Mémoires de la société géologique de France/1re série/Tome I/9


N. IX.


DESCRIPTION


DU TERRAIN DE TRANSPORT A OSSEMENS


DU VAL D’ARNO SUPÉRIEUR (TOSCANE),


PAR M. CH. BERTRAND-GESLIN,
MEMBRES DE PLUSIEURS SOCIÉTÉ SAVANTES..



Cette vallée[1], si célèbre depuis longues années par la grande quantité d’ossement fossiles qu’on y a découverts et qu’on y découvre encore journellement, est le lieu en Italie où le terrain de transport se présente avec le plus de puissance, de netteté, et est le mieux circonscrit.

Aussi cette vallée a-t-elle, par ces motifs, attiré l’attention des naturalistes qui ont écrit sur l’Italie, plus que toute autre localité de même époque géognostique.

Je vais citer les principaux faits observés, et les principales opinions émises jusqu’à ce jour sur la formation de ce terrain meuble à ossemens.

Parmi les observateurs qui ont décrit cette localité, M. Targioni Tozzetti a le premier remarqué, en 1742 (Viaggi per la Toscana, t. VIII, p. 287 et suivantes), que les matériaux du terrain meuble à ossemens du val d’Arno supérieur étaient de même nature que les roches des montagnes environnantes ; qu’il n’y avait que des coquilles d’eau douce dans ce terrain, et non des coquilles marines, comme dans celui du val d’Arno inférieur.

Il pense que le val d’Arno supérieur a été jadis un grand lac dans lequel les affluens fluviatiles ont déposé les cailloux roulés, les sables et les argiles ; et que ces dépôts ont cessé dans cette vallée, lorsque les eaux de ce lac ont coupé la digue de Regnano. Quarante-sept ans plus tard, en 1789, les observations que M. Soldani fit dans le val d’Arno supérieur l’ont conduit à émettre sur l’origine du terrain meuble de cette vallée les mêmes idées que M. Targioni. (Testacæographiæ ac zoophytographiæ parvæ et microscopique, p. 118, chap. XVI, tome 2).

Après de si justes et si précises opinions, il paraît surprenant que M. Dolomieu, en 1791, ait regardé le terrain meuble du val d’Arno supérieur comme de même nature et de même formation que celui du val d’Arno inférieur et des environs de Sienne, lorsqu’il dit (Journal de physique, tom. 39, p. 310) : « Les ossemens sont à la base des collines d’argile dans le val d’Arno, et les environs de Sienne ; au-dessus viennent des bois bituminisés recouverts par des couches de coquillages marins, etc. » — M. Santi s’exprime de la même manière.

M. Nesti, professeur de zoologie au Musée d’histoire naturelle de Florence, dans ses intéressans Mémoires publiés en 1808, 1811, 1820, 1825, 1826, s’occupe plus particulièrement de descriptions zoologiques des ossemens fossiles trouvés dans le val d’Arno supérieur ; et pour ce qui regarde la géologie de cette contrée, il cite et admet les opinions de M. Targinni.

Enfin M. Brocchi regarde les collines du val d’Arno supérieur comme de même nature que celle du val d’Arno inférieur, du val d’Éra et du Siennois ; il n’est pas surpris qu’on ne trouve pas de coquilles marines dans le val d’Arno supérieur comme dans les autres localités, vu que tous les lieux dans la mer ne sont pas propres à la production des coquilles (conchyliologia subapennina, tome I, pag. 134 et 135). Il pense que le val d’Arno supérieur a été un golfe (tom. I, p. 126), et que les animaux mammifères y ont été charriés par les affluens qui s’y rendaient (tome I, pag. 204).

Ainsi, d’après les faits et les opinions émises sur le val d’Arno supérieur, on voit que, parmi ces naturalistes, les uns croient ce terrain meuble déposé par des eaux fluviatiles dans le fond d’un lac, et les autres le regardent comme d’origine marine, de même que les collines du Siennois, du Plaisantin et du Parmesan, etc.

Avant d’entrer dans les détails géognostiques relatifs à ce terrain, je vais donner un aperçu topographique de la vallée qui le contient.

On appelle, en Italie, val d’Arno supérieur la vallée que suit l’Arno depuis sa source au monte Falterona, sommet de l’Apennin, jusqu’à Florence. Cette vallée, qui peut avoir vingt lieues de longueur, offre trois directions différentes.

Partant de la chaîne centrale de l’Apennin, elle se dirige d’abord du N.-O. au S.-O. depuis Stia jusqu’à Ponte-Caliano. Après ce lieu, elle tourne vers le sud jusqu’à Ponte-Buriano. Là, trouvant l’extrémité de la chaîne de monte Grossi, elle se dévie à droite, reprend une direction parallèle à la première, laquelle est du S.-E. au N.-O. jusqu’à Florence.

Cette vallée présente plusieurs bassins étendus. (Voy. la carte, pl. XIII.) En partant de sa naissance, elle forme un vaste bassin presque circulaire de cinq lieues de diamètre appelé Casentino, circonscrit au fond par la chaîne centrale de l’Apennin ; à gauche, par le rameau de la Vernia, qui sépare le val d’Arno de celui du Tibre ; à droite, par un autre rameau sur lequel est la Chartreuse de Vallombrosa. Ce bassin se referme à Santa-Mamma. À partir de ce lieu, la vallée est très resserrée ; l’Arno coule entre des montagnes élevées jusqu’à Ponte-Caliano.

Le second bassin, fermé par la prolongation de la chaîne de la Vernia, et par les extrémités de celle de Monte-Grossi et de Vallombrosa, commence un peu au-dessous de Ponte-Caliano à Castel Novo, s’étend jusqu’à la ville d’Arezzo, d’où il a tiré le nom d’Aretino, et se termine à Ponte-Romito.

À ce pont, la vallée se resserre de nouveau jusqu’au bourg de Levane ; l’Arno s’est ouvert, dans le pied de la chaîne de Vallombrosa, un passage fort étroit et très encaissé d’une lieue de longueur, qui est appelé val del Inferno.

Enfin le troisième bassin, compris entre les chaînes de Vallombrosa et de Monte-Grossi, part de Levane, se resserre un peu à l’Incisa, et va se terminer à Ponte-Regnano. Ici l’Arno entre dans une gorge étroite et profonde, taillée dans des montagnes ; très élevées, laquelle va s’ouvrir dans la plaine où est située Florence.

Telles sont les diverses dispositions topographiques que présente le val d’Arno supérieur ; dispositions que j’ai cru nécessaire de signaler ici, afin de faire mieux connaître le gisement du terrain de transport dans cette vallée.

En outre, il ne sera pas inutile de parler d’une manière générale des roches composant les chaînes qui circonscrivent les trois bassins décrits ci-dessus.

Dans le bassin supérieur (le Casentino) la grande chaîne de l’Apennin est de grès secondaire (macigno). Le versant ouest de la chaîne de la Vernia présente des calcaires secondaires marneux et argileux, inclinant au S.-O. de 30°, reposant sur des argiles bleues puissantes. Ces calcaires passent sur la rive droite de l’Arno, au-delà de Poppi, et descendent jusqu’à Santa-Mamma.

Le rameau de Vallombrosa, sur la droite de l’Arno, paraît entièrement formé de grès secondaire (macigno), ainsi que celui de la Vernia, à partir de Santa-Mamma jusqu’à Arezzo. L’inclinaison générale de ces roches est de 20 à 25° au S.-O.

Ces mêmes grès secondaires (macigno) des chaînes de Vallombrosa et de la Vernia entourent aussi les bassins d’’Arezzo et de Figline, et se montrent au val del Inferno en couches inclinées de 30 à 80° au S.-E., presque perpendiculaires et opposées au cours de l’Arno. La chaîne de Monte-Grossi est formée à sa base de ces mêmes grès (macigno), et à sa partie supérieure d’un calcaire secondaire incliné au S.-O. de 30°, et se relevant contre le val d’Arno. Ce même calcaire secondaire, fait à l’Incisa un barrage que l’Arno a coupé. Les grès macigno alternant avec des calcaires, forment la gorge que suit l’Arno depuis Ponte-Regnano jusqu’à la plaine de Florence. (Voy. la carte, pl. XIII.)


De l’étendue et de l’aspect du terrain de transport.

On pourrait croire, au premier aperçu, que le dépôt du terrain de transport, dans le val d’Arno supérieur, concorderait avec la configuration physique de cette vallée. Mais il n’en est pas ainsi, car ce terrain ne s’est pas déposé également dans les trois grands bassins que j’ai mentionnés ci-dessus. Il n’en existe aucune trace dans celui du Casentino. Ce terrain commence donc à se montrer à Borgo San-Giovi, à l’entrée du bassin d’Arezzo, le constitue en entier, ainsi que celui de Figline, et va se terminer à une lieue au-dessous de l’Incisa, un peu avant Ponte-Regnano.

Le niveau général le plus élevé auquel atteint ce terrain de transport dans toute l’étendue de la vallée, est appelé par les gens du pays, Pian di Sopra, tandis qu’ils nomment Pian di Sotto la vallée inférieure, dans laquelle l’Arno coule actuellement. Il y a donc dans les bassins d’Arezzo et de Figline deux vallées, l’une supérieure qui est l’ancienne, et l’antre inférieure qui est la nouvelle.

En effet, il est facile de concevoir qu’après le dépôt du terrain de transport dans cette vallée, les digues de Ponte-Regnano et de l’Incisa s’étant ouvertes, l’Arno, descendant du bassin du Casentino et coulant à la surface de ce terrain meuble, n’a pas tardé à le raviner et à s’y creuser une large et profonde vallée. Cette destruction du terrain de transport, par le cours de l’Arno actuel, a été augmentée par tous les torrens latéraux descendant des chaînes secondaires environnantes, et qui sont venus s’y creuser de petites vallées ou coupures très profondes perpendiculaires à la grande vallée de l’Arno actuel. Ce sont ces torrens qui détruisent journellement le terrain de transport, mettent à découvert les ossemens fossiles qu’il recèle, et permettent d’en faire une récolte abondante.

Ces vallées ou gorges latérales étant fort nombreuses et très profondes, surtout sur la rive droite de l’Arno, m’ont offert un grand nombre de coupes de superpositions de couches, parmi lesquelles je décrirai plus tard et séparément les neuf plus intéressantes.

Je me bornerai à exposer ici les principaux résultats que m’ont présentés ces diverses coupes ; je suivrai, autant que possible, la marche des dépôts de transport, par conséquent je descendrai le cours de l’Arno depuis Arezzo jusqu’à Regnano.


De la nature du terrain de transport dans les bassins d’Arezzo, de Figline, et l’Incisa.


Bassin d’Arezzo.

Le terrain de transport qui dans le bassin d’Arezzo commence à Borgo San-Giovi (Voy. la carte pl. XIII), où il repose sur le grès macigno, est généralement composé, comme on le voit au lieu dit Montione, dans le torrent du Castro, à une lieue au N.-O. d’Arezzo, d’une masse de six à huit toises de puissance de cailloux roulés (gros au plus comme la tête) de calcaire secondaire, et de grès macigno, entremêlés de gros sable, et déposés confusément. Des ossemens fossiles sont dispersés à la partie inférieure de cette masse de cailloux, qui se termine quelquefois par des bancs de sable jaune, et repose sur des argiles bleues micacées. Ces argiles contiennent à leur partie supérieure quelques ossemens fossiles et un banc horizontal de lignite tourbeux schisteux avec quelques lymnées.

Ce lignite, qui paraît avoir été formé dans ce lieu à la manière des tourbes, est le seul que j’aie vu dans tout le val d’Arno supérieur, formant une couche régulière, acquérant trois pieds de puissance à l’embouchure du torrent Ortali, dans celui du Castro.

Cette formation de cailloux roulés, supérieure à l’argile bleue, présente dans les environs d’Arezzo, quelques exceptions qu’il est bon de noter. Lorsqu’elle n’a que quelques pieds de puissance ; elle n’est composée que de sables jaunes et gris micacés avec bancs de cailloux roulés peu puissans, peu étendus, très contournés, s’entremêlant irrégulièrement ; de sorte que cette formation parait avoir été déposée par des eaux fort agitées.

Dans ce bassin d’Arezzo, les ossemens fossiles se trouvent, surtout à partir du pont Malspino, jusqu’à l’embouchure du Castro dans la Chiana.

Cette formation de cailloux roulés repose et se termine sur le grès secondaire (macigno) du côté du sud, dans le lit de la Chiana, au lieu appelé Chiusa dei Monaci, à une lieue d’Arezzo ; et du côté du nord, sur la rive droite de l’Arno, à Ponte Buriano ; tandis qu’entre ces deux limites elle suit la rive droite de la Chiana et repose sur l’argile bleue micacée.

À la Chiusa dei Monaci, la Chiana quitte le niveau du val di Chiana, et fait une chute perpendiculaire de quarante pieds, pour entrer dans le val d’Arno.

À partir de la rive gauche de la Chiana, les cailloux roulés sont remplacés par des sables jaunes micacés, très ravinés, reposant sur les argiles bleues, et formant de petits monticules, jusqu’au bourg de Levane, placé près de l’Arno, dans le pian di Sotto ; tandis que sur la rive droite de l’Arno, depuis Ponte-Buriano jusqu’à Laterina, on suit pendant une lieue une plaine presque horizontale, qui forme le pian di Sopra. Cette plaine, élevée de cent et quelques toises au-dessus du niveau de l’Arno actuel, quoique traversée de quelques torrens, donne une idée assez exacte de l’aspect que présentait ce dépôt de transport avant que l’Arno soit venu s’y creuser un lit profond. Vers le milieu de cette plaine les cailloux roulés diminuent de puissance, tandis que les sables jaunes en acquièrent une très grande.

Un mille avant Laterina, au palais de Monte-Solio, on revoit un monticule de grès macigno qui perce le terrain de transport. La ville de Laterina est placée sur un grand escarpement de ce terrain, qui présente, en allant de cette ville vers le ponte Romito, des sables jaunes puissans, dégradés en monticules coniques, recouvrant la formation de cailloux roulés, avec amas et lits de sable et d’argile bleue ; ces cailloux roulés reposent sur l’argile bleue micacée inférieure. Les sables jaunes supérieurs viennent recouvrir le grès macigno du ponte Romito, à l’entrée du val del Inferno, lequel termine le bassin d’Arezzo.

Je n’ai pas eu occasion de rencontrer des ossemens fossiles dans les environs de Laterina ; je pense qu’en y faisant des recherches on en rencontrerait comme sur la rive droite de la Chiana.


Bassin de Figline.

Le terrain de transport, dans ce second bassin, se présente à peu près de la même manière que dans celui d’Arezzo ; en effet, dans les environs du château de Castiglion-Ubertini (rive droite de l’Arno), il est formé de sables jaunes recouvrant une masse très puissante de cailloux roulés, calcaires et psammitiques, mêlés de sable grossier avec lits et amas de sable et ossemens fossiles, disséminés irrégulièrement à sa partie inférieure. En venant de ce château au bac de Levane ou del’ Inferno, les cailloux roulés recouvrent l’argile bleue inférieure avec ossemens, laquelle repose sur le grès macigno du val del’ Inferno.

Au-dessus de la ville de Terra-Nova, la vallée de la Brégna présente de grands escarpemens de sable jaune argileux avec bancs puissans de cailloux roulés, qui alternent avec des lits de sable jaune et des argiles bleues.

Si l’on remonte cette vallée vers le bourg de Penna, c’est-à-dire vers le bord nord du bassin, les cailloux roulés deviennent très gros et dominans et les sables très argileux en approchant de ce bourg, placé sur la cime des escarpemens, par conséquent dans l’ancienne vallée ou pian di Sopra.

De Penna, se dirigeant vers le bourg de Loro, situé sur le pied de la chaîne de grès macigno de Vallombrosa, la formation de cailloux roulés calcaires et psammitiques devient de plus en plus puissante ; elle acquiert depuis dix jusqu’à quinze toises. Ces cailloux sont de plus en plus gros et mêlés de blocs énormes de psammite macigno, peu roulés, et de sable jaune argileux. En entrant au bourg de Loro, ces gros cailloux roulés reposent sur le grès macigno incliné de 30° à l’ouest. Loro est le point le plus élevé auquel soit arrivé le terrain de transport. D’après les observations barométriques de M. Inghirami, la sommité du clocher de Loro est à 174 toises au-dessus de la mer. Il est à remarquer qu’on ne trouve pas d’ossement fossiles parmi ces gros cailloux roulés.

Venant de Loro à Castel-Franco, avant le palais de Certignano, le terrain de gros cailloux roulés repose sur le grès macigno. Après ce lieu, pour arriver à Castel-Franco, on redescend du terrain secondaire dans l’ancienne plaine horizontale de transport (Pian di Sopra), dans laquelle est bâti Castel-Franco.

Au-dessous de cette ville, du côté du S.-O., le terrain de transport est traversé de ravins très profonds dirigés du N.-O. au S.-E., par conséquent, parallèles au cours de l’Arno. Ces ravins offrent des escarpemens de plus de cent pieds de hauteur, ouverts dans des sables jaunes, avec cailloux roulés à leur partie supérieure, et bancs d’argile bleue à l’inférieure. Ces sables jaunes reposent encore ici sur des argiles bleues micacées, puissantes, qui, je pense, sont les plus inférieures, car, d’après ce que j’ai appris, on y trouve, ainsi que dans les sables jaunes, des ossemens fossiles. De Castel-Franco, descendant à Faella, situé dans la nouvelle vallée de l’Arno (pian di Sotto), on traverse des monticules de sables jaunes sans cailloux roulés ; ainsi l’on voit que plus on s’avance vers le centre du bassin, plus les cailloux roulés tendent à disparaître et les sables purs à dominer.

Après le bourg de Faella, sur la rive gauche du torrent (borro) de ce nom, est la ferme (poderia) del Sacchetto di Sotto, situé, à un tiers de lieue de la rive droite de l’Arno, au milieu de petites collines riches en ossemens fossiles et qui font partie de la nouvelle vallée de l’Arno (pian di Sotto).

Derrière cette ferme, un peu au N.-E., un de ces monticules, appelé Poggio del Sacchetto, est composé de couches de sables rougeâtres, ferrugineux, reposant sur des argiles bleues micacées. Les ossemens sont déposés sur plusieurs plans à la partie moyenne et inférieure de ces sables, ainsi qu’à la partie supérieure des argiles bleues ; mais ils y sont moins abondans que dans les sables.

À un tiers de lieue à l’E.-N.-E. du poggio del Sacchetto, se trouve le poggio Rosso, semblable à celui del Sacchetto, à l’exception que les sables jaunes renferment à leur partie inférieure quelques lits d’argile bleue, sableuse ; Les os y sont également abondans. Il y a encore plus haut vers le N.-E., lespoggi del Borrone, de Montalpero et dei Vallinelli, riches en fossiles, et composés des mêmes sables et argiles bleues, décrits dans les poggi del Sacchetto et Rosso. Relativement au gisement et à la manière d’être de ces fossiles dans ces divers monticules (poggi), je ne puis partager complètement les idées de M. le professeur Nesti de Florence (voyez les divers mémoires de ce savant, cités ci-dessus) sur la réunion fréquente des os d’un même animal ; c’est au contraire pour moi un cas exceptionnel, car M. Nesti ne cite que trois squelettes plus ou moins entiers, tandis que le musée de Florence possède une immense quantité d’os de différens mammifères trouvés isolés. Ainsi je crois donc nécessaire d’entrer dans quelques détails sur ce que j’ai pu observer par moi-même et appris du guide Pieralli, qui depuis bien des années recherche et déterre les ossemens pour le musée de Florence.

Les os fossiles dans ces divers monticules sont généralement, comme je l’ai dit ci-dessus, disposés sur plusieurs plans ou étages horizontaux. On trouve rarement des os isolés entre ces étages. Les os d’un étage sont dispersés et jetés à côté les uns des autres, le plus souvent écrasés, pénétrés d’oxide de fer, qui en tapisse les cavités sous forme de petits globules. Ils sont aussi fracturés ; dans ce cas les morceaux détachés sont rarement ensemble. Quelques uns de ces os sont roulés et entourés d’un sable ferrugineux grossier. Les animaux entiers y sont très rares ; mais si l’on rencontre une jambe, une tête ou une colonne vertébrale, les os composant ces différentes parties sont détachés et séparés les uns des autres. Ainsi il est très difficile de trouver une portion d’animal dont les os ne soient pas hors de la position respective qu’ils avaient dans le squelette.

Les os d’éléphant, de mastodontes, de rhinocéros, d’hippopotames, d’ours, d’hyènes, de bœufs, de chevaux, de cerfs, se trouvent mêlés ensemble sur le même plan, et quelquefois accolés les uns aux autres, comme l’a observé M. Nesti, et les os d’une même espèce animale gissent à toutes les hauteurs, bien entendu dans les niveaux géognostiques que j’indiquerai dans mes coupes.

Ces fossiles se trouvent surtout dans un triangle compris entre l’Incisa, Castelfranco et Monte-Varchi.

Nous avons vu précédemment que sur le bord nord du bassin, les cailloux roulés dominent ; le contraire a lieu sur le bord sud opposé (rive gauche de l’Arno) ; ce sont les sables jaunes qui reposent sur le pied de la chaîne de Monte Grosi. Les localités où ces sables offrent les plus belles coupes, sont : 1° À un mille au S.-E. de la petite ville de San-Giovanni, le monticule très élevé, appelé Monte-Carlo ; lequel est entièrement formé de sable jaune micacé, alternant à sa partie inférieure avec des couches d’argile bleue sur laquelle il repose. Le guide Pieralli m’a assuré avoir trouvé beaucoup d’ossement d’hippopotame sur le flanc sud de ce mont, dans une couche de vingt pieds de sable jaune micacé, avec petits cailloux roulés.

L’escarpement opposé au côté nord de Monte-Carlo, sur la rive gauche du torrent (borro), derrière la poderia del Buccino, présente des sables jaunes micacés très fins contenant vers leur partie supérieure des couches de coquilles d’eau douce et quelques vertèbres de poissons. Je me bornerai ici à indiquer les genres et quelques espèces de ces coquilles d’eau douce, me réservant plus tard de décrire et figurer les espèces nouvelles dans un travail particulier ; ce sont : Paludina impura, Pal., voisine de la vivipara, deux autres Paludina non décrites ; Bulimus lubricus et Bul.. non décrit, Lymnæus auricularis, deux espèces d’Unio voisines dupictorum et littoralis. Ces coquilles y sont toutes mêlées. Les grandes paludines sont quelquefois brisées, leur bouche est remplie de petites coquilles d’eau douce et de sable fin.

Ces sables jaunes coquilliers alternent inférieurement avec des couches d’argile bleue contenant des Unio, disposés par lits. Ces Unio sont la plupart brisées, aplaties, et couchées dans toutes les positions.

Le désordre qui règne dans le dépôt de ces coquilles d’eau douce prouve qu’elles n’ont pas vécu dans le lieu où on les trouve aujourd’hui, et qu’elles ont été apportées de plus haut par un cours d’eau qui les aura ainsi déposées pêle-mêle.

Les collines de sable jaune avec bancs de cailloux roulés, de la rive droite de l’Arno, à partir de Castel-Franco, ainsi que celles de la rive gauche depuis San-Giovanni, viennent en s’abaissant vers le bourg de l’Incisa où elles reposent sur le barrage de calcaire secondaire.

Enfin à un tiers de lieue au S.-O. de la ville de Monte-Varchi, sur la route de Monte-Grossi, au pied de cette chaîne calcaire secondaire, ces sables jaunes micacés, en bancs puissans et sans ossemens, alternant avec quelques lits d’argile bleue, reposent sur l’argile bleue micacée et acquièrent plus de deux cent quatre-vingt pieds de hauteur au-dessus du cours de l’Arno.


Bassin de l’Incisa.

Le petit bassin qui est compris entre le bourg de l’Incisa et celui de ponte Regnano n’est que la prolongation de celui de Figline. Il est formé de sable jaune reposant sur des sables ferrugineux, argileux, rouges, avec bancs de cailloux roulés, au-dessous desquels viennent les argiles bleues. Ce terrain meuble, à partir de l’Incisa, recouvre les calcaires secondaires inclinés de 20° au S.-O. sur la rive gauche du fleuve ; il se prolonge à une lieue au-dessous de l’Incisa, tandis que sur la rive droite il se termine un peu plus loin, en face de San-Mezzano, avant Ponte-Regnano. On trouve aussi, m’a-t-on dit, quelques os fossiles dans ce dernier bassin.


Résumé sur le Terrain meuble.

Les différentes coupes observées dans les bassins d’Arezzo, de Figline et de l’Incisa nous montrent que le terrain meuble y est généralement formé en allant de haut en bas : 1° de cailloux roulés ; 2° de sables jaunes micacés fins ou grossiers, ou quarzeux, plus ou moins ferrugineux, avec ossemens fossiles et coquilles d’eau douce ; 3° d’argile bleue micacée puissante avec ossemens fossiles et lit de lignite tourbeux.

Ainsi, dans ces trois bassins il y a identité complète entre la nature minéralogique des dépôts, et leur mode de superposition.

En outre, considérant les faits géognostiques observés dans ces trois bassins ensemble, nous voyons que les cailloux roulés sont d’autant plus abondans et plus gros, qu’ils sont plus voisins de la chaîne secondaire de Vallombrosa ; que les sables grossiers occupent la partie centrale de la vallée, et que les plus fins bordent le pied de la chaîne de Monte-Grossi.

Que l’argile bleue micacée assez puissante, dont la surface est à peu près horizontale, s’élève de quelques toises au-dessus du cours actuel de l’Arno, et remplit tout le fond de la vallée ;

Que ces sables et ces argiles bleues sont généralement stratifiés ou déposés par couches, lesquelles sont horizontales et ne m’ont jamais paru se relever sur les bords du bassin ;

Que les ossemens placés à la partie moyenne et inférieure des sables jaunes et à la partie supérieure des argiles bleues, sont très abondans vers la partie centrale du val, sur la rive droite de l’Arno, et rares sur la gauche de ce fleuve ;

Que ces os sont déposés plus ou moins régulièrement sur plusieurs plans ou couches, suivant le plus ou moins d’ordre qui a présidé au dépôt des cailloux roulés et sables environnans ; qu’ainsi la manière d’être des ossemens est toujours en rapport avec le mode de dépôt de la masse sableuse qui les contient.

Enfin, qu’on ne rencontre jamais dans ces sables jaunes un seul fragment de coquilles marines, mais seulement des coquilles fluviatiles.


Conclusion.

D’après tous ces faits, je regarderais le terrain meuble du val d’Arno supérieur comme un vrai terrain de transport, indépendant mais peut-être contemporain de celui qui, dans le Plaisantin et le Siennois, recouvre les sables jaunes tertiaires marins supérieurs.

En outre, vu l’état roulé de ses élémens composans, leur mode de dépôt, leur non-agrégation en couches solides, l’horizontalité de ses strates, l’absence totale de coquilles marines, la présence de coquilles fluviatiles, et de débris nombreux de grands mammifères terrestres, je le rapporterai à la série du terrain d’attérissement ancien décrit par M. Élie de Beaumont dans les vallées de l’Isère, du Rhône et de la Durance. (Recherches sur quelques unes des révolutions de la surface du globe, page 157 ; Annales des Sciences Naturelles, années 1829 et 1830.)


Considérations systématiques.

Il me reste maintenant à traiter quelques considérations systématiques qui m’ont été suggérées par l’ensemble des faits géognostiques que j’ai exposés précédemment.

De ces faits découlent naturellement les questions suivantes :

1° De quels lieux sont provenus les matériaux meubles qui forment le terrain de transport dans le val d’Arno supérieur ?

2" Dans quel endroit ces matériaux ont-ils été triturés ?

3" L’arrivée des ossemens fossiles est-elle postérieure à la trituration de ces matériaux ?

4" Comment se fait-il que les ossemens en très bon état de conservation soient enfouis à la partie inférieure des cailloux roulés ?

5° Ces cailloux roulés et ossemens ont-ils été accumulés dans le val d’Arno supérieur par un transport instantané, ou par des causes successives, partielles et intermittentes ?

En énumérant ces différentes questions et en essayant d’en donner une explication plausible, l’on me pardonnera si j’émets quelques idées systématiques ; je ferai en sorte de m’éloigner le moins possible des conséquences qui découlent naturellement de faits positifs.

Le désir seul de faire mieux ressortir l’ensemble des faits observés dans le terrain de transport du val d’Arno supérieur m’engage à essayer d’en tirer quelques conséquences générales ; lesquelles pourront encore faire mieux connaître et apprécier les rapports ou les anomalies existant entre ce terrain meuble à ossemens, et les autres terrains meubles qui en renferment aussi en Italie.

Si maintenant nous cherchons à résoudre successivement les différentes questions posées ci-dessus, nous voyons d’abord que des roches analogues et semblables aux matériaux, meubles qui forment le terrain de transport du val d’Arno supérieur se trouvent en place et constituent les hautes chaînes du Casentino et de Vallombrosa, dont les couches inclinent de 30° à l’ouest, c’est-à-dire vers la vallée de l’Arno ; il faut donc que ces matériaux meubles soient surtout provenus de ces montagnes du nord de la vallée et non de la chaîne du sud ou de Monte-Grossi, dont les couches, presque toutes calcaires, inclinent au N.-N.-E., et par conséquent se relèvent contre le Val d’Arno. Cette opinion reçoit un nouveau degré de probabilité, si l’on considère que les cailloux roulés dans la plaine d’Arezio, sont déposés en face du débouché de la vallée du Casentino et dans le reste du val d’Arno, que les plus abondans et les plus volumineux se trouvent sur le pied de la chaîne de Vallombrosa.

Ces matériaux étant provenus des chaînes du Nord, on ne peut admettre que leur trituration se soit faite dans le trajet de ces chaînes au val d’Arno, vu que ce trajet est beaucoup trop court pour qu’une masse aussi puissante que celle de ce terrain meuble ait été réduite à cet état de trituration par un simple transport. Il a donc fallu un ensemble de causes beaucoup plus puissantes qu’un simple transport, et un laps de temps plus considérable, pour opérer cette trituration telle que nous la voyons actuellement.

Mais dans quelles circonstances ces matériaux, débris des chaînes secondaires, auront-ils été triturés ainsi ?

Deux hypothèses se présentent pour expliquer la formation de ce terrain meuble, comme l’a fort bien remarqué M. Brocchi dans sa Conchyliologie subapennine (tome Ier, pages 136 et 168).

La première est que le val d’Arno supérieur a été un golfe dont les chaînes du Casentino et de Vallombrosa ont formé les bords.

La seconde, que ce val a formé jadis un grand lac. Dans ces deux cas, la masse d’eau, battant alors en brèche les flancs des chaînes secondaires déjà disloqués par les secousses et soulèvemens qui avaient produit l’inclinaison des couches, aurait, par son mouvement puissant et continuel, réduit tous ces débris en galets et en sables, qu’elle aurait ensuite abandonnés sur le pied de ces chaînes secondaires, lorsque son niveau est venu à s’abaisser soit naturellement soit par l’ouverture du défilé de Regnano.

Je ne m’arrêterai pas ici à examiner quelle est celle de ces suppositions qui présente le plus de probabilités, et à laquelle on doit accorder la préférence.

Que cette trituration des débris des chaînes secondaires se soit opérée dans un golfe ou dans un grand lac, il est évident qu’elle n’a pu avoir lieu dans le fond du val d’Arno, où l’on observe actuellement ce terrain meuble, mais bien dans une position plus élevée, c’est-à-dire sur le pied des montagnes du Casentino et de Vallombrosa.

En effet si la trituration de ce terrain meuble se fût faite dans la vallée actuelle de l’Arno, il ne présenterait pas une stratification en couches horizontales, et les ossemens intacts de mammifères ne seraient pas généralement ensevelis à la partie inférieure et moyenne de ce terrain meuble, dans une position régulière et constante. Ce dépôt n’aurait alors offert qu’un amas confus, avec des ossemens de mammifères roulés, et irrégulièrement placés dans toute son épaisseur.

La présence de ces ossemens intacts parmi ces cailloux roulés présente une anomalie qui porte à penser que l’ensevelissement des ossemens est postérieur à la trituration des cailloux ; car si les ossemens se fussent trouvés avec les débris des roches secondaires, lorsqu’ils ont été arrondis, les os seraient pour le moins aussi roulés que ceux-ci, pour ne pas dire davantage.

Puisqu’il faut nécessairement admettre la postériorité de l’ensevelissement des ossemens de mammifères à la trituration des cailloux, sur le pied des montagnes secondaires, il s’ensuit que les ossemens de mammifères, morts par une cause quelconque, auront été dispersés et répandus à la surface de ces cailloux et sur le flanc de ces montagnes.

Examinons actuellement ce qui se sera passé postérieurement aux causes qui ont opéré la trituration des débris des roches secondaires.

Le val d’Arno aura alors reçu des montagnes environnantes de nombreux affluens. Ces affluons auront d’abord entraîné des montagnes du Casentino, et déposé sur le fond du val d’Arno la couche d’argile bleue micacée inférieure qu’on y voit actuellement.

Vers la fin de ce dépôt argileux il y a eu des endroits dans lesquels se sont faits des dépôts tourbeux, et ont vécu des coquilles d’eau douce (lit du Castro). Avec les derniers sédimens argileux sont arrivés les ossemens de mammifères et des débris de végétaux qui y ont été ensevelis.

Après le dépôt des argiles bleues micacées, des affluens nombreux et puissans ont entraîné les cailloux roulés et sables qu’ils ont rencontrés sur leur passage, ainsi que les ossemens qui gisaient à la surface de ces cailloux, ou sur les pentes des montagnes, et les ont transportés et déposés ensemble dans le val d’Arno.

Le mode de dépôt de ce terrain de transport de seconde époque a été, ou brouillé (lit de Castro), ou stratifié (Monte-Varchi), suivant les circonstances accompagnantes, c’est-à-dire que quand l’intensité du courant a été assez grande pour chasser ensemble les matériaux de pesanteur différente, le dépôt a été instantané et brouillé ; tandis que dans le cas de stratification la force du courant n’étant pas assez puissante pour soutenir et pousser au loin toute la masse qu’elle charriait, a, suivant les lois de la pesanteur spécifique de ces débris, commencé par laisser sur le pied de la chaîne de Vallombrosa les plus gros blocs, puis un peu plus avant les cailloux roulés, et vers la ligne médiane du bassin des sables assez grossiers avec ossemens de mammifères ; puis, sur le bord opposé (pied de la chaîne de Monte-Grossi), elle a abandonné les sables jaunes les plus fins, avec lesquels certains affluens ont encore déposé quelques lits d’argile bleue micacée, ainsi que des coquilles d’eau douce (Monte-Carlo). Enfin après ces sables à ossemens les affluens ont encore charrié d’autres sables sans ossemens généralement plus fins et mieux stratifiés que les précédens.

Considérant la disposition générale de ce terrain de transport de seconde époque dans le val d’Arno supérieur en couches et alternances, la position des ossemens sur plusieurs plans horizontaux à la partie supérieure des argiles bleues, et à l’inférieure et moyenne des cailloux roulés et sables jaunes, leur grande abondance, leur bon état de conservation, et le manque de ces ossemens dans la partie supérieure des sables jaunes, on est conduit à conclure : que ces ossemens de mammifères ont été rencontrés par les affluens sur les pentes des montagnes, ou à la surface des cailloux roulés du terrain meuble de première époque ; et qu’ils sont arrivés dans le val d’Arno supérieur avec les premiers dépôts de ces cailloux roulés et sables, au fur et mesure que ceux-ci y ont été charriés ; enfin que ce terrain meuble de seconde époque n’a pas été déposé instantanément, mais qu’il est le produit de causes partielles, intermittentes et successives.

Telles sont les causes qui me paraissent avoir opéré le dépôt de ce terrain de transport ancien dans le val d’Arno supérieur, et qui me portent à distinguer dans la formation de te terrain deux périodes bien tranchées.

La première période serait celle pendant laquelle les matériaux extraits des chaînes secondaires de Casentino et de Vallombrosa ont été convertis en cailloux roulés et en sables.

La seconde période, postérieure à la trituration de ces matériaux, serait celle durant laquelle les argiles bleues, les cailloux roulés, les sables jaunes et les ossemens de mammifères abandonnés sur les flancs des chaînes secondaires, ont été pris par les affluens, et charriés à plusieurs reprises dans le val d’Arno supérieur, et en ont opéré le remplissage en y formant ce terrain de transport ancien que nous y voyons actuellement, et que je viens de faire connaître.


  1. Voyez la Carte, planche XIII.