Mémoires historiques et physiques sur les tremblemens de terre/Mémoire 8

Edition de Pierre Gosse, Junior (p. 300-326).


HUITIEME MEMOIRE.


DE LA PROPOGATION


OU


DE LA SIMULTANÉÏTÉ DES TREMBLEMENS DE TERRE.




Etendue & simultanéïté des tremblemens.Sénèque assure que les tremblemens de terre n’occupent jamais un terrein d’une fort grande étenduë. Il suffit de jetter les yeux sur ce que nous avons rapporté pour reconnoître qu’il s’est trompé. Il y a des tremblemens, qui semblent avoir embrassé ou parcouru un hémisphère entier du globe. Peut-être y en a-t-il qui ont sécoué le globe même tout entier, ou du moins la plus grande partie. Ammian Marcellin parle d’un[1] tremblement qui se fit sentir dans tout le monde connu alors. On peut se convaincre par la comparaison des diverses rélations, que nous avons rapportées, qu’il y a un rapport de tems entre les secousses d’un même tremblement.

Problème à resoudre.Mais on demande, si les différens tremblemens, que l’Europe & l’Afrique & même l’Amérique septentrionale ont éprouvés dans le même tems, sont dépendans les uns des autres ? La fermentation ou l’inflammation des matières pyriteuses, qui en est la première cause, est-elle née dans chaque Pays, indépendamment de tout autre foyer ? Ou s’est elle propagée de l’un à l’autre ? Y a-t-il eu plusieurs mines indépendantes, ou les mines se sont-elles communiquées les unes aux autres ? Voilà un problème à resoudre & dont la solution dépend de l’inspection des seules rélations des derniers tremblemens de terre. Les tremblemens se propagent.Ce rapport du tems avec les distances, rélativement à quelques points originaires ne peut être l’effet du hazard. Il faut qu’il y ait une communication entre le tremblement de terre éprouvé à Lisbonne le 1 Novembre 1755. & les eaux troublées en France & en Suisse, agitées en Hollande, diversement émuës en Allemagne, peu de tems après les secousses du Portugal. Salé a été ébranlée en même tems que Lisbonne a été renversée. Voilà une communication trop exacte pour être un jeu du hazard. Il s’agit de rendre raison de cette correspondance, de cette propagation, ou de cette communication singulière.

Quelques exemples de tremblemens étendus.En jettant les yeux sur les rélations, que nous avons données des tremblemens de terre de la Suisse, on y en aura apperçu plusieurs, qui ont été fort étendus, ou généraux, & qui ne peuvent s’expliquer que par une propagation, ou une communication. Je n’en rapporterai que quelqus-uns, sans remonter au delà du siècle précédent. Tels sont ceux de 1601, de 1633, de 1663, de 1682 & de 1755. Quelques Anciens avoient déja apperçu cette funeste correspondance, qui embrassoit une si grande étendue de terrein. Ils s’accordent, par exemple, à nous parler de l’Asie bouleversée dans une nuit ; douze villes furent renversées[2] la 4e. année du regne de Tibere.

Il faut rassembler les circonstances de cette communication.

Commençons d’abord par rassembler les circonstances les plus remarquables de cette communication d’ébranlemens. Ces circonstances nous guideront, pour découvrir les causes & serviront à justifier ou à détruire nos conjectures. Il ne faut pas les imaginer selon le sistème qu’on a embrassé ; mais former son hypothèse sur le rapport de ces circonstances. Nous allons distinguer ce qui est douteux d’avec ce qui est certain.

1e. Circonstance douteuse.

On a cru remarquer, dans les derniers tremblemens des années 1755 & 1756, que les différentes secousses se sont propagées selon les méridiens des divers lieux. Les ébranlemens ont été apperçus en même tems sous le même méridien ; c’est-à-dire que dès qu’un tremblement a commencé, un certain jour, dans un lieu méridional, il s’est fait appercevoir le même jour, dans les lieux placés sous le même méridien. La différence des heures, ou l’espace de tems de l’un à l’autre aura été proportionnel à la différente latitude de ces lieux-là. J’avoue que quand je considère les rélations que nous avons des derniers tremblemens, je ne puis appercevoir cette correspondance uniforme. Il faudroit des observations bien exactes & des horloges bien justes, pour appercevoir & vérifier une marche aussi singulière.

2e. Circonstance douteuse.

Le D. Hales prétend encore que les tremblemens de terre s’étendent beaucoup plus loin Est & Ouest, que Nord & Sud[3]. Il ne rapporte aucune observation pour le prouver, & j’avouë que je n’en apperçois aucune dans les rélations des derniers tremblemens. On est donc autorisé à regarder encore cette circonstance tout-au-moins comme fort douteuse.

1e. Circonstance certaine.

Une circonstance plus certaine & qui n’a échappé, ni à M. De Buffon ni à M. Hales[4], c’est que les lieux, où il y a des feux souterrains, toujours allumés, sont fort sujets aux tremblemens ; mais ces secousses ne s’étendent pas fort loin. Ces feux s’évaporent par les bouches des Volcans ou par les fissures de la terre. Borelli prétend d’ailleurs que ces inflammations commencent au haut de la montagne. M. Hales croit qu’il faut chercher la cause de ces tremblemens fort étendus & progressifs près de la surface de la terre[5] & il paroît résulter au contraire de tous les phénomènes, que j’ai exposé, que cette cause est dans les entrailles-mêmes de la terre ; sous les montagnes souvent à une grande profondeur.

2e. Circonstance certaine.

Dans ces tremblemens étendus la propagation, ou la communication, se fait au travers des plaines aussi bien que par le moyen des montagnes, sous les mers aussi bien qu’au travers des terres. Les vallées les plus profondes ne les interrompent point. La disposition de la surface ne paroît, ni entretenir ni diriger toujours cette propagation. Preuves évidentes que le principe actif n’est pas sous la surface de la terre, mais à une grande profondeur. Preuves encore, non moins certraines, que le principe de l’inflammation n’est pas dans l’atmosphère, mais sous la terre, sous les montagnes & les mers.

3e. Circonstance certaine.

Quelquefois les lieux bas, dans la communication des secousses, sont les plus ébranlés. D’autres fois ce sont les lieux les plus élevés. La propagation ne dépend donc point de la contiguité du terrein, mais de ce qui est renfermé dans le sein même de la terre, & qui est inégalement distribué dans ses cavités.

4e. Circonstance certaine.

Autre preuve de la même vérité ; dans une circonstance que toutes les rélations vérifient. Souvent dans la propagation des secousses les lieux intermédiaires sont moins ébranlés, ou point du tout. Il y a une correspondance qui lie toutes les parties du globe. Des veines de pyrites peuvent faire circuler un principe de fermentation. Ici & là la quantité en est plus grande ; dans un lieu mitoyen elle est moindre, ou plus profonde. Ainsi différentes traînées de poudre peuvent porter en silence l’inflammation à diverses mines, qui causeront du bouleversement, tandis que les lieux intermédiaires ne seront point ébranlés. Il peut aussi arriver qu’en tel lieu intermédiaire l’effervescence ou l’inflammation étoit en telle raison avec l’air & les cavernes, qui le contenoient, qu’il n’a dû en naître qu’une légère compression & par conséquent qu’une secousse peu sensible, ou si foible qu’on n’a pas pû l’appercevoir. Mille autres circonstances peuvent intercepter la communication, ou affoiblir la cause.

5e. Circonstance certaine.

La propagation des secousses est très rapide. Il n’est rien qui puisse nous en donner une idée que la vitesse de la lumière, ou celle du feu électrique. La poudre à canon si promte, ce semble , dans ses progrès, est lente en comparaison. En consultant les rélations on ne découvre aucune règle proportionnelle entre les distances & les tems. Il auroit fallu des observations plus exactes & plus détaillées. D’ailleurs mille circonstances, tirées de la quantité & de la qualité des matières, de la position & & de la direction des lieux, peuvent faire varier tout cela à l’infini.

Explication de cette communication.

Telle est cette communication singulière des secousses d’un tremblement de terre ; tel est ce progrès & cette marche, qu’il faut expliquer. Il falloit, pour ne pas s’égarer, en considérer les circonstances diverses.

Communication de retentissement.

Nous concevons d’abord que cette communication de mouvement peut quelquefois & en certains lieux être l’effet de la contiguité des masses solides. La terre est composée de couches de lits, posés les uns sur les autres, qui se suivent. Ici ils s’abaissent, pour former les vallées & les bassins des lacs & des mers. Là ils s’élèvent pour construire les montagnes[6]. Un de ces lits solides, ébranlé, soulevé ou abaissé, doit porter assez loin un rétentissement, un frémissement, un ébranlement, qui est en proportion avec la commotion originaire, qu’il a reçu. Ce frémissement s’affoiblit en s’éloignant du principe qui l’a produit, en sorte que cette progression ne peut pas s’étendre bien loin. Ainsi sont ébranlés principalement les lieux les plus voisins des Volcans.

Observation sur le sisteme de M. Des Marets.

Rien de plus dangereux que de se faire une loi d’expliquer tout de la même manière, & de déduire tout du même principe. C’est vouloir plier la nature à ses idées. L’assujettir ainsi à une marche unique, à des procédés toujours uniformes, c’est en méconnoître la multitude des ressorts, la fecondité des ressources & la diversité des moyens. M. Des Marets croit que toute propagation de tremblement de terre n’est qu’un rétentissement[7]. C’est une suite du premier mouvement imprimé par le foyer originaire aux chaînes des montagnes qui se suivent. Le contact & la contiguité sont donc, selon lui, les seules causes de cette propagation singulière. N’est-il pas plus naturel de supposer que, comme il y a plusieurs causes des tremblemens, il y en a aussi plusieurs de leur communication & de leur correspondance, à raison de l’espace & du tems ? Cet Auteur dit, sur cette communication par le contact, des choses très-ingénieuses, mais elles ne sont pas toutes également vraies. Il place le foyer principal du tremblement du 1 Novembre 1755 dans les Açores, d’où par-dessous les mers & le long des chaînes & des ramifications des montagnes le mouvement se communique de toutes parts. Je ne nierai point que souvent cette suite de montagnes, en continuant les cavernes & les lits des matières pyriteuses, ne serve à propager l’effervescence & par-là les mouvemens. J’avouerai encore que l’ébranlement qu’on éprouve en certains lieux peut n’être quelquefois que le retentissement des parties intérieures & extérieures du globe sécoué plus violemment ailleurs. Mais cette fe, qui n’est ainsi qu’instrumentale, est trop particulière pour être le principe de tous les tremblemens propagés. Le mouvement, en se communiquant, doit se partager & en se partageant s’affoiblir. Tous les phénomènes ne peuvent pas s’assujettir à cette hypothèse. Il en est qui la contredisent. Il seroit encore aisé de faire voir que les commotions, dans leur marche, ne suivent pas toujours les chaines des montagnes. Voici de quelle manière un Journaliste a jugé de ce sistème. « C’est dans la surface extérieure, dit-il, que M. Des Marets cherche la cause de la propagation prompte des secousses, & non dans l’intérieur. C’est l’effet, selon lui, de la position & de la contiguité des montagnes. Il croit que les plus grands bouleversemens ne se voient pas au lieu-même, où est le centre de l’explosion, mais à quelque distance. Le foyer de la mine qui a détruit Lisbonne étoit, suivant lui, aux Açores ou aux Canaries[8]. Il suppose, contre les principes de la Mécanique, que le retentissement, ou la force du mouvement propagé, croît, en s’éloignant du premier point de l’impulsion. Ce n’est certainement pas le cas d’appliquer la règle, crescit eundo. On sçait au contraire que le mouvement s’affoiblit en se communiquant ; qu’un corps mû perd autant de mouvement qu’il en communique à un corps en repos. En sorte qu’on peut le considérer après le choc comme formant une même masse, dans laquelle le mouvement est partagé. Suivant cette régle, quel affoiblissement de mouvement depuis les Açores à Lisbonne ! Pourquoi le tremblement, qui a détruit Lisbonne, n’a-t-il rien renversé aux Açores? Qui ne sçait que des lieux intermédiaires, dans des tremblemens étendus, ne les apperçoivent quelquefois point du tout, malgré la contiguité des montagnes, tandis que des lieux fort éloignés sont ébranlés »[9] ?

Communication des couches de matières pyriteuses.

A cette cause, insuffisante pour expliquer la communication des tremblemens, joignons-en une autre, plus active, c’est la communication des lits, des couches, des amas de matières effervescibles & inflammables dans le sein de la terre. Nous avons déjà parlé de ces matières nitreuses & sulphureuses, répanduës de toutes parts dans les entrailles du globe. Une foule d’observations demontrent la liaison de ces matières sous la terre. Ce sont des sillons, qui se ramifient dans les couches du globe, ou dans les intervalles, qu’elles laissent dans les fissures qui les coupent. Ce sont des traînées, qui unissent des amas plus ou moins considérables, ou des mines plus ou moins abondantes de souffre & de salpêtre. Enfin ce sont des tranchées, qui aboutissent à certains foyers. Un de ces foyers, mis en effervescence ou en feu, communique bientôt cette fermentation, ou cette incendie de proche en proche à d’autres foyers.

De la promptitude de la communication.

La communication rapide du feu par le moyen de certaines matières inflammables, la propagation presqu’instantanée du feu électrique, nous donnent une idée de la progression rapide des tremblemens de terre. Si le foible mouvement d’un petit globe de verre peut mettre en commotion le fluide électrique, ou éthéréal, ce feu, ou cette lumière, répanduë dans tous les corps ; quel effet ne doivent pas produire les prémiers chocs d’un tremblement de terre ? Si la moindre étincelle de ce fluide électrique, dévelopée, peut communiquer, dans l’instant, à une grande distance, une activité surprenante, quelle promptitude & quelle force ne doivent pas avoir des masses soûterraines, mises en feu, ou en fermentation ? Un coup de canon tiré dans le parc St. James electrifoit les fenêtres du trésor[10]. Une explosion bien plus considérable ne peut-elle pas agir plus promptement, à une bien plus grande distance ? Le fluide electrique se glisse le long des corps, avec la rapidité d’un éclair qui suit un fil d’archal. La commotion ne pourroit-elle pas se propager par le moyen de quelque fluide inflammable ou effervescible, par le moyen de simples vapeurs, dirigées par une fuite de corps solides, ou par la communication des canaux ou des fentes, contiguës dans le sein de la terre ?

Le progrès n’est pas proportionnel.

On conçoit sans peine pourquoi on ne peut pas appercevoir de la proportion dans la progression, ou de l’uniformité dans la marche des secousses. Les divers lieux, à des distances égales d’un foyer originaire, sont secoués inégalement. Plusieurs petits foyers dépendent d’un plus grand. La nature & la quantité des matières effervescibles & inflammables, leur profondeur sous terre, la figure des cavités, la nature du terrein, la position & la quantité des eaux, mille circonstances indéfinissables, qui se combinent à l’infini, peuvent & doivent faire varier les effets. S’il y avoit quelque proportion dans la marche, elle seroit bien plus difficile à concevoir que l’irrégularité la plus grande. Tels trem-blemens, qui s’exécutent à la même heure, à de grandes distances, & tels autres qui se manifestent à moins de distance, à plusieurs heures, ou même à plusieurs jours d’intervalle, peuvent cependant originairement partir du même foyer. La marche de l’un a été favorisée par les circonstances des matières & des lieux & celle de l’autre aura été retardée.

Communication de l’air intérieur.

L’Action de l’air doit encore être estimée dans ce mécanisme. Le feu, ou la chaleur, le mettent en mouvement. Cet air dilaté, ou raréfié, par quelque fermentation interne, cherche des issuës pour s’échaper. Il se précipite avec toute l’impétuosité, que lui donne son ressort augmenté, à chaque instant par de nouvelles effervescences, dans tous les canaux voisins. Au défaut de routes suffisamment ouvertes, pour le recevoir & lui donner passage, l’explosion lui en ouvrira, en soulevant ou en ébranlant la terre, à diverses reprises. La terre divisée, ou séparée en différens sens, l’air s’échape par ces ouvertures & va porter l’inflammation, ou la fermentation, sur quelqu’autre amas de souffre & de nitre. Ainsi sont de nouveau ébranlés d’autres lieux. Ainsi il parcourt, de proche en proche, toutes les issuës formées, & il s’en fait, jusqu’à ce qu’il ait perdu son ressort, ou qu’il soit en équilibre avec l’air ordinaire soûterrain. A mesure que son activité s’affoiblit, les ébranlemens doivent être moindres. Cette raréfaction de l’air, chargé de vapeurs & d’exhalaisons, se soutient longtems, à des distances très-considérables, parce qu’il se trouve toûjours géné, enfermé, assujetti sous terre. Portant d’ailleurs avec soi un principe d’effervescence, ou d’inflammation, à chaque nouveau foyer, à chaque mine qu’il rencontre, il reprend une nouvelle force, en y excitant du feu ou de la chaleur.

Grande expansibilité de l’air produit par une explosion.

Toutes les expériences, qu’on a faites sur l’air & sur la poudre à canon, nous découvrent comment peuvent s’exécuter ces grands effets sous terre. Celles en particulier de M. Robins & Du Hamel[11] prouvent que la poudre, qui s’enflamme, produit un fluide élastique, un air, ou une vapeur, dont l’extensibilité & la compressibilité sont surprenantes. Que ce soit l’air même renfermé dans la poudre & ses interstices ; que ce soit une matière, logée dans le soufre & le salpêtre, qui se développe en vapeurs par le feu, n’importe. Cet air dilaté, ou ce fluide élastique produit, ont une activité & une rapidité, qui nous sert à comprendre la propagation des tremblemens de terre. Le volume de ce fluide, produit par l’explosion, égale 244 fois celui de la matière enflammée. Veu la masse des mines soûterraines, quelle dilatation immense ne doit pas acquérir l’air qui s’y trouve, ou ce nouveau fluide qui s’y produit ? Si ce fluide est retenu dans quelque canal, il agit, pour en écarter ou en soulever les parois, avec une force 244 fois supérieure au poids de l’atmosphère. Quels effets ne doivent donc pas résulter de pareils efforts ? Ce fluide encore, ces vapeurs, ou cet air dilaté par l’explosion, ce fluide qui égale déjà 244 fois le volume de la matière enflammée, peut, outre cela, se dilater, par la chaleur, dans la proportion de 194 & 1/3 à 796. Il suit de-là, par un calcul facile à faire, que sa pression sera 244,000 fois égale au poids de l’atmosphère. Ce fluide élastique, toûjours assujetti sous terre, reproduit d’intervalle en intervalle, animé par de nouvelles imflammations, ou par une simple chaleur, quels progrés ne doit-il pas faire ? Quels effets ne peut-il pas produire ? Quelle rapidité ne peut-il pas acquerir ? On ne doit donc pas être surpris que la terre tremble, mais qu’elle subsiste pour répéter la phrase de Séneque.

Confirmation de ces idées.

Tout ce que dit Ulloa, pour rendre raison des fréquens tremblemens de terre du Perou, confirme notre explication. On voit qu’il envisage aussi les mines pyriteuses & l’air comme les moyens, dont la nature se sert pour propager les secousses. « On doit, dit-il, se figurer deux sortes de Volcans, les uns contraints ou génés, & les autres dilatés. Ceux-là seront là, où dans un petit espace il y a une grande quantité de matière inflammable, & ceux-ci là, où une certaine quantité de matière se trouve répanduë dans un espace large. Les prémiers sont propres à être contenus dans le sein des montagnes, qui sont dépositaires légitimes de cette matière. Les seconds, quoique nés des prémiers, en sont néanmoins indépendans. Ce sont des rameaux, qui s’étendent à droite & à gauche, sous les plaines, sans aucune union ou correspondance avec la mine principale. Cela posé, il reste certain que le païs, où ces Volcans, c’est-à-dire, les dépôts de ces matières sont plus communs, & comme minéraux propres de ce même païs, s’en trouvera plus veiné & plus ramifié dans ces plaines ; car il ne faut pas s’imaginer que les matières de cette nature n’existent que dans le cœur des montagnes, & qu’elles soient séparées du reste du terrein, qui les avoisine. Le païs dont nous parlons étant donc plus abondant qu’aucun autre en ces sortes de matières, il est tout simple qu’il soit plus exposé aux tremblemens de terre par la continuelle inflammation qui survient, lorsqu’elles ont assez fermenté pour en être susceptibles. Outre la raison naturelle qui dicte, qu’un païs qui contient beaucoup de Volcans, doit contenir aussi beaucoup de rameaux de la matière qui les forme, l’expérience le démontre au Perou, vu qu’on rencontre à tout moment dans ce païs-là du salpêtre, du souffre, du vitriol, du sel & autres matières combustibles ; c’est ce qui fait que je n’ai aucun doute sur la justesse de mes conséquences.

Le terrein, tant de Quito que des vallées & celui-ci plus que celui là, est spongieux & creux, de sorte qu’il a plus de concavités & de pores, que n’en a d’ordinaire le terroir des autres païs. C’est pourquoi il est humecté par beaucoup d’eaux soûterraines. D’ailleurs, comme je l’expliquerai plus au long, les eaux des glaces, qui se fondent continuellement dans les montagnes, en tombant de-là, se filtrent par les porosités de la terre, & courent dans ses concavités. Là, elles humectent, unissent & convertissent en pâte ces matières sulfureuses & nitreuses ; & bien que celles-ci ne soient pas là en si grande quantité que dans les Volcans, néant-moins elles sont suffisantes pour s’enflammer & pousser l’air qu’elles contiennent, lequel ayant la facilité de s’incorporer dans celui qui est renfermé dans les pores, cavités, ou veines de la terre, & le comprimant par son extension fait effort pour le dilater, en lui communiquant la raréfaction dont il participe, & qui est une suite naturelle de l’inflammation. Cet air, ou vent, se trouvant trop à l’étroit dans la prison, qui le renferme, fait effort pour sortir, & dans ce moment-même il ébranle tous les espaces par où il tâche de s’échapper, & ceux qui y sont attenans, jusqu’à ce qu’enfin il sort par l’endroit où il trouve moins de résistance & le laisse quelquefois fermé par le mouvement même de la secousse, quelquefois aussi ouvert, ainsi que l’expérience le fait voir dans tous ces pais. Quand il sort par divers endroits, comme cela arrive, lorsqu’il trouve par-tout une égale résistance, l’on n’en trouve aucun vestige après la secousse. D’autres fois quand les concavités de la terre sont si grandes qu’elles forment des cavernes spacieuses, non seulement il crevasse le terrein & le gerse à chaque tremblement de terre, mais même l’enfonce en partie[12].

Communication de l’eau.

L’eau nous sert enfin à concevoir la propagation des secousses des tremblemens de terre, dans de certaines circonstances. Nous avons suffisamment exposé quelle est la force extraordinaire des vapeurs aqueuses échauffées[13]. Elles peuvent déjà par leur prompte expansibilité donner à l’air une force capable de porter au loin un ébranlement. Outre cela il est dans le sein de la terre une suite de canaux, de conduits & de réservoirs d’eau, qui se communiquent sans doute en tout sens. Eaux courantes, eaux dormantes, toutes ces eaux sont diversement unies avec celles de la surface. Ces amas d’eau, mis en mouvement par quelque commotion intérieure & violente, accumulés, poussés, balancés en divers sens, ne peuvent-ils pas porter au loin ce balancement & le communiquer quelques fois à d’autres masses, avec lesquelles ils sont unis ? Les secousses d’un lieu ne peuvent-elles pas se communiquer par ce moyen à quelque distance[14] ? Ainsi les canaux de la Hollande, les lacs de la Suisse, les mers d’Espagne & d’Afrique ont pû être émus dans le même tems en 1755. C’est ainsi encore que des fontaines ont pû être troublées en même tens dans des lieux très-éloignés en Allemagne, en France & en Suisse.

FIN.
  1. Lib. XXVI. Cap. XIV.
  2. On a encore une médaille de Tibere, Civitatibus Asiæ restitutis. Voyez Strab. Lib. xii. Tacit. Ann. Lib II. Euseb. in Chron. Celui-ci aux Villes de l’Asie ajoute Ephèse.
  3. Réflex. Phys. sur les trem. T. II. de l’Hist. des tremb. du Pérou p. 401.
  4. Ubi supra, pag. 400 & seq.
  5. Ubi supra, pag. 401.
  6. Voyez Struct. inter. de la terre, I. Mem.
  7. Voici le titre de la brochure, où il développe ses idées : Conjectures Physico-Mécaniques sur la propagation des secousses dans les tremblemens de terre. Paris 1736. chez Geneau, ruë St. Severin. Il n’y a point de nom de lieu ni de Libraire Voyez Mercure de France, Mars 1756. Pag. 108 & 109.
  8. Voyez p. 28. à la note. Conjectures Physico-Mécan. &c.
  9. N. Bibl. Germ. de Formey T. XIX. I. Par. p. 45 & 46.
  10. Hales Reflex. phys. p. 403. &c.
  11. Mem. de l’Acad. Roy. de Paris. 1750.
  12. Voyages du Pérou, Liv. I. Ch. VII. p. 470, 471.
  13. Ci-dessus VI. Mémoire.
  14. Voyez Seneque Q. N. L. VI. C. VII. & VIII.