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CHAPITRE II
LE RÈGNE DE L’EMPEREUR OU
Ou-ti, c’est-à-dire « l’empereur guerrier », est le titre posthume qui fut décerné au souverain sous le règne duquel vécut Se-ma Ts’ien. C’est donc surtout par des exploits militaires que son époque fut illustrée. En outre, les expéditions que firent alors les Chinois leur apprirent à connaître leurs voisins et étendirent leur horizon scientifique. Ainsi, tant par les résultats politiques qu’elles produisirent que par l’agrandissement qu’elles donnèrent aux connaissances scientifiques, les luttes que les armées impériales eurent alors à soutenir sont le sujet qui doit attirer d’abord notre attention.
PREMIÈRE PARTIE
LA POLITIQUE EXTÉRIEURE
Entre tous les peuples que les premiers souverains de la dynastie des Han occidentaux eurent à combattre, les Hiong-nou se montrèrent le plus redoutable. Ils furent vraiment leurs ennemis héréditaires. Leurs attaques incessantes attirèrent sur eux l’attention des historiens et c’est pourquoi nous avons sur leur compte des renseignements détaillés et précis. Se-ma Ts’ien est le premier qui nous ait longuement parlé d’eux dans le CXe chapitre des Mémoires historiques.
Les Hiong-nou avaient des moeurs fort analogues à celles des Mongols actuels, dont ils occupaient d’ailleurs le territoire LXIII-1. Ils étaient pasteurs et par conséquent nomades : les bestiaux épuisent vite les ressources d’un pâturage et doivent se déplacer pour gagner de nouvelles prairies ; les Hiong-nou suivaient donc leurs troupeaux qui consistaient surtout en chevaux, en vaches, en moutons et en chameaux. Ils se nourrissaient du lait et de la chair de ces animaux ; ils mangeaient beaucoup de viande ; ce trait caractéristique frappait les Chinois dont le régime est essentiellement végétarien. Ils avaient des vêtements de peau et des tentes en feutre. Pour prévenir les conflits qui n’auraient pas manqué de naître si deux ou plusieurs tribus avaient convoité les mêmes herbages, chaque horde avait une contrée qui lui était assignée ; elle pouvait y vaguer à sa guise, mais il lui était interdit d’en franchir les limites.
Les peuples pasteurs sont le plus souvent aussi des peuples chasseurs. Les Hiong-nou étaient de très habiles archers et d’excellents cavaliers ; les enfants s’exerçaient à chevaucher sur des moutons et à tuer à coups de flèches des rats et des oiseaux ; devenus grands, ils accompagnaient leurs aînés dans les chasses qui étaient leur occupation favorite.
Une telle vie devait les rendre bons guerriers ; qu’ils souffraient de la disette, ils venaient faire des incursions sur le territoire chinois et opéraient des razzias dans les villages. On l’a remarqué avec justesse, le nomade est toujours une sorte de brigand aux yeux des populations sédentaires ; aussi les Hiong-nou sont-ils volontiers traités de voleurs par les historiens chinois qui les accusent de ne connaître ni les rites ni la justice. Comme les Arabes d’Afrique, ils fondaient subitement sur une région et y semaient la désolation et le carnage, puis ils s’évanouissaient aussi vite qu’ils étaient venus ; les lourdes armées chinoises qui se lançaient à leur poursuite faisaient souvent de longues marches dans le désert sans même parvenir à apercevoir leurs insaisissables ennemis.
Dans leur organisation familiale, les Hiong-nou étaient polygames. A la mort d’un homme, son fils épousait toutes ses femmes, à l’exception de celle qui était sa propre mère. De même, un fils devait épouser toutes les femmes de son frère mort. On retrouve cette coutume chez les Mongols de Gengis-Khan LXIV-1. Elle scandalisait fort les Chinois, car la forme sous laquelle un peuple conçoit le mariage ne manque jamais de lui paraître chose sacrée et inviolable.
Quand les Chinois entrèrent d’abord en contact avec eux, ces barbares n’avaient aucune écriture ; mais il faut croire qu’ils en inventèrent une plus tard, puisque Se-ma Ts’ien cite des lettres que leurs chefs envoyèrent aux empereurs. Le fait que l’historien nous donne, à quelques pages de distance, ces deux renseignements en apparence contradictoires prouve qu’il rapporte des traditions de dates diverses sans se mettre en peine de savoir comment elles peuvent s’accorder entre elles.
La religion des Hiong-nou semble avoir été fondée sur l’adoration des forces de la nature, tandis que celle des Chinois avait pour principe le culte des ancêtres. Chaque matin leur chef suprême allait saluer le soleil levant ; chaque soir il se prosternait devant la lune. Il ne faisait d’expédition guerrière que lorsque la lune était dans son plein. Les Hiong-nou n’avaient point l’habitude d’élever des tumulus sur les sépultures ni de planter des arbres à l’entour : lorsqu’un personnage important mourait, on immolait sur sa tombe jusqu’à cent ou mille de ses femmes et de ses serviteurs. Boire du sang dans le crâne d’un ennemi était la cérémonie qui consacrait pour eux un traité LXV-1.
C’est dans la seconde moitié du IIIe siècle avant notre ère que les Hiong-nou se constituèrent pour la première fois en nation unie et forte. Leur organisation politique nous est exposée par Se-ma Ts’ien assez en détail (Mémoires historiques, chap. CX, p. 4) ; à leur tête était un chef appelé le chen-yu ; au-dessous de lui se trouvaient deux grands dignitaires, les rois t’ou-k’i, c’est-à-dire sages, de gauche et de droite. Le roi fou-k’i' de gauche résidait à l’orient et était l’héritier désigné du chen-yu ; le roi t’ou-k’i de droite commandait dans l’occident. A des rangs inférieurs étaient d’autres fonctionnaires : les rois kou-li de gauche et de droite ; les généralissimes de gauche et de droite ; les grands gouverneurs de gauche et de droite ; les grands tang-hou de gauche et de droite ; les seigneurs kou-tou de gauche et de droite ; puis venaient des chefs de mille hommes, de cent hommes et de dix hommes.
En étudiant cette administration, on voit que les Hiong-nou devaient être de race turke : la division des fonctionnaires en orientaux et occidentaux indiquée par les expressions de «gauche » et de « droite » répond exactement à ce que nous savons des Turks qui emploient les mots sol « gauche » et ong « droite » pour désigner l’est et l’ouest ; de même, les chefs de mille hommes sont les ming-baschy des Turks ; les chefs de cent hommes sont les jus-baschy et les chefs de dix hommes sont les on-baschy LXVI-1. Les mots Hiong-nou' qui expriment quelques-unes de ces fonctions ne sont pas moins significatifs : le titre complet du chen-yu était : tcheng-li kou-t’ou chen-yu LXVI-2 ce que les Chinois traduisent par « le majestueux Fils du ciel »; le mot tcheng-li qui a le sens de « ciel » est évidemment une transcription du mot turk tengri. — Le mot t’ou-k’i, disent encore les historiens chinois, signifie « sage », en sorte qu’on dit indifféremment « les rois t’ou-ki » ou « les rois sages »; le mot turk doghri a en effet le sens de « droit, fidèle, sincère LXVI-3. » Enfin dans l’inscription gravée en l’an 733 de notre ère en l’honneur du teghin Kul, il est dit que ce prince turk reçut le titre de roi t’ou-k’i ; cette même stèle considère d’ailleurs comme un ancêtre des Turks Tou-kioue le chen-yu des Hiong-nou, Hou-han-sié, qui, en l’an 51 avant J.-C., vint prêter serment d’allégeance à la Chine LXVI-4. Ces remarques confirment l’opinion émise par Bitschurin que les Hiong-nou sont les ancêtres des Turks que nous trouvons sous les noms de Tou-kioue et de Ouïghours à l’époque des Tang ; c’est à cette opinion que se rattache M. Radloff dans sa préface au Kudaktu Bilik.
Sous le règne de Ts’in Che-hoang-ti, les Hiong-nou avaient été tenus en respect par ce souverain à la main de fer ; refoulés derrière le redoutable rempart de la Grande Muraille, ils avaient cessé de franchir le fleuve Jaune et d’exercer leurs déprédations parmi les populations voisines de la frontière. Mais, après la mort de Ts’in Che-hoang-ti, ils reprirent toute leur insolence et infligèrent plus d’une humiliation aux premiers empereurs de la dynastie Han.
L’empereur Ou engagea la lutte avec plus de vigueur que ses prédécesseurs ; il était sur le trône depuis cinq ans à peine quand il tenta d’attirer les Hiong-nou dans une embuscade à Ma-i (à l’est de la préfecture secondaire de Cho, province de Chân-si). Le chen-yu fut à deux doigts de sa perte ; mais il s’aperçut au dernier moment du piège où on l’attirait et put se retirer.
L’affaire de Ma-i laissa les Chinois et les Hiong-nou
fort irrités les uns contre les autres ; aussi les voyons-nous aux prises presque incessamment dans les années 130, 127, 124 et 123. En 121, le général Houo Kiu-p’ing, à la tête de dix mille cavaliers, sortit de Chine par
le territoire qui est aujourd’hui la préfecture de Kan-tcheou, dans le Kan-sou. Il dépassa les monts Yen-tche,
au sud-ouest de Kan-tcheou et, à 500 kilomètres plus à
l’ouest, il livra bataille pendant sept jours consécutifs
aux Hiong-nou. Dans cette campagne, il eut à combattre
le roi de Hieou-tch’ou, sujet Hiong-nou, qui occupait le
territoire de la préfecture actuelle de Leang-tcheou,
dans le Kan-sou. Il le vainquit et lui enleva la statue d’or
à laquelle il offrait des sacrifices. L’importance de cet
incident a été fort exagérée par les commentateurs chinois qui ont admis, à la suite de Yen Che-kou, que cette
statue représentait le Bouddha ; le bouddhisme aurait
donc pénétré dans le Kan-sou dès la fin du IIe siècle
avant notre ère. Mais rien ne justifie une pareille hypothèse ; il n’y a pas un mot dans le texte de Se-ma Ts’ien qui indique ce qu’était la statue du roi de Hieou-tch’ou ; peut-être n’y faut-il voir que l’image d’un de
ses ancêtres LXVII-1. Aucun passage des Mémoires historiques
ne fait allusion au bouddhisme.
L’été de cette même année, Houo Kiu-p’ing remporta une nouvelle victoire sur les Hiong-nou. Deux autres armées, commandées l’une par Kong-suen Ngao, l’autre par Li Koang, eurent moins de succès.
En automne, les rois de Hoen-sié (Kan-tcheou-fou) et de Hieou-tch’ou (Leang-tcheou-fou) qui avaient été battus par les Chinois, craignirent que le chen-yu ne les fît mettre à mort ; ils projetèrent de se soumettre à l’empereur. Cependant le roi de Hieou-tch’ou hésitait encore ; le roi de Hoen-sié l’assassina et vint se rendre avec tout son peuple. Cet événement livra aux Chinois une partie considérable du Kan-sou occidental.
En l’année 119, l’empereur tenta un effort décisif
contre les Hiong-nou. Le général en chef Wei Ts’ing,
ayant sous ses ordres quatre autres généraux renommés
et cinquante mille cavaliers, sortit par la commanderie
de Ting-siang (aujourd’hui Koei-hoa-tch’eng, à l’extrémité nord-ouest du Chan-si, en dehors de la Grande Muraille). Il surprit le chen-yu I-tché-sié à la tête de ses
soldats ; on en vint aux mains ; un vent violent soulevait
une poussière intense qui empêcha les Hiong-nou de
reconnaître le nombre de leurs ennemis ; ils se crurent
assaillis par des forces très supérieures aux leurs et se
débandèrent. Le chen-yu, accompagné seulement de
quelques cavaliers, s’enfuit dans le nord. Wei Ts’ing tua
ou fit prisonniers dix-neuf mille barbares. Pendant qu’il
remportait ce grand succès, le général Houo Kiu-p’ing
se couvrait aussi de gloire ; il était sorti de l’empire plus
à l’ouest, par la commanderie de Tai (aujourd’hui Siuen-hoa-fou, province de Tche-li) et s’était avancé à mille kilomètres à l’intérieur du pays Hiong-nou ; il s’empara de
plus de quatre-vingts chefs barbares et fit les sacrifices
fong et chan, symboles de la prise de possession du
territoire, sur les montagnes Lang-kiu-siu et Hou-yen
(Mém. hist., chap. CX, p. 10 r° et v°)
Cette campagne fut la dernière grande expédition dirigée contre les Hiong-nou ; dans la suite, plusieurs généraux les attaquèrent avec des succès divers, mais aucun d’eux n’eut sous ses ordres une armée aussi nombreuse que celles de Wei Ts’ing et de Houo K’iu-p’ing. Ce fut, à vrai dire, le triomphe remporté en l’an 119 qui assura aux Chinois une supériorité marquée sur leurs adversaires. Malgré les échecs qu’ils essuyèrent quelquefois dans la suite, ils acquirent en cette occasion un prestige qui devait durer longtemps.
Si les troupes impériales eurent souvent quelque difficulté à vaincre les Hiong-nou, c’est qu’elles avaient affaire à un adversaire qui, non seulement était brave de nature, mais encore avait appris leur propre tactique. Les peines édictées contre les généraux chinois qui s’étaient laissés battre étaient si sévères que plusieurs d’entre eux préférèrent se rendre à l’ennemi plutôt que de retourner à la cour avouer leur défaite ; ce furent ces transfuges qui initièrent les Hiong-nou à la stratégie savante. Tchao Sin en l’an 123, Tchao P’o-nou en 103, Li Ling en 99, Li Koang-li en 90 firent ainsi défection à leur patrie, les uns pour toujours, les autres pour un temps plus ou moins long. Quelle indignation excitaient en Chine ces trahisons, c’est ce que Se-ma Ts’ien apprit à ses dépens, lorsqu’il voulut défendre Li Ling.
En définitive, l’empereur Ou combattit pendant tout son règne contre les Hiong-nou, sans parvenir à les soumettre complètement ; le dangereux ennemi que ses prédécesseurs avaient déjà affronté inquiétera encore ses descendants pendant de nombreuses années. Cette lutte n’est d’ailleurs qu’un épisode du grand drame qui domine toute l’histoire de l’empire du Milieu ; avec des alternatives de succès et de revers, la Chine n’a pas cessé, pendant sa longue existence, de combattre les nomades du nord ; la conquête des Mongols au XIIIe siècle, celle des Mandchous au XVIIe peuvent nous apprendre ce que serait devenue la patrie de Se-ma Ts’ien si les Hiong-nou avaient remporté l’avantage. L’historien a eu conscience de la gravité du péril auquel résistaient les armées impériales et c’est pourquoi il a consacré une notable partie de son oeuvre à parler soit des Hiong-nou eux-mêmes, soit des généraux qui guerroyaient contre eux.
Ce n’était pas seulement par des colonnes militaires
envoyées en pays ennemi que l’empereur Ou avait cherché à détruire la puissance des Hiong-nou ; il eut recours
aussi aux moyens diplomatiques et tenta de nouer des
alliances avec les peuples qui pouvaient être disposés à
faire cause commune avec lui. Parmi ces nations étrangères, aucune ne devait être plus hostile aux Hiong-nou
que les Ta Yue-tche ; battus une première fois par le
chen-yu Mo-tou vers l’année 176 avant notre ère, ils
avaient été complètement défaits par le chen-yu Lao-chang en l’an 165 avant J.-C ; leur roi avait été tué et, de
son crâne, suivant la coutume barbare, le chef turk s’était fait une coupe à boire. Plus d’un siècle après cet
événement, quand des ambassadeurs chinois allèrent
signer un traité d’alliance avec le chen-yu Hou-han-sié,
ce fut dans le crâne de l’ancien roi des Yue-tche qu’on
but le sang pour ratifier solennellement la convention LXX-1.
Après ce désastre, les Ta Yue-tche cherchèrent leur salut dans la fuite ; ils se retirèrent d’abord dans la vallée
de l’Ili, mais ils ne tardèrent pas à en être délogés par
les Ou-suen et, recommençant un nouvel exode, ils se
portèrent vers l’ouest ; puis ils tournèrent au sud, franchirent l’Iaxartes et envahirent la Sogdiane qui appartenait alors au royaume gréco-bactrien ; cet état, connu des
Chinois sous le nom de Ta-hia, se trouvait déjà affaibli
par les attaques du roi parthe Mithridate Ier (174-136 av.
J.-C) ; il fut incapable de résister aux envahisseurs ; les
Ta Yue-tche purent refouler la population Ta-hia au sud
de l’Oxus et s’établir eux-mêmes au nord de ce fleuve ;
ils ne devaient pas tarder à le traverser pour pénétrer en
Bactriane ; ce sont eux enfin qui, au commencement du
i" siècle de notre ère, conquerront l’Inde et fonderont
le grand empire indo-scythe.
La lutte à outrance qu’avaient soutenue les Ta Yue-tche contre les Hiong-nou fut connue en Chine par les récits de quelques prisonniers turks. L’empereur Ou ne savait sans doute pas que les Ta Yue-tche avaient dû fuir jusqu’en Sogdiane et il les croyait encore établis dans la vallée de l’Ili lorsqu’il projeta de contracter une alliance avec eux contre l’ennemi commun. Il chargea de cette mission, prédestinée à l’insuccès, un certain Tchang K’ien. Tchang K’ien partit en l’an 138 avant J.-C, avec une escorte d’une centaine de personnes ; il sortit de Chine par la frontière du nord-ouest et fut presque aussitôt arrêté par les Hiong-nou qui l’envoyèrent au chen-yu Kiun-tch’en LXXI-1. Tchang K’ien feignit d’accepter de bonne grâce sa détention ; il se maria, eut des enfants et resta une dizaine d’années chez les barbares ; on cessa de le surveiller de près ; il en profita pour s’enfuir un beau jour avec ses compagnons. Se dirigeant vers l’ouest, il arriva d’abord dans le Ferganah, siège du royaume de Ta-yuan ; il y fut bien accueilli et le roi lui donna des guides qui le menèrent dans le pays de K’ang-kiu, au nord du Syr-daria ; aller de Ta-yuan dans le K’ang-kiu serait aujourd’hui passer de Kokand à Tachkend. Les gens de K’ang-kiu conduisirent Tchang K’ien dans le pays des Ta Yue-tche ; il dut donc franchir de nouveau le Syr-daria pour arriver dans les contrées situées entre ce fleuve et l’Amou-daria, à l’ouest du Ferganah. Parvenu au terme de son voyage, Tchang K’ien ne tarda pas à reconnaître qu’il n’en tirerait aucun avantage diplomatique ; les Ta Yue-tche se trouvaient bien dans leur nouvelle patrie ; ils avaient oublié leur haine mortelle contre les Hiong-nou ; ils ne se souciaient guère des Chinois, trop éloignés maintenant pour qu’une alliance avec eux fût profitable. Tchang K’ien passa un an (probablement l’année 128) chez les Ta Yue-tche et les suivit, peut-être dans une campagne qu’ils faisaient contre l’état de Ta-hia, jusqu’aux confins de ce royaume ; mais il ne put rien obtenir et dut partir après s’être heurté à une fin de non-recevoir absolue. Dans son voyage de retour, il fut de nouveau fait prisonnier par les Hiong-nou et resta dans leur pays plus d’une année ; mais en 126 avant notre ère, le chen-yu Kiun-tch’en mourut ; son frère cadet, I-tché-sié, et son fils se disputèrent le pouvoir ; I-tché-sié finit par l’emporter et prit le titre de chen-yu ; Tchang K’ien profita de ces troubles pour s’évader ; il rentra en Chine avec sa femme turke et un seul de ses cent compagnons.
Si le but particulier que s’était proposé Tchang K’ien n’avait pas été atteint, son expédition eut cependant des résultats considérables en ouvrant aux Chinois tout un monde nouveau pour eux. Se-ma Ts’ien nous a conservé, en l’abrégeant peut-être, le texte même du rapport que l’ambassadeur présenta à son souverain ; on y trouve décrits d’une manière sommaire, mais précise, les états de Ta-yuan (Ferganah), des Ou-suen (vallée de l’Ili), de K’ang-kiu (au nord du Syr-daria), de Ngan-ts’ai (steppes des Kirghiz), des Ta Yue-tche (Sogdiane), de Ngan-si (Parthie), de Tiao-tche (Chaldée ?), de Ta-hia (Bactriane). Tchang K’ien avait noté si ces peuples étaient nomades ou sédentaires ; il indiquait quelles étaient leur population et leur force militaire. Incidemment il parlait des sources du Hoang-ho et il admettait à ce sujet une assez bizarre théorie qui fut longtemps acceptée des Chinois ; selon lui, les rivières de Khoten et de Kachgar qui se réunissent pour former la rivière Tarim, étaient les véritables sources du Hoang-ho ; les eaux du lac Lop-nor, dans lequel se déverse le Tarim, devaient couler sous terre vers le sud-est et reparaître au sud du Koukou-nor à l’endroit où naît en effet le Hoang-ho. Cette conception géographique très erronée révélait du moins aux Chinois toute une région, le Turkestan oriental, sur lequel ils n’avaient eu jusqu’alors que les plus vagues notions. Tchang K’ien fit encore une autre remarque qui devait avoir une grande portée ; lorsqu’il était dans le pays de Ta-hia, il y avait trouvé avec surprise des bambous et des toiles qui provenaient des provinces chinoises connues aujourd’hui sous les noms de Yun-nan et de Se-tch’oan ; il interrogea les indigènes sur la manière dont ils se procuraient ces marchandises ; il apprit d’eux l’existence du riche et puissant pays de Chen-tou (l’Inde), à travers lequel passaient des caravanes qui apportaient les produits du sud de la Chine jusqu’en Afghanistan. Tchang K’ien conçut l’idée qu’on pourrait communiquer avec les royaumes d’Occident par une route méridionale, au lieu de s’obstiner à vouloir se frayer un chemin au nord à travers le territoire Hiong-nou.
A la suite de l’ambassade de Tchang K’ien, nous voyons la politique de l’empereur Ou s’orienter dans deux directions nouvelles : pour se mettre en rapport avec les fameux royaumes d’Occident, elle cherche d’une part à détacher des Hiong-nou les petits états qui occupaient, l’ouest du Kan-sou actuel et le Turkestan oriental ; elle tente d’autre part de s’ouvrir dans le sud le chemin de l’Inde.
Les Ta Yue-tche n’avaient pas pu rester sur les bords de l’Ili parce qu’ils en avaient été chassés par les Ou-suen qui s’étaient établis dans cette région ; or, la vallée de l’Ili, qui crée une coupure dans le système montagneux du T’ien-chan, est la grande route de Chine en Occident. Tchang K’ien fit valoir aux yeux de l’empereur que, s’il pouvait s’assurer l’amitié des Ou-suen, il n’aurait plus à craindre que ses ambassadeurs fussent arrêtés par les Hiong-nou. Ou-ti approuva ce raisonnement et, en l’an 115 avant J.-C, il envoya Tchang K’ien lui-même, escorté de trois cents hommes, pour traiter avec les Ou-suen LXXIII-1. Le plénipotentiaire chinois fit preuve dans cette nouvelle mission d’une grande habileté ; il ne put cependant parvenir entièrement à ses fins ; les Ou-suen se trouvaient alors divisés en trois factions rivales et le vieux roi, qui était à la tête de l’une d’elles, sentait son pouvoir trop affaibli pour s’allier franchement aux Han. Il se montra néanmoins très favorable à Tchang K’ien qui put déléguer quelques-uns de ses subordonnés dans le Turkestan, en Bactriane, en Parthie et jusqu’en Inde ; mais il est fort improbable que les officiers envoyés dans ces trois derniers pays y soient jamais parvenus.
Ce furent les cités du Turkestan oriental et, plus loin encore, le Ferganâh ou royaume de Ta-yuan, qui entrèrent alors en relations suivies avec les Han. Le Turkestan chinois est un désert de sable coupé par de nombreux fleuves dont les bords sont comme des oasis où toute la vie se concentre. Une telle configuration géographique prédispose ce pays au morcellement politique LXXIV-1 ; les villes qui s’élèvent sur les rives des cours d’eau sont séparées entre elles par des landes arides et restent isolées les unes des autres. Au temps des Han, chacune de ces cités était un petit royaume ; on ne comptait pas moins de trente-six états indépendants depuis Pidjan à l’est jusqu’au Belour-tagh qui limite à l’ouest, cette région. A la suite de la victoire remportée vers l’an 176 avant notre ère par le chen-yu Mo-tou sur les Ta Yue-tche, la plupart des principautés du Turkestan avaient reconnu la suprématie des Hiong-nou. Si l’empereur Ou ne réussit pas à substituer sa suzeraineté à celle de ses rivaux LXXIV-2, il parvint du moins à se mettre pendant quelque temps en relation avec les cités du bassin de la rivière Tarim ; il leur envoya des ambassadeurs ; il fit avec elles des échanges de présents. A vrai dire, il eut souvent à vaincre les difficultés que lui suscitaient les rois dont ses envoyés traversaient les territoires, Les états de Leou-lan (Pidjan) et de Kou che (Tourfan et Ouroumtsi) se montrèrent particulièrement hostiles ; en l’an 108, l’empereur se résolut à briser leur résistance ; le général Tchao P’o-nou alla donc les attaquer ; il fit prisonnier le roi de Leou-lan et vainquit celui de Kou-che ; la route de l’ouest fut dès lors débarrassée de tout obstacle.
Les Chinois purent ainsi pénétrer jusqu’au royaume de Ta-yuan ; le Ferganah et le Zarafchan étaient des contrées très florissantes. Tchang-k’ien avait parlé avec éloge de la belle race de chevaux qu’on y élevait ; l’empereur envoya plusieurs fois chercher quelques-uns de ces coursiers renommés dont on disait que la sueur était de sang. Les gens de Ta-yuan finirent cependant par se lasser des demandes des Chinois et refusèrent catégoriquement à un émissaire impérial de lui rien donner. L’envoyé s’emporta et mit en pièces le petit cheval d’or qu’il avait été chargé de donner en présent au roi de Ta-yuan ; lorsqu’il fut parti pour rentrer dans son pays, on le fit assassiner par les habitants de Yeou-tch’eng, ville située dans l’est du Ta-yuan. L’empereur Ou, en apprenant le meurtre de son ambassadeur, entra dans une grande fureur ; il avait triomphé récemment du petit état de Leou-lan et crut qu’il viendrait aussi facilement à bout du Ta-yuan ; il ordonna donc à Li Koang-li d’aller châtier ce peuple insolent ; ce général était le frère aîné de la concubine impériale Li ; la mission dont on le chargeait était un honneur ; on lui décerna par avance le titre de maréchal de Eul-che LXXV-1, Eul-che étant la capitale du royaume de Ta-yuan. Li Koang-li partit dans l’automne de l’année 104 avant notre ère ; une grande disette sévissait alors dans tout le Turkestan ; l’armée chinoise fut obligée pour s’approvisionner, de faire successivement le siège des cités qu’elle rencontrait et qui s’obstinaient à lui refuser des vivres ; elle parvint avec la plus grande peine jusqu’à cette même ville de Yeou-tch’eng où l’ambassadeur chinois avait trouvé la mort et ce fut pour essuyer sous ses murs une défaite si complète que Li Koang-li se résolut à rebrousser chemin ; après deux ans d’absence, ce général revenait, ayant perdu les huit ou les neuf dixièmes de ses soldats. L’empereur, très irrité de cet insuccès, défendit sous peine de mort à Li Koang-li et aux débris de son armée de dépasser Toen-hoang ; cette bande de loqueteux exténués fut donc obligée de rester cantonnée dans un pays sauvage à l’extrémité occidentale de l’empire. Cependant, en l’an 103, les Hiong-nou avaient infligé aux Chinois une grande défaite et le général Tchao P’o-nou s’était rendu aux barbares. On s’émut à la cour de ces insuccès répétés ; plusieurs hauts dignitaires étaient d’avis d’abandonner entièrement les expéditions dans le Turkestan et de tourner toutes les forces de l’empire contre les Hiong-nou ; mais l’empereur songeant que, s’il laissait impuni le royaume de Ta-yuan, il devrait renoncer à toute relation avec les contrées occidentales, se résolut à faire encore une tentative : en l’an 102, il envoya soixante mille hommes de renfort à Li Koang-li; celui-ci parvint cette fois, malgré les extrêmes difficultés du voyage, à atteindre la capitale du royaume de Ta-yuan ; il n’avait plus que trente mille hommes lorsqu’il arriva sous les murs de Eul-che ; il fit le siège de cette ville pendant quarante jours ; Eul-che n’avait pas de puits à l’intérieur de ses murs ; on y amenait l’eau du dehors ; les Chinois coupèrent les canaux et prirent la ville par la soif. Une révolution éclata dans la cité ; le roi Mou-koal LXXVII-1 fut assassiné et les grands officiers de l’état proposèrent à Li Koang-li d’entrer en composition ; ce général accepta leurs ouvertures ; il reçut d’eux plusieurs dizaines de chevaux excellents et trois mille chevaux ordinaires, moyennant quoi il s’engagea à ne pas entrer dans la ville. Après avoir fait nommer roi de Ta-yuan un certain Mei-ts’ai, il se retira. A son retour, il chargea un de ses lieutenants d’attaquer la cité de Yeou-tch’eng dont l’armée fut battue et le roi mis à mort. En 101, Li Koang-li revenu à la capitale, se vit récompenser de son lointain triomphe par le titre de marquis de l’Ouest des mers. Un an environ après le départ de l’armée chinoise, Mei-ts’ai fut assassiné et les gens de Ta-yuan choisirent pour leur chef un certain Chan, parent de l’ancien roi légitime Mou-koa ; cette révolte n’influa pas cependant sur les bons rapports du Ta-yuan avec la Chine ; le nouveau souverain envoya un de ses fils en otage à la cour des Han et pendant le règne de l’empereur Ou, plus de dix ambassades chinoises arrivèrent sans difficulté dans le Ferganah et le Zarafchan LXXVIII-1.
Quant aux mesures que prit l’empereur Ou pour tenter de s’ouvrir le chemin du Ta-hia en passant par l’Inde, elles sont tellement liées à la politique qu’il suivit à l’égard des pays situés au sud du Yang-tse qu’il est impossible de les en détacher. Nous avons donc maintenant à étudier la ligne de conduite que tint la Chine, à la fin du IIe siècle avant notre ère, à l’égard des populations méridionales.
Si l’empereur Ts’in Che-hoang-ti avait pu franchir le Yang-tse et faire respecter son nom jusqu’en Indo-Chine, ce triomphe avait été éphémère ; à sa mort, la rébellion éclata de toutes parts. Des immenses régions qui s’étendaient au delà du grand fleuve, les premiers souverains de la dynastie des Han occidentaux n’avaient guère conservé que les territoires correspondant aux provinces actuelles de Kiang-si et de Hou-nan et au nord de la province de Koang-tong, avec les petites parties du Kiangsou et du Ngan-hoei qui dépassent le Yang-tse. A Tch’ang-cha résidait un roi qui n’était en réalité qu’un fonctionnaire chinois. Mais à l’est et à l’ouest de cette enclave, le pays était indépendant.
A l’orient LXXVIII-2, on trouvait le long de la mer le royaume de Tong-kai (ou de Yue Tong-hai, aujourd’hui la province de Tche-kiang) et le royaume de Min Yue (aujourd’hui la province de Fou-kien) ; les princes de ces deux états étaient descendants de ce Keou Tsien, roi de Yue, qui avait été, aux temps de la dynastie Tcheou, un puissant souverain. Plus au sud, un ancien officier de Ts’in che-hoang-ti, Tchao T’o, avait fondé un grand empire, le Nan Yue, qui, bien qu’ayant sa capitale à Canton, paraît avoir compris la majeure partie de l’Indo-Chine orientale ; lui et ses descendants sont regardés par les historiens annamites comme la troisième des dynasties qui régnèrent sur leur pays ; c’est la dynastie Triêu, Triêu étant la prononciation annamite du nom de famille Tchao.
Du côté de l’ouest LXXIX-1, on rencontrait l’important royaume de Tien dont la capitale devait être située non loin du moderne Yun-nan-fou LXXIX-2. L’origine en était ancienne : le roi Wei du pays de Tch’ou, qui régna de 339 à 329 avant J.-C, avait envoyé le général Tchoang Kiao conquérir ces régions ; sur ces entrefaites, le royaume de Ts’in attaqua celui de Tch’ou et Tchoang Kiao se vit dans l’impossibilité de revenir ; il en prit assez aisément son parti, s’installa sur les bords du lac Tien et se tailla là une principauté qui s’appela, du nom du lac, le royaume de Tien. Une foule d’autres petits états s’étaient constitués dans ces contrées du sud-ouest depuis qu’elles avaient secoué le joug chinois ; les plus considérables étaient celui de Yé-lang (aujourd’hui sous-préfecture de T’ong-tse, préfecture de Tsoen-i, province de Koei-tcheou), celui de K’iong (aujourd’hui sous-préfecture de Si-tch’ang, préfecture de Ning-yuen, province de Se-tch’oan), celui de Si (aujourd’hui sous-préfecture de Ya-ngan, préfecture de Ya-tcheou, province de Se-tch’oan), celui de Tso (aujourd’hui sous-préfecture de Li-kiang, préfecture de Li-kiang, province de Yun-nan) et celui de Jan-mang (aujourd’hui préfecture secondaire de Meou, province de Se-tch’oan) ; plus au sud enfin les Koen-ming occupaient le territoire du moderne Ta-li fou, dans la province de Yun-nan.
En l’an 138 avant notre ère, le roi du Min Yue attaqua celui du Yue Tong-hai et l’assiégea dans sa capitale, Tong-ngeou (aujourd’hui Wen-tcheou-fou, non loin du bord de la mer, dans le sud de la province de Tche-kiang). Les Chinois vinrent au secours du souverain menacé et celui-ci, par reconnaissance, peut-être aussi par crainte de son trop puissant protecteur, demanda à faire partie de l’empire ; il vint s’établir avec tout son peuple entre le Yang-tse-kiang et la rivière Hoai ; le royaume de Tong-hai cessa dès lors d’exister.
En 135, le belliqueux roi du Min Yue se retourna contre son voisin du sud et envahit l’état de Nan Yue ; celui-ci réclama à son tour l’appui de la Chine. Lorsqu’ils apprirent l’approche des troupes impériales, les gens de Min Yue prirent peur ; ils tuèrent leur roi Yng et nommèrent à sa place son frère cadet Yu-chan qui implora des Chinois son pardon et l’obtint LXXX-1. Le général chinois Wang Koei profita de son succès pacifique pour envoyer un de ses officiers, nommé T’ang Mong, porter ses instructions au roi du Nan Yue LXXX-2. Ce Tang Mong se trouvait être un observateur avisé ; comme on lui donnait à manger des confitures faites avec le fruit de l’arbre appelé Hovenia dulcis, il demanda aux gens de Nan Yue comment ils se procuraient ces conserves ; on lui répondit qu’elles étaient apportées du nord-ouest par les bateaux qui descendaient le fleuve Tsang-ko ; ce fleuve, dans son cours inférieur, n’est autre que le Si-kiang qui se déverse dans la mer à Canton LXXXI-1. De retour à la capitale, Tang Mong interrogea des marchands du pays de Chou (Se-tch’oan) ; il apprit d’eux que les fruits de l’Hovenia dulcis se trouvaient dans leur pays, qu’on les exportait dans le royaume de Yé-lang (province de Koei-tcheou) et que les bateliers du Tsang-ko les faisaient parvenir jusque dans la capitale du Nan Yue (Canton). Tang Mong comprit alors l’importance qu’avait le Si-kiang ; tout comme les Européens sont aujourd’hui bien convaincus de l’utilité que ce fleuve est appelé à prendre comme voie de pénétration dans l’intérieur de la Chine et insistent pour en obtenir le libre parcours, ainsi T’ang Mong se rendit compte qu’on pourrait s’en servir pour le transport de troupes qui prendraient Canton à revers et détruiraient par une attaque imprévue la puissance du royaume de Nan Yue. Si l’ambassade de Tang Mong n’est pas aussi célèbre que celle de Tchang K’ien, elle n’en a pas moins eu des résultats considérables, car ce fut grâce aux renseignements qu’elle fournit que les Chinois devinrent maîtres de toutes les régions au sud du Yang-tse. A vrai dire, ils n’atteignirent pas ce résultat du premier coup. Sans doute l’empereur Ou prêta l’oreille aux conseils de T’ang Mong et fit des ouvertures au prince de Yé-lang pour pouvoir pénétrer à travers le Koei-tcheou jusqu’au Si-kiang. Le prince de Yé-lang se montra d’abord bien disposé ; son pays fut considéré comme territoire de l’empire et on l’appela (130 av. J.-C.) commanderie de Kien-wei LXXXII-1 d’autre part, le fameux poète Se-ma Siang-jou se rendit dans le sud du Se-tch’oan pour y faire pénétrer la civilisation chinoise. Mais des révoltes locales ne tardèrent pas à éclater sur plusieurs points en 126, sur le rapport du haut fonctionnaire Kong-suen Hong, qui avait été chargé d’inspecter ces pays, l’empereur renonça à y maintenir son autorité afin de diriger toutes ses forces contre les Hiong-nou.
En l’an 122 LXXXII-2 cependant, l’attention du gouvernement se porta de nouveau du côté du sud ; à la suite des récits de Tchang K’ien, on avait deviné la route qui mène du Yun-nan en Inde en passant par la Birmanie et on avait résolu de la tenter. Plusieurs missions se dirigèrent donc de ce côté ; mais elles furent arrêtées et quelques-unes d’elles massacrées par les barbares Koen-ming qui doivent être les ancêtres des Kashyens actuels. Ce fut à cette occasion que les Han entrèrent pour la première fois en communication avec le royaume de Tien (Yun-nan-fou) ; leurs messagers y furent d’ailleurs fort mal reçus et le roi de Tien, Tch’ang-k’iang, à qui sans doute ils vantaient la majesté impériale, leur répondit en se proclamant l’égal du Fils du ciel. On dut attendre quelques années pour châtier cette insolence.
Ce fut le royaume de Nan Yue qui obligea la Chine à intervenir de nouveau d’une manière active dans le sud. En l’an 113 avant notre ère, le roi de Nan Yue, Yng-ts’i, était mort ; son fils n’était qu’un enfant et ce fut sa femme qui exerça en réalité le pouvoir. La régente était une Chinoise que Yng-ts’i avait épousée au temps où il vivait comme otage à la cour des Han ; l’empereur profita de cette circonstance pour se créer des intelligences dans le Nan Yue ; la reine, qui était de moeurs assez légères, avait eu en Chine, avant son mariage, des relations avec un certain Ngan-kouo Chao-ki LXXXIII-1 ; ce fut cet homme même que l’empereur, avec une habileté tout orientale, choisit pour être son messager auprès d’elle. Ngan-kouo Chao-ki ne tarda pas à être de nouveau l’amant de la régente et il sut lui persuader de reconnaître la suzeraineté absolue de la Chine. Mais alors l’opinion publique s’émut dans le royaume de Nan Yue ; on s’indigna qu’une étrangère, séduite par un de ses compatriotes, fît bon marché de l’indépendance de la patrie. Le vieux conseiller Lu Kia fut l’interprète du sentiment populaire et s’éleva avec force contre les projets de la cour ; la reine tenta de le faire assassiner ; il échappa au guet-apens qu’elle avait préparé. Les Chinois envoyèrent, en l’an 112, deux mille hommes pour appuyer la régente. Alors Lu Kia se révolta ouvertement en publiant la proclamation suivante LXXXIII-2 :
« Le roi est jeune ; la régente est une Chinoise d’origine ; de plus, elle a un commerce illicite avec l’envoyé
des Han ; son seul désir est de se soumettre à l’empire,
de prendre tous les trésors de nos anciens rois et d’aller
les offrir au Fils du ciel, afin de s’attirer ses bonnes
grâces, d’emmener beaucoup de personnes à sa suite,
et, arrivée à Tch’ang-ngau (la capitale des Han), de les
retenir et de les vendre comme esclaves. Elle profite
pour elle-même d’un avantage momentané et ne se préoccupe pas des dieux tutélaires de la famille Tchao pour
faire des plans et des projets profitables à dix mille générations. »
Les rebelles, commandés par Lu Kia, tuèrent le jeune roi, la régente et tous les envoyés chinois, puis ils marchèrent contre les deux mille hommes des troupes impériales et les battirent aisément. Ils mirent sur le trône le frère aîné du roi qu’ils avaient assassiné ; c’était un certain Kien-lé, fils d’une concubine de l’ancien roi Yng-ts’i. L’empereur se vit obligé, pour venger le meurtre de ses ambassadeurs, d’entreprendre une expédition considérable ; il n’envoya pas moins de six généraux qui, par des routes différentes, se réunirent devant Canton. L’un de ces chefs d’armée suivait la voie indiquée autrefois par Tang Mong et descendait le fleuve Tsang-ko. En l’an 111, au milieu d’un incendie allumé pendant la nuit aux deux points opposés de la ville, les Chinois pénétrèrent dans Canton ; le vieux Lu Kia et le roi Kien-té qui avaient tenté de s’enfuir en mer sur une jonque furent faits prisonniers ; tout le royaume dont ils avaient inutilement voulu sauver l’indépendance devint territoire de l’empire.
Cette victoire sur le plus puissant état du sud assura aux armes impériales une suprématie incontestée. À leur retour, les Chinois purent soumettre toutes les peuplades comprises sous le nom de barbares du sud-ouest ; ils tuèrent ceux qui résistèrent et firent reconnaître aux autres leur suzeraineté. Le roi de Yé-lang (préfecture de Tsoen-i, province de Koei-tcheou) et le roi de Tien (préfecture de Yun-nan, province de Yun-nan), rendirent hommage à la cour ; toutes ces vastes régions furent transformées en commanderies de l’empire et Se-ma Ts’ien, comme nous l’avons vu plus haut (p. XXXI), fut au nombre des fonctionnaires chargés de veiller à cette réorganisation administrative. « On espérait, dit expressément l’historien Pan Kou LXXXIV-1 former ainsi le commenment d’une chaîne continue de territoires qui s’étendrait jusqu’au Ta-hia. » Cependant les ambassades qu’envoya de nouveau l’empereur pour essayer de se mettre en communication, à travers l’Inde, avec les contrées occidentales, furent derechef arrêtées par les Koen-ming (préfecture de Ta-li, province de Yun-nan) et, malgré les punitions, infligées à ces tribus turbulentes, aucun émissaire impérial ne put franchir leur pays.
Pendant la campagne contre le Nan-yue, l’attitude du roi de Tong-yue avait été louche ; il avait prétendu venir en aide aux Chinois, mais en réalité s’était tenu sur la réserve ; il avait même eu des relations secrètes avec les rebelles du Nan-yue. Aussi le général victorieux, Yang P’ou, demanda-t-il à l’empereur de parfaire son triomphe dans le sud en attaquant le Tong-yue LXXXV-1. Il n’y fut pas autorisé ; mais le roi de Tong-yue, en apprenant les dispositions hostiles de l’armée chinoise, se révolta. En l’an 110, l’empereur dut donc entrer de nouveau en campagne ; la guerre civile éclata aussitôt dans l’état de Tong-yue ; le roi fut assassiné et le parti vainqueur se rendit aux Chinois. Par une de ces mesures radicales dont était coutumière la politique des souverains de ce temps, tous les habitants du pays furent transportés au nord du Yang-tse-kiang et l’ancien royaume de Tong-yue ne fut plus qu’une contrée déserte.
Après avoir assuré sa domination dans le sud par les guerres des années 111 et 110 avant notre ère, l’empereur Ou put reporter toutes ses forces contre l’ennemi du nord ; nous avons vu quelles furent les péripéties de son long duel contre les Hiong-nou, mais il est un épisode de cette lutte que nous avons passé sous silence et qui cependant s’y rattache indirectement, car il est bien certain qu’en allant batailler dans le nord de la Corée, l’empereur avait l’arrière-pensée d’enserrer les Hiong-nou du côté de l’est LXXXV-2, comme il essayait de les enfermer du côté de l’ouest en établissant son influence dans la vallée de l’Ili. Lorsque l’empereur était monté sur le trône, il avait trouvé sur sa frontière nord-est, dans un territoire qui occupait la presqu’île du Leao-tong et le nord-ouest de la Corée, un état indépendant appelé Tch’ao-sien. Au commencement du IIe siècle avant notre ère, un certain Wei-man avait profité des des troubles qui agitèrent les premières années de la dynastie Han, pour se tailler là une principauté. Il avait établi sa capitale à Wang-kien (aujourd’hui P’ing-jang) LXXXVI-1, au bord de la rivière Pei (aujourd’hui appelée fleuve Ta-t’ong, en Corée). Il s’était reconnu vassal des empereurs de Chine mais s’était gardé de remplir aucune des obligations qu’il avait de ce chef ; son fils, et après lui son petit-fils, Yeou-k’iu, tinrent la même conduite. En l’an 109 avant notre ère, l’empereur Ou envoya Ché Ho inviter Yeou-k’iu à de meilleurs sentiments ; l’ambassadeur ne put rien obtenir ; furieux de sa déconvenue et craignant la colère de son maître, il tua traîtreusement un prince de Tch’ao-sien qui l’escortait et revint annoncer à la cour qu’il avait mis à mort un général ennemi ; il fut nommé gouverneur de la partie orientale du Leao-tong en récompense de sa prétendue prouesse. Mais alors le roi Yeou-k’iu se révolta ; il attaqua et tua Ché Ho. L’empereur résolut de le punir ; il envoya une armée de terre et une flotte pour investir la capitale du Tch’ao-sien. Le siège dura longtemps : des dissentiments s’élevèrent entre le chef de la flotte et le général des troupes de terre ; celui-ci finit par arrêter son collègue et par s’arroger le commandement de toutes les forces impériales ; chez les assiégés aussi des divisions éclatèrent ; le roi fut assassiné en l’an 108 avant notre ère ; un capitaine qui voulut continuer la résistance n’eut pas assez, d’autorité pour s’imposer aux partisans de la paix ; enfin après une lutte de plus d’une année pendant laquelle se donnèrent carrière toutes les intrigues et les fourberies orientales, la ville se rendit. Le Tch’ao-sien devint territoire chinois.
Les guerres dont nous venons d’esquisser l’histoire furent, somme toute, glorieuses. Elles reculèrent fort les limites de l’empire ; le territoire chinois reçut pendant cette période les accroissements suivants : en 127, la commanderie de Cho-fang (au delà du fleuve Jaune, à l’angle ouest du grand contour que fait ce cours d’eau dans le nord de la province de Chàn-si); en 125, la commanderie de Si-ho (à l’angle est de ce même grand contour, entre le fleuve Jaune et la Grande Muraille) ; en 115, les commanderies de Tsieou-ts’iuen (aujourd’hui préfecture de Sou-tcheou, province de Kan-sou) et de Ou-wei (ancien territoire de la tribu Hieou-tch'ou; aujourd’hui préfecture de Leang-tcheou, province de Kan-sou) ; en 111, les commanderies de Tchang-yé (ancien territoire de la tribu Hoen-sié ; aujourd’hui préfecture de Kan-tcheou, province de Kan-sou) et de Toen-hoang (aujourd’hui sous-préfecture de Toen-hoang, préfecture secondaire de Ngan-si, province de Kan-sou). — Au sud, l’ancien royaume de Nan Yue forma, en l’an 111, neuf commanderies, à savoir, dans ce qui est aujourd’hui la Chine propre, celles de Nan-hai (aujourd’hui Canton, province de Koang-tong), de Ts’ang-ou (aujourd’hui sous-préfecture de Ts’ang-ou, préfecture de Ou-tcheou, province de Koang-si), de Yu-lin (sous-préfecture de Koei-p’ing, préfecture de Siun-tcheou, province de Koang-si), de Ho-p’ou (aujourd’hui sous-préfecture de Hai-k’ang, préfecture de Lei-tcheou, province de Koang-tong), — dans l’Indo-Chine française, les commanderies de Kiao-tche (aujourd’hui Hanoï), de Kieou-tchen (aujourd’hui Thanh-hoa) et de Je-nan (aujourd’hui Koang-nam), — enfin, dans l’île de Haï-nan, les commanderies de Tchou-yai (au nord de l’île) et de Tan-cul (comprenant le sud et le centre de l’île). — En cette même année 111, les victoires remportées sur les barbares du sud et du sud-ouest permirent de créer les commanderies de Ling-ling (au sud-ouest de l’actuel Ts’iuen-tcheou, pré- fecture de Koei-lin, province de Koang-si), de Tsang-ko (ancien territoire du marquis de Ts’ie-lan, aujourd’hui préfecture secondaire de P’ing-yue, province de Koei-tcheou), de Tch’en-li (ancien territoire de la principauté de Tso, aujourd’hui sous-préfecture de Li-kiang, préfecture de Li-kiang, province de Yun-nan), de Yue-soei (ancienne principauté de K’iong, aujourd’hui sous-préfecture de Si-tch’ang, préfecture de Ning-yuen, province de Se-tch’oan), de Min-chan (ancienne principauté de Jan-mang, aujourd’hui préfecture secondaire de Meou, province de Se-tch’oan) et de Ou-tou (ancienne principauté de Po-ma, à l’ouest de l’actuelle sous-préfecture de Tch’eng, préfecture secondaire de Kié, province de Kan-sou). — En l’an 109, les commanderies de I-tcheou (ancien royaume de Tien, aujourd’hui préfecture secondaire de P’ou-ning, préfecture de Yun-nan, province de Yu-nan) et de Kien-wei (aujourd’hui sous-préfecture de I-pin, préfecture de Siu-tcheou, province de Se-tch’oan) complétèrent la réorganisation des contrées du sud. — Enfin en l’année 108, après la défaite du royaume de Tch’ao-sien, on établit les quatre commanderies de Lo-lang (aujourd’hui district de P’ing-jang ou Hpyeng-yang, en Corée), de Hiuen-i ou) aujourd’hui Hien-hing ou Ham-heng, dans le nord de la côte est de la Corée), de Lin-t’oen (au sud-ouest de P’ing-jang ? et de Tchen-fan (dans le nord-ouest de la Corée ?).
LXIII-1. D’après les Mémoires historiques, chap. CX, p. 4 v°, ils étaient limitrophes de la commanderie de Tai ( 代 ) dont le centre est l’actuel Yu-tcheou 蔚州 , au sud de Siuen-hoa-fou 宣化府 . dans la
province de Tche-li, et ils touchaient à la commanderie de Yun-tchong 雲中 , qui correspond à la préfecture actuelle de Yu-lin 榆林府 , au pied de la Grande Muraille dans le nord de la province de Chàn-si : nous voyons d’autre part, dans les récits des expéditions que les Chinois dirigèrent contre eux, qu’ils dominaient aussi
dans toute la région du lac Barkoul.
LXIV-1. D’Ohsson, Histoire des Mongols, t. I, p. 14.
LXV-1. Ts’ien Han chou, chap. XCIV, 2* partie, p. 4 v°. Cf. d’Ohsson,
Histoire des Mongols, t. I, p. 81.
LXVI-1. W. Radloff, Das Kudaktu Bilik des Jusuf chass-haschib aus Bàlasagun (Saint-Pétersbourg, 1891), Theil I, p. tviii.
LXVI-2. Ts’ien San chou, chap. XCIV, lr 6 partie, p. 4 v° .Cette phrase est une addition importante de Pan Kou au texte de Se-ma Ts’ien qu’il copie cependant assez fidèlement dans toute la première partie de ce chapitre.
LXVI-3. Cf. Kingsmill, Journ. of the China Branch of the Roy. As, Society, vol. XXVI, p. 122.
LXVI-4. Voir le texte de cette stèle dans la brochure de M. G. Schîegel :
La stèle funéraire du Téghin Giogh..., Leyde, 1892 (extrait du Journal
de la Société finno-ougrienne de Helsingfors) et dans la 2e livraison
de la publication de M. Radloff, Die alttûrkischen Inschriften der
Mongolei.
LXVII-1. Le fils du roi de Hieou-tch’ou, Kin Mi-ti, prisonnier à la cour
de Chine, adorait l'image de sa mère. L'idolâtrie de son père n'était sans doute pas différente. Cf. La sculpture sur pierre en Chine au temps des deux dynasties Han, p. 26.
LXX-1. Ts’ien San chou, chap. XCIV, 2e partie, p. 4 v°.
LXXI-1. Le chen-yu Kiun-tch’en avait succédé en 161 avant J.-C. à son
père, le chen-yu Lao-chang.
LXXIII-1. Mémoires historiques, chap. CXXIII, p. 9 et suiv.; — Ts’ien Han chou, chap. LXI, p. 3 v° ; — chap. XCVI, 2° part, p. 1 v° ; — Tongkien kang mou, 2e année Yueng ting.
LXXIV-1. Cf. Richthofen, China, t. I, p. 28-29.
LXXIV-2. Ce ne fut qu’en l’an 59 avant J.-C. que Tcheng-ki fut nommé gouverneur du Turkestan,
LXXV-1. M. Terrien de Lacouperie a proposé {Babylonian and Oriental Record, t. VII, p. 84, note 955) de lire Ni-che au lieu de Eul-che le nom de cette ville qui s’écrit 貳師 et il retrouve dans les chevaux de Ni-che les fameux coursiers niséens dont parlent plusieurs auteurs grecs, notamment Hérodote et Strabon. Quelque ingénieuse que soit cette explication, elle ne me paraît pas admissible. Si le mot 貳 se prononce ni dans quelques très rares occasions (le Dictionnaire de K’ang-hi n’indique pas cette prononciation), les commentateurs ont le soin de le faire remarquer et, dans le cas présent, ils restent muets ; mais à supposer même qu’on dût dire Ni-che au lieu de Eul-che, serait-on en droit d’identifier Ni-che avec la Nμσαια de Strabon ? C’est ici une question de méthode ; M. Terrien de Lacouperie croit que, lorsqu’il a signalé deux noms de sons similaires, il a démontré leur identité ; pour ma part, au contraire, je pense que ces analogies phonétiques ne peuvent servir qu’à confirmer des rapprochements autorisés au préalable par des faits et qu’elles n’ont jamais en elles-mêmes une force probante suffisante ; la Nμσαια de Strabon se trouvait à l’extrémité sud-ouest de l’Hyrcanie, c’est-à-dire fort au sud de l’Oxus et à une grande distance du Ferganah ; peut-on placer dans ce pays la ville de Eul-che ? La marche à suivre pour résoudre ce problème me paraît être de chercher si quelque texte peut nous éclairer sur la position de cette cité. Le livre des T’ang (T’ang chou, chap. CCXXI, 2e partie, p. 2 r°) dit : « Le Ts’ao oriental est appelé parfois des quatre noms suivants : Choai-tou-cha-na, Sou-toei-cha-na, Kie-pou-tsiu-na ou Sou-tou-che-ni : il se trouve au nord des monts Pouo-si ; c’est le territoire de la ville de Eul-che au temps des Han. .
Le pays de Ts’ao de l’époque des Tang est bien connu ; il faisait partie de la confédération de huit cités qui se groupait sous l’autorité du prince de Samarkand (cf. ma traduction des Voyages de I-tsing, p. 74). Il se divisait
lui-même en quatre petits états secondaires dont l’un était appelé le
Ts’ao oriental ; le Ts’ao oriental, comme nous l’apprenons par ce texte,
était aussi appelé Choai-tou-cha-na ; sous les transcriptions diverses
que l’histoire des T’ang donne de ce nom (la transcription Kié-pou-tsiu-na est mise ici par erreur,- car elle représente le Kaboutan ou
Ts’ao occidental), on reconnaît le Sou-lou-li-se-na de Hiuen-tchoang.
M. Vivien de Saint-Martin (Hiuen-tchoang, t. III, p. 279) identifie
Satrouchna ou Osrouchna, comme l’appellent les historiens musulmans, avec la localité actuelle d’Oura-tépé sur la route de Khodjend à
Samarkand. Là devait donc être située la ville de Eul-che qui était la
capitale du royaume de Ta-yuan, puisque le roi y résidait (ce n’est
que plus tard que la capitale devint la ville de Koei-chan).
LXXVII-1. M. Terrien de Lacouperie veut voir dans ces deux mots la transcription du nom grec Mégas. C’est possible, mais ce n’est pas
prouvé.
LXXVIII-1. Tout ce qui précède est tiré du chapitre CXXIII des Mémoires historiques.
LXXVIII-2. Pour ce qui concerne les royaumes de Tong-hai ou Yue Tong hai et de Min-yue, voyez le chap. CXIV des Mémoires historiques. Pour l’histoire du royaume de Nan Yue, voyez le chap. CXIII.
LXXIX-1. Cf. chap. CXVI des Mémoires historiques.
LXXIX-2. D’après le grand ouvrage sur le Yun-nan publiée en 1807 par Che Fan 師範 , sous le titre de Tien-hi 滇繫 (chap. 1, 1ere partie, p. 10 v°), Tchoang Kiao avait établi sa capitale à Tsiu-lan-tch’eng 苴蘭城 , à environ 5 kilomètres au nord du moderne Yun-nan-fou.
LXXX-1. Mémoires historiques, chap. CXIV, p. 1 v°.
LXXX-2. Id., chap. CXVI, p. 1 v°.
LXXXI-1. Les géographes européens considèrent que le Si-kiang prend sa
source dans la province de Yun-nan, à peu de distance au sud du lac de Tien ; ils regardent la rivière P’an 盤 qui a sa source dans la
province de Koei-tcheou et se réunit au Si-kiang en amont de Tong-lan 東蘭 , comme un affluent de gauche du Si-kiang ; de même, la
rivière Yu 灪 qui arrose la préfecture de Nan-ning 南寧 ; dans
le Koang-si et se réunit au Si-kiang à Siun-tcheou 潯州 , est, à leurs
yeux, un affluent de droite du Si-kiang. Pour les géographes chinois,
la rivière P’an est le cours supérieur du Tsang-ko ; comme, d’autre
part, ils marquent une communication entre le Si-kiang et la rivière Yu à travers le territoire de la préfecture de Se-ngen 思恩 , c’est
la rivière Yu qui est pour eux la continuation du Tsang-ko ; enfin, à
partir de Siun-tcheou-fou, le Tsang-ko se confond avec le Si-kiang
(cf. T’ong kien tsi lan, chap. XV, p. 15 r°).
LXXXII-1. Ainsi on donna d’abord le nom de commanderie de Kien-wei au territoire de Yé-lang, c’est-à-dire à la préfecture actuelle de Tsoen-i dans le Koei-tcheou. Mais, en l’an 109, le nom de Kien-wei fut attribué à la contrée qui correspond aujourd’hui à la préfecture de Siu tcheou 敘州 , dans le Se-tch’oan (cf. Li tai t'ong kien tsi Lan, 5e année Yuen koang).
LXXXII-2. Mémoires historiques, chap. CXVI, p. 2 r°. Le Ts’ien Han chou,
chap. LXI, p. 2 V, donne la date 123 avant J.-C.
LXXXIII-1. Mémoires historiques, chap. CXIII, p. 2 v°.
LXXXIII-2. Mémoires historiques, chap. CXIII, p. 3 r°.
LXXXIV-1. Ts’ien Han chou, chap, LXI, p. 4 r°.
LXXXV-1. Mémoires historiques, chap. CXIV, p. 2 r°.
LXXXV-2. Cette opinion est énoncée par Lieou Hin ( 劉歆 ) cité par Siu-song ( 徐松 ) dans son excellent commentaire du chapitre XCVI du
Ts’ien Han chou, publié en 1829 (2e partie, p. 31 r°).
LXXXVI-1. P’ing-jang fut aussi la capitale de l’état de Kao-li 高驪 , au temps de la dynastie Tang.