Mémoires d’une ex-palladiste parfaite, initiée, indépendante/21/Lettre édifiante du sire Margiotta

Lettre édifiante du sire Margiotta.

M. Léo Taxil vient de retrouver une lettre de M. Margiotta, lettre qui vaut son pesant de diamant !…

On n’a pas oublié les grandes révélations du chevalier calabrais, voulant renchérir sur les mystifiantes déclarations du Dr  Bataille ; on sait avec quel empressement l’Univers, à la suite de la Comédie Politique et de la France Libre de Lyon, accueillit ces soi-disants aveux de. M. Margiotta. Cet homme s’affirmait en proie au remords : il confessait avoir trompé les catholiques pour obéir au tyran Taxil ; il savait bien, disait-il, que Miss Diana Vaughan était un mythe ; dans une entrevue mémorable, qui avait eu lieu en août 1894, il avait découvert que c’était Mme  Taxil elle-même qui était Diana Vaughan. Il avait alors menti à contre-cœur ; un traité barbare le liait à M. Léo Taxil et l’obligeait à attester mensongèrement au public qu’il m’avait connue en 1889 à Naples !

Eh bien, la lettre que M. Taxil vient de me communiquer ne peut vraiment pas être passée sous silence. C’est à M. Léo Taxil lui-même que M. Margiotta écrivait, de Grenoble, le 13 mai 1895 ; vous entendez bien, à M. Taxil, et non à quelque personne que notre italien aurait eu mission de tromper !


« Mon cher ami, écrivait-il, j’attends impatiemment le deuxième numéro du Palladium Régénéré de Diana. En ce Moment, Mgr est en visite pastorale dans le diocèse ; je veux le lui montrer à son retour, pour avoir son avis. Je lui avais fait lire le premier numéro de la revue palladiste, et il en a été furieux : il m’a dit que c’est nous, écrivains antimaçons, qui avons le grand tort d’avoir ménagé cette orgueilleuse et d’avoir répandu cette légende de pureté (le mot légende est souligné deux fois dans l’original) dont elle se fait forte, et Mgr a bien raison, parce que cette auréole dont nous avons couvert le front de la Miss la fait passer altière au milieu des foules ignorantes. D’autres personnes très respectables (les RR. P. Ch.) aussi bien que Mgr m’ont dit la même chose, et tous les ecclésiastiques que je vois ici disent qu’aussitôt qu’elle sortait sur le champ de bataille avec sa revue, il fallait taper dur et la démasquer comme la Sophie.

« Croyez-moi, c’est ce qu’il faut faire. La revue de Diana fera un mal inouï, et c’est notre faute ; c’est nous qui avons propagé le luciférianisme, nous presse catholique du monde entier. Il fallait ne pas souffler mot. Et l’ami De la Rive ne sait pas le mal qu’il fait avec ses articles qui font toujours l’éloge de la pureté, de la chasteté, de la virginité de la Miss !… Il faudrait donc, ou ne plus en parler, ou tracer hardiment une nouvelle ligne de conduite et dire pain au pain et vin au vin. Voilà la pensée de Mgr[1].

« J’ai lu votre dernière lettre à M. l’abbé Fava et à M. l’abbé chanoine Méresse, neveux tous des deux de Mgr, et je crois avoir bien fait. Ce que Diana a publié contre vous et contre moi ne peut et ne pourra jamais nous nuire dans l’esprit de Mgr, qui la tient pour une orgueilleuse et folle, possédée. Ne vous attristez donc pas qu’elle vous ait appelé Coriolan et qu’elle ait dit que vous vous êtes converti sans sincérité. La même opinion ont MM. l’abbé Fava et Méresse, dans l’estime desquels vous êtes toujours plus grand.

« Mais ce que nous ici ne comprenons pas, c’est que Diana ne tape pas sur le docteur ni sur Jean Kostka ! et nous sommes tous d’avis qu’il y a quelque chose sous l’assiette.

« Je sais que les journaux catholiques d’Italie ont reçu ce fameux 2e numéro ; moi seulement je ne l’ai pas reçu, elle ne me l’a pas envoyé ! — Mais savez-vous ce que signifie le nom Mattassata qu’elle m’a donné ? C’est un mot italien arrangé pour le besoin de la cause : matta signifie fou, et la terminaison ata signifie action, donc action de fou. C’est de même les mots ragazatta, action de ragazzi (d’enfants) et tous les mots qui finissent par ata. Du moment qu’elle me traite en fou (c’est la reconnaissance pour tout le bien exagéré que j’ai dit d’elle !), elle n’avait pas le droit de se froisser que vous doutiez de sa raison. Croyez-moi, il faut vous unir moi pour lui faire payer cher sa méchanceté.

« J’ai obtenu un billet d’aller et retour pour Paris ; j’irai vers le 15 du mois prochain, et nous prendrons des accords contre la Diana. Il faut à tout prix défaire le mal que nous avons fait.

« Je vous annonce que j’ai sous presse mon volume, qui s’appellera le Palladisme. Il m’a fallu le faire publier ici, pour des raisons toutes particulières. C’est un travail qui m’a coûté du temps, parce que personne ne m’a aidé. J’ai fait comme j’ai pu ; mais il ne sera pas mal. J’ai reproduit presque entièrement le 1er  numéro du Palladium, et je tape dur ! Vous verrez !

« Le Saint-Père m’a envoyé pour le Palladisme sa Bénédiction Apostolique, dont vous lirez le texte.

« L’ouvrage s’ouvre avec un magnifique dessin représentant Lemmi, Carducci et Ferrari couronnant un tas d’ordures, sur lesquelles il y a les mots : Satanisme, Luciférianisme, Vaughanisme, Walderisme, Lemmisme, Pikisme, etc… C’est original. Il y a aussi un superbe dessin représentant Pessina habillé en nécromant et le diable Beffabuc sortant de la bouteille placée sur une table ; c’est un dessin qui fera de l’effet. Il y a aussi le portrait de Mgr, etc.

« Diana n’en sera pas contente, je vous en assure !

« J’attends pour demain le 2e n° annoncé ; dont je vous rembourserai. Dans la Revue Mensuelle, tachez de prendre ma défense, à propos des attaques de la Miss, quoique je m’en fiche, et vous devez faire la même chose.

« Quand je viendrai à Paris, je vous dirai ce que nous avons à faire. Jusque-là, silence le plus absolu.

« Je vous serre affectueusement la main. Votre ami : D. Margiotta. »


Il est difficile, même à quelqu’un ayant l’effronterie de l’abbé Garnier, de dire que cette lettre est celle d’un homme recevant les ordres de M. Léo Taxil.

Quelle explosion de colère ! Mon crime : j’avais désigné M. Margiotta sous le sobriquet de Matassata, et, dans l’erreur où j’étais encore, j’avais exprimé mon regret que, pour combattre Lemmi, il eût cru nécessaire de passer dans le camp catholique.

En réalité, M. Margiotta me gardait toujours rancune de mon refus de la forte somme, quémandée sous le fallacieux prétexte de reconstruire son hôtel censément écroulé lors des tremblements de terre en Calabre ; mais il ne pouvait avouer ce motif de haine à M. Taxil, qui ignorait la demande et le refus.

Il eût été fâcheux qu’une telle lettre ne fût pas retrouvée. Je sais bien qu’elle n’empêchera pas les Veuillot, Roussel et autres gens de mauvaise foi de continuer à tenir en grande valeur les prétendus aveux de M. Margiotta. Ils ne reproduiront pas cette lettre, de même qu’ils n’ont rien reproduit de ce qui venait détruire leurs assertions, à l’appui desquelles ils n’apportèrent jamais une seule preuve.

Mais je le demande à tout homme de bonne foi qui me lira, catholique ou égaré dans une erreur religieuse quelconque : si M. Margiotta, comme il l’a déclaré récemment, m’avait tenue pour mythe et avait considéré que Miss Diana Vaughan n’était autre que Mme  Taxil, aurait-il écrit à M. Léo Taxil leur était nécessaire, à eux deux, de s’unir contre moi ?

Si l’on veut persister à me nier et, par conséquent, à représenter les Cardinaux et le Pape lui-même comme ayant été les jouets d’une gigantesque mystification, il faut logiquement renoncer à voir des complices de M. Taxil dans ceux qui aujourd’hui se prétendent tels. Il faut dire : « Nous sommes en présence d’hommes qui, par amour-propre, refuseront toujours de confesser qu’ils ont été les premiers mystifiés et ont servi d’instruments à un seul et unique mystificateur mystérieux, organisant tout et réglant tout au fond de son cabinet, et, dilettante de la fumisterie, s’amusant de la fantastique comédie qu’il imaginait, compliquait et dirigeait à son gré, mystifiant catholiques et francs-maçons, mystifiant Margiotta, Bataille, et peut-être même Léo Taxil ! »

Eh bien, un homme qui aurait accompli cela ne serait pas un homme, dirai-je en conclusion ; ce serait le diable incarné.

D. V.
  1. Est-il besoin de dire que M. Margiotta prêtait à Mgr Fava ses propres sentiments, dans l’espoir de faire entrer M. Taxil dans son jeu ?