Mémoires de la duchesse de Nemours

Mémoires
Texte établi par Claude-Bernard Petitot (p. 369-544).

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NOTICE
SUR LA
DUCHESSE DE NEMOURS
ET SUR SES MÉMOIRES.


Marie d’Orléans naquit en 1625 de Henri, duc de Longueville, et de Louise de Bourbon-Soissons, première femme de ce prince. L’année même de sa naissance, son père, encore très-jeune, eut part aux intrigues qui causèrent en 1626 la perte de Chalais. Heureusement le cardinal de Richelieu ne crut pas nécessaire de diriger des poursuites contre lui ; et la crainte que lui fit éprouver le sort de ses imprudens complices le maintint dans le devoir pendant le reste du règne de Louis xiii. Voué à la carrière des armes, il se distingua par quelques belles actions, mais il ne montra point cette force d’esprit et cette élévation de caractère qui font seules les grands hommes.

Mademoiselle de Longueville fut élevée avec beaucoup de soin, et ses dispositions naturelles la portèrent à la culture des lettres, qui commençoient à renaître sous les auspices d’un ministre dont les vues s’étendoient sur tout ce qui pouvoit contribuer à la gloire de la France. Elle avoit douze ans lorsqu’elle perdit sa mère [1637] : ce malheur ne changea rien au plan d’éducation qu’on avoit adopté pour elle ; et, dirigée par une gouvernante habile, elle acquit des goûts sérieux qui, joints à des connoissances solides, devoient, au milieu des orages qui se préparoient, la préserver des fautes et des disgrâces où furent entraînées un peu plus tard presque toutes les femmes de la cour.

En 1642, le duc de Longueville épousa en secondes noces Anne-Geneviève de Bourbon, sœur du duc d’Enghien, qui fut depuis le grand Condé. Mademoiselle de Longueville, qu’on commençoit à produire dans le monde à l’âge de dix-sept ans, fut d’abord très-bien avec sa belle-mère, qui n’avoit que six années plus qu’elle. Mais bientôt l’extrême différence des caractères répandit entre les deux princesses beaucoup de froideur : celle qui auroit dû donner l’exemple de la réserve et de la pratique des devoirs étoit vive, légère, étourdie, galante ; et celle qui auroit pu trouver dans son inexpérience l’excuse de quelques fautes s’acquit au contraire l’estime générale, par une conduite pleine de sagesse et de raison. Il résulta de cette position de petites jalousies, des propos malins, des dissensions domestiques qui, malgré la discrétion de mademoiselle de Longueville, percèrent plus d’une fois au dehors.

À l’époque de la mort de Louis xiii et de la régence d’Anne d’Autriche [1643], une multitude d’intrigues se formèrent ; mais la douceur du gouvernement rendit les premières années de cette administration aussi heureuses que tranquilles. Cependant les personnes habituées à observer voyoient que l’anarchie faisoit chaque jour de nouveaux progrès, et que des tempêtes politiques ne tarderoient pas à éclater. Mazarin, à qui la Régente abandonnoit la suprême direction des affaires, suivoit un système absolument opposé à celui de Richelieu : il vouloit obtenir par l’adresse ce que son prédécesseur avoit arraché par la force ; et, peu soigneux de se faire craindre, il ne cherchoit pas assez à se faire estimer.

Ce ministre, ne faisant donc presque aucune attention aux dangers dont il étoit menacé en France, appliquoit toutes ses pensées aux conférences diplomatiques qui étoient ouvertes en Westphalie. En 1646, il adjoignit le duc de Longueville à Servien et à d’Avaux, plénipotentiaires français. Mademoiselle de Longueville fit ce voyage avec son père et sa belle-mère. Elle s’aperçut bientôt que le premier n’avoit pas le secret de la négociation ; et ce défaut de confiance, qui lui parut une injustice, excita en elle de l’aversion pour Mazarin, mais ne lui fit pas perdre l’esprit de modération et de paix qui étoit dans son caractère ; car, malgré ses préventions contre les négociateurs, elle conçut de l’estime pour Servien, dont elle admiroit l’habileté et les vastes connoissances.

De grands troubles éclatèrent en 1648, à l’époque où Mazarin rendoit à la France le plus éminent service par la conclusion des traités de Westphalie, qui devoient être, pendant plus d’un siècle, la base du droit public de l’Europe. Le parlement de Paris se mit à la tête des factions armées contre le ministre : on renouvela les journées des Barricades, qui avoient eu, du temps de la Ligue, des suites si funestes ; et la cour, poussée à bout par des prétentions qui tendoient à l’anéantissement de l’autorité royale, fut obligée de quitter Paris dans la nuit du 6 janvier 1649, avec le projet, plus que les moyens, de réduire les rebelles par la force.

Mademoiselle de Longueville resta dans Paris avec sa famille ; et durant le blocus, tandis que sa belle-mère, encore à la fleur de la jeunesse et de la beauté, devenoit l’héroïne et l’idole des frondeurs, elle faisoit les réflexions les plus graves sur les suites que pouvoit avoir cette anarchie, ainsi que sur sa position qui la forçoit, malgré ses habitudes paisibles, à figurer en quelque sorte dans les premiers rangs d’une faction.

Une paix peu solide fut conclue au bout de quelques mois : le prince de Condé, qui avoit combattu pour la cour, se rapprocha bientôt de madame de Longueville ; et, poussé par elle, il ne tarda pas à se brouiller avec Mazarin. S’étant joint au prince de Conti son frère, et au duc de Longueville son beau-frère, il fit éprouver au ministre les affronts les plus sanglans ; et mademoiselle de Longueville se trouva encore entraînée par sa famille dans une cabale qui avoit pour but de détruire le pouvoir de la Régente. Mais les desseins de cette cabale, qui ne montra ni prudence ni habileté, furent tout-à-coup déconcertés par l’arrestation imprévue des trois princes [18 janvier 1650].

Il y eut en même temps des ordres pour s’assurer de madame et de mademoiselle de Longueville : les deux princesses eurent le bonheur de s’échapper, et elles arrivèrent en Normandie, dans l’espoir que le parlement se déclareroit en leur faveur. Leur attente fut bien trompée. On ne voulut pas les recevoir à Rouen, et elles se réfugièrent à Dieppe, où elles ne trouvèrent qu’un asyle peu assuré. La cour se transporta peu de temps après dans la province avec des forces imposantes, et il fallut que les deux princesses prissent le parti de se rendre ou de fuir dans les pays étrangers. Il y eut à ce sujet de grandes disputes entre madame et mademoiselle de Longueville. La première, outrée de dépit, étoit résolue à se jeter entre les bras des Espagnols, et à se servir de leurs secours pour relever sa faction ; l’autre, au contraire, ne cherchoit qu’une occasion de rentrer dans la vie sédentaire qui avoit toujours eu pour elle beaucoup de charme, et d’obtenir un accommodement honorable. Après avoir conduit fort habilement cette petite négociation, mademoiselle de Longueville se sépara de sa belle-mère, qui, au milieu de mille dangers, parvint à s’embarquer pour les Pays-Bas, déguisée en homme.

Voici comment mademoiselle de Longueville raconte cette circonstance, l’une des plus importantes de sa vie. Après avoir parlé des illusions qui égaroient l’épouse de son père, elle ajoute : « Sa belle-fille, qui n’étoit pas tout-à-fait si préoccupée qu’elle de sa grande puissance, et qui d’ailleurs ne trouvoit pas qu’il fût de la dignité d’une personne de son rang de courir le monde, quand même elle n’auroit pas aimé son repos autant qu’elle l’aimoit ; et qui, par-dessus tout cela, étoit persuadée que sa présence ne pouvoit être d’aucune utilité à monsieur son père, demanda permission à madame sa belle-mère de s’en revenir à Paris : ce qu’elle ne lui accorda qu’à regret. Mais, comme elle n’étoit pas en état de se servir de son autorité, elle n’osa lui refuser cette permission ; et mademoiselle de Longueville la quitta de cette manière, assez médiocrement touchée de la peine que son départ lui causoit. »

Mademoiselle de Longueville auroit pu se fixer à Paris, mais elle aima mieux s’éloigner du foyer des troubles ; et elle trouva dans sa charmante retraite de Coulommiers un asyle où elle put se livrer sans obstacle à ses goûts paisibles, tandis que l’esprit de faction continuoit d’agiter toute la France. Elle n’y eut d’autre chagrin que celui de savoir son père en prison ; et elle ne négligea aucune occasion de solliciter sa liberté. Sa conduite obtint l’approbation de tout le monde, et madame de Motteville a très-bien exprimé dans ses Mémoires l’effet qu’elle produisit.

« Cette princesse, dit-elle, avoit beaucoup d’esprit et de mérite : sa vertu et la tranquillité de sa vie la mirent à couvert des orages de la cour ; et quoiqu’elle eût porté le nom de frondeuse, la Reine, qui savoit le peu de liaison qui étoit entre elle et madame sa belle-mère, trouva qu’il étoit juste de la laisser en repos jouir de ses plus grands plaisirs, qui étoient renfermés dans les livres et dans l’aise d’une innocente paresse. Par toutes ces raisons, sa retraite fut estimée de tous, et lui fut à elle fort commode. »

La prison des princes n’ayant fait qu’augmenter le nombre des ennemis de Mazarin, il se forma contre lui une ligue générale au commencement de l’année suivante [1651]. Alors les frondeurs envoyèrent à mademoiselle de Longueville une requête toute dressée, dont l’objet étoit d’engager le parlement de Rouen à proscrire le ministre par un arrêt. Ils attendoient beaucoup d’effet de cette pièce, parce que le duc de Longueville étoit gouverneur de Normandie ; et ils firent observer à sa fille que c’étoit l’unique moyen de procurer sa liberté. Il falloit un tel motif pour la déterminer à signer une requête séditieuse. Cette démarche, qu’elle fit malgré elle, n’eut aucune influence sur les affaires. Les princes sortirent de prison [13 février] ; Mazarin s’éloigna momentanément, et la requête ne fut pas présentée.

Cependant le prince de Condé, se croyant tout puissant, ne ménagea pas assez l’esprit de la Reine, qui continuoit à se conduire d’après les conseils de Mazarin, dont elle ne s’étoit séparée qu’à regret. Séduit par les flatteries de ses partisans, cédant aux instances de madame de Longueville qui ne trouvoit son bonheur que dans le trouble et les factions, il ralluma imprudemment la guerre, et fit de grands efforts pour entraîner le duc de Longueville dans son parti. Ce prince pouvoit le servir très-utilement, parce qu’il disposoit en quelque sorte de la Normandie ; et la cour, sentant la nécessité d’empêcher cette union qui auroit eu les suites les plus funestes, prit le parti de s’adresser à mademoiselle de Longueville, dont elle connoissoit le mérite et les bonnes intentions.

Servien, qu’elle avoit autrefois connu en Westphalie, fut chargé de solliciter son entremise dans cette grande affaire ; et, convaincue qu’elle serviroit en même temps l’État et sa famille, elle se prêta volontiers à faire ce qu’on exigeoit d’elle. Vainement les amis de sa belle-mère la menacèrent-ils de son ressentiment : elle fut inébranlable dans la résolution qu’elle avoit prise. « Je ne craignois guère, dit-elle, ce que je n’aimois pas. » Elle fit facilement sentir à son père que son devoir et son intérêt s’accordoient pour le porter à ne plus entrer dans les factions ; et comme il estimoit peu son épouse, il résista sans peine à ses insinuations et à ses prières. Dès ce moment mademoiselle de Longueville reparut à la cour, et elle y fut accueillie comme ayant rendu à l’État un éminent service.

À cette époque, la famille de l’infortuné Charles Ier, étoit en France ; et le duc d’Yorck, frère de Charles ii, forma le projet d’épouser mademoiselle de Longueville. La reine d’Angleterre, avant de faire aucune démarche près de cette princesse, crut convenable de s’assurer du consentement de la Régente ; elle chargea donc madame de Motteville de la sonder à cet égard. « Je le fis, dit cette dame ; la Reine me répondit que ce prince, étant fils de roi, étoit trop grand pour le pouvoir laisser marier en France ; et, par cette raison politique, l’affaire ne put réussir. Ce prince en fut fâché : il estimoit cette princesse ; sa vertu et sa personne lui plaisoient ; et ses richesses, étant héritière du comte de Soissons, lui auroient été aussi fort agréables, car alors il n’en avoit pas beaucoup. En tout temps, ce mariage étoit convenable à lui et à elle. » Il ne paroît pas que cette décision ait contrarié mademoiselle de Longueville ; et soit qu’elle n’eût pas de goût pour le duc d’Yorck, soit qu’elle sût habilement dissimuler son humeur, elle ne parut pas moins bien avec la Régente.

Un duel fameux, qui eut lieu en 1652, influa beaucoup sur la destinée de la princesse. Le duc de Nemours, de la maison de Savoie, avoit eu quelque temps auparavant une dispute fort vive avec son beau-frère le duc de Beaufort ils se battirent derrière l’hôtel de Vendôme, et le premier fut tué. Henri de Savoie, son frère, avoit embrassé l’état ecclésiastique, pour lequel on lui croyoit de la vocation : il étoit nommé à l’archevêché de Reims, mais il n’avoit pas encore pris les ordres sacrés. Ce jeune prince étoit aimable, il possédoit une instruction variée, et sa foible santé sembloit devoir le fixer dans une carrière qu’il pouvoit parcourir avec éclat. D’ailleurs les biens que la maison de Nemours avoit en France étoient passés à ses nièces, et il ne lui restoit que son apanage de Savoie, qui montoit à vingt mille écus de rente.

Mademoiselle de Longueville, qui depuis la fin des troubles menoit une vie fort retirée, avoit depuis peu refusé la main du duc de Mantoue, et paroissoit décidée à ne pas se marier. Le hasard lui ayant fait connoître le nouveau duc de Nemours, la conformité de leurs goûts les rapprocha bientôt. Presque tous les jours le duc soupoit chez la princesse : ils s’entretenoient de littérature au milieu d’une société choisie ; et, après quelques mois d’un commerce où l’esprit seul paroissoit avoir part, ils prirent la résolution de s’épouser. Comme ils étoient parens, une dispense du Pape fut nécessaire ; et elle arriva dans le printemps de 1657.

Le château d’Ivry fut choisi pour la célébration du mariage : les futurs époux s’y rendirent ; mais, au grand étonnement de la cour et de la ville, lorsque tout étoit conclu, la cérémonie fut différée de trois semaines, sans motif apparent. On s’épuisa en conjectures : le bruit courut que Charles ii, roi d’Angleterre, qui conservoit alors peu d’espoir de rentrer dans ses Etats, avoit fait demander mademoiselle de Longueville ; que son père, ébloui de cette alliance, lui assuroit trois millions, mais que Mazarin s’y opposoit. Quoi qu’il en soit, le mariage fut enfin célébré. Les contemporains prétendent que la princesse pleura beaucoup pendant la cérémonie : ce qu’il y a de certain, c’est que le duc éprouva un tel saisissement qu’il tomba malade en sortant de l’église.

La nouvelle épouse avoit alors trente-deux ans : son mari ne put jamais entièrement se rétablir, et il mourut peu de temps après, le 2 janvier 1659. Quoique jeune encore, elle ne songea point à se remarier. Jouissant d’une grande fortune, elle adopta une vie plus retirée qu’auparavant, et ne prit part à aucune intrigue. Dans sa solitude, elle étoit souvent saisie d’admiration au récit des grands événemens qui signalèrent le règne de Louis xiv, depuis le moment où il voulut gouverner par lui-même ; et ce sentiment éclate de la manière la plus franche dans quelques passages de ses Mémoires. Habitant alternativement la capitale et ses terres, elle partagea ses loisirs entre la culture des lettres et l’administration de ses biens. Le soin qu’elle apportoit à surveiller ses gens d’affaires la fit passer pour avare, tandis qu’elle n’étoit que sagement économe. En 1694, elle fut reconnue souveraine de Neuchâtel en Suisse par les États du pays, et la même année cette souveraineté lui fut enlevée par Frédéric, premier roi de Prusse[1].

En avançant en âge elle se montra quelquefois triste et chagrine, parce qu’elle aperçut qu’on disposoit déjà de son immense succession. La France, la Savoie et la Prusse y prétendoient. Un jour, se trouvant tourmentée de cette idée, il lui prit fantaisie d’aller se confesser à un ecclésiastique dont elle n’étoit pas connue. Ce directeur, apercevant qu’elle étoit très-irritée, lui conseilla le pardon des injures. « Non, mon père, lui dit-elle, je ne pardonnerai jamais à mes trois ennemis. — Et quels sont-ils ? — Le roi de France, le duc de Savoie et le roi de Prusse. » Le confesseur la crut folle, et ne fut détrompé que lorsqu’en sortant de l’église il vit la suite et les équipages de la princesse. Des sentimens de religion très-solides ne tardèrent pas à calmer les chagrins imaginaires de la duchesse de Nemours. Respectée et encore admirée par ceux qui étoient admis dans son intérieur, elle mourut à Paris le 16 juin 1707, à l’âge de quatre-vingt-deux ans.

Elle avoit écrit des Mémoires sur les troubles de la Fronde, dont elle s’étoit trouvée témoin dans sa première jeunesse ; et elle les confia, avant de mourir, à mademoiselle L’Héritier de Villaudon, qui les fit paroître en 1709 (Cologne, in-12), avec ce titre : Mémoires de M. L. D. D. N., contenant ce qui s’est passé de plus particulier en France pendant les guerres de Paris jusqu’à la prison du cardinal de Retz, avec les différens caractères des personnes qui ont eu part à cette guerre. Cet ouvrage a été depuis réimprimé plusieurs fois à la suite des Mémoires de Retz et de Joli.

Le style de la duchesse est élégant et facile ; et, suivant le goût du temps, elle fait le portrait des divers personnages qui figurent dans son récit. Ces morceaux, travaillés avec soin, se distinguent par une touche légère, et par des traits aussi justes que fins et délicats. Anne d’Autriche, pendant les troubles, avoit été indignement calomniée par tous les partis ; et quelques modernes la jugent encore d’après les libelles qui furent alors publiés contre elle. Madame de Nemours est beaucoup plus juste : elle ne dissimule pas les défauts de cette Reine, mais elle la justifie pleinement des imputations odieuses dont elle fut l’objet.

« Tout le monde croit encore, dit-elle, que cette autorité absolue que la Reine laissoit prendre au cardinal sur elle venoit d’une amitié bien particulière : cependant la vérité est que ce n’étoit qu’un effet du peu de goût qu’elle avoit pour les affaires, et une suite de la mauvaise opinion qu’elle avoit sur sa capacité à cet égard. En quoi l’on peut dire qu’elle se trompoit fort ; car il est certain que cette princesse avoit un très-bon sens en toutes choses, et que dans les conseils elle prenoit toujours le bon parti. Si elle eût voulu s’appliquer, elle se seroit rendue habile dans les affaires ; mais, avec un bon esprit, elle ne laissoit pas d’avoir un certain caractère qui lui donnoit une haine mortelle pour tout ce qui se peut appeler travail et occupation. Ainsi, par l’envie d’être déchargée de toutes sortes de soins, de n’entrer jamais dans aucun détail ennuyeux, elle donnoit une autorité sans bornes à ceux en qui elle plaçoit sa confiance ; et comme, avec l’aversion qu’elle avoit pour le travail d’esprit, elle avoit aussi une défiance outrée d’elle-même qui la faisoit se juger incapable de décider rien d’important, elle avoit une déférence aveugle aux conseils, ou, si on l’ose dire, aux volontés de ces mêmes personnes en qui elle se confioit fortement : docilité fatale qui a plusieurs fois attiré des chagrins à cette princesse, qui d’ailleurs avoit mille aimables vertus et mille grandes qualités d’ame, dont beaucoup d’esprits vulgaires n’ont jamais connu le prix en aucune façon, ignorant à tous égards le caractère de cette princesse. »

Si madame de Nemours se montre parfaitement juste à l’égard d’Anne d’Autriche, elle traite peut-être avec trop de rigueur ceux dont l’ambition et les intrigues ont troublé sa tranquillité. Alors la malice se mêle à des observations fort sensées, et l’impartialité est un peu sacrifiée à d’anciens ressentimens. C’est sous ce point de vue qu’il faut considérer ce qu’elle dit du grand Condé et du duc de La Rochefoucauld.

Le caractère principal de l’auteur est la finesse et la pénétration ; mais ces qualités l’entraînent quelquefois à des conjectures hasardées sur les causes secrètes des événemens. À force de vouloir scruter les intentions des personnages qu’elle met en scène, elle attribue à des systèmes profondément combinés des actions qui n’ont été que l’effet imprévu des circonstances. Les Mémoires qui suivent rectifieront ces légères erreurs.

Au reste, l’ouvrage de la duchesse de Nemours doit être regardé comme l’un des monumens les plus précieux des premières années du règne de Louis xiv. Des récits intéressans, des peintures de mœurs et de caractères, des réflexions piquantes, en rendent la lecture aussi agréable qu’instructive.



AVERTISSEMENT
DE L’ÉDITEUR DE LA PREMIÈRE ÉDITION.


La plupart de ceux qui ont écrit des Mémoires y ont été portés ou par le dessein de faire leur apologie, ou par l’envie d’apprendre à la postérité la part qu’ils ont eue dans de grandes et importantes affaires. Ce n’est ni l’un ni l’autre de ces motifs qui ont engagé à écrire l’illustre personne dont on donne ici les Mémoires. Elle n’a uniquement pensé qu’à peindre la vérité, sans qu’aucun rapport ni à ses intérêts ni à sa gloire ait eu la moindre part dans ses portraits.

La droiture de son ame, l’innocence de ses mœurs, et la noble simplicité de sa conduite, qui l’avoient toujours mise au-dessus des atteintes de la médisance, l’avoient exemptée du besoin des apologies ; et l’amour qu’elle avoit pour le repos et la vie unie l’avoit empêchée d’entrer jamais dans nulles autres affaires celles où l’engageoient les obligations de son état. Née d’un sang des plus illustres, placée dans un rang des plus éclatans, elle en avoit toujours rempli tous les devoirs avec une modeste grandeur, autant ennemie de la frivole inquiétude que de la vaine ostentation ; et, contente de s’être acquis beaucoup d’habileté, elle n’avoit jamais cherché à la faire briller. Ainsi dans les temps tumultueux où la France fut si violemment agitée, et où presque tout ce qu’il y avoit dans ce royaume de plus élevé dans l’un et l’autre sexe entroit indiscrètement dans des partis et dans des cabales, elle sut avec une judicieuse prudence se garantir de ce dangereux torrent. Mais elle eut la douleur de voir que ce torrent funeste entraîna à ses yeux, malgré tous ses soins, un homme illustre, à qui le sang l’unissoit du lien le plus étroit.

Elle réitéra mille fois ses efforts pour ôter cet homme illustre à un parti qui lui fut si fatal dans la suite. Mais, n’ayant pu réussir dans ses desseins, elle sut parfaitement accorder ses devoirs de fille et de sujette ; et en conservant tous les sentimens de respect et d’attachement qu’elle devoit à son père, elle n’en conserva pas moins le zèle et la fidélité qu’elle devoit à son roi, pour qui naturellement elle avoit une vénération extrême, qui ne fit qu’augmenter sans cesse par les grandes qualités qu’elle voyoit briller dans ce sage monarque.

Enfin elle eut la joie de voir l’auteur de sa naissance sortir entièrement de ces malheureuses factions qui troubloient la France ; et elle en fut alors bien plus tranquille spectatrice, quoique l’amour qu’elle avoit pour sa patrie lui fît toujours voir avec beaucoup de douleur les mouvemens fâcheux qui l’agitoient, et que la charité dont cette pieuse héroïne a été depuis si vivement animée la portât dès lors avec ardeur à soulager tous les malheureux dont la misère venoit à sa connoissance.

C’étoit là ce qui faisoit ses principales occupations pendant ces temps de discorde ; car, ainsi qu’on l’a déjà remarqué, elle n’entra jamais dans aucun parti, elle ne fut jamais d’aucune cabale. Mais si son bon esprit l’empêcha de s’embarrasser dans ces dangereuses liaisons, sa pénétration fit qu’elle en sut en détail et à fond tous les divers intérêts et toutes les intrigues ; et comme elle avoit un discernement plein de justesse, elle sut démêler admirablement les différens caractères de tous ceux qui figuroient dans ces partis, ou qui en faisoient mouvoir les ressorts sans y paroître. Il n’y a donc jamais eu de main plus propre à écrire les Mémoires de son temps que celle de la personne éclairée qui a composé ceux qu’on donne ici, puisqu’elle étoit parfaitement instruite de toutes les choses dont elle parle, et qu’elle n’a écrit que par l’amour qu’elle avoit pour la vérité.

Au reste, qu’on ne soit pas surpris si l’on trouve dans ces Mémoires la peinture de quelques foiblesses dans de fort grands hommes de divers caractères. Il n’y a point de si beau tableau qui n’ait ses ombres : aussi n’est-il guère de vertus qui soient tout-à-fait exemptes de quelque tache. C’est pourquoi il n’est point étonnant que, parmi les plus grands hommes qui se sont distingués de nos jours dans les armes et dans la politique, il y en ait eu qui ont été quelquefois la victime de leurs passions. L’oubli de la religion, où étoient quelques-uns d’eux dans ce temps fatal, les assoupissoit, et les empêchoit de voir tout le danger de leurs égaremens. Mais lorsque, par un effet de la grâce, leurs cœurs furent retirés de leur assoupissement, le fonds de droiture et la justice qu’ils avoient les rendant propres à être des modèles dans le christianisme, ainsi qu’ils l’avoient été dans la guerre et dans la politique, le triomphe de la grâce parut en eux dans tout son éclat ; et ils édifièrent autant par leurs vertus solides et par leur piété reconnue, qu’ils avoient charmé par la vaste étendue de leur esprit, et par leur intrépidité dans les plus grands périls. Ce que l’histoire rapporte de quelques fausses démarches de leur jeunesse ne peut donc pas obscurcir leur gloire. C’est dans cette persuasion que l’illustre personne qui écrit ces Mémoires a cru ne devoir rien omettre de ce que demandoit l’exactitude de l’histoire, ne croyant point par là faire tort à ces grands hommes, pour qui d’ailleurs elle avoit une estime infinie.




MÉMOIRES
DE LA
DUCHESSE DE NEMOURS.


En voyant aujourd’hui la France si calme, si triomphante, et gouvernée avec tant de sagesse et avec une puissance si absolue, on se persuaderoit aisément qu’elle a toujours été gouvernée de même ; et on a peine à s’imaginer qu’elle ait été réduite au point où nous l’avons vue au temps de la régence d’Anne d’Autriche, mère du Roi.

Il est pourtant certain que le ministère du cardinal Mazarin se rendit quelque temps si odieux pendant cette régence, dont ce ministre exerçoit tout le pouvoir sous l’autorité de cette princesse, que les personnes mêmes qui passoient pour les plus sages[2] se trouvèrent comme forcées à se révolter contre la puissance légitime, pour s’affranchir de celle qui leur paroissoit une véritable oppression. Et afin de pouvoir anéantir cette puissance injuste, ceux à qui le gouvernement étoit insupportable excitèrent tant de troubles et formèrent tant de factions, que la minorité du Roi en auroit été infailliblement accablée, si le ciel, qui prenoit soin de ce prince, ne l’eût comblé dès lors du même bonheur qui l’a toujours accompagné depuis pendant sa majorité. Il falloit sans doute que l’animosité où ils étoient contre le ministère leur eût fait oublier que c’étoit Dieu qui leur avoit donné ce Roi, et que, l’ayant destiné pour donner la loi à l’Europe, personne ne pouvoit avoir d’empire sur lui que lui-même.

Ce prince étoit né à Saint-Germain le 5 septembre de l’année 1638. Il étoit parvenu à la couronne le 14 mai 1643, et, le cinquième jour de son règne, M. le duc d’Enghien gagna la bataille de Rocroy sur les Espagnols : ce qui fut un présage de la gloire et de la félicité du règne de Louis xiv, et le plus heureux augure pour la régence de la Reine sa mère.

Cette régence eut en effet les commencemens les plus favorables, et pendant plusieurs années les armes du jeune Roi eurent les succès les plus éclatans. Ce fut donc comme autant de présages certains de tous ces événemens si grands et si extraordinaires qui lui ont acquis tant de gloire, et qui ont donné depuis sa majorité des bornes si vastes à son empire.

Ce fut par les influences de l’étoile qui présidoit à la naissance de ce prince que, tout enfant qu’il étoit, il sut détruire toutes les factions qu’avoit produites la haine qu’on avoit conçue contre le cardinal Mazarin ; qu’il sut calmer tous les troubles qu’elle avoit excités ; qu’il sut forcer tous ses sujets à sacrifier la haine qu’ils avoient pour le ministre à la fidélité qu’ils devoient à leur Roi. Enfin ce furent là les essais par où ce nouveau César, en commençant à régner dans les Gaules, y commença dès l’entrée de sa majorité un règne encore plus glorieux que ceux des premiers Césars qui y ont régné avant lui.

Mon dessein, en donnant ces Mémoires, n’est que de rapporter simplement, et autant que je pourrai m’en souvenir, ce qui s’est passé à ma connoissance de plus particulier pendant la minorité du Roi ; car je ne suis point, assez habile pour pouvoir écrire avec toute la dignité qu’il conviendroit les grandes actions qu’il a faites depuis. Ainsi je ne parlerai que de l’état malheureux où la France se vit réduite par la haine implacable qu’on y avoit pour le cardinal Mazarin, laquelle ne commença pourtant qu’après qu’il eut mal à propos refusé la paix avantageuse[3], que les Espagnols nous offroient à Munster, en consentant, comme ils faisoient, que nos conquêtes nous demeurassent.

Ce refus donna lieu à de nouveaux impôts, et fit juger que, pour avoir un prétexte de les perpétuer, ce ministre avoit dessein d’éterniser la guerre.

Après avoir donné une idée des désordres et des troubles qui agitèrent la France tant que notre nouvel Auguste n’y régna que par ses ministres, à peu près comme les rois de la première race y régnèrent par leurs maires du palais, je ferai connoître les motifs secrets, et je rapporterai les différens caractères des principaux acteurs qui composoient alors le parti attaché à la cour, et celui qui étoit attaché au parlement, qu’on nommoit la Fronde, dans lequel ceux de cette faction entrèrent presque tous, sur le prétexte du bien public et de la défense du peuple.

Mais, avant que d’entrer plus avant dans le détail de ces Mémoires, il est à propos que je remarque quel fut le sujet du premier mécontentement de la cour contre le parlement avant la Fronde, et que je n’attende pas à dire dans un autre endroit que le Roi étant tombé dangereusement malade de la petite vérole[4], la Reine, M. le duc d’Orléans et M. le prince recherchèrent messieurs du parlement, et eurent pour eux de très-grands ménagemens, dans la vue que si le Roi venoit à mourir, ils pourroient avoir besoin d’eux pour une nouvelle régence. De sorte que ces démarches les avoient tellement gâtés et accoutumés à une si grande considération, que le Roi ne pouvoit prendre de conjonctures moins propres à se faire obéir que celle qu’il prit d’aller au Palais sitôt qu’il fut guéri, pour y porter plusieurs édits, dont il y en avoit quelques-uns qui étoient fort à la charge du peuple ; d’autres qui portoient suppression des gages des officiers ; d’autres, la création de quantité de charges de maîtres des requêtes ; d’autres encore qui contenoient un réglement par lequel celles des officiers qui viendroient à mourir seroient remises aux coffres du Roi, pour être vendues à qui bon lui sembleroit, et qui par conséquent devoient être perdues pour leurs familles.

[1648] Messieurs du parlement, quoique très-mécontens de ces édits, ne le parurent pourtant pas trop lorsqu’on les leur porta. Mais comme ce n’est point en la présence du Roi que se font les difficultés, ils résolurent ensuite de députer à la Reine pour lui faire de très-humbles remontrances, et lui représenter que ces édits ne pouvoient être vérifiés. Or cela n’étoit point contre la coutume de faire de ces sortes de remontrances, non plus que de ne pas vérifier tous les édits que l’on proposoit : au contraire, cela se pratiquoit même assez souvent sans que la cour y trouvât à redire. Mais pour ceux-ci ce ne fut pas la même chose : non-seulement elle ne voulut pas consentir qu’ils pussent être mis en délibération, elle ne voulut pas même écouter les députés du parlement là-dessus.

Les maîtres des requêtes firent une députation en leur particulier, de laquelle on ne fit pas plus de cas. Mais comme ils y étoient les plus intéressés, parce que la perte de leurs charges ruinoit entièrement leurs familles, ils firent d’abord bien plus de bruit que tous les autres officiers, et animèrent encore ceux du parlement, quoiqu’ils fussent déjà assez animés. Ceux-ci prirent une conduite plus sage et plus habile ; car, au lieu de parler de leurs intérêts, ils ne parlèrent que de celui du public, et déclarèrent qu’ils ne vouloient plus vérifier d’édits contre le peuple, qui n’étoit déjà que trop misérable. Cette déclaration, qu’ils prirent grand soin de répandre dans la ville, eut un tel succès que le peuple en vint jusqu’à l’adoration pour eux, et leur fit juger, par ses emportemens déréglés d’applaudissement et de reconnoissance, qu’il étoit prêt à sacrifier toutes choses pour leur défense.

Le parlement, se voyant si bien soutenu, en devint beaucoup plus fier et beaucoup plus redoutable. Toutes les compagnies souveraines, jointes au corps de ville, demandèrent l’union pour mieux défendre. leurs communs intérêts. Le cardinal, ayant été averti de cette proposition, envoya querir les députés de toutes les compagnies souveraines, pour leur déclarer qu’absolument la Reine ne vouloit point de ces arrêts d’union. Sur quoi ces messieurs ayant répondu qu’ils n’étoient point contre le service du Roi, il leur répliqua que c’étoit assez que la Reine ne l’eût pas agréable : et que si le Roi ne vouloit pas qu’on portât des glands à son collet, il n’en faudroit point porter, parce que ce n’étoit pas tant la chose défendue que la défense qui en faisoit le crime. Cela n’empêcha pas que ces députés, en le quittant, n’allassent faire le rapport à leurs chambres de ce qui s’étoit passé, et qu’ils ne commençassent ce rapport par une plaisanterie, en faisant des dérisions extraordinaires du cardinal sur sa comparaison des glands, laquelle ils tournèrent dans un très-grand ridicule, et dont on composa pour lors force ouvrages burlesques de toutes sortes d’espèces, en vers et en prose. Ils se moquèrent encore beaucoup de lui sur ce qu’au lieu de dire l’arrêt d’union, il avoit dit l’arrêt d’oignon, par la difficulté qu’il avoit à parler bon français.

Enfin, après bien des railleries, ils résolurent de donner cet arrêt dès le lendemain[5], malgré les défenses que la Reine leur envoya faire le matin, qui ne les empêchèrent pas de passer outre : tant ils étoient enorgueillis et devenus fiers des recherches et des honneurs qu’on leur avoit faits pendant la maladie du Roi, comme je l’ai déjà dit. Ils ajoutèrent encore à cela qu’il falloit écrire aux autres parlemens pour les solliciter à la même union. Et comme ce fut par là que commencèrent la révolte et la désobéissance, c’est à cela aussi que l’on attribue le commencement de ce qu’on a nommé Fronde, dont la principale source vint du mépris qu’on avoit pour le cardinal, fondé particulièrement sur son humeur foible et craintive, que l’on commença de connoître et de découvrir dès le commencement de la régence, par la foiblesse qu’il eut de consentir à la déposition d’un homme[6] que la Reine avoit pourvu de la cure de Saint-Eustache, pour y mettre en sa place le neveu de celui qui y étoit avant lui, lequel, par de très-grandes aumônes et par une vie toute pleine de piété, avoit tellement gagné le cœur de tous ses paroissiens que, dès qu’il fut mort, tout le peuple des halles, jusqu’aux harangères, alla en foule et en tumulte faire entendre à la Reine et au cardinal qu’ils vouloient avoir son neveu pour leur curé, et qu’ils étoient résolus de n’en point souffrir d’autre. La Reine et le cardinal eurent assez de foiblesse pour consentir à ce qu’ils demandoient avec tant d’insolence : ce qui fit dire en ce temps-là, à bien des gens de bon esprit que cet exemple de la foiblesse du cardinal seroit d’une pernicieuse conséquence, comme on ne l’éprouva que trop dans la suite.

Cette foiblesse du cardinal, jointe à la certitude avec laquelle ceux du parlement comptoient sur les suffrages du peuple, par le soin qu’eux-mêmes prenoient de lui persuader l’attachement qu’ils avoient à ses intérêts, contribua encore beaucoup à les rendre si insolens. Ils savoient que, pour pouvoir déterminer le cardinal à ce qu’on désiroit de lui, il ne falloit que le maltraiter et le menacer ; que, d’ailleurs, il n’étoit sensible ni aux offenses ni aux services ; qu’il n’étoit ni cruel ni méchant ; que par-dessus tout cela, également avare et foible, il ne pouvoit se résoudre à faire du bien qu’à ceux qui lui avoient fait ou lui pouvoient faire du mal ; qu’enfin, pour pouvoir obtenir quelque chose de lui, il falloit s’en faire craindre, puisqu’on le menaçoit rarement sans succès. Et c’est ce qui en donna tant aux premières guerres de la Fronde que l’on fit contre lui, et ce qui fit trouver tant de facilité à l’amener à ce qu’on en désiroit.

Le peu de respect du parlement pour la cour venoit encore de ce grand mépris pour le ministre, dont ils le connoissoient si digne ; et ce mépris pour lui devint si outré que la Reine, ne le pouvant plus souffrir, voulut prendre des hauteurs extraordinaires avec ces messieurs. Mais elle s’y prit si tard qu’elles lui furent inutiles ; et cela ne lui parut que trop, lorsque, ayant envoyé le chancelier pour les interdire, le peuple en devint si furieux qu’avant que le chancelier pût être arrivé au Palais il l’auroit mis en pièces[7], si, en se cachant, il ne se fût dérobé à sa fureur ; et le maréchal de La Meilleraye, que la Reine y envoya avec tout le régiment des Gardes pour le dégager, ne put le ramener au Palais-Royal qu’avec beaucoup de risque.

Ceux qui contribuèrent le plus à tous ces troubles et à toutes ces révoltes, tant du parlement que du peuple, furent Broussel et Blancménil, lesquels furent aussi ceux qui parlèrent le plus insolemment contre les édits que le Roi avoit portés au Palais, et qui même s’opposèrent avec tant d’opiniâtreté à leur vérification, que la Reine se trouva comme forcée de les faire arrêter tous deux. Ce fut le 26 août 1648 que cette princesse fut obligée d’en venir à cet éclat, jour auquel on avoit chanté le Te Deum pour remercier Dieu de la victoire remportée à Lens sur les Espagnols. La détention de Broussel et de Blancménil porta les plus mutins des autres séditieux à ordonner des barricades dans toutes les rues de Paris, dans le dessein de se rendre maîtres de la personne du Roi, de chasser le cardinal Mazarin, et d’augmenter le nombre de ceux qui gouvernoient l’Etat sous l’autorité de la Reine.

Il n’y avoit personne de tous ceux qui se déclarèrent contre la cour, jusqu’aux officiers des cours souveraines, qui n’eût ou du moins ne crût avoir ses raisons particulières, et qui ne voulût persuader qu’il n’y avoit que l’intérêt du peuple et du bien public qui l’y engageoit.

Cependant il est certain que leur intérêt particulier y avoit beaucoup plus de part que celui des autres. Et pour commencer par Broussel et Blancménil, qui parurent les plus zélés, et que la Reine fit arrêter seuls par cette raison, ce qui les anima l’un et l’autre fut, à l’égard du premier, le refus qu’on lui fit d’une compagnie aux Gardes pour son fils, et à l’égard de l’autre l’alliance qui étoit entre lui et l’évêque de Beauvais[8], que Mazarin avoit fait exiler parce qu’il lui paroissoit dans une trop grande faveur, et qu’il aspiroit au ministère.

Longueil fut le troisième du parlement qui se déclara contre la cour, et dont la raison particulière, outre le prétexte général des autres, fut qu’on ne voulut point lui accorder l’agrément de la charge de chancelier de la Reine.

Le reste du parlement avoit suivi l’exemple de ceux-ci. Ainsi ils se déclarèrent tous les uns après les autres, moins par l’intérêt du public, quoique ce fût là toujours le prétexte, que par leurs intérêts particuliers.

Pendant les barricades, par le moyen desquelles la Reine se trouva forcée de rendre les prisonniers afin d’apaiser la populace, il se passa bien des choses, quoiqu’elles ne durassent que peu de jours. Mais je n’en dirai rien ici, tant parce que d’autres les ont déjà écrites, que parce que j’ai résolu de ne rapporter seulement que ce qu’ils ont pu omettre de certaines particularités, qui ne regardent que quelques circonstances des motifs et des caractères de ceux dont les rôles ont été déjà amplement représentés.

La cour sortit de Paris[9] quelque temps après les barricades, et elle n’y revint qu’après un accommodement que le parlement fit avec la Reine-mère, mais véritablement qu’il fit de la manière qu’il voulut : ce qui impatienta fort le ministre, et la Reine encore davantage. Aussi dès que le parlement se rassembla, ce qui fut vers la Saint-Martin, les cabales recommencèrent, et plus fortement et en plus grand nombre que jamais : sur quoi la cour prit la résolution de bloquer Paris. Mais, avant que de parler de ce blocus, je veux rapporter les noms des grands seigneurs qui vinrent s’offrir au parlement, et dire en même temps quelque chose de leurs motifs et de leurs caractères.

[1649] L’on s’étonnera sans doute que madame de Longueville ait été une des premières, elle qui n’avoit rien à espérer de ce côté-là ni rien à craindre, et qui n’avoit aucun sujet de se plaindre de la cour.

Pour ce qui est de M. le prince, quoiqu’il eût paru prendre quelque sorte d’engagement avec le parlement, et qu’il eût même consenti à une espèce de négociation qui fut traitée pour lui par M. de Châtillon, et pour le parlement par le président Viole, ce fut pourtant toujours sans dessein de prendre d’autre parti que celui de la cour. Tout ce qu’il parut faire contre elle ne fut d’abord que pour se venger du cardinal Mazarin, qui l’avoit engagé au siége de Lerida[10], sur la parole qu’il lui avoit donnée de lui fournir beaucoup plus de troupes et de munitions qu’il ne lui en envoya, et qui, par son manquement de parole, le força à lever ce siége, n’ayant ni assez de monde ni assez de vivres pour prendre cette place. Et dans la suite il ne feignit prendre le parti du parlement que par la seule espérance d’en faire mieux ses affaires avec le ministre, duquel il ne vouloit seulement que diminuer l’autorité, afin de le pouvoir réduire plus aisément à ce qu’il désiroit de lui. Ainsi ce prince vouloit moins servir la Fronde que l’endormir, pour tâcher par là d’obtenir de la cour ce qu’il souhaitoit.

Ce furent là les seules raisons qui engagèrent M. le prince à faire comme s’il avoit envie de prendre le parti du parlement, et à consentir à cette négociation dont je viens de parler ; mais à la vérité sa politique là-dessus ne dura guère. La première chose qui l’obligea à la rompre, pour suivre son penchant naturel aussi bien que son devoir, fut que s’étant trouvé un peu avant la guerre de Paris dans une des assemblées du parlement, et Coulon, grand frondeur, y ayant remontré avec beaucoup de véhémence que, pendant qu’on les amusoit, on faisoit venir des troupes auprès de la ville, ce prince lui demanda d’un air assez fier qui les commandoit ; et Coulon lui ayant répondu que c’étoit le colonel David, il répliqua qu’il y avoit long-temps qu’il commandoit les armées du Roi sans avoir ouï parler d’aucun colonel de ce nom. Après, il sut donner un si grand ridicule et à Coulon et à son colonel inconnu, que dans l’assemblée on y traita Coulon de visionnaire, et on prit pour une fable l’approche des troupes de son prétendu colonel, quoiqu’il n’y eût rien pourtant de moins fabuleux. Mais cette mortification de Coulon ayant porté M. le prince à rehausser sa voix et à redoubler cette hauteur qui lui étoit si naturelle, le parlement ne l’ayant pu souffrir le prit encore plus haut que lui : ce que ce prince souffrit à son tour si impatiemment qu’il fit un signe de main en forme de menace à un de ces messieurs qui se nommoit Quatre-Sous. Sur quoi ce conseiller s’écria que M. le prince venoit de le menacer : ce qui fit murmurer le parlement, à qui Quatre-Sous en demanda justice. Mais ceux qui étoient les plus attachés à M. le prince dirent, pour l’excuser, que c’étoit son geste ordinaire, et non pas une menace. À quoi Quatre-Sous répondit d’un air insolent que si c’étoit son geste il devoit s’en corriger comme d’un fort vilain geste : dont M. le prince fut si offensé qu’il fit sa propre querelle de celle du cardinal Mazarin avec le parlement.

M. de Bouillon s’engagea dans les intérêts du parlement, sur le prétexte que la cour ne l’avoit point. dédommagé de la souveraineté de Sedan[11], dont il prétendoit avoir été dépouillé par le feu Roi : quoique bien des gens aient assuré que son père l’avoit usurpée. par artifice, ne s’en étant fait faire la donation par celle qui en étoit la vraie héritière qu’en lui tenant la main après sa mort, et en lui faisant signer cette donation comme si elle avoit été encore en vie. Au moins voilà ce qu’on en disoit en ce temps-là : du reste, je ne voudrois pas l’avoir assuré.

Mais pour continuer de rapporter ici les motifs qui engagèrent M. de Bouillon à se déclarer contre la cour, ce duc prétendoit, en se mettant à la tête d’un parti considérable qu’il croyoit commander en chef, pouvoir plus facilement se faire faire justice de ses droits. D’autres ont cru que, de concert avec M. de Turenne son frère, il avoit dessein de faire de la France ce que le prince Maurice de Nassau avoit fait de la Hollande. Mais il n’y a guère d’apparence qu’un dessein si vague, si extravagant et d’une exécution si difficile, ait pu entrer en d’aussi bonnes têtes que celles de MM. de Bouillon et de Turenne.

Il est bien plus vraisemblable que M. de Bouillon prit le parti de Paris, persuadé qu’il y feroit le principal personnage ; mais, s’étant vu privé de cette espérance, il feignit d’avoir la goutte dans toutes les occasions où l’on avoit besoin de lui. Il s’aperçut donc qu’il étoit moins considéré dans son parti que ne lui avoit fait espérer le poste où il voyoit M. de Turenne son frère, lequel commandoit cette grande armée[12] qu’Hervart avoit gagnée pour la cour à force d’argent. Mais ce qui augmenta encore son dégoût pour le parti du parlement fut de se voir en concurrence avec MM. d’Elbœuf, de Beaufort et le maréchal de La Mothe, sans compter M. le prince de Conti, qui étoit encore au-dessus de tous ces chefs.

Cette concurrence entre tant de commandans fut un effet de la politique du parlement. Selon quelques-uns, il vouloit faire croire à chacun des prétendans qu’il étoit le premier, afin d’engager un plus grand nombre de personnes du premier rang ; et selon tres, c’est que plusieurs particuliers faisoient chacun à part leurs négociations sans en donner connoissance aux autres

L’on crut que ce qui pourroit consoler M. de Bouillon de la ruine de ses projets étoit que lui et madame sa femme aimoient passionnément tous les partis qui se faisoient contre la France, et dans lesquels on pouvoit avoir le moindre commerce avec l’Espagne.

M. d’Elbœuf voulut s’engager dans ce parti, persuadé tout de même, comme je l’ai déjà dit, qu’il y commanderoit seul.

Le maréchal de La Mothe, par l’amitié qu’il avoit pour M. de Longueville, comme aussi pour se venger de quatre années de prison[13] où l’avoit détenu la cour.

Enfin M. de Beaufort[14], par la prison qu’il avoit aussi soufferte depuis la régence, pendant laquelle on avoit même commencé à lui faire son procès, sur le soupçon qu’il avoit voulu attenter à la vie du cardinal Mazarin ; il s’étoit sauvé au commencement de l’été, et depuis sa sortie il avoit toujours été caché.

Aux premières brouilleries du parlement, madame de Vendôme sa mère y présenta requête pour la justification de son fils ; et quoiqu’elle y eût été parfaitement bien reçue, l’affaire en demeura pourtant là. M. de Beaufort vint donc s’offrir au parlement[15], tant comme ennemi du cardinal que pour se justifier de cette calomnie, et se mettre par là en lieu de sûreté.

Ce prince parut d’abord extraordinaire en toutes choses ; il formoit un certain jargon de mots si populaires et si mal placés, que cela le rendoit ridicule à tout le monde, quoique ces mots, qu’il plaçoit si mal, n’eussent peut-être pas laissé de paroître fort bons s’il avoit su les placer mieux, n’étant mauvais seulement que dans les endroits où il les mettoit. Cependant cela ne le put empêcher de se rendre et de se trouver à la fin le maître de Paris : ce qui donna lieu de dire, pour l’excuser de ce qu’il parloit avec tant de dérangement et si grossièrement, qu’il falloit bien qu’un roi parlât la langue de ses sujets ; car son grand pouvoir parmi le peuple lui avoit acquis le titre de roi des halles.

Madame de Longueville et lui avoient été dans la cábale opposée à celle de la régence ; et, quoiqu’ils ne témoignassent point se haïr, il étoit pourtant toujours resté un peu d’aversion entre eux : ce qui fut cause qu’il prit des mesures avec le coadjuteur, plutôt qu’avec M. le prince de Conti et elle.

Le coadjuteur sut si bien le faire valoir, en insinuant qu’il étoit irréconciliable avec le cardinal Mazarin, et incapable par conséquent de les tromper, que le peuple de Paris joignit l’adoration pour ainsi DE LA DUCHESSE DE NEMOURS. [1649] dire à la tendresse qu’il avoit pour lui. Il n’avoit point d’esprit ; mais il avoit si bonne opinion de lui-même, qu’il l’insinuoit facilement aux personnes simples. Il affectoit même plus d’ingénuité qu’il n’en avoit, et par cette manière moitié vraie, moitié artificieuse, il témoignoit aussi plus de sincérité que ne lui en remarquoient les plus habiles : ce qui portoit les autres à compter entièrement sur sa bonne foi. Comme madame de Longueville avoit caché avec beaucoup d’art la brouillerie qu’elle avoit avec M. le prince son frère, personne ne la cruț véritable, lorsqu’en jugeant qu’il étoit de son intérêt de la faire connoître, elle consentit qu’on la publiât. Ce qui fut cause que les Parisiens ne prirent aucune confiance ni au prince de Conti ni à elle, et ce qui donna aussi tant d’avantage à l’autre parti qui se trouva dans la ville et qui leur étoit opposé. M. le prince avoit pour madame sa sœur une extrême tendresse. Elle, de son côté, le ménageoit, moins par intérêt que pour l’estime particulière et la tendre amitié qu’elle avoit pour lui. En ce temps-là, ni son esprit ni celui de toute la cabale n’étoient point d’avoir des desseins ni de l’habileté ; et quoiqu’ils eussent pourtant tous beaucoup d’esprit, ils ne l’employoient que dans les conversations galantes et enjouées, qu’à commenter et raffiner sur la délicatesse du cœur et des sentimens. Ils faisoient consister tout l’esprit et tout le mérite d’une personne à faire des distinctions subtiles, et des représentations quelquefois peu naturelles là-dessus. Ceux qui y brilloient donc le plus étoient les plus honnêtes gens selon eux, et les plus habiles ; et ils [1649] MÉMOIRES traitoient au contraire de ridicule et de grossier tout ce qui avoit le moindre air de conversation solide. Madame de Longueville savoit très-mal ce que c’étoit de politique : aussi en avoit-elle si peu que, quelques années avant le temps dont je parle, elle avoit vu sans chagrin comme sans conséquence l’amour et l’attachement extrême de M. le prince et de mademoiselle Du Vigean, de laquelle elle avoit fait son intime amie, jusqu’à entrer même dans cette confidence. Mademoiselle Du Vigean, de même caractère que ma— dame de Longueville, avoit vu avec aussi peu d’inquiétude l’extrême tendresse de M. le prince pour madame sa sœur. Il est vrai que lorsque leur expérience leur en eut appris davantage à toutes deux, en devenant plus politiques elles se devinrent insupportables l’une à l’autre. Chabot, par la confiance et par l’amitié que M. le prince avoit pour lui, étant devenu le chef du conseil de mademoiselle Du Vigean, lui fit comprendre qu’il étoit de son intérêt d’avoir seule la confiance de M. le prince : à quoi elle réussit parfaitement bien.

J Le maréchal d’Albret, et ensuite La Rochefoucauld, plus politique encore que ce maréchal, firent alors si bien connoître à madame de Longueville le préjudice que cela lui feroit qu’une autre partageât avec elle le crédit qu’elle avoit sur M. le prince, qui se voyoit comme le maître du royaume dans la conjoncture des choses, qu’elle se résolut de rompre la grande intelligence qui étoit entre lui et mademoiselle Du Vigean ; .et, pour y mieux réussir, elle commença à en donner avis à mademoiselle Du Vigean, qui en fit grand bruit. Ensuite elle détacha le marquis d’Albret pour en faire M DE LA DUCHESSE DE NEMOURS. [1649] le galant de cette demoiselle, afin d’en dégoûter M. le prince ; mais Chabot, qui avertit ce prince que ce stratagême ne venoit que de madame de Longueville, fut cause qu’il ne tourna sa colère que contre elle, que cette intelligence de M. le prince et de mademoiselle Du Vigean n’en fut encore qu’un peu plus forte, et qu’enfin il n’eut plus pour madame de Longueville qu’une extrême froideur. Mais ce qui augmenta beaucoup cette froideur, c’est que la passion de M. le prince pour sa maîtresse devint si violente, qu’ayant toujours eu dessein de se démarier (1) depuis la mort du cardinal de Richelieu, comme prétendant avoir été marié par force, il fit dessein de l’épouser et en fit même parler à madame sa mère, laquelle, voulant avoir du crédit auprès de son fils à quelque prix que ce fût, lui témoigna approuver extrêmement son choix, en lui disant mille biens de cette personne, et en lui marquant beaucoup d’estime pour elle. Mademoiselle Du Vigean osa bien parler elle-même à madame de Longueville ; et cette dame, sans en témoigner aucun mécontentement, en avertit M. le prince son père, avec lequel elle se raccommoda exprès pour le pouvoir animer davantage contre son fils. Aussi en fit-il un éclat épouvantable, et dit mille choses cruelles de l’amant et de la maîtresse. M. le prince, de son côté, fort irrité contre madame sa sœur, se résolut de pousser son ressentiment contre elle tout aussi loin qu’il pourroit aller ; et pour cela il dit à M. de Longueville (2), son mari, tout ce (1) De se démarier : Le prince de Coudé avoit épousé malgré lui Claire Clémence de Maillé-Brezé, nièce du cardinal de Richelieu. (2) Il dit à M. de Longueville : 11 paroit que le prince dévoila au [1649] MÉMOIRES qu’il crut le plus nuire à cette dame, après lui avoir même conseillé de la faire enfermer dans une de ses maisons.

M. de Longueville, qui en savoit déjà assez, n’eut pas de peine à croire tout ce que son beau-frère lui voulut persuader de sa femme ; mais il n’en fut que cela, et il en demeura là tout court. Óutré que naturellement

il n’étoit pas sensible, il étoit incapable d’une violence. Mais ce qui paroîtra tout-à-fait bizarre, c’est que M. le prince, qui venoit de témoigner tant de ressentiment contre madame de Longueville, par un excès de l’amour qu’il avoit pour mademoiselle Du Vigean, devint en fort peu de temps, après une maladie qu’il eut depuis la bataille de Nordlingue (1), aussi indifférent pour ce qu’il avoit tant aimé que s’il n’en avoit jamais oui parler, Cependant, quoiqu’il ne fût plus du tout question de mademoiselle Du Vigean, le frère et la sœur n’en furent pas mieux ensemble, M. le prince demeura avec bien du mépris pour madame de Longueville, et madame de Longueville avec bien de l’aversion pour lui. Mais comme elle avoit pris goût à cette recherche générale, et à la grande considération qu’il lui avoit procurée, elle voulut suppléer par ses intrigues à ce qu’elle ne pouvoit plus conserver par son frère ; et cela lui fut d’autant plus aisé, que ceux dont elle se servoit pour y parvenir, voulant se servir d’elle à leur tour pour parvenir aussi à leurs fins, n’oublièrent rien mari de sa sœur l’intrigue qu’elle avoit avec le prince de Marsillac, depuis duc de La Rochefoucauld. (1) La bataille de Nordlingue : Cette bataille avoit été gagnée par le duc d’Enghien, depuis prince de Condé, le 3 août 1645. DE LA DUCHESSE DE NEMOURS. [1649] hºg pour lui mettre dans la tête combien il étoit grand et beau à une femme de se voir dans les grandes affaires, et combien cela la feroit distinguer et considérer, outre le plaisir qu’elle concevoit encore d’être dans un parti opposé à celui de son frère. Car, quoiqu’il y eût quelque apparence qu’il voulût entrer dans celui qu’elle avoit pris, elle le connoissoit trop bien pour l’en croire capable, sachant d’ailleurs combien il haïssoit tous les partis.

Mais la plus forte raison qui la détermina, et qui étoit aussi celle qui la touchoit le plus, fut qu’en se mettant ainsi dans de grands partis elle crut qu’elle passeroit pour en avoir beaucoup plus d’esprit : qualité qui faisoit sa passion dominante, et l’objet de ses désirs les plus préssans et les plus chers. En un mot, tout ce qu’elle croyoit le plus propre à établir son mérite personnel prévaloit toujours en elle sur toute autre considération.

C’est aussi ce qui faisoit que les grandes choses dépendoient presque toujours chez elle des petites ; et qui auroit voulu chercher des motifs bien solides de sa conduite s’y seroit assurément trompé, puisqu’elle sacrifioit ordinairement à sa gloire et sa fortune et son repos. Mais comme elle mettoit presque toujours cette gloire où elle n’étoit point, il ne lui en restoit presque jamais que la vaine imagination de l’avoir cherchée où elle étoit. Ce fut La Rochefoucauld qui insinua à cette princesse tant de sentimens si creux et si faux. Comme il avoit un pouvoir fort grand sur elle, et que d’ail leurs il ne pensoit guère qu’à lui, il ne la fit entrer dans toutes les intrigues où elle se mit que pour pou[1649] MÉMOIRES voir se mettre en état de faire ses affaires par ce moyen. Pour M. de Longueville, quoiqu’il eût dû être mal content de n’avoir point eu de part au secret des négociations qui s’étoient faites à Munster (¹) entre les plénipotentiaires pour la France, où il avoit été aussi en qualité de plénipotentiaire lui-même, cela ne l’avoit pourtant point fâché. Ce ne fut donc pas ce qui l’obligea à se déclarer contre la cour ; mais le cardinal, qui ne le connoissoit point assez pour ne pas craindre qu’il n’eût là-dessus tous les sentimens qu’il devoit avoir, et que pour se venger de lui il ne publiât qu’il avoit empêché la paix, trouva sans y penser, en voulant l’apaiser sur ce qu’il ne sentoit point, le secret de le fâcher véritablement. . Il savoit qu’il désiroit sur toutes choses le gouvernement

du Havre, qui étoit la seule place importante qu’il n’eût point en Normandie, et qui pouvoit le rendre maître absolu de toute cette province. Il lui fit donc espérer cette place par le nommé Priolo, mais sans avoir pourtant aucun dessein de la lui donner, ne pensant à autre chose qu’à en faire durer davantage la négociation par cette espérance, de laquelle il ne vouloit simplement que l’amuser et l’éblouir. Et comme la chose touchoit trop vivement M. de Longueville pour la pouvoir négliger, il la pressa tant que Priolo le vint assurer de la part du cardinal qu’il la lui donneroit ; mais enfin son impatience força le cardinal à se découvrir entièrement, et à lui déclarer tout net qu’il ne la lui avoit jamais promise. (1) Des négociations qui s’étoient faites à Munster : Elles avoient été suivies des traités de Westphalie qui furent conclus en 1648, à l’époque des premiers troubles de la Fronde. DE LA DUCHESSE DE NEMOURS. [1649] Le ministre ne passoit pas pour avoir une fort grande délicatesse sur l’exécution de ses promesses, et Priolo étoit un fort grand menteur. Ainsi on n’a jamais pu savoir au vrai lequel des deux avoit menti ; mais ce qu’on a cru de plus vraisemblable sur cela, c’est que le cardinal en avoit peut-être moins promis que Priolo n’en avoit avancé, et plus fait espérer que n’en avona ce ministre.

’ M. de Longueville, dans cette occasion, ajouta cependant plus de foi à son secrétaire qu’au cardinal : ce qui causa une si grande animosité entre eux, qu’étant devenue publique, mille gens contribuèrent encore à l’augmenter, aussi-bien qu’à rendre ce ministre plus odieux, et cela d’autant plus facilement qu’il étoit devenu dans ce temps-là le mépris et la haine de presque tout le monde. Dans cette conjoncture de l’aigreur de M. de Longueville contre le cardinal, madame de Longueville revint de Normandie ; et, comme elle étoit grosse, elle emprunta Noisi, qui étoit à M. l’archevêque de Paris, afin de pouvoir faire sa cour plus commodément. M. de Longueville la venoit voir très-souvent. Le coadjuteur, sous prétexte de faire les honneurs de la maison de son oncle, y alloit aussi fort souvent pour négocier ; et il fit tant de propositions, et marqua tant d’empressement à M. de Longueville, qu’il lui fit promettre de servir la France et le parlement. Mais ce prince ne prétendit jamais que ce fût ailleurs que dans le conseil du Roi, où il étoit entré depuis la régence, ne s’étant pas mis dans la tête qu’il dût y avoir de guerre. Aussi ne vouloit-il point venir à Paris au blocus, parce qu’il ne croyoit point s’y être engagé ; et [1649] MÉMOIRES il n’y fût point venu du tout si on ne l’y eût entraîné. Ainsi, comme il n’avoit point de dessein d’y demeurer, et que d’ailleurs il n’y voyoit point de poste qui lui fût convenable, il ne tarda guère à s’en retourner en Normandie où le duc de Retz le suivit, lequel, selon Saint-Evremont (¹), n’y fit rien autre chose que la charge de duc et pair. Sitôt que M. de Longueville fut arrivé en Normandie, toute la province se déclara pour lui ; et dans Je même instant l’on renvoya le comte d’Harcourt, que la cour y avoit envoyé pour y commander. Mais pour dire ici quelque chose du caractère de M. de Longueville, après avoir parlé si long-temps des motifs qui le faisoient agir, ce prince’étoit entré dans bien des affaires par le même esprit qu’il étoit entré dans celle-ci, c’est-à-dire toujours sans en avoir le dessein. Naturellement il n’aimoit point à contredire il le faisoit encore moins pour une chose éloignée, et dont l’exécution lui paroissoit ou douteuse ou sans apparence. Ainsi, lorsqu’elle se tournoit autrement qu’il ne l’avoit conçue, il se trouvoit presque toujours engagé et contre son attente et contre sa volonté.

Quant au coadjuteur, quoiqu’il parût et si empréssé et. si zélé pour grossir le parti du parlement, et quoiqu’il en fût entêté, il n’avoit jamais eu aucun sujet de se plaindre de la cour au contraire, il devoit à la Reine sa coadjutorerie de Paris. Mais il avoit une ambition sans bornes, et à quelque prix que ce fût il (1) Selon Saint-Evremont : On a de cet écrivain un petit ouvrage fort malin sur la conduite que tint alors en Normandie le duc de Lon- gueville. DE LA DUCHESSE DE NEMOURS. [1649] 413 vouloit être cardinal, comme l’ayoient été deux évêques de Paris de son nom (¹). Un homme de bon sens, d’un cœur droit et d’une conduite régulière, auroit dû croire que la voie la plus sûre, la plus courte, la plus honnête et la plus juste pour parvenir à ses desseins auprès du prince, étoit sa fidélité ; il en auroit fait ses principaux moyens, il n’auroit cherché à éta-. blir sa grandeur et sa gloire que dans ses devoirs seuls ; et enfin ses devoirs et sa fidélité pour son prince lui auroient tenu lieu de toutes choses. Mais comme le coadjuteur ne pouvoit trouver que dans les aventures extraordinaires de quoi remplir ses idées vastes, et satisfaire toute l’étendue de son imagination, il crut au contraire qu’il trouveroit beaucoup mieux son compte dans les partis et dans les troubles. Outre qu’ils flattoient bien davantage son inclination, il en avoit tant pour toutes les choses extraordinaires, qu’il en auroit préféré une de cette nature qui auroit été médiocre ou mauvaise, à une qui auroit été bonne et solide, s’il n’avoit pu y parvenir que par des voies ordinaires. Son esprit, quoique pénétrant et d’une étendue assez vaste, étoit cependant sujet à de si grandes traverses, qu’il se piquoit généralement de tout ce qui ne lui pouvoit convenir, jusqu’à se piquer de galanterie, quoique assez mal fait ; et de valeur, quoiqu’il fut prêtre. Il avoit encore bien d’autres foiblesses, qui furent la cause de tous les malheurs qu’il attira à la France. (1) Deux évéques de Paris de son nom : Pierre, cardinal de Gondy, mort en 1616. Il avoit rendu à Henri iv de grands services. Henri de Gondy, appelé cardinal de Retz, mort en 1622. A la fin de la même année, l’évêché de Paris fut érigé en archevêché. [1649] MÉMOIRES Mais on auroit assez de peine sans doute à s’imaginer ce qui a commencé à lui remplir l’esprit de toutes les chimères dont il étoit plein, et à concevoir qu’un homme de son caractère et de ses lumières ait pu se trouver susceptible d’une raison aussi creuse que celle qui a donné lieu à tous ses mouvemens, et si vifs et si impétueux pour la Fronde ét pour. le parlement. ( Etant

en Italie, le livre de la Conjuration de Louis de Fiesque (¹) lui tomba malheureusement entre les mains ; et comme la lecture des romans gâte ordinairement l’esprit des jeunes personnes disposées à l’amour, la lecture de ce livre tourna si fort la tête ambitieuse de ce coadjuteur, qu’il osa même entreprendre de justifier dans ce nouveau Catilina ce que l’auteur qui a écrit contre lui y a si justement et si sagement condamné. Et il ne faut que lire le livre qu’il n’a fait là-dessus qu’en feignant seulement de traduire celui de la conjuration, pour voir combien il étoit charmé et des révoltés et des révoltes, puisqu’il paroît ne l’avoir traduit et commenté que pour justifier la conduite et le dessein du comte de La Vagne. Il se faisoit même plus d’honneur et plus de plaisir du nom de petit Catilina qu’on lui donnoit quelquefois, qu’il ne s’en promettoit du chapeau de cardinal que son ambition lui faisoit désirer à quelque prix que (1) Le livre de la Conjuration de Louis de Fiesque : Ce livre est intitulé la Congiura del conte Gio. Luigi de Fieschi, descritta da Agostino Mascardi. Anvers, 1629. Il est dans le goût des anciens, et l’on y trouve beaucoup de harangues. Cependant l’auteur y montre les dangers des conjurations et des troubles politiques. Le jeune abbé de Gondy ; de retour en France, en publia, dans un esprit tout différent, une imitation écrite d’un style énergique et remplie d’idées hardies. DE LA DUCHESSE DE NEMOURS. [1649] 415 ce fût, et que sa vanité lui faisoit espérer avec tant de confiance.

De la lecture du livre de cette conjuration, il lui resta donc un si grand goût pour les intrigues parmi les bourgeois de Paris, que depuis cela il avoit toujours ménagé le peuple de cette grande ville avec une attention extrême, persuadé sans doute que l’archevêché de Paris n’étoit propre à rien de si bon qu’à faire des intrigues considérables, qu’à fomenter des séditions et qu’à exciter des révoltes. Mais il ne faut pas que j’oublie de rapporter ici qu’aux premières barricades du parlement il fut si transporté de joie de trouver un moyen de pouvoir entrer dans les intrigues, qu’il sortit en rochet et en camail pour faire croire, en donnant des bénédictions, qu’il vouloit faire cesser la rumeur. Après quoi il vint avec empressement donner ses avis au cardinal sur ce qui se passoit, lequel n’en fit pas grand cas, sachant peut-être bien qu’il y avoit contribué ; car, après qu’il fut parti, lui et la Reine ne firent que se moquer de lui.

Ce fut donc de cette manière froide et méprisante avec laquelle le cardinal reçut les offres du coadjuteur, dont ce coadjuteur fit son prétexte pour se mettre dans le parti de la Fronde. Les ducs de Brissac, de Luynes, de Noirmoutier et de Vitry entrèrent aussi tous quatre dans le même parti, et ils y furent faits lieutenans généraux sous le commandement des ducs d’Elbœuf et de Beaufort, et du maréchal de La Mothe, au-dessus desquels M. le prince de Conti étoit encore en qualité de généralissime, comme je l’ai déjà dit dans un autre endroit. $16 [1649] MÉMOIRES

Le duc de Brissac entra dans ce parti a cause de l’alliance qui étoit entre le coadjuteur et lui ; Le duc de Luynes, par une dévotion de jansénisme (¹) assez mal entendue ;

Noirmoutier, par la seule haine qu’il avoit pour M. le prince, à cause de quelque chose qui s’étoit passé à la bataille de Lens, dont il n’a jamais perdu le souvenir ;

Et Vitri, par le mécontentement de ce qu’on lui avoit refusé le brevet de son père. Je ne veux pas encore oublier ici que Laigues (2) entra dans le parti du parlement comme ami du coadjuteur, aussi bien que par la haine qu’il portoit à M. le prince, qui lui avoit donné quelque chagrin au jeu. Avant cela, Laigues étoit un homme peu connu et peu

considéré. La Boulaye, qui étoit entré dans ce parti avant lui, et qui étoit encore moins dans le monde, y entra á cause du mécontentement qu’il eut de n’avoir pu obtenir la survivance de la charge de colonel des CentSuisses, que le duc de Bouillon La Marck son beaupère avoit possédée.

Le prince de Tarente prit encore le même parti, à la persuasion de madame de La Trimouille sa mère, qui l’en sollicita fort, parce qu’elle aimoit les procès, et qu’elle en avoit beaucoup. Le comte de Maure, qui avoit toujours passé pour un fort honnête homme, s’avisa par malheur pour luj (i) Par une dévotion de jansénisme : Ce mot est très-remarquable. il montre quelles étoient les opinions secrètes de messieurs de Port-Royal. —(2) Laigues : Il étoit l’amant de la duchesse de Chevreuse, mère du duc de Luynes. On croyoit qu’il l’avoit éponsée en secret. DE LA DUCHESSE DE NEMOURS. [1649] de se faire frondeur ; car il en acquit un si grand ridicule qu’il n’en est jamais revenu. Tancrède (1) voulut être encore de ce nombre, malgré tous les sujets qu’il avoit de se plaindre du parlement, qui lui avoit fait perdre son procès contre Chabot ; mais, comme il étoit mineur, l’espérance de enir contre son arrêt l’avoit obligé à prendre leur parti. Sa mort cependant rendit tous ses desseins fort inutiles, et pour le parlement et pour lui : elle acheva d’assurer à son beau-frère toute cette grosse succession de la maison de Rohan. Lorsque Tancrède mourut, on fit quelques vers sur sa mort au service du parlement ; mais je ne me souviens que de ces deux-ci :

Il a tout fait pour la justice, Et la justice rien pour lui. Mata se vint ranger du côté du parlement, mais il n’y fit pas une figure fort considérable. Je n’ai pas même ouï dire qu’il en ait fait d’autre que celle de général des postes, qu’avoit Nouveau son beau-frère. Fossense, Dallui, Sévigné et plusieurs autres de cette même volée, vinrent tous s’offrir au parlement presque en même temps que Mata ; mais ils y firent si peu

chose que je n’ai rien à en dire. M. d’Elbœuf avoit fait son traité avec le parlement (1) Tancrède : C’étoit un jenne homme que la duchesse de Rohan vouloit faire passer pour son fils. Elle y’étoit portée par le dépit que lui avoit donné sa fille unique, en épousant, malgré sa famille, Henri de Chabot. Le parlement de Paris avoit déclaré Tancrède supposé en 1646. Ce jeune aventurier espéroit, en embrassant le parti de la Fronde, que son procès seroit revu, et qu’il le gagneroit. Il fut tué au commencement de février 1649, dans une sortie que firent les Parisiens. T. 34,

27 [1649] MÉMOIRES par le nommé Deslandes-Payen, qui l’avoit assuré de la part de tous ces messieurs qu’il auroit le principal commandement. Ce. Deslandes étoit conseiller, et avoit connu M. d’Elbœuf en Flandre, où ils avoient été tous deux en exil. J Ce conseiller avoit de très-grandes obligations à M. d’Elbœuf, qui lui avoit fait gagner un procès dans lequel il s’agissoit d’un bénéfice considérable. Ce fut aussi par le moyen de ce Deslandes, qui avoit un grand crédit au parlement parce qu’il n’y avoit que lui qui entendît la guerre, que ce prince fut reçu d’abord comme général. Il est vrai encore que, pendant l’espace de deux jours seulement, il fut le maître de Paris, les délices du peuple et l’espérance du parlement ; mais sitôt que M. le prince de Conti et madame de Longueville furent arrivés, cette grande considération qu’on avoit eue pour lui s’évanouit, et cessa si bien que depuis cela on ne savoit plus qu’il y fût, que par les chansons burlesques qu’on fit contre lui. Ce qui fut cause que la Fronde se détermina à y faire venir M. le prince de Conti et madame de Longueville ; car ceux qui négocioient avec lui pour Paris n’avoient pas

dessein de les faire venir, qu’on n’eût vu auparavant comme les choses tourneroient. Mais comme ils virent que le duc d’Elbœuf, qui s’offrit dans ce temps-là au parlement, y étoit si puissant, ils crurent bien qu’il n’y avoit plus de temps à perdre, et que cela pourroit traverser leurs desseins. Les assiégeans et les assiégés se trouvoient également trompés dans leurs mesures ; car, comme tout le monde a des procès ou craint d’en avoir, il y eut peu de gens qui n’en prissent quelques-unes avec le parlement, ou tout au DE LA DUCHESSE DE NEMOURS. [1649] 419 moins qui ne frondassent avec lui le ministre et le ministère, et qui n’applaudissent à ce qu’ils paroissoient faire pour le peuple. Mais comme les paroles ne coûtent rien, sitôt que la guerre fut déclarée, tel qui leur avoit fait de grandes protestations, se trouvant plus engagé à la cour qu’à eux, favorisoit luinême le blocus ; et ceux qui’y venoient servir se rendoient et se trouvoient à la fin leurs maîtres. Ce qui dégoûta si fort de la guerre messieurs du parlement, què, sans se mettre beaucoup en peine de ceux qui s’étoient joints à eux, ils délibérèrent de penser à quelque accommodement avec la cour : et cela d’autant plus volontiers que ces trois ou quatre cent mille hommes qu’ils s’étoient flattés de lever à Paris étant tous gens de métier, et aucun ne voulant quitter sa maison qu’on ne lui donnật de l’argent, dont on n’avoit guère, ils se trouvèrent presque réduits à rien. Ainsi on leva peu de monde, et encore de si mauvaises troupes, qu’elles prenoient toutes la fuite à la première occasion. Du côté de la cour, on n’étoit pas moins trompé ; les troupes dont on avoit formé le blocus de Paris pour affamer la ville ne servirent qu’à la nourrir. Les vivres y étoient devenus si chers par la difficulté qu’il y avoit d’y en faire venir, que les officiers, qui en faisoient entrer par charrois, y trouvèrent un profit très-considérable ; et tout le monde par ce même intérêt y en apportoit. + Cependant, quoique chaque général y en fit entrer les jours qu’il étoit de commandement, le peuple ne voulut point croire que d’autres y en fissent entrer que M. de Beaufort et M. de La Boulaye. Enfin, Paris prit une face si différente de ce qu’il 27. [1649] MÉMOIRES avoit été, qu’on auroit eu peine à s’imaginer que les mêmes gens eussent pu devenir en si peu de temps si dissemblables d’eux-mêmes. On ne s’y entretenoit plus que de la guerre, du prix de la farine et de l’édit de 1617, qui excluoit du gouvernement tous les étrangers ; on n’y parloit plus que d’affaires d’Etat, de quelque âge et de quelque sexe que l’on fût. Plus on avoit d’ignorance, plus on décidoit hardiment. Mais dans ce caprice général où l’on étoit de ne parler que de choses sérieuses, importantes et solides, on y avoit pourtant si de solidité dans l’exécution, que presque perpen sonne

ne s’avisa de traiter de chose importante la témérité qu’il y avoit d’oser soutenir la guerre contre l’autorité royale.

Ce qui fit dire à M. le prince que cette guerre pe pouvoit être bien décrite qu’en vers burlesques, parce qu’on y passoit les jours entiers à se moquer les uns des autres.

Dans le parlement, on n’y traitoit point les affaires avec plus de dignité ni avec plus de gravité. Lorsqu’on y proposoit un avis pour la cour, au lieu de tâcher d’y répondre avec de meilleures raisons que celles qu’on proposoit, on n’y répondoit jamais que par de longues huées semblables à peu près à celles que font les laquais à la porte du Cours ou de la comédie ; et c’étoit là proprement ce que l’on appeloit fronder. Ce mot a eu cependant encore une autre origine, qui étoit celle de la guerre que la canaille s’entrefaisoit à coups de pierre dans les faubourgs et dans les fossés de Paris avec des frondes, à laquelle on comparoit celle de Paris, qui se faisoit par des bourgeois qui n’en connoissoient point d’autres. Et l’on comDE LA DUCHESSE DE NEMOURS. [1649] mença à mettre le mot de fronde en usage, après que Bachaumont (1), en faisant comme les autres de ces huées ordinaires, eut dit qu’il alloit fronder l’avis de son père, qui étoit le président Le Coigneux, père du dernier mort.

On avoit mené le Roi à Saint-Germain le 6 janvier de cette année, lorsqu’on y sut que M. le prince de Conti et madame de Longueville étoient arrivés à Paris le 10, et que M. le prince, soupçonné d’y avoir fait venir son frère, étoit à un de ses quartiers, qui n’étoit éloigné que d’un quart de lieue de la ville. Cela fit croire qu’il s’y alloit jeter lui-même : ce qui mit la Reine et M. le cardinal dans une appréhension mortelle ; mais cette crainte fut bientôt dissipée par son retour.

M. le prince, soit pour ôter les soupçons qu’on pouvoit avoir eus de lui là-dessus, ou bien pour suivre les mouvemens de la colère où il étoit de voir qu’on s’op posoit à la réduction de Paris qu’il avoit entreprise, dit des choses si terribles de son frère et de sa sœur, qu’il ne falloit être guère éclairé pour pouvoir croire que ce fût un jeu joué entre eux. Il devint si furieux d’abord que personne n’osoit l’aborder, et puis tout d’un coup il revint chez la Reine avec un certain air libre, comme s’il n’avoit jamais été fâché ; et tenant par la main un petit bossu (2) qu’il lui menoit, paré d’une casaque dorée : « Voilà, lui dit-il, madame, en (1) Bachaumont : François Le Coigneux, alors conseiller-clerc au parlement de Paris. Il fit depuis avec Chapelle un Voyage mêlé de prose et de vers, qui a servi de modèle dans ce genre agréable et négligé.. (2) Un petit bossu : Le prince de Conti, qui commandoit l’armée parisienne, étoit contrefait.

[1649] MÉMOIRES « faisant de grands éclats de rire, le généralissime de << Paris. » Il est vrai que le prince de Conti ne répondit pas à l’espérance que l’on avoit conçue de son esprit. Madame sa sœur elle-même, qui l’obsédoit et qui le gouvernoit en ce temps-là, étoit bien aise qu’on n’eût pas meilleure opinion de lui, afin que tout lui fût attribué.

Marsillac (1) qui la gouvernoit absolument, et qui ne vouloit pas que d’autres eussent le moindre crédit auprès d’elle, ni même qu’ils parussent y en avoir, l’éloigna fort du coadjuteur, qui n’auroit pas été fâché de la gouverner aussi, et qui l’étoit beaucoup que cela ne fût pas.

Cet éloignement de madame de Longueville fit insensiblement deux partis dans la ville. On s’y étoit toujours défié d’elle, à cause de M. le prince. D’ailleurs on n’y avoit pas une fort grande opinion de sa bonne foi, et encore une plus mauvaise de Marsillac qui la gouvernoit ; et on savoit même qu’elle ne pouvoit être fâchée qu’on doutât de sa sincérité, parce qu’elle s’imaginoit qu’on l’en croyoit plus fine et plus habile : jusque-là que la crainte qu’on ne la crût capable de se plaire avec les esprits vulgaires, ou qui n’étoient pas dans une grande réputation, faisoit qu’elle n’osoit presque paroître honnête avec personne.

Le coadjuteur, de son côté, outre qu’il étoit fort caressant avec tout le monde, se piquoit d’une probité à l’épreuve et au-dessus de toutes sortes d’intérêts. En effet, il n’en avoit point de médiocres : il ne (1) Marsillac : François de La Rochefoucauld. Ses Mémoires font partie de cette série. DE LA DUCHESSE DE NEMOURS. [1649] 423 trempoit jamais que dans les occasions qui lui pouvoient être d’une grande utilité ; et comme il avoit assez d’esprit pour connoître qu’il n’y en pouvoit avoir aucune pour lui dans la conjoncture présente, il n’eut pas de peine à réussir par là dans le dessein qu’il avoit de s’attirer tout le crédit. M. de Beaufort, uni avec le coadjuteur, eut la même politique ; il avoit pourtant plus de probité que lui.. Car, où il avoit une fois connu à quoi l’honneur l’a-. voit engagé, pour rien au monde il n’y auroit voulų. manquer ; mais comme ses connoissances, étoient fort bornées, il avoit le malheur de connoître rarement ses devoirs. Il ne faut pas s’étonner après cela si toutes ces conduites si opposées produisirent l’effet qu’elles devoient avoir du côté de ces deux hommes. Sur la fin du blocus de Paris, le coadjuteur ôtoit tout le crédit à M. le prince de Conti et à madame de Longueville, comme ceux-ci l’avoient ôté auparavant à M. d’Elbœuf. Mais, par malheur pour lui, il s’avisa de prêcher publiquement pour son parti contre celui du cardinal Mazarin et contre la personne de ce ministre, dans la créance que le peuple en seroit encore plus animé contre lui, parce qu’il avoit ouï dire que cela avoit beaucoup contribué autrefois à soutenir la Ligue : sans penser que la guerre de la Ligue étoit une guerre de religion toute différente de celle-ci. Aussi. cela fit-il un effet tout contraire. On eut tant d’horreur qu’on osât, en chaire, louer une faction dans un Etat faite par des sujets contre leur prince légitime, et y prêcher la division comme une chose juste et raisonnable, que, s’en étant aperçu lui-même, il feignit de se trouver mal, afin de finir plus tôt. D’un autre [1649] MÉMOIRES 424

côté, la défiance que l’on avoit de madame de Longueville étoit si grande qu’on crut qu’elle s’étoit enfuie de Paris, et que c’étoit Le Ferron, alors prévôt des marchands, de qui l’on se défioit aussi bien que d’elle, qui l’avoit fait sortir : ce qui obligea même Le Ferron de se cacher dans un cloître, et madame de Longueville de se faire voir, quoiqu’il n’y eût pas long-temps qu’elle fût accouchée. Tout cela joint au chagrin qu’avoit le parlement de voir employer mal à propos son argent dans le luxe et dans la magnificence, au lieu des troupes où il T’avoit destiné, lui donna d’abord quelque envie de faire la paix. Mais les malintentionnés et les frondeurs les plus entêtés, qui ne vouloient point qu’on traitât, firent changer cette pensée ; et, voyant que leur puissance ne répondoit pas aux espérances qu’on en avoit conçu,

ils se trouvèrent forcés d’avoir recours aux ennemis de l’Etat, et d’envoyer chercher du secours chez les Espagnols, à qui Noirmoutier et Laigues, amis intimes du coadjuteur, en allèrent demander ; et ce fut dans ce voyage que se fit la connoissance de Laigues avec madame de Chevreuse. La cour, sur cette nouvelle, et d’ailleurs voyant que la Normandie, la Provence, la Guienne et Reims, s’étoient déjà déclarées pour Paris, la Provence sous le commandement du comte de Carce qui avoit un fort grand crédit dans cette province, et le parlement de Guienne sous le commandement de Sauvebeuf et de Lusignan ; la cour, dis-je, informée de tous ces mouvemens contre elle, commença à faire des propositions et des offres aux particuliers, pour les détacher des intérêts du parlement. Marsillac, par son 4 DE LA DUCHESSE DE NEMOURS [1649] 435 intérêt seul, fit voir à madame de Longueville que l’extrême défiance qu’on avoit d’elle faisant diminuer son crédit tous les jours, elle en auroit encore moins à l’avenir ; et, comme elle se servoit moins de son esprit que de celui des autres, il lui persuada facilement d’entendre aux offres et aux propositions de la cour.

L’on ne fut pas long-temps à s’apercevoir de cette négociation : ce qui fit que chacun voulut traiter séparément. Ceux mêmes qui y étoient les plus engagés étoient fâchés que les autres s’engageassent à faire comme eux ; ils vouloient être les premiers, afin de rendre leur parti meilleur. On proposa donc publiquement, du côté de la cour, une conférence à Ruel qu’on jugea bien devoir réussir, parce que beaucoup de gens étoient déjà d’accord : et on ne faisoit même cette proposition que pour la forme. Le duc de Beaufort et le coadjuteur ne voulurent jamais entendre à aucun traité : ce qui leur donna beaucoup de réputation, et les fit demeurer à la tête d’un gros parti duquel ils furent pendant plusieurs années comme les. maîtres.

Madame de Longueville manda à son mari que tout le monde traitoit, qu’il y devoit penser aussi ; et puis elle se plaignit de ce qu’il l’avoit fait avant elle. Par le traité qu’on fit, on donna au prince de Conti Damvilliers, où Marsillac devoit commander sous lui, et dont il devoit même avoir les appointemens. Car, en ce temps-là, les person onnes du rang de M. le prince de Conti les laissoient toujours toucher à leurs lieutenans dans leurs gouvernemens. Sitôt que Marsillac, qui ne se hâtoit, et ne pressoit [1649] MÉMOIRES ")

126 tant madame de Longueville que pour en avoir plus tôt ce qu’on lui avoit promis du côté de la cour, en eut obtenu ce qu’il prétendoit, il ne pensa plus guère aux intérêts des autres. Il trouva dans les siens tout ce qu’il cherchoit, et son compte lui tenoit d’ordinaire toujours lieu de tout. Il fit même trouver bon à madame de Longueville qu’on n’eût point pensé à elle, quoique le prince de Conti et elle n’eussent pressé cette paix de leur côté que dans l’espérance de faire leurs. conditions meilleures, et dans la crainte de n’en être plus les maîtres s’ils tardoient trop ; parce qu’ils s’apercevoient bien que leur crédit diminuoit tous les jours de plus en plus. A l’égard de M. de Longueville, à la réserve seulement de la survivance de ses gouvernemens qu’on lui accorda pour ses enfans et qu’on ne refusoit à personne en ce temps-là, on ne lui donna rien. C’est ce qui fit qu’il s’opiniâtra si long-temps à ne vouloir consentir à aucun accommodement, à moins qu’il n’eût le Pont-de-l’Arche, que la cour ne’vouloit point aussi lui donner, parce que, n’ayant que trop connu et senti le grand crédit qu’il avoit en Normandie, elle n’avoit garde de l’augmenter en lui donnant cette place. Mais M. le prince, voyant cette difficulté, assura M. de Longueville qu’il la leveroit, et qu’il auroit ce qu’il désiroit ; que même, en faveur de la paix, il vouloit bien lui en donner sa parole et s’en faire fort, sans se mettre beaucoup en peine s’il pourroit la lui tenir ; car il ne se faisoit pas une affaire de manquer à ce qu’il promettoit.

Le coadjuteur fit humainement tout ce qu’il put pour s’opposer à cette paix, quoique M. le prince de DE LA DUCHESSE DE NEMOURS. [1649] 427 Conti témoignât la souhaiter avec tant de passion. M. de Beaufort, de son côté, qui n’en faisoit pas moins que le coadjuteur, et qui cherchoit tous les moyens imaginables de l’empêcher, crut en avoir trouvé un infaillible qu’il proposa à M. de Bellièvre, en lui demandant par manière d’avis si, en donnant un soufflet à M. d’Elbœuf, il ne changeroit point la face des affaires : à quoi M. de Bellièvre répondit, d’un sangfroid plus digne de sa gravité que de la question, qu’il ne croyoit pas que cela pût changer autre chose que

la face de M. d’Elbœuf. Cela réjouit, et fit beaucoup rire tous ceux qui entendirent cette conversation, et ne fit qu’augmenter les bons contes qu’on faisoit les uns des autres, et surtout de M. de Beaufort. Ainsi finit la première guerre de Paris (¹), où l’on déchira d’une manière épouvantable M. le prince de Conti et madame de Longueville : ce qui leur donna une si cruelle aversion pour la Fronde et pour le parlement, qu’ils l’ont toujours conservée depuis ; et il arriva même parmi les frondeurs qu’on fit plus d’une fois à M. de Marsillac de ces sortes de menaces, qui ne se font guère à des gens de sa qualité. Après que la plupart du parti fut d’accord que, pour la bienséance et pour contenter le peuple, on demanderoit que le cardinal Mazarin sortît ho de France,

comme personne ne se vouloit charger de cette commission, ce qui n’étoit pourtant qu’une pure comédie pour leurrer le peuple, le comte de Maure s’en chargea, croyant que tout cela se faisoit de bonne foi ; (1) Ainsi finit la première guerre de Paris : Le traité entre le parlement

et la cour fut signé à Saint-Germain dans la soirée du 11 mars 1649. [1649] MÉMOIRES mais ce bel emploi qu’il prit acheva de le tourner en ridicule.

Dans cette paix, tout le monde fit réflexion que pendant la guerre on en avoit assez fait pour fâcher. le cardinal, mais qu’on n’en avoit point fait assez pour se mettre à couvert de son ressentiment : et c’est par cette réflexion qu’on blâma si fort messieurs du parlement d’avoir fait la paix dans la conjoncture où ils la firent, et de ne l’avoir pas faite ou plus tôt ou plus tard. Car il est certain que, s’ils avoient pris le temps qu’ils avoient tant de postes considérables auprès de Paris, ces postes la leur auroient fait faire plus avantageuse

ou ils devoient du moins attendre encore quelque

temps, puisque Paris ne pouvoit plus être affamé, que plusieurs provinces étoient sur le point de se joindre à celles qui s’étoient déclarées pour eux, et qu’enfin la saison forçant la cour de retirer ses troupes pour les renvoyer sur la frontière contre les Espagnols, elle se seroit trouvée dans la nécessité de traiter avec eux aux conditions qu’ils auroient voulu : au lieu que, , pour avoir si mal pris leur temps, il en arriva tout autrement. De cette paix, dont aucun des partis ni de tous les gens qui y entrèrent ne fut content, on peut encore faire cette réflexion, qui est que si rien ne flatte et ne séduit tant que les commencemens de ces sortes d’intrigues où l’on entre’, rien aussi n’en désabuse tant que leurs fins, par l’expérience qu’elles donnent du contraire de tout ce qu’on s’y étoit proposé en y entrant. La paix du parlement ainsi faite et conclue, madame de Longueville alla à la cour, persuadée qu’ayant été la seule cause de la paix, elle y seroit parfaitement bien reçue ; mais O DE LA DUCHESSE DE NEMOURS. [1649] 429 elle trouva, au contraire, qu’on ne s’y souvint que de la guerre qu’elle avoit suscitée et entretenue. La Reine la reçut donc assez froidement ; et le cardinal ne la fut voir que pour la remercier tout haut de lui avoir été toujours plus favorable que tous les autres qui avoient été comme elle opposés à son parti, croyant bien qu’il la décréditeroit dans le sien en lui parlant ainsi. Tout le monde en jugea de même en lui entendant faire un pareil compliment. M. le prince ne vint ni la voir ni la présenter, comme on pensoit qu’il l’avoit promis, s’excusant sur ce qu’il étoit malade : ce qui fit croire à madame de Longueville que c’étoit une mauvaise excuse. Elle en fit tant de plaintes qu’il fut obligé d’aller chez elle la bouche et les joues si enflées, qu’on vit bien que ses raisons n’étoient que trop bonnes. M. le prince, depuis la guerre de Paris, voyant que madame de Longueville gouvernoit M. le prince de Conti, qu’elle avoit du crédit auprès de monsieur son mari, et qu’elle étoit comme à la tête d’un gros parti, jugea. qu’elle lui pourroit être utile, et avec la même facilité se porta à un accommodement avec cette princesse, pour qui il parut toujours depuis avoir bien de la considération. Il la fit entrer dans toutes les affaires les plus importantes, et ils n’agirent plus tous deux que de concert. M. le prince étoit charmé de la haine qu’on avoit pour lui à Paris, et de ce qu’il avoit fait accroire à des bourgeois de la ville qui étoient venus à Saint-Germain, qu’il ne se nourrissoit que d’oreilles de bourgeois de Paris. Il se piquoit de craindre si peu Paris, qu’il y vouloit aller seul avant la cour. • 430

[1649] MÉMOIRES. Cette haine dont il s’étoit tant moqué ne laissoit pas que de l’embarrasser ; il trouva l’invention, pour y être en sûreté, de faire courir sourdement le bruit qu’il étoit mal avec le cardinal, et, avant que d’y aller, de proposer des conférences avec M. de Beaufort et le coadjuteur : sur quoi il les fit donner dans le panneau. Il vint donc à Paris, et il les vit tous deux comme il avoit été proposé ; mais sitôt qu’il fut parti, il ne fut plus question ni de son accommodement, ni de sa brouillerie avec M. le cardinal. Le parlement, que ce prince avoit voulu perdre, et qui s’étoit déclaré si hautement son ennemi, eut la lâcheté de lui faire une députation dès qu’il fut arrivé : ce qui donna lieu à bien des écrits pour le blâmer de cette démarche, parce qu’ils n’étoient pas tous de cette opinion ; mais comme c’étoit à la pluralité des voix que cela se décidoit, il fallut bien que le moindre nombre cédât au plus grand. Un peu après, madame de Chevreuse revint en France avec autant de diligence que de secret, et sans la participation de la cour. Sitôt qu’elle y fut arrivée, le cardinal, s’imaginant qu’elle pouvoit lui être utile dans la conjoncture des affaires présentes, lui manda que la Reine vouloit bien qu’elle vînt à la cour, où elle fut parfaitement bien reçue, et où même on lui fit donner de l’argent.

Il y avoit quatorze ou quinze ans qu’elle n’avoit été en France, hors deux ou trois mois seulement au commencement de la régence : ce qui étoit cause qu’elle n’y avoit plus d’habitude ; mais elle avoit tant d’art et de savoir faire pour les intrigues, qu’elle n’y fut pas long-temps sans y être dans une très-grande. DE LA DUCHESSE DE NEMOURS. [1649] 43 considération, et sans y avoir un très-grand nombre d’amis importans qui avoient tous une confiance entière à elle.

M. le prince crut qu’il y àlloit de sa gloire de ramener le Roi et la Reine à Paris, et M. le cardinal crut aussi qu’il étoit de l’intérêt de la régence d’y revenir. Mais il étoit resté une certaine cabale de frondeurs, qui se trouvoit dans un crédit absolu parmi le peuple et la Fronde. Ainsi il étoit assez difficile de pouvoir être en sûreté sans négocier avec cette cabale. M. Servien vint donc à Paris auparavant, et il s’adressa d’abord à M. de Beaufort, persuadé, à la peinture qu’on lui en avoit faite, que ce n’étoit pas une affaire de le réduire à ce qu’il voudroit. Cependant, contre son attente, il ne laissa pas de résister quelque temps ; mais enfin il se rendit, et consentit à tout ce qu’on vouloit de lui : qui étoit seulement qu’il ne feroit plus rien contre le cardinal, et qu’il ne s’opposeroit plus à rien de tout ce que la cour témoigneroit désirer, sans qu’on lui promît autre chose, pour une si grande docilité, sinon que le Roi et la Reine le recevroient fort bien : ce qui fit dire en ce temps-là que le coadjuteur, qui gouvernoit M. de Beaufort comme l’on gouverne une pendule, ne l’avoit montée que pour deux heures, parce qu’il n’avoit pas résisté davantage. Quant au coadjuteur, il ne voulut rien écouter ; mais voyant qu’il lui seroit presque impossible d’empêcher le retour de la cour à Paris, il se contenta de laisser croire qu’il n’y mettroit aucun obstacle. Le Roi et la Reine revinrent donc à Paris le 18 du mois d’août 1649. Après la paix de Paris, il falloit songer à celle des provinces. Celle de Rouen avoit été faite en même [1649] MÉMOIRES temps que celle de Paris ; et M. de Longueville avoit obtenu qu’on ôteroit le semestre de ce parlement, qui avoit été établi depuis peu d’années. M. le cardinal vouloit qu’en Provence le parlement traitât à de meilleures conditions que le gouverneur, quoique celui-ci eût été pour la cour. Sa raison étoit de vouloir lui donner des dégoûts assez grands pour le forcer à lui rendre ce gouvernement qui étoit sur le chemin d’Italie, et il vouloit faire plaisir au parlement, afin de s’en pouvoir faire aimer quand il seroit leur gouverneur ; mais M. le prince, qui vouloit favoriser le comte d’Alais son cousin germain, força le cardinal à faire tout le contraire de ce qu’il vouloit. En Guienne, l’affaire se passa tout d’une autre sorte.. M. le cardinal voulut favoriser M. le duc d’Epernon qui en étoit gouverneur, et il le faisoit dans la vue qu’une de ses nièces épouseroit M. de Candale ; mais M. le prince encore une fois fit échouer par force les desseins du cardinal Mazarin, et l’on favorisa le parlement au préjudice du gouverneur. Le cardinal, outré de ce que M. le prince le maîtrisoit et le contrarioit partout, ne lui vouloit guère moins de mal que ceux à qui ce prince faisoit la guerre,

et qu’à ceux qui la faisoient à ce ministre. Un peu après la paix de Paris, M. de Vendôme proposa au cardinal Mazarin le mariage de son fils de. Mercœur à une de ses nièces, en lui faisant donner l’amirauté. Mais M. de Beaufort fit tant de bruit de ce mariage, dans la crainte qu’il ne lui fît perdre son crédit parmi le peuple, qu’il le fit rompre sur l’heure, étant si puissant qu’on ne l’osoit fâcher. Mais au mois de septembre, soit que M. de Beaufort eût consenti DE LA DUCHESSE DE NEMOURS. [1649] au mariage, soit qu’on le considérât moins à cause que le crédit des frondeurs diminuoit beaucoup, on recommença à parler de ce mariage : et même il fut si avancé qu’on pria pour les fiançailles. Le dernier qui avoit été amiral étoit le duc de Brezé (¹), beau-frère de M. le prince, qui avoit demandé l’amirauté, et à qui on l’avoit refusée ; mais il avoit tant pressé, qu’au lieu de cette charge on lui avoit donné le gouvernement de Stenay, en spécifiant même que c’étoit pour récompense de l’amirauté. Il est vrai que M. le prince se voyant un pouvoir sans bornes ne laissa pas d’y prétendre, toujours persuadé qu’on n’oseroit lui rien refuser de tout ce qu’il voudroit demander fortement.

— Cette charge avoit toujours été vacante depuis la mort du duc de Brezé : et quand M. le prince sut qu’on alloit la donner à M. de Mercœur, il devint si furieux qu’il se résolut de l’empêcher à quelque prix que ce fût ; et le prétexte de la querelle qu’il fit à M. le cardinal là-dessus fut qu’on n’avoit point donné le Pontde-l’Arche à M. de Longueville, quoiqu’il ne s’en souciât guère auparavant.

M. le cardinal répondit à cette plainte : qu’il ne savoit pas pourquoi il lui alléguoit qu’il s’y étoit engagé avec M. de Longueville, puisque la Reine ne lui en avoit jamais donné aucun ordre. Sur cette réponse, M. le prince lui manda tout net qu’étant las de porter la haine publique pour lui, il vouloit qu’il s’en allât, et qu’il quittât le royaume. (1) Le duc de Brezé : Urbain de Maillé, neveu du cardinal de Richelien, frère de la princesse de Condé. Il avoit été tué’en 1646 au siège d’Orbitello.

T. 34. 28 [1649] MÉMOIRES Toute la France s’offrit au même instant à M. Te prince, à la réserve de M. de Vendôme et du duc d’Epernon. Le président de Bellièvre vint lui offrir toute la Fronde. Tous les frondeurs le virent en particulier, et l’on dit qu’il promit à chacun d’eux de se joindre à eux tous pour chasser le cardinal, qu’il affectoit de tourner en ridicule sur toutes sortes de choses ; et, pour lui reprocher sa poltronnerie, il lui cria d’un ton et d’un air moqueur chez la Reine : Adieu, Mars, avec mille autres choses outrageantes qu’il lui disoit et qu’il lui faisoit en toutes occasions. ¡ Le cardinal, se voyant presque seul de son parti, haï de tout le royaume, et prévoyant bien qu’il étoit perdu s’il ne s’accommodoit avec M. le prince, commença à entrer en négociation. Madame de Longueville, qui haïssoit mortellement la Fronde depuis la guerre de Paris, s’entremit avec plaisir de cet accommodement ; et on prétend même que Marsillac en eut de l’argent. Le duc de RohanChabot l’acheva, et les conditions furent que l’on donneroit le Pont-de-l’Arche à M. de Longueville ; que l’on romproit le mariage de la nièce du cardinal avec M. de Mercœur ; que celle-là, non plus que toutes les autres nièces, ne se marieroient point sans le consentement de M. le prince ; que l’amirauté demeureroit encore vacante ; que l’on ne donneroit aucune charge, aucun gouvernement ni aucun bénéfice considérable sans sa participation, et qu’on ne feroit point commander d’armées à personne qu’il n’en approuvât le choix, jusques aux moindres officiers. On fit deux doubles de ce traité qui furent signés de la Reine, de M. le prince et de M. le cardinal, dont l’un fut donné DE LA DUCHESSE DE NEMOURS : [1649] 435 à M. le prince, et l’autre demeura à M. le cardinal. Dans le temps que ce traité fut près d’être réglé, M. le prince, pour avoir un prétexte spécieux de rompre avec la Fronde, envoya querir le président de Bellièvre, avec lequel il dit qu’il vouloit être éclairci d’une chose touchant les frondeurs, savoir : qu’au cas qu’il vînt à se brouiller avec M. le duc d’Orléans, s’ils ne se déclareroient pas pour lui. Sur quoi le président repartit qu’ils étoient parens si proches, qu’il ne pouvoit pas supposer que jamais ils se pussent brouiller.. Mais M. le prince persistant là-dessus à vouloir une parole décisive, Bellièvre dit qu’en ayant porté une de la part de toute la Fronde, il ne pouvoit décider sur ce qu’il lui demandoit ; qu’il alloit leur en parler à tous, et revenir sur ses pas lui en rapporter la réponse. 4 Les

frondeurs, après s’être bien consultés, connoissant d’ailleurs le penchant qu’avoit M. le prince de se raccommoder avec le cardinal sur le moindre avantage, et se souvenant encore combien il les avoit trompés de fois : toutes ces considérations leur donnèren* lieu de croire que cette proposition n’étoit faite que pour les mettre mal avec M. le duc d’Orléans, avec qui ils étoient fort bien. Ainsi ils résolurent de ne le point sacrifier à M. le prince, mais seulement de lui faire une réponse la plus douce et pourtant la plus indécise qu’ils pourroient : qui fut que tous les frondeurs étoient de l’opinion de M. de Bellièvre ; qu’ils ne pouvoient s’imaginer, non plus que lui, que deux princes d’un même sang, si proches parens, et qui par-dessus tout cela avoient tous deux de si bonnes intentions pour l’Etat, pussent jamais se voir brouiller .28, 436[1649] MÉMOIRES

l’un avec l’autre ; que, pour eux, ils contribueroient toujours de leur mieux à entretenir cette intelligence si nécessaire au bien public. M. le prince parut si mécontent de cette réponse que, sans avoir les moindres égards, ni même vouloir paroître garder les moindres mesures, il se raccommoda publiquement avec le cardinal Mazarin, en déclarant qu’il ne pouvoit pas s’assurer sur des gens qui lui avoient assez fait entendre qu’ils ne seroient pas pour lui contre M. le duc d’Orléans ; et sans autres formalités il rompit avec eux..

Lorsque l’on vit que M. le prince sacrifioit tout au cardinal Mazarin après l’avoir tant outragé, il n’y eut personne, jusques aux moins éclairés, qui ne vît bien que ce prince étoit perdu. Il fut le seul qui ne s’en douta point, quoique par l’écrit fait double dont je viens de parler, et qui étoit demeuré secret entre lui, la Reine et le cardinal, il en dût encore plus savoir que les autres sur les outrages qu’il avoit faits à ce ministre.

Un peu après le raccommodement de M. le prince avec le cardinal, la Reine donna le tabouret à la comtesse de Fleix, fille de madame de Senecey sa dame d’honneur ; sur quoi M. le prince de Conti le demanda aussi pour madame de Marsillaç, et M. le duc d’Orléans pour madame de Pons, depuis duchesse de Richelieu. Et comme dans ce temps-là tout faisoit de l’émotion, ces nouvelles prétentions en firent tant, que cela alla jusqu’à faire des assemblées de noblesse pour en empêcher l’exécution : à quoi le cardinal contribuoit sous main, dans la pensée qu’elles ne pouvoient être que contre le duc d’Orléans et le prince de DE LA DUCHESSE DE NEMOURS. [1649] Conti. Mais il en arriva tout autrement : car dès qu’ils furent assemblés, sans se souvenir de ce qui les y avoit obligés, ils se mirent à fronder contre la cour et contre le cardinal ; ce qui fut cause qu’il prit encore un peu plus de soin de rompre ces assemblées, qu’il n’en avoit pris de les faire : et on ne parla plus des tabourets. Ces assemblées finies, il parut une manière de calme dans le royaume, dont peu de gens étoient contens ; et insensiblement toute l’aversion qu’on avoit eue pour le cardinal se tourna contre M. le prince et contre toute sa maison, à laquelle ils contribuoient plus que.. tous leurs ennemis : car enfin ils trouvoient que c’étoit sé donner un ridicule que de témoigner quelque attention à se faire aimer. Aussi est-il certain que, dans ce temps-là, M. le prince aimoit mieux gagner des batailles que des cœurs. Dans les choses de conséquence ils s’attachoient à fâcher les gens, et dans la vie ordinaire ils étoient si impraticables qu’on n’y pouvoit pas tenir. Ils avoient des airs si moqueurs, et disoient des choses si offensantes, que personne ne les pouvoit souffrir. Dans les. visites qu’on leur rendoit, ils faisoient paroître un ennui si dédaigneux, et ils témoignoient si ouvertement qu’on les importunoit, qu’il n’étoit pas malaisé de juger qu’ils faisoient tout ce qu’ils pouvoient pour se défaire de la compagnie. De quelque qualité qu’on fût, on attendoit des temps infinis dans l’antichambre de M. le prince ; et fort souvent, après avoir bien attendu, il renvoyoit tout le monde, sans que personne eût pu le voir. Quand on leur déplaisoit, ils poussoient les gens à la dernière extrémité, et ils n’étoient capables d’aucune reconnoissance pour les services qu’on [1649] MÉMOIRES leur avoit rendus. Aussi étoient-ils également haïs de la cour, de la Fronde et du peuple, et personne ne pouvoit vivre avec eux. Toute la France souffroit impatiemment ces mauvais procédés, et surtout leur orgueil qui étoit excessif.

Mais si l’aversion qu’on avoit pour eux étoit grande, la crainte l’étoit encore davantage. Elle l’étoit même à un point que ; pour la pouvoir imaginer, il faudroit l’avoir vue. Tout le monde auroit bien voulu être délivré d’eux, mais personne n’avoit assez de courage pour oser y travailler. D’ailleurs les chefs de la Fronde, que la persécution ni le blocus n’avoient pu abaisser, s’abaissèrent d’euxmêmes lorsqu’on les laissa en repos, tant par la présence du Roi que parce que le peuple les oublioit. Ainsi, jugeant entre eux qu’il falloit quelque nouveauté pour les ranimer, ils s’avisèrent d’envoyer La Boulaye pour publier par tout Paris qu’on vouloit assassiner M. de Beaufort, et puis pour faire crier aux armes dans toutés les rues. Mais cela n’émut et n’anima personne : et il n’en arriva autre chose sinon un décret contre La Boulaye, qui se trouva dans l’obligation de se cacher pour éviter la prison ; et voyant que cette tentative n’avoit pas réussi, ils voulurent en éprouver une autre. Joli, créature du coadjuteur, qui étoit syndic des rentiers de la ville, fit sa plainte au parlement qu’on avoit voulu l’assassiner, qu’il étoit fort blessé, et qu’on ne

lui en vouloit que parce qu’il soutenoit ceux à qui on vouloit faire perdre leurs rentes. Comme on jugea qu’il ne disoit pas vrai, ceux du parlement qui étoient pour la cour firent en sorte qu’on ordonna que quelques-uns de ces messieurs seroient députés pour viDE LA DUCHESSE DE NEMOURS. [1649] siter ses blessures. Mais lorsque le député y fut arrivé, Joli dit qu’il étoit pansé, et il ne voulut jamais les lui faire voir ce qui en découvrit la fausseté. Aussitôt après ce bruit, il en arriva un autre bien plus grand et qui eut aussi de plus grandes suites. M. le prince allant au Palais-Royal, comme il faisoit. tous les soirs, M. le cardinal lui dit qu’il avoit eu avis que M. de Beaufort et le coadjuteur faisoient tenir des gens à la place Dauphine pour l’assassiner lorsqu’il s’en retourneroit à l’hôtel de Condé. M. Servien vint ensuite qui lui donna le même avis, comme s’il n’eût point su que le cardinal le lui eût donné. Tous deux conseillèrent à M. le prince de renvoyer son carrosse avec quelqu’un dedans afin de savoir si l’avis étoit bon, et que cependant il demeureroit au Palais-Royal pour savoir ce qui en seroit arrivé. On fit donc mettre un laquais de Duras dans le carrosse, et on prétend de la place Dauphine on tira un coup que

quais fut tué. dont ce

laLes frondeurs ont toujours soutenu qu’il s’en portoit fort bien, et qu’on l’avoit fait cacher. Comme on n’a jamais bien su la vérité de cette affaire (¹), et qu’elle est toujours demeurée douteuse, je dirai seulement ici ce qui s’en est publié, sans rien décider, et je laisserai la liberté de juger tout ce qu’on en trouvera de plus apparent. La plus commune opinion étoit alors que M. le prince avoit supposé cet assassinat pour faire sortir de Paris les chefs de la Fronde, et s’en faire chef lui-même. Ce qui faisoit croire que ce n’étoit pas les frondeurs, c’est que six hommes à cheval avoient (1) La vérité de cette affaire : Toute cette intrigue est expliquée dans l’Introduction aux Mémoires relatifs à la Fronde. [1649] MÉMOIRES paru à la place Dauphine dès les trois ou quatre heures après midi ; et quand on leur demanda ce qu’ils faisoient là, ils répondirent que c’étoit M. de. Beaufort qui les y avoit envoyés. Aussi paroissoit-il qu’ils se vouloient montrer ; car il n’étoit pas besoin qu’ils vinssent là de si bonne heure pour tuer M. le prince, qui ne s’en retournoit jamais qu’à deux heures après minuit. D’un autre côté, ce qui faisoit contre les frondeurs. étoit que, bien qu’on ne crût pas M. de Beaufort capable d’un assassinat de cette nature, on n’avoit pas la même opinion du coadjuteur qui ne lui disoit pas. tous ses desseins, et aussi de ce qu’on avoit vu plușieurs mouvemens de la part des frondeurs, comme ceux de Joli et de La Boulaye : et l’on accusoit même le dernier d’avoir tiré le coup qui tua le laquais de Duras. On avoit peine à croire que ce fût le cardinal qui eût voulu faire assassiner M. le prince, puisque c’étoit lui qui en avoit donné l’avis : outre qu’il n’étoit point de l’humeur dont on soupçonne quelques gens de son pays, ni pour la vengeance, ni pour le meurtre, ni pour le poison. Ce qui se disoit encore là-dessus, et dont on a été le plus persuadé dans la suite, c’est que ce cardinal avoit voulu faire croire cet assassinat à M. le prince pour le rendre irréconciliable avec les frondeurs et le perdre plus aisément, comme il fit. M. de Beaufort et le coadjuteur allèrent faire compliment à M. le prince sur son prétendu assassinat, sans témoigner savoir qu’on les en accusât. Mais sitôt qu’il sut qu’ils montoient son escalier, il quitta brusquement la compagnie, et alla s’enfermer dans son cabinet ; et, après les avoir fait attendre long-temps, il leur manda qu’il ne pouvoit les voir. Ensuite de quoi DE LA DUCHESSE DE NEMOURS. [1649] 44 il fit publiquement des plaintes contre eux au parlement. Les frondeurs, assez embarrassés de se voir ainsi poussés, et d’ailleurs se sentant fort mal à la cour, firent entremettre des gens pour négocier avec M. le prince ; mais ils n’en reçurent que des réponses fières, qui concluoient toutes qu’il vouloit absolument qu’ils sortissent de Paris.

Les frondeurs lui firent représenter qu’il n’étoit pas de sa grandeur de soutenir qu’ils l’eussent voulu faire assassiner, puisqu’ils pouvoient aisément prouver leur innocence, et que La Boulaye étoit bien loin du PontNeuf quand le coup fut tiré. M. le prince, avec sa hauteur ordinaire, ne répondit autre chose sinon que pareils éclaircissemens étoient inutiles, parce qu’in-.. nocens ou coupables il vouloit qu’ils sortissent de Paris, et qu’il les trouvoit bien plaisans de ne pas obéir quand il commandoit. Il étoit ravi qu’on pût croire que la Reine n’eût pu les obliger à sortir de Paris, quoiqu’ils fussent mal auprès d’elle, et que, pour n’être pas

bien avec lui, ils en sortissent. Ils envoyèrent encore Noirmoutier et Fosseuse à madame la princesse, de laquelle ils avoient l’honneur d’être parens, pensant que cette considération gagne oit quelque chose sur elle, et qu’ils l’en fléchiroient plus tôt. Mais ils n’y gagnèrent pas davantage que les autres : et, du même ton, elle répondit que M. de Beaufort et le coadjuteur étoient bien insolens de vouloir demeurer à Paris lorsque son fils vouloit qu’ils en sortissent. Ces messieurs lui répondirent qu’il n’y avoit que le Roi qui eût assez d’autorité pour chasser de Paris des gens de plein droit, et surtout des gens. du caractère et de la qualité de ceux dont il étoit ques[1649] MÉMOIRES tion ; et qu’enfin la Reine elle-même les y avoit bien laissés. Ce qui la mit dans une si grande colère qu’elle dit qu’il y avoit de la différence entre son fils et le Mazarin ; et que si d’autres princes du sang avoient bien voulu négliger de se faire obéir, son fils n’étoit point de cette humeur. Ils firent encore dire à M. le prince qu’ils ne feroient aucune difficulté de lui obéir, sans qu’il y alloit de leur honneur de se faire justifier auparavant. Mais ils n’eurent plus de réponse ; et M. le prince, sans aucun ménagement, poussa l’affaire au parlement contre les frondeurs.

Madame de Longueville et Marsillac étoient ravis de l’extrémité où se trouvoient les frondeurs ; mais M. de Longueville étoit d’un sentiment opposé, et il n’y avoit rien qu’il ne fit auprès de M. le prince pour l’empêcher de les pousser, parce que le coadjuteur l’avoit fort ménagé depuis que M. le prince avoit rompu avec eux pour se raccommoder avec la cour. Et ce

qui y contribua le plus, c’est qu’il étoit fort mal avec sa femme : à quoi le coadjuteur ne s’opposa point ; mais, quoiqu’il la haït beaucoup, elle ne laissoit pourtant pas que d’avoir assez de crédit auprès de lui. Madame de Chevreuse depuis son retour avoit pris de fort grandes liaisons et fait de fort grandes habitudes avec les frondeurs ; et cela parce que naturellement les gens d’intrigues se cherchent. C’étoit par le moyen de Laigues et de Noirmoutier qu’elle connoissoit de Flandre, et aussi parce que le coadjuteur étoit de-. venu amoureux de sa fille. Elle commença donc à penser sérieusement à ce qu’elle avoit projeté depuis qu’elle étoit en France, qui étoit de raccommoder les 0 frondeurs avec la cour contre M. le prince, qu’elle voyoit bien que M. le cardinal ne pouvoit jamais aimer. Quoique M. le prince fût assez puissant, il ne l’étoit pourtant point autant qu’on se le figuroit. Il y avoit assurément beaucoup d’imagination à le croire si redoutable, et beaucoup de foiblesse et d’ignorance à le craindre tant.

Madame de Chevreuse, qui revenoit de Flandre, n’étant point préoccupée de cette crainte et de cette créance universelle, comme ceux qui étoient demeurés dans le royaume, en jugea plus sainement. C’est aussi ce qui la rendit plus hardie à agir contre lui et à proposer sa prison.

[1650] Après les premiers pas de cette dame, le coadjuteur vint en habit déguisé voir le cardinal Mazarin. M. le prince qui sut cette visite en parla au cardinal, lequel sut lui tourner fort ridiculement et le coadjuteur, et son habit de cavalier, et ses plumes blanches, et ses jambes tortues ; et il ajouta encore, à tout le ridicule qu’il lui donna, que s’il revenoit une seconde fois déguisé il l’en avertiroit, afin qu’il se cachât pour le voir, et que cela le feroit rire. En trompant ainsi M. le prince, il sut lui ôter si bien jusqu’aux moindres soupçons de la vérité, que ce prince continua toujours son procès criminel contre les frondeurs sans aucune appréhension.

Mais ce qu’il y avoit de plus embarrassant pour l’exécution de ce qu’on machinoit contre M. le prince, c’est qu’il étoit absolument nécessaire que M. le duc d’Orléans donnât son consentement, comme lieutenant général de la régence : et ce duc étoit entièrement gouverné par l’abbé de La Rivière, qui ne paroissoit pas moins dépendant de M. le prince que s’il eût été son propre domestique, et cela par les raisons que je vais dire.

Le cardinal Mazarin ayant promis à La Rivière de le faire cardinal, quoiqu’il n’en eût aucune envie, et ne sachant comment se tirer de là, il fit en sorte que M. le prince demanda le chapeau pour M. le prince de Conti. Le cardinal croyoit encore que cela mettroit une grande désunion entre M. le duc d’Orléans et M. le prince : mais cette mauvaise finesse du cardinal ne tourna que contre lui.

M. le prince fit savoir à La Rivière que ce dessein lui avoit été inspiré par le cardinal, qui le trompoit ; qu’il ne se soucioit point du chapeau pour son frère, et qu’il le lui disputeroit ou lui céderoit, selon que M. le duc d’Orléans en useroit avec lui : et comme c’étoit une grande élévation pour La Rivière, il porta toujours son maître, depuis ce temps-là, à suivre aveuglément les sentimens et les intérêts de M. le prince.

Il falloit donc, pour exécuter les résolutions qu’on avoit prises contre ce prince, détruire le favori ; ce qui paroissoit impossible, à cause du temps qu’il y avoit que sa faveur étoit rétablie, et que depuis ce temps-là rien ne se faisoit que par ses conseils.

Madame de Chevreuse ne se rebuta pas pour tous ce obstacles. Elle commença par encourager Madame à parler contre cet abbé, qu’elle n’aimoit pas. Quelque crédit qu’eût le cardinal, il n’osoit pourtant rien entreprendre là-dessus ; et je ne sais même si avec toute leur industrie à tous ils auroient pu réussir sans M. le prince lui-même, qui, selon sa conduite ordinaire, gâtoit plus ses affaires que ses ennemis. DE LA DUCHESSÉ DE NEMOURS. [1650] 445 Le duc de Richelieu devint amoureux de madame de Pons, quoiqu’assez laide et assez vieille. Elle fut si bien instruite par la maison de Condé, à qui elle en fit confidence, qu’elle engagea ce duc à l’épouser. Ils l’amenèrent à Trie pour faire son mariage, et ils envoyèrent ensuite au Havre pour s’en saisir au nom de M. de Richelieu : car madame d’Aiguillon tenoit encore cette place entre ses mains, comme tutrice de son neveu.

Cet événement fit un furieux bruit à la cour, mais bien moins pour le mariage que pour le Havre (¹), parce que l’un paroissoit bien plus important que l’autre. Sur cette nouvelle on affecta de publier que M. de Longueville étoit le maître absolu de la Normandie, qu’il alloit s’en faire le souverain, et qu’il y avoit long-temps qu’il avoit cette pensée, quoiqu’il ne l’eût jamais eue. On ajouta encore à cela que M. le prince se cantonnoit dans la Bourgogne, et qu’il y avoit peu d’endroits dans le royaume où il n’eût du pouvoir et dont il ne pût se rendre le maître. Quoique M. le duc d’Orléans se laissât extrêmement gouverner, il ne laissoit pas pourtant d’avoir bien de l’esprit ; ainsi il comprit que si tout ce qu’on publioit n’étoit pas vrai, il pouvoit toujours y en avoir assez pour lui nuire. On lui découvrit ensuite que ce qui rendoit M. le prince si hardi à entreprendre étoit qu’il se tenoit sûr que La Rivière lui feroit trouver tout bon ; et comme on s’aperçut que tous ces discours commençoient à le dégoûter de son favori, on con(1) Pour le Havre : Condé fut trompé dans son attente ; car de Bar, gouverneur du Havre, détermina le jeune duc de Richelieu à demeurer fidèle à la Reine et à sa tante.

tinuaà lui en dire tant qu’enfin on parvint à le perdre. Après cela on fit voir à M. le duc d’Orléans l’écrit qui contenoit le dernier accommodement de la cour avec M. le prince, lequel avoit comme forcé le cardinal à le faire, et qui étoit entièrement opposé aux droits et à l’autorité de la charge de lieutenant général du royaume : ce qui acheva de déterminer le duc d’Orléans à conclure la prison de M. le prince.

Madame d’Aiguillon fut la première qui eut la hardiesse de la proposer ; et le coadjuteur la négocia après avec madame de Chevreuse, sans en donner aucune part à madame d’Aiguillon.

La Reine et M. le cardinal parurent avoir toujours fort sur le cœur le prétendu assassinat de M. le prince, et vouloir lui aider à s’en venger ; mais M. le duc d’Orléans, bien loin d’en faire de même, et de continuer d’aller au Palais comme il avoit commencé, après avoir monté les degrés jusqu’à la Sainte Chapelle, feignit de se trouver mal, et s’en retourna. Le lendemain il manda qu’on ne l’attendît plus pour les assemblées, parce qu’il étoit encore malade. M. le prince, voyant ce changement, en fit des reproches à La Rivière, qui lui donna les meilleures excuses qu’il put, sans lui vouloir avouer qu’il n’étoit plus bien auprès de son maître.

M. le prince, croyant avoir rendu le Mazarin tout à-fait méprisable, voulut aussi rendre la Reine ridicule, dans la créance que tout le monde l’abandonneroit ; et pour cela il persuada à Jarzay qu’elle avoit de la bonne volonté pour lui, qu’il devoit pousser sa bonne fortune ; et enfin il lui en dit tant qu’il l’engagea à parler d’amour à cette princesse dans une DE LA DUCHESSE DE NEMOURS. [1650] lettre que, de concert avec madame de Beauvais, il mit sur la toilette de la Reine. Il est certain qu’il ne pouvoit y avoir qu’un homme aussi entêté de son mérite et de sa bonne mine, et aussi animé de l’envie de plaire à M. le prince, qui eût pu se trouver capable de prendre une telle commission, que la bonne opinion seule qu’il avoit naturellement de lui-même, jointe à l’aveuglement qu’il avoit pour M. le prince, lui firent croire possible ; car, d’ailleurs, il avoit beaucoup d’esprit et de mérite. Mais on peut dire que M. le prince se servit dans cette occasion du foible qu’avoit Jarzay pour lui, afin d’en faire sa victime, et que la vanité de Jarzay l’empêcha de s’apercevoir du dessein et de l’artifice de M. le prince. . La Reine, en recevant la lettre de Jarzay, crut que cette extravagance ne venoit que de lui, et qu’il étoit plus à propos de l’éloigner sur un autre prétexte que d’en faire du bruit. Mais lorsqu’elle sut que cela venoit de M. le prince, et qu’il en faisoit des contes partout, jusqu’à les tourner même en propos de table dans ses débauches, elle s’en mit dans une si grande colère, qu’elle fit défendre (1) publiquement à Jarzay de se présenter jamais devant elle. M. le prince, avec cette hauteur de laquelle il ne pouvoit jamais rien rabattre avec qui que ce fût, vint trouver le cardinal, et lui dit qu’il vouloit que la Reine vît Jarzay.dès le même jour. Le cardinal eut beau lui représenter qu’après une pareille impudence il n’y avoit personne qui y pût obliger la moindre femme (1) Qu’elle fut défendre : Ce fut la Reine elle-même qui signifia publiquement cette défense à Jarzay. ( Voyez l’Introduction aux Mémoires relatifs à la Fronde.) [1650] MÉMOIRES du monde, il ne répondit autre chose, selon sa coutume de ce temps-là, sinon qu’il le falloit pourtant bien, parce qu’il le vouloit. La Reine se trouva donc forcée à le voir ; mais l’audace de ce prince ne servit qu’à en avancer un peu davantage sa prison, la cour en ayant été plus irritée que de tout ce qu’il avoit osé faire et entreprendre auparavant. M. le prince continuant à son ordinaire d’outrager la Reine, d’insulter le cardinal et de pousser à bout les frondeurs, agissoit pourtant et vivoit avec autant de confiance que s’il avoit vécu d’une manière à ne se point faire d’ennemis, et comme s’il n’avoit eu rien à craindre. Ce qui fait bien voir que presque tous les grands princes, et même ceux qui deviennent des plus modérés et des plus judicieux dans la suite de leur vie, sont dans leur jeunesse aussi persuadés qu’on les craint, que

les belles femmes ou celles qui se piquent de l’être sont persuadées qu’on les aime ; et qu’il n’est pas plus aisé de détromper celles-ci des effets de leurs charmes, qu’il est facile de persuader les autres de la terreur que cause leur nom. Ce qui devoit plus contribuer à donner du soupçon à M. le prince, c’est que le bonhomme Broussel se trouva accusé de son assassinat ; et comme il n’étoit pas même capable de s’en faire soupçonner, on n’eut pas de peine à comprendre qu’il n’avoit été mis dans ce procès que pour achever de mettre mal M. le prince avec le peuple, lequel adoroit encore ce vieillard. Toutes ces particularités firent tant de peur à ceux qui étoient attachés à la maison de ce prince, que beaucoup de gens lui donnèrent des avis là-dessus. Mais véritablement il les reçut si mal, qu’au dix-sep-

  • DE LA DUCHESSE DE NEMOURS. [1650]

tième qu’on lui donna il dit que c’étoit la dix-septième folie qu’on lui avoit dite ce jour-là sur un même sujet. Un autre que lui, moins persuadé de son pouvoir, auroit pu croire que ce pouvoit bien n’être pas une sottise, puisqu’elle lui avoit été répétée tant de fois, et y auroit peut-être fait assez de réflexion pour en pouvoir profiter.

On avoit pris hors de Paris un nommé des Coutures, qu’on prétendoit être un témoin de l’assassinat de M. le prince ; et il devoit arriver par la porte de Richelieu. M. le cardinal dit à M. le prince qu’on l’avoit averti que les frondeurs le vouloient enlever, de pêur qu’il ne témoignât contre lui ; qu’il falloit donc des troupes à cette porte pour les en empêcher ; et que, puisque c’étoit son affaire, il étoit à propos que ce fût des siennes, la Reine ne pouvant pas toujours paroître pour le défendre. M. le prince donna dans ce piége ; et croyant en être mieux soutenu, il dit qu’il falloit que ce fussent des troupes du Roi. Sur quoi le cardinal répondit qu’il falloit donc que ce fut lui qui leur donnât l’ordre de faire ce qui leur seroit commandé

à quoi M. le prince acquiesça, et ce qu’il n’exécuta

que trop exactement pour lui ; car l’ordre qu’on leur donna fut de le mener prisonnier au bois de Vincennes. Mais comme on ne pouvoit l’arrêter sans le, consentement des frondeurs, la cour se trouva forcée de traiter avec eux, avant que de pouvoir exécuter la résolution qu’on avoit prise. Quoique embarrassés dans leur procès criminel, ils ne laissèrent pas de se

faire acheter par M. le cardinal. Quant au coadjuteur, plus il avoit d’intérêt et moins il vouloit paroître en avoir. Cependant il ne laissa pas T. 34.

29 [1650] MÉMOIRES.. de trouver bon qu’on lui promît deux-gouvernemens pour ses amis, qui devoient servir à établir Ja sûreté dù parti. On promit à Laigues une charge dans la maison de M. le duc d’Anjou (¹) quand elle seroit faite, les sceaux à.M. de Châteauneuf, et un brevet à quelqu’un de la Fronde dont on conviendroit.. On ne vouloit pas se fier à un homme de l’esprit de M. de Beaufort d’un secret de cette importance, outre qu’on avoit peur qu’il ne le révélât à des femmes : mais, comme on avoit besoin de lui, le coadjuteur dit qu’il falloit lui confier la chose, et qu’il trouveroit l’invention de la lui dire sans aucun péril. On.ne laissa pas cependant, par cette même.raison du besoin qu’on en avoit, de stipuler pour lui la survivance de l’amirauté, avec une grosse pension sur cette survivance, en attendant qu’il fût pourvu de cette charge, c’està-dire après la mort de son frère, à qui on la donna. Le coadjuteur lui fit voir en détail l’étrange état où ils se trouvoient tous réduits, par les rigueurs et par les violences de M. le prince. Il lui dit ensuite qu’il lui étoit tombé dans l’esprit de proposer à M. le cardinal de le faire arrêter, parce qu’il ne l’aimoit pàs ; mais il lui fit connoître en même temps qu’il ne croiroit cette pensée bonne que lorsqu’il lui auroit témoigné l’approuver, en suivant son procédé ordinaire avec lui, qui étoit de lui faire toujours croire qu’il ne se gouvernoit que par ses conseils, quoiqu’en effet il eût accoutumé de le mener toujours lui-même comme un enfant.

(1) M. le duc d’Anjou : Philippe de France, frère du Roi. On l’appela depuis Monsieur, et après la mort de Gaston il prit le titre de due d’Orléans. DE LA DUCHESSE DE NEMOURS. [1650] 451 M. de Beaufort marqua approuver ce dessein ; sur quoi le coadjuteur, feignant de ne s’y être déterminé que parce qu’il le trouvoit à propos., l’assura qu’il y alloit travailler. On avoit affecté de ne lui parler de cette affaire qu’en carrosse ; et on y laissa même toujours Laigues avec lui qui ne le quittoit point, et qui le promenoit dans les rues sans souffrir qu’il en descendît pour entrer dans aucune maison, de peur qu’il ne parlât de cette négociation à quelqu’un : tant on le croyoit incapable de garder le moindre secret. Le coadjuteur lui vint rendre réponse ; il l’assura que sur ses avis il avoit si bien négocié, qu’en moins d’une heure les princes alloient être arrêtés, et qu’ensuite il falloit qu’il parût dans les rues pour y assurer le peuple.

Quoique cette négociation fût bien prompte pour une affaire de cette importance, il ne laissa pas de le croire bonnement, parce qu’on le lui disoit, et qu’il n’étoit pas d’un esprit à tant raisonner sur les choses. Mais lorsque le bruit commun lui eut appris comment le traité s’étoit fait, il ne put souffrir d’avoir été pris pour dupe : et comme il étoit plus vain qu’intéressé, l’amirauté ne le put apaiser. Depuis cela il eut toujours beaucoup de refroidissement pour le coadjuteur, lequel de son côté ne se soucioit plus aussi guère de lui, et qui l’abandonna même, dans la créance que la cour étoit irréconciliable lui. A son égard, croyant y être bien raccommodé, il s’imagina n’avoir plus besoin du peuple ; et sur ce fondement, sans se mettre davantage en peine de se rendre ni de paroître populaire, il ne songea plus qu’à devenir un bon courtisan

et on commença de s’apercevoir que sa sincérité

pour

29. [1650] MÉMOIRES et sa probité n’étoient pas tout-à-fait si bien fondées ni établies qu’il avoit voulu le persuader. Mais, pour en revenir à la prison des princes, ils furent tous trois au conseil comme ils avoient accoutumé ; et afin que M. de Longueville ne manquât pas de s’y rencontrer aussi, et qu’on pût le mener prisonnier avec les deux autres, on l’assura, pour le leurrer, qu’on lui accorderoit la survivance de la lieutenance de roi de la haute Normandie, qu’il sollicitoit depuis long-temps pour le fils de Beuvron." Bien des gens leur avoient conseillé de n’aller jamais tous trois ensemble au conseil ; mais ils méprisèrent cet avis, comme beaucoup d’autres de cette nature qu’on leur avoit donnés, et avant leur prison et sur leur prison.

La Reine les obligea d’aller ce jour-là au conseil avant elle ; et comme ils entrèrent dans la galerie où on le tenoit, ils y furent arrêtés (¹). On les fit descendre ensuite tous trois par le petit escalier:on les fit monter dans le carrosse de Guitaut ; et Miossens les conduisit au château de Vincennes. Cet événement causa une joie si grande et si générale à toute la France, où la nouvelle en fut bientôt répandue, qu’il n’y eut pas jusqu’au moindre petit bourgeois qui n’en fit un feu de joie devant sa porte; outre ceux qu’on en fit publiquement par tout Paris. Madame de Longueville, qu’on voulut arrêter dans le même temps que les princes furent arrêtés, s’enfuit en Normandie, et mademoiselle de Longueville avec elle, pour voir si elles ne pourroient rien faire pour leurs prisonniers. Mais, au lieu de cela, tous (1) 18 janvier 1650. · DE LA DUCHESSE DE NEMOURS. [1650] 453 ceux de cette province qui, l’année d’auparavant, s’étoient déclarés pour M. de Longueville sitôt qu’il y avoit paru, reçurent madame et mademoiselle de. Longueville comme s’ils n’avoient jamais entendu parler d’elles. De sorte que ces deux princesses, voyant qu’il n’y avoit rien à faire à Rouen où elles étoient, allèrent à Dieppe, où madame de Longueville s’opiniâtra de demeurer, quoiqu’on l’eût assurée que la cour y venoit, croyant toujours que ce n’étoit que pour lui faire peur et pour la faire partir : cette imagination du grand crédit qu’elle y avoit eu lui étant toujours si présente qu’elle ne pouvoit sortir de son esprit. Sa belle-fille, qui n’étoit pas tout-à-fait si préoccupée qu’elle de sa grande puissance, et qui d’ailleurs. ne trouvoit pas qu’il fût de la dignité d’une personne de son rang de courir le monde, quand même elle n’auroit pas aimé son repos autant qu’elle l’aimoit, et qui par-dessus tout cela encore étoit persuadée qué sa présence ne pouvoit être d’aucune utilité à monsieur son père, demanda permission à madame sa belle-mère de s’en revenir à Paris : ce qu’elle ne lui accorda qu’à regret. Mais comme elle n’étoit pas en état de se servir de son autorité, elle n’osa lui refuser cette permission ; et mademoiselle de Longueville la quitta de cette manière, assez médiocrement touchée de la peine que son départ lui causoit. La Reine vint donc en Normandie, contre l’attente de madame de Longueville : ce qui obligea cette princesse à se sauver comme elle put, Elle avoit fait son projet que ce fût par mer. Mais le vent ne s’étant pas trouvé propre, elle se pensa noyer : sans compter que ceux de Dieppe, qui ont de [1650] MÉMOIRES très-grands priviléges qu’ils craignoient de perdre, la voulurent encore faire jeter dans la mer (¹) par leurs matelots.

On dit que ceux qui la conseilloient ne la firent tant rester à Dieppe que pour la tromper. Elle se trouva forcée à demeurer quelque temps errante et déguisée dans la province, avant que de pouvoir s’embarquer ; "et puis elle alla en Hollande, d’où elle revint à Stenay, dont M. le prince étoit gouverneur. M. de Turenne s’y sauva aussi, La Moussaye avec lui, et plusieurs autres attachés aux princes. Madame la princesse la mère fut exilée à Chantilly, et sa belle-fille avec elle ; mais celle-ci n’y demeura guère. Les partisans de M. le prince, après que le Roi eut été en Normandie et en Bourgogne ; la firent aller `en Guienne, où M. son fils, M. de Bouillon et La Rochefoucauld (2) l’accompagnèrent ; et où, d’abord qu’elle fut arrivée, cette province se déclara pour les princes. Mais en Normandie, sitôt la cour

y arrivée, toutes les places de M. de Longueville se rendirent, et M. de Richelieu mit le Havre entre les mains de madame d’Aiguillon sa tante. fut

que La cour alla en Bourgogne après cela, où les places de M. le prince, quoique avec un peu plus de résistance, se rendirent tout de même. La cour alla en Guienne, où elle en trouva encore moins qu’en Bourgogne. Le parlement s’accommoda avec elle.. (1) La voulurent encore faire jeter dans la mer : Rien ne justifie cette imputation maligne. Le fait est qu’un matelot, qui portoit madame de Longueville à une barque éloignée du rivage, la laissa involontairement tomber dans la mer. — (2) La Rochefoucauld : Marsillac avoit pris ce nom depuis la mort de son père, qui étoit récente. DE LA DUCHESSE DE NEMOURS. [1650] 455 Madame la princesse, accompagnée de monsieur son fils ; et tous ceux qui l’avoient suivie, eurent la permission de se retirer chez eux. 1 0 Madame la princesse la mère fut conseillée de se trouver à la mercuriale du parlement, pour voir si là elle ne pourroit point l’animer en faveur des princes ; et elle

y oublia si fort et son rang et sa fierté ordinaire, et elle passa dans un autre excès si grand, qu’elle descendit jusqu’à dire au coadjuteur et au duc de Beaufort, qui se trouvoient presque toujours à ces sortes de mercuriales, que, puisqu’ils faisoient l’honneur à ses enfans de les avouer pour leurs parens, ils eussent pitié d’eux. Mais ces messieurs n’en furent point touchés ; et bien loin de lui être obligés d’une bassesse si outrée, cette bassesse ne servit qu’à leur faire mal au cœur, aussi bien qu’à tous ceux qui en furent les témoins.

Si cette princesse fût venue quelques mois plus tard, elle auroit peut-être trouvé de meilleures dispositions pour ses enfans ; mais elle vint dans le temps qu’on étoit le plus animé contre les princes. Ce contretemps fut cause aussi qu’elle réussit si mal, et qu’elle reçut un nouvel ordre de s’en retourner à Chantilly. Peu de jours après la prison de M. le prince, tous les frondeurs, qui étoient accusés de l’avoir voulu assassiner, furent justifiés au parlement. Il parut que c’étoit, et parce qu’ils n’étoient pas coupables, et aussi par les ordres de la Reine. C Le premier président Molé, qui ne les aimoit pas, ne put s’empêcher de leur dire que la prison des princes étoit une bonne pièce pour prouver leur innocence. Le coadjuteur, ayant été aussi bien avec M. de [1650] MÉMOIRES Longueville qu’il y avoit été, et lui ayant de si grandes obligations, étoit si honteux d’avoir contribué à sa prison, qu’il publioit partout n’en avoir rien su ; et lorsque mademoiselle de Longueville repassa à Paris pour aller au lieu de son exil (¹), il la vint voir pour l’assurer que M. le cardinal l’avoit trompé là-dessus, lui ayant donné parole positive que son père ne seroit arrêté que quelques jours seulement, après lesquels il sortiroit sur sa caution. Pendant qu’il tenoit ces sortes de discours, on en faisoit un autre à la cour qui leur étoit bien opposé. On soutenoit qu’on n’avoit point pensé d’abord à arrêter M. de Longueville, mais que le coadjuteur avoit représenté que ce prince étoit déshonoré si on ne l’arrêtoit pas avec ses beaux-frères ; qu’il avoit même témoigné de l’empressement sur cela, en disant qu’il lui falloit sauver l’honneur ; et que c’étoit à cela où il avoit mis toute l’amitié qu’il avoit pour lui. Le cardinal Mazarin, qui n’étoit bienfaisant que lorsqu’il avoit

peur, se voyant rassuré par la soumission de trois provinces où la cour avoit été, commença à ne se plus contraindre pour les frondeurs. Le premier qui avoit été négligé étoit M. de Beaufort, lequel fut aussi le premier à écouter les propositions de son accommodement avec les princes. I De leur part on lui demandoit pourquoi il vouloit avoir contribué à leur prison, puisque c’étoit une chose publique qu’il n’en avoit rien su. On lui tenoit ces discours à deux intentions : l’une pour achever de l’aigrir contre les autres de s’être si O (1) Au lieu de son exil : Mademoiselle de Longueville alla passer à Coulommiers le temps des troubles. LA DUCHESSE DE NEMOURS. [1650] 457 peu fiés en lui, et l’autre pour lui faire connoître que les princes ne pouvoient lui en vouloir de mal. Dans ce temps-là, madame de Longueville, qui étoit à Stenay où étoit M. de Turenne, fit un traité avec les Espagnols, qui devoient donner à M. de Turenne des troupes à commander pour le parti des princes : moyennant quoi on leur donnoit la ville de Stenay, et l’on ne gardoit que la citadelle. L’on avoit dessein aussi de faire venir des troupes en Normandie, que le maréchal de La Mothe devoit commander. Mais, après que les partisans de M. le prince y eurent bien pensé, ils ne voulurent point qu’il y en vînt, dans la crainte que ces mouvemens ne fissent sortir que M. de Longueville seulement, pour lequel l’on commença à se réchauffer, et que cela ne fit tort aux autres. L’on avoit trouvé à propos que, sitôt que les troupes paroîtroient en Normandie, l’on enlevât le comte d’Harcourt, qui en étoit comme gouverneur, afin de donner plus d’épouvante. Madame de Longueville et la marquise de Flavacourt avoient négocié cette entreprise, dont le comte d’Harcourt ayant eu quelque avis, il s’en plaignit beaucoup ; mais ces dames tournèrent cela tellement en ridicule, que tout le monde l’ayant traité de même, il n’osa plus en rien dire, quoiqu’il ne laissât pas d’en être toujours persuadé.

Le coadjuteur connut trop tard qu’il n’y avoit point pour lui de raccommodement à la cour. On lui manquoit à la plupart des articles qu’on lui avoit promis par son traité. Noirmoutier avoit bien eu le gouvernement du mont Olympe ; mais on ne parloit plus du second gouvernement qu’on lui avoit promis, ni du [1650] MÉMOIRES brevet de duc pour un de ses amis, quoique le peuple de Paris eût approuvé le raccommodement de ce .. coadjuteur avec le Mazarin, parce qu’il se voyoit défait par là de M. le prince, qu’il haïssoit alors encore davantage que le cardinal. Mais, comme le peuple est très-inconstant dans ses sentimens, celui de Paris, après avoir approuvé le raccommodement du coadjuteur et du Mazarin, prit beaucoup de dégoût dans la suite pour l’intelligence de ces deux hommes ; et l’aversion pour le ministre revint plus que jamais, et celle qu’on avoit pour M. le prince diminua beaucoup par la pitié que faisoit sa détention.

Le coadjuteur se trouva donc non-seulement trèséloigné d’obtenir rien du cardinal, mais encore n’ayant plus d’assurance pour sa personne que par la faveur de M. le duc d’Orléans, qui étoit devenue fort grande depuis la disgrâce de La Rivière. Il employa tout son savoir faire à rendre cette faveur encore plus grande ; et comme il ne pouvoit avoir de considération que par M. le duc d’Orléans’, il étoit de son intérêt que ce prince en eût beaucoup dans son parti. Il lui mit donc dans l’esprit de se rendre maître des trois princes, et de les faire venir à la Bastille. La cour ayant prévu ce coup avant que d’aller en Guienne, et les trouvant trop près au bois de Vincennes, elle l’avoit déjà fait consentir qu’ils fussent transférés à Marcoussis, qui étoit plus éloigné ; et cela sur le prétexte que M. de Turenne avançoit beaucoup, Monsieur ne pouvant pas les retirer si aisément de Marcoussis, quoique, s’il l’eût voulu bien fortement, la chose ne lui eût pas été fort difficile, DE LA DUCHESSE DE NEMOURS. [1650] particulièrement dans l’absence du Roi. Mais il aima mieux le demander à la cour, et trouva plus à propos qu’ils ne fussent transférés à la Bastille que par son consentement.

Sur cette proposition, et la cour et le ministre furent fort troublés, et l’on fit tout ce que l’on put pour lui ôter cette pensée, tant par les ministres qui étoient demeurés à Paris, que par des lettres. Mais on n’en put jamais venir à bout. Madame de Chevreuse, qui paroissoit être entièrement dévouée à la cour, et qui

avoit du crédit auprès de Monsieur, s’entremit aussi pour lui persuader de satisfaire la Reine là-dessus ; mais ce fut inutilement. Les amis des princes ne s’endormoient pas dans cette conjoncture, et recommençoient leurs négociations, tant du côté de la cour que du côté de la Fronde ; et, voyant que ces deux partis commençoient à se brouiller, ils eussent bien mieux aimé réussir par le moyen de la cour. Mais, après y avoir fait tout leur possible, jusqu’à proposer le mariage du prince de Conti avec la nièce du cardinal, ils virent à leur grand regret qu’il n’y avoit plus rien à faire de ce côté-là. On tourna donc toute la négociation du côté de la Fronde, et ce fut aussi avec plus de succès. Madame de Chevreuse écouta avec plaisir la proposition qu’on lui fit du mariage du prince de Conti avec sa fille. Ce fut madame de Rhodes qui la première l’engagea.dans les intérêts de M. le prince, par l’espérance qu’elle lui fit concevoir de ce mariage, fondée sur l’avantage que ce prince y trouveroit luimême ; et ce fut sur ce fondement qu’elle la rassura contre le peu de sûreté qu’il y avoit avec lui, en lui [1650] MÉMOIRES remontrant que, si elle ne pouvoit se fier en sa parole, au moins devoit-elle prendre confiance au soin particulier qu’il prenoit de ses propres intérêts. Dès que les princes avoient été pris, madame de Rhodes avoit été trouver madame la princesse, et lui avoit promis de rendre des services considérables à messieurs ses fils : ce qui lui étoit aisé, parce que M. de Châteauneuf étoit amoureux d’elle ; et, comme fille naturelle du cardinal de Lorraine, elle étoit nièce de madame de Chevreuse, auprès de laquelle elle avoit de très-grandes habitudes. M. de Rhodes, dont elle’étoit veuve, avoit été fort attaché à la maison de Condé ; mais, outre cela, elle avoit pris un si grand goût aux intrigues qu’elle s’y jetoit à corps perdu, sans se mettre en peine de quoi il étoit question, sans compter encore l’attachement qu’elle avoit elle-même pour cette maison de Condé. Par toutes ces raisons, il est facile de juger qu’elle chercha avec empressement à s’acquitter de ce qu’elle avoit promis à madame la princesse. Le coadjuteur, qui ne savoit ce qu’il deviendroit au retour de la cour, entra volontiers aussi en négociation.

Cependant la cour revint à Fontainebleau, et M. le duc d’Orléans alla au devant d’elle. Quelque chose qu’il eût promis avant que de partir, et quoiqu’il eût paru fort entêté d’avoir les princes entre ses mains, dès que la Reine lui’eut parlé, il consentit, par sa foiblesse ordinaire, qu’on les menât au Havre. On disoit tout haut à la cour qu’au retour de la Reine à Paris il lui seroit aisé d’arrêter les frondeurs, même au milieu des halles. Quand on sut que les princes alloient au Havre, leur DE LA DUCHESSE DE NEMOURS. [1650] 46t marche mit bien des gens en peine. Ceux du parti des princes étoient dans le dernier désespoir, ne trouvant point qu’il y eût la moindre espérance pour leur sortie ; et les frondeurs de leur côté, voyant la puissance du Mazarin augmentée, tant par la détention des princes dont il étoit devenu le maître absolu, que par le peu de fondement qu’il y avoit à faire sur M. le duc d’Orléans qui étoit leur seul appui, ils se crurent entièrement perdus ; et ayant su qu’à la cour on disoit qu’on les pouvoit arrêter, même dans les halles, ils se hâtèrent de signer le traité avec les princes. Comme ceux qui traitoient pour ces princes n’étoient pas fort scrupuleux, ils ne firent point de difficulté d’offrir à madame de Montbazon, de laquelle M. de Beaufort étoit amoureux et qu’elle gouvernoit, M. le prince de Conti pour sa fille, quoiqu’elle fût promise à un autre, et qu’on eût aussi promis ce prince à mademoiselle de Chevreuse. Mais madame de Montbazon ne voulut point donner dans cette proposition ; et l’on en trouva une autre qui lui fut plus agréable, qui étoit de lui faire avoir cent mille écus, dont il y en avoit quatre-vingts qu’on se faisoit fort de lui faire payer par la cour qui les lui devoit pour les appointemens de son mari, et le reste lui devoit être payé par les princes.

Cet article fut arrêté et signé par un traité particulier, parce qu’elle ne voulut pas que le reste de la Fronde le sût ; et ce traité fut fait quelques mois avant celui où madame de Montbazon ne signa point. Quoique M. de Beaufort et le coadjuteur ne s’aimassent guère’, la nécessité où ils étoient d’être bien ensemble fit qu’ils se raccommodèrent, parce qu’ils [1650] MÉMOIRES n’avoient aucun crédit tous deux quand ils étoient désunis.

Les princes furent parfaitement bien servis dans cette occasion ; rien ne fut oublié pour leur liberté, quoiqu’on n’en espérât pas un fort grand succès. La principale personne qui se mêla de cette négociation fut la princesse palatine, femme du prince Edouard palatin, laquelle avant cela n’avoit pas trop. paru dans le monde. Il lui étoit même arrivé des affaires assez désagréables (¹) ; mais on lui reconnut tant d’esprit et un talent si particulier pour les affaires, que personne au monde n’y avoit si bien réussi qu’elle.

M. de Nemours (2) s’en mêla aussi ; mais il avoit plus d’honneur, de politesse et d’agrément que d’habileté. Il étoit pour les princes, parce qu’un peu avant leur prison, étant mal satisfait du cardinal, il l’avoit querellé jusqu’à lui dire des choses très-dures : sur quoi on lui dit qu’il étoit bien malheureux de n’en avoir point reçu de grâces après cela, et qu’il étoit le seul qui l’eût offensé sans récompense. La Rochefoucauld vint aussi à son grand regret négocier avec les frondeurs ; mais il falloit bien suivre le torrent. Le traité des princes et de la Fronde fut un grand secret ; et plus grand encore fut celui du mariage de mademoiselle de Chevreuse avec le prince de Conti. On ne voulut point surtout que M. de Beau(1) Des affaires assez désagréables : Elle avoit eu une intrigue avec le duc Henri de Guise, et l’avoit même suivi, sans autre garant qu’une promesse de mariage, lorsqu’en 1641 il avoit embrassé le parti du comte de Soissons. — (2) M. de Nemours : Charles de Savoie. Il étoit le frère aîné de celui qui épousa depuis mademoiselle de Longueville, auteur de ces Mémoires. DE LA DUCHESSE DE NEMOURS. [1650] 463 fort le sût, suivant sa destinée ordinaire dans toutes les affaires où il étoit. Pour en venir à bout, on résolut que M. de Ne-· mours son : beau-frère liroit ce traité tout haut, et qu’on marqueroit avec un crayon ce qu’il en falloit passer pour ne le pas lire, afin que M. de Beaufort ne l’entendît pas : ce qui commença à donner lieu áu malheur qui arriva entre eux, et qu’on verra dans la suite.

M. le duc d’Orléans entra dans ce traité, où mademoiselle de Valois (1) sa troisième fille fut accordée avec le duc d’Enghien. Le coadjuteur demanda que M. le prince contribuât à le faire cardinal ; car tout le monde traitoit avec ce prince comme s’il eût dû être roi de France, persuadé qu’il ne pouvoit pas sortir de prison sans devenir le maître absolu du royaume : et personne ne traita avec lui que sur ce pied-là. Enfin de ces deux partis entièrement abattus, et des princes et de la Fronde, il s’en fit un qui devint si puissant qu’il le fut même plus que celui de la cour : Ce qui contribua à un changement si peu attendu et si extraordinaire, c’est qu’on vit que la cour n’avoit rien pardonné ; et que si elle avoit paru dans quelque occasion le vouloir faire, ce n’avoit été seulement que par l’embarras où elle s’étoit trouvée, parce qu’aussi le ministre n’étoit pas moins abattu dans la mauvaise fortune que fier et hautain dans la bonne. Le parlement jugea donc pour sa sûreté qu’il falloit donner de nouvelles affaires à ce ministre, et ne le laisser jamais sans en avoir. Ses créatures même fu(1) Mademoiselle de Valois : Françoise-Madeleine, Elle épousa depuis Emmanuel 11, duc de Savoie. I [1650] MÉMOIRES rent bien aises qu’il en eût, tirant beaucoup plus de bienfaits de lui lorsqu’il se trouvoit dans de grands. embarras. Mais ce qui fit tout de nouveau ce qu’on appeloit en ce temps-là claqueter la Fronde fut que beaucoup de gens du parti des princes, aussi bien que de celui des frondeurs, soutinrent fort ces messieurs. Et ce qu’on n’a guère su, quoique pourtant très-vrai, c’est qu’un grand nombre de gens considérables entrèrent dans le parti de M. le prince quand ils crurent que cela lui étoit inutile, comme M. le duc d’Orléans et les anciens frondeurs du parlement, qui trouvèrent fort commode de se servir de son parti sans qu’il y fût.

Cependant les princes, ainsi que je l’ai déjà dit, ne laissèrent pas d’être extrêmement bien servis : leurs amis n’oublièrent rien de tout ce qui leur pouvoit être utile et dans la Fronde et dans le parlement, où ils faisoient de grandes brigues.

Le parlement qui jugeoit bien que le Mazarin lui vouloit peu de bien, et ce cardinal paroissant à ces messieurs avoir assez d’avantage sur ses ennemis pour se voir en état de prendre quelque résolution contre eux, ils crurent qu’il falloit travailler tout de nouveau à lui donner des affaires. Si bien qu’ils se réunirent aux autres partis : ce qui fit que la Reine ne trouva pas à Paris ce qu’elle avoit pensé. Madame de Longueville étoit allée à Stenay avec M. de Turenne, où, comme je l’ai déjà dit, elle fit un traité avec les Espagnols qui portoit qu’on leur livreroit la ville de Stenay, et qu’on ne garderoit que la citadelle : moyennant quoi les Espagnols donneroient des troupes que M. de Turenne devoit commander 1 pour entrer en France ; et même ces troupes avoient déjà pris Rethel, que l’armée du Roi songea à reprendre peu de temps après.

Dès que le cardinal fut à Paris, il en repartit aussitôt pour se rendre sur cette frontière, où tout alla si avantageusement pour lui que Rethel fut repris[16], et que le maréchal Du Plessis-Praslin gagna une bataille contre M. de Turenne. Mais ce qu’il y eut de bizarre. pour le ministre, c’est que ses affaires non-seulement n’en allèrent pas mieux à Paris, mais qu’au contraire elles en allèrent encore beaucoup plus mal, et que l’appréhension de le voir devenir trop puissant fit que l’on s’acharna plus que jamais contre lui.

[1651] La cour dans cette conjoncture étoit à Paris, où elle se croyoit triomphante et au-dessus de toutes sortes de craintes et même de précautions ; et quoiqu’elle fût bien éloignée de tout ce qu’elle pensoit là-dessus, cette assurance et cette prévention de la Reine firent qu’on ne put lui persuader d’aller au Louvre, d’où elle eût pu sortir de la ville dès qu’elle en auroit eu envie : au lieu qu’étant au Palais-Royal, elle se trouvoit obsédée et enfermée par tout le peuple, et même encore proche des halles, d’où la plus tumultueuse sédition venoit d’ordinaire. L’envie d’avoir des appartemens plus beaux et plus commodes contribua peut-être aussi un peu à son entêtement là-dessus, quoiqu’elle n’eût pas dû oublier qu’au temps des Barricades ce même logement l’avoit forcée à rendre Broussel et Blancménil.

Ce qui commença à lui faire connoître que la crainte qu’on avoit d’elle et du cardinal n’étoit pas si grande à Paris qu’ils se l’étoient imaginé tous deux, c’est qu’un matin on y trouva le portrait de ce ministre avec une corde passée dans la toile qui représentoit son effigie : et c’est aussi ce qui commença à l’intimider, et à diminuer de beaucoup cette grande assurance qu’il avoit auparavant.

Pendant cela, M. de Beaufort allant un soir par la ville, quelques hommes s’approchèrent de son carrosse, et en tuèrent un qui étoit dedans à la portière. Cette aventure fit assez de bruit pour réveiller l’animosité du peuple. Tout le monde dit qu’on en vouloit au maître, et que comme ce mort étoit fort blond on l’avoit pris pour lui.

Du côté de la cour, on y tenoit un langage bien différent. On y soutenoit que le mort n’avoit pu être pris pour M. de Beaufort, parce qu’il avoit les cheveux noirs. Si bien que Saint-Eglan (c’étoit le nom du mort) avoit des cheveux selon le parti qu’on embrassoit ; et d’ailleurs c’étoit un homme si peu connu, qu’il n’étoit pas malaisé de le peindre des couleurs qu’on vouloit lui donner.

Après cela, on publia à la cour que cet assassinat venoit du parti des princes. On disoit aussi que cette mort étoit une Joliade renforcée, et que la feinte de la blessure de Joli, que l’on avoit déjà supposée avant la prison des princes pour échauffer le peuple, n’ayant pas eu le succès qu’on désiroit, on avoit voulu cette fois sacrifier un homme tout de bon, pour voir si cela réussiroit mieux. Mais ce qui dénoua entièrement toute cette intrigue fut une capture de voleurs qui fut faite dans ce temps-là, et parmi lesquels on trouva ceux DE LA DUCHESSE DE NEMOURS. [1651] qui avoient fait le coup. Ces misérables avouèrent ce meurtre, et dirent qu’ayant vu dans le carrosse du duc de Beaufort plus de monde qu’ils n’y en croyoient, ils avoient quitté la partie et abandonné le dessein de le voler.

Ce dénouement fut cause que depuis cela on ne se soucia plus guère de quelle couleur pouvoient être les cheveux du mort en question, et qu’enfin on voulut bien leur laisser celle qu’ils avoient dans le temps qu’il étoit en vie.

Pendant ces petits mouvemens dans Paris, on en faisoit renaître de plus considérables : on recommençoit à y parler des désordres de la France, et à dire que les finances y étoient mal gouvernées. Mais ce qui empira beaucoup l’affaire contre le cardinal fut la mauvaise finesse qu’il fit de feindre de vouloir faire sortir les princes.

Comme on crut voir revenir bientôt M. le prince, tout le monde voulut avoir part au changement de son sort ; et l’on commença à parler publiquement de l’élargissement des princes, et à dire qu’il falloit nécessairement qu’ils sortissent de prison, et qu’il n’y avoit uniquement que ce remède aux désordres et aux malheurs de l’Etat.

M. le duc d’Orléans étoit toujours pour les frondeurs quand il étoit avec eux : mais dès qu’il parloit à la Reine, ce n’étoit plus cela ; et il changeoit si fort qu’il étoit presque impossible qu’aucun des partis pût faire un fond certain sur lui. Madame de Chevreuse persuadoit à la Reine qu’elle travailloit de tout son pouvoir pour engager ce prince à faire tout ce qu’elle souhaitoit ; et même elle sem- 30. [165] MÉMOIRES bloit quelquefois y avoir assez bien réussi. Mais enfin, un jour que Monsieur étoit au Palais-Royal, le cardinal dit au Roi que le duc de Beaufort et le coadjuteur étoient comme autant de Fairfax et de Cromwels ; que le parlement étoit comme celui d’Angleterre, et que si on les laissoit tous faire ils feroient en France tout ce qui avoit été fait en Angleterre. Sur ce discours, Monsieur, qui ne cherchoit peutêtre qu’un prétexte pour rompre, répondit qu’ayant l’honneur d’être parent si proche du Roi, il ne pouvoit pas souffrir qu’on lui donnât des impressions si étranges, et qu’il étoit de son devoir de lui en représenter l’injustice et la conséquence ; et qu’il n’entreroit plus chez le Roi que ceux qui lui donnoient de pareilles défiances de ses meilleurs sujets n’en fussent dehors : ensuite de quoi il se retira sans prendre congé.. On courut après lui, mais inutilement : il manda à la Reine qu’il ne retourneroit plus au Palais-Royal que le Mazarin ne fût parti, et qu’il n’en avoit que trop souffert.

Le lendemain le coadjuteur fut au parlement, où il déclara qu’il avoit ordre de M. le duc d’Orléans de leur faire connoître qu’il trouvoit à propos que les princes sortissent, et qu’il avoit protesté à la Reine qu’il n’iroit plus chez elle tant que le cardinal y seroit. Il leur apprit ensuite tout ce qui s’étoit passé. Le coadjuteur a dit depuis, peut-être pour faire sa cour à M. le prince, et peut-être aussi parce que c’étoit la vérité, qu’il avoit fait cette déclaration au parlement, sans que Monsieur le lui eût commandé, dans la crainte que ce prince ne changeât la résolution qu’il en avoit prise : mais que, comme on l’avoit proposé et résolu 1 DE LA DUCHESSE DE NEMOURS. [165] 469 dans son conseil, il avoit dû croire qu’il le trouveroit bon, comme il fit aussi, parce qu’il étoit encore fort animé contre la cour. Tout cela intriguoit fort la Reine, et lui donnoit de grandes inquiétudes. Les ministres vinrent trouver plusieurs fois de sa part M. le duc d’Orléans, sans y rien gagner. Elle lui manda même que, s’il l’avoit agréable, elle l’iroit voir : sur quoi il lui fit dire que s’il la voyoit entrer par une porte, elle le verroit sortir par l’autre. La reine d’Angleterre le fut encore trouver de la part de cette princesse, mais elle ne fut pàs mieux reçue que les autres ; au contraire, après avoir employé ses discours inutilement, comme elle sortoit ; des insolens lui crièrent sur les degrés : A la Mazarine ! Ce qui la fâcha si fort qu’elle rentra dans lä chambre de Monsieur, son frère, pour lui dire qu’elle ne le verroit jamais, s’il ne l’assuroit qu’on la respecteroit chez lui comme on devoit. Madame de Chevreuse, de son côté, après avoir bien fait des voyages du Palais-Royal au palais d’Orléans pour tâcher à persuader Monsieur, vint dire enfin à la Reine qu’il étoit si entêté qu’assurément personne ne pouvoit rien gagner sur son esprit ; qu’il n’y avoit qu’elle seule qui en pourroit venir à bout ; qu’elle avoit un tel ascendant sur son esprit, et une adresse si grande à le persuader, que si elle le voyoit elle le radouciroit sans doute beaucoup, et qu’elle détruiroit infailliblement tout ce que les frondeurs avoient gagné sur lui, lesquels appréhendoient fort cette entrevue ; qu’enfin, pour contenter Monsieur, il falloit faire aller le cardinal seulement à Saint-Germain, parce qu’absolument il s’étoit engagé à ne point aller au Palais[1651] MÉMOIRES 470

Royal tant que ce ministre y seroit ; et que, quand elle y tiendroit une fois Monsieur, elle en feroit après cela tout ce qu’elle voudroit : tant son esprit avoit de pouvoir sur celui de ce prince. Le cardinal donna dans ce piége (1), soit parce qu’il pouvoit y avoir quelque vraisemblance, soit parce qu’il avoit une créance entière à madame de Chevreuse, laquelle il croyoit habile, et ne pouvoir être que dans ses intérêts, à cause de Laigues qui la gouvernoit, lequel il savoit ne pouvoir jamais se raccommoder avec M. le prince. Mais ce qu’il ne savoit pas encore assez bien, c’est que madame de Chevreuse avoit gouverné Laigues en cette occasion. M. le cardinal partit donc pour Saint-Germain la nuit d’après (2) ; et ils demeurèrent d’accord, la Reine et lui, que les princes né sortiroient point sans la participation l’un de l’autre. Ils se firent ces promesses réciproques, sans croire pourtant que le temps de leur séparation dût être fort considérable. La Reine manda dès le lendemain à Monsieur que, pour le satisfaire, elle avoit fait partir le cardinal ; et qu’ainsi il pouvoit venir voir le Roi et elle quand il lui plairoit. A quoi Monsieur répondit que ce ministre n’étant qu’à cinq lieues de Paris, où il pourroit revenir par conséquent quand il voudroit, il souhaitoit qu’il fût hors du royaume avant que de retourner au Palais-Royal : et dans l’instant même il alla au parle(1) Le cardinal donna dans ce piége : Il paroît au contraire que Mazarin jugea très-bien qu’une absence momentanée étoit devenue abso lument nécessaire, dans la position très-difficile où il se trouvoit. (2) La nuit d’après : Mazarin sortit de Paris par la porte Richelieu, non sans d’assez grands dangers, dans la nuit du 7 au 8 février 1651. ( ▸ DE LA DUCHESSE DE NEMOURS. [1651] 471 ment pour faire bannir de France le Mazarin, le déclarer perturbateur du repos public, et ordonner à tout le monde de lui courre sus.. Ce qu’il n’eut pas. beaucoup de peine à obtenir, parce que le départ du cardinal, qui paroissoit une fuite, avoit fait reprendre cœur, au parlement et l’avoit fait perdre aux créatures. de ce ministre.

que Ensuite de cela il vint un grand bruit la cour

se vouloit retirer secrètement de Paris. Je ne sais s’il étoit bien fondé ; mais M. le duc d’Orléans le crut si vrai qu’il envoya querir le prévôt des marchands et les échevins, pour leur dire qu’il avoit de bons avis que les créatures de Mazarin vouloient enlever le Roi, et que, comme cet événement pouvoit causer de trèsgrands désordres, il étoit à propos, pour les prévenir, que les bourgeois gardassent et les portes du PalaisRoyal et les portes de la ville : ce qui fut aussitôt exé-. cuté qu’ordonné. Et la Régente, afin d’empêcher que l’autorité royale ne fût blessée par ce commandement,. envoya aussi querir le prévôt des marchands pour lui donner le même ordre. Il ne se passoit point de nuit que M. le duc d’Orléans n’envoyât réveiller la Reine deux ou trois fois. pour savoir des nouvelles du Roi : ce qu’elle supportoit très-impatiemment, et encore plus de ne se pas. voir dans une fort grande sûreté de sa personne, par. l’animosité qu’elle savoit être et contre elle et contre le Mazarin..

Madame de Chevreuse avoit toujours soutenu dans le conseil de la Fronde qu’il n’y avoit qu’à éloigner le cardinal de la Reine ; et que, la connoissant comme elle faisoit, elle étoit assurée que sitôt qu’elle ne le } [1651] MÉMOIRES verroit plus elle l’oublieroit : ce qui arriva ainsi qu’elle l’avoit prédit, comme on le va voir dans la suite. Tout le monde croit pourtant encore que cette autorité absolue que la Reine laissoit prendre au cardinal sur elle venoit d’une amitié bien particulière. Cependant la vérité est que ce n’étoit qu’un effet du peu de goût qu’elle avoit pour les affaires, et une suite de la mauvaise opinion qu’elle avoit sur sa capacité à cet égard. En quoi l’on peut dire qu’elle se trompoit fort, car il est certain que cette princesse avoit un très-bon sens en toutes choses, et que dans. les conseils elle prenoit toujours le bon parti. Si elle eût voulu s’appliquer, elle se seroit rendue habile dans les affaires ; mais, avec un bon esprit, elle ne laissoit pas d’avoir un certain caractère qui lui donnoit une haine mortelle pour tout ce qui se peut appeler travail et occupation. Ainsi, par l’envie d’être déchargée de toutes sortes de soins, de n’entrer jamais dans aucun détail ennuyeux, elle donnoit une autorité sans bornes à ceux en qui elle plaçoit sà confiance ; et comme, avec l’aversion qu’elle avoit pour le travail d’esprit, elle avoit aussi une défiance outrée d’elle-même qui la faisoit se juger incapable de décider sur rien d’important, elle avoit une déférence aveugle aux conseils et, si on l’ose dire, aux volontés de ces mêmes personnes en qui elle se confioit fortement. Docilité fatale qui a plusieurs fois attiré des chagrins à cette princesse, qui d’ailleurs avoit mille aimables vertus et mille grandes qualités d’ame, dont beaucoup d’esprits du vulgaire n’ont jamais connu le prix en aucune façon, ignorant à tous égards le caractère de cette Reine. f DE LA DUCHESSE DE NEMOURS. [1651] 473 Je sais donc qu’une chose que je vais dire là-dessus est contre l’opinion générale. Cependant je, la sais si certainement que je ne puis ni en douter, ni même m’empêcher de la rapporter : car il me semble que les vérités les plus ignorées sont dignes d’une plus grande curiosité ; et ce que j’ai à dire de si inconnu, c’est que, depuis que le cardinal fut parti, la Reine et lui agirent peu de concert, et furent souvent peu satisfaits l’un de l’autre.

La Reine, par cette même prévention de ne se croire jamais sur rien, eut donc la même créance aux autres ministres, sitôt que le cardinal fut parti ; et comme ils lui conseillèrent tous de faire sortir les princes, elle y consentit volontiers, sans même se souvenir qu’elle s’étoit engagée avec Mazarin de n’y consentir jamais sans sa participation. Il est vrai qu’elle auroit eu assez de peine à s’en dispenser, le Roi et elle se voyant comme prisonniers dans le Palais-Royal. Les ministres, avec le premier président Molé et les amis des princes, négocièrent les conditions de leur sortie ; et le maréchal de Gramont devoit en être le porteur. Lorsque le cardinal sut cette nouvelle, et le peu d’égards que la Reine avoit eu pour lui dans cette occasion, il n’en fut pas moins touché que surpris. Mais les amis qui lui étoient restés à la cour, en lui

donnant cet avis, lui mandèrent qu’il falloit qu’il s’en fit honneur, et qu’il allât lui-même délivrer les princes : ce qu’il fit, et même à de meilleures conditions pour eux que celles que le maréchal de Gramont leur devoit porter, qui devinrent inutiles parce que ce maréchal n’arriva au Havre qu’après Q [1651] MÉMOIRES le cardinal, qui les avoit déjà fait sortir de leur prison On étoit si préoccupé que la Reine ne se gouvernoit que par le cardinal Mazarin, que personne ne s’aperçut du peu de correspondance qui étoit entre eux, non plus qu’on n’a point fait attention dans la suite à diverses mésintelligences (1) qui’y ont toujours été depuis ; car il est certain que, du côté de la confiance, ils n’ont jamais vécu ensemble, depuis ce départ, comme ils y vivoient auparavant. La Reine cependant se trouvant toujours enfermée par la continuation de la garde des bourgeois qu’on n’avoit point encore levée depuis l’ordre donné pour la sortie des princes, auquel elle avoit consenti, les amis du Mazarin dépêchèrent M. de Navailles à ce cardinal, pour lui dire de ne le pas faire exécuter sitôt, et de mander à Paris qu’on n’en verroit l’effet que lorsque le Roi et la Reine seroient en pleine liberté. Mais M. de Navailles arriva trop tard, et les princes étoient déjà sortis (2) du Havre lorsqu’il y entra. M. le prince se trouva surpris et.embarrassé lorsqu’il vit le cardinal, dans l’incertitude s’il étoit puissant ou malheureux. Cependant il prit le parti de le bien recevoir et de lui faire bon visage dans la prison, avant même qu’il sût rien de ce qui l’amenoit. Ensuite de quoi lui et le Mazarin prirent ensemble de grandes (1) A diverses mésintelligences : Il y eut bien entre la Reine et Mazarin quelques mésintelligences qui résultoient de l’état critique des affaires ; mais si l’on en croit madame de Motteville, beaucoup mieux instruite que la duchesse de Nemours, Anne d’Autriche demeura convaincue que le cardinal seul étoit en état de diriger le gouvernement jusqu’à ce que Louis xIv pût régner par lui-même. — (2) Les princes étoient déjà sortis : Ils furent mis en liberté le 13 février, et firent leur entrée à Paris le 16 du même mois. 1 DE LA DUCHESSE DE NEMOURS. [1651]. 475 mesures. Mais, entre eux, les mesures ne les contraignoient guère ; et même on remarqua que, sitôt que M. le prince fut sorti, à peine faisoit-il semblant de regarder ce ministre. J’avois oublié de dire qu’aussitôt que la princesse palatine sut les princes hors de prison, elle alla trouver madame de Montbazon ; et, en lui témoignant toutes les amitiés qu’on peut s’imaginer, elle lui dit qu’elle avoit grande impatience de lui faire payer l’argent que les princes lui avoient promis ; qu’elle lui donnât son titre pour le lui faire payer au plus tôt, et qu’elle en prendroit tous les soins du monde. Madame de Montbazon, abusée par de si belles pároles, sans songer à l’inconvénient qui en pourroit arriver, quoique fort intéressée, lui donna sa promesse

; mais après cela elle n’en entendit plus parler.

Sur quoi elle pressa madame la palatine de conclure son affaire, ou de lui rendre son papier : à quoi cette princesse répondit que, l’ayant donné à M. le prince de Condé, elle n’en pouvoit plus disposer. Sur cette réponse-là, madame de Montbazon fit demander son paiement à M. le prince, qui, pour toute réponse, se contenta de tourner l’affaire en plaisanterie, et la dame en ridicule. Cette dame’, voyant que sa perté étoit sans remède, n’en parla plus, soit pour l’inutilité qu’elle y trouvoit, soit pour ne point faire connoître jusqu’à quel point elle avoit été dupée. Je rapporte tout ce qui regarde cette affaire en un seul article, quoique cela soit arrivé en divers temps, mais c’est pour ne point interrompre dans la suite le fil de ma narration. Avant le retour des princes à Paris, M. le duc O [1651] MÉMOIRES d’Orléans envoya à mademoiselle de Longueville, depuis duchesse de Nemours, une requête toute dressée, pour demander au parlement de Normandie de passer l’arrêt contre le cardinal Mazarin, dont elle étoit alors la seule partie, à cause des princes ; parce qu’il n’y avoit qu’elle en ce temps-là qui les pût représenter par la proximité. Il falloit donc que ce fût en son nom que cette requête fût envoyée. Cependant on n’en a pas entendu parler depuis, et l’on ne sait quel usage on en fit. On attendoit M. le prince à Paris, comme s’il eût dû en venir prendre possession, et en devenir le maître absolu. On jugeoit que, puisque tout prisonnièr qu’il étoit son parti osoit et pouvoit bien tenir le — Roi assiégé, il n’y avoit rien qu’il n’osât entreprendre, et qu’il ne pût exécuter quand il se trouveroit à leur tête. On présumoit qu’il falloit de toute nécessité qu’il eût une puissance absolue et sans bornes, et qu’elle fût capable de tout surmonter. Ses amis et ses créatures ne pensoient déjà plusqu’à choisir toutes les charges et tous les gouvernemens du royaume ; et ses ennemis étoient dans des alarmes mortelles. La Reine et les ministres vivoient dans de pareilles inquiétudes, abandonnés de tout le monde et sans savoir à quoi se déterminer. En un mot, toutes sortes de gens de la cour et de Paris étoient dans un état pitoyable ; il n’y avoit de tranquilles que ceux qui avoient pris quelques liaisons avec M. le prince. On publioit qu’en arrivant il commenceroit par faire tuer le vieux M. de Guitaut, pour avoir eu la hardiesse de l’arrêter ; qu’ensuite de cela il feroit prendre la Reine pour la mettre dans un couvent ; et DE LA DUCHESSE DE NEMOURS. [1651] 477 qu’enfin il se feroit déclarer Regent conjointement avec Monsieur, dans l’association duquel on jugeoit bien qu’il auroit tout le pouvoir de la régence ; et l’on ajoutoit encore à tout cela que comme aux anciennes régences on avoit avancé la majorité à treize. ans, on pouvoit la remettre à dix-sept, comme elle avoit été auparavant. 1 Il est certain qu’on ne craignoit et qu’on ne prévoyoit rien là-dessus, quelque extraordinaire que cela parût, qui ne pût bien arriver ; et que M. le prince le pouvoit entreprendre et exécuter facilement, dans la terreur et dans la consternation qu’il avoit donnée à toute la France. Aussi peut-on dire que l’aveuglement qui le retint et qu’il eut dans cette occasion, malgré tout son esprit et toute sa hauteur ne se peut attribuer qu’au bonheur du Roi (qu’attendoient de si grandes destinées), et à la volonté de Dieu, qui ne vouloit ni permettre la perte du royaume, ni que la France reçût les lois d’un prince moins digne de lui commander que celui qu’il lui avoit donné lui-même pour la conserver. La première démarche que fit M. le prince en reyenant de prison fut qu’en passant à Rouen il ne fit point donner par le parlement de cette ville l’arrêt qu’on avoit résolu contre le cardinal, et qu’il n’en parla même pas. Ce qui fut extrêmement remarqué, sans que personne pût pénétrer dans ses intentions, quoiqu’on ne laissât pas de raisonner long-temps là-dessus. La Reine, qui ne parloit plus avec autorité, pria le maréchal d’Aumont (1) de vouloir bien prendre lui> (1)

Le maréchal d’Aumont : Antoine, duc d’Aumont. Il étoit du petit nombre de grands seigneurs dont la fidélité n’étoit pas ébranléc. [1651] MÉMOIRES 478

même le bâton de capitaine des gardes, et de ne le point confier à son fils, qui n’étoit encore qu’un jeune homme, quoiqu’elle n’ignorât point qu’ayant l’honneur d’être maréchal de France, cet emploi ne fût au-dessous de lui. Sur quoi ce maréchal lui répondit que ce lui étoit un si grand avantage de servir le Roi,. qu’en quelque qualité que ce pût être il s’en feroit toujours beaucoup de gloire ; mais que, comme il en vouloit sortir à son honneur, il ne se chargeroit point du bâton qu’elle ne lui promît que le Roi ne marcheroit point trop loin de lui, afin qu’il pût mieux répondre de sa personne, et que l’huissier eût ordre de laisser entrer tous ceux qu’il présenteroit. Il ajouta qu’il avoit quantité d’officiers et de cavaliers réformés dont il répondoit, et dont il vouloit faire remplir son appartement lorsque les princes viendroient, afin qu’elle pût être la maîtresse. Ce que la Reine approuva et trouva fort à propos. Ceux qui virent cette quantité de gens inconnus crurent que le hasard et la curiosité seulement de voir une entrevue aussi considérable que celle de M. le prince avec la Reine en avoient formé la foule. Le jeudi gras que les trois princes arrivèrent à Paris, on y fit des feux de joie de leur élargissement, comme on avoit fait auparavant de leur prison. Mais, à dire la vérité, les derniers ne se firent ni d’un si bon cœur ni avec tant de gaieté que les premiers : car le peuple est bien étrange dans ses divers mouvemens, et il en avoit donné plusieurs marques au sujet de ces trois princes.

M. le duc d’Orléans alla au devant d’eux dans son carrosse,

où le duc de Beaufort et le coadjuteur enDE LA DUCHESSE DE NEMOURS. [1651] rent l’honneur de l’accompagner. Ce furent de grands embrassemens et de grands complimens de part et d’autre ; mais voilà à quoi se borna entre eux toute la reconnoissance, aussi bien que toute l’amitié. Monsieur, qui n’avoit point vu la Reine depuis leur brouillerie, vint lui présenter les trois princes ; et de là il les mena souper au palais d’Orléans. Cette visite fut assez froide, le repas ne fut guère plus échauffé ; et comme il n’y arriva rien de plus remarquable, on commença dès lors à se remettre de ce qu’on avoit tant appréhendé de ce retour de M. le prince.

On jugea facilement, par cette retenue qu’on n’attendoit point de lui, qu’il n’avoit ni de si grands ni de si violens desseins qu’on se les étoit figurés ; et, par un commencement si modéré et si peu prévu, on jugea même encore de toute la suite de ses démarches. Mais

pour savoir de quelle manière toute cette grande puissance et de M. le prince et de la Fronde se dissipa ; pour concevoir comment tant de prétextes si spécieux s’évanouirent, comment tant de projets si terribles se trouvèrent détruits sans efforts et en si peu de temps, et enfin comment tant de si grandes liaisons et de traités parurent sitôt rompus, il est nécessaire, pour le pouvoir mieux faire comprendre, d’en dire tous les sujets ; et pour cela il faut reprendre la chose de plus haut. Comme les amis de M. le prince étoient parfaitement bien informés que les deux partis qui composoient la Fronde se haïssoient à la mort, ils avoient eu l’adresse de faire croire à chacun des deux que le sien étoit le seul que M. le prince considérât. M. de Beaufort étoit entêté au dernier point de cette prédilection en sa faveur ; et on lui avoit tout-à-fait bien persuadé que, de l’autre côté, ce n’étoit qu’un raccommodement plâtré : mais que, pour avec lui, il étoit de la plus parfaite sincérité. On ajoutoit qu’avec le mérite de la sortie des princes qu’il falloit lai attribuer, la cause de leur détention ne pouvoit pas lui être imputée, puisqu’il étoit de notoriété qu’il ne l’avoit pas sue ; qu’ainsi ils ne pouvoient ni lui en savoir mauvais gré, ni rien conserver dans le cœur pour lui, dont il ne dût être content : outre qu’il avoit été le premier encore à traiter de leur côté. M. de Beaufort donnoit à pleines voiles dans tout ce qu’on lui débitoit sur ce ton-là ; et à tout ce qu’on pouvoit lui dire de plus ffatteur, il ajoutoit encore mille particularités à son avantage.

Ceux qui traitoient pour les princes feignoient de croire ce qu’il disoit, et marquoient ne pas douter que ce ne fût lui qui avoit tourné le coadjuteur pour les mêmes princes. De plus, on l’exaltoit extrêmement de n’avoir rien demandé ; mais on pensoit bien en même temps qu’il n’avoit affecté ce faux désintéressement que pour en avoir davantage.

Cependant, comme il présumoit facilement et beaucoup, tant de sa bonne fortune que de son intrigue, il croyoit non-seulement avoir persuadé par l’une ce qu’il avoit voulu faire croire de l’obligation que lui avoient les princes, mais encore avoir acquis par l’autre une fort grande part dans les affaires, et comme ami principal et comme favori de celui qui gouvernoit.

Il étoit donc si bien infatué de cette opinion, que

DE LA DUCHESSE DE NEMOURS. [1651]. 481 lorsqu’il apprit le projet du mariage de mademoiselle de Chevreuse, il entra dans une si violente colère et dans un chagrin si mortel qu’il en fut long-temps comme absorbé, jugeant bien que cette union donneroit à l’autre parti de la Fronde de grands avantages sur lui auprès de M. le prince, par les grandes liaisons que ce mariage donneroit à cet autre parti auprès de ce prince ; et que la place qu’il y tiendroit seroit bien différente, par conséquent, de celle dont il s’étoit flatté.

Voilà donc ce qui faisoit sa douleur. Mais ce qui lui causoit tant de colère étoit d’avoir été pris pour dupe dans ce traité, et de n’avoir pas su ce désespérant mariage, quoique l’extrême habitude qu’il avoit à ces sortes de réserves qu’on avoit à son égard, et au peu de confiance qu’on lui marquoit ordinairement dans de pareilles occasions, eussent dû l’y rendre moins sensible.

De cette dernière réserve qu’on eut avec lui, il en voulut tant de mal à M. de Nemours son beaufrère, et il en conçut tant d’aigreur contre lui, qu’on croit qu’elle fut cause enfin qu’ils se battirent l’un contre l’autre : et ce fut dans ce combat (¹) que M. de Nemours fut tué par M. de Beaufort. Cela, joint au manque de parole de M. le prince pour madame de Montbazon, sur ce billet qu’il lui devoit payér, obligea M. de Beaufort à traiter avec la cour, dont M. le prince ne se soucia pas beaucoup. (1) Et ce fut dans ce combat : Ce combat n’eut licu que l’année sui-` vante, ct fut provoqué par d’autres causes qu’on verra dans l’Introduction aux Mémoires sur la Fronde. Le duc de Nemours y fut tué ; el

son frère Henri de Savoie, qui hérita de ce duché, épousa mademoiselle de Longueville en 1657. T. 34.

31. [1651] MÉMOIRES Le lendemain que ce prince fut arrivé, il alla fort exactement chez madame de Chevreuse, exprès pour lui faire de très-grands remercîmens de tout ce qu’elle avoit fait pour lui, en l’assurant qu’il lui étoit uniquement redevable de sa liberté ; et, suivant la parole qu’il en avoit donnée, il ne manqua pas de lui faire la demande de mademoiselle sa fille pour le prince de Conti, lequel, s’étant trouvé présent à cette demande, fit aussi, en la confirmant, ses offres de service à ma—. demoiselle de Chevreuse. Madame de Chevreuse répondit que, quelque grand que fût l’honneur qu’ils fissent l’un et l’autre à sa fille, elle ne le pouvoit cependant souhaiter, si M. le prince y avoit la répugnance que bien des gens croyoient qu’il y eût, et qu’elle aimoit mieux le voir satisfait qu’elle n’aimoit la fortune de sa fille ; qu’à l’égard de la parole qu’il lui avoit donnée, elle savoit fort bien que celles qu’on donne en prison n’engagent point ; qu’ainsi elle lui remettoit yolontiers la sienne, pour n’en faire que ce qu’il lui plairoit ; que, pour elle, ce lui seroit toujours beaucoup d’avantage d’avoir pu servir une personne. de son rang et de son mérite, et que quand elle ne recevroit pas l’honneur qu’il lui proposoit, elle n’en demeureroit pas moins attachée à ses intérêts. Mais M. le prince, pour tout ce que madame de Chevreuse lui venoit de dire, ne se rengagea qu’un peu davantage encore à ce mariage en question, et même avec de nouvelles protestations si fortes qu’elle les crut sincères ; quoique pourtant il n’eût aucun dessein de les exécuter. Car enfin il ne comptoit pas pour beaucoup un semblable manquement de parole, et il ne témoignoit souhaiter cette alliance avec tant de passion que DE LA DUCHESSE DE NEMOURS. [1651] 483 parce qu’il savoit qu’on l’appréhendoit à la cour, laquelle il vouloit engager à le prier de la rompre, afin de lui en faire acheter la rupture bien cher. Madame de Chevreuse de son côté n’avoit témoigné tant d’indifférence là-dessus que parce qu’elle savoit bien que

M. le prince ne pouvoit pas encore avoir eu le loisir de s’accommoder avec la cour ; et qu’en s’engageant de nouveau avec elle après tout ce qu’elle lui avoit dit, il se mettoit tellement dans son tort qu’il lui seroit extrêmement difficile de se dégager.. Le bruit du prochain accomplissement de ce ma-. riage ayant éclaté, la Reine connut alors clairement. que madame de Chevreuse l’avoit toujours trompée, et elle n’en fut pas fort surprise : car elle s’étoit depuis long-temps défiée de cette princesse, jusqu’à avoir mandé même au cardinal ce qu’elle pensoit de son infidélité. Ce ministre n’en avoit aucun soupçon, et ne pouvoit se résoudre à le croire ; mais lorsqu’il s’en vit tout-à-fait convaincu, il jura qu’il ne se fieroit jamais à une femme de sa sorte. Il fit ce serment en se servant d’un nom tout-à-fait injurieux qu’il lui donna, pour s’expliquer mieux sur ce qu’il pensoit d’elle. Madame de Chevreuse, par sa dangereuse habileté. et par toute sa conduite, avoit si bien fait connoître à la cour ce que ce seroit qu’une femme de son carac-, tère et de son esprit dans la maison du prince. de. Condé, laquelle maison, pour son utilité propre et celle de madame de Chevreuse elle-même, ne pour

pouvoit avoir d’autres intérêts que ceux de ce prince ; la cour, dis-je, avoit si bien connu de quoi seroit capable cette princesse dans la maison de Condé, que les ministres n’oublièrent rien pour l’empêcher d’y 31. [1651] MÉMOIRES, entrer ; et ils jugèrent aussi que M. le prince rompant avec elle, ce seroit rompre avec toute la Fronde : ce qui seroit un grand désavantage pour lui. De sorte donc que, pour y parvenir, on commença à négocier ; et ce furent MM. de Lyonne et Servien, qui lui étoient plus agréables que M. Le Tellier, qui se mêlèrent de.. cette négociation, où M. le prince entra dans l’instant même, sans faire la moindre réflexion à toutes les protestations de ses nouveaux engagemens avec madame de Chevreuse.

. Du côté de la cour, on résolut de lui sacrifier le gouvernement de Guienne, et de lui faire espérer celui de Provence pour le prince de Conti, quoiqu’on n’eût aucune envie de remplir cette espérance. . La princesse palatine s’offrit à la Reine pour travailler à cette négociation. M. de La Rochefoucauld y entra tout de même, et de tout son cœur, parce qu’il haïssoit la Fronde au dernier point. Ainsi, dans le même temps que de la part de la cour on négocioit avec M. le prince, on traitoit secrètement aussi avec tous ceux de son parti pour les en détacher. Madame de Longueville de son côté, étant encore à Stenay pour achever. de régler quelques intérêts avec les Espagnols, y apprit avec une douleur sensible la nouvelle du prochain mariage de monsieur son frère avec mademoiselle de Chevreuse, dans la crainte que la mère et la fille ne lui fissent perdre le crédit qu’elle avoit sur ce frère, lequel étoit le seul de sa famille sur qui elle en eût un véritable. Mais ce qui la touchoit encore bien davantage étoit de voir entrer dans cette famille une personne et plus belle et plus jeune qu’elle.

0 DE LA DUCHESSE DE NEMOURS. [165] Quoique de si loin cette princesse nè pût pas savoir bien précisément en quel état étoit cette négociation, ni’s’il étoit à propos de faire connoître sitôt le dessein de M. le prince et le sien, elle ne laissa pas cependant, pour faire croire qu’elle étoit assez habile pour réussir à tout ce qu’elle entreprendroit, de vouloir bien se hasarder d’écrire à Fuensaldague (¹) qu’elle alloit à Paris pour rompre ce mariage du prince de Conti avec mademoiselle de Chevreuse. M. de Noirmoutier, qui connoissoit mieux M. le prince que les autres, n’avoit jamais voulu entrer dans la négociation de ce prince avec la Fronde, ni même revenir à Paris pendant tout le temps qu’on en parla : c’est pourquoi il manda aux frondeurs que, ne prétendant rien aux grands avantages et aux grandes félicités qu’ils alloient recevoir par le moyen de leur raccommodement avec M. le prince, il ne vouloit point aussi entrer avec leur parti dans cette nouvelle liaison ; mais qu’il ne laisseroit pourtant pas de demeurer tou jours uni avec eux, si dans la suite ils ne trouvoient pas dans cette liaison si éblouissante tout ce qu’ils en espéroient. Il les avertit en même temps de ce que madame de Longueville avoit écrit à Fuensaldague, qu’il avoit su par certaines femmes de ce pays-là avec lesquelles il avoit eu en diverses occasions quelque sorte d’habitude.

Les frondeurs prirent quelques soupçons, et de cet avis que leur donna M. de Noirmoutier, et de ce qu’ils avoient vu qu’on avoit différé le plus qu’on avoit pu d’envoyer querir la dispense : joint à cela que madame de Chevreuse étant allée attendre madame de Lon(1) Fuensaldague : Il étoit gouverneur des Pays-Bas. [1651] MÉMOIRES gueville chez elle le jour qu’elle revint de Stenay, afin de lui marquer plus d’empressement, et afin aussi de la voir plus en particulier, madame de Longueville, bien loin de lui faire le moindre compliment sur le mariage de sa fille avec son frère, affecta même de ne lui en pas parler. Ils jugèrent donc dans le conseil des frondeurs que non-seulement M. le prince pourroit bien avoir ; le dessein de rompre ce mariage, mais encore que, quand il l’auroit, ils ne pourroient pas l’empêcher de l’exécuter ; que c’étoit peut-être même la seule raison qui l’obligeoit à se détacher de la Fronde ; et que, pour ne pas tout perdre, ils devoient s’offrir des premiers à favoriser ce dessein, au cas qu’il l’eût. Sur quoi le coadjuteur vint trouver M. le prince, et lui dit que, pour peu qu’il eût de répugnance au mariage de monsieur son frère, il le romproit ; qu’il se faisoit fort même que madame de Chevreuse n’en seroit point fâchée, et qu’enfin il le prenoit sur lui. Le prince de Condé négligea cette occasion de rompre de bonne grâce le mariage de son frère, soit que son traité avec la cour fût fait ou qu’il ne fût pas encore conclu, soit qu’il ne crût pas ce qu’on disoit. Enfin, par une mauvaise finesse, il n’accepta pas le parti qu’on lui proposa : outre que d’ailleurs il négligeoit tellement la Fronde, que lorsqu’elle témoigna tant d’empressement pour faire donner ur arrêt au parlement qui donnoit l’exclusion aux cardinaux étrangers d’être premiers ministres, et que la cour, d’un autre côté, pour embarrasser le coadjuteur, fit ajouter à cet arrêt que les cardinaux français en seroient également exclus, il parut s’intéresser très-peu et au ✔ DE LA DUCHESSE DE NEMOURS. [1651] 487. dessein de la Fronde et à l’opposition du coadjuteur à cette addition de la cour contre lui, lequel, ayant fait connoître par tous ses mouvemens qu’il prétendoit être et cardinal et premier ministre, mit bien des gens contre lui. Car enfin, quelque haine qu’on portât au Mazarin, on appréhendoit encore davantage de voir le coadjuteur dans le ministère, que d’y voir ce cardinal : et ce fut dans les instances pressantes que fit le coadjuteur à M. le prince pour l’obliger à le favoriser, qu’on remarqua, par la foiblesse et par la négligence avec lesquelles ce prince s’y employa, qu’il ne le faisoit que par politique, et qu’il ne s’en mettoit guère en peine.

M. le prince et madame de Longueville revinrent avec cette même humeur et ces mêmes manières qui les avoient décriés et perdus, sans s’apercevoir et sans se douter en aucune façon qu’elles leur pussent faire le moindre tort : surtout madame de Longueville ; et quoiqu’elle eût plus d’envie que personne de se raccommoder avec la Reine, elle vouloit pourtant que ce fût sans en rabattre de sa hauteur, et que sa fierté allât même jusqu’à cette princesse. Elle lui fit donc dire, comme l’auroit fait une reine étrangère, le temps qu’elle iroit chez elle ; et, pour comble d’orgueil, elle se fit attendre deux ou trois heures, dont M. le prince fut très-fâché. Mais il est vrai que jamais fierté ne fut si mal soutenue ; car enfin’, dès qu’elle fut devant la Reine, il lui prit un tremblement si grand qu’on eût pu croire qu’elle avoit la fièvre, et elle n’eut pas la force d’ouvrir la bouche pour parler, au moins pour dire deux mots de suite ; de sorte qu’il fallut que la Reine elle-même [1651] MÉMOIRES la rassurât, dont cette princesse ne laissa pas de rire beaucoup après.

La Rochefoucauld, qui étoit d’un meilleur sens que madame de Longueville, ne jugeant pàs qu’elle dût être si puissante qu’elle se le figuroit, lui conseilla de se faire valoir auprès de son frère du crédit qu’elle avoit auprès de son mari, et de celui qu’elle avoit auprès de son frère ; de négocier entre eux, et enfin de faire si bien sa manœuvre, qu’ils ne parlassent que rarement et très-peu de temps ensemble, de peur qu’ils ne découvrissent son artifice, parce qu’en effet elle n’étoit bien ni avec l’un ni avec l’autre : et il lui étoit important qu’ils ne le connussent pas. Mais insensiblement elle fit tout le contraire de ce qu’elle devoit pour faire réussir le conseil que lui avoit donné M. de La Rochefoucauld ; et elle le voulut prendre d’un ton si haut avec son mari, qu’elle ne le put soutenir sans son frère : dont elle se trouva fort mal, comme on le verra par la suite. M. le prince faisoit un grand secret de sa négociation avec la cour ; mais la cour étoit bien aise de la laisser plus qu’entrevoir, afin de le décréditer parmi la Fronde. Les ministres tiroient ce traité en longueur, parce que M. le prince demandoit des choses exorbitantes ; et avant que d’y répondre-ils vouloient affoiblir son parti, afin qu’il ne fût pas en état de se rendre si difficile sur les conditions. MM. de Bouillon et de Turenne abandonnèrent M. le prince sur de foibles prétextes, et ils se raccommodèrent avec la cour à des conditions qui leur paroissoient meilleures et plus sûres que celles que M. le prince leur pouvoit faire pour les arrêter : ce DE LA DUCHESSE DE NEMOURS. [1651] qui fut cause qu’ils le quittèrent, étant d’ailleurs très-mal satisfaits des manières qu’il avoit eues à leur égard en diverses occasions. M. de La Rochefoucauld, qui avoit trouvé que mademoiselle de Longueville pouvoit faire quelque obstacle à sa belle-mère, avoit aussi trouvé à propos de

la ménager. Même avant le retour de madame de Longueville, il avoit déjà commencé à la voir plusieurs fois, et à lui rendre compte de tout ce qui se passoit, en lui insinuant, toutes les fois qu’il la voyoit, qu’il falloit qu’elle fût bien avec madame sa belle-mère, et en l’assurant qu’il se chargeoit nonseulement de cet accommodement, mais encore de le maintenir et de l’entretenir. Il conseilla la même chose à madame de Longueville ; mais comme elle ne croyoit que son orgueil, et qu’elle s’imaginoit être parvenue au suprême degré de la grandeur et de la puissance, elle n’en voulut point croire M. de La-Rochefoucauld : outre que le long temps qu’elle avoit été sans le voir l’avoit si fort décrédité auprès d’elle, qu’elle commença même un peu à s’en dégoûter. De sorte qu’au lieu de bien recevoir sa belle-fille lorsqu’elle l’alla voir, elle ne la regarda que comme une personne contre qui elle étoit en colère, sans que mademoiselle de Longueville lui eût pourtant rien fait autre chose, sinon qu’elle avoit toujours marqué beaucoup de respect pour le Roi et pour la Reine. Car, pour ce qui est des divers efforts indirects que cette princesse avoit tentés auprès de monsieur son père pour le détacher des partis opposés à la cour, madame de Longueville ne pouvoit lui en vouloir de mal, car elle n’en avoit jamais. 49⁰ [1651]

MÉMOIRES rien su. Mais la principale raison qui lui faisoit recevoir sa belle-fille avec tant de dédain et d’aigreur, c’est qu’elle n’étoit pas si puissante qu’elle. Ce commencement des airs insultans qu’on prenoit avec cette princesse lui faisant juger des mauvais traitemens qu’elle pouvoit éprouver dans la suite, contribua beaucoup à la faire entrer dans une affaire que je vais dire ; joint aussi qu’elle étoit persuadée que la fin qu’elle s’y proposoit étoit le véritable intérêt de monsieur son père, et qu’elle n’avoit pu jusque là, ainsi que je l’ai déjà dit, lui faire bien envisager. M. de Longueville, avec ces places qu’on lui avoit rendues en Normandie, avoit repris dans cette province presque tout le crédit qu’il y avoit avant sa prison : crédit qui le rendoit alors fort considérable, et qui fit juger à la cour qu’il étoit important pour elle de le désunir d’avec M. le prince. Mais on ne savoit comment s’y prendre, parce qu’on le croyoit absolument obsédé et entraîné par la maison de Condé ; et l’on craignoit fort que cette maison ne le retînt toujours attaché à elle, dans la persuasion où l’on étoit de l’extrême pouvoir que madame sa femme avoit sur lui, quels que fussent les incidens qui les brouilloient quelquefois. Ce prince avoit eu dans ses affaires un homme qui étoit dévoué à la cour ; mais il l’avoit chassé de son service ; et il en avoit un autre à sa femme, qui étoit ce même Priolo qui, par ses rapports, l’avoit jeté dans le parti de la Fronde. On ne savoit donc à qui s’adresser ; et d’un autre côté M. Je prince avoit donné tant de terreur à tout le monde, que la peur de le fâcher, qu’avoient presque tous les esprits, faisoit DE LA DUCHESSE DE NEMOURS. [1651] qu’on appréhendoit que, le parti de la cour étant si bas et si décrédité, il n’y eût sujet de craindre que personne ne se voulût charger de cette commission ; ou bien que ceux qui s’en chargeroient ne trompassent la cour, ensuite. Enfin M. Servien s’avisa de penser à mademoiselle de Longueville, qu’il savoit n’aimer pas beaucoup sa belle-mère. Ce miniştre étoit de ses amis depuis le voyage qu’elle avoit fait à Munster ; et, sur le prétexte de cette connoissance, il l’alla voir à la sortie de prison des princes. Il lui proposa de travailler auprès de monsieur son père, pour l’engager de se raccommoder de si bonne foi avec la Reine, que rien ne fût plus capable de les désunir.

Elle se chargea volontiers de cette commission ; et les mesures qu’ils prirent là-dessus allèrent même bien plus loin que l’on n’eût osé l’espérer. Mais mademoiselle de Longueville recommanda à M. Servien de n’en point parler à son père que cette grande prévention de la puissance de M. le prince ne fût un peu passée, sur l’espérance qu’elle avoit que pendant ce temps-là elle prépareroit cette négociation, et qu’elle lui feroit savoir quand il seroit à propos de la commencer.

Au milieu de toute la puissance que pouvoit avoir M. de Longueville, il se trouvoit accablé de ses beaux-frères, qui se vouloient servir de ses établissemens pour mieux affermir leurs affaires, sans que l’appui et l’utilité qu’il apportoit à leur parti le fissent considérer davantage d’eux ; et c’étoit là leur procédé ordinaire avec tous ceux qui vouloient bien le souffrir. [1651] MÉMOIRES Madame de Longueville de son côté étoit dans un tel enthousiasme de sa prospérité, qu’elle ne se connoissoit plus elle-même. D’abord elle crut si fortement qu’elle auroit plus de considération que M. le prince, qu’elle ne pouvoit pas s’imaginer pourquoi il auroit pu en avoir plus qu’elle. Cependant un peu après elle rabattit quelque chose de cette opinion ; mais cette modestie n’alla pas jusqu’à son mari, car elle lui fit dire que, s’il s’avisoit de trouver à redire à sa conduite, elle le rendroit le plus malheureux de tous les hommes.

Comme on s’étoit persuadé qu’il ne feroit jamais d’autre figure que celle de suivre le parti de M. le prince, et que d’ailleurs c’étoit un crime capital auprès de sa femme et de son beau-frère que de le ménager, les frondeurs ne le considéroient guère ; et ils n’avoient même avec lui que très-peu de commerce, surtout le coadjuteur, tant par les raisons que j’en viens de dire que par la honte qu’il avoit de l’avoir fait prendre prisonnier, après en avoir été et tant aimé et tant. protégé. Il lui disoit toujours pourtant qu’il vouloit avoir un long entretien avec lui ; mais cet entretien ne venoit jamais. M. de Longueville étoit donc dans cet état, lorsque mademoiselle sa fille entreprit de l’engager dans le parti de la cour ; et comme cette princesse ne craignoit guère ceux qu’elle n’aimoit pas, elle n’eut aucune appréhension des Condé, quoiqu’elle eût grande part aux menaces de sa belle-mère. Ce qui lui donna encore le plus de hardiesse, c’est qu’elle ne demeuroit plus avec elle, parce qu’elle étoit revenue à son logis particulier avant que madame de LongueDE LA DUCHESSE DE NEMOURS. [1651] 493 ville fût arrivée à Paris, et qu’elle y étoit toujours demeurée depuis.

Elle commença d’abord la négociation qu’elle avoit à faire avec monsieur son père par le flatter beaucoup, par s’ingérer ensuite de lui parler de ses affaires les plus importantes, et par décider hardiment tout ce qu’elle savoit qui pouvoit le plus réussir auprès de lui. Mais, pour mieux disposer sa matière, elle voulut commencer par le rassurer contre la maison de Condé, en plaignant M. le prince d’être seul à ne pas prévoir les périls où il alloit se précipiter, et en lui faisant voir qu’ils présumoient bien souvent de leur puissance sans aucun fondement ; que leur prison en étoit une preuve convaincante, et que, lors même qu’ils èn présumoient le moins, ils ne laissoient pas de faire encore toute la même contenance, dans la vue d’étourdir le public par cet artifice.

Elle ajouta qu’ils couroient d’ordinaire à leur perte par leur manque de foi à l’égard de tous ceux qui les avoient servis, parce que, malheureusement pour M. le prince et pour tous les gens qui avoient à traiter de quelque chose avec lui, il ne faisoit consister l’honneur qu’à être brave et intrépide, et nullement à être homme de parole et de probité ; que personne n’osoit ni lui faire de reproche là-dessus, ni l’avertir que c’étoit la cause de ce que tout le monde l’abandonnoit ; qu’ainsi il n’étoit guère possible qu’il pût changer de conduite ; enfin qu’il n’y avoit que lui qui ne s’aperçût pas des dangereux effets qu’il en devoit attendre, et qui même lui en étoient déjà arrivés, parce qu’il n’y avoit que lui qui en ignorât [165] MÉMOIRES la cause, à laquelle il ne pouvoit rien attribuer par conséquent de tout ce qui lui arrivoit ; qu’il seroit donc plus honorable de se raccommoder avec la cour, lorsque ce prince paroissoit encore être en état de se soutenir, que lorsque sa fortune deviendroit dans son déclin ; que, comme il avoit toujours accoutumé de faire ses traités sans lui en parler, il pouvoit lui rendre la pareille ; et que pour lui, s’il cessoit d’être en considération, ce ne seroit que parce qu’il le voudroit bien ; qu’il ne pouvoit se voir hors de prison sans se voir en même temps maître de la Normandie ; qu’un homme comme lui n’en pouvoit avoir d’autre que le Roi ; qu’il feroit une figure fort désagréable dans un parti où il ne pouvoit être que le quatrième tout au plus ; que même le duc de Beaufort et le coadjuteur auroient encore plus de crédit à Paris que lui ; et qu’en demeurant comme il étoit, il s’alloit embarrasser immanquablement avec bien des gens qui ne pouvoient pas compatir ensemble. Par de semblables discours, ou pour mieux dire par les dispositions des affaires, ou si l’on veut encore par la manière dont avoit été traité M. de Longueville, il devint si différent de ce qu’on l’avoit toujours vu, qu’on ne le connoissoit plus. Il résistoit. à tous les gens qui l’avoient voulu soumettre, et il le prenoit au-dessus de tous ceux qui mal à propos l’avoient pris sur lui.

C Ensuite de toute cette conversation que mademoiselle de Longueville eut avec monsieur son père, elle avertit M. Servien qu’il étoit temps de parler de la négociation qui avoit été proposée entre eux, et qu’elle venoit de la disposer : ce que ce ministre ayant appris, DE LA DUCHESSE DE NEMOURS. [1651] 495 il sut si bien profiter de cette disposition, qu’il ne tarda guère à en tirer tout l’avantage qu’on en désiroit. Mais il fit connoître à M. de Longueville que la Reine auroit peine à avoir une confiance entière en lui, tant que son fils seroit à Montrond entre les mains de M. le prince. Il pressa même sa fille de lui en parler fortement ; et mademoiselle de Longueville le fit avec tant d’adresse et de succès, que, malgré tous les efforts de madame de Longueville pour empêcher que son fils ne sortît de Montrond d’auprès du prince de Condé, M. de Longueville s’opiniâtra tant de le retirer d’auprès de ce prince, qu’on fut contraint de le lui rendre.

Comme le procédé de M. de Longueville avoit plus de rapport en ce temps-là avec le caractère d’esprit de sa fille qu’avec le sien propre, madame de Longueville se prenoit à elle de tout ce que faisoit ce prince et c’est ce qui lui donnoit une si grande haine contre mademoiselle de Longueville, sans songer qu’elle-même étoit la seule cause de tout ce qui lui arrivoit de fâcheux, et qu’elle se l’attiroit, tant par les manières dont elle avoit vécu avec M. de Longueville, que par toutes les hauteurs et toutes les bizarreries qui l’avoient fait haïr presque de tout le monde, et qui avoient obligé mille gens à parler contre elle à son mari. La cour, qui ne négligeoit rien, sachant cette aversion de madame de Longueville pour sa belle-fille, quoique assez mal fondée, s’en servit pour la faire tomber dans un piége dont elle ne se douta jamais, quoiqu’il fût cependant fort aisé à connoître. Comme tout ce qui lui venoit de sa belle-fille lui [1651] MÉMOIRES étoit odieux, on lui persuada qu’elle mettoit dans la tête de son père de l’emmener en Normandie avec lui, et de la faire enlever au cas qu’elle n’y voulût pas consentir. Elle fut fort effrayée de cet avis, contre lequel voulant se précautionner, elle se fit garder avec un grand soin ; et, dans l’alarme où elle étoit, elle se trouva forcée d’employer M : le prince auprès de son mari, pour l’empêcher de l’emmener avec lui. Si elle avoit été mieux informée de la vérité, elle auroit connu qu’il étoit aisé de réussir sans tant de peine à ce qu’elle désiroit avec tant de passion ; parce que son mari ne songeoit à rien moins qu’à l’emmener, et que mademoiselle de Longueville, avec tout le reste des personnes qui lui étoient contraires, en avoient encore plus de peur qu’elle-même, dans la crainte que si elle suivoit son mari elle ne reprît du crédit auprès de lui, et qu’elle ne le remît encore dans de nouvelles affaires fatales à sa gloire et à son repos. M. le prince, sollicité par madame de Longueville, se chargea donc de parler à M. de Longueville. Mais comme il lui étoit plus utile que sa sœur, il la lui sacrifia, en ce qu’ayant obtenu qu’elle n’iroit point en Normandie, chose qui lui fut peu disputée, il accorda à son beau-frère qu’elle iroit à Bourges, après être convenus l’un et l’autre qu’elle n’étoit pas d’une conduite qui permît de la laisser demeurer à Paris. Mais comme le jour n’étoit pas pris pour la conduire à Bourges, où il étoit bien plus honteux pour elle · d’aller que si elle n’eût fait qu’un même voyage avec son mari, il lui resta quelque espérance que les affaires pourroient changer.

Sitôt qu’il eut été résolu que madame de LongueDE LA DUCHESSE DE NEMOURS. [1651] 497 ville n’iroit point en Normandie, mademoiselle de Longueville, fortement excitée par la cour, pressa monsieur son père de hâter son voyage : ce qu’il fit aussitôt à sa persuasion ; et, dès l’instant qu’il fut arrivé dans cette province, il s’y trouva plus puissant qu’il n’y avoit jamais été.. Pendant tous ces petits mouvemens, il se passoit peu de jours que quelques-uns des amis de M. le prince ne le quittassent ; mais on ne pouvoit être content à la cour que M. le duc d’Orléans ne l’eût abandonné,

é, parce que sans lui la retraite de tous les autres ne pouvoit être pour elle d’une grande conséquence. Les

ministres qui étoient demeurés auprès de la Reine s’avisèrent d’une intrigue qui fit réussir ce dessein. Le stratagême qu’ils mirent en usage fut la pomme de discorde entre toutes les parties, et fit échouer le traité que M. le prince projetoit avec la Reine. Enfin ce tour imprévu jeta ce prince dans des labyrinthes dangereux, dont il n’est jamais bien revenu. Voici ce que

c’étoit. M. Servien dit à M. le prince que comme il se défioit des promesses de la Reine et du cardinal, et qu’ils avoient envie de lui faire connoître toute la bonne foi avec laquelle ils désiroient se réconcilier avec lui, il avoit dessein de le lui persuader de leur part, et non par des paroles simplement ; qu’il s’apercevroit de la considération qu’ils avoient non-seulement pour lui, mais encore pour ceux qu’il affectionnoit. M. le prince parut fort satisfait de ce qu’on lui promettoit, sans s’en éclaircir plus particulièrement. >.

Un mercredi de la Passion, qui étoit un jour. de T. 34.

32 [1651] MÉMOIRES conseil, M. le duc d’Orléans s’y étant trouvé pour y assister, on vit venir le chancelier Seguier que l’on croyoit exilé, le premier président Molé que l’on croyoit au Palais, et Chavigni, tous trois connus pour être amis intimes du prince de Condé, particulièrement le dernier, qui lui étoit entièrement dévoué. Mais on leur avoit fait siguer à tous trois, avant que de les admettre au ministère, qu’ils seroient dans les intérêts de la Reine et du cardinal, préférablement à tous autres..

La Reine dit à M. le duc d’Orléans qu’elle les avoit mis dans le conseil, et qu’elle avoit ôté les sceaux à Châteauneuf pour les donner au premier président : dont M. le duc d’Orléans se mit dans une grande colère, et dit qu’ayant l’honneur d’être oncle du Roi et lieutenant général de la régence, on n’avoit point dû faire un changement de cette nature au conseil sans sa participation ; et qu’il n’y reviendroit plus qu’on n’y eût donné ordre. M. le prince de son côté demeura tout étourdi, ne sachant si ce qu’il voyoit lui étoit bon ou mauvais. Cependant il ne laissa pas de se retirer avec M. le duc d’Orléans, en déclarant qu’il ne pouvoit être content que Monsieur ne le fût ; mais quand il eut fait un peu de réflexion et pris conseil, il comprit que ces nouveautés lui étoient préjudiciables, et que c’étoit pour le rendre suspect. Aussi voulut-il s’en justifier : et étant allé chez madame de Chevreuse, il y fit des sermens terribles qu’il n’avoit rien su de ces nouveaux changemens. Mais il n’en fut pas mieux cru, et ses sermens ne servirent qu’à donner de l’horreur pour lui, parce qu’on les croyoit tous faux : ce ✔ 499

DE LA DUCHESSE DE NEMOURS. [1651] qui cependant, en cette occasion, étoit une grande injustice.

M. le duc d’Orléans, la Fronde et le public ne faisoient aucun doute que M. le prince n’eût part à ce qui étoit arrivé, n’y ayant, à ce qu’il leur sembloit, nulle apparence que la Reine, toute prisonnière qu’elle étoit au Palais-Royal, eût osé une pareille chose sans l’avoir concertée avec M. le prince. II

y eut ensuite un conseil au palais d’Orléans sur le mécontentement de Monsieur à l’égard de la Reine. M. de Beaufort y parla fort mal à son ordinaire ; le coadjuteur y donna des avis fort violens, et entre autres de jeter des pierres contre le Palais-Royal. Sur quoi M. le prince, lorsqu’on lui demanda le sien, en se moquant visiblement d’eux répondit qu’il ne savoit point la guerre des cailloux, et qu’il falloit demander à ces messieurs comment elle se pratiquoit ce qui augmenta encore la défiance qu’on avoit de lui.

Les ministres qui traitoient avec ce prince ne lui parlèrent plus du gouvernement de Provence pour son frère ; et il fallut qu’il abandonnât avec ce gouvernement toutes ses autres prétentions, parce qu’étant devenu suspect au parti opposé, il se trouva forcé de se contenter de ce qu’on lui voulut donner. On négocia ensuite avec M. le duc d’Orléans pour l’apaiser, et on lui fit trouver bon que ces messieurs demeurassent au conseil, pourvu qu’on rendît les sceaux à M. de Châteauneuf, et qu’il demeurât ministre. On dit à la cour que c’étoit à la considération de M. le prince qu’on ôtoit les sceaux à M. Molé : ce qui, selon l’intention que l’on en avoit, de zélé et fidèle ami que ce premier président étoit de M. le prince, le fit 32. [1651] MÉMOIRES devenir son plus grand ennemi ; et ce qui fut dans la suite d’un préjudice extrême pour ce prince, par la grande considération où étoit alors le premier président. Après cela, on proposa à M. le duc d’Orléans d’agréer que le mariage de mademoiselle de Chevreuse fût rompu : à quoi il consentit aisément ; et l’on croit que ce qui en fut cause, c’est qu’on lui fit craindre que la maison de Condé ne devînt trop puissante si ce mariage s’accomplissoit. Dès la semaine sainte, Monsieur revint chez la Reine au Palais-Royal, où elle fit venir le prince de Conti, pour lui dire de ne pas conclure sitôt son mariage avec mademoiselle de Chevreuse. Monsieur le prince et madame de Longueville ne s’étoient point fiés en lui du dessein qu’ils avoient de le rompre, car ce prince étoit devenu fort amoureux de sa maîtresse ; mais ils lui dirent de si terribles choses d’elle, qu’il eut autant d’impatience d’avoir des défenses de la Reine sur ce sujet qu’il en avoit eu d’épouser cette jeune princesse. Cette excuse des défenses de la Reine parut trèsmauvaise, parce qu’elle n’avoit aucun pouvoir en ce temps-là ; et dans la situation où étoient les choses, comme cette alliance s’étoit projetée et proposée nonseulement sans l’aveu de cette princesse, mais encore contre ses sentimens, elle pouvoit bien s’exécuter tout de même.

M. le prince envoya le président Viole à madame de Chevreuse, pour lui rendre compte des ordres de la Reine, et pour l’assurer cependant que, malgré cela, c’étoit une affaire qui n’étoit que différée sans être rompue ; qu’ils iroient, son frère et lui, la voir pour LA DUCHESSE DE NEMOURS. [1651] s’en expliquer mieux avec elle. Mais en prenant des mesures pour exécuter ce qu’ils lui avoient promis par le président Viole, M. le prince dit à son frère que lui seul étoit en obligation de faire cette démarche, comme la partie la plus intéressée ; et que pour lui il ne pouvoit plus voir madame ni mademoiselle de Chevreuse, par l’embarras que cela lui feroit. Le prince de Conti, pour s’en défendre, lui dit qu’étant son aîné, la chose le regardoit plus que lui du côté de ces sortes de ménagemens ; qu’à l’égard de. l’embarras qu’il en appréhendoit, il seroit encore plus, grand pour lui, par la raison qu’étant le plus intéressé il étoit par conséquent le plus engagé ; et la fin de toute cette conversation entre ces deux princes fut qu’ayant tourné la chose en complimens, et puis les. complimens en raillerie et en plaisanterie, ils ne firent qu’enrire ; et enfin, quoiqu’ils eussent mandé à madame de Chevreuse qu’ils iroient la trouver, ils n’y allèrent ni l’un ni l’autre, et ils ne la virent plus depuis.. Alors des deux partis ce fut à qui se hâteroit le plus de faire ôter la garde des bourgeois, qui tenoient le Roi et la Reine comme prisonniers dans le Palais-Royal.

Ainsi donc M. le prince rompit entièrement avec les frondeurs, et il y rompit même avec une trèsgrande tranquillité, par le mépris qu’il avoit pour eux : il les comptoit comme les derniers hommes du monde, et incapables par conséquent de pouvoir la moindre chose contre lui. Mais ce qu’il y a de très-surprenant en cela, et même de presque incroyable d’un esprit tel que

le sien, c’est que ces mêmes gens de qui il témoignoit faire si peu de cas lui parurent dans la [1651] MÉMOIRES même semaine si redoutables, sans qu’il fût pourtant rien arrivé depuis ; et ils lui devinrent si considérables, que, mal avec eux, il ne se crut plus en sûreté en aucun lieu du monde. M. le prince parut de bien meilleur sens en craignant les frondeurs qu’en les négligeant. Car aussitôt qu’il eut rompu avec eux, il arriva ce que tout le monde avoit prévu, et dont il ne s’étoit point douté, quoique cela n’eût pas dû cependant lui être difficile ; il arriva, dis-je, ainsi qu’on l’avoit prédit, que les frondeurs se raccommodèrent avec la cour contre lui : à quoi ils n’eurent pas beaucoup de peine, parce que la Reine avoit bien plus d’envie de se voir défaite de ce prince que d’eux.

La haine que les frondeurs, et particulièrement le coadjuteur et madame de Chevreuse, avoient pour M. le prince et pour madame de Longueville alloit si loin, qu’elle leur avoit fait oublier toutes les autres haines, jusqu’à celle qu’ils avoient pour le Mazarin avec lequel ils traitèrent tout de nouveau, sans paroître rebutés par les autres traités qui leur avoient si peu servi. Mais véritablement dans celui-ci il y avoit une clause si extraordinaire qu’elle mérite bien qu’on en fasse mention, qui est que le coadjuteur diroit toujours du mal du cardinal Mazarin afin de conserver toujours le crédit qu’il avoit parmi le peuple, et que par ce moyen il demeurât en état de l’y mieux servir. Par ce nouveau traité, il fut résolu pour la seconde fois de reprendre M. le prince prisonnier. Comme il n’alloit plus au Palais-Royal par la défiance où il étoit, on ne put point aussi prendre de mesures pour l’y arrêter.

1 DE LA DUCHESSE DE NEMOURS. [1651] 503 La Reine, qui ne se fioit pas trop aux gens de cette cabale, leur dit qu’elle ne vouloit pas le faire prendre à l’hôtel de Condé, de peur que sa prise ne fit trop de bruit à Paris, et qu’elle n’y causât même de grands meurtres. Cependant on faisoit défiler des troupes du côté du faubourg Saint-Germain. M. le prince, qui étoit toujours sur ses gardes, se retira la nuit à Saint-Maur ; et il parut n’avoir profité de ses prisons que pour en être plus défiant, parce qu’elles lui avoient laissé toutes ses autres humeurs. Il envoya Vigneul à madame de Longueville pour lui apprendre sa retraite, et pour lui dire qu’elle n’avoit que faire de l’y aller trouver ; mais malgré cette précaution, et quoiqu’elle eût même une joue fort enflée, elle ne laissa pourtant pas de partir aussitôt, afin seulement de conserver la réputation qu’elle avoit d’être bien avec son frère. Elle se plaignoit après cela que, toute malade qu’elle étoit, elle avoit été obligée de partir par les grands empressemens de ce prince, ` afin de persuader mieux la confiance qu’il avoit en elle.

;

Le départ de M. le prince (¹) fit un fort grand bruit ; et l’on fut s’offrir au Palais-Royal et à Saint-Maur, tout comme des particuliers auroient fait dans des querelles particulières : et ceux qui alloient d’un côté n’alloient plus de l’autre. Mais on remarqua que peu de gens allèrent à Saint-Maur, dont M. le prince eut beaucoup de chagrin ; et, par la réflexion que trois mois auparavant toute la France avoit été pour lui, il en demeu fort surpris.

eura (1) Le départ de M. le prince : Il sortit furtivement de Paris dans la nuit du 6 au 7 juillet 1651. [1651] MÉMOIRES La crainte qu’on avoit eue un temps de M. le prince étoit entièrement dissipée. C’étoit une des plus grandes pertes qu’il eût faites à sa prison ; et, à la réserve des huit premiers jours qui suivirent sa sortie, on ne revint jamais à cette grande terreur qu’il avoit autrefois donnée, quoi qu’il pût faire après cela. Le lendemain que M. le prince de Condé fut à SaintMaur, M. le prince de Conti alla au parlement, ou il dit qu’il venoit de la part de monsieur son frère leur rendre compte de sa sortie de Paris, et que si elle n’avoit pas été si prompte il auroit été arrêté tout de nouveau ; que c’étoient les effets de l’ancienne haine du Mazarin, parce qu’il s’étoit opposé à son retour ; et que certainement, quoique le ministre fût loin de la cour, son esprit y régnoit toujours par Le Tellier, Servien et Lyonne, qui étoient ses créatures ; que monsieur son frère ne pouvoit plus ni se fier à la Reine ni aller au Palais-Royal tant qu’ils y seroient, et qu’il falloit les en chasser aussi bien que le cardinal.

Le parlement ne prit pas cela tout-à-fait comme se l’étoit imaginé M. le prince. Cependant le prince de Conti ne laissa pas d’y retourner plusieurs fois, et d’y tenir toujours à peu près le même discours. Le maréchal de Gramont fut trouver le prince de Condé de la part de la Reine, pour savoir le sujet de son mécontentement. Ce prince se plaignit qu’on l’avoit voulu arrêter, dit qu’il ne pouvoit être en sûreté que les trois ministres ne fussent partis, et que sitôt qu’ils le seroient il rendroit ses devoirs au Roi et à la Régente.

La Reine, de son côté, disoit que M. le prince ne faisoit tant de bruit que pour avoir encore quelques DE LA DUCHESSE DE NEMOURS. [1651] nouveaux avantages ; qu’il étoit insatiable, et que plus on lui donnoit et plus il vouloit avoir ; que l’on venoit de lui donner la Guienne, et qu’il vouloit encore avoir autre chose ; mais qu’elle étoit résolue de n’en être plus la dupe, quoi qu’il pût faire. Et comme elle ne croyoit pas devoir alors éloigner ses ministres, elle dit aussi que, pour les caprices de M. le prince, elle n’ôteroit pas ceux qui étoient de son conseil ; que ce n’étoit qu’un prétexte, et que s’ils n’y étoient plus, ce prince trouveroit de nouveaux sujets de se plaindre.

Quoique M. le cardinal ne fût pas toujours cru lorsqu’il étoit loin, il ne laissoit pourtant pas de conserver une très-grande autorité ; et comme on s’adressoit toujours à lui pour toutes les grâces et pour toutes les affaires d’importance, on ne manqua pas de lui donner avis de celle-ci : sur laquelle il manda qu’il falloit absolument faire retirer les trois ministres, afin.

d’ôter à M. le prince tout sujet de plainte, et de le mettre entièrement dans son tort, en faisant voir que son dessein n’étoit que de brouiller. Si bien que, lorsqu’on s’y attendoit le moins, la Reine relégua ces trois ministres dans leurs maisons ; ensuite de quoi elle manda à M. le prince qu’elle avoit bien voulu encore le satisfaire en cela, et s’il ne vouloit pas au moins faire quelques pas pour elle, après qu’elle en avoit tant fait

pour lui. M. le prince, qui ne s’étoit jamais figuré qu’on dût ôter ces trois ministres, n’avoit point aussi pensé à ce qu’il diroit si on le satisfaisoit là-dessus : de sorte qu’il ne put jamais ni rien trouver ni rien alléguer pour prétexte de son mécontentement. On crut alors que [1651] MÉMOIRES le cardinal n’avoit cette complaisance que pour rendre M. le prince encore plus criminel s’il n’y répondoit pas. Mais ce n’étoit point là du tout la principale raison de ce ministre : il en avoit d’autres fort essentielles pour lui qui l’avoient engagé à agir comme il avoit fait.

La Reine lui avoit mandé que M. Servien s’étoit trop avancé avec M. le prince, et qu’on auroit fort bien pu se défendre de lui donner le gouvernement de Guienne ; et M. de Lyonne, neveu de M. Servien, ayant su que le Mazarin avoit cette pensée de son oncle, et croyant peut-être qu’elle lui avoit été inspirée par

M. Le Tellier, il lui manda que ce ministre prenoit un trop grand ascendant sur l’esprit de la Reine : ce qui fit faire plusieurs réflexions au cardinal ; outre qu’il n’étoit pas content que, dans son absence, on eût fait tant de choses sans sa participation. D’un

autre côté, madame de Chevreuse, le coadjuteur et les autres frondeurs surent peindre avec de si étranges couleurs l’ingratitude de M. le prince pour eux, son manquement de foi sur le mariage de son frère, et généralement sur tous les autres articles qu’il leur avoit promis, qu’ils le décrièrent à un point que cela ne se peut comprendre. Il étoit abandonné de tout le monde : on n’avoit pas la moindre confiance en lui ; il n’eut dans ses intérêts que ceux qui ne pouvoient s’en dégager avec honneur. Si bien qu’il connut trop tard que ses manquemens n’étoient pas d’une nature à pouvoir être tournés en plaisanterie, comme il se l’étoit imaginé. Car il n’avoit point fait jusqu’alors aucune de ces réflexions DE LA DUCHESSE DE NEMOURS. [1651] utiles qu’il fit depuis si heureusement, et qui le portèrent à pratiquer avec tant d’exactitude des vertus solides, dont il ignoroit même le nom en ce temps-là.

Ce prince, sachant comme les frondeurs le déchiroient, ne les épargnoit pas aussi, et dit que madame de Chevreuse lui avoit proposé de prendre la régence. Quoiqu’elle assurât que cette proposition venoit de lui, tout le monde crut M. le prince : car, comme il étoit plus puissant qu’elle, il lui eût été fort aisé d’avoir la régence s’il l’avoit voulu ; et, comme elle étoit plus habile aux affaires que lui, il y avoit bien de l’apparence qu’elle lui avoit donné ce conseil. On ne sait même ce qui put l’empêcher de le suivre ; car on ne lui pouvoit rien donner par un accommodement, qui ne fût beaucoup moindre que ce qu’il auroit pu prendre dans l’administration de la régence. Mais ce prince marqua si peu de prévoyance sur ce qui le regardoit, par le trouble où il se trouva et par la trop grande assurance qu’il avoit de lui-même, qu’il oublia, après sa retraite à Saint-Maur, de s’assurer du comte de Carces, qui étoit maître de la Provence, dans le temps qu’il le pouvoit le plus utilement ; et il ne s’en souvint que deux jours après que Carces fut engagé avec la cour. Mais, ainsi qu’on l’a déjà remarqué, il sembla que, pour le bonheur de la France, le ciel, favorable au Roi et à la Reine régente, aveuglât toujours ce prince sur ses propres intérêts, tant qu’ils furent opposés à son devoir.. Cependant M. le duc d’Orléans continuoit toujours à être irrité. Il étoit ennemi déclaré du cardinal, et mal satisfait de la Reine et de M. le prince, depuis [165] MÉMOIRES que ces nouveaux ministres étoient entrés dans le conseil sans sa participation. Dans cet esprit d’aigreur, il sut tellement balancer les deux partis par son mécontentement’ joint à son incertitude ordinaire, aussi bien qu’à celle du parlement, qu’il leur ôta tout leur crédit à tous, sans même en conserver beaucoup pour lui ; et l’on demanda en ce temps-là qu’étoit devenue l’autorité royale, puisque, la Régente l’ayant perdue, clle ne paroissoit passée à aucun autre. Ensuite de cela M. le prince vint plusieurs fois luimême au parlement, où il fit venir beaucoup de gens armés dans la grand’salle ; et la Reine y envoya des compagnies tout entières pour y garder le coadjuteur, tant les intérêts étoient changés. Dans une de ces assemblées, où il y avoit plus de gens de guerré qu’à l’ordinaire, le premier président Molé dit qu’il étoit étrange que le lieu destiné à rendre la justice fût devenu une place d’armes ; et ajouta que, pour rétablir les choses dans l’ordre et dans la tranquillité où elles devoient être, et faire disparoître ces gens armés, il falloit que chacun fit retirer ceux qu’il connoissoit. Le coadjuteur fut au passage des huissiers pour dire aux gens de guerre qu’ils se retirassent, afin de satisfaire le premier président ; et M. de La Rochefoucauld se leva aussi, comme s’il avoit eu la même envie de faire retirer les gens du parti de M. le prince. Mais ce ne fut que pour fermer la porte au coadjuteur qui étoit sorti, et qui fut dans un très-grand péril par les. gens de guerre qui y étoient, et plus encore par le peuple qui étoit fort animé contre lui, parce qu’ils le croyoient Mazarin. DE LA DUCHESSE DE NEMOURS. [1651] 50g

M. de Brissac, qui s’aperçut de ce qui s’étoit passé, se leva de sa place pour ouvrir la porte au coadjuteur et pour le faire rentrer ; et il dit à M. de La Rochefoucauld que, s’ils étoient dans un autre lieu, il lui donneroit cent coups d’éperons, parce qu’il ne valoit pas la peine qu’on se battît contre lui : ensuite de quoi ils revinrent dans leur place ; et M. de La Rochefoucauld, en serrant la main du coadjuteur et celle du duc de Brissac, leur dit à demi bas : « Je voudrois « vous avoir étranglés. » Sur quoi le coadjuteur lui repartit, en l’appelant du nom que la Fronde lui avoit donné : « Ne vous émouvez point tant, cama «  rade La Franchise, il ne peut rien arriver entre vous « et moi ; car vous êtes un poltron, et je suis un . prêtre. » Ceux qui étoient présens à cette conversation tâchèrent de l’adoucir ; mais tout ce qu’ils purent faire fut de la rompre. · Avec tout l’esprit qu’avoit M. le prince, il se tiroit toujours assez mal des assemblées du parlement ; et le premier président, qui ne l’aimoit plus, lui rompoit toujours en visière. Il lui demandoit pourquoi il ne voyoit pas la Reine, et si c’étoit qu’il voulût élever autel contre autel.

Durant toutes ces assemblées du parlement, on ne laissoit pas de négocier toujours entre la Reine et M. le prince ; mais on lui offroit peu de chose. C’étoit l’esprit de la cour de ce temps-là de réduire tout en négociation.

M. le prince, de son côté, souhaitoit beaucoup l’accommodement. Il haïssoit les partis, et il savoit bien qu’il n’y étoit pas propre. Mais madame de Longueville, qui voyoit bien qu’elle alloit être reléguée [1651] MÉMOIRES à Bourges, comme on l’avoit promis à son mari, vouloit la guerre, afin que M. le prince pût aller à son gouvernement, dans l’espérance qu’elle lui pourroit être plus utile dans la guerre que dans la paix ; et que M. de Longueville ne le suivant point en Guienne, il ne seroit plus si considéré de M. le prince à son préjudice. Le

duc de La Rochefoucauld étoit de même sentiment, parce qu’il vouloit s’éloigner de Paris à quelque prix que ce fût, ayant peur qu’un prince, dont il connoissoit bien mal le caractère, ne l’y fit tuer, ou que les frondeurs ne l’y fissent battre. De sorte que madame de Longueville et La Rochefoucauld obsédoient si bien M. le prince, qu’ils le portèrent à faire tout ce qu’ils voulurent, quoiqu’il n’eût ni estime ni amitié pour aucun des deux. Comme ils le connoissoient à fond, ils se servirent de ses deux principaux foibles, dont l’un étoit l’intérêt, et l’autre la vanité de croire qu’on le craignoit toujours beaucoup, et que l’on ne se pouvoit passer de lui. Ils lui insinuèrent donc que la Reine appréhendoit fort qu’il ne formât un parti ; et que s’il faisoit la moindre démarche pour le faire croire, ou bien qu’il feignît de tourner ses pas du côté de la Guienne, on lui enverroit offrir tout ce qu’il pourroit souhaiter. De sorte qu’il n’eut pas de peine à se laisser persuader là-dessus.

Il se disposa donc pour partir, et il envoya auparavant sa sœur à Bourges, comme il avoit promis à son mari.

Mademoiselle de Longueville avoit été fort maltraitée de madame sa belle-mère et de M. le prince, DE LA DUCHESSE DE NEMOURS. [1651 511 lorsqu’elle n’avoit rien fait contre eux ; et quand elle parut entièrement pour la cour, et qu’elle fut une des premières à aller chez la Reine, M. le prince la vint voir : il lui rendit compte de toutes ses affaires, et par mille complaisances il fit tout ce qu’il put pour la ménager. Ce qui fait voir, aussi bien que des actions plus importantes, que, dans ces temps, moins on étoit soumis à ceux de la maison de Condé, et plus on en étoit considéré. Les flatteries intéressées et hors de saison que prodigua ce prince n’eurent pas un fort grand succès pour lui auprès de mademoiselle de Longueville. Sa conscience, ses connoissances et les intérêts de son père ne lui pouvoient pas permettre d’en être ni surprise, ni séduite, ni corrompue. Comme en ce temps-là toutes les affaires se faisoient au palais, et que tout étoit réglé par les délibérations du parlement, les princes, et tous ceux qui y avoient intérêt, ne manquoient pas aussi de se trouver à toutes les assemblées qui s’y faisoient. M. le duc d’Orléans, qui parloit admirablement bien, y paroissoit beaucoup. M. le prince, qui parloit fort mal en public et qui de plus étoit très-étourdi des orages qu’il pré—. voyoit, n’y brilloit pas tant ; et il ne réussissoit seulement qu’aux répliques, sur ce qu’on lui disoit d’offensant. La

Reine cependant voyoit avec assez de tranquillité le peu de crédit qu’elle avoit, dans la pensée que la majorité du Roi approchoit, et que dans cette majorité elle trouveroit la fin de ses peines, avec l’abaissement de ses ennemis. Depuis que MM. Le Tellier, Servien et de Lyonne furent partis, MM. de Château[1651] MÉMOIRES neuf et de Villeroy (1) la gouvernèrent tout comme les autres avoient fait, quoiqu’ils l’eussent trahie de concert avec madame de Chevreuse. Dès qu’ils furent seuls au conseil, ils lui firent donner une déclaration par laquelle elle s’engageoit de ne faire jamais revenir le cardinal, sans s’apercevoir du tort que lui pouvoit faire une pareille déclaration. Il est vrai que l’on crut que la Reine l’avoit faite avec la participation de ce cardinal. Mais on a vu depuis une lettre de lui, écrite à M. de Brienne, où il s’en plaint extrêmement, et où il en paroît fort offensé. Le coadjuteur ne sachant plus que faire, et voyant qu’il avoit peu d’agrément dans les deux partis, s’avisa de prendre un nouveau ton. Il dit que, pour ne se plus mêler de rien, il vouloit se retirer, et ne se divertir plus que de ses oiseaux. Il ne prétendoit pas cependant qu’on le crût ; et au contraire il vouloit . faire imaginer par cet art de fort grands mystères. Mais, comme la vérité se fait toujours connoître, on jugea aisément que ce qu’il disoit sans le vouloir persuader le faisoit paroître encore plus véritable qu’il ne pensoit et qu’il n’eût voulu. La majorité du Roi étant sur le point d’arriver, M. le prince vit bien qu’il seroit encore moins en sûreté qu’il n’y étoit auparavant ; mais, entêté toujours de la peur que son départ donneroit, il se détermina enfin de partir pour la Guienne le plus tôt qu’il lui seroit possible.

Il résolut donc de ne se point trouver à la cérémonie de la majorité, et alla sur le chemin de Nor4¹ (1)

De Villeroy : Nicolas de Neufville, duc et pair, et maréchal de France, Il étoit gouverneur du jeune Louis XIV. DE LA DUCHESSE DE NEMOURS. [1651] 513

mandie à un rendez-vous qu’il y avoit donné à M. de Longueville, pour savoir s’il n’y avoit rien à faire avec lui.

} Mais voyant que sa peine étoit inutile, et que son beau-frère vouloit être toujours inviolablement attaché au Roi et soumis à tous ses ordres, sans se rapprocher de Paris il se mit en route pour aller droit à son gouvernement. O Ce

prince étoit si persuadé qu’aux premiers pas qu’il feroit on lui offriroit tout, qu’il attendoit des courriers dans, bien des lieux où il passa, et où il séjourna même pour les y attendre. Mais n’en voyant point venir, la colère le prit contre ceux qui l’avoient embarqué à ce voyage ; et, en disant des choses horribles à M. le prince de Conti, à, madame de Longueville et à La Rochefoucauld, il leur reprocha : qu’ils l’avoient engagé dans un étrange parti, mais qu’ils en seroient’ plus tôt las que lui, et qu’ils l’abandonneroient. Le Roi ayant eu treize ans accomplis le 5 de septembre, il choisit le 7 du même mois pour faire la cérémonie de sa majorité ; et il fut au parlement, selon la coutume, pour se faire déclarer majeur. Là il fit un remercîment à la Reine sa mère des soins qu’elle avoit pris pendant sa régence, et il n’en fit point au duc d’Orléans qui y avoit eu part comme lieutenant général : ce qui l’offensa beaucoup. Mais on feignit à la cour de ne savoir rien de son mécontentement, que bien des gens prirent grand soin d’augmenter. Un peu avant la fin de la régence on avoit. ôté les sceaux à Châteauneuf, pour les donner au premier président Molé. Mais comme dans cette rencontre il falloit deux personnes différentes, parce qu’il n’étoit T. 34.

33 1 [1651] MÉMOIRES pas possible que le même homme fit les deux charges, celle de chancelier et celle de premier président, onlaissa les sceaux au chancelier pour quelques jours seulement. On ôta de même les finances au président de Maisons, pour les donner à La Vieuville. On prit à la cour les premières démarches que fit M. le prince pour des actes d’hostilité ; et l’on fit une déclaration contre lui, laquelle fut communiquée à M. le duc d’Orléans pour savoir s’il n’y trouveroit rien à redire. Il y fit seulement changer deux lignes : ce qui fit croire qu’il approuvoit le reste dont il n’avoit point parlé. Cependant quand on porta cette déclaration au parlement, il s’y opposa de la plus grande force du monde, dont la Reine et les ministres furent extrêmement surpris ; mais il fallut pourtant le souffrir, comme beaucoup d’autres choses. Le coadjuteur fut nommé au cardinalat ; mais on ne crut pas trop que cela pût réussir : car il étoit assez facile à juger, après tout ce qui s’étoit passé, que la cour ne vouloit seulement que l’éblouir. Aussitôt que M. le prince fut parti, la cour prit résolution de le suivre, afin de ne lui pas donner le loisir de mettre ordre à ses affaires. La Reine fut bien aise aussi de tirer le Roi hors de Paris, où ils avoient été l’un et l’autre long-temps prisonniers, et où ils n’avoient pu être sûrement depuis le commencement des cabales de la Fronde.. . M. le prince passa par le Berry, qu’il fit déclarer en sa faveur, et la Guienne ensuite. Mais dès que le Roi approcha, ces provinces furent encore plus promptes à rentrer dans leur devoir qu’elles ne l’avoient été à se mettre dans l’autre parti. M. de Rohan-Chabot fit DE LA DUCHESSE DE NEMOURS. [1651] 5x5 déclarer pour la cour Angers, dont il étoit gouverneur pour M. le prince ; et M. Du Dognon fit déclarer Brouage et La Rochelle, à cause, disoit-il, des obligations qu’il avoit eues à M. le duc de Brezé. A l’égard de Du Dognon, ce ne fut seulement que pour les formes qu’on l’attaqua : car il ne fit aucune résistance. On croit qu’avant de partir de Paris il avoit fait son accommodement, par lequel on lui donnoit un bâton de maréchal de France pour ses gouver : nemens :

5 M. de Nemours suivit M. le prince par la seule raison qu’il s’étoit embarqué dans ses intérêts, n’étant pas d’ailleurs fort satisfait de lui.. 0 Le prince de Tarente, sans savoir trop bien pourquoi, s’en alla le trouver lorsque tout le monde le quittoit. Mais comme la reconnoissance n’étoit pas la vertu chérie de la maison de Condé, l’on n’en eut guère pour un homme qui venoit sans avoir nj troupes ni places qui pussent servir à son parti. Tout ce que M. le prince dit lorsqu’il sut qu’il venoit fut : « Hé ! qu’est-ce que nous ferons de Tarente, et qui « peut nous l’avoir envoyé ? » Ce M. de Tarente ne fut pas mieux traité dans la suite. Car comme lui et M. de La Rochefoucauld eurent assiégé Cognac, et qu’une partie de leurs troupes ayant passé, le pont se rompit, ils ne purent empêcher les troupes du Roi de le secourir, et de défaire toutes celles des leurs qui avoient passé. M.. le prince vint tout furieux leur faire mille reproches, et leur dit entre autres choses qu’ils n’avoient pu prendre Cognac, et qu’en un instant l’ombre et la botte de Marsin l’auroient pris. Ce qui rendoit 33. [165] MÉMOIRES ce prince si chagrin d’avoir manqué cette place, c’est qu’il avoit compté qu’elle lui devoit servir de passage pour sortir de la province ; et que, de plus, il s’étoit engagé qu’en s’en rendant le maître il porteroit la guerre ailleurs et par ce mauvais succès il se voyoit hors d’état de pouvoir exécuter ce qu’il avoit promis. D’ailleurs le Roi avançoit en Guienne : ce qui faisoit perdre à ce prince beaucoup de son crédit, et ce qui dégoûtoit même encore extrêmement tous ceux de son parti : outre qu’il fut très-mal servi par les gens qui avoient reçu ses ordres et son argent pour lui lever des troupes, et qui n’en levèrent pas la dixième partie. de celles qu’il pouvoit attendre, et qu’on lui avoit fait espérer. Aussi auroit-il été entièrement perdu dès ce moment-là, sans la résolution que prit le cardinal, par laquelle il rétablit lui-même les affaires de ce prince : ce qui donna lieu en ce temps-là de dire que les chefs de parti ne se maintenoient pas si bien par leur habileté que par les fautes de leurs ennemis. Cette résolution du cardinal fut de revenir à la cour ; et je vais instruire des raisons qui lui en donnèrent envie.

Le public étoit persuadé que Mazarin, étoit toujours dans une grande faveur auprès de la Reine, et que pour le faire revenir elle seroit capable de renverser tout le royaume ; mais, pour ce cardinal, il s’apercevoit qu’elle étoit fort accoutumée à se passer de lui. Les ministres s’en apercevoient encore mieux. Mais comme Châteauneuf et Villeroy auroient eu peine à lui devenir assez agréables par eux-mêmes pour s’emparer de toute la faveur, et qu’ils ne vouloient point que les desseins qu’ils avoient d’être seuls les 517DE LA DUCHESSE DE NEMOURS. [1651] maîtres du ministère parussent d’abord, connoissant le penchant que cette princesse avoit pour ses parens et pour les étrangers, ils introduisirent le prince Thomas de Savoie, son cousin germain (1), dans la place du cardinal Mazarin. Ce prince étoit un homme assez pesant, lequel avoit néanmoins de très-bonnes intentions, et qui savoit la guerre, quoiqu’il y eût toujours été malheureux. D’ailleurs, lorsqu’on pouvoit s’apercevoir qu’il avoit du sens, on trouvoit qu’il étoit bon ; mais on ne s’en apercevoit pas souvent, parce qu’il étoit bègue ; qu’il parloit fort gras et un mauvais français, et qu’avec tout cela il étoit encore sourd. On faisoit toutes les dépêches en sa présence ; et la Reine prenoit une grande confiance en lui. Mais, ce qui est rare, c’est qu’il fut favori et presque premier ministre, sans qu’il en eût seulement le moindre soupçon. Le cardinal, qui en savoit plus de nouvelles que lui-même, étoit fort mécontent de tout ce qui se pas— soit à la cour ; et il avoit peur que, , s’il en demeuroit

plus long-temps éloigné, il n’eût peine à y revenir. Madame de Navailles, femme d’un homme attaché à lui, pressant un jour son retour auprès de la Reine, cette princesse lui dit ces mêmes mots. : « Ma pauvre .femme, vous pouvez juger que personne ne sou « haite tant que moi qu’il revienne ; mais le pauvre « homme est malheureux : les affaires vont fort bien << entre les mains de ces gens-ci, et il faut qu’avant « son retour on ait poussé M. le prince. >>

Ce que la Reine dit à cette dame, et ce que le carV (1)

Son cousin germain : Il étoit beau-frère de la duchesse de Savoie, sœur de Louis XIII.

i [1651] MÉMOIRES dinal apprit encore de plusieurs autres endroits ; le pressa de revenir à quelque prix que ce fût, ét lui fit croire qu’il étoit perdu s’il tardoit davantage. Comme il avoit conservé un grand ascendant sur l’esprit de la Reine et sur les ministres, dès l’instant qu’il manda qu’il falloit qu’il revînt ; et qu’il étoit à propos que le Roi lui écrivît pour le lui commander, on n’osa s’y opposer, quoiqu’à regret ; et le prince Thomas seul souhaitoit son retour de bon cœur, parce qu’il ne prévoyoit pas qu’il en perdroit sa place. que le

Châteauneuf et Villeroy, sans paroître vouloir contredire à ce qui se proposoit, firent écrire par un nommé Bartet’, secrétaire du cabinet., : la lettre cardinal avoit démandée au Roi : et ils se servirent de ce Bartet, parce qu’ils le savoient dévoué au coadjuteur, à qui ce secrétaire du cabinet ne manqueroit pas de l’apprendre ; et ils ne furent point trompés dans leur attente. Bartet en donna avis aussitôt, au coadjuteur qui avoit eu un nouveau mécontentement de la cour,

en ce qu’il s’étoit fait de nouveaux cardinaux, et qu’il ne l’avoit pas été.“

Aussitôt que le coádjuteur sut la lettre dont il s’agissoit écrite, il alla apprendre cette nouveauté à M. le duc d’Orléans qui étoit demeuré à Paris. Cette nouvelle Firrita fort il en fit part au parlement, et n’oublia rien pour l’animer là-dessus ; à quoi il n’eut pas beaucoup de peine à réussir, parce que ces messieurs y avoient déjà tous assez de disposition. Il fut délibéré que

l’on enverroit sur la frontière deux conseillers au cardinal, pour lui signifier de ne point, rentrer dans le royaume.

La Fronde, sur cette nouvelle, se ranima plus que jamais contre la cour. L’animosité devint même si grande qu’elle porta la guerre et le feu dans bien des lieux du royaume ; et la cour se trouva forcée de laisser là M. le prince jusqu’à un autre temps pour se rapprocher de Paris. Mais, avant que d’en être bien proche, on attendit le retour du cardinal Mazarin, que le maréchal d’Hocquincourt ramena[17].

[1652] Ce cardinal mit son prétexte de revenir sur ce que, sachant que le Roi avoit la guerre contre M. le prince, il lui amenoit des troupes pour le se-. courir ; mais ce fut un secours bien malheureux, qui fit perdre bien des places à la France, qui causa la mort à bien des gens, et qui fit bien plus d’ennemis à la Reine que ces troupes n’en pouvoient détruire.

Le prince Thomas étoit ravi de tous ces mouvemens, parce qu’il étoit persuadé que les avantages qui lui en revenoient, lui étant procurés par le cardinal, s’augmenteroient à son retour ; et il ne se défioit que de ceux qui l’avoient véritablement favorisé. Mais il fut bien surpris ensuite de voir son crédit si diminué au retour de ce ministre, qu’on le réduisit à ne se plus mêler de rien.

La Reine cependant ne laissa pas pour cela de l’aimer toujours ; mais il n’en fut qu’un peu plus malheureux encore : car le cardinal, qui ne le croyoit pas si simple qu’il étoit, le regarda toujours depuis comme un homme qui avoit voulu prendre sa place.

Châteauneuf fut chassé de la cour, et Villeroy ne demeura que par sa grande adresse et son extrême soumission. La Reine étoit dans le plus malheureux état du monde : toute la France ne lui pouvoit pardonner qu’elle s’opiniâtrât à maintenir toujours ce ministre dans les affaires, malgré tout ce qui en pouvoit arriver ; et ce ministre ne.lui vouloit guère moins de mal, de ce qu’il avoit connu qu’elle ne vouloit pas qu’il revînt. Il résolut donc à son retour, voyant le Roi majeur, de se conserver bien auprès de lui, indépendamment de la Reine, et même d’éloigner cette princesse des affaires aussi bien que des bonnes grâces du Roi : à quoi il a toujours travaillé depuis, ainsi qu’en portent témoignage ceux qui sont bien instruits de tout ce qui se passa de plus secret sous la régence.

On étoit donc agité par divers intérêts et par diverses inquiétudes à la cour, lorsqu’enfin le cardinal y arriva avec le maréchal d’Hocquincourt, qui commandoit son escorte. On crut y revoir ce ministre dans la même puissance qu’il y avoit toujours eue : et la Reine affecta d’être transportée de joie de son retour, quoique l’on ait bien su depuis qu’elle n’en eut pas tant.

Il est vrai néanmoins que d’abord elle se trouva soulagée d’avoir quelqu’un sur qui elle pût se reposer, et qui la déchargeât de l’embarras de toutes les affaires ; mais cela ne dura pas long-temps, et elle auroit bien voulu dans la suite avoir moins de loisir et plus de peine, et avoir conservé toute son autorité. Mazarin ne lui parloit plus de rien, et il ne témoignoit pas même avoir pour elle toute la déférence qu’il lui devoit ce qui parut fort étrange à la. Reine, parce que, dans l’absence du cardinal, les ministres l’avoient accoutumée à recevoir d’eux des marques qu’ils DE LA DUCHESSE DE NEMOURS. [1652] avoient pour elle les égards les plus soumis, et qu’ils se comptoient dans la plus étroite dépendance. Enfin ils avoient toujours agi avec elle comme on agit avec sa souveraine. Mais, depuis l’arrivée du cardinal Mazarin, le ministère et la cour changèrent entièrement de face.

Du côté de Paris on ne parloit que de

guerre ; et le duc d’Orléans déclara vouloir prendre les armes", afin d’empêcher le cardinal de demeurer dans le royaume. Bien des gens prirent des commissions pour lever des troupes, qu’on destinoit à l’exécution de ce dessein. Le parlement parut disposé à suivre de pareils sentimens. Mais quoique ces messieurs allassent plus loin, et contre la cour et contre le ministre, qu’ils n’eussent encore fait, comme on le verra dans la suite,.. ils ne voulurent pourtant jamais donner l’arrêt d’union avec M. le duc d’Orléans, qu’ils avoient donné si librement à la première guerre de Paris. M. de Nemours alla en Flandre y lever des troupes espagnoles pour secourir M. le prince, et il en revint avec une armée très-considérable. Cependant M. de Longueville étoit en Normandie avec une puissance si grande, que jamais sujet n’en a eu uné pareille. Toute la province étoit résolue à suivre aveuglément toutes ses volontés, telles qu’elles pussent être, et d’entrer dans le parti où il les voudroit mettre.

Ce pays-là est dans une situation importante pour Paris, à cause de la rivière:ce qui fit extrêmement rechercher M. de Longueville par tous les partis; et quoiqu’il fût constant que M. le prince eût traité avec la cour sans lui lorsqu’il sortit de prison, il avoit 2 4 C [1652] —MÉMOIRES peine encore à lui avouer qu’il y eût pris des mesures : joint à ce que M. de Longueville n’aimoit pas à refuser ce qu’on lui demandoit. Si bien qu’il ne pouvoit se résoudre à le rebuter absolument, non plus que M. le duc d’Orléans, quoiqu’il ne laispas de faire toujours tenir au Roi tout l’argent de la province.

sât Saint-Ibal vint vers lui de la part de M. le duc d’Orléans ; et il y vint, de la part de M. le prince, le marquis de Montataire, capitaine lieutenant des chevaulégers de Bourgogne, et maréchal de camp dans son armée, quoique très-jeune encore. Tous deux n’oublièrent rien pour engager M. de Longueville dans le parti de la Fronde.

M. de Beaufort lui-même, qui avoit été le premier à vouloir engager M. de Longueville dans le parti de la cour, ne laissa pas d’envoyer aussi en Normandie, pour l’obliger à prendre celui de la Fronde ; et cela seulement par son inquiétude naturelle de changer de parti, et aussi parce qu’il ne trouvoit jamais que personne rendît assez de justice à son mérite. D’un autre côté, mademoiselle de Longueville, le premier président de Rouen, et les Mazarins, le pressoient encore davantage pour le porter à entrer dans. le parti de la cour ; enfin jamais personne ne fut tant tourmenté.

S’il avoit voulu parler un peu plus intelligiblement, on lui auroit moins fait la cour, à la vérité ; mais en récompense il auroit évité bien des importunités. Car. enfin on ne lui donnoit point de repos, et un parti ne l’avoit pas plus tôt quitté que l’autre le reprenoit. Il est cependant vrai que sa manière d’ágir ne laissa pas DE LA DUCHESSE DE NEMOURS. [1652] de réussir ; car il fit si bien avec toutes ses incertitudes, qu’il empêcha qu’il n’y eût des gens de guerre dans toute la Normandie, qu’elle demeura paisible dans un temps où tout le reste du royaume étoit au pillage et en feu par les soldats : ce qui charmoit les Normands, qui sont naturellement assez intéressés, et ce qui leur a rendu long-temps la mémoire de ce prince très-chère.

Pour remédier aux desseins et aux entreprises de la Fronde, la cour fit rapprocher. non-seulement les troupes qui étoient destinées pour la guerre contre

M. le prince, mais encore celles des frontières : ce qui fut cause que dans cette campagne les Espagnols prirent Dunkerque, Gravelines, Barcelone et Casal. Peu s’en fallut même que la France.ne perdit l’Alsace, par la rencontre que je vais dire ; mais pour la bien expliquer il faut prendre la chose de plus loin. Après la mort d’Erlac, qui étoit gouverneur de Brisach, un nommé Charlevoi s’en trouva le maître absolu, par le grand crédit qu’il avoit dans la garnison. Comme c’étoit un temps de troubles, on craignoit qu’il ne voulut se faire trop acheter, ou plutôt qu’il ne voulût point se faire acheter du tout, et qu’il ne traitât avec l’Empereur pour garder cette place en propre, en relevant seulement de ce prince.. Comme. Charlevoi dans tous les temps avoit été fort attaché au maréchal de Guébriant, la maréchale son épouse (1), qui le connoissoit beaucoup et qui savoit de quoi il étoit capable, se chargea à la cour d’aller (1) La maréchale son épouse : Renée Du Bec. Son mari, Jean-Baptiste de Budes, avoit été tué en Allemagne au siége de Rothweil le 24 novembre. 1643. [1652] MÉMOIRES. négocier avec cet homme. Mais elle y réussit par des

moyens si extraordinaires, au moins si l’on en veut croire ce qu’on en disoit en ce temps-là, que’je ne sais si une autre auroit voulu et rendre et recevoir un service à de pareilles conditions. Voici donc comme on racontoit la chose. La maréchale, disoit-on, savoit que les femmes avoient un grand ascendant sur Charlevoi, et qu’il avoit un grand foible pour elles. Ce qui l’obligea à prendre pour l’accompagner une demoiselle des mieux faites, et de facile composition, pour imposer à Charlevoi celles qu’elle désireroit : ainsi elle n’eut qu’à lui prescrire la manière dont elle vouloit qu’elle se conduisît. La maréchale arriva accompagnée de cette demoiselle pour négocier avec lui ; et, en allant voir les raretés de Brisach, elle donnoit tout le temps à Charlevoi de voir et d’entretenir cette personne. Comme elle étoit belle et coquette, elle n’eut pas de peine à donner dans la vue à Charlevoi, lequel s’attacha beaucoup à lui faire sa cour, parce qu’il la croyoit une bonne fortune. Elle de son côté, dont le métier n’ n’étoit que d’engager, et non pas d’être cruelle, ne le parut à Charlevoi qu’autant qu’elle le jugea à propos pour le succès. des desseins de la maréchale de Guébriant, laquelle, voyant leur intelligence assez bien établie pour pouvoir exécuter ce qu’elle en vouloit faire, sortit de Brisach pour aller dans une maison à quelques heures de la ville, où elle avoit accoutumé d’aller de temps en temps. Elle feignit d’y être malade pour n’aller point à Brisach : elle obligea cette étrange demoiselle à donner dans cette maison un rendez-vous à Charlevoi, qu’on ne pouvoit tirer de Brisach sans quelque artifice de DE LA DUCHESSE DE NEMOURS. [1652] 525 cette nature ; et on l’arrêta là, d’où il fut mené prisonnier à Philisbourg.

Quelque temps auparavant, M. le comte d’Harcourt avoit été fait gouverneur de Brisach, pour récompense d’avoir mené les princes au Havre, parce que c’étoit la coutume de ce temps-là de se faire payer bien cher les services que l’on rendoit. Le comte d’Harcourt ayant donc Charlevoi en son pouvoir, et la garnison de Brisach n’ayant point été changée, il fit proposer à son prisonnier de le délivrer, pourvu qu’il le rendît maître de cette place : ce que Charlevoi exécuta. Par ce moyen le comte d’Harcourt se trouva le maître des deux principales places de l’Alsace ; et avec ce qu’il y avoit de troupes il assiégea Béfort, sur le prétexte que

le comte de La Suze (¹), qui y commandoit, étoit dans les intérêts de M. le prince.. On apprit tout cela à la cour avec bien du chagrin ; mais l’on n’y pouvoit apporter de remède.. Quoique le Roi fût majeur, M. le duc d’Orléans ne laissa pas de se faire déclarer à Paris lieutenant général du royaume. On passa encore plus avant : on y mit à prix la tête de Mazarin, quoiqu’il ne fût pas justiciable du parlement, étant cardinal. Monsieur sachant que le Roi tournoit du côté de I’lle de France, et craignant qu’il ne se rendît maître d’Orléans, y envoya mademoiselle sa fille, laquelle (1) Le comte de La Suze : Il avoit épousé Henriette de Coligny, fort connue dans les lettres sous le nom de comtesse de La Suze. La jalousie de l’époux, l’humeur galante de la femme, donnèrent lieu à de grands. débats qui aboutirent à une séparation. Madame de La Suze, qui étoit’ belle et aimable, se rendit célèbre par des élégies, des madrigaux et des chansons, où l’on trouve plus de sensibilité que d’élégance et d’harmonie. [1652] MÉMOIRES trouvant la porte fermée y entra par une fenêtre (¹) ; et, y étant entrée, elle fit déclarer la ville pour monsieur

son père, et obligea le Roi, qui y venoit le lendemain, à prendre une autre route. M. de Beaufort qui commandoit l’armée de M. le duc d’Orléans, et M. de Nemours celle de M. le prince, se joignirent. M. de Nemours avoit un ordre secret de M. le prince de s’avancer vers la Guienne ; et M. de Beaufort avoit d’autres ordres de M. le duc d’Orléans de ne point s’éloigner de Paris. Comme ils ne pouvoient se confier les uns aux autres, et qu’ils se trouvoient de sentimens fort opposés, cela, joint avec l’aigreur qui étoit déjà entre eux depuis assez long-temps, ne manqua pas aussi de faire le sujet d’une grande querelle entre ces deux princes, dont il seroit arrivé du malheur dès lors, sans que Mademoiselle, qui revenoit d’Orléans, les accommoda’en passant. 2 7 Ensuite de cela, M. le prince, qui ne se trouvoit pas bien en Guienne, y laissa M. le prince de Conti et madame de Longueville, et, ayant traversé toute la France en habit déguisé, vint se jeter dans l’armée (2) de M. de Beaufort et de M. de Nemours ; et étant joints ensemble, ils donnèrent le combat de Gergeau contre le maréchal d’Hocquincourt, qu’ils défirent : On n’avoit nommé le coadjuteur au cardinalat que pour le tromper aussi ne fit-on pas grand scrupule d’envoyer quelque temps après un courrier pour révoquer la nomination, pendant lequel temps le bailli (1) y entra par une fenêtre : Mademoiselle entra dans Orléans par un trou qui fut pratiqué par des bateliers de la Loire dans une porte depuis long-temps condamnée. — (2) : Vint se jeter dans l’armée : Condé arriva dans la forêt d’Orléaus le 1er avril 1652.. DE LA DUCHESSE DE NEMOURS. [1652] de Gondi, averti par un autre courrier du coadjuteur, amusa celui de la cour, et le retarda sur le prétexte de le bien régaler. Pendant ces momens il dépêcha en diligence vers le pape Innocent x, qu’il savoit hair beaucoup le cardinal Mazarin ; et il manda à ce pontife que, s’il vouloit faire le coadjuteur cardinal, il n’avoit plus de temps à perdre, parce qu’il y avoit un courrier à Florence qui alloit à Rome pour y révoquer sa nomination. Le Pape, qui considéroit le coadjuteur plus comme ennemi du Mazarin que par aucune autre raison, se hâta de lui donner le chapeau avant qu’on pût croire qu’il eût reçu les lettres du Roi qui en nommoit un autre, lequel étoit l’abbé de La Rivière ; et ce fut de cette façon qu’il fit le coadjuteur cardinal : ce qui surprit et fâcha extrêmement la cour. Du côté de la Guienne, voici comme les choses se passèrent dans la seconde guerre de Paris ; et, pour en donner une plus grande intelligence, je crois qu’il est à propos d’en reprendre le récit dès le commencement que M. le prince y alla. Un secrétaire du prince de Conti (¹) se mit en tête de gouverner madame de Longueville. Il fit. comprendre à mademoiselle de Verpillière, qui étoit une de ses filles d’honneur, et qui avoit un fort grand crédit auprès d’elle, que tant que M. de La Rochefoucauld la gouverneroit, comme il étoit fort habile, et que cette princesse n’en étoit que trop persuadée, elle ne suivroit jamais que ses conseils, et que ceux des autres personnes n’en seroient guère considérés ; (1) Un secrétaire du prince de Conti : Ce secrétaire étoit le poète Sarrazin. [1652] MÉMOIRES qu’ainsi, pour les lui rendre plus considérables, il lui falloit donner quelque ami jeune, bien fait,. qui ne fût point propre aux affaires, et qui ne pût que lui plaire et l’amuser. Ils exécutèrent donc. ce dessein ; et, pour le faire mieux réussir, ils introduisirent M..de Nemours, quoique autrefois il ne lui eût pas trop plu, et que, malgré tout l’attachement qu’il paroissoit avoir pour elle, aussi bien que tout ce qu’il avoit de bonnes qualités et de grands airs, elle n’ait jamais rien pu trouver en lui de charmant que le plaisir qu’il témoignoit lui vouloir faire de quitter. madame de Châtillon pour elle, et celui qu’elle eut’ d’ôter à une femme qu’elle n’aimoit pas un ami de cette conséquence.

Cette intelligence la brouilla absolument, avec La Rochefoucauld, lequel, depuis assez long-temps ayant envie de la quitter, prit cette occasion avec joie…

Depuis qu’il cessa de la conseiller, elle parut ne savoir plus ce qu’elle faisoit ; et elle prit à Bordeaux des airs si extraordinaires et si bizarres, qu’on n’en avoit jamais vu de pareils à une personne de son rang.

} M. le prince s’étant cru obligé, pour le bien de ses affaires, de quitter la Guienne, sembloit y avoir laissé son frère et sa sœur pour y cómmander en son absence ; mais le véritable pouvoir étoit demeuré à Marsin et à Lenet, qui avoient son secret et ses or• dres. Ce prince, au retour de Bordeaux, envoya secourir Montrond.

Mais, pour revenir à ce qui se passoit pendant ce temps-là et à la cour et à Paris, et pour en achever DE LA DUCHESSE DE NEMOURS. [1652] 529. le récit, je continuerai par dire que M. le prince, à son arrivée de Guienne et de l’armée,’se cruţ assez bien avec M. le duc d’Orléans, qui le traitoit agréablement ; mais dès qu’il savoit que le cardinal dé Retz lui avoit parlé quelque temps, ou bien qu’il étoit venu comme en cachette par le petit escalier, ce prince en paroissoit tout hors de lui, et il ne savoit plus quelles mesures prendre, tant il en étoit troublé. D’un autre côté, M. de Bouillon s’aperçut, aussi bien que quelques autres qui étoient dans le secret. de la cour, que ce n’étoit pas une chose impossible d’avoir part à la confiance de la Reine, ni même d’être mieux auprès d’elle que le cardinal, puisque elle-même s’étoit plainte quelquefois assez ouvertement qu’elle n’avoit jamais eu une belle parole de ce ministre.

Comme le duc de Bouillon étoit bien plus habile et bien plus clairvoyant que le prince Thomas, il ménagea aussi bien mieux que lui le crédit qu’il sut s’acquérir auprès de la Reine. Même, le cardinal présent, il obtint d’elle que sa maison auroit les honneurs des princes ; et le cardinal, qui ne le put empêcher, afin qu’on ne s’aperçût pas de cette faveur du duc de Bouillon, fit obtenir la même grâce à la maison de Rohan.

La Reine fit dans ce temps-là M. de Créqui duc ; et, pour empêcher qu’on ne crût tout de même que. la Reine fît des grâces de son chef, le Mazarin fit donner la même dignité à M. de Roquelaure. Mais ce ministre ne put trouver de remède contre la résolution qu’on prit de donner ensuite, la surintendance des finances à M. de Bouillon. T. 34.

. 34 [1652] MÉMOIRES On dit qu’il étoit à propos que le cardinal s’éloignât pour quelque temps, afin d’apaiser Paris et les autres lieux du royaume, qui se plaignoient tous de son retour. On croyoit fortement dans le public. que cet avis venoit du cardinal lui-même, qui vouloit leur donner cette satisfaction à tous. Mais un jour que Froullé lui demanda quand il partiroit, il trouva ce discours si mauvais, et il y répondit si durement, qu’il fit bien voir que cette résolution ne lui étoit pas agréable.

Cependant il ne laissa pas que de partir (¹) peu après. Mais comme son bonheur étoit au-dessus de tout ce qu’on pouvoit faire contre lui, M. de Bouillon mourut du pourpre à Pontoise. Ce duc eût été le plus dangereux énnemi qu’il eût jamais eu, tant par le crédit qu’il avoit personnellement auprès de la Reinemère, que par celui que lui auroient donné les finances qu’il eût gouvernées ; et encore, avec cela, par l’autorité que le maréchal de Turenne son frère avoit dans l’armée.

La cour s’avança fort près de Paris, et même les troupes du Roi attaquèrent le faubourg Saint-Antoine (2). Elles ne le forcèrent pas comme elles le prétendoient ; mais aussi ne furent-elles pas tout-àfait repoussées : ce qui rendit l’avantage à peu près égal.

Du côté de la cour, Manchini, Saint-Maigrin, le chevalier de La Vieuville et Nantouillet furent tués ; (1) Il ne laissa pas que de partir : 11 ne partit qu’après la mort du duc de Bouillon, qui arriva le 9 août 1652. —(2) Le faubourg Saint-Antoine : Le combat dont, parle l’auteur fut livré le 2 juillet, avant la mort du duc de Bonillon et le départ de Mazarin. DE LA DUCHESSE DE NEMOURS. [1652] et du côté de la Fronde, Flamarin, La Roche-Giffard et le baron de Castries. M. de Nemours fut blessé à. la main, et M. de La Rochefoucauld eut une grande. blessure à l’œil.

531. Quoique les troupes du parti de la cour ne fussent point entrées dans Paris, c’étoit pourtant une grande affaire à M. le prince d’y faire entrer les siennes ; et elles n’étoient venues dans ce faubourg qu’en tournant par dehors autour de la ville.’ Le peuple n’étoit plus affectionné à la Fronde dans cette seconde guerre comme il l’avoit été dans la première, et les bourgeois fermoient déjà leurs portes. Mais Mademoiselle, qui dans ce temps-là avoit beaucoup de crédit parmi le peuple, leur persuada de laisser passer les troupes de M. le prince au travers de la ville. En quoi elle lui rendit un si grand service, que sans elle il couroit risque de sa vie. Ensuite de cela, Monsieur envoya demander du secours aux Espagnols et à M. de Lorraine. Ce dernier. vint lui amener ses troupes lui-même ; et ce qui parut fort étrange et fort surprenant, c’est que M. Seguier, chancelier de France, qui étoit dans le parti de Paris, obligea son beau-fils le duc de Sully à donner passage aux Espagnols par Mantes, dont il étoit gouverneur. Si

M. de Lorraine parut empressé à venir secourir Monsieur, de qui il avoit l’honneur d’être beaufrère, il ne le parut pas moins à s’en retourner ; et le roi d’Angleterre (¹) négocią avec lui, en lui offrant de la part de la cour de l’argent qu’il accepta, sans (1) Le roi d’Angleterre : Charles 11, alors réfugié en France, et qui ne rentra dans son royaume qu’en 1660. 34. paroître se mettre beaucoup en peine du parti qu’il avoit pris et qu’il abandonnoit. Madame [18] en pensa mourir de chagrin, et cela n’en inquiéta pas davantage le duc son frère.

M. de Nemours et M. de Beaufort, qui étoient en froideur il y avoit long-temps, se raccommodèrent au combat de Saint-Antoine ; mais leur intelligence ne dura guère. Monsieur forma un conseil dans Paris, dont ils furent tous deux ; et la dispute de rang ayant rappelé leur ancienne jalousie, M. de Nemours fit appeler M. de Beaufort, qui le tua de deux balles dans le cœur. Le combat fut de cinq contre cinq, dont il y en eut encore deux qui furent tués.

Peu de temps après cela, le peuple s’avisa d’une espèce de manie qui parut tout d’un coup, sans qu’on ait su qui la commença. C’étoit que, pour marquer qu’on étoit bon frondeur et zélé pour le parti, il falloit avoir de la paille sur soi. Cette manie alla si loin que ceux qui n’en avoient pas étoient réputés mazarins, et fort en péril de leur vie ; en sorte que tout le monde, sans exception, étoit obligé de porter cette marque du parti qu’il y tenoit, jusque-là même que l’on vit des religieux avoir de grands bouquets de paille sur leur froc.

M. le duc d’Orléans et M. le prince vouloient que la ville demandât l’union avec le parlement et les princes, et qu’elle confirmât la lieutenance générale de Monsieur, laquelle avoit déjà passé au parlement.

Pour cet effet, on tint une grande assemblée dans la maison de ville, où non-seulement se trouvèrent les échevins et les. conseillers de ville, mais encore beaucoup d’officiers des cours souveraines qui y étoient comme colonels de leurs quartiers, et le maréchal de L’Hôpital comme gouverneur de la ville.

Aussitôt qu’ils furent assemblés, on vit toute la Grève remplie de gens qui ne paroissoient être que du peuple ; mais, par ce qu’ils firent, ils prouvèrent bien qu’ils n’étoient rien moins que ce qu’ils paroissoient.

Ils commencèrent donc par menacer tous ceux de cette assemblée de les tuer et de les brûler, s’ils ne consentoient à tout ce qu’on désíroit d’eux ; et, sans savoir ce qui s’y passoit,’ils se mirent à tirer et à vouloir monter aux fenêtres de l’hôtel-de-ville, d’où, pour repousser l’injure, on voulut tirer aussi. Et ce qui fit bien connoître que ceux qui attaquoient étoient des gens de guerre, c’est que, bien loin de s’effrayer des coups qu’on leur tiroit, ils continuèrent à s’approcher. On dit même qu’on avoit entendu qu’ils se disoient : « À moi, Bourgogne ! à moi, Condé ! » qui étoient les noms des régimens de M. le prince.

Le désordre alla encore plus loin ; et ceux qui le faisoient poussèrent leur insolence jusqu’à faire approcher auprès de la porte des fagots, où ils mirent le feu. Ceux qui étoient dans la maison de ville, qui voyoient qu’on les alloit brûler, que la porte étoit déjà enflammée et que la fumée les étouffoit, se hasardèrent de sortir ; mais ils n’en rendirent pas leur condition meilleure. Il y en eut un très-grand nombre de tués[19], et l’on remarqua que le malheur tomba principalement sur les plus grands frondeurs, parmi lesquels périrent Miron et Janvri.

Le maréchal de L’Hôpital, gouverneur de la ville, à qui on en vouloit particulièrement, se trouva fort embarrassé. Il cacha son cordon bleu, et il se déguisa si bien et si heureusement qu’il échappa de leurs mains comme par miracle, et qu’il sortit de Paris.

On ne sait point au vrai qui fut la cause d’un si grand désordre. Tout le monde le désavoua. Mais ce qui a passé pour être le plus constant, c’est que M. le prince ne voulant seulement que faire peur à l’assemblée de l’hôtel-de-ville, pour empêcher qu’on n’y délibérât rien que ce qu’il vouloit, les soldats allèrent plus loin que leurs ordres. On dit qu’un homme de grande distinction, qui paroissoit cependant fort attaché à la cour, avoit mandé à M. le prince qu’il falloit faire quelque action d’autorité qui marquât avec éclat son pouvoir, pour rendre son accommodement plus avantageux.

Il y a eu même des politiques qui ont pensé que des gens dévoués à la cour poussèrent ces troupes à de grandes violences, exprès pour dégoûter les peuples des princes.

Enfin, je ne sais ni quelle en fut l’intention, ni qui en furent les auteurs ; mais ils demeurèrent entièrement décrédités parmi le peuple, qui commençoit à s’ennuyer beaucoup de la guerre, et qui perdit tout le goût qu’il avoit eu pour la Fronde.

M. le duc d’Orléans, qu’on connoissoit incapable de ces violences, n’en fut point accusé : aussi vint-on en grande hâte l’en avertir. Et Mademoiselle et M. de Beaufort étant chez lui, il les y envoya pour apaiser le peuple, et pour faire sortir avec sûreté ceux qui étoient investis, dans la maison de ville.

Cette princesse et ce prince furent donc envoyés par Monsieur à l’hôtel-de-ville pour en apaiser le désordre. Mais, au lieu de se hâter, ils s’amusèrent à disputer en chemin qui d’eux avoit plus de crédit parmi le peuple. Mademoiselle soutenoit au duc de Beaufort qu’il ne seroit pas en sûreté sans elle ; et lui, qui se piquoit de l’amitié du peuple plus que de toutes choses, l’assuroit au contraire que c’étoit lui qui lui procuroit cette sûreté. Mais enfin on leur fit apercevoir que leur contestation étoit fort inutile et même dangereuse, parce que le mal pressoit beaucoup : ce qui les obligea à ne penser : plus qu’à s’avancer dans la plus grande diligence qu’il leur fut possible pour faire cesser le désordre, lequel finit cependant encore plus par les ordres secrets de M. le prince que par leurs présences.

Madame de Rhodes, qui étoit allée faire quelques négociations avec M. le cardinal, lui parloit chez la princesse palatine, lorsque les nouvelles lui vinrent du feu et du carnage de l’hôtel-de-ville et comme le maréchal étoit son beau-père et qu’elle l’aimoit fort, elle s’évanouit d’effroi pour lui.

Le cardinal, jugeant bien de l’avantage qui lui reviendroit de cette violence dont on lui apprenoit la nouvelle, et présumant qu’il n’avoit plus besoin de personne, se soucia peu de ce que madame de Rhodes lui vouloit dire, et la quitta brusquement pendant qu’elle étoit évanouie. Quand elle revint de son évanouissement, elle fut si outrée du peu de cas qu’il avoit fait et d’elle et de ses négociations, qu’elle mourut en moins de quatre jours après ; et ce qui y. contribua encore fut le grand chemin qu’elle fut obligée de faire à pied pour rentrer dans la ville sans être connue.

Tout le monde, au lieu de la plaindre, se moqua d’elle d’être morte, comme si elle avoit fait une action fort ridicule ; et, afin qu’elle le parût encore un peu davantage, on ajouta qu’elle avoit été déguisée en cordelier dans la conférence qu’elle eut avec M. le cardinal, et que l’on avoit trouvé dans sa garde-robe des habits de carmes, de minimes, d’augustins, enfin de toutes sortes d’ordres de religieux.

On fit M. de Beaufort gouverneur de Paris en la place du maréchal de L’Hôpital, et Broussel prévôt des marchands. Il ne faut pas oublier de faire remarquer ici que M. le prince avoit tellement perdu la tramontane, et étoit si fort dérouté en tout ce qui regardoit sa conduite, qu’il n’envoya des troupes pour secourir Saint-Maur que lorsqu’il fut pris.

Cependant, malgré tout ce dérangement dans la conduite de ce prince, M. d’Orléans et lui députèrent vers l’archiduc pour en avoir du secours. Il envoya pour la seconde fois M. le duc de Lorraine en France, mais avec un ordre si précis d’y demeurer tant qu’ils auroient besoin de lui, qu’il en devint aussi attaché à leur parti qu’il l’avoit peu été la première fois.

M. de Chavigny, qui avoit tant fait.de choses pour rendre celui de la Fronde considérable, n’en fit pas moins pour. le détruire, dans la vue de s’en faire un mérite auprès de la cour. Il commença donc premièrement à vouloir faire l’accommodement de Monsieur et de M. le prince tout à la fois. Après cela, il travailla à celui de M. le prince de Condé séparément de celui de M. le duc d’Orléans ; et, voyant qu’il n’y pouvoit réussir, il voulut changer de batterie, et faire celui de M. le duc d’Orléans séparément de celui de M. le prince.

Il alloit la nuit à la cour pour ses négociations, sans la participation ni de l’un ni de l’autre. De sorte qu’on auroit puignorer ses démarches encore quelque temps, si des coureurs de M. le prince n’avoient pris un homme chargé de lettres, par lesquelles on découvrit toute cette intrigue. Et comme ensuite de cela M. de Chavigny, qui ignoroit qu’on eût fait cette découvertę, alla voir le prince de Condé qui étoit malade, ce prince, en lui montrant ses lettres, le traita si outrageusement que la fièvre l’en prit et qu’il en mourut, tant il fut pénétré de douleur et de chagrin. Ensuite de cela, le Roi ordonna au parlement de Paris de se transférer à Pontoise : à quoi cette com pagnie ne voulut point obéir ; et, à l’exception du président de Novion et de sept ou huit conseillers, le reste demeura à Paris.

Tout le monde étoit si rebuté des chefs de parti qui étoient sur la scène, que s’il fut venu quelque homme dont on n’eût jamais entendu parler, il eût été celui que l’on eût choisi pour l’être, et dont le parti eût été · le plus considérable.

Il est cependant vrai que si l’on étoit dégoûté de la cour’, on l’étoit beaucoup plus encore à Paris les uns, des autres. Les parlementaires s’accommodoient mal. entre eux ; et ils s’accommodoient encore plus mal avec les princes. Les princes eux-mêmes n’étoient pas trop bien ensemble, et ils ne comptoient plus sur le parlement. Le peuple, de son côté, n’aimoit plus ni les frondeurs d’épée ni ceux de robę.

La cour, informée de tous ces mouvemens et de tous ces désordres, résolut de revenir à Paris sans traiter avec personne, mais seulement d’envoyer des gens parmi le peuple sonder leurs dispositions, nager les colonels et capitaines des quartiers.

L’abbé Fouquet y vint en cachette avec le duc de Bournonville, qui étoit un Flamand dont on n’avoit guère entendu parler avant cela. Ils se firent beaucoup de fête d’avoir réussi à cet emploi, quoique la chose fût faite ou du moins fort préparée par la disposition où la violence de l’hôtel-de-ville avoit mis les esprits.

On commença à faire quelques assemblées au Palais-Royal, dans lesquelles, pour marquer la différence des frondeurs d’avec les royalistes, ceux-ci mettoient du papier à leurs chapeaux, pour opposer à la paille qui étoit la marque de la Fronde.

Les Parisiens souffrirent ces assemblées et ces distinctions sans en paroître émus. Et, pour le jour de la naissance du Roi, on fit de grands feux devant le Palais-Royal, et même encore au-delà. Les bourgeois, à cette imitation, en firent de leur côté. Ceux des environs du Palais-Royal commencèrent, et leur exemple fut suivi presque dans tous les quartiers de Paris, où les bourgeois burent tous solennellement à la santé du Roi.

Le cardinal de Retz, étant informé des brigues qui se faisoient sourdement à Paris pour la cour, offrit de s’en mêler, et promit de les faire réussir. La cour l’en remercia comme lui en sachant gré ; mais on défendit en même temps à ceux qui conduisoient ces intrigues de souffrir qu’il y entrât, et de s’en fier à lui d’aucune. Cependant il ne laissa pas d’en vouloir être..

M. le prince voyant bien qu’il n’y avoit plus rien à faire pour lui, et qu’on ne pouvoit empêcher la ville de faire son accommodement, s’en alla en Flandre avec le duc de Lorraine, qui, par la même raison, s’y en retourna aussi.

Depuis cela on commença à dire à la cour ouvertement que le Roi et la Reine venoient dans peu à Paris : ce qui donna aux Mazarins un nouveau courage, et ce qui acheva d’abattre celui de la Fronde. Le prévôt des marchands alla de la part de la ville et de tous ses habitans supplier le Roi de leur faire l’honneur d’y revenir.

Ensuite de quoi, et avant que d’y rentrer[20], le Roi envoya ordre à M. le duc d’Orléans de s’en aller à Blois, et à mademoiselle sa fille à Bois-le-Vicomte ; mais elle ne s’en tint pas là, et elle voulut aller jusqu’à Saint-Fargeau. On chassa même et le duc de Beaufort et Broussel, sans que le peuple s’en émût non plus que s’il n’avoit jamais entendu parler d’eux.

Il y eut encore quelques particuliers du parlement de chassés, sans compter madame de Montbazon, madame de Châtillon, et même quelques-uns des plus mutins de la halle, sans qu’il parût que personne y songeât.

On fit dans une galerie du Louvre des bancs et un lit de justice comme au palais, et le Roi envoya querir les officiers pour tenir le parlement. Mais comme le Roi ne prétendoit pas que ce parlement fût en corps, parce qu’il l’avoit transféré ailleurs, au lieu d’envoyer dans la grand’chambre le maître des cérémonies pour les y convier selon la coutume ordinaire, on leur envoya des lettres de cachet à chacun en leur particulier, et ils vinrent tenir le parlement au Louvre, où se joignirent ceux qui composoient le parlement de Pontoise. Et le Roi déclara ensuite valables tous les arrêts qu’on avoit donnés à Paris pour les particuliers.

Cette hauteur avec laquelle la cour étoit revenue faisoit juger que de meilleures têtes que celles du temps de la régence se mêloient des affaires : ce qui a souvent fait soupçonner que c’étoient les conseils de M. Le Tellier qui faisoient agir.

Dès le lendemain que le Roi fut à Paris, tout y parut aussi paisible que si jamais il n’y avoit eu de Fronde, et l’autorité royale aussi bien établie qu’avant les troubles.

Cependant le cardinal Mazarin ne revenant point, on voyoit bien qu’il y avoit quelque raison secrète qui l’en empêchoit, n’y ayant plus rien à la cour ni parmi le peuple qui résistât à sa puissance ; mais on ne jugeoit point quelle pouvoit être cette raison.

D’un autre côté le cardinal de Retz étoit fort inquiet. Quoique l’on eût reçu ses offres et ses services, quoiqu’on l’eût même employé, quoiqu’il se fût trouvé au Louvre à l’arrivée du Roi, et enfin quoiqu’il eût prêché devant Leurs Majestés, il sentoit bien néanmoins ce qu’il méritoit, et il parut être dans une grande défiance. Il ne vouloit plus même aller au Louvre ; mais on lui fit si bien comprendre qu’il étoit impossible qu’il pût demeurer dans cet état avec la cour, qu’il se trouva forcé d’y retourner, après avoir pourtant bien balancé et bien retardé. Il y fut convaincu que ses alarmes n’étoient que trop bien fondées, car il y fut arrêté prisonnier[21] : ce qui mit la dernière fin aux troubles, dont il n’y eut plus que les suites, qui furent des accommodemens.

[1653] Peu de temps après que le cardinal de Retz eut perdu la liberté, le cardinal Mazarin revint à Paris[22], où le peuple parut ne se soucier pas davantage de la haine qu’il avoit eue pour lui, que de l’amitié qu’il avoit eue pour les frondeurs.

On jugea que le Mazarin n’avoit ainsi remis son retour après la prison du cardinal de Retz, que pour être en pouvoir de mander et persuader à Rome que les ministres l’avoient résolue et arrêtée sans sa participation, afin que la captivité d’un de ses confrères ne lui fût point imputée.

M. le prince de Conti et madame de Longueville étoient si occupés du soin de reprendre du crédit dans Bordeaux et dans la province, qu’ils ne songèrent en façon du monde qu’ils avoient affaire contre la cour ; et ils croyoient n’avoir d’ennemis que ces deux hommes de confiance que M. le prince avoit laissés : ce qui n’avançoit pas leurs affaires ni celles de son parti.

Il y eut auprès de Bordeaux une assemblée des plus mutins, qui n’étoient que du menu peuple, lesquels s’assemblèrent la première fois dans une maison qu’on nommoit l’Ormée : ce qui fit que l’assemblée se nomma de ce nom.

Le prince de Conti et madame de Longueville y prirent du crédit : ils y mirent des gens fort à eux ; et comme cette mutinerie s’augmentoit insensiblement et naturellement, sans le secours même des soins qu’ils y prenoient, ce prince et cette princesse voyant que le parlement, très-bien informé des intentions de M. le prince, ne considéroit que Marsin et Lenet, ils mirent dans la tête des plus mutins de l’Ormée que le parlement devenoit mazarin, et qu’il n’étoit plus dans les intérêts de M. le prince : ce qui les obligea à le pousser si violemment, qu’il fut contraint de sortir de la ville, quoique M. le prince lui eût l’obligation d’avoir été reçu dans la province. Aussi les affaires allèrent-elles toujours en empirant, depuis que M. le prince de Conti et madame de Longueville eurent préféré une assemblée de mutins au parlement cette assemblée de canaille n’étant pas. un appui pour M. le prince aussi solide qu’un corps de cette considération.

Ce même secrétaire du prince de Conti, qui, pour gouverner madame de Longueville, avoit voulu brouiller M. de La Rochefoucauld avec elle ; ce même secrétaire, dis-je, trouva que le ministère de cette princesse lui étoit peu utile, et conclut qu’il lui étoit plus avantageux d’avoir du crédit auprès de son maître par son maître même, que par madame de Longueville. De sorte qu’il trouva encore moyen de la brouiller avec lui : ce qui causa un nouveau désordre dans Bordeaux, et ce qui y fit aller les affaires de M. le prince absolument de travers.

Un nommé Guyonnet, conseiller au parlement de Bordeaux, qui étoit un des hommes du monde qui. avoit le plus d’esprit, fit son accommodement avec la cour et celui de toute sa compagnie.

M. le prince, informé de tout cela par Marsin et par Lenet, en eut un chagrin mortel ; et cela augmentoit bien encore le mépris qu’il avoit déjà pour son frère et pour sa sœur. Enfin tous ces mécontentemens vinrent à un point à Bordeaux qu’ils ne pensèrent plus qu’à leurs brouilleries particulières, et point du tout aux affaires de M. le prince.

Dès que le Roi y envoya, qui fut presque aussitôt après son retour à Paris, M. le prince de Conti et madame de Longueville s’accommodèrent sur la mière proposition qu’on leur en fit. Ils obligèrent la ville à s’accommoder aussi ; et ce que ce prince et. cette princesse en trouvèrent de plus satisfaisant, c’est qu’ils se trompèrent l’un l’autre.

M. le prince de Conti traita donc sans la participation de sa sœur avec M. de Candale, où son mariage fut conclu et résolu avec mademoiselle Martinozzi, nièce du cardinal Mazarin.

Madame de Longueville, tout de même, traita de son côté, sans lui en parler, avec M. de Vendôme, qui étoit venu à Bordeaux avec les vaisseaux comme amiral.

Une des conditions du traité de M. le prince de Conti fut que son frère et sa sœur ne reviendroient jamais à Paris ; et une de celui de madame de Longueville fut qu’on travailleroit à la raccommoder avec son mari.

Après ces accommodemens, il ne parut presque plus de restes de troubles dans le royaume, et le peu qu’il en restoit fut bientôt entièrement dissipé. Mais depuis cela il n’a plus paru dans le règne du Roi qu’une suite perpétuelle et miraculeuse d’actions extraordinaires, dignes d’une mémoire et d’une admiration éternelle, et dont la cause se doit moins attribuer à la grande fortune de ce prince qu’à ses grandes qualités, qui lui ont fait entreprendre et exécuter tant de choses si incroyables qu’elles feront croire un jour notre histoire fabuleuse, par le peu de vraisemblance qu’elles porteront dans les siècles à venir sur tout ce qu’elles leur en apprendront, et sur tout ce que nous en admirons dans le nôtre.




FIN DES MÉMOIRES DE LA DUCHESSE DE NEMOURS.





Paris, Imprimerie de A. BELIN, rue des Mathurins S.-J., n°. 14.
  1. Ce prince ne fut proclamé roi que le 18 janvier 1701.
  2. Qui passoient pour les plus sages : On a vu dans la Notice que madame de Nemours, alors mademoiselle de Longeville, ne fut pas étrangère aux premiers troubles.
  3. La paix avantageuse : Il est fort douteux que les conditions proposées par les ministres du roi d’Espagne fussent aussi favorables que le suppose ici madame de Nemours.
  4. De la petite vérole : Louis xiv fut attaqué de cette maladie le 10 novembre 1647 ; il avoit alors neuf ans. On trouvera dans les Mémoires de madame de Motteville le détail de toutes les intrigues auxquelles cette maladie donna lieu.
  5. Dès le lendemain : l’arrêt d’union fut rendu le 13 mai 1648.
  6. À la déposition d’un homme : Mazarin fit cette concession en 1644. Le neveu du curé de Saint-Eustache s’appeloit Merlin ; et les femmes de la halle, qui furent présentées à la Régente, lui dirent que les Merlins avoient été leurs curés de père en fils.
  7. Il l’auroit mis en pièces : Le chancelier Seguier, le lendemain de la révolte qui avoit suivi l’arrestation de Broussel (27 août), fut chargé d’aller ordonner au parlement de se transporter à Montargis. Attaqué par le peuple en fureur, il trouva heureusement un asyle à l’hôtel d’O, qui appartenoit au duc de Luynes. Immédiatement après on fit des barricades dans toutes les rues.
  8. L’évêque de Beauvais : Augustin Potier ; il étoit oncle de Blancménil. À l’époque de la mort de Louis xiii (1643), il jouissoit de toute la faveur d’Anne d’Autriche, et l’on croyoit qu’il seroit premier ministre pendant la régence. Ses liaisons avec les importans, et la foiblesse de son caractère, donnèrent à Mazarin un grand avantage sur lui ; et il fut relégué dans son diocèse.
  9. La cour sortit de Paris : Le 7. septembre. Elle se retira à Ruel, puis à Saint-Germain ; et l’accommodement fut fait le 4 octobre.
  10. Au siége de Lerida : Le prince avoit été obligé de lever ce siége le 17 juin 1647.
  11. De la souveraineté de Sedan : Le duc de Bouillon avoit été dépouillé de cette souveraineté pour avoir pris part à des conspirations contre le cardinal de Richelieu. Elle lui venoit de son père Henri de La Tour-d’Auvergne, vicomte de Turenne, à qui Henri iv avoit fait obtenir la main de Charlotte de La Marck, unique héritière de cette principauté.
  12. Cette grande armée : C’étoient les troupes weymariennes que Turenne se flattoit de pouvoir conduire au secours des frondeurs. Elles demeurèrent fidèles au Roi, et Turenne fut obligé de fuir en Allemagne.
  13. De quatre années de prison : En 1644, le maréchal de La Mothe, qui commandoit en Catalogne, ayant laissé prendre Lerida, fut arrêté et enfermé dans le château de Pierre-Encise à Lyon. Le parlement de Grenoble eut ordre de lui faire son procès ; mais Mazarin ne soutint pas avec fermeté cet acte de rigueur.
  14. Enfin M. de Beaufort : En 1643, le duc de Beaufort s’étoit mis à la tête du parti des importans. Il fut arrêté dans le Louvre le 2 septembre de cette année, et enfermé au château de Vincennes.
  15. Vint donc s’offrir au parlement : Le duc de Beaufort fit cette démarche le 14 janvier 1649. Dans la nuit du 6 au 7 de ce mois, la cour s’étoit échappée de Paris, avoit fixé son séjour à Saint-Germain, et s’étoit arrêtée au projet de bloquer la capitale.
  16. Rethel fut repris : Mazarin avoit gagné le gouverneur de cette place, et la bataille que perdit ensuite Turenne fut livrée le 15 décembre 1650.
  17. Que le maréchal d’Hocquincourt ramena : Mazarin rentra en France au commencement de janvier 1652, et il arriva à Poitiers, où étoit la cour, le 28 du même mois.
  18. Madame : Elle étoit sœur du duc de Lorraine.
  19. Il y en eut un très-grand nombre de tués : Cet événement arriva le 4 juillet 1652.
  20. Avant que d’y rentrer : Le Roi rentra à Paris le 21 octobre 1652.
  21. Il y fut arrêté prisonnier : Le 19 décembre 1652.
  22. Mazarin revint à Paris : Il y fit une entrée solennelle le 9 février 1653.