Mémoires posthumes de Braz Cubas/Chapitre 111

Traduction par Adrien Delpech.
Garnier Frères (p. 370-371).
◄  31


CXI

Le mur


Comme j’ai pris l’habitude de ne rien dissimuler dans ces pages, je vais conter l’aventure du mur. Ils étaient alors sur le point de s’embarquer. En entrant chez Dona Placida, je vis un papier plié sur la table. C’était un billet de Virgilia. Elle me disait qu’elle m’attendait le soir, sans faute, dans le jardin. Et elle terminait par ces mots : « Le mur est assez bas du côté de l’impasse. »

Je fis un geste d’ennui. La lettre me parut excessivement audacieuse, dénuée de réflexion, et même ridicule. Ce n’était pas seulement chercher le scandale, c’était encore risquer les gorges chaudes. Je me vis franchissant le mur, tout bas qu’il fût, et appréhendé par un sergent de ville qui m’emmenait au corps de garde. Le mur était bas ; et puis après ? Virgilia avait perdu la tête ; elle devait déjà s’être repentie depuis. Je regardai le morceau de papier ; un morceau de papier froissé, mais inflexible. J’eus envie de le déchirer en trente mille morceaux, et de les jeter au vent, comme derniers vestiges de mon aventure. Je reculai à temps : l’amour-propre, la honte d’avoir fui, la crainte, je n’avais qu’à me soumettre.

— Vous pouvez lui dire que j’irai.

— Où donc ? demanda Dona Placida.

— Où elle me dit de l’attendre.

— Mais elle n’a rien dit du tout.

— Eh bien ! et ce papier ?

Dona placida ouvrit des yeux.

— Ce papier, je l’ai trouvé ce matin dans votre tiroir, et j’ai pensé que…

Je ressentis une singulière impression. Je relus le papier, je le parcourus de nouveau. C’était en un vieux billet de Virgilia, reçu aux premiers temps de nos amours, et me conviant à une entrevue qui m’avait, en effet, obligé à sauter le mur, un mur bas et discret. Je gardai le billet, et j’éprouvai une curieuse impression.