Mémoires posthumes de Braz Cubas/Chapitre 101

Traduction par Adrien Delpech.
Garnier Frères (p. 344-345).
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CI

La révolution dalmate


Ce fut Virgilia qui me donna des nouvelles de la volte-face de son mari. Un certain matin d’octobre, entre onze heures et midi, elle me parla de réunions, de conversations, d’un discours…

— De sorte que cette fois, te voilà baronne, interrompis-je.

Elle fit la moue en secouant la tête. Mais ce geste d’indifférence était démenti par quelque chose d’indéfinissable, par une expression de plaisir et d’espérance. Je ne sais trop pourquoi je m’imaginais que les lettres de noblesse pourraient la ramener à la vertu, non pas pour la vertu elle-même, mais par gratitude pour son mari. Car elle aimait cordialement la noblesse. Un des troubles les plus sérieux de notre intimité fut l’apparition d’un certain poseur de légation, — disons de la légation de Dalmatie — le comte B. V., qui lui fit la cour pendant trois mois. Ce noble authentique tourna la tête de Virgilia, qui d’ailleurs possédait la vocation diplomatique. Je ne sais trop ce que je serais devenu, sans la révolution de Dalmatie qui renversa le gouvernement et épura les ambassades. La révolution fut sanglante et formidable. Chaque malle d’Europe apportait des journaux qui transcrivaient les horreurs, comptaient les têtes coupées, jaugeaient le sang versé. Tout le monde frémissait d’horreur et de pitié. Moi, non. Je bénissais intérieurement cette tragédie, qui me tirait une épine du pied. Et puis, la Dalmatie est si loin.