Jules Lévy (p. 1-4).



I

POURQUOI J’AI FAIT CE LIVRE


Il y a des femmes qui envient notre sort ; hôtel, diamants, voitures !… Quels rêves dorés ! Je ne veux pas me poser en moraliste : je serais mal dans ce rôle.

Si je publie ces Mémoires, c’est que je pense qu’ils seront intéressants, parce qu’ils mettent en scène la société du second Empire. Je ne crois pas beaucoup aux cris de la morale outragée et j’estime que je puis bien dire les choses que d’autres ont eu du plaisir à faire. Il va sans dire que je ne mets pas les véritables noms. Ceux qui lèveront le masque, et devineront dessous, tant mieux pour eux ! Ce n’est pas moi qui leur dirai s’ils ont vu juste ou non. Ce que j’affirme, c’est que je dis la vérité, n’ayant aucune raison de m’en cacher ; et la preuve, c’est que je débute par une chose que bien peu de femmes consentiraient à faire, par mon acte de naissance.

J’ai eu la vie heureuse. J’ai gaspillé énormément d’argent, je suis loin de me poser en victime ; j’aurais mauvaise grâce. J’aurais pu faire des économies : mais la chose n’est pas facile dans le tourbillon où j’ai dû vivre. Entre ce qu’on doit faire et ce qu’on fait il y a toujours une différence. Ce n’est pas pour moi toute seule que je dis cela. Je ne me plains pas : je n’ai que ce que je mérite. Il n’en est pas moins vrai que j’attends la publication de ce volume pour avoir quelques billets de banque et essayer de vivre. Encore une fois, si j’éveille une curiosité que certains prud’hommes pourront qualifier de malsaine, bien à tort, ce n’est nullement dans l’intention de me mettre en vue, car je n’en ai guère envie. Je suis bien obligée de me citer, puisque je ne parle que d’événements auxquels je me suis trouvée mêlée. — Je n’y étais pas forcée, dira-t-on peut-être ! — Alors, tant pis pour moi ! Sans cette situation immorale, je n’aurais pas, néanmoins, connu les gens et les choses, dont je ne crois pas inutile de parler à ceux qui voudront bien me lire. Dans le courant du volume, on trouvera des lettres entières, ou des extraits de correspondance. Qu’on ne s’effarouche pas ! Je les donne sans remords comme sans crainte, sûre que, s’il y a peut-être indiscrétion, il n’y a certainement pas indélicatesse et que ces correspondances ne sont rendues publiques qu’à titre de simple curiosité.