XXIV

DUMONT-BARBEROUSSE. — UNE POCHADE À LA PORTE-SAINT-MARTIN, PERSONNAGES : BARBEROUSSE, SCHALDER, LE COLONEL.


Ma liaison avec Dumont-Barberousse n’eut rien de bien extraordinaire au début. J’eus à me louer plus tard, et en maintes circonstances, de sa générosité.

Je lui ai bien des fois rappelé la singulière anecdote de la Porte-Saint-Martin, et nous en avons fait souvent des gorges chaudes. Voici l’aventure.

Il se trouvait un soir au théâtre, dans une loge, avec Hermance Schalder. J’assistais aussi à la représentation, dans une simple stalle de première galerie. Près de moi, un vieux monsieur décoré, grosses moustaches, triple menton. Il avait dormi tout le temps, et s’était même donné le luxe de ronfler. C’était durant l’entr’acte. Une cause quelconque le réveille. Je l’entends grommeler.

— Sac… bon sens ! — et ses yeux se fixent sur la loge où se tenait Dumont. Puis, il se tourne de mon côté et me dit :

— Connaissez-vous cette particulière ?

Je garde, autant que je le puis, mon sérieux, et lui réponds que c’est Schalder.

— Schalder ? La femme du député ? Belle paroissienne ! puissantes machines ! garçon intelligent ! très intelligent !

Je cherche à lui faire comprendre que Schalder est une artiste, et qu’elle n’a de commun que le nom avec le grand industriel, dont il me parle.

— Ah ! fait-il, en roulant terriblement les yeux. Et le particulier ?…

— C’est le comte Dumont-Barberousse.

— Eh bien ! merci ! reprend mon grognard, pas gêné, le Barberousse, pas gêné ! Il l’embrasse comme du pain.

— Pas possible !

Le vieux dodeline de la tête et se rendort pour quelques minutes.

Un instant après, grands éclats de rire dans la salle.

Second réveil du vieux. Cette fois j’avais vu, moi aussi, et je riais comme tout le monde.

— Parie qu’il est venu à la rescousse !

Et cela dit si fort que tout le monde se tourne de notre côté.

Nullement intimidé devant les lorgnettes braquées sur lui, le bonhomme se met à crier, comme s’il commandait la charge :

— Bravo ! les enfants ! — Ne vous gênez pas !

J’ai su depuis que l’auteur de cette apostrophe était un vieux colonel en retraite.

Il a trouvé là son jour de gloire… et Dumont-Barberousse celui d’une fière retraite.

— À la porte, Barberousse ! À la porte Schalder ! Qu’il aille la becqueter dehors ! — Qu’il prenne un fiacre ! À la porte ! à la porte !

Dumont tint bon quelque temps, mais il fallut céder. Il sortit en saluant dans la salle, et au milieu d’un tintamarre devenu légendaire à la Porte-Saint-Martin !