la raison qui s’adresse à l’amitié en faveur de la justice. Quand je ferai une statue de l’Amitié, je lui donnerai vos traits. Cette divinité est mère de la bienfaisance, vous êtes la mienne depuis long-temps, et votre fils ne vous refuserait pas, quand même ce que Voltaire me demande ne m’honorerait pas autant. »
  147. Voyez la note 1 de la page précédente, — R.
  148. On trouve dans les Œuvres de Voltaire cette version un peu différente de la même lettre :

    « J’ignore ce que mes oreilles ont pu faire aux Pompignans. L’un me les fatigue par ses mandemens, l’autre me les écorche par ses vers, et le troisième me menace de les couper. Je vous prie de me garantir du spadassin ; je me charge des deux écrivains. Si quelque chose, Monseigneur, me fesait regretter la perte de mes oreilles, ce serait de ne pas entendre tout le bien que l’on dit de vous à Paris. » — R.

  149. V. 14 avril 1765, — R.
  150. Cet Appel au public n’a jusqu’à ce jour été compris dans aucune édition des Œuvres de Voltaire. — R.
  151. « Le pauvre La Condamine… se trouve attaqué d’une maladie extraordinaire. Elle consiste dans une insensibilité répandue sur toutes les extrémités de son corps, quoiqu’il se porte d’ailleurs parfaitement bien. Ainsi il marche sans sentir ses pieds, il s’assied sans sentir ses fesses. On le lui frotte avec les brosses les plus dures, jusqu’à l’écorcher, et il sent à peine un léger chatouillement. » (Grimm, Correspondance littéraire, 1er novembre 1766.). — R.
  152. Ésope à la ville, comédie de Boursault, a été jouée en 1690 ; Ésope à la cour, du même auteur, l’a été en 1701. Pesselier lit représenter en 1739 son Ésope au Parnasse. — R.
  153. Paris, 1766, 3 vol. in-12. — R.
  154. V. 30 mars 1763. — R.
  155. Par M.  L… (1766), in-23 de 32 pages. Cette brochure est de Voltaire : on ne l’a encore comprise dans aucune édition de ses Œuvres. — R.
  156. Avec des remarques sur les proscriptions. Amsterdam et Paris, 1767, in-8o. — R.
  157. V. 13 novembre 1766. — R.
  158. V. 26 novembre 1766. — R.
  159. Nous ne croyons pas avoir besoin de prémunir l’esprit du lecteur contre ces calomnies, que Beaumarchais lui-même a réfutées si plaisamment dans une note sur la lettre de Voltaire à d’Argental, en date du 31 janvier 1774. — R.
  160. Ces vers sont de Desmarets de Saint-Sorlin, et font partie du recueil connu sous le nom de Guirlande de Julie ; ils ont été composés pour Julie d’Angennes, qui épousa, en 1644, le duc de Montausier. — R.
  161. Sans doute à cause du commandement qui enjoint de s’y rendre au moins à Pâqes humblement. — R.
  162. Le tombeau de Colbert, ouvrage de Coizevox et de Tuby, était placé dans l’intérieur de l’église de Saint Eustache, d’où il fut transféré au Musée des Monumens français. — R.
  163. 1766, in-12 de 21 pages. — R.
  164. V. 13 avril 1766. — R.
  165. À Goa (Paris, Lacombe), chez Dominique Ferox, imprimeur du grand inquisiteur, à l’Auto-da-Fe, rue des Fous. Pour l’an de grâce 1767, in-12. — R.
  166. M. de La Borde.
  167. V. 10 janvier 1767. — R.
  168. Sa place de censeur lui lut ôtée. Comme il était commis des affaires étrangères, un plaisant fit ces couplets sur Helvétius et Tercier :

    Admirez tous cet auteur-là
    Qui de l’Esprit intitula
    Un Livre qui n’est que matière.
    Un livrLaire la,
    Un liLaire lanlaire,
    Un livrLaire la,
    Un liLaire lanla.

    Le censeur qui l’examina,
    Par habitude imagina
    Que c’était affaire étrangère.
    Un livrLaire la, etc,

  169. À Choisy.
  170. Ce couplet est attribué au roi.
  171. V. 13 janvier 1767. — R.
  172. Londres, 1767, in-8o. — R.
  173. Mort le 1er février 1767. Il était né le 19 octobre 1697. — R.
  174. De de Belloy. — R.
  175. De Roissy. — R.
  176. V. 24 mai 1766. — R.
  177. Amsterdam (Paris), 1767, in-8o. — R.
  178. Amsterdam (Paris, Jorry), 1767, in-12. — R.
  179. La publication des Méfnoires de madame d’Épinay a prouvé qu’elle était incapable d’une telle générosité. C’est madame de Latour-Franqueville qui prit la défense de Jean-Jacques. — R.
  180. V. 10 avril 1767. — R.
  181. Par J.‑B. Perrin Londres, 1767, in-12. R.
  182. Amsterdam, 1767, in-12 de 36 pages. — R.
  183. Il avait, dit M.  Étienne, pris le nom de Molet dans les premières années de sa carrière théâtrale. — R.
  184. V. 23 février 1767. — R.
  185. Ramponeau, cabaretier de la Courtille qui eut une grande vogue en 1760. — R.
  186. V. 13 janvier 1767. — R.
  187. On ne la trouve point dans les Œuvres de Marmontel. — R.
  188. Par Chaudon, Amsterdam, 1767, 4 vol. in-8o. Ce Dictionnaire a été souvent réimprimé avec des additions et corrections. Chaudon, aidé par Delandine, en a publié une huitième édition à Lyon, en 1804, 13 vol. in-8o. — R.
  189. Entre autres Jean Castilhon, mort en 1760 suivant le Dictionnaire, et qui vécut jusqu’au 1er janvier 1799. — R.
  190. Paris, Panckouke, 1767, in-8o. — R.
  191. V. 6 mars 1766, — R.
  192. Warwick. — R.
  193. Le roi de Prusse. — R.
  194. La Haye (Paris, Gueffier), 1767, in-8o. — R.
  195. V. 3 mars 1767. — R.
  196. Cet article est emprunté au Journal Encyclopédique du 15 mars 1767, p. 164. — R.
  197. Heinning. — R.
  198. Cette lettre n’est point de Voltaire comme paraît le supposer l’auteur des Mémoires. — R.
  199. Les Négatifs étaient ceux qui refusaient au Magnifique Conseil de Genève le droit de mettre au néant les représentations du Conseil des Deux Cents. — R.
  200. Boileau. — R.
  201. Horace, de Art poet. — R.
  202. Vienne (Paris), 1767, in-12. — R.
  203. 1767, 2 vol. in-12. — R.
  204. Paris, 1765, 7 vol. in-12. — R.
  205. Par l’abbé Mauduit, qui prie qu’on ne le nomme pas ; in‑8° de 15 pages. Cette brochure forme le premier cahier des Pièces retalives à Bélisaire. — R.
  206. Reine de Navarre, sœur de François 1er — R.
  207. Ce poëme a paru imprimé, sous le titre de Phrosine et Mèlidore. Messine (Paris), 1770, in-8o. — R.
  208. Son discours a été imprimé ; Paris, Regnard, 1767, in-8o — R.
  209. Londres, 1767, in-12. — R.
  210. V. 24 février 1765. — R.
  211. Il est très-vrai que M. de Voltaire donna à M. de La Harpe des conseils sur cet ouvrage, et le corrigea. Celui-ci le consultait sur toutes ses compositions. W. — Wagnière aurait dû ajouter que la préface qui précède cette Réponse est de Voltaire. — R.
  212. Avignon (Paris, Lacombe), 1767, in-8o. V. 30 juillet 1767. — R.
  213. Genève, 1766, in-12. — R.
  214. Paris, veuve Duchesne, 1767, in-12. — R.
  215. Cette lettre, adressée aux auteurs du Journal Encyclopédique, se trouve dans le volume du 15 mars 1767, pages 126-133. — R.
  216. Paris, Robustel, 1767, 2 vol. in-12 — R.
  217. Année littéraire, 1767, t. 1, p. 241. — R.
  218. Année littéraire, 1767, t, II, p. 13. — R.
  219. Par Coger. Paris, de Hansy, 1767, in-8o et in-12, — R.
  220. Son médecin ordinaire.
  221. Il a fait, peu de jours avant sa mort, une espèce de testament qu’il aurait appelé avec plus de raison une confession générale. Cet écrit est partage en trois points comme un sermon, et ces trois points sont intitulés : Mes vices, mes torts, mes malheurs. ( Grimm, Correspondance littéraire, 15 août 1768). — Le comte de Maugiron est mort te 15 mars 1767. — R.
  222. Paris, Vente, 1767, in-12. — R.
  223. Paris, 1751-53, 8 vol. in-12. — R.
  224. Cet article est emprunté au Journal encyclopédique du 15 avril 1767, p. 140. — R.
  225. Londres (Paris), 1767, in-8°. — R.
  226. V. 31 août 1765. — R.
  227. V. 26 juillet 1766. — R.
  228. Liège, 1766. 2 vol. petit in-8°. — R.
  229. V. 30 avril 1767. — R.
  230. V. 25 février. — R.
  231. Sédaine avait été maître maçon. — R.
  232. Je certifie que tout ce qui est dit dans cet article est de la plus grande fausseté. — W.
  233. Nous ne savons de quels vers veut parler le rédacteur des Mémoires. — R.
  234. Les Jésuites venaient d’être chassés de l’Espagne. — R.
  235. Amsterdam (Paris, Lacombe), 1767, in-12. — R.
  236. Berlin, Decker, 1767, in-12 — R.
  237. Sans doute celle qui est datée de Woottou, le 30 avril 1767. — R.
  238. Bruxelles (Paris, Lacombe), 1767, in-12. V. 30 juillet 1766. — R.
  239. Voltaire le trouvait plus convenablement désigné par le mot Ridiculus. — R.
  240. Ce pamphlet de Turgot imprimé in-4°, in-8° et in-12. L’in-81° forme le quatrième cahier des Pièces relatives à Bélisaire. - R.
  241. Le 25 juin 1767. — R.
  242. Par Leclerc de Montmerci. — R.
  243. Il y a certainement une erreur dans l’indication du mois ; ce doit être avril au lieu de mai. Le 13 mai, il était en route pour revenir en France. — Musset-Pathay.
  244. À Trye-le-Château, propriété du prince de Conti. — R.
  245. Et cependant à L’article du 24 juillet, il sera dit, à propos du même écrit, qu’on ne peut lui refuser Beaucoup de gaieté. Nous avons déjà signalé de semblables contradictions, V. tome Ier, p. 82, note 3. — R.
  246. Voyez, dans les Œuvres de Rousseau, sa réponse datée de Halton, le 23 février 1766. — R.
  247. V. 10 février 1567 : — R.
  248. Cet ouvrage n’est pas de Voltaire. — R.
  249. Londres (Amsterdam, M.-M. Rey), 1767,2 vol. in-8°, — Ce livre a été traduit et corrigé par le baron d’Holbach, ensuite par mon frère, qui l’a athéisé le plus possible. (Note manuscrite communiquée par Naigeon le jeune à l’auteur du Dictionnaire des Anonymes). — R.
  250. La comtesse de Langeac, ci devant madame Sabbatin, et le comte de Saint-Florentin, qui passait pour être son amant. — R.
  251. Elle est dirigée contre le ministre Vernet, théologien genevois. — R.
  252. V. 14 avril 1967. — R.
  253. Cet ouvrage n’est point de Voltaire, — R.
  254. Determinatio sacræ Facultatis Parisiensis in libellum cui titulus Bélisaires. Paris, veuve Simon, in-4o, in-8o et in-12. L’in-12 ne contient que le français. — R.
  255. L’avocat Gerbier.
  256. M.  de Lally.
  257. V. 4 septembre 1565. — R.
  258. La Haye, 1767, in-12. — R.
  259. V. tome Ier, p. 26, note 2. — R.
  260. Peut-être est-ce une réimpression de la Lettre écrite au Roi dont il a eté parlé à l’article du 13 juin 1762. — R.
  261. Romæ, Paleavini, 1766, in-4°. — R.
  262. Londres, 1767, in-12, Cet ouvrage, suivant Naigeon, est de Bordes, de Lyon, dont plusieurs écrits ont été attribués à Voltaire. — R.
  263. M. Poinsinet était alors à Chantilly pour diriger les spectacles du prince de Condé.
  264. M. Poinsinet demeure dans la maison de mademoiselle Le Clerc.
  265. Cette lettre a été désavouée par Poinsinet. Voyez le Mercure de France, janvier 1768, t. Ier, p. 158. — R.
  266. Par Mentelle. Madrid (Paris, Delalain), 1767, in-12. — R.
  267. V. 22 mai 1767. — R.
  268. Le 26 septembre 1707. Il était né à Paris le 29 décembre 1687. — R.
  269. Londres, 1767, in-12. Le premier de ces ouvrages est attribué à Gueroult de Pival, ancien bibliothécaire de la ville de Rouen. L’un et l’autre ont été reproduits, à quelques différences près, sous le titre de Doutes sur les religions révélées, adressés à Voltaire, par Émilie Duchâtelet ; ouvrage posthume. Paris, 1792, in-8° de 72 pages. — R.
  270. De Fuzelier. — R.
  271. Bâle, 1767, in-8°, Cet opuscule est effectivement de Voltaire. — R.
  272. V. 25 août 1967. — R.
  273. Par le baron d’Holbach, Londres (Amsterdam, M.-M. Rey) 1768, in-12. — R.
  274. Par d’Holbach. Londres (Amsterdam, M.-M. Rey), 1767, in-8°. — R.
  275. V. 6 octobre 1767. — R.
  276. Par le baron d’Holbach. Londres (Amsterdam, M.-M. Rey), 1768, in-8°. Cet ouvrage a été réimprimé, avec des additions curieuses, mais qui ne sont probablement pas de d’Holbach, sous ce titre : Manuel théologique en forme de Dictionnaire, etc. Au Vatican, de l’imprimerie du Conclave, 1785, 2 part. in-12. — R.
  277. V. 18 octobre 1767. — R.
  278. V. 26 septembre 1767. — R.
  279. La Garde.
  280. V. 25 septembre 1767. — R.
  281. Rédigée par l’abbé Le Grand. — R.
  282. V. décembre 1767. — R.
  283. Ces vers sont de Turgot. — R.
  284. Cette épigramme est de Palissot. — R.
  285. Ce recueil a pour titre : Lettres écrites à M. Marmontel au sujet de Bélisaire ; de 17 pages. — R.
  286. V. 8 mai 1768. — R.
  287. Paris, 1767, in-12 de 77 pages, signé L.S. — R.
  288. Leyde (Paris, Merlin), 1768, in-8°. — R.
  289. Par Naigeon et le baron d’Holbach. Londres (Amsterdam, M.-M. Rey), 1768, in-8°. — R.
  290. Peut-être la Morale universelle, ou les Devoirs de l’homme fondés sur la nature ; par le baron d’Holbach. Amsterdam, M.-M. Rey, 1776, in-4°, ou 3 vol. in-8°. — R.
  291. Jean-François Ducis, né à Versailles le 14 août 1733, est mort en cette ville le 30 janvier 1816. La tragédie d’Amélise a été imprimée, pour la première fois, en 1826, dans le volume d’Œuvres posthumes de ce poëte publié par M. Campenon. — R.
  292. Il s’agit probablement des Muses galantes qui avaient été représentées sur le théâtre de l’Opéra en 1747. — R.
  293. Il avait été imprimé, dès 1731, dans la Description de Fontainebleau de l’abbé Guilbert, tome Ier page 194. La Place l’a recueilli dans le quatrième volume de ses Pièces intéressantes et peu connues, R.
  294. V. 3 janvier 1768. — R.
  295. l‘Église de Saint-Louis-du-Louvre qui, pendant plusieurs années, a servi au culte protestant, est aujourd’hui entièrement démolie. R.
  296. En réponse à celle qu’on a vue au 4 octobre 1767, Piron répliqua par celle-ci :

    Vieil apprentif, soyez mieux avisé
    Une autre fois, et nous crîrons merveille :
    Tirez plus droit où vous aurez visé,
    Sinon aurez du sifflet par l’oreille.
    Ô le plus grand de tous les étourdis !
    Vit-on jamais balourdise pareille !
    En séparant les élus des maudits,
    Vous envoyez, par des raisons palpables,
    Votre ennemi Piron en paradis,
    Et votre ami Voltaire à tous les diables.

    — R.
  297. Discussion intéressante sur la prétention du clergé d’être le premier ordre d’un État. La Haye (Paris), 1767, in-12. — R.
  298. V. 24 janvier 1768. — R.
  299. Cet écrit fut supprimé par arrêt du Parlement du 9 février. — R.
  300. V. 27 janvier 1768. — R.
  301. V. 19 janvier 1768. — R.
  302. Il est de Borde de Lyon. — R.
  303. V. 6 février 1768, — R.
  304. V. 18 mai 1767. — R.
  305. V. 31 mai 1763. — R.
  306. Ordre naturel et essentiel des sociétés politiques. Paris, 1767, in-4°, et 2 vol. in-12. — R.
  307. V. 27 décembre 1767. — R.
  308. V. 7 février 1768. — R.
  309. Le valet de pique se nomme Augier.
  310. V. 2 mars 1768. — R.
  311. Le 12 mars 1761. — R.
  312. Amsterdam (Paris), 1768, in-12. — R.
  313. Opéra de Rey. — R.
  314. M. de La Harpe avait pris à M. de Voltaire non-seulement deux chants de la Guerre civile de Genève, mais encore les Mémoires sur le roi de Prusse et d’autres manuscrits. — W.
  315. Il n’y a rien de vrai dans cet article, sinon que M. de Voltaire chassa Madame Denis. Il ne se servit, dans le public, du prétexte du dérangement de sa fortune, que pour sauver encore l’honneur de sa nièce. — W.
  316. V. 6 février 1768, — R.
  317. V. 15 février 1768. — R.
  318. V. 21 février 1768. — R.
  319. V. 28 février 1768. — R.
  320. V. 4 mars 1768. — R.
  321. Le fond de cet article est vrai. — W.
  322. V. ier avril 1968. — R.
  323. Je n’ai point eu connaissance de cette anecdote ; elle me paraît fort douteuse. — W.
  324. Wagnière a donné de curieux détails sur cette communion de Voltaire. Voyez les Mémoires sur Voltaire et sur ses ouvrages. Paris, Aimé André, 1826, tome Ier, p. 70-72, — R.
  325. Quoique cette lettre ne fasse point partie des Mémoires secrets, nous n’avons point hésité à l’y insérer, persuadés qu’on l’y verrait avec plaisir, On ne l’a recueillie, jusqu’à ce jour, dans aucune édition des Œuvres de La Harpe. — R.
  326. V. 8 mars 1768. — R.
  327. V. 27 décembre 1767 et 22 février 1768. — R.
  328. V. 4 février 1762. — R.
  329. Son oncle lui faisait vingt mille francs de pension. — W.
  330. V. 24 novembre 1767. — R.
  331. V. 7 septembre 1764. — R.
  332. On n’a pu avoir la lettre envoyée par M. Poinsinet à M. Guichard, mais les mots soulignés sont de cette lettre.
  333. Opéra-comique du sieur Poinsinet.
  334. Parade jouée en société.
  335. La cérémonie burlesque que l’on se plaît à décrire ici est une pure dérision : tout cela est de la plus grande fausseté. — W.
  336. Le rédacteur estropie l’inscription de l’église, qui est : Deo erexit Voltaire. — W.
  337. La maladie du prince de Lamballe, — R.
  338. V. 20 avril 1768, — R.
  339. Art poétique, III, 53. — R.
  340. M. Saurin a une femme fort aimable.
  341. V. 24 février 1769. — R.
  342. Il n’y à pas un mot de vrai dans tout cet article. — W.
  343. V. 21 septembre 1767, — R.
  344. Lettre de M. de Saint-Foix au sujet de l’homme au masque de fer. Amsterdam et Paris, Vente, 1768, in-12 de 44 pages. — R.
  345. Il prétend qu’un serviteur fidèle s’était substitué à la place de ce seigneur, lorsqu’il fut condamné à mort après sa vaine tentative pour s’emparer du trône d’Angleterre.
  346. Elle est aussi attribuée à Voltaire et se trouve dans plusieurs éditions deses Œuvres. — R.
  347. M. l’abbé de La Bletterie a été Père de l’Oratoire.
  348. Il a fait la Vie de Julien l’Apostat.
  349. V. 28 mars 1768. — R.
  350. Madame Riccoboni a donné une traduction de cette pièce sous ce titre : Le Mariage clandestin, comédie. Amsterdam et Paris, Lejay, 1768, in-8°. L’auteur de l’article Riccoboni de la Biographie universelle paraît avoir confondu la traduction de cette dame avec l’imitation dont parlent les Mémoires.
  351. V. 31 mars 1765. — R.
  352. 1768, in-8°. On trouve à la suite l’Ile d’Ouessant, Une réimpression de l’Histoire amoureuse de Pierre-le-Long, faite en 1768, est également précédée de ce titre : l’Innocence du premier âge en France. — R.
  353. V. ier août 1762. — R.
  354. Marie Leczinska, née le 23 juin 1703, morte le 24 juin 1768. — R.
  355. Paris, Musier, 1768, in-12. — R.
  356. Amsterdam (Paris, Durand), 1768, in-8°. — R.
  357. Cette ode a laquelle, dans quelques éditions, Voltaire donna le titre de Galimatia Pindarique, commence ainsi :

    Sors du tombeau, divin Pindate,

    Toi qui célébras autrefois
    Les chevaux de quelques bourgeois
    Ou de Corinthe ou de Mégare ;
    Toi qui possédas le talent
    De parler beaucoup sans rien dire,
    Et qui modulas savament
    Des vers que personne n’entend,
    Et qu’il faut toujours qu’on admire.

    ‑ R.
  358. Stances sur la mort de Maris, princesse de Pologne, reine de France, Paris, Hérissant, 1768, in-4°. — R.
  359. V. 29 juillet 1768. — R.
  360. Le 20 juillet. — R.
  361. Le Parlement de Provence ayant rendu, le 9 juin 1768, un arrêt portant réunion de la ville d’Avignon, de son territoire et du Comtat Venaissin au domaine de la couronne et comté de Provence, les troupes du roi s’emparèrent de cette ville le 11 du même mois. — R.
  362. V. 11 septembre 1767. M. de Pleinchêne en publiant sa chanson sur le wisk, y mit cette épigraphe :

    Hos ego versiculos feci ; tutit alter honores.

    . — R.
  363. V. 20 septembre 1765. — R.
  364. Cette critique est intitulée : Examen de la nouvelle Histoire de Henri IV, de M. de Bury ; par M. le marquis de B***, lu dans une séance de l Académie, auquel on a joint une pièce analogue, Geneve, 1768, in-8°, La Beaumelle, selon Barbier, est auteur de cet Examen ; et pour le faire attribuer à Voltaire, il y joignit la brochure dont il a été parlé a l’article du 1er juin 1766. — R.
  365. Il s’agit probablement du Plaidoyer pour et contre J.-J. Rousseau et le docteur D. Hume, l’historien anglais, etc. (par Bergerat). Londres et Lyon, Cellier, 1768, in-12. — R.
  366. Par Pierre Cuppé, 1763, in-8°. — R.
  367. Élisaheth Petrowna, fille de Pierre le-Grand, — R.
  368. Marmontel. — R.
  369. Par M. Cœuille. — R.
  370. V. 5 juillet 1768. — R.
  371. Traduites par d’Holbach. Londres (Amsterdam, M.-M. Rey), 1768, in-8°. — R.
  372. 1760, in-12. — R.
  373. Par d’Holbach, Londres (Amsterdam, M.-M. Rey), 1768, in-8°. — R.
  374. Naigeon. — R.
  375. Maison de Plaisance de la duchesse du Maine. — R.
  376. Demeure du duc de Vendôme. — R.
  377. Par Gudin de La Brenellerie. — R.
  378. V. 28 juillet 1768. — R.
  379. Philippe-Jules-Francois Mazarini-Mancini, mort le 14 septembre. — R.
  380. Composé par le baron d’Holbach, Londres (Amsterdam, M.-M. Rey), 1768, 2 vol. in-8°. — R.
  381. Diderot avait anciennement propose celle-ci : Hic Marsyas Apollinem, V.5 octobre 1768. — R.
  382. V. 9 février 1765. — R.
  383. V. 8 octobre 1765. — R.
  384. Ces vers sont de Voltaire. Voyez sa lettre du 3 auguste 1768 à M.  Bouret. — R.
  385. V. 29 juillet 1768, — R.
  386. V. 26 juillet 1767. — R.
  387. On aime à croire, avec Wagnière, que le comte d’Artois n’a jamais tenu un semblable propos, qu’il serait difficile de concilier avec les marques d’intérêt que ce prince donna plus tard à Voltaire. V. 19 février 1778. — R.
  388. Madame Du Barry. — R.
  389. V. 26 aout 1768, — R.
  390. V. 11 septembre 1768. — R.
  391. V. 22 septembre 1768. — R.
  392. Amsterdam (Paris, Durand), 1768, in-12. — R.
  393. D’Olivet a traduit un grand nombre d’ouvrages de Cicéron. — R.
  394. Ce quatrain est de Chamfort et termine une pièce de vers qu’une actrice, déguisée en bohémienne, chanta au roi de Danemark. — R.
  395. V. 12 septembre 1768. — R.
  396. Le chancelier de Lamoignon, qui avait été exilé en 1763 (V. tome Ier, page 228, note i), ayant donné sa démission en septembre 1768, et René Charles de Maupeou, qui l’avait remplacé avec le titre de vice-chancelier et de garde-des-sceaux, s’étant pareillement démis de ces charges, le président de Maupeou, son fils, fut nommé chancelier de France et garde-des-sceaux. — R.
  397. Le premier ouvrage imprimé en France a pour titre : Gasparini Barzizit Pergamensis epistolarum opus per Joannem Lapidarium Sorbonensis scholœ Priorem multis vigiliis ex corrupto integrum effectum, ingeniosa arte impressoria in lucem redactum ; (1470) in-4°. Le volume intitulé : Spéculum humanæ salvationis, que l’on croit antérieur à 1460, n’a pas été imprimé en France. — R.
  398. V. 15 octobre 1768. — R.
  399. Madame Du Barry. — R.
  400. Il fut remplacé, en septembre 1768, dans ses fonctions de contrôleur général des finances par Maynon d’Invau, ci-devant intendant d’Amiens. — R.
  401. V. 24 novembre 1768. — R.
  402. En 1717. — R.
  403. V. 6 février 1768. — R.
  404. On la mit aussi sur le compte de Barthe et de Champfort. — R.
  405. Damiens de Gomicourt. — R.
  406. Voyez la XXXe des Lettres Persanes. — R.
  407. V. 1er mai 1763. — R.
  408. V. 12 décembre 1768. — R.
  409. Par Cailhava d’Estandoux. — R.
  410. Damilaville mourut à Paris le 13 décembre 1768. — R.
  411. On a de lui un article Vingtième, imprimé sous le nom de Boulanger dans l’Encyclopédie, et une brochure intitulée : Honnêteté littéraire formant le second cahier des Pièces relatives à Bélisaire. C’est à tort que la Biographie universelle lui attribue le Christianisme dévoilé, qui est de d’Holbach. — R.
  412. V. 8 janvier 1769. — R.
  413. V. 24 décembre 1768. — R.