Texte établi par Claude-Bernard Petitot (48p. 227-229).

SUR MADEMOISELLE DE LONGUEVILLE[1]

Mademoiselle de Longueville[2] ayant eu dès le commencement divers ordres de se retirer, après avoir été à Bagnolet, à Coulommiers et à Trie, obtint enfin la permission de demeurer aux Filles de Sainte-Marie, au faubourg Saint-Jacques, à condition de n’en point sortir, et de ne recevoir de visites que des domestiques de monsieur son père et des siens. Pendant qu’elle étoit en ce lieu-là, Mont.[3] trouva moyen de lui faire tenir des lettres de M. de Longueville, dont le caractère étoit un peu déguisé, de peur qu’il ne fût reconnu si les lettres eussent été prises. Elle s’imagina que c’étoit des lettres supposées, qu’on lui avoit fait rendre par artifice, afin de donner occasion à la cour de la faire chasser de Paris quand on sauroit qu’elle auroit reçu des lettres ; et elle en fit des plaintes à tous ceux qu’elle voyoit, disant hautement qu’elle vouloit en avertir la cour, et y faire voir ces lettres, qui n’étoient point de monsieur son père (quoiqu’elles en fussent très-certainement). Ses femmes la confirmoient aussi dans cette humeur, et lui disoient qu’il falloit faire confronter l’écriture de ces lettres par les experts, contre de véritables lettres de M. de Longueville ; et que cela en feroit reconnoître la fausseté. Elle s’expliquoit de cela de telle sorte, qu’on jugeoit bien à ses paroles qu’elles accusoient madame de Longueville sa belle-mère et madame la princesse la douairière de lui avoir fait jouer cette pièce ; et quoi que les véritables serviteurs de sa maison lui pussent dire pour lui faire connoître le tort qu’elle faisoit à messieurs les princes par cet éclat, en leur empêchant et de faire tenir leurs lettres et d’en recevoir, il ne fut jamais possible de lui faire changer de sentimens. Après les remontrances du parlement sur la requête qu’elle y avoit présentée, elle eut permission d’aller loger à l’hôtel de Soissons, où elle a toujours été depuis.


Quelque temps après que les princes eurent été arrêtés, comme tous ceux de leur parti cherchoient les moyens de tenter leur liberté par toute sorte de voies, il y eut quelqu’un qui proposa d’engager le duc d’Epernon à ne point consentir au mariage du duc de Candale son fils avec une des nièces du cardinal Mazarin, qu’à condition que l’accommodement des princes se feroit ; à quoi l’on croyoit que le duc d’Epernon se porteroit d’autant plus volontiers, qu’il lui importoit extrêmement de n’avoir pas pour ennemi le premier prince du sang, les autres princes, et les plus considérables du royaume après eux. Mais la duchesse de Longueville, à qui on en avoit fait l’ouverture, ne voulut pas y entendre, sur ce qu’elle disoit qu’il étoit impossible de faire aucune liaison avec le duc d’Epernon sans abandonner ceux de Bordeaux, lesquels ayant tout sacrifié pour le parti des princes, ce seroit une lâcheté et une ingratitude horrible que de les abandonner ; et que pour elle, elle n’y consentiroit jamais[4].


Lorsque le duc de Longueville étoit à Munster[5] pour le traité de la paix générale, un peu devant que la duchesse sa femme l’y allât trouver, le cardinal Mazarin dit au prince de Condé qu’il lui vouloit témoigner le respect qu’il avoit pour lui et la parfaite confiance qu’il prenoit en sa générosité, en lui découvrant que la paix ne se feroit point, quoique l’on y vît de si grandes apparences que la plupart croyoient que toutes choses fussent d’accord. Il lui représenta sur cela l’intérêt qu’il avoit à ne la point faire ; et après lui en avoir déduit toutes les raisons, il lui dit que les fortifications des places de la Lorraine, auxquelles il savoit bien que les Espagnols s’arrêteroient, seroient le point sur lequel il donneroit ordre de rompre (et en effet ce fut sur cela que l’on rompit). Il ajouta : « Vous voyez, monsieur, qu’en vous confiant ce secret je vous donne moyen de me perdre un jour, si j’étois si malheureux que de perdre vos bonnes grâces ; mais j’ai été bien aise de vous faire connoître, par une chose qui m’est aussi importante que celle-là, que je n’ai aucune réserve pour vous, et que je veux bien que mon salut ou ma ruine dépende de Votre Altesse[6]. »

  1. Manuscrits de Conrart, tome 10, page 207.
  2. Marie d’Orléans, demoiselle de Longueville, fille du premier lit du duc de Longueville. Elle épousa le duc de Nemours, qu’elle perdit au bout de deux ans, le 14 janvier 1659. On a d’elle des Mémoires sur la Fronde, qui font partie de cette série, tome 34.
  3. Mont. : Ce nom n’est indique au manuscrit que par ces lettres initiales.
  4. Manuscrits de Conrart, tome 10, page 208.
  5. À Munster : En 1644.
  6. Manuscrits de Conrart, tome 10, page 208.