Mémoires d’une ex-palladiste parfaite, initiée, indépendante/20/À quoi sert d’être polie

À QUOI SERT D’ÊTRE POLIE. — On a vu, dans mon fascicule n° 17, avec quelle respectueuse réserve j’ai traité la question du démenti de Mgr l’Archevêque d’Édimbourg. Par politesse, et suivant l’exemple de M. Leslie, j’ai excusé les dénégations de Mgr Ange Macdonald, en ayant l’air de les attribuer à un manque de mémoire. Cela m’a bien réussi !… On en va juger.

Il semble qu’à Rome, au sein du Conseil directif de l’Union Antimaçonnique, on aurait dû me savoir gré de ce que, tout en maintenant fermement les droits de la vérité, je gardais une attitude pleine de déférence envers un prélat que la crainte d’une mystification avait fait descendre à une action indigne de son caractère. En effet, à l’Union Antimaçonnique de Rome, on sait qui est M. Charles-Stephen Leslie ; il est un des principaux fondateurs de l’Union Antimaçonnique d’Écosse ; on ne peut pas ignorer qu’il est un solide et vaillant catholique, de la plus haute honorabilité, un homme dont la foi n’a jamais failli, un de ces chrétiens fidèles toujours prêts à tous les dévouements. L’Archevêque niait m’avoir envoyé sa bénédiction, — que je n’avais pas sollicitée, je le rappelle, — et niait aussi l’enquête effectuée sur mes indications par M. William Considine, son conseiller légal. Mgr Macdonald, dans sa précipitation à nier, oublia ceci, très important : c’est que M. Considine avait donné un reçu de ses honoraires pour cette enquête. Or, M. Leslie, dans sa lettre du 22 décembre 1896, a déclaré que ce reçu était entre ses mains. Par conséquent, en présence d’une preuve matérielle aussi indéniable, le devoir du Conseil de l’Union Antimaçonnique de Rome était, tout au moins, de prier confidentiellement la presse hostile à ma cause de ne plus revenir sur cet incident. — Je dis : « tout au moins. » Le complet devoir des uns et des autres, y compris Mgr Ange Macdonald, était de reconnaître la vérité.

Eh bien, la vérité, voici comment on la traite chez les gens qui se sont déclarés mes adversaires :

Un rédacteur de la Vérité (! !), de Paris, M. Nemours-Godré, vient d’imprimer ceci dans une brochure : « Diana Vaughan n’invente pas seulement des apparitions de diable ; elle invente aussi des bénédictions d’archevêque. Elle raconte dans ses Mémoires que, ayant un jour révélé à l’Archevêque d’Édimbourg un nid de lucifériens dans sa ville épiscopale, elle reçut les remerciements et la bénédiction du prélat. Mais un journal de Paris, l’Univers, ayant écrit à l’Archevêque d’Édimbourg pour lui demander ce qu’il y avait de vrai dans cette histoire, ce prélat répondit qu’il n’avait jamais entendu parler de la chose. Si l’histoire du diable Bitru est pour moi un trait d’impudence, celle de la bénédiction venue d’Édimbourg est un mensonge. » Et en note : « Elle l’explique aujourd’hui en disant que Mgr d’Édimbourg manque de mémoire ! » Rien de plus. Quelle audace, après ma relation documentée de tous les faits de l’incident ! (Voir pages 535 à 541; fascicule n° 17.)

Dans l’Univers du 5 mars, M. Eugène Veuillot ose citer le fameux démenti au nombre des preuves qui, selon lui, auraient dû déterminer M. le chanoine Mustel à abandonner ma cause. Pourquoi l’Univers refuse-t-il de discuter les arguments de la Revue Catholique de Coutances ? « Pourquoi ? Parce que toute réponse serait inutile, sa foi dans le Taxil et la Diana n’ayant pu être ébranlée… par le démenti de l’Archevêque d’Édimbourg ! »

Un autre adversaire va plus loin encore. C’est le R. P. Portalié, qui écrit dans sa récente brochure : « On connaît le démenti retentissant adressé à l’Univers par l’Archevêque d’Édimbourg, dont Diana se vantait d’avoir reçu la bénédiction. Diana essaie de railler le vénérable Archevêque, et s’imagine que mettra en balance sa parole et celle du prélat. »

C’est donc la guerre que vous voulez ?… Soit, je l’accepte.

Oui, il a été retentissant, le démenti. Or donc, il faut que la preuve du mensonge soit retentissante.

Alors, chez les catholiques, si un Évêque nie un fait vrai, un fait dont il existe une preuve matérielle, on doit se taire, courber le front et passer soi-même pour menteur ?…

Que d’autres s’aplatissent ; c’est leur affaire… Moi, non… Père Portalié, vous auriez dû mieux prendre vos informations en ce qui me concerne.

D’abord, sur le fait de la bénédiction, ce n’est pas ma parole qui est en cause ; c’est celle de M. Leslie, que Mgr Ange Macdonald lui-même a déclaré être « un Écossais très honorable ». Et M. Leslie a écrit le 13 décembre 1895 : « M. Leslie a rencontré S. G. l’Archevêque mardi, Mgr Ange Macdonald se trouvant par une heureuse chance à Aberdeen. On a décidé de remettre l’enquête entre les mains de M. Considine, qui y apportera tout le soin et les précautions possibles. Je n’ai pas besoin de vous dire combien l’Archevêque s’y intéresse. Sa Grandeur vous envoie sa bénédiction. » Mention fut faite de cette bénédiction dans mon fascicule n° 6, à la première page, fascicule que Mgr Macdonald reçut et qui est un des deux qu’il a déclaré avoir lus. « Je les parcourus (les deux numéros du journal de Miss Diana Vaughan) et je les retournai à l’Écossais ci-dessus désigné (M. Leslie), en y joignant la remarque que je les avais lus avec intérêt. » (Lettre de l’Archevêque à l’Univers, du 2 novembre 1896.)

S’il fallait croire Mgr d’Édimbourg dans son dire d’aujourd’hui, alors M. Leslie aurait inventé ce qu’il m’écrivait le 13 décembre 1895 ? et Mgr Macdonald aurait lu avec intérêt mon n° 6 sans remarquer que je relatais sa bénédiction à la première page ? ou encore il aurait laissé passer cette mention contraire à la vérité sans la démentir aussitôt ?… Allons donc !…

Mais, entre la parole de M. Leslie et celle de Mgr Ange Macdonald, je n’hésite pas, moi, dussè-je par cette déclaration perdre l’appui des catholiques qui ont pris mon parti.

Il est inadmissible que M. Leslie se soit prétendu faussement chargé de me transmettre la bénédiction de l’Archevêque d’Édimbourg. Et vous le comprenez, père Portalié, aussi bien que moi ; et c’est pour cela que, dans votre brochure, vous ne soufflez mot du témoignage de M. Leslie et que vous passez complètement sous silence le démenti relatif à l’enquête de M. Considine.

Sur ce second point, impossible de nier !… Or, Mgr Ange Macdonald, oubliant que l’enquête de son conseiller légal a été rémunérée et ignorant peut-être que celui-ci a donné reçu de ses honoraires, n’a pas craint d’écrire : « Aucune enquête de ce genre n’a été conduite par M. Considine ou quelque autre »… Eh quoi ! parce que M. Leslie est un laïque, il faudrait laisser planer sur lui un soupçon de double mensonge, quand il est matériellement certain que, sur l’un des deux faits mis en cause, c’est l’Archevêque qui a écrit et signé le contraire de la vérité !

Ce numéro-ci, je l’envoie à Édimbourg : à Mgr Ange Macdonald, à M. Considine, à M. Leslie. Je demande à M. Leslie de tenir à ma disposition le reçu qui établit de quel côté on dit vrai. Ce reçu, il est nécessaire qu’il soit reproduit par la photographie en cliché de projection. Et c’est pourquoi j’irai à Édimbourg ; c’est pourquoi, devant le public, ce reçu sera montré, visible aux yeux de tous, et M. Considine étant convoqué à ma conférence. Car, à Édimbourg, il est de mon devoir de confondre le F▽ Robert Brown et sa bande de Rose-Croix lucifériens ; mais il est de mon devoir, aussi, de prouver publiquement que, quant à cette bénédiction et à cette enquête de décembre 1895, ce n’est pas moi qui ai menti.

Messieurs les négateurs à outrance, n’accusez que vous du ridicule que vous aurez provoqué. Et n’espérez pas l’éviter. Je vous l’ai dit : mes précautions sont prises.

Peut-être ferez-vous agir sur M. Leslie : peut-être, par intimidation, essaiera-t-on de l’empêcher de me remettre le document probant qu’il a cité dans sa lettre du 22 décembre dernier. Peu m’importe. Je possède d’autres documents. J’ai les lettres par lesquelles M. Considine rend compte de son enquête. Comment et depuis quand je les possède ? Je n’ai pas à le dire, pas plus que je ne nommai il y a trois ans l’employé du ministère de l’intérieur italien par qui j’eus le dossier de Lemmi. Ce que je vous affirme, messieurs les négateurs, c’est que j’ai ces lettres et qu’elles figureront en projections, à Paris d’abord, à Édimbourg ensuite, à côté de la page de l’Univers contenant le démenti de Mgr Ange Macdonald.

Un de mes amis, connaissant en partie mon plan de campagne, m’a écrit :

« J’ai trop d’affection pour vous, bien chère Mademoiselle, j’ai trop à cœur votre triomphe définitif, pour ne pas vous ouvrir toute ma pensée.

« N’oubliez pas que vous êtes une convertie et que par conséquent vous devez agir est convertie et de manière à ce que rien dans vos actes, vos paroles, ne puisse se retourner contre vous et contre ceux qui vous aiment et vous soutiennent et soutiendront sans broncher.

« Si coupables qu’aient été envers vous de hauts dignitaires de l’Église, ménagez, je vous en supplie, l’impression des catholiques qui vous sont favorables et celle des catholiques égarés qui vous reviendront certainement. Or, ce n’est pas votre adresse qui me met en souci, mais c’est la crainte de vous voir flageller publiquement ces hauts personnages. Or, pour la catholicité d’Europe, ces personnes sont des prélats, et vous n’êtes que Miss Diana Vaughan. Pardonnez-moi, n’est-ce pas, bien chère Mademoiselle ! Si vous cassez les vitres, vous vous ferez le plus grand tort ; on dira que vous obéissez à l’orgueil et que votre conversion sincère est douteuse, puisque vous ne montrez pas l’humilité qui doit en être la conséquence rationnelle.

« Accablez les laïques… si vous voulez ; mais ne saisissez pas le public de vos différends avec des Évêques, je vous le demande à genoux, s’il le faut… Pour l’Archevêque d’Édimbourg, le public qui vous aime sait à quoi s’en tenir. »

Voici quelle a été ma réponse :

« Cher Monsieur, nous ne nous entendons pas et ne pouvons nous entendre.

« Ou, me transmettant l’avis d’un de vos supérieurs qui s’effraie de l’éclat de la vérité, vous parlez contre votre pensée ; ou vous déraisonnez complètement.

« Causons net, et finissons-en.

« Je ne comprends la vérité qu’ainsi : elle est le contraire du mensonge. La vérité est divine, et Satan est le père du mensonge. Toute vérité doit être dite, quand la dire est œuvre de justice.

« L’Archevêque d’Édimbourg, niant une bénédiction qu’il a réellement donnée et niant une enquête qui a été réellement faite avec son approbation, est contre la vérité. Son titre, sa qualité, sa haute situation ne sauraient transformer son acte en bien. Montrer la vérité avec preuves, c’est là œuvre de justice ; car le mensonge a été répandu partout par la malice, ce qui fut souverainement injuste.

« Il ne s’agit pas de savoir ce que tels et tels, fussent-ils deux cent millions d’hommes, diront en voyant passer l’implacable justice, en voyant surgir la vérité qui est la vérité. Il ne s’agit pas de savoir si le mensonge est représenté par un Himalaya et si la vérité n’est proclamée que par un grain de sable. Là n’est pas la question.

« On dira ce qu’on voudra ; je ne me préoccupe pas des dires. Si je me cause grand tort, selon votre expression, ce sera auprès d’hommes, non devant le Dieu de justice et de vérité.

« Le mensonge a été reproduit par d’innombrables journaux, il a trouvé crédit auprès de milliers et de milliers d’hommes ; c’est justice que la vérité, à son tour, soit connue de milliers et de milliers d’hommes.

« Que si proclamer la vérité sur ce point et d’autres semblables fait dire que ce n’est point agir en convertie, tant pis pour ceux qui diront cela ! Dans ma conversion, aussi, il y a un fait, et je prévois que je serai amenée à publier la vérité sur le fait ; mais l’appréciation des hommes sur ce fait importe peu, le jugement de Dieu est tout.

« Il n’y a pas orgueil de ma part, mais soumission à Dieu, sans la permission de qui rien n’arrive.

« Si je me suis convertie, ce ne fut point pour obtenir l’ovation des hommes ; je fus et suis heureuse de ma conversion pour moi-même qui, des ténèbres, vins à la lumière par la grâce de Dieu. Cette joie, le monde est impuissant à me l’ôter.

« Je n’ai rien demandé aux hommes, ni faveur spirituelle ni avantage matériel, ni honneurs ni bénédictions. Quand j’ai tendu la main pour solliciter le concours pécuniaire de mes frères, ce fut pour l’œuvre du Congrès antimaçonnique, non pour moi ; vous le savez. Vous savez aussi que mes publications ne furent pas œuvre de mercantilisme ; les chiffres sont là. Personne ne pouvant soutenir sérieusement que je suis venue à l’Église dans un intérêt quelconque, matériel ou honorifique, qui donc, sauf le Pape, représentant de Dieu, pourrait me donner un ordre au nom d’un droit sur moi ?

« Qui donc oserait se substituer en ceci au Pape et me défendre, au nom du Dieu de vérité, de faire connaître la vérité, après les audaces du mensonge ?

« Il n’y a pas deux espèces de vérité. Je me suis convertie à Dieu pour le triomphe de la vérité. Faire connaître la vérité, sans faiblesse, sans crainte, c’est là agir en convertie.

« Vous oubliez mon point de départ, qui est aussi et reste mon but suprême : Au seul vrai Dieu, par et pour la vérité, contre tous les mensonges. — Permettez-moi donc de vous rappeler cette loi de ma vie nouvelle.

« Dieu n’a pas dit : Laisse triompher le mensonge, et tu feras ainsi acte d’humilité.

« Pourquoi donc m’écrire qu’en combattant pour la vérité, même si elle gêne des gens haut placés, « je ne montrerai pas l’humilité, qui doit être la conséquence rationnelle d’une conversion ? »

« Mais c’est de la folie, cela, cher Monsieur !

« Il n’y a pas orgueil dans la campagne que je vais entreprendre ; il y a devoir. Laisser triompher le mensonge ne serait pas humilité ce serait désertion.

« Brisons là… On a nié avec persistance mon existence même et les circonstances matérielles de ma conversion ; pour établir ces faits aux yeux du monde entier, non par gloriole, mais dans l’intérêt de la vérité, tous les moyens me seront bons, dès l’instant qu’ils seront conformes au droit et à la justice, dussé-je même renoncer à ce que je considérais comme ma vocation !

« Si sur ce terrain-là vous renoncez à me suivre, agréez tous mes regrets. »

D. V.