Mémoires historiques et physiques sur les tremblemens de terre/Mémoire 3

Relation de ce qui a été observé en Suisse
le premier de Novembre 1755.

TROISIEME MEMOIRE.


RELATION DE CE QUI A ÉTÉ OBSERVÉ EN SUISSE LE PREMIER DE NOVEMBRE 1755. AVEC UN DÉTAIL DE QUELQUES FAITS, QUI Y ONT DU RAPPORT ET QUI SE SONT PASSÉS AILLEURS.




Dessein de ce Mémoire.Afin que la relation des faits fournisse à un Physicien des lumières pour leur explication, il faudroit qu’ils fussent détaillés. Telle circonstance omise fourniroit peut-être, si elle eut été bien observée & exactement présentée, le dénouement cherché. C’est dans cette vuë que j’ai receuilli tout ce que j’ai pu apprendre de certain sur ce qui a été observé dans la Suisse le premier de Novembre de l’année mille-sept-cent & cinquante-cinq, époque si fatale à la ville de Lisbonne & si funeste à diverses autres villes & à plusieurs contrées de l’Europe & de l’Afrique. J’ai joint les observations, faites ailleurs, qui ont un rapport de ressemblance, ou de simultanéïté, avec celles de la Suisse. Je laisse à ceux qui ont été plus à portée, ou de rassembler les faits, ou d’observer les événemens, le soin de nous donner des rélations circonstanciées, des malheurs de Lisbonne, & des autres lieux, qui ont participé à ces désastres. Je n’ai rien encore vu de précis sur ce sujet, qui parût parti de la plume d’un Physicien.

Effets du tremblement du 1. de 9bre en Suisse.On aperçut différens effets de cette terrible commotion de la terre du prémier Novembre, en Suisse & ailleurs. Le foyer de l’inflammation, ou de l’effervescence étoit sans doute sous la Capitale infortunée du Portugal ou sous la mer aux environs ; mais le rétentissement, ou l’ébranlement, se fit sentir dans nos lacs & nos sources, de manière cependant qu’on ne put, sur le champ, savoir ce que c’étoit ; ce ne fut être peu sensible, & l’être beaucoup plus vers le bout supérieur ; tout comme les vagues sont beaucoup plus fortes du côté opposé à celui d’où le vent vient. Si l’on eut observé avec soin les phénomènes du 1. Novembre, il y a grande apparence qu’on auroit remarqué dans tous les lacs une agitation plus grande du côté oriental.

Des Pêcheurs, qui étoient sur le Lac de Nidau, sentirent leur petit bateau emporté & ramené par une sorte de courant, & soulevé ensuite par des flots alternatifs, quoiqu’ils n’apperçussent aucun vent extérieur, mais ils entendirent un bruit intérieur.

Les Lacs de Brientz & de Thoun, sur-tout le prémier, s’avancèrent successivement sur le rivage & s’en éloignèrent ensuite. Le cours de l’Aare sortant du premier pour entrer dans le dernier, parut un instant retardé.

Le petit Lac de Séedorf, dans le Baillage de Buchsée, fut non seulement Effets dans le Comté de Neufchâtel.On m’a dit que le Lac d’Etaliere, dans le Comte de Neufchâtel, avoit été ému, & avoit donné du son. C’est une sorte d’Etang naturel qui se vuide sous terre : on croit qu’il va former la source de la Reuse.

Observations sur d’autres lacs.Les Lacs de la Suisse n’ont pas été les seuls à se ressentir de l’émotion des eaux intérieures, par le tremblement de Terre du premier Novembre. Près de Salzungen, ville de la Thuringue, en Allemagne, est un petit Lac, qui tire toutes ses eaux d’une grande ouverture, qui de tous temps a passé pour n’avoir point de fond, & que par cette raison on s’imagine avoir communication avec l’Océan. L’eau de ce Lac se perdit entièrement ce jour-là, par cette ouverture. Quelques momens après elle revint avec impétuosité, elle se perdit de nouveau & reparut alternativement, à plusieurs reprises, la violence diminuant chaque fois. On a observé les mêmes agitations dans les eaux de plusieurs Lacs des environs de Berlin, aussi bien que dans celles de divers lacs dans les pays du Nord. Les nouvelles publiques ont avancé plusieurs de ces faits. Il seroit à souhaiter que dans chaque pays on publiat des rélations sures & circonstantiées.

Effet sur les sources dans le Canton de Berne.Plusieurs sources se ressentoient aussi de ces sécousses de la terre dès le premier Novembre.

Les fontaines de la paroisse de Montreux, de Blonay, de Corsier, jusques à Villeneuve & à Aigle, dans le Canton de Berne, se troublèrent, plus ou moins, tout-à-coup. Celles du premier de ces endroits restèrent troublées pendant trois ou quatre heures.

On entendit un bruit souterrain près de la source de l’Orbe, au-dessus de Valorbes, & la rivière parut augmentée pour quelques instants.

Effet dans le Comté de Neufchâtel.Une source, qui, près de Boudry, se jette dans la Reuse fut suspenduë un près du lac de Zuric, la nuit précédente, on avoit entendu un murmure singulier.

Le lac de Constance, près de la ville de Stein, parut aussi s’élever de plusieurs pieds, & le Rhin, qui en sort, près de ce lieu-là, s’accrut pour quelques instants.

Le lac de Wahlstat, dans le Comté de Sargans, fut aussi élevé, pour quelques moments. Il y regnoit un vent d’Est, qui assez ordinairement y souffle, depuis le lever du soleil jusques à dix heures, & cependant le lac parut agité du Sud au Nord.

Etendue & simultaneité de ces observationsTous ces phénomènes ont été apperçus à la même datte, dans le Nord & dans l’Allemagne, dans presque toutes les mers ; les gazettes & les mercures l’ont annoncé de toutes parts.

Les eaux du Havre furent émuës au point d’agiter les Vaisseaux. L’oscillation des eaux a été du Nord au Sud. Les eaux, en Hollande, en Gueldre, en Frise, dans la Province d’Utrecht, & Novembre, environ les dix heures du matin. Après-midi les fontaines furent troublées & les eaux teintes en jaune, en gris ; couleurs qu’on n’avoit pas apperçu autrefois, quand elles avoient paru troubles.

Il est certain qu’à Bâle le 2 de Novembre, entre trois & quatre heures après midi on sentit quelques sécousses, dans divers endroits de la Ville.

Dans la campagne aux environs on s’apperçut d’une augmentation sensible dans les fontaines ; plusieurs d’entre elles parurent troublées, ou teintes, le premier & le second jour de Novembre. Le 18 & le 19 du même mois on aperçut encore quelques légères sécousses le long du Rhin & dans le Brisgau ; & ces deux mêmes jours furent fatals aux villes de Fez & de Mequinez, & à plusieurs autres villes de l’Afrique.

Tremblement éprouvés en divers endroits ce jour-là.Les Mercures ont fait mention de divers endroits ou l’on a senti le tremblemens de terre du premier de Novembre. On essuya à Bourdeaux une secousse, qui dura quelques minutes. Elle fut accompagnée d’une agitation extraordinaire des eaux de la Garonne. On a aperçu les mêmes phénomènes à Angoulême.

On a écrit aussi de Cognac en Saintonge, que les secousses de ce tremblement s’y étoient fait apercevoir, à la même heure qu’à Lisbonne. L’ébranlement a été sensible à deux lieuës de-là, dans une Campagne. Dans ce pays-là la plus grande partie des Fontaines ont gardé pendant quelque tems la couleur des terres d’où elles tirent leurs sources : celle de Burie, aussi à deux lieuës de Cognac, a donné pendant plusieurs jours de l’eau rougeâtre ; ce qu’il faut sans doute attribuer à la montagne de sable rouge, qui domine à une demi-lieuë, du Côté du Nord. La fontaine de Gersac, à une demi-lieuë de Cognac, qui forme une espèce de Volcan, est devenuë comme de l’écume de Savon, & a pris successivement différentes couleurs suivant celles de sables par lesquels elle passe. Enfin celle de St. Laurent, à la même distance, a été visiblement agitée.

On a observé de même à Anduse, en Languedoc, que toutes les fontaines furent troublées le premier de Novembre ; & je ne doute point que si l’on rassemble par-tout les faits, avec le même soin, on ne se convainque que les effets ont été par-tout les mêmes, avec plus ou moins de force, selon la position des lieux, ou la nature du terrein.

Effets sur les Aimans.Une lettre d’Augsbourg marque, que le premier Novembre tous les aimans, suspendus dans les Cabinets des Curieux, changèrent de position & laissèrent tomber les poids dont ils étoient chargés ; on a remarqué aussi du dérangement dans les aiguilles aimantées, en divers lieux de l’Allemagne. Il souffla tout le jour aux environs d’Augsbourg un vent du Sud-Est très-fort.

Etat du Baromètre & du Thermomètre à Berne le 1 Novembre & ailleurs.Le Baromètre étoit ce jour-là à Berne, au vingt & un pouces & dix lignes, & tomba le soir du même jour à vingt-cinq pouces six lignes. Le Thermometre de Mr. de Reaumur, suspendu au Nord, sans appui, étoit à six heures du matin à deux degrés & demi au-dessus de zéro, il remonta le soir à six degrés au-dessus de zéro. Le terme moyen du Baromètre est ici à Berne à vingt & six pouces 2 lignes : A Zuric il est à vingt & six pouces cinq lignes, selon les observations de Scheuchzer : A Bâle il est à vingt & sept pouces. La plus grande hauteur est ici vingt & six pouces onze lignes, la moindre vingt & cinq pouces cinq lignes. Pendant la nuit il soufla un vent d’Ouest extrémément violent. Le Baromètre étoit à Bâle, le même jour premier Novembre, à vingt & six pouces deux lignes & demi. Rarement l’a-t-on vû aussi bas. Il y eut aussi pendant la nuit une violente tempête g.


g. Le Mercure étoit à Lisbonne au premier Novembre à 2.7 pouces 7 lignes. J’en ignore la hauteur moyenne. Le Thermomètre y étoit à 14. dégrés, le vent Nord-Nord-Est.