Mémoires inédits de l’abbé Morellet/XXVI


CHAPITRE XXVI.


Le Cri des familles.

Enfin le 9 thermidor arriva (27 juillet 1794) ; les monstres, après avoir exercé leur rage sur ce qu’ils appelaient les aristocrates, les royalistes, les ennemis de la république, l’avaient déjà tournée plusieurs fois contre eux-mêmes. Les Brissotins avaient succombé les premiers ; ensuite le parti de Danton avait été battu ; Camille Desmoulins, Chaumette, Hébert, Hérault de Séchelles, Condorcet, Pétion, etc., avaient péri ; et Robespierre, et Saint-Just, et Couthon, restés les maîtres ou se croyant tels, désignaient de nouvelles victimes dans la Convention. Alors, et seulement alors, cette Convention, dont la majorité avait été jusque-là un prodige de méchanceté ou d’impardonnable faiblesse, se voyant en danger, se réveille de son infâme apathie, ou se dégoûte de continuer des crimes qui vont l’atteindre elle-même. De grandes fautes de Robespierre et de ses adhérens, un moment bien saisi de la part de la Convention, et un bonheur de circonstances qui pouvait très-bien n’avoir pas lieu, renversèrent Robespierre et les siens, et surtout la commune de Paris, qui était devenue insensiblement son appui et l’instrument de son despotisme.

La chute de Robespierre ayant rendu la liberté à une infinité de détenus qui attendaient la mort, que le monstre et ses suppôts ne leur eussent pas laissé attendre long-temps, Mme la comtesse de Boufflers et sa belle-fille sortirent de prison. Après le 10 août 1792, elles étaient parties pour l’Angleterre. Revenues en France vers la fin de 1793, elles furent jetées en prison à la Conciergerie, et tenues soixante-quinze jours dans un cachot humide, où elles ne pouvaient entrevoir la lumière que par un trou carré dans la porte ; forcées de coucher avec leurs vêtemens, pour ne pas se réveiller paralysées par l’humidité des murs. C’est là un des cent mille exemples de la lâche cruauté avec laquelle la révolution française a été conduite ; et toutes les atrocités qu’elle a exercées contre des femmes nous permettent de dire que les tyrans flétris par l’histoire, et traités avec raison de bêtes féroces, n’ont jamais approché de cette bête mille fois plus féroce appelée le peuple, monstre sans pitié, que ses innombrables têtes rendent plus terrible encore, et qui s’est trouvé composé en un moment de vils espions, de satellites dévoués et d’infâmes bourreaux.

Ces pauvres dames, unies jusque-là d’une amitié tendre pour leur bonheur mutuel, et alors plus rapprochées que jamais pour la souffrance et pour la mort, après avoir passé onze mois à la Conciergerie, tous les jours à la veille d’être égorgées, et voyant tous les jours leurs amis traînés à l’échafaud et leur disant le dernier adieu, échappèrent à tant de dangers par les soins d’un ange gardien : cet ange était un homme appelé Le Chevalier. L’abbé Le Chevalier, dont le nom doit être conservé dans les fastes de l’amitié héroïque, et ce qui est plus difficile, persévérante autant que courageuse, était instituteur du jeune Boufflers, fils unique de la contesse Amélie. Voyant la mère et la fille emprisonnées ; leurs biens séquestrés depuis l’émigration du comte de Boufflers, époux de la comtesse Amélie ; elles-mêmes signalées pour la mort par un beau nom comme par un crime ; et sans appui, sans ressource, dans un temps de terreur où le cri sauve qui peut était devenu pour tant d’autres l’unique règle de morale et de conduite, il vendit sa bibliothèque et une petite possession qu’il avait en Normandie, d’abord pour les faire vivre en prison, et puis pour détourner loin d’elles la hache fatale. Il avait connu Fouquier-Tinville chez un procureur au parlement, chez qui cet homme féroce allait régulièrement dîner plusieurs fois la semaine. Il se rapprocha de lui chez le procureur. Il allait à la buvette, où ce misérable se gorgeait souvent de vin et d’eau-devie. Le Chevalier buvait avec lui ou en faisait semblant. Il obtenait que les papiers des dames de Boufflers, déjà prêts à être envoyés au tribunal, fussent remis au fond du carton. Enfin, à force d’assiduité, de vigilance, de courage, de patience, de sacrifices, il leur fit atteindre miraculeusement le 9 thermidor, et les tira de prison cinq ou six semaines après cette époque mémorable, dont les effets salutaires ont été bientôt arrêtés par l’influence toujours puissante des mêmes hommes qui avaient établi l’affreux régime du pillage et de la terreur.

Après avoir recouvré sa liberté, M. de Boufflers me fit dire qu’elle savait le tendre intérêt que j’avais pris à ses malheurs (pouvais-je y être insensible ?) et qu’il fallait oublier les différences d’opinions pour ne se souvenir que de l’ancienne amitié. On pense bien que je ne me le fis pas dire deux fois.

Depuis la catastrophe du 10 août 1792, la liberté de la presse avait été absolument perdue pour tout homme qui n’avait pas des principes révolutionnaires ; mais on doit y joindre une circonstance particulière à notre révolution, c’est qu’il n’eût pas suffi à un écrivain de vouloir prendre en main la cause de la justice, de la liberté, de la propriété, contre d’exécrables tyrans ; il lui eût été impossible de trouver un imprimeur qui se fût hasardé à le servir ; et si le maître y eût consenti, il eût été impossible d’éviter d’être dénoncé par quelqu’un de ses ouvriers, toute cette classe d’hommes étant aveuglément dévouée à la révolution, haïssant les nobles, les prêtres, les riches, et disposée à servir ce qu’ils appelaient eux-même noblement le sans-culottisme, par les plus lâches trahisons.

Il ne pouvait donc plus être question de rien publier. Mais je puis dire que, pendant tout ce temps, je n’ai pas laissé passer un seul jour sans répandre sur le papier les sentimens d’indignation dont j’étais plein ; sans combattre quelqu’un des horribles décrets par lesquels la Convention a spolié et exterminé tant de familles ; sans discuter quelqu’un des rapports faits à cette abominable législature, qui se jouait avec tant d’impudence de tous les droits qu’elle était chargée d’assurer et de défendre. On trouvera dans mes papiers toutes ces discussions.

La mort de Robespierre et d’une petite partie des scélérats qui avaient adopté son infernale politique (car beaucoup d’autres restaient et gouvernaient encore), ayant rendu à la presse une apparence de liberté, au moins pour ceux qui auraient le courage de s’en servir, je pensai que je pourrais faire quelque bien en m’élevant contre plusieurs de ces injustices si criantes et si étendues qui ont couvert la France de débris.

Le premier de ces travaux fut la réclamation des biens des condamnés, victimes des tribunaux révolutionnaires, pour leurs enfans et leurs héritiers. Le Cri des Familles, où j’ai plaidé cette cause, fut aussi le premier ouvrage qui parut sur ce sujet. Il fut publié dans les derniers jours de décembre 1794 ; mais ce n’est qu’en mars de l’année suivante que la question a commencé à s’agiter dans les conseils, et en mai qu’elle a été décidée.

Je me rappelle une circonstance de ce temps-là, que je veux conserver. Il faisait un froid horrible. Le petit logement auquel il m’avait fallu me réduire, en louant tout le reste de la maison à M. et Mme d’Houdetot, est immédiatement sous le toit, et les murs n’en sont que de bois et de plâtre. Le froid y était cruel, et, après avoir mis sur mon corps trois et quatre vêtemens, j’étais obligé de m’envelopper encore de ma couverture, et d’interrompre à chaque instant mon travail, mes doigts et mon encre se gelant. Mais tout cela ne me décourageait pas.


Tantus amor florum, et generandi gloria mellis,


C’est-à-dire, que j’espérais faire un peu de bien, voilà le miel ; et obtenir quelque estime des honnêtes gens, voilà les fleurs et la gloire.

Mon ouvrage eut du succès, et, comme l’a dit Rœderer dans le Journal de Paris, le Cri des familles se fit entendre au loin. On en fit en quinze jours deux éditions, chacune de 1500 exemplaires, et une contre-façon de je ne sais combien. Les journaux en parlèrent avec beaucoup d’éloges[1], et l’opinion commença à se prononcer fortement contre la loi atroce que j’avais combattue, et à laquelle, auparavant, on semblait déjà résigné. D’honnêtes gens, qui sont aussi des gens de mérite et de talent, tels que Boissy, Lanjuinais, membres de l’assemblée nationale, prirent la cause en main avec beaucoup de chaleur. Enfin, intervint le décret du 18 prairial (6 juin 1795), qui rend les biens de leur famille aux enfans et héritiers des malheureux injustement condamnés par les tribunaux révolutionnaires.

En disant que cette restitution a été, au moins en partie, l’effet du Cri des Familles, je sais que je puis être accusé par quelques personnes de laisser voir une prétention mal fondée, et de m’attribuer le mérite d’une justice qui se serait faite sans moi. Il y a des gens qui s’occupent avec beaucoup de zèle à ne laisser aux autres dans l’estime publique que la plus petite part qu’ils peuvent, quoique cette épargne ne tourne pas à leur profit. C’est à ceux-là que je répondrai.

Je sais, et je l’ai prouvé, que rien n’est plus évident que l’injustice de la loi que j’ai combattue. Quand on eût pu spolier les enfans innocens des condamnés supposés coupables, ce qui est encore d’une atrocité manifeste, on ne conçoit pas comment, après avoir reconnu l’injustice des condamnations prononcées par des tribunaux révolutionnaires, c’est-à-dire par des assassins masqués en juges, on a pu mettre en question s’il fallait maintenir les confiscations qui en étaient la suite. Mais ces vérités avaient beau être évidentes, lorsque tel était le malheur des temps, qu’il était devenu nécessaire de prouver que deux et deux font quatre, et qu’on n’en venait pas toujours à bout : c’est la situation où nous avons été presque dans tout le cours de la révolution, et dont nous sommes encore bien loin d’être quittes en ce moment[2].

Qu’on se figure toutes les raisons puissantes qui égaraient encore l’opinion, et qu’il ne faut pas perdre de vue si l’on veut apprécier, avec quelque justice, le service qu’a rendu l’auteur du Cri des Familles aux cliens dont il a embrassé la cause. Qu’on se rappelle les besoins dévorans du fisc pour subvenir à la misère du peuple et aux frais de la guerre ; l’habitude qui avait familiarisé les âmes avec la ruine et la spoliation, au point que les restes malheureux des familles proscrites semblaient se contenter d’avoir échappé au sort de leurs pères ; et ces maximes sans cesse ramenées par des politiques féroces, que des injustices étaient des effets inévitables et nécessaires des révolutions ; que le salut du peuple est la suprême loi.

Mais, pour écarter toute espèce de doute sur l’utilité de mon travail, il me suffira d’indiquer ici les débats de la Convention à ce sujet, et les opinions de plus d’un député en crédit, tels que Lecointre de Versailles, Bourdon de l’Oise, Rewbell, qui ont résisté long-temps et fortement à cette restitution.

Lecointre, dans la séance du 23 ventôse, rappelle à la Convention qu’elle a décrété qu’elle viendrait au secours des enfans des condamnés, mais qu’il n’y aurait jamais lieu à la restitution des biens acquis par jugement. Il dénonce un de ses collègues comme exaspérant les esprits, pour avoir dit que la vente des biens des condamnés au profit de la république était une mesure tyrannique, et veut qu’on mette sérieusement en question s’il y a lieu à restitution envers les parens des condamnés par des jugemens iniques.

Bourdon de l’Oise propose, dans la même séance, comme une mesure qui fera cesser les réclamations, de rendre les biens seulement aux enfans des condamnés qui n’ont qu’une fortune modique, et de donner aux autres une simple indemnité, de venir à leur secours.

Rewbell, depuis membre du directoire, allant plus loin encore dans un discours du 1er floréal, s’oppose à la restitution des biens des condamnés à leurs enfans innocens, d’après la supposition gratuite et générale que les condamnés étaient tous des conspirateurs de l’intérieur ; que tous ont donné des secours aux émigrés. Il termine sa déclaration par dire que, rendre les biens aux enfans des condamnés, c’est donner aux émigrés conspirateurs de l’extérieur l’espoir qu’on leur rendra leurs propriétés.

Enfin, les plus modérés proposaient, comme une mesure indispensable, de ne faire cette restitution qu’aux enfans de ceux que les tribunaux révolutionnaires auraient condamnés injustement, et de décréter que les jugemens seraient révisés par une commission, tant sur les pièces que sur les enquêtes qui seraient faites, dans le canton, du civisme des condamnés, en ajoutant que, dans le cas où la révision serait impossible, on accordât des secours aux enfans des condamnés qui produiraient des certificats de civisme. Et l’on voit assez que ce système eût maintenu les trois quarts des confiscations, par l’impossibilité de retrouver les pièces, de suivre les enquêtes, d’obtenir des certificats de civisme pour les pères morts de remplir enfin toutes les formalités de cette injuste loi.

Je joins ici deux faits qui me paraissent décisifs. D’abord, pendant que je travaillais au Cri des Familles, des gens honnêtes et instruits me disaient sans cesse : Vous aurez beau prouver ce dont personne ne doute, vous ne ferez pas revenir sur une loi qui donne à la république de l’argent dont elle a tant besoin, et vous vous exposerez sans aucun fruit.

Voici l’autre fait : jusqu’en juin 1795, où la question était déjà en discussion depuis près de deux mois, on avait vendu et acheté dans toute l’étendue de la France des biens des condamnés, terres, maisons, mobiliers, ce qui supposait bien l’intime persuasion que les confiscations seraient maintenues.

Tous ces motifs m’autorisent donc à penser que mon écrit a été utile à mes cliens. Il a été du moins utile en hâtant une loi qui, tout indispensable qu’on la suppose, si elle eût été retardée de quelques mois seulement, n’eût décrété qu’une restitution illusoire, puisqu’on n’eût rendu aux familles, pour leurs biens confisqués et vendus, que des assignats sans valeur.

(J’avais retranché de mes mémoires ce qu’on va lire dans les quatre pages suivantes, comme pouvant donner lieu aux malveillans, dont notre siècle abonde, de me taxer et de sotte vanité pour faire trop valoir la bonne œuvre que je crois avoir faite, et de peu de désintéressement dans cette action. Mais un ami survenant, comme je venais de supprimer ces pages, je les lui ai fait lire, et il a blâmé mes scrupules. C’est d’après son opinion que je les rétablis.)

En écrivant, pour obtenir la loi du 18 prairial, je puis dire avec vérité que je croyais bien courir quelque danger si le parti contraire l’emportait, mais non trouver jamais le moindre avantage de fortune à gagner la cause que j’avais volontairement embrassée. Le début de mon ouvrage est l’expression la plus sincère de mes idées et de mes sentimens : « C’est un beau mot que celui de Solon, qui, interrogé par quel moyen on pourrait écarter plus sûrement toute injustice de la république à laquelle il donnait des lois, répond : Si chaque citoyen ressent l’injure faite à un autre, aussi vivement que celle qu’il éprouve lui-même. » J’avais combattu Palissot, Linguet, sans autre intérêt que celui du bon sens ; j’ai défendu les enfans des proscrits sans autre intérêt que celui de la justice et de l’humanité.

Mais, après l’événement, quelques personnes, trompées peut-être par leur bienveillance pour moi, me disaient : « Il est impossible que tant d’enfans et d’héritiers de condamnés, qui recouvrent leurs biens, et un grand nombre des cinquante et cent mille livres de rente, ne fassent pas quelque chose pour le défenseur officieux qui a plaidé leur cause avec beaucoup de zèle et de succès. »

Je ne me prétais guère à cette espérance, lorsqu’un ami, M. de Vaisnes, vint m’avertir qu’elle n’était point chimérique, et m’apprendre qu’une femme de ses amies, Mme de Vergennes, épouse et fille de condamnés, s’occupait de me faire donner par quelques familles un témoignage durable de leur reconnaissance, et qu’on voulait m’acheter un petit bien de campagne qui en serait le monument.

M. de Vaisnes m’apprit cette nouvelle vers juillet 1795. En juin 1796, un an s’était écoulé sans qu’aucun effet eût suivi, lorsqu’un matin je vis arriver chez moi Mme Lavoisier, veuve de l’estimable et intéressant Lavoisier, fille du fermier général Paulze, tous les deux égorgés par le tribunal révolutionnaire. Elle était accompagnée de Senneville, ci-devant avocat de la ferme générale, son ami et le mien, attaché dès sa jeunesse au grand-père de Trudaine et à toute cette famille, chez qui je l’avais connu.

Il prit la parole en entrant, et me dit : Vous ne soupçonnez pas ce qui vous attire notre visite, et quand je vous l’aurai dit, vous ne devrez pourtant pas en être surpris. Mme Lavoisier vient de rentrer dans tous ses biens. Elle croit devoir en grande partie cette justice qui lui est rendue, à l’auteur du Cri des Familles. Elle veut reconnaître les soins et le zèle de son défenseur officieux, et elle vient vous offrir elle-même un faible témoignage de sa reconnaissance.

En même temps Mme Lavoisier, prenant la parole à son tour, me dit à peu près les mêmes choses avec une noble simplicité, en mettant sur ma table deux rouleaux de 50 louis.

Je me récriais, lorsqu’elle reprit les raisons que Senneville venait de me donner. Senneville ajouta que je ne pouvais refuser cette satisfaction à Mme Lavoisier, que sa fortune mettait en état de s’acquitter envers moi ; qu’on payait les avocats, les défenseurs officieux, etc. Il fallait céder à cette douce violence, et c’est ce que je fis.

Alors je communiquai à Mme Lavoisier et à Senneville le projet que d’autres personnes avaient formé dans les mêmes intentions qu’elle. Je leur dis que je garderais ces premiers fonds pour être joints à ceux qu’on se proposait de recueillir, et que ces cent louis seraient la première pierre du monument qui constaterait la générosité de mes cliens pour leur défenseur. Je n’ai pas besoin de faire observer le sentiment de noble bienfaisance qui se montre dans le procédé de Mme Lavoisier, que je connaissais à peine, et qui, sans promesses antérieures, sans s’inquiéter si d’autres feraient ou ne feraient pas comme elle, de son propre mouvement et pour satisfaire son cœur, me faisait un présent si considérable, surtout à l’époque où je l’ai reçu. J’ose me rendre le témoignage que la reconnaissance et l’attachement que m’a inspiré pour elle son procédé m’acquittent envers elle de la seule manière qu’elle puisse agréer.

Je ne manquai pas de dire à M. de Vaisnes ce qu’avait fait pour moi Mme Lavoisier ; il en instruisit Mme de Vergennes qui poursuivait toujours son plan avec la même grâce et la même bonté. Si elle trouva les obstacles insurmontables, je n’en suis pas moins touché de ses efforts généreux ; et je puis dire que cet empressement de quelques belles âmes à reconnaître les faibles tentatives d’un vieillard pour défendre la justice et le bon droit, fut une des plus douces récompenses de mes travaux, récompense d’autant plus douce que je n’y avais jamais songé.

J’ai souvent entendu mes amis s’étonner de n’avoir pu réaliser leur projet. Ils citaient l’exemple des catholiques d’Irlande qui, ayant été défendus de je ne sais quelle oppression du gouvernement anglais par un écrivain désintéressé, s’étaient réunis en quelque nombre pour lui faire un semblable présent. Je remercie mes amis de leur zèle, et je crains que ce zèle n’ait été trop loin.

C’était pourtant un assez joli château en Espagne. Je me berçais quelquefois de l’idée de retrouver, au moins en partie, mon prieuré de Thimer, une laiterie, une basse-cour, un petit domaine rural ; j’étais heureux, en imagination, de rassembler encore ma famille autour de moi dans ma retraite, et d’y respirer de tant de maux et de crimes avant de mourir.

Pour achever mon rêve, je dirai que j’aurais proposé à mes bienfaiteurs de mettre sur la porte de ma nouvelle maison l’inscription suivante :


A gnatis pareOb recuperata
À gnatis parentum indignè occisorum bona,
A gnatis pareInjustè fisco addicta,
A gnatis pareActori causæ suæ
A gnatis pareAndræ Morellet,
Grati in eum animi monumentum.
A gnatis pareHas œdes
Nec non contigua ruris jugera C.
Orba : ac mœrentes familiæ
A gnatis pareDono dedere.

  1. Nous y joignons ce témoignage : « Morellet, judicieux et puissant antagoniste de toutes les iniquités, comme de toutes les inepties fiscales, plaida la cause des familles dans un écrit plein de force et de courage. » Lacretelle jeune, Hist. de la Convention, liv. V, page 389, troisième édition.
  2. Écrit vers 1800.