Mémoires posthumes de Braz Cubas/Chapitre 054

Traduction par Adrien Delpech.
Garnier Frères (p. 206-207).


LIV

La pendule


Je sortis en emportant le goût de ce baiser. Je ne pus dormir. Je me jetai sur mon lit, mais bien inutilement. En général, pendant mes insomnies, le tic-tac de la pendule m’était fort désagréable. Ce bruit vague et sec m’avisait à chaque instant que j’avais quelques secondes de moins à vivre. Je me figurais alors un vieux diable, assis entre deux sacs, celui de la vie et celui de la mort, et retirant les monnaies de l’un pour les passer dans l’autre, en comptant de la sorte :

— Un de moins.

— Un de moins.

— Un de moins.

— Un de moins.

Chose singulière, quand la pendule s’arrêtait, je la remontais aussitôt, pour qu’elle ne cessât jamais de battre, et que je pusse supputer tous les instants perdus. Il y a des inventions qui se transforment ou se perdent. Les institutions succombent ; l’horloge est définitive.