Mémoires d’outre-tombe/Deuxième partie/Livre III

Garnier (Tome 2p. 409-463).

LIVRE III[1]


Mort du duc d’Enghien. — Année de ma vie 1804. — Le général Hulin. — Le duc de Rovigo. — M. de Talleyrand. — Part de chacun. — Bonaparte, son sophisme et ses remords. — Ce qu’il faut conclure de tout ce récit. — Inimitiés enfantées par la mort du duc d’Enghien. — Un article du Mercure. — Changement dans la vie de Bonaparte. — Abandon de Chantilly.

Comme aux oiseaux voyageurs, il me prend au mois d’octobre une inquiétude qui m’obligerait à changer de climat, si j’avais encore la puissance des ailes et la légèreté des heures : les nuages qui volent à travers le ciel me donnent envie de fuir. Afin de tromper cet instinct, je suis accouru à Chantilly. J’ai erré sur la pelouse, où de vieux gardes se traînent à l’orée des bois. Quelques corneilles, volant devant moi, par-dessus des genêts, des taillis, des clairières, m’ont conduit aux étangs de Commelle. La mort a soufflé sur les amis qui m’accompagnèrent jadis au château de la reine Blanche : les sites de ces solitudes n’ont été qu’un horizon triste, entr’ouvert un moment du côté de mon passé. Aux jours de René, j’aurais trouvé des mystères de la vie dans le ruisseau de la Thève : il dérobe sa course parmi des prêles et des mousses ; des roseaux le voilent ; il meurt dans ces étangs qu’alimente sa jeunesse, sans cesse expirante, sans cesse renouvelée : ces ondes me charmaient quand je portais en moi le désert avec les fantômes qui me souriaient, malgré leur mélancolie, et que je parais de fleurs.

Revenant le long des haies à peine tracées, la pluie m’a surpris ; je me suis réfugié sous un hêtre : ses dernières feuilles tombaient comme mes années ; sa cime se dépouillait comme ma tête ; il était marqué au tronc d’un cercle rouge, pour être abattu comme moi. Rentré à mon auberge, avec une moisson de plantes d’automne et dans des dispositions peu propres à la joie, je vous raconterai la mort de M. le duc d’Enghien, à la vue des ruines de Chantilly.

Cette mort, dans le premier moment, glaça d’effroi tous les cœurs ; on appréhenda le revenir du règne de Robespierre. Paris crut revoir un de ces jours qu’on ne voit qu’une fois, le jour de l’exécution de Louis XVI. Les serviteurs, les amis, les parents de Bonaparte étaient consternés. À l’étranger, si le langage diplomatique étouffa subitement la sensation populaire, elle n’en remua pas moins les entrailles de la foule. Dans la famille exilée des Bourbons, le coup pénétra d’outre en outre : Louis XVIII renvoya au roi d’Espagne l’ordre de la Toison-d’Or, dont Bonaparte venait d’être décoré ; le renvoi était accompagné de cette lettre, qui fait honneur à l’âme royale :

« Monsieur et cher cousin, il ne peut y avoir rien de commun entre moi et le grand criminel que l’audace et la fortune ont placé sur un trône qu’il a eu la barbarie de souiller du sang pur d’un Bourbon, le duc d’Enghien. La religion peut m’engager à pardonner à un assassin ; mais le tyran de mon peuple doit toujours être mon ennemi. La Providence, par des motifs inexplicables, peut me condamner à finir mes jours en exil ; mais jamais ni mes contemporains ni la postérité ne pourront dire que, dans le temps de l’adversité, je me sois montré indigne d’occuper, jusqu’au dernier soupir, le trône de mes ancêtres. »

Il ne faut point oublier un autre nom, qui s’associe au nom du duc d’Enghien : Gustave-Adolphe, le détrôné et le banni[2], fut le seul des rois alors régnants qui osa élever la voix pour sauver le jeune prince français. Il fit partir de Carlsruhe un aide de camp porteur d’une lettre à Bonaparte ; la lettre arriva trop tard : le dernier des Condé n’existait plus. Gustave-Adolphe renvoya au roi de Prusse le cordon de l’Aigle-Noir, comme Louis XVIII avait renvoyé la Toison-d’Or au roi d’Espagne. Gustave déclarait à l’héritier du grand Frédéric que, « d’après les lois de la chevalerie, il ne pouvait pas consentir à être le frère d’armes de l’assassin du duc d’Enghien. » (Bonaparte avait l’Aigle-Noir.) Il y a je ne sais quelle dérision amère dans ces souvenirs presque insensés de chevalerie, éteints partout, excepté au cœur d’un roi malheureux pour un ami assassiné ; nobles sympathies de l’infortune, qui vivent à l’écart sans être comprises, dans un monde ignoré des hommes !

Hélas ! nous avions passé à travers trop de despotismes différents, nos caractères, domptés par une suite de maux et d’oppressions, n’avaient plus assez d’énergie pour qu’à propos de la mort du jeune Condé notre douleur portât longtemps le crêpe : peu à peu les larmes se tarirent ; la peur déborda en félicitations sur les dangers auxquels le premier consul venait d’échapper ; elle pleurait de reconnaissance d’avoir été sauvée par une si sainte immolation. Néron, sous la dictée de Sénèque, écrivit au sénat une lettre apologétique du meurtre d’Agrippine ; les sénateurs, transportés, comblèrent de bénédictions le fils magnanime qui n’avait pas craint de s’arracher le cœur par un parricide tant salutaire ! La société retourna vite à ses plaisirs ; elle avait frayeur de son deuil : après la Terreur, les victimes épargnées dansaient, s’efforçaient de paraître heureuses, et, craignant d’être soupçonnées coupables de mémoire, elles avaient la même gaieté qu’en allant à l’échafaud.

Ce ne fut pas de but en blanc et sans précaution que l’on arrêta le duc d’Enghien ; Bonaparte s’était fait rendre compte du nombre des Bourbons en Europe. Dans un conseil où furent appelés MM. de Talleyrand et Fouché, on reconnut que le duc d’Angoulême était à Varsovie avec Louis XVIII ; le comte d’Artois et le duc de Berry à Londres, avec les princes de Condé et de Bourbon. Le plus jeune des Condé était à Ettenheim, dans le duché de Bade. Il se trouva que MM. Taylor et Drake, agents anglais, avaient noué des intrigues de ce côté. Le duc de Bourbon, le 16 juin 1803, mit en garde son petit-fils[3] contre une arrestation possible, par un billet à lui adressé de Londres et que l’on conserve[4]. Bonaparte appela auprès de lui les deux consuls ses collègues : il fit d’abord d’amers reproches à M. Réal[5] de l’avoir laissé ignorer ce qu’on projetait contre lui. Il écouta patiemment les objections : ce fut Cambacérès[6] qui s’exprima avec le plus de vigueur. Bonaparte l’en remercia et passa outre. C’est ce que j’ai vu dans les Mémoires de Cambacérès, qu’un de ses neveux, M. de Cambacérès, pair de France, m’a permis de consulter, avec une obligeance dont je conserve un souvenir reconnaissant. La bombe lancée ne revient pas ; elle va où le génie l’envoie, et tombe. Pour exécuter les ordres de Bonaparte, il fallait violer le territoire de l’Allemagne, et le territoire fut immédiatement violé. Le duc d’Enghien fut arrêté à Ettenheim. On ne trouva auprès de lui, au lieu du général Dumouriez, que le marquis de Thumery et quelques autres émigrés de peu de renom : cela aurait dû avertir de la méprise. Le duc d’Enghien est conduit à Strasbourg. Le commencement de la catastrophe de Vincennes nous a été raconté par le prince même : il a laissé un petit journal de route d’Ettenheim à Strasbourg : le héros de la tragédie vient sur l’avant-scène prononcer ce prologue :

journal du duc d’enghien.

« Le jeudi 15 mars, à Ettenheim, ma maison cernée, dit le prince, par un détachement de dragons et des piquets de gendarmerie, total, deux cents hommes environ, deux généraux, le colonel des dragons, le colonel Charlot de la gendarmerie de Strasbourg, à cinq heures (du matin). À cinq heures et demie, les portes enfoncées, emmené au Moulin, près la Tuilerie. Mes papiers enlevés, cachetés. Conduit dans une charrette, entre deux haies de fusiliers, jusqu’au Rhin. Embarqué pour Rhisnau. Débarqué et marché à pied jusqu’à Pfortsheim. Déjeuné à l’auberge. Monté en voiture avec le colonel Charlot, le maréchal des logis de la gendarmerie, un gendarme sur le siège et Grunstein. Arrivé à Strasbourg, chez le colonel Charlot, vers cinq heures et demie. Transféré une demi-heure après, dans un fiacre, à la citadelle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Dimanche 18, on vient m’enlever à une heure et demie du matin. On ne me laisse que le temps de m’habiller. J’embrasse mes malheureux compagnons, mes gens. Je pars seul avec deux officiers de gendarmerie et deux gendarmes. Le colonel Charlot m’a annoncé que nous allons chez le général de division, qui a reçu des ordres de Paris. Au lieu de cela, je trouve une voiture avec six chevaux de poste sur la place de l’Église. Le lieutenant Petermann y monte à côté de moi, le maréchal des logis Blitersdorff sur le siège, deux gendarmes en dedans, l’autre en dehors. »

Ici le naufragé, prêt à s’engloutir, interrompt son journal de bord.

Arrivée vers les quatre heures du soir à l’une des barrières de la capitale, où vient aboutir la route de Strasbourg, la voiture, au lieu d’entrer dans Paris, suivit le boulevard extérieur et s’arrêta au château de Vincennes. Le prince, descendu de la voiture dans la cour intérieure, est conduit dans une chambre de la forteresse, on l’y enferme et il s’endort. À mesure que le prince approchait de Paris, Bonaparte affectait un calme qui n’était pas naturel. Le 18 mars, il partit pour la Malmaison ; c’était le dimanche des Rameaux. Madame Bonaparte, qui, comme toute sa famille, était instruite de l’arrestation du prince, lui parla de cette arrestation. Bonaparte lui répondit : « Tu n’entends rien à la politique. » Le colonel Savary[7] était devenu un des habitués de Bonaparte. Pourquoi ? parce qu’il avait vu le premier consul pleurer à Marengo. Les hommes à part doivent se défier de leurs larmes, qui les mettent sous le joug des hommes vulgaires. Les larmes sont une de ces faiblesses par lesquelles un témoin peut se rendre maître des résolutions d’un grand homme.

On assure que le premier consul fit rédiger tous les ordres pour Vincennes. Il était dit dans un de ces ordres que si la condamnation prévue était une condamnation à mort, elle devait être exécutée sur-le-champ.

Je crois à cette version, bien que je ne puisse l’attester, puisque ces ordres manquent. Madame de Rémusat[8], qui, dans la soirée du 20 mars, jouait aux échecs à la Malmaison avec le premier consul, l’entendit murmurer quelques vers sur la clémence d’Auguste ; elle crut que Bonaparte revenait à lui et que le prince était sauvé[9]. Non, le destin avait prononcé son oracle. Lorsque Savary reparut à la Malmaison, madame Bonaparte devina tout le malheur. Le premier consul s’était enfermé seul pendant plusieurs heures. Et puis le vent souffla, et tout fut fini.


commission militaire nommée.

Un ordre de Bonaparte, du 29 ventôse an xii[10], avait arrêté qu’une commission militaire, composée de sept membres nommés par le général gouverneur de Paris (Murat), se réunirait à Vincennes pour juger le ci-devant duc d’Enghien, prévenu d’avoir porté les armes contre la République, etc.

En exécution de cet arrêté, le même jour, 29 ventôse, Joachim Murat nomma, pour former ladite commission, les sept militaires, à savoir :

Le général Hulin, commandant les grenadiers à pied de la garde des consuls, président ;

Le colonel Guitton, commandant le 1er régiment des cuirassiers ;

Le colonel Bazancourt, commandant le 4e régiment d’infanterie légère ;

Le colonel Ravier, commandant le 18e régiment d’infanterie de ligne ;

Le colonel Barrois, commandant le 96e régiment d’infanterie de ligne ;

Le colonel Rabbe, commandant le 2e régiment de la garde municipale de Paris ;

Le citoyen Dautancourt, major de la gendarmerie d’élite, qui remplira les fonctions de capitaine-rapporteur.


interrogatoire du capitaine-rapporteur.

Le capitaine Dautancourt, le chef d’escadron Jacquin, de la légion d’élite, deux gendarmes à pied du même corps, Lerva, Tharsis, et le citoyen Noirot, lieutenant au même corps, se rendent à la chambre du duc d’Enghien ; ils le réveillent : il n’avait plus que quatre heures à attendre avant de retourner à son sommeil. Le capitaine-rapporteur, assisté de Molin, capitaine au 18e régiment, greffier, choisi par ledit rapporteur, interroge le prince.

A lui demandé ses nom, prénoms, âge et lieu de naissance ?

A répondu se nommer Louis-Antoine-Henri de Bourbon, duc d’Enghien, né le 2 août 1772, à Chantilly.

A lui demandé où il a résidé depuis sa sortie de France ?

A répondu qu’après avoir suivi ses parents, le corps de Condé s’étant formé, il avait fait toute la guerre, et qu’avant cela il avait fait la campagne de 1792, en Brabant, avec le corps de Bourbon.

A lui demandé s’il n’était point passé en Angleterre, et si cette puissance lui accorde toujours un traitement ?

A répondu n’y être jamais allé ; que l’Angleterre lui accorde toujours un traitement, et qu’il n’a que cela pour vivre.

A lui demandé quel grade il occupait dans l’armée de Condé ?

A répondu : commandant de l’avant-garde en 1796, avant cette campagne comme volontaire au quartier général de son grand-père, et toujours, depuis 1796, comme commandant de l’avant-garde.

À lui demandé s’il connaissait le général Pichegru, s’il a eu des relations avec lui ?

A répondu : Je ne l’ai, je crois, jamais vu. Je n’ai point eu de relations avec lui. Je sais qu’il a désiré me voir. Je me loue de ne l’avoir point connu, d’après les vils moyens dont on dit qu’il a voulu se servir, s’ils sont vrais.

À lui demandé s’il connaît l’ex-général Dumouriez, et s’il a des relations avec lui ?

A répondu : Pas davantage.

De quoi a été dressé le présent qui a été signé par le duc d’Enghien, le chef d’escadron Jacquin, le lieutenant Noirot, les deux gendarmes et le capitaine-rapporteur.

Avant de signer le présent procès-verbal, le duc d’Enghien a dit : « Je fais avec instance la demande d’avoir une audience particulière du premier consul. Mon nom, mon rang, ma façon de penser et l’horreur de ma situation me font espérer qu’il ne se refusera pas à ma demande. »


séance et jugement de la commission militaire.

À deux heures du matin, 21 mars, le duc d’Enghien fut amené dans la salle où siégeait la commission et répéta ce qu’il avait dit dans l’interrogatoire du capitaine-rapporteur. Il persista dans sa déclaration : il ajouta qu’il était prêt à faire la guerre, et qu’il désirait avoir du service dans la nouvelle guerre de l’Angleterre contre la France. « Lui ayant été demandé s’il avait quelque chose à présenter dans ses moyens de défense, a répondu n’avoir rien à dire de plus.

« Le président fait retirer l’accusé ; le conseil délibérant à huis clos, le président recueille les voix, en commençant par le plus jeune en grade ; ensuite, ayant émis son opinion le dernier, l’unanimité des voix a déclaré le duc d’Enghien coupable, et lui a appliqué l’article […] de la loi du […] ainsi conçu […] et en conséquence l’a condamné à la peine de mort. Ordonne que le présent jugement sera exécuté de suite à la diligence du capitaine-rapporteur, après en avoir donné lecture au condamné, en présence des différents détachements des corps de la garnison.

« Fait, clos et jugé sans désemparer à Vincennes les jour, mois et an que dessus et avons signé. »

La fosse étant faite, remplie et close, dix ans d’oubli, de consentement général et de gloire inouïe s’assirent dessus ; l’herbe poussa au bruit des salves qui annonçaient des victoires, aux illuminations qui éclairaient le sacre pontifical, le mariage de la fille des Césars ou la naissance du roi de Rome. Seulement de rares affligés rôdaient dans le bois, aventurant un regard furtif au bas du fossé vers l’endroit lamentable, tandis que quelques prisonniers l’apercevaient du haut du donjon qui les renfermait. La Restauration vint : la terre de la tombe fut remuée et avec elle les consciences ; chacun alors crut devoir s’expliquer.

M. Dupin aîné publia sa discussion ; M. Hulin, président de la commission militaire, parla ; M. le duc de Rovigo entra dans la controverse en accusant M. de Talleyrand ; un tiers répondit pour M. de Talleyrand, et Napoléon éleva sa grande voix sur le rocher de Sainte-Hélène.

Il faut reproduire et étudier ces documents, pour assigner à chacun la part qui lui revient et la place qu’il doit occuper dans ce drame. Il est nuit, et nous sommes à Chantilly ; il était nuit quand le duc d’Enghien était à Vincennes.


Lorsque M. Dupin[11] publia sa brochure, il me l’envoya avec cette lettre :
Paris, ce 10 novembre 1823.
« Monsieur le vicomte,

« Veuillez agréer un exemplaire de ma publication relative à l’assassinat du duc d’Enghien.

« Il y a longtemps qu’elle eût paru, si je n’avais voulu, avant tout, respecter la volonté de monseigneur le duc de Bourbon, qui, ayant eu connaissance de mon travail, m’avait fait exprimer son désir que cette déplorable affaire ne fût point exhumée.

« Mais la Providence ayant permis que d’autres prissent l’initiative, il est devenu nécessaire de faire connaître la vérité, et, après m’être assuré qu’on ne persistait plus à me faire garder le silence, j’ai parlé avec franchise et sincérité.

« J’ai l’honneur d’être avec un profond respect,

« Monsieur le vicomte,
« De Votre Excellence le très humble et très obéissant serviteur,
« Dupin. »

M. Dupin, que je félicitai et remerciai, révèle dans sa lettre d’envoi un trait ignoré et touchant des nobles et miséricordieuses vertus du père de la victime. M. Dupin commence ainsi sa brochure :

« La mort de l’infortuné duc d’Enghien est un des événements qui ont le plus affligé la nation française : il a déshonoré le gouvernement consulaire.

« Un jeune prince, à la fleur de l’âge, surpris par trahison sur un sol étranger, où il dormait en paix sous la protection du droit des gens ; entraîné violemment vers la France ; traduit devant de prétendus juges qui, en aucun cas, ne pouvaient être les siens ; accusé de crimes imaginaires ; privé du secours d’un défenseur ; interrogé et condamné à huis clos ; mis à mort de nuit dans les fossés du château fort qui servait de prison d’État ; tant de vertus méconnues, de si chères espérances détruites, feront à jamais de cette catastrophe un des actes les plus révoltants auxquels ait pu s’abandonner un gouvernement absolu !

« Si aucune forme n’a été respectée ; si les juges étaient incompétents ; s’ils n’ont pas même pris la peine de relater dans leur arrêt la date et le texte des lois sur lesquelles ils prétendaient appuyer cette condamnation ; si le malheureux duc d’Enghien a été fusillé en vertu d’une sentence signée en blanc… et qui n’a été régularisée qu’après coup ! alors ce n’est plus seulement l’innocente victime d’une erreur judiciaire ; la chose reste avec son véritable nom : c’est un odieux assassinat. »

Cet éloquent exorde conduit M. Dupin à l’examen des pièces : il montre d’abord l’illégalité de l’arrestation : le duc d’Enghien n’a point été arrêté en France ; il n’était point prisonnier de guerre, puisqu’il n’avait pas été pris les armes à la main ; il n’était pas prisonnier à titre civil, car l’extradition n’avait pas été demandée ; c’était un emparement violent de la personne, comparable aux captures que font les pirates de Tunis et d’Alger, une course de voleurs, incursio latronum.

Le jurisconsulte passe à l’incompétence de la commission militaire : la connaissance de prétendus complots tramés contre l’État n’a jamais été attribuée aux commissions militaires.

Vient après cela l’examen du jugement.

« L’interrogatoire (c’est M. Dupin qui continue de parler) a lieu le 29 ventôse à minuit. Le 30 ventôse, à deux heures du matin, le duc d’Enghien est introduit devant la commission militaire.

« Sur la minute du jugement on lit : Aujourd’hui, le 30 ventôse an xii de la République, à deux heures du matin : ces mots, deux heures du matin, qui n’y ont été mis que parce qu’en effet il était cette heure-là, sont effacés sur la minute, sans avoir été remplacés par d’autre indication.

« Pas un seul témoin n’a été ni entendu ni produit contre l’accusé.

« L’accusé est déclaré coupable ! Coupable de quoi ? Le jugement ne le dit pas.

« Tout jugement qui prononce une peine doit contenir la citation de la loi en vertu de laquelle la peine est appliquée.

« Eh bien, ici, aucune de ces formes n’a été remplie : aucune mention n’atteste au procès-verbal que les commissaires aient eu sous les yeux un exemplaire de la loi ; rien ne constate que le président en ait lu le texte avant de l’appliquer. Loin de là, le jugement, dans sa forme matérielle, offre la preuve que les commissaires ont condamné sans savoir ni la date ni la teneur de la loi ; car ils ont laissé en blanc, dans la minute de la sentence, et la date de la loi et le numéro de l’article, et la place destinée à recevoir son texte. Et cependant c’est sur la minute d’une sentence constituée dans cet état d’imperfection que le plus noble sang a été versé par des bourreaux !

« La délibération doit être secrète ; mais la prononciation du jugement doit être publique ; c’est encore la loi qui nous le dit. Or, le jugement du 30 ventôse dit bien : Le conseil délibérant à huis clos ; mais on n’y trouve pas la mention que l’on ait rouvert les portes, on n’y voit pas exprimé que le résultat de la délibération ait été prononcé en séance publique. Il le dirait, y pourrait-on croire ? Une séance publique, à deux heures du matin, dans le donjon de Vincennes, lorsque toutes les issues du château étaient gardées par des gendarmes d’élite ! Mais, enfin, on n’a pas même pris la précaution de recourir au mensonge ; le jugement est muet sur ce point.

« Ce jugement est signé par le président et les six autres commissaires, y compris le rapporteur, mais il est à remarquer que la minute n’est pas signée par le greffier, dont le concours, cependant, était nécessaire pour lui donner authenticité.

« La sentence est terminée par cette terrible formule : sera exécuté de suite, à la diligence du capitaine-rapporteur.

« De suite ! mots désespérants qui sont l’ouvrage des juges ! De suite ! Et une loi expresse, celle du 15 brumaire an vi, accordait le recours en révision contre tout jugement militaire ! »

M. Dupin, passant à l’exécution, continue ainsi :

« Interrogé de nuit, jugé de nuit, le duc d’Enghien a été tué de nuit. Cet horrible sacrifice devait se consommer dans l’ombre, afin qu’il fût dit que toutes les lois avaient été violées, toutes, même celles qui prescrivaient la publicité de l’exécution. »

Le jurisconsulte vient aux irrégularités dans l’instruction : « L’article 19 de la loi du 13 brumaire an v porte qu’après avoir clos l’interrogatoire, le rapporteur dira au prévenu de faire choix d’un ami pour défenseur. — Le prévenu aura la faculté de choisir ce défenseur dans toutes les classes de citoyens présents sur les lieux ; s’il déclare qu’il ne peut faire ce choix, le rapporteur le fera pour lui.

« Ah ! sans doute le prince n’avait point d’amis[12] parmi ceux qui l’entouraient ; la cruelle déclaration lui en fut faite par un des fauteurs de cette horrible scène !… Hélas ! que n’étions-nous présents ! que ne fut-il permis au prince de faire un appel au barreau de Paris ! Là, il eût trouvé des amis de son malheur, des défenseurs de son infortune. C’est en vue de rendre ce jugement présentable aux yeux du public qu’on paraît avoir préparé plus à loisir une nouvelle rédaction. La substitution tardive d’une seconde rédaction, en apparence plus régulière que la première (bien qu’également injuste), n’ôte rien à l’odieux d’avoir fait périr le duc d’Enghien sur un croquis de jugement signé à la hâte, et qui n’avait pas encore reçu son complément. »

Telle est la lumineuse brochure de M. Dupin. Je ne sais toutefois si, dans un acte de la nature de celui qu’examine l’auteur, le plus ou le moins de régularité tient une place importante : qu’on eût étranglé le duc d’Enghien dans une chaise de poste de Strasbourg à Paris, ou qu’on l’ait tué dans le bois de Vincennes, la chose est égale. Mais n’est-il pas providentiel de voir des hommes, après longues années, les uns démontrer l’irrégularité d’un meurtre auquel ils n’avaient pris aucune part, les autres accourir, sans qu’on le leur demandât, devant l’accusation publique ? Qu’ont-ils donc entendu ? quelle voix d’en haut les a sommés de comparaître ?


Après le grand jurisconsulte, voici venir un vétéran aveugle[13] : il a commandé les grenadiers de la vieille garde ; c’est tout dire aux braves. Sa dernière blessure, il l’a reçue de Malet, dont le plomb impuissant est resté perdu dans un visage qui ne s’est jamais détourné du boulet. Frappé de cécité, retiré du monde, n’ayant pour consolation que les soins de sa famille (ce sont ses propres paroles), le juge du duc d’Enghien semble sortir de son tombeau à l’appel du souverain juge ; il plaide sa cause[14] sans se faire illusion et sans s’excuser :

« Qu’on ne se méprenne point, dit-il, sur mes intentions. Je n’écris point par peur, puisque ma personne est sous la protection de lois émanées du trône même, et que, sous le gouvernement d’un roi juste, je n’ai rien à redouter de la violence et de l’arbitraire. J’écris pour dire la vérité, même en tout ce qui peut m’être contraire. Ainsi, je ne prétends justifier ni la forme, ni le fond du jugement, mais je veux montrer sous l’empire et au milieu de quel concours de circonstances il a été rendu ; je veux éloigner de moi et de mes collègues l’idée que nous ayons agi comme des hommes de parti. Si l’on doit nous blâmer encore, je veux aussi qu’on dise de nous : Ils ont été bien malheureux ! »

Le général Hulin affirme que, nommé président d’une commission militaire, il n’en connaissait pas le but ; qu’arrivé à Vincennes, il l’ignorait encore ; que les autres membres de la commission l’ignoraient également ; que le commandant du château, M. Harel[15], étant interrogé, lui dit ne rien savoir lui-même, ajoutant ces paroles : « Que voulez-vous ? je ne suis plus rien ici. Tout se fait sans mes ordres et ma participation : c’est un autre qui commande ici. »

Il était dix heures du soir quand le général Hulin fut tiré de son incertitude par la communication des pièces. — L’audience fut ouverte à minuit, lorsque l’examen du prisonnier par le capitaine-rapporteur eut été fini. « La lecture des pièces, dit le président de la commission, donna lieu à un incident. Nous remarquâmes qu’à la fin de l’interrogatoire subi devant le capitaine-rapporteur, le prince, avant de signer, avait tracé de sa propre main, quelques lignes où il exprimait le désir d’avoir une explication avec le premier consul. Un membre fit la proposition de transmettre cette demande au gouvernement. La commission y déféra ; mais, au même instant, le général, qui était venu se poster derrière mon fauteuil, nous représenta que cette demande était inopportune. D’ailleurs, nous ne trouvâmes dans la loi aucune disposition qui nous autorisât à surseoir. La commission passa donc outre, se réservant, après les débats, de satisfaire aux vœux du prévenu. »

Voilà ce que raconte le général Hulin. Or, on lit cet autre passage dans la brochure du duc de Rovigo : « Il y avait même assez de monde pour qu’il m’ait été difficile, étant arrivé des derniers, de pénétrer derrière le siège du président, où je parvins à me placer. »

C’était donc le duc de Rovigo qui s’était posté derrière le fauteuil du président ? Mais lui, ou tout autre, ne faisant pas partie de la commission, avait-il le droit d’intervenir dans les débats de cette commission et de représenter qu’une demande était inopportune ?

Écoutons le commandant des grenadiers de la vieille garde parler du courage du jeune fils des Condé ; il s’y connaissait :

« Je procédai à l’interrogatoire du prévenu ; je dois le dire, il se présenta devant nous avec une noble assurance, repoussa loin de lui d’avoir trempé directement ni indirectement dans un complot d’assassinat contre la vie du premier consul ; mais il avoua aussi avoir porté les armes contre la France, disant avec un courage et une fierté qui ne nous permirent jamais, dans son propre intérêt, de le faire varier sur ce point : Qu’il avait soutenu les droits de sa famille, et qu’un Condé ne pouvait jamais rentrer en France que les armes à la main. Ma naissance, mon opinion, ajouta-t-il, me rendent à jamais l’ennemi de votre gouvernement.

« La fermeté de ses aveux devenait désespérante pour ses juges. Dix fois nous le mîmes sur la voie de revenir sur ses déclarations, toujours il persista d’une manière inébranlable : Je vois, disait-il par intervalles, les intentions honorables des membres de la commission, mais je ne peux me servir des moyens qu’ils m’offrent. Et sur l’avertissement que les commissions militaires jugeaient sans appel : Je le sais, me répondit-il, et je ne me dissimule pas le danger que je cours ; je désire seulement avoir une entrevue avec le premier consul. »

Est-il dans toute notre histoire une page plus pathétique ? La nouvelle France jugeant la France ancienne, lui rendant hommage, lui présentant les armes, lui faisant le salut du drapeau en la condamnant ; le tribunal établi dans la forteresse où le grand Condé, prisonnier, cultivait des fleurs ; le général des grenadiers de la garde de Bonaparte, assis en face du dernier descendant du vainqueur de Rocroi, se sentant ému d’admiration devant l’accusé sans défenseur, abandonné de la terre, l’interrogeant tandis que le bruit du fossoyeur qui creusait la tombe se mêlait aux réponses assurées du jeune soldat ! Quelques jours après l’exécution, le général Hulin s’écriait : « Ô le brave jeune homme ! quel courage ! Je voudrais mourir comme lui. »

Le général Hulin, après avoir parlé de la minute et de la seconde rédaction du jugement, dit : « Quant à la seconde rédaction, la seule vraie, comme elle ne portait pas l’ordre d’exécuter de suite, mais seulement de lire de suite le jugement au condamné, l’exécution de suite ne serait pas le fait de la commission, mais seulement de ceux qui auraient pris sur leur responsabilité propre de brusquer cette fatale exécution.

« Hélas ! nous avions bien d’autres pensées ! À peine le jugement fut-il signé, que je me mis à écrire une lettre dans laquelle, me rendant en cela l’interprète du vœu unanime de la commission, j’écrivais au premier consul pour lui faire part du désir qu’avait témoigné le prince d’avoir une entrevue avec lui, et aussi pour le conjurer de remettre une peine que la rigueur de notre position ne nous avait pas permis d’éluder.

« C’est à cet instant qu’un homme[16], qui s’était constamment tenu dans la salle du conseil, et que je nommerais à l’instant, si je ne réfléchissais que, même en me défendant, il ne me convient pas d’accuser… — Que faites-vous là ? me dit-il en s’approchant de moi. — J’écris au premier consul, lui répondis-je, pour lui exprimer le vœu du conseil et celui du condamné. — Votre affaire est finie, me dit-il en reprenant la plume : maintenant cela me regarde.

« J’avoue que je crus, et plusieurs de mes collègues avec moi, qu’il voulait dire : Cela me regarde d’avertir le premier consul. La réponse, entendue en ce sens, nous laissait l’espoir que l’avertissement n’en serait pas moins donné. Et comment nous serait-il venu à l’idée que qui que ce fût auprès de nous avait l’ordre de négliger les formalités voulues par les lois ? »

Tout le secret de cette funèbre catastrophe est dans cette déposition. Le vétéran qui, toujours près de mourir sur le champ de bataille, avait appris de la mort le langage de la vérité, conclut par ces dernières paroles :

« Je m’entretenais de ce qui venait de se passer sous le vestibule contigu à la salle des délibérations. Des conversations particulières s’étaient engagées ; j’attendais ma voiture, qui n’ayant pu entrer dans la cour intérieure, non plus que celles des autres membres, retarda mon départ et le leur ; nous étions nous-mêmes enfermés, sans que personne pût communiquer au dehors, lorsqu’une explosion se fit entendre : bruit terrible qui retentit au fond de nos âmes et les glaça de terreur et d’effroi.

« Oui, je le jure au nom de tous mes collègues, cette exécution ne fut point autorisée par nous : notre jugement portait qu’il en serait envoyé une expédition au ministre de la guerre, au grand juge ministre de la justice, et au général en chef gouverneur de Paris.

« L’ordre d’exécution ne pouvait être régulièrement donné que par ce dernier ; les copies n’étaient point encore expédiées ; elles ne pouvaient pas être terminées avant qu’une partie de la journée ne fût écoulée. Rentré dans Paris, j’aurais été trouver le gouverneur, le premier consul, que sais-je ! Et tout à coup un bruit affreux vient nous révéler que le prince n’existe plus !

« Nous ignorions si celui qui a si cruellement précipité cette exécution funeste avait des ordres : s’il n’en avait point, lui seul est responsable ; s’il en avait, la commission, étrangère à ces ordres, la commission, tenue en chartre privée, la commission, dont le dernier vœu était pour le salut du prince, n’a pu ni en prévenir ni en empêcher l’effet. On ne peut l’en accuser.

« Vingt ans écoulés n’ont point adouci l’amertume de mes regrets. Que l’on m’accuse d’ignorance, d’erreur, j’y consens ; qu’on me reproche une obéissance à laquelle aujourd’hui je saurais bien me soustraire dans de pareilles circonstances ; mon attachement à un homme que je croyais destiné à faire le bonheur de mon pays ; ma fidélité à un gouvernement que je croyais légitime alors et qui était en possession de mes serments ; mais qu’on me tienne compte, ainsi qu’à mes collègues, des circonstances fatales au milieu desquelles nous avons été appelés à prononcer. »

La défense est faible, mais vous vous repentez, général : paix vous soit ! Si votre arrêt est devenu la feuille de route du dernier Condé, vous irez rejoindre, à la garde avancée des morts, le dernier conscrit de notre ancienne patrie. Le jeune soldat se fera un plaisir de partager son lit avec le grenadier de la vieille garde ; la France de Fribourg et la France de Marengo dormiront ensemble.

M. le duc de Rovigo, en se frappant la poitrine, prend son rang dans la procession qui vient se confesser à la tombe. J’avais été longtemps sous le pouvoir du ministre de la police ; il tomba sous l’influence qu’il supposait m’être rendue au retour de la légitimité : il me communiqua une partie de ses Mémoires. Les hommes, dans sa position, parlent de ce qu’ils ont fait avec une merveilleuse candeur ; ils ne se doutent pas de ce qu’ils disent contre eux-mêmes : s’accusant sans s’en apercevoir, ils ne soupçonnent pas qu’il y ait une autre opinion que la leur, et sur les fonctions dont ils s’étaient chargés, et sur la conduite qu’ils ont tenue. S’ils ont manqué de fidélité, ils ne croient pas avoir violé leur serment ; s’ils ont pris sur eux des rôles qui répugnent à d’autres caractères, ils pensent avoir rendu de grands services. Leur naïveté ne les justifie pas, mais elle les excuse.

M. le duc de Rovigo me consulta sur les chapitres où il traite de la mort du duc d’Enghien ; il voulait connaître ma pensée, précisément parce qu’il savait ce que j’avais fait ; je lui sus gré de cette marque d’estime, et, lui rendant franchise pour franchise, je lui conseillai de ne rien publier. Je lui dis : « Laissez mourir tout cela ; en France l’oubli ne se fait pas attendre. Vous vous imaginez laver Napoléon d’un reproche et rejeter la faute sur M. de Talleyrand ; or, vous ne justifiez pas assez le premier, et n’accusez pas assez le second. Vous prêtez le flanc à vos ennemis ; ils ne manqueront pas de vous répondre. Qu’avez-vous besoin de faire souvenir le public que vous commandiez la gendarmerie d’élite à Vincennes ? Il ignorait la part directe que vous avez eue dans cette action de malheur, et vous la lui révélez. Général, jetez le manuscrit au feu : je vous parle dans votre intérêt. »

Imbu des maximes gouvernementales de l’Empire, le duc de Rovigo pensait que ces maximes convenaient également au trône légitime ; il avait la conviction que sa brochure[17] lui rouvrirait la porte des Tuileries.

C’est en partie à la lumière de cet écrit que la postérité verra se dessiner les fantômes de deuil. Je voulus cacher l’inculpé venu me demander asile pendant la nuit ; il n’accepta point la protection de mon foyer.

M. de Rovigo fait le récit du départ de M. de Caulaincourt[18] qu’il ne nomme point ; il parle de l’enlèvement à Ettenheim, du passage du prisonnier à Strasbourg, et de son arrivée à Vincennes. Après une expédition sur les côtes de la Normandie, le général Savary était revenu à la Malmaison. Il est appelé à cinq heures du soir, le 19 mars 1804, dans le cabinet du premier consul, qui lui remet une lettre cachetée pour la porter au général Murat, gouverneur de Paris. Il vole chez le général, se croise avec le ministre des relations extérieures, reçoit l’ordre de prendre la gendarmerie d’élite et d’aller à Vincennes. Il s’y rend à huit heures du soir et voit arriver les membres de la commission. Il pénètre bientôt dans la salle où l’on jugeait le prince, le 21, à une heure du matin, et il va s’asseoir derrière le président. Il rapporte les réponses du duc d’Enghien, à peu près comme les rapporte le procès-verbal de l’unique séance. Il m’a raconté que le prince, après avoir donné ses dernières explications, ôta vivement sa casquette, la posa sur la table, et, comme un homme qui résigne sa vie, dit au président : « Monsieur, je n’ai plus rien à dire. »

M. de Rovigo insiste sur ce que la séance n’était point mystérieuse : « Les portes de la salle, affirme-t-il, étaient ouvertes et libres pour tous ceux qui pouvaient s’y rendre à cette heure. » M. Dupin avait déjà remarqué cette perturbation de raisonnement. À cette occasion, M. Achille Roche[19], qui semble écrire pour M. de Talleyrand, s’écrie : « La séance ne fut point mystérieuse ! À minuit ! elle se tint dans la partie habitée du château ; dans la partie habitée d’une prison ! Qui assistait donc à cette séance ? des geôliers, des soldats, des bourreaux. »

Nul ne pouvait donner des détails plus exacts sur le moment et le lieu du coup de foudre que M. le duc de Rovigo ; écoutons-le :

« Après le prononcé de l’arrêt, je me retirai avec les officiers de mon corps qui, comme moi, avaient assisté aux débats, et j’allai rejoindre les troupes qui étaient sur l’esplanade du château. L’officier qui commandait l’infanterie de ma légion vint me dire, avec une émotion profonde, qu’on lui demandait un piquet pour exécuter la sentence de la commission militaire : — Donnez-le, répondis-je. — Mais où dois-je le placer ? — Là où vous ne pourrez blesser personne. Car déjà les habitants des populeux environs de Paris étaient sur les routes pour se rendre aux divers marchés.

« Après avoir bien examiné les lieux, l’officier choisit le fossé comme l’endroit le plus sûr pour ne blesser personne. M. le duc d’Enghien y fut conduit par l’escalier de la tour d’entrée du côté du parc, et y entendit la sentence, qui fut exécutée. »

Sous ce paragraphe, on trouve cette note de l’auteur du mémoire : « Entre la sentence et son exécution, on avait creusé une fosse : c’est ce qui a fait dire qu’on l’avait creusée avant le jugement. »

Malheureusement, les inadvertances sont ici déplorables : « M. de Rovigo prétend, » dit M. Achille Roche, apologiste de M. de Talleyrand, « qu’il a obéi ! Qui lui a transmis l’ordre d’exécution ? Il parait que c’est un M. Delga, tué à Wagram. Mais que ce soit ou ne soit pas ce M. Delga, si M. Savary se trompe en nous nommant M. Delga, on ne réclamera pas aujourd’hui, sans doute, la gloire qu’il attribue à cet officier. On accuse M. de Rovigo d’avoir hâté cette exécution ; ce n’est pas lui, répond-il : un homme qui est mort lui a dit qu’on avait donné des ordres pour la hâter. »

Le duc de Rovigo n’est pas heureux au sujet de l’exécution, qu’il raconte avoir eu lieu de jour : cela d’ailleurs ne changeant rien au fait, n’ôterait qu’un flambeau au supplice.

« À l’heure où se lève le soleil, en plein air, fallait-il, dit le général, une lanterne pour voir un homme à six pas ! Ce n’est pas que le soleil, ajoute-t-il, fût clair et serein ; comme il était tombé toute la nuit une pluie fine, il restait encore un brouillard humide qui retardait son apparition. L’exécution a eu lieu à six heures du matin, le fait est attesté par des pièces irrécusables. »

Et le général ne fournit ni n’indique ces pièces. La marche du procès démontre que le duc d’Enghien fut jugé à deux heures du matin et fut fusillé de suite. Ces mots, deux heures du matin, écrits d’abord à la première minute de l’arrêt, sont ensuite biffés sur cette minute. Le procès-verbal de l’exhumation prouve, par la déposition de trois témoins, madame Bon, le sieur Godard et le sieur Bounelet (celui-ci avait aidé à creuser la fosse), que la mise à mort s’effectua de nuit. M. Dupin aîné rappelle la circonstance d’un falot attaché sur le cœur du duc d’Enghien, pour servir de point de mire, ou tenu, à même intention, d’une main ferme, par le prince. Il a été question d’une grosse pierre retirée de la fosse, et dont on aurait écrasé la tête du patient. Enfin, le duc de Rovigo devait s’être vanté de posséder quelques dépouilles de l’holocauste : j’ai cru moi-même à ces bruits ; mais les pièces légales prouvent qu’ils n’étaient pas fondés.

Par le procès-verbal, en date du mercredi 20 mars 1816, des médecins et chirurgiens, pour l’exhumation du corps, il a été reconnu que la tête était brisée, que la mâchoire supérieure, entièrement séparée des os de la face, était garnie de douze dents ; que la mâchoire inférieure, fracturée dans sa partie moyenne, était partagée en deux, et ne présentait plus que trois dents.

Le corps était à plat sur le ventre, la tête plus basse que les pieds ; les vertèbres du cou avaient une chaîne d’or.

Le second procès-verbal d’exhumation (à la même date, 20 mars 1816), le procès-verbal général, constate qu’on a retrouvé, avec les restes du squelette, une bourse de maroquin contenant onze pièces d’or, soixante-dix pièces d’or renfermées dans des rouleaux cachetés, des cheveux, des débris de vêtements, des morceaux de casquette portant l’empreinte des balles qui l’avaient traversée.

Ainsi, M. de Rovigo n’a rien pris des dépouilles ; la terre qui les retenait les a rendues et a témoigné de la probité du général ; une lanterne n’a point été attachée sur le cœur du prince, on en aurait trouvé les fragments, comme ceux de la casquette trouée ; une grosse pierre n’a point été retirée de la fosse ; le feu du piquet à six pas a suffi pour mettre en pièces la tête, pour séparer la mâchoire supérieure des os de la face, etc.

À cette dérision des vanités humaines, il ne manquait que l’immolation pareille de Murat, gouverneur de Paris, la mort de Bonaparte captif, et cette inscription gravée sur le cercueil du duc d’Enghien : « Ici est le corps de très-haut et puissant prince du sang, pair de France, mort à Vincennes le 21 mars 1804, âgé de 31 ans 7 mois et 19 jours. » Le corps était des os fracassés et nus ; le haut et puissant prince, les fragments brisés de la carcasse d’un soldat : pas un mot qui rappelle la catastrophe, pas un mot de blâme ou de douleur dans cette épitaphe gravée par une famille en larmes ; prodigieux effet du respect que le siècle porte aux œuvres et aux susceptibilités révolutionnaires ! On s’est hâté de même de faire disparaître la chapelle mortuaire du duc de Berri.

Que de néants ! Bourbons, inutilement rentrés dans vos palais, vous n’avez été occupés que d’exhumations et de funérailles ; votre temps de vie était passé. Dieu l’a voulu ! L’ancienne gloire de la France périt sous les yeux de l’ombre du grand Condé, dans un fossé de Vincennes : peut-être était-ce au lieu même où Louis IX, à qui l’on n’alloit que comme à un saint, s’asseyoit sous un chesne, et où tous ceux qui avoient affaire à luy venaient luy parler sans empeschement d’huissiers ni d’autres ; et quand il voyoit aucune chose à amender, en la parole de ceux qui parloient pour autrui, lui-même l’amendoit de sa bouche, et tout le peuple qui avoit affaire par-devant lui estoit autour de luy. » (Joinville.)

Le duc d’Enghien demanda à parler à Bonaparte ; il avait affaire par-devant lui ; il ne fut point écouté ! Qui du bord du ravelin contemplait au fond du fossé ces armes, ces soldats à peine éclairés d’une lanterne dans le brouillard et les ombres, comme dans la nuit éternelle ? Où était-il placé, le falot ? Le duc d’Enghien avait-il à ses pieds sa fosse ouverte ? fut-il obligé de l’enjamber pour se mettre à la distance de six pas, mentionnée par le duc de Rovigo ?

On a conservé une lettre de M. le duc d’Enghien, âgé de neuf ans, à son père, le duc de Bourbon ; il lui dit : « Tous les Enguiens sont heureux ; celui de la bataille de Cerizoles, celui qui gagna la bataille de Rocroi : j’espère l’être aussi. »

Est-il vrai qu’on refusa un prêtre à la victime ? Est-il vrai qu’elle ne trouva qu’avec difficulté une main pour se charger de transmettre à une femme le dernier gage d’un attachement ? Qu’importait aux bourreaux un sentiment de piété ou de tendresse ? Ils étaient là pour tuer, le duc d’Enghien pour mourir.

Le duc d’Enghien avait épousé secrètement, par le ministère d’un prêtre, la princesse Charlotte de Rohan[20] : en ces temps où la patrie était errante, un homme, en raison même de son élévation, était arrêté par mille entraves politiques ; pour jouir de ce que la société publique accorde à tous, il était obligé de se cacher. Ce mariage légitime, aujourd’hui connu, rehausse l’éclat d’une fin tragique ; il substitue la gloire du ciel au pardon du ciel : la religion perpétue la pompe du malheur, quand, après la catastrophe accomplie, la croix s’élève sur le lieu désert.


M. de Talleyrand, après la brochure de M. de Rovigo, avait présenté un mémoire justificatif à Louis XVIII : ce mémoire, que je n’ai point vu et qui devait tout éclaircir, n’éclaircissait rien. En 1820, nommé ministre plénipotentiaire à Berlin, je déterrai dans les archives de l’ambassade une lettre du citoyen Laforest[21], au sujet de M. le duc d’Enghien. Cette lettre énergique est d’autant plus honorable pour son auteur qu’il ne craignait pas de compromettre sa carrière, sans recevoir de récompense de l’opinion publique, sa démarche devant rester ignorée : noble abnégation d’un homme qui, par son obscurité même, avait dévolu ce qu’il a fait de bien à l’obscurité.

M. de Talleyrand reçut la leçon et se tut ; du moins, je ne trouvai rien de lui dans les mêmes archives, concernant la mort du prince. Le ministre des relations extérieures avait pourtant mandé, le 2 ventôse, au ministre de l’électeur de Bade, « que le premier consul avait cru devoir donner à des détachements l’ordre de se rendre à Offenbourg et à Ettenheim, pour y saisir les instigateurs des conspirations inouïes qui, par leur nature, mettent hors du droit des gens tous ceux qui manifestement y ont pris part. »

Un passage des généraux Gourgaud, Montholon et du docteur Ward met en scène Bonaparte : « Mon ministre, dit-il, me représenta fortement qu’il fallait se saisir du duc d’Enghien, quoiqu’il fût sur un territoire neutre. Mais j’hésitais encore, et le prince de Bénévent m’apporta deux fois, pour que je le signasse, l’ordre de son arrestation. Ce ne fut cependant qu’après que je me fus convaincu de l’urgence d’un tel acte que je me décidai à le signer. »

Au dire du Mémorial de Saint-Hélène, ces paroles seraient échappées à Bonaparte : « Le duc d’Enghien se comporta devant le tribunal avec une grande bravoure. À son arrivée à Strasbourg, il m’écrivit une lettre : cette lettre fut remise à Talleyrand, qui la garda jusqu’à l’exécution. »

Je crois peu à cette lettre : Napoléon aura transformé en lettre la demande que fit le duc d’Enghien de parler au vainqueur de l’Italie, ou plutôt les quelques lignes exprimant cette demande, qu’avant de signer l’interrogatoire prêté devant le capitaine-rapporteur, le prince avait tracées de sa propre main. Toutefois, parce que cette lettre ne se retrouverait pas, il ne faudrait pas en conclure rigoureusement qu’elle n’a pas été écrite : « J’ai su, » dit le duc de Rovigo, « que, dans les premiers jours de la Restauration, en 1814, l’un des secrétaires de M. de Talleyrand n’a pas cessé de faire des recherches dans les archives, sous la galerie du Muséum. Je tiens ce fait de celui qui a reçu l’ordre de l’y laisser pénétrer. Il en a été fait de même au dépôt de la guerre pour les actes du procès de M. le duc d’Enghien, où il n’est resté que la sentence. »

Le fait est vrai ; tous les papiers diplomatiques, et notamment la correspondance de M. de Talleyrand avec l’empereur et le premier consul, furent transportés des archives du Muséum à l’hôtel de la rue Saint-Florentin ; on en détruisit une partie ; le reste fut enfoui dans un poêle où l’on oublia de mettre le feu : la prudence du ministre ne put aller plus loin contre la légèreté du prince. Les documents non brûlés furent retrouvés ; quelqu’un pense les devoir conserver : j’ai tenu dans mes mains et lu de mes yeux une lettre de M. de Talleyrand ; elle est datée du 8 mars 1804 et relative à l’arrestation, non encore exécutée, de M. le duc d’Enghien. Le ministre invite le premier consul à sévir contre ses ennemis. On ne me permit pas de garder cette lettre, j’en ai retenu seulement ces deux passages : « Si la justice oblige de punir rigoureusement, la politique exige de punir sans exception. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . J’indiquerai au premier consul M. de Caulaincourt, auquel il pourrait donner ses ordres, et qui les exécuterait avec autant de discrétion que de fidélité. »

Ce rapport du prince de Talleyrand paraîtra-t-il un jour en entier ? Je l’ignore ; mais ce que je sais, c’est qu’il existait encore il y a deux ans.

Il y eut une délibération du conseil pour l’arrestation du duc d’Enghien. Cambacérès, dans ses Mémoires inédits, affirme, et je le crois, qu’il s’opposa à cette arrestation ; mais, en racontant ce qu’il dit, il ne dit pas ce qu’on lui répliqua.

Du reste, le Mémorial de Saint-Hélène nie les sollicitations en miséricorde auxquelles Bonaparte aurait été exposé. La prétendue scène de Joséphine demandant à genoux la grâce du duc d’Enghien, s’attachant au pan de l’habit de son mari et se faisant traîner par ce mari inexorable, est une de ces inventions de mélodrame avec lesquelles nos fabliers composent aujourd’hui la véridique histoire. Joséphine ignorait, le 19 mars au soir, que le duc d’Enghien devait être jugé ; elle le savait seulement arrêté. Elle avait promis à madame de Rémusat de s’intéresser au sort du prince. Comme celle-ci revenait, le 19 au soir, à la Malmaison avec Joséphine, on s’aperçut que la future impératrice, au lieu d’être uniquement préoccupée des périls du prisonnier de Vincennes, mettait souvent la tête à la portière de sa voiture pour regarder un général mêlé à sa suite : la coquetterie d’une femme avait emporté ailleurs la pensée qui pouvait sauver la vie du duc d’Enghien. Ce ne fut que le 21 mars que Bonaparte dit à sa femme : « Le duc d’Enghien est fusillé. »

Ces Mémoires de madame de Rémusat, que j’ai connue, étaient extrêmement curieux sur l’intérieur de la cour impériale. L’auteur les a brûlés pendant les Cent-Jours, et ensuite écrits de nouveau : ce ne sont plus que des souvenirs reproduits par des souvenirs ; la couleur est affaiblie ; mais Bonaparte y est toujours montré à nu et jugé avec impartialité[22].

Des hommes attachés à Napoléon disent qu’il ne sut la mort du duc d’Enghien qu’après l’exécution du prince : ce récit paraîtrait recevoir quelque valeur de l’anecdote rapportée par le duc de Rovigo, concernant Réal allant à Vincennes, si cette anecdote était vraie[23]. La mort une fois arrivée par les intrigues du parti révolutionnaire, Bonaparte reconnut le fait accompli, pour ne pas irriter des hommes qu’il croyait puissants : cette ingénieuse explication n’est pas recevable.


En résumant maintenant ces faits, voici ce qu’ils m’ont prouvé :

Bonaparte a voulu la mort du duc d’Enghien ; personne ne lui avait fait une condition de cette mort pour monter au trône. Cette condition supposée est une de ces subtilités des politiques qui prétendent trouver des causes occultes à tout. — Cependant il est probable que certains hommes compromis ne voyaient pas sans plaisir le premier consul se séparer à jamais des Bourbons. Le jugement de Vincennes fut une affaire du tempérament violent de Bonaparte, un accès de froide colère alimenté par les rapports de son ministre.

M. de Caulaincourt n’est coupable que d’avoir exécuté l’ordre de l’arrestation.

Murat n’a à se reprocher que d’avoir transmis des ordres généraux et de n’avoir pas eu la force de se retirer : il n’était point à Vincennes pendant le jugement.

Le duc de Rovigo s’est trouvé chargé de l’exécution ; il avait probablement un ordre secret : le général Hulin l’insinue. Quel homme eût osé prendre sur lui de faire exécuter de suite une sentence à mort sur le duc d’Enghien, s’il n’eût agi d’après un mandat impératif ?

Quant à M. de Talleyrand, prêtre et gentilhomme, il inspira et prépara le meurtre en inquiétant Bonaparte avec insistance : il craignait le retour de la légitimité. Il serait possible, en recueillant ce que Napoléon a dit à Sainte-Hélène et les lettres que l’évêque d’Autun a écrites, de prouver que celui-ci a pris à la mort du duc d’Enghien une très forte part. Vainement on objecterait que la légèreté, le caractère et l’éducation du ministre devaient l’éloigner de la violence, que la corruption devait lui ôter l’énergie ; il ne demeurerait pas moins constant qu’il a décidé le consul à la fatale arrestation. Cette arrestation du duc d’Enghien, le 15 de mars, n’était pas ignorée de M. de Talleyrand : il était journellement en rapport avec Bonaparte et conférait avec lui ; pendant l’intervalle qui s’est écoulé entre l’arrestation et l’exécution, M. de Talleyrand, lui, ministre instigateur, s’est-il repenti, a-t-il dit un seul mot au premier consul en faveur du malheureux prince ? Il est naturel de croire qu’il a applaudi à l’exécution de la sentence.

La commission militaire a jugé le duc d’Enghien, mais avec douleur et repentir.

Telle est, consciencieusement, impartialement, strictement, la juste part de chacun. Mon sort a été trop lié à cette catastrophe pour que je n’aie pas essayé d’en éclaircir les ténèbres et d’en exposer les détails. Si Bonaparte n’eût pas tué le duc d’Enghien, s’il m’eût de plus en plus rapproché de lui (et son penchant l’y portait), qu’en fût-il résulté pour moi ? Ma carrière littéraire était finie ; entré de plein saut dans la carrière politique, où j’ai prouvé ce que j’aurais pu par la guerre d’Espagne, je serais devenu riche et puissant. La France aurait pu gagner à ma réunion avec l’empereur ; moi, j’y aurais perdu. Peut-être serais-je parvenu à maintenir quelques idées de liberté et de modération dans la tête du grand homme ; mais ma vie, rangée parmi celles qu’on appelle heureuses, eût été privée de ce qui en a fait le caractère et l’honneur : la pauvreté, le combat et l’indépendance.


Enfin, le principal accusé se lève après tous les autres ; il ferme la marche des pénitents ensanglantés. Supposons qu’un juge fasse comparaître devant lui le nommé Bonaparte, comme le capitaine instructeur fit comparaître devant lui le nommé d’Enghien ; supposons que la minute du dernier interrogatoire calqué sur le premier nous reste ; comparez et lisez :

À lui demandé ses nom et prénoms ?

— A répondu se nommer Napoléon Bonaparte.

À lui demandé où il a résidé depuis qu’il est sorti de France ?

— A répondu : Aux Pyramides, à Madrid, à Berlin, à Vienne, à Moscou, à Sainte-Hélène.

À lui demandé quel rang il occupait dans l’armée ?

— A répondu : Commandant à l’avant-garde des armées de Dieu. Aucune autre réponse ne sort de la bouche du prévenu.

Les divers acteurs de la tragédie se sont mutuellement chargés ; Bonaparte seul n’en rejette la faute sur personne ; il conserve sa grandeur sous le poids de la malédiction ; il ne fléchit point la tête et reste debout ; il s’écrie comme le stoïcien : « Douleur, je n’avouerai jamais que tu sois un mal ! » Mais ce que dans son orgueil il n’avouera point aux vivants, il est contraint de le confesser aux morts. Ce Prométhée, le vautour au sein, ravisseur du feu céleste, se croyait supérieur à tout, et il est forcé de répondre au duc d’Enghien qu’il a fait poussière avant le temps : le squelette, trophée sur lequel il s’est abattu, l’interroge et le domine par une nécessité du ciel.

La domesticité et l’armée, l’antichambre et la tente, avaient leurs représentants à Sainte-Hélène : un serviteur, estimable par sa fidélité au maître qu’il avait choisi, était venu se placer près de Napoléon comme un écho à son service. La simplicité répétait la fable, en lui donnant un accent de sincérité. Bonaparte était la Destinée ; comme elle, il trompait dans la forme les esprits fascinés ; mais au fond de ses impostures, on entendait retentir cette vérité inexorable : « Je suis ! » Et l’univers en a senti le poids.

L’auteur de l’ouvrage le plus accrédité sur Sainte-Hélène expose la théorie qu’inventait Napoléon au profit des meurtriers ; l’exilé volontaire tient pour parole d’Évangile un homicide bavardage à prétention de profondeur, qui expliquerait seulement la vie de Napoléon telle qu’il voulait l’arranger, et comme il prétendait qu’elle fût écrite. Il laissait ses instructions à ses néophytes : M. le comte de Las Cases apprenait sa leçon sans s’en apercevoir ; le prodigieux captif, errant dans des sentiers solitaires, entraînait après lui par des mensonges son crédule adorateur, de même qu’Hercule suspendait les hommes à sa bouche par des chaînes d’or.

« La première fois, dit l’honnête chambellan, que j’entendis Napoléon prononcer le nom du duc d’Enghien, j’en devins rouge d’embarras. Heureusement, je marchais à sa suite dans un sentier étroit, autrement il n’eût pas manqué de s’en apercevoir. Néanmoins, lorsque, pour la première fois, l’empereur développa l’ensemble de cet événement, ses détails, ses accessoires ; lorsqu’il exposa divers motifs avec sa logique serrée, lumineuse, entraînante, je dois confesser que l’affaire me semblait prendre à mesure une face nouvelle… L’empereur traitait souvent ce sujet, ce qui m’a servi à remarquer dans sa personne des nuances caractéristiques très prononcées. J’ai pu voir à cette occasion très distinctement en lui, et maintes fois, l’homme privé se débattant avec l’homme public, et les sentiments naturels de son cœur aux prises avec ceux de sa fierté et de la dignité de sa position. Dans l’abandon de l’intimité, il ne se montrait pas indifférent au sort du malheureux prince ; mais, sitôt qu’il s’agissait du public, c’était toute autre chose. Un jour, après avoir parlé avec moi du sort et de la jeunesse de l’infortuné, il termina en disant : — « Et j’ai appris depuis, mon cher, qu’il m’était favorable ; on m’a assuré qu’il ne parlait pas de moi sans quelque admiration ; et voilà pourtant la justice distributive d’ici-bas ! » — Et ces dernières paroles furent dites avec une telle expression, tous les traits de la figure se montraient en telle harmonie avec elles, que si celui que Napoléon plaignait eût été dans ce moment en son pouvoir, je suis bien sûr que, quels qu’eussent été ses intentions ou ses actes, il eût été pardonné avec ardeur… L’empereur avait coutume de considérer cette affaire sous deux rapports très distincts : celui du droit commun ou de la justice établie, et celui du droit naturel ou des écarts de la violence.

« Avec nous et dans l’intimité, l’empereur disait que la faute, au dedans, pourrait en être attribuée à un excès de zèle ; autour de lui, ou à des vues privées, ou enfin à des intrigues mystérieuses. Il disait qu’il avait été poussé inopinément, qu’on avait pour ainsi dire surpris ses idées, précipité ses mesures, enchaîné ses résultats. « Assurément, disait-il, si j’eusse été instruit à temps de certaines particularités concernant les opinions et le naturel du prince ; si surtout j’avais vu la lettre qu’il m’écrivit et qu’on ne me remit, Dieu sait par quels motifs, qu’après qu’il n’était plus, bien certainement j’eusse pardonné. » Et il nous était aisé de voir que le cœur et la nature seuls dictaient ces paroles à l’empereur, et seulement pour nous ; car il se serait senti humilié qu’on pût croire un instant qu’il cherchait à se décharger sur autrui, ou descendît à se justifier ; sa crainte à cet égard, ou sa susceptibilité, étaient telles qu’en parlant à des étrangers ou dictant sur ce sujet pour le public, il se restreignait à dire que, s’il eût eu connaissance de la lettre du prince, peut-être lui eût-il fait grâce, vu les grands avantages politiques qu’il en eût pu recueillir ; et, traçant de sa main ses dernières pensées, qu’il suppose devoir être consacrées parmi les contemporains et dans la postérité, il prononce sur ce sujet, qu’il regarde comme un des plus délicats pour sa mémoire, que si c’était à refaire, il le ferait encore. »

Ce passage, quant à l’écrivain, a tous les caractères de la plus parfaite sincérité ; elle brille jusque dans la phrase où M. le comte de las Cases déclare que Bonaparte aurait pardonné avec ardeur à un homme qui n’était pas coupable. Mais les théories du chef sont les subtilités à l’aide desquelles on s’efforce de concilier ce qui est inconciliable. En faisant la distinction du droit commun ou de la justice établie, et du droit naturel ou des écarts de la violence, Napoléon semblait s’arranger d’un sophisme dont, au fond, il ne s’arrangeait pas ! Il ne pouvait soumettre sa conscience de même qu’il avait soumis le monde. Une faiblesse naturelle aux gens supérieurs et aux petites gens, lorsqu’ils ont commis une faute, est de la vouloir faire passer pour l’œuvre du génie, pour une vaste combinaison que le vulgaire ne peut comprendre. L’orgueil dit ces choses-là, et la sottise les croit. Bonaparte regardait sans doute comme la marque d’un esprit dominateur cette sentence qu’il débitait dans sa componction de grand homme : « Mon cher, voilà pourtant la justice distributive d’ici-bas !» Attendrissement vraiment philosophique ! Quelle impartialité ! comme elle justifie, en le mettant sur le compte du destin, le mal qui est venu de nous-mêmes ! On pense tout excuser maintenant lorsqu’on s’est écrié : « Que voulez-vous ? c’était ma nature, c’était l’infirmité humaine. » Quand on a tué son père, on répète : « Je suis fait comme cela ! » Et la foule reste là bouche béante, et l’on examine le crâne de cette puissance et l’on reconnaît qu’elle était faite comme cela. Et que m’importe que vous soyez fait comme cela ! Dois-je subir cette façon d’être ? Ce serait un beau chaos que le monde, si tous les hommes qui sont faits comme cela venaient à vouloir s’imposer les uns aux autres. Lorsqu’on ne peut effacer ses erreurs, on les divinise ; on fait un dogme de ses torts, on change en religion des sacrilèges, et l’on se croirait apostat de renoncer au culte de ses iniquités.


Une grave leçon est à tirer de la vie de Bonaparte. Deux actions, toutes deux mauvaises, ont commencé et amené sa chute : la mort du duc d’Enghien, la guerre d’Espagne. Il a beau passer dessus avec sa gloire, elles sont demeurées là pour le perdre. Il a péri par le côté même où il s’était cru fort, profond, invincible, lorsqu’il violait les lois de la morale en négligeant et dédaignant sa vraie force, c’est-à-dire ses qualités supérieures dans l’ordre et l’équité. Tant qu’il ne fit qu’attaquer l’anarchie et les étrangers ennemis de la France, il fut victorieux ; il se trouva dépouillé de sa vigueur aussitôt qu’il entra dans les voies corrompues : le cheveu coupé par Dalila n’est autre chose que la perte de la vertu. Tout crime porte en soi une incapacité radicale et un germe de malheur : pratiquons donc le bien pour être heureux, et soyons justes pour être habiles.

En preuve de cette vérité, remarquez qu’au moment même de la mort du prince, commença la dissidence qui, croissant en raison de la mauvaise fortune, détermina la chute de l’ordonnateur de la tragédie de Vincennes. Le cabinet de Russie, à propos de l’arrestation du duc d’Enghien, adressa des représentations vigoureuses contre la violation du territoire de l’Empire : Bonaparte sentit le coup, et répondit, dans le Moniteur, par un article foudroyant qui rappelait la mort de Paul Ier. À Saint-Pétersbourg, un service funèbre avait été célébré pour le jeune Condé. Sur le cénotaphe on lisait : « Au duc d’Enghien quem devoravit bellua corsica. » Les deux puissants adversaires se réconcilièrent en apparence dans la suite ; mais la blessure mutuelle que la politique avait faite, et que l’insulte élargit, leur resta au cœur : Napoléon ne se crut vengé que quand il vint coucher à Moscou ; Alexandre ne fut satisfait que quand il entra dans Paris.

La haine du cabinet de Berlin sortit de la même origine : j’ai parlé de la noble lettre de M. de Laforest, dans laquelle il racontait à M. de Talleyrand l’effet qu’avait produit le meurtre du duc d’Enghien à la cour de Potsdam. Madame de Staël était en Prusse lorsque la nouvelle de Vincennes arriva. « Je demeurais à Berlin, dit-elle, sur le quai de la Sprée, et mon appartement était au rez-de-chaussée. Un matin, à huit heures, on m’éveilla pour me dire que le prince Louis-Ferdinand était à cheval sous mes fenêtres, et me demandait de venir lui parler. — « Savez-vous, me dit-il, que le duc d’Enghien a été enlevé sur le territoire de Baden, livré à une commission militaire, et fusillé vingt-quatre heures après son arrivée à Paris ? — Quelle folie ! lui répondis-je ; ne voyez-vous pas que ce sont les ennemis de la France qui ont fait circuler ce bruit ? En effet, je l’avoue, ma haine, quelque forte qu’elle fût contre Bonaparte, n’allait pas jusqu’à me faire croire à la possibilité d’un tel forfait. — Puisque vous doutez de ce que je vous dis, me répondit le prince Louis, je vais vous envoyer le Moniteur, dans lequel vous lirez le jugement. Il partit à ces mots, et l’expression de sa physionomie présageait la vengeance ou la mort. Un quart d’heure après, j’eus entre les mains ce Moniteur du 21 mars (30 pluviôse), qui contenait un arrêt de mort prononcé par la commission militaire, séant à Vincennes, contre le nommé Louis d’Enghien ! C’est ainsi que des Français désignaient le petit-fils des héros qui ont fait la gloire de leur patrie ! Quand on abjurerait tous les préjugés d’illustre naissance, que le retour des formes monarchiques devait nécessairement rappeler, pourrait-on blasphémer ainsi les souvenirs de la bataille de Lens et de celle de Rocroi ? Ce Bonaparte qui en a tant gagné, des batailles, ne sait pas même les respecter ; il n’y a ni passé ni avenir pour lui ; son âme impérieuse et méprisante ne veut rien reconnaître de sacré pour l’opinion ; il n’admet le respect que pour la force existante. Le prince Louis m’écrivait en commençant son billet par ces mots : — Le nommé Louis de Prusse fait demander à madame de Staël, etc. — Il sentait l’injure faite au sang royal dont il sortait, au souvenir des héros parmi lesquels il brûlait de se placer. Comment, après cette horrible action, un seul roi de l’Europe a-t-il pu se lier avec un tel homme ? La nécessité ! dira-t-on. Il y a un sanctuaire de l’âme où jamais son empire ne doit pénétrer ; s’il n’en était pas ainsi, que serait la vertu sur la terre ? Un amusement libéral qui ne conviendrait qu’aux paisibles loisirs des hommes privés[24] ? »

Ce ressentiment du prince, qu’il devait payer de sa vie, durait encore lorsque la campagne de Prusse s’ouvrit, en 1806. Frédéric-Guillaume, dans son manifeste du 9 octobre, dit : « Les Allemands n’ont pas vengé la mort du duc d’Enghien ; mais jamais le souvenir de ce forfait ne s’effacera parmi eux. »

Ces particularités historiques, peu remarquées, méritaient de l’être ; car elles expliquent des inimitiés dont on serait embarrassé de trouver ailleurs la cause première, et elles découvrent en même temps ces degrés par lesquels la Providence conduit la destinée d’un homme, pour arriver de la faute au châtiment.


Heureuse, du moins, ma vie qui ne fut ni troublée par la peur, ni atteinte par la contagion, ni entraînée par les exemples ! La satisfaction que j’éprouve aujourd’hui de ce que je fis alors, me garantit que la conscience n’est pas une chimère. Plus content que tous ces potentats, que toutes ces nations tombées aux pieds du glorieux soldat, je relis avec un orgueil pardonnable cette page qui m’est restée comme mon seul bien et que je ne dois qu’à moi. En 1807, le cœur encore ému du meurtre que je viens de raconter, j’écrivais ces lignes ; elles firent supprimer le Mercure et exposèrent de nouveau ma liberté :

« Lorsque, dans le silence de l’abjection, l’on n’entend plus retentir que la chaîne de l’esclave et la voix du délateur ; lorsque tout tremble devant le tyran, et qu’il est aussi dangereux d’encourir sa faveur que de mériter sa disgrâce, l’historien paraît, chargé de la vengeance des peuples. C’est en vain que Néron prospère, Tacite est déjà né dans l’empire ; il croît inconnu auprès des cendres de Germanicus, et déjà l’intègre Providence a livré à un enfant obscur la gloire du maître du monde. Si le rôle de l’historien est beau, il est souvent dangereux ; mais il est des autels comme celui de l’honneur, qui, bien qu’abandonnés, réclament encore des sacrifices ; le Dieu n’est point anéanti parce que le temple est désert. Partout où il reste une chance à la fortune, il n’y a point d’héroïsme à la tenter ; les actions magnanimes sont celles dont le résultat prévu est le malheur et la mort. Après tout, qu’importent les revers, si notre nom, prononcé dans la postérité, va faire battre un cœur généreux deux mille ans après notre vie[25] ? »

La mort du duc d’Enghien, en introduisant un autre principe dans la conduite de Bonaparte, décomposa sa correcte intelligence : il fut obligé d’adopter, pour lui servir de bouclier, des maximes dont il n’eut pas à sa disposition la force entière, car il les faussait incessamment par sa gloire et par son génie. Il devint suspect ; il fit peur ; on perdit confiance en lui et dans sa destinée ; il fut contraint de voir, sinon de rechercher, des hommes qu’il n’aurait jamais vus et, qui, par son action, se croyaient devenus ses égaux : la contagion de leur souillure le gagnait. Il n’osait rien leur reprocher, car il n’avait plus la liberté vertueuse du blâme. Ses grandes qualités restèrent les mêmes, mais ses bonnes inclinations s’altérèrent et ne soutinrent plus ses grandes qualités ; par la corruption de cette tache originelle sa nature se détériora. Dieu commanda à ses anges de déranger les harmonies de cet univers, d’en changer les lois, de l’incliner sur ses pôles : « Les anges, dit Milton, poussèrent avec effort obliquement le centre du monde… le soleil reçut l’ordre de détourner ses rênes du chemin de l’équateur… Les vents déchirèrent les bois et bouleversèrent les mers. »

  They with labor push’d
Oblique the centric globe… the sun
Was bid turn reins from th’ equinoctial road
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . (winds)
rend the woods, and seas upturn.

Les cendres de Bonaparte seront-elles exhumées comme l’ont été celles du duc d’Enghien ? Si j’avais été le maître, cette dernière victime dormirait encore sans honneurs dans le fossé du château de Vincennes. Cet excommunié eût été laissé, à l’instar de Raymond de Toulouse, dans un cercueil ouvert ; nulle main d’homme n’aurait osé dérober sous une planche la vue du témoin des jugements incompréhensibles et des colères de Dieu. Le squelette abandonné du duc d’Enghien et le tombeau désert de Napoléon à Sainte-Hélène feraient pendant : il n’y aurait rien de plus remémoratif que ces restes en présence aux deux bouts de la terre.

Du moins, le duc d’Enghien n’est pas demeuré sur le sol étranger, ainsi que l’exilé des rois : celui-ci a pris soin de rendre à celui-là sa patrie, un peu durement il est vrai ; mais sera-ce pour toujours ? La France (tant de poussières vannées par le souffle de la Révolution l’attestent) n’est pas fidèle aux ossements. Le vieux Condé dans son testament, déclare qu’il n’est pas sûr du pays qu’il habitera le jour de sa mort. Ô Bossuet ! que n’auriez-vous point ajouté au chef-d’œuvre de votre éloquence, si, lorsque vous parliez sur le cercueil du grand Condé, vous eussiez pu prévoir l’avenir !

C’est ici même, c’est à Chantilly qu’est né le duc d’Enghien : Louis-Antoine-Henri de Bourbon, né le 2 août 1772, à Chantilly, dit l’arrêt de mort. C’est sur cette pelouse qu’il joua dans son enfance : la trace de ses pas s’est effacée. Et le triomphateur de Fribourg, de Nordlingen, de Lens, de Senef, où est-il allé avec ses mains victorieuses et maintenant défaillantes ? Et ses descendants, le Condé de Johannisberg et de Berstheim ; et son fils, et son petit-fils, où sont-ils ? Ce château, ces jardins, ces jets d’eau qui ne se taisaient ni jour ni nuit, que sont-ils devenus ? Des statues mutilées, des lions dont on restaure la griffe ou la mâchoire ; des trophées d’armes sculptés dans un mur croulant ; des écussons à fleur de lis effacées ; des fondements de tourelles rasées ; quelques coursiers de marbre au-dessus des écuries vides que n’anime plus de ses hennissements le cheval de Rocroi ; près d’un manège une haute porte non achevée : voilà ce qui reste des souvenirs d’une race héroïque ; un testament noué par un cordon a changé les possesseurs de l’héritage.

À diverses reprises, la forêt entière est tombée sous la cognée. Des personnages des temps écoulés ont parcouru ces chasses aujourd’hui muettes, jadis retentissantes. Quel âge et quelles passions avaient-ils, lorsqu’ils s’arrêtaient au pied de ces chênes ? Ô mes inutiles Mémoires, je ne pourrais maintenant vous dire :

Qu’à Chantilly Condé vous lise quelquefois ;
Qu’Enghien en soit touché[26] !


Hommes obscurs, que sommes-nous auprès de ces hommes fameux ? Nous disparaîtrons sans retour : vous renaîtrez, œillet de poète, qui reposez sur ma table auprès de ce papier, et dont j’ai cueilli la petite fleur attardée parmi les bruyères ; mais nous, nous ne revivrons pas avec la solitaire parfumée qui m’a distrait.




  1. Ce livre a été écrit à Chantilly au mois de novembre 1838.
  2. Gustave IV, roi de Suède. Né en 1778, il monta sur le trône après la mort de son père Gustave III (1792). En 1809, il se vit contraint d’abdiquer, et le duc de Sudermanie, son oncle, fut proclamé roi sous le nom de Charles XIII. Gustave vécut alors à l’étranger sous le nom de comte de Holstein-Gottorp et de colonel Gustaffson, résidant alternativement en Allemagne, dans les Pays-Bas et en Suisse. Il mourut à Saint-Gall en 1837. Une des Odes de Victor Hugo lui est consacrée :

    Il avait un ami dans ses fraîches années
    Comme lui tout empreint du sceau des destinées.
    C’est ce jeune d’Enghien qui fut assassiné !
    Gustave, à ce forfait, se jeta sur ses armes ;
    Mais quand il vit l’Europe insensible à ses larmes,
    Calme et stoïque, il dit : « Pourquoi donc suis-je né ? »

  3. Il y a ici une erreur de plume. Le duc de Bourbon était le père — et non l’aïeul — du duc d’Enghien. Il faut donc lire : « Le prince de Condé mit en garde son petit-fils. » — Chose singulière ! les plus graves historiens se sont aussi trompés sur la filiation du duc d’Enghien, et peut-être chez eux n’était-ce pas simplement une erreur de plume, comme chez Chateaubriand. Au tome IV, p. 589, de l’Histoire du Consulat et de l’Empire, rappelant la lettre du 16 juin 1803, dont parle ici Chateaubriand, M. Thiers dit que le duc d’Enghien était le fils du prince de Condé. M. Lanfrey, dans son Histoire de Napoléon (T. III, p. 129), dit à son tour : « C’était le duc d’Enghien, fils du prince de Condé, jeune homme plein d’ardeur et de bravoure, toujours au premier rang dans les combats auxquels avait pris part l’armée de son père. »
  4. Ce billet du prince de Condé à son petit-fils existe en effet : « Mon cher enfant, écrivait le prince, on assure ici, depuis plus de six mois, que vous avez été faire un voyage à Paris ; d’autres disent que vous n’avez été qu’à Strasbourg… Il me semble qu’à présent vous pourriez nous confier le passé et, si la chose est vraie, ce que vous avez observé dans vos voyages… » — M. Thiers se prévaut de ces lignes pour donner comme à peu prouvés les voyages du duc d’Enghien à Strasbourg, et tout à l’heure, il ne manquera pas d’en tirer un argument en faveur de Bonaparte. Il se garde bien de faire connaître à ses lecteurs la réponse du duc d’Enghien, qu’il avait pourtant sous les yeux en même temps que le billet du prince de Condé, — réponse qui ne laisse rien subsister des insinuations de l’habile historien, j’allais dire de l’habile avocat. Voici le texte de cette réponse, datée d’Ettenheim, le 18 juillet 1803 :

    « Assurément, mon cher papa, il faut me connaître bien peu pour avoir pu dire ou chercher à faire croire que j’avais mis le pied sur le territoire républicain, autrement qu’avec le rang et la place où le hasard m’a fait naître. Je suis trop fier pour courber bassement la tête, et le Premier Consul pourra peut-être venir à bout de me détruire, mais il ne me fera pas m’humilier. On peut prendre l’incognito pour voyager dans les glaciers de la Suisse, comme je l’ai fait l’an passé, n’ayant rien de mieux à faire. Mais, pour la France, quand j’en ferai le voyage, je n’aurai pas besoin de m’y cacher. Je puis donc vous donner ma parole d’honneur la plus sacrée que pareille idée ne m’est jamais entrée et ne m’entrera jamais dans la tête. Des méchants ont pu désirer, en vous racontant ces absurdités, me donner un tort de plus à vos yeux. Je suis accoutumé à de pareils services, que l’on s’est toujours empressé de me rendre, et je suis heureux qu’ils soient enfin réduits à employer des calomnies aussi absurdes.

    « Je vous embrasse, cher papa, et vous prie de ne jamais douter de mon profond respect comme de ma tendresse. »

  5. Pierre-François, comte Réal (1765-1834), procureur au Châtelet avant la Révolution, substitut du procureur de la Commune en 1792, historiographe de la République sous le Directoire, conseiller d’État après le 18 brumaire, préfet de police pendant les Cent-Jours. Voir sur lui les Mémoires du chancelier Pasquier, I, 268, et les Mémoires de Mme de Chastenay, tome I.
  6. Jean-Jacques-Régis de Cambacérès (1753-1824), député de l’Hérault à la Convention et aux Cinq-Cents ; second consul après brumaire ; sous l’Empire, archi-chancelier, prince, duc de Parme ; aux Cent-Jours, pair et ministre de la justice.
  7. Anne-Jean-Marie-René Savary, duc de Rovigo (1774-1833), général de division (7 février 1805), créé duc (23 mai 1808), ministre de la police générale (8 juin 1810), pair aux Cent-Jours, commandant de l’armée d’Algérie (1831-1832). — Aide de camp de Desaix, il était à ses côtés, à Marengo, lorsque le général fut tué par une balle qui lui traversa le cœur. À quelques jours de là, Bonaparte l’attacha à sa personne et le promut rapidement au grade de colonel, puis à celui de général de brigade (24 août 1803). Il était donc, lors de l’exécution du duc d’Enghien, général, et non colonel, comme le dit Chateaubriand. Depuis 1802, Savary dirigeait la police particulière et de sûreté du premier Consul. — Ses Mémoires pour servir à l’histoire de Napoléon (8 volumes in-8) ont paru en 1828.
  8. Claire-Élisabeth-Jeanne Gravier de Vergennes (1780-1821), femme du comte Antoine-Laurent de Rémusat, premier chambellan de Napoléon et surintendant des théâtres. Elle-même était dame du palais de Joséphine. Outre un roman par lettres intitulé : les Lettres espagnoles, ou l’Ambitieux, roman qui est resté inédit, — elle avait composé un Essai sur l’éducation des femmes, qui parut deux ans après sa mort, en 1823, et des Mémoires, publiés en 1880 par son petit-fils, M. Paul de Rémusat. Ces Mémoires, qui forment trois volumes in-8o, vont de l’année 1802 à l’année 1808.
  9. Mémoires de Mme de Rémusat. tome I, p. 321
  10. 20 mars 1804.
  11. André-Marie-Jean-Jacques Dupin, dit Dupin aîné (1783-1865), représentant aux Cent-Jours, député de 1827 à 1848, membre de l’Assemblée Constituante de 1848 et de l’Assemblée législative de 1849, sénateur du second Empire (27 novembre 1857) ; procureur général à la Cour de cassation, d’août 1830 à janvier 1852. Il donna sa démission de ce dernier poste pour ne pas s’associer aux décrets qui prononçaient la confiscation des biens de la famille d’Orléans, mais cinq ans après, il acceptait d’être renommé procureur général, en même temps qu’il était appelé au Sénat impérial. Il était membre de l’Académie française depuis le 21 juin 1832. Ses Mémoires (4 vol. in-8o) ont paru de 1865 à 1868. — La brochure de M. Dupin, à laquelle se réfère Chateaubriand, fut publiée en 1823 sous ce titre : Pièces judiciaires et historiques relatives au procès du duc d’Enghien, avec le Journal de ce prince depuis l’instant de son arrestation ; précédées de la Discussion des actes de la commission militaire instituée en l’an XII, par le gouvernement consulaire, pour juger le duc d’Enghien, par l’auteur de l’opuscule intitulé. « De la Libre Défense des accusés. »
  12. Allusion à une abominable réponse qu’on aurait faite, dit-on, à M. le duc d’Enghien. Ch.
  13. Le général Hulin. Il avait été l’un des vainqueurs de la Bastille. Genevois d’origine, mais né à Paris vers 1759, ancien horloger, suivant les uns, engagé au régiment de Champagne, suivant d’autres, ci-devant domestique (chasseur) du marquis de Conflans, selon son propre dire consigné dans un mémoire signé de son nom, il était, en 1789, directeur de la buanderie de la Briche, près Saint-Denis. Emprisonné sous la Terreur, il prit du service après sa libération dans la première armée d’Italie, où il se fit apprécier de Bonaparte, et se trouva tout prêt à le seconder au 18 brumaire. Il était, lors de l’affaire du duc d’Enghien, commandant des grenadiers à pied de la garde des consuls. À la suite de l’exécution du prince, Bonaparte lui témoigna sa satisfaction, en le nommant successivement général de division, grand-officier de la Légion d’honneur, comte de l’Empire avec une dotation de 25 000 francs. Il était en 1812 commandant de la place de Paris, et c’est à lui qu’on doit en partie l’échec de la conspiration du général Malet. Blessé par celui-ci d’un coup de pistolet à la mâchoire, il reçut du peuple de Paris, qui l’aimait assez à cause de sa taille colossale, le petit sobriquet d’amitié de Bouffe-la-Balle. Malgré son rôle dans l’affaire du duc d’Enghien (ou peut-être à cause de ce rôle), il fut des premiers à se rallier aux Bourbons, au mois d’avril 1814. Il est vrai qu’il revint à l’Empire avec le même empressement pendant les Cent-Jours et fut alors rappelé au commandement de Paris. Banni de France en 1816, il y put rentrer trois ans après, et ne mourut qu’en 1841. (Voir les Hommes du 14 Juillet, par Victor Fournel.)
  14. Sa brochure a pour titre : « Explications offertes aux hommes impartiaux par M. le comte Hulin, au sujet de la Commission militaire instituée en l’an XII pour juger le duc d’Enghien. — 1823.
  15. On trouve de curieux détails sur ce personnage dans les Mémoires de M. de Bourrienne, tome IV, pages 190 et suivantes. En 1800, le citoyen Jacques Harel, âgé de 45 ans, capitaine à la suite de la 45e demi-brigade, aigri par la destitution qui l’avait frappé, à bout de ressources, lia partie avec Céracchi, Aréna, Topino-Lebrun, Demerville et autres mécontents, et forma avec eux le projet de tuer le Premier Consul. Effrayé bientôt d’être entré dans le complot, il se résolut à le dénoncer, et ce fut Bourrienne, alors secrétaire de Bonaparte, qui reçut ses confidences. Il ne convenait pas aux desseins du Premier Consul que cette affaire fût arrêtée dans le début ; il lui importait, au contraire, de pouvoir la présenter comme très grave. Ordre fut donné au dénonciateur de continuer ses rapports avec les conjurés. Lorsqu’il vint annoncer que ceux-ci n’avaient pas d’argent pour acheter des armes, on lui remit de l’argent. Lorsqu’il vint dire, le lendemain, que les armuriers, ne les connaissant pas, refusaient de leur remettre les armes demandées, la police leur délivra, par l’intermédiaire d’Harel, l’autorisation nécessaire. Harel comparut au procès comme témoin, et sur sa déposition Demerville, Aréna, Céracchi et Topino-Lebrun furent condamnés à mort. Pour lui, il reçut sa récompense : il fut réintégré dans les cadres de l’armée et nommé commandant du château de Vincennes. — Voir, outre les Mémoires de Bourrienne, le Procès instruit par le Tribunal criminel du département de la Seine contre Demerville, Céracchi, Aréna et autres, prévenus de conspiration contre la personne du premier Consul Bonaparte ; un volume in-8o. Pluviôse an IX.
  16. Le général Savary.
  17. La brochure de Savary, comme celles de M. Dupin et du général Hulin, parut en 1823, avec ce titre : Extrait des Mémoires du duc de Rovigo, concernant la catastrophe de M. le duc d’Enghien.
  18. Armand-Louis-Augustin, marquis de Caulaincourt (1773-1827). Il reçut de l’Empereur les fonctions de grand écuyer et le titre de duc de Vicence. Ambassadeur à Saint-Pétersbourg de 1807 à 1811, ministre des relations extérieures en 1813, il représenta la France au congrès de Châtillon (janvier 1814). Rappelé au ministère des affaires étrangères pendant les Cent-Jours, il fit, après la seconde abdication, partie de la Commission de gouvernement présidée par Fouché. — L’enlèvement du duc d’Enghien à Ettenheim fut bien moins une expédition militaire qu’un coup de main de police. Caulaincourt, à ce moment général de brigade et aide de camp du premier Consul, en fut chargé avec le général Ordener. Tous les deux prêtèrent la main au guet-apens ; mais le rôle de Caulaincourt s’aggravait ici de cette circonstance qu’il avait été page du prince de Condé, et, comme tel, élevé pendant quelque temps auprès du duc d’Enghien.
  19. Achille Roche, publiciste (1801-1834). Il fut secrétaire de Benjamin Constant. Il est l’auteur de deux ouvrages qui eurent, en leur temps, quelque succès : l’Histoire de la Révolution française, en un volume (1825) ; le Fanatisme, extrait des Mémoires d’un Ligueur (4 vol. in-12), 1827. L’écrit dont Chateaubriand cite ici quelques passages, et qui parut en 1823, est intitulé : De Messieurs le duc de Rovigo et le prince de Talleyrand, par Achille Roche.
  20. La princesse Charlotte de Rohan-Rochefort. C’était pour se rapprocher d’elle que le duc d’Enghien était venu habiter Ettenheim, où vivait la princesse, près du cardinal de Rohan, son oncle. « Elle était, dit M. Théodore Muret, dans son Histoire de l’armée de Condé, t. II, p. 252, elle était unie au duc d’Enghien par un lien sacré. Pour quel motif le prince de Condé avait-il refusé de sanctionner ce mariage ? on est à cet égard réduit aux conjectures. Quant à la naissance, il n’y avait pas dérogation, car le prince de Condé lui-même avait épousé une Rohan. La princesse, par ses qualités personnelles, était bien loin de donner prétexte à un refus. Voulut-on punir le duc d’Enghien d’avoir formé ce lien sans consulter son grand-père ? Le désir ardent de voir se perpétuer sa glorieuse race fut-il le seul argument du chef de la maison contre un lien demeuré stérile ?… Après la mort du duc d’Enghien, le duc de Bourbon offrit à la princesse Charlotte de sanctionner par un aveu tardif le mariage de son fils… Elle refusa cette offre, ne voulant pas de la fortune de celui dont on ne lui avait pas permis de porter le nom… Nous tenons de la source la plus respectable que, dans les premières années de la Restauration, la princesse Charlotte étant annoncée chez la duchesse de Bourbon, la duchesse s’avança vers elle en l’appelant ma fille. »
  21. Antoine-René-Charles-Mathurin de Laforest (1756-1846). Il était entré dans la diplomatie sous Louis XVI. Talleyrand, qui l’avait beaucoup connu aux États-Unis, où Laforest avait été consul général, le nomma, dès son entrée au ministère des relations extérieures (18 juillet 1797), chef de la direction de la comptabilité et des fonds. Sous le Consulat, il accompagna Joseph Bonaparte au congrès de Lunéville, en qualité de premier secrétaire de légation ; il fut ensuite envoyé à Munich, puis à la diète de Ratisbonne, comme chargé d’affaires extraordinaire. Il géra avec une grande habileté, au milieu des circonstances les plus difficiles, l’ambassade de Berlin, de 1805 à 1808, et celle de Madrid, de 1808 à 1813. Napoléon l’avait créé comte le 28 janvier 1808. À la chute de l’Empire, il dirigea par intérim le ministère des Affaires étrangères, du 3 avril au 12 mai 1814, et fut chargé par le roi de préparer le traité de Paris. La seconde Restauration le nomma ministre plénipotentiaire auprès des puissances alliées. Pair de France le 5 mars 1819, il devint, en 1825, ministre d’État et membre du Conseil privé. La Révolution de 1830 lui enleva ses emplois et dignités.
  22. M. Paul de Rémusat raconte en ces termes comment les premiers Mémoires de sa grand’mère furent jetés au feu : « Le lendemain même du jour où le débarquement de Napoléon était public, Mme de Nansouty (Alix de Vergennes, mariée au général de Nansouty) était accourue chez sa sœur, tout effrayée et troublée des récits qu’on lui faisait, des persécutions auxquelles seraient exposés les ennemis de l’empereur, vindicatif et tout-puissant. Elle lui dit qu’on allait exercer toutes les inquisitions d’une police rigoureuse, que M. Pasquier craignait d’être inquiété, et qu’il fallait se débarrasser de tout ce que la maison pouvait contenir de suspect. Ma grand’mère, qui d’elle-même peut-être n’y eût pas pensé, se troubla en songeant que chez elle on trouverait un manuscrit tout fait pour compromettre son mari, sa sœur, son beau-frère, ses amis. Elle poursuivait en effet dans le plus grand secret, depuis bien des années, peut-être depuis son entrée à la cour, des Mémoires écrits chaque jour sous l’impression des événements et des conversations. Elle y racontait presque tout ce qu’elle avait vu et entendu… Elle songea à Mme Chéron, femme du préfet de ce nom, très ancienne et fidèle amie, qui avait déjà gardé ce dangereux manuscrit, et elle courut la chercher. Malheureusement Mme Chéron était absente, et ne devait de longtemps rentrer. Que faire ? Ma grand’mère rentra tout émue et, sans réflexion ni délai, jeta dans le feu tous ses cahiers. » Préface des Mémoires, p. 75.
  23. Voir l’Appendice no XI : Le conseiller Réal et l’anecdote du duc de Rovigo.
  24. Mme de Staël, Dix années d’exil, p. 98.
  25. Ces lignes sont extraites de l’article publié par Chateaubriand, dans le Mercure du 4 juillet 1807, sur le Voyage pittoresque et historique en Espagne, par M. Alexandre de Laborde. — Chateaubriand reviendra, dans le tome suivant, sur cet article du Mercure.
  26. Boileau, Épître VII, À M. Racine.