Mémoires de Mesdames de Courcelles et de La Guette, et de Henri de Campion

Mémoires de Mesdames de Courcelles et de La Guette, et de Henri de Campion
Revue des Deux Mondes, 2e périodetome 10 (p. 239-240).

MÉMOIRES DE MESDAMES DE COURCELLES ET DE LA GUETTE, ET DE HENRI DE CAMPION[1]. — Le temps est plus que jamais aux travaux historiques : on poursuit sans relâche cette recherche de la vie intime de nos pères, étude trop négligée, et en faveur de laquelle se produit aujourd’hui une réaction d’autant plus vive qu’elle s’est fait longtemps attendre. C’est sur le XVIIe siècle, sur cette époque qui résume dans ses titres divers l’illustration de la vieille monarchie française, que l’attention se porte surtout depuis quelques années. Des écrivains éminens ont d’abord, et ici même, indiqué le chemin en plantant des jalons : après eux, les travailleurs sont accourus, parcourant le XVIIe siècle dans tous ses sens et laissant néanmoins encore beaucoup à glaner.

Les trois volumes où sont recueillis les Mémoires de Mesdames de Courcelles, de La Guette, et de Henri de Campion, commencent une vaste collection de nouveaux mémoires sur l’histoire de France dont on doit vivement désirer la continuation. Ils nous font connaître trois types également originaux, quoique des titres bien divers. Marie-Sidonie de Lénoncourt, fille du marquis de Marolles et d’Isabelle de Cronemberg, digne mère dont les galanteries innombrables devaient singulièrement édifier la fille, naquit en 1650, et reçut une éducation distinguée et religieuse par les soins de sa tante, abbesse de Saint-Loup d’Orléans ; mais sa beauté devait l’exposer à de terribles dangers : elle la connaissait, car elle nous a tracé elle-même un exact portrait de son ravissant visage, et elle apprit trop vite quelle puissance il lui prêtait. On ne se figure pas le nombre des adorateurs qui entourèrent Sidonie à son entrée dans le monde ; elle eut à repousser les avances de Colbert, mais ne voulut pas, ou ne put pas traiter Louvois de même, et se décida à épouser le marquis de Courcelles, neveu de Villeroy, officier brutal et ruiné, pour cacher cette galanterie. Sidonie ne devait pas longtemps s’en tenir là : pendant un voyage de Louvois, elle accueillit un cousin de Villeroy, qu’elle enleva à la princesse de Monaco. Au retour du ministre, cette affaire se découvrit et se termina par un déplorable éclat. Bientôt après, M. de Courcelles essaya, au moyen de drogues terribles, de défigurer sa femme. Elle pensa mourir et se retira, quand elle fut guérie, au couvent des Filles-Sainte-Marie, où la duchesse de Mazarin lui fit promptement oublier les bonnes résolutions qu’elle avait pu former. À dater de ce moment, Mme de Courcelles tomba dans la plus misérable situation : elle donna lieu aux plaintes trop légitimes de son mari, fut arrêtée, et à dater de ce moment commence un procès honteusement scandaleux. Après un assez long emprisonnement et une condamnation, Sidonie parvint à prendre la clé des champs et, s’attachant à M. de Boulay, continua à Genève sa coupable existence. Elle ne demeura pas longtemps avec lui et rentra à Paris dès que la mort de son mari le lui permit ; enfin après quelques autres accidens on perd sa trace, ou plutôt on ne veut plus la suivre, et elle meurt en 1685, mariée pour de bon à un soldat de fortune.

Mme de La Guette a les mêmes allures prestes et cavalières que la marquise de Courcelles, le même enjouement, un esprit également vif et prompt, mais là s’arrêtent ces ressemblances, heureusement pour M. de La Guette. Née pour être capitaine d’aventure, intrépide à la chasse comme devant l’ennemi, libre dans sa parole, elle ne cessa de suivre la grande route du devoir sans laisser la moindre parcelle de sa vertu aux buissons du chemin, chose assez rare à cette époque pour être notée, car le temps de la fronde ne fut pas précisément un temps modèle pour le bonheur et l’union des ménages. Elle s’est peinte d’ailleurs dans le quatrain qu’elle fut obligée un soir d’improviser chez la marquise d’Hocquincourt :

Si je suivois ma fantaisie,
Je m’en irois dans les combats
Avec un fort grand coutelas
Faire une étrange boucherie.

Mme de Courcelles et de La Guette représentent deux côtés bien distincts de la société féminine du XVIIe siècle ; c’est à ce point de vue que nous les signalons ici. Toutes deux ont en outre une réelle valeur littéraire, et si le style de Mme de Courcelles paraît plus soigné, plus gracieux, plus précieux surtout, celui de Mme de La Guette, qui semble avoir en grippe l’école de l’hôtel de Rambouillet, n’est pas moins remarquable par sa netteté, sa précision et son accent singulièrement mâle pour une femme.

Henri de Campion n’est pas inconnu des lecteurs de la Revue. Tous assurément se rappellent encore cet ardent ami de la duchesse de Chevreuse, qui plaça son frère Henri au service du duc de Vendôme et du duc de Beaufort, et le mit ainsi à même de recueillir des notes vraiment précieuses sur l’époque la plus embrouillée certainement de notre histoire. Tandis qu’Alexandre de Campion demeurait à Paris, Henri fuyait avec le roi des halles en Angleterre après la conspiration de Cinq-Mars, puis en revenait avec lui. M. Cousin a tracé de lui un portrait qui donne une haute valeur à ces mémoires : « C’était, dit-il, un homme instruit, plein d’honneur et de bravoure, sans jactance aucune, éloigné de toute intrigue et né pour faire son chemin par les routes les plus droites dans la carrière des armes. » Il ne ressemblait nullement à son frère. Henri de Campion nous a laissé un tableau véridique et simple de ces années si diversement agitées, et où l’histoire semble pendant quelque temps se plier à la forme du roman ; il dévoile de scandaleuses turpitudes avec une franchise inébranlable. Or, comme dit encore M. Cousin, il faut le croire absolument, ou, si l’on doute de ses allégations, le tenir pour le dernier des misérables. Henri de Campion d’ailleurs ne devait pas avoir envie de composer de faux mémoires, car il les écrivit à un moment où c’était plutôt pour lui un moyen d’oublier le présent qu’un passe-temps agréable : il venait de perdre sa femme et sa fille. Il les rédigea après la mort de Mazarin et lui survécut lui-même à peine deux ans.

On voit quel intérêt s’attache à ces trois volumes destinés à inaugurer une collection de nouveaux documens sur l’histoire de France. Ajoutons que MM. Pougin et Moreau ont fait précéder ces trois nouvelles éditions de courtes notices qu’on lit avec un vrai plaisir.


Ed. de Barthelemy.

  1. 3 vol. de la bibliothèque Elzevirienne de P. Jannet.