Mémoires secrets d’un tailleur pour dames/14
LE
MARTEAU DU SCULPTEUR
n l’an de grâce 1870, dans un grand
État de l’Europe, il y avait une
princesse qui aimait un sculpteur.
Il faut dire pour la vérité de cette histoire, que le sculpteur était un des plus beaux hommes du monde et que la princesse avait quarante ans, l’âge du diable chez les femmes, et d’un tempérament…
Le sculpteur avait certainement de grandes qualités, et comme la princesse usait de ses talents, le chef du gouvernement qui commençait à s’apercevoir du scandale trop grand que donnait la princesse, la prie de cesser de recevoir aussi publiquement l’homme aimé. — Ainsi, lui dit-il, ne le reçois pas dans ta chambre le soir et la nuit, tous les jours, tu comprends, les affaires d’État, etc., etc., enfin, si nous ne nous respectons pas nous-mêmes, il faut au moins nous faire respecter par les autres. Obéis ou crains ma colère, je te retire la subvention.
La pauvre princesse navrée, promit de ne pas transgresser avec les ordres qu’il lui donnait, et de ne plus recevoir aussi publiquement son cher artiste, car y renoncer, jamais !… jamais.
Le soir de ce douloureux jour, lorsqu’armé de tous ses outils, le sculpteur se présenta chez sa belle ; porte close. — Il eut beau appeler, chanter sa sérénade, toujours la porte de la chambre resta fermée.
— Mais c’est moi, moi ton amant !
— Je ne peux pas ouvrir cela m’est défendu.
L’artiste, pris alors d’une idée lumineuse, frappa un coup furibond sur la porte.
— Ah, ma belle, lui dit-il, si tu savais avec quel marteau je frappe !
L’histoire dit que la porte s’ouvrit de suite.