Mémoires posthumes de Braz Cubas/Chapitre 043

Traduction par Adrien Delpech.
Garnier Frères (p. 173-174).


XLIII

Marquise : attendu que je serai marquis


Positivement Virgilia était un petit diable, un petit diable angélique, si l’on veut, mais c’en était un tout de même, et alors…

Alors apparut Lobo Neves. Il n’était ni plus svelte, ni plus élégant, ni plus instruit, ni plus sympathique que moi, et cependant il m’enleva de haute main Virgilia et la candidature, en peu de semaines, avec une fougue vraiment césarienne. Il n’y eut de la part de Virgilia aucun dépit, pas la moindre violence de la part de sa famille. Dutra me dit un beau jour que je devais attendre une époque plus opportune pour ma candidature, attendu que celle de Lobo Neves était appuyée par de puissantes influences. Je cédai. Ce fut le commencement de ma défaite. Une semaine plus tard, Virgilia demanda en souriant à Lobo Neves quand il prétendait être ministre.

— Tout de suite, s’il dépendait de moi ; d’ici un an, puisque cela dépend de la volonté d’autrui.

Virgilia répliqua :

— Et vous me promettez qu’un jour vous me ferez baronne ?

— Marquise, voulez-vous dire, car j’ai l’intention d’être marquis.

Dès lors je fus perdu. Virgilia compara l’aigle au dindon et choisit l’aigle, abandonnant le dindon à sa stupeur, à son dépit, et au souvenir de trois ou quatre baisers qu’elle lui avait donnés. Mais quand c’eût été dix, qu’est-ce que cela signifiait ? La lèvre de l’homme n’est point comme le sabot du cheval d’Attila qui stérilisait le sol qu’il avait foulé ; c’est justement le contraire.