Mémoires posthumes de Braz Cubas/Chapitre 052

Traduction par Adrien Delpech.
Garnier Frères (p. 199-203).


LII

Le paquet mystérieux


Le fait est que, quelques jours plus tard, en allant à Botafogo, je heurtai contre un paquet qui se trouvait sur la plage. Je m’exprime mal ; je ne heurtai point, j’y donnai un coup de pied volontaire. En voyant ce paquet, pas très grand,mais propre et correctement noué d’une ficelle, ce quelque chose qui avait une certaine apparence, j’eus l’idée de le pousser du pied, par curiosité. Je sentis une résistance. Un coup d’œil lancé alentour me fit voir la plage déserte. Des gamins s’amusaient au loin. Plus loin encore, un pêcheur raccommodait ses filets. Personne ne pouvait me remarquer. Je m’inclinai, je pris le paquet, et je poursuivis mon chemin.

Je poursuivis mon chemin, non sans quelque hésitation. Ce pouvait être une mauvaise farce. J’eus l’idée de rejeter le paquet sur la plage, mais, en le palpant, j’écartais cette pensée. Un peu plus loin, je fis un détour, et revins chez moi.

— Allons voir ça, dis-je en entrant dans mon cabinet.

J’hésitai encore un instant, par crainte, je crois. La pensée d’une mauvaise farce se présenta encore à mon esprit. Il est certain que je me trouvais sans témoins : mais j’avais en moi un gavroche prêt à siffler, à huer, à rire, à s’esclaffer, à glousser, à faire les cent coups, s’il me voyait ouvrir la paquet et en tirer une douzaine de vieux mouchoirs ou un certain nombre de goyaves pourries. Il était trop tard ; ma curiosité était excitée comme doit l’être celle du lecteur. Je défis le paquet, et je vis… je trouvai… je comptai… je recomptai cinq contos de reis tout au long ; peut-être dix milreis en plus : cinq contos en bonne monnaie et billets de banque, le tout bien plié, bien arrimé : une trouvaille rare. Je remis tout en ordre. Au dîner, il me sembla que les petits nègres de service clignaient des yeux. M’auraient-ils épié ? Je les interrogeai discrètement, et conclus par la négative. Après le dîner, je retournai dans mon cabinet, je recomptai l’argent, et je souris de ces soins maternels, donnés aux cinq contos, moi qui étais riche.

Pour n’y plus penser, j’allai passer ma soirée chez Lobo Neves, qui avait insisté pour que je ne manquasse point aux réceptions de sa femme. Je rencontrai le chef de police, et on me présenta à lui. Il se rappela ma lettre tout de suite et le demi-doublon que je lui avais fait tenir quelques jours auparavant. Il raconta l’anecdote. Virgilia parut goûter le procédé, et chacune des personnes présentes plaça son histoire. J’écoutai la série avec une impatience de femme hystérique.

La nuit suivante, le jour suivant, et pendant toute la semaine, je pensai le moins possible aux cinq contos et je les laissai dormir bien tranquillement dans le tiroir de mon secrétaire. Je parlais de tout, excepté d’argent, et surtout d’argent trouvé ; pourtant ce n’est pas un crime de trouver de l’argent ; c’est une heureuse aventure, un hasard propice ; c’était peut-être un décret de la Providence. Ce ne pouvait même être autre chose. On ne perd point cinq contos, comme on perd un mouchoir de poche. Cinq contos que l’on transporte sont l’objet de toute notre attention. On les palpe ; on ne les quitte pas des yeux ni des mains, ils ne nous sortent pas de l’esprit ; et pour les perdre totalement, comme ça, sur une plage, il faut que… En tous cas ce n’était pas un crime de les avoir trouvés : ni un crime, ni un déshonneur, ni rien qui rabaisse le caractère d’un homme. C’était une trouvaille, un heureux hasard, comme de gagner le gros lot ou un pari aux courses, comme avoir de la chance à n’importe quel jeu honnête ; je dirai même que cette chance était ici méritée, car je ne me sentais ni mauvais, ni indigne des bienfaits de la Providence.

— Ces cinq contos, me disais-je trois semaines plus tard, il va falloir que je les emploie à quelque bonne action, à la dot de quelque pauvre fille ou à quelque œuvre semblable… Il faudra voir…

Ce jour-même, je les portai à la banque du Brésil. J’y fus reçu avec de délicates allusions au demi-doublon. Mon aventure faisait le tour de mes connaissances. Je répondis, assez gêné, qu’il n’y avait pas là de quoi faire tant de bruit. Et on loua ma modestie par-dessus le marché. Alors je me fâchai pour tout de bon, et l’on me répondit qu’on me trouvait grand, tout simplement.