Mémoires posthumes de Braz Cubas/Chapitre 048

Traduction par Adrien Delpech.
Garnier Frères (p. 187-188).


XLVIII

Un cousin de Virgilia


— Sais-tu qui est arrivé hier de S. Paulo ? me demanda un soir Luiz Dutra.

Luiz Dutra était un cousin de Virgilia, qui vivait aussi dans l’intimité des muses. Ses vers plaisaient, et valaient du reste mieux que les miens. Mais il lui fallait la sanction d’une élite qui lui confirmât les applaudissements de la masse. Il était timide et n’interrogeait personne. Mais il se délectait à entendre des paroles louangeuses. Il prenait alors de nouvelles forces, et se remettait au travail avec une ardeur juvénile.

Ce pauvre Dutra ! à peine avait-il publié quelque chose qu’il accourait chez moi, et commençait à tourner autour de moi, dans l’attente d’un jugement, d’une parole, d’un geste qui fût de ma part une approbation de sa nouvelle production. Moi, je parlais de mille choses différentes, — du dernier bal du Cattete, d’une séance des Chambres, d’équipages et de chevaux, — de tout, moins de ses vers et de sa prose. Il me répondait d’abord avec animation, puis mollement, et tâchait de faire tourner la conversation sur le sujet qui l’intéressait. Il ouvrait un livre, me demandait si j’avais quelque travail en train ; je lui répondais oui ou non, puis je passais à un autre chapitre. À la fin, il se taisait et sortait tout triste. Mon désir était de le faire douter de lui-même, de le décourager, de l’éliminer. Et tout en prenant cette résolution, je regardais le bout de mon nez…