Mémoires secrets d’un tailleur pour dames/04
LES PETITS SOULIERS
DE COCHONNETTE
’était un beau lendemain de ces
bals costumés légendaires des
Tuileries où chacun avait sa chacune.
Cochonnette y avait eu un succès inouï de beauté, sa toilette d’un goût exquis avait demandé des veillées insensées au couturier qu’elle connaissait tant et si bien, l’habile Burth.
Le lendemain, les yeux un peu fatigués du bal de la veille, la marquise Cochonnette était dans un boudoir, attenant à son cabinet de toilette avec un de ces élégants comme on en trouvait seulement en l’an de grâce 1869.
Sur les meubles étaient étalés jupons et falbalas, paniers et perruques, enfin tout l’attirail que comportait le costume porté la veille.
Dans un coin, sur un de ces fauteuils paresseux et voluptueux qu’on a appelé crapauds (je ne sais pourquoi, par exemple) reposait délicatement une paire de petits souliers, mignons à faire rêver. Cochonnette a de tout petits pieds et en est fort glorieuse. Ces souliers en satin blanc, à hauts talons rouges, brodés de soie et d’or, avaient l’air d’appeler leur maîtresse et de lui dire : chausse-nous encore, et allons danser !
Le jeune beau, reportait ses regards, de leur maîtresse à ces ravissantes mules, et semblait être de leur avis.
Tout d’un coup un valet surgit.
— Madame la Marquise, la femme de chambre de madame la comtesse de Poncei est chargée d’une lettre pour madame la marquise et elle ne veut la remettre qu’à elle même.
— C’est bien, j’y vais. Vous permettez, n’est-ce pas ?
Le jeune homme resté seul fit le tour du boudoir regardant la toilette déposée, faisant des rêves charmants ; mais comme la jeune femme se faisait attendre, il se mit à fureter, regardant partout ; il aperçut sous une portière une porte dissimulée ; l’ouvrir et regarder fut l’histoire d’un instant. C’était le cabinet de Cochonnette. Pommades, odeurs, brûle-parfum, enfin tout ce qui comporte le cabinet d’une petite maîtresse, et dans un coin obscur, un meuble en forme de guitare, meuble dont le nom seul fait rougir les anglaises. L’inspecter du regard et franchir la porte fut aussi vîte fait que pensé.
Tout à coup, du bruit se fait entendre dans le corridor. Notre jeune homme qui, en admiration devant les souliers ne les avait pas quittés, craignant de laisser voir qu’il les tenait à la main, les cache dans le dit meuble, baisse le couvercle et se sauve dans le boudoir ; et quand la marquise rentra, elle trouva la porte refermée et le jeune homme regardant les tableaux.
— Je vous ai fait attendre longtemps, n’est-ce pas, cher ? Excusez-moi, me voici.
Cette histoire se passait dans le commencement du carnaval.
À la Mi-carême, la comtesse Waleski donnait un bal costumé à la Présidence.
Cochonnette avait remis son costume Watteau à la prière de tous ses amis.
Seulement, elle avait des souliers de satin rose brodés de perles et à hauts talons dorés.
Notre jeune connaissance du boudoir l’aborde.
— Vraiment, Marquise ! vous êtes encore plus ravissante que de coutume, mais vous avez commis un crime de lèse-coquetterie, pourquoi ne pas avoir mis ces petits souliers en satin blanc, si coquets, dignes de chausser Cendrillon.
— Pourquoi ! Ah voilà ; mon bon, ma femme de chambre est si négligente que depuis le bal des Tuileries nous n’avons jamais pu les retrouver… Je vous laisse à deviner la tête de Monsieur.
Il comprit seulement alors une des raisons de ce surnom de Cochonnette. Nous disons une des raisons, car il y en avait d’autres !…
Un noble émigré pour se procurer des ressources, imagina de se faire fabricant de ce meuble, qui de longtemps n’aura de nom en Angleterre.
Il lui donna la forme de boîte comme à ceux qu’on destine pour le voyage. Cette précaution en facilita le débit. Il avait pris pour devise, ces mots du Spectateur :
« La propreté est la mère nourrice de l’amour ».