Mémoires d'un père pour servir à l'instruction de ses enfants (LDB, 1891)/IX

Texte établi par Maurice Tourneux,  (2p. 324-378).

LIVRE IX





Monsieur de Marigny, raccommodé avec sa femme, abrégeoit son voyage de Fontainebleau pour aller avec elle à Ménars. Il désiroit que je fusse de ce voyage ; sa femme m’en prioit encore plus instamment que lui. Confident de leur brouillerie, j’espérois pouvoir contribuer à leur réconciliation ; et, par reconnoissance pour lui autant que par amitié pour elle, je consentis à les accompagner. « Vous ne pouvez croire, Monsieur, m’écrivoit-il de Fontainebleau, le 12 octobre 1767, tout le plaisir que vous me faites de venir à Ménars. Il me seroit permis d’être un peu jaloux de celui que Mme de Marigny m’en a témoigné. »

Ma présence ne leur fut pas inutile dans ce voyage. Il s’éleva entre eux plus d’un nuage qu’il fallut dissiper. Sur la route même, en parlant avec éloge de sa femme, M. de Marigny voulut attribuer les torts qu’elle avoit eus à la comtesse de Séran ; mais la jeune femme, qui avoit du caractère, se refusa à cette excuse. « Je n’ai eu, lui dit-elle, aucun tort avec vous, et vous étiez injuste de m’en attribuer ; mais vous l’êtes bien plus encore d’en supposer à mon amie. » Et, à quelques mots trop amers et trop légers qui lui échappèrent sur cette amie absente : « Respectez-la, Monsieur, lui dit sa femme ; vous le devez pour elle, vous le devez pour moi, et je veux bien vous dire que vous ne l’offenserez jamais sans me blesser au cœur. »

Il est vrai que, dans l’intimité de ces deux femmes, tout le soin de Mme de Séran s’employoit à inspirer à son amie de la douceur, de la complaisance, et, s’il étoit possible, de l’amour pour un homme qui avoit, lui disoit-elle, des qualités aimables, et dont il ne falloit que tempérer la violence et adoucir l’humeur pour en faire un très bon mari.

Un peu de force et de fierté ne laissoit pas d’être nécessaire avec un homme qui, ayant lui-même de la franchise et du courage, estimoit dans un caractère ce qui étoit analogue au sien. Nous prîmes donc avec lui le ton d’une raison douce, mais ferme, et je remplis si bien entre eux l’office de conciliateur qu’en les quittant je les laissai d’un bon accord ensemble. Mais j’en avois assez vu, et surtout assez appris dans les confidences que me faisoit la jeune femme, pour juger que ces deux époux, en s’estimant l’un l’autre, ne s’aimeroient jamais.

Au printemps suivant, je fus encore de leur voyage en Touraine. Dans celui-ci, j’eus le plaisir de voir M. de Marigny pleinement réconcilié avec Mme de Séran ; hormis quelques momens d’humeur jalouse sur l’intimité des deux femmes, il fut assez aimable entre elles. À mon égard, il étoit si content de m’avoir pour médiateur qu’il m’offrit, en pur don, pour ma vie, auprès de Ménars, une jolie maison de campagne. Un petit bosquet, un jardin, un ruisseau de l’eau la plus pure, une retraite délicieuse située au bord de la Loire, rien de plus séduisant ; mais ce don étoit une chaîne, et je n’en voulois point porter.

À mon retour, ce fut à Maisons que je me rendis. Cette retraite avoit pour moi des charmes ; j’aimois tout ce qui l’habitoit, et je me flattois d’y être aimé. Je n’aurois pas été plus libre et plus à mon aise chez moi. Lorsque quelqu’un de mes amis vouloit me voir, il venoit à Maisons, et il y étoit bien reçu. Le comte de Creutz étoit celui qui s’y plaisoit le plus et qu’on y goûtoit davantage, parce qu’avec les qualités les plus rares du côté de l’esprit, il étoit simple et bon.

Un bosquet près d’Alfort étoit le lieu de repos de nos promenades. Là, son âme se dilatoit et se déployoit avec moi. Les sentimens dont il étoit rempli, les tableaux que l’observation et l’étude de la nature avoient tracés dans sa mémoire, et dont son imagination étoit comme une riche et vaste galerie ; les hautes pensées que la méditation lui avoit fait concevoir, et que son esprit répandoit dans le mien avec abondance, soit qu’il parlât de politique ou de morale, des hommes ou des choses, des sciences ou des arts, me tenoient des heures entières attentif et comme enchanté. Sa patrie et son roi, la Suède et Gustave, objets de son idolâtrie, étoient les deux sujets dont il m’entretenoit le plus éloquemment et avec le plus de délices. L’enthousiasme avec lequel il m’en faisoit l’éloge s’emparoit si bien de mes esprits et de mes sens que volontiers je l’aurois suivi au delà de la mer Baltique.

L’un de ses goûts les plus passionnés étoit l’amour de la musique, et la bienfaisance étoit l’âme de toutes ses autres vertus.

Un jour il vint me conjurer, au nom de notre amitié, de tendre la main à un jeune homme qui étoit, disoit-il, au désespoir et sur le point de se noyer, si je ne le sauvois. « C’étoit un musicien, ajouta-t-il, plein de talent, et qui ne demande qu’un joli opéra-comique pour faire fortune à Paris. Il vient de l’Italie ; il a fait à Genève quelques essais. Il arrivoit avec un opéra fait sur l’un de vos contes (les Mariages samnites) ; les directeurs de l’Opéra l’ont entendu, et ils l’ont refusé. Ce malheureux jeune homme est sans ressource ; je lui ai avancé quelques louis ; je ne puis faire plus ; et, pour dernière grâce, il m’a prié de le recommander à vous. »

Jusque-là je n’avois rien fait qui approchât de l’idée que je croyois avoir conçue d’un poème françois analogue à la musique italienne ; je ne croyois pas même en avoir le talent ; mais, pour plaire au comte de Creutz, j’aurois entrepris l’impossible.

J’avois sur ma table, dans ce moment, un conte de Voltaire (l’Ingénu) ; je pensai qu’il pouvoit me fournir le canevas d’un petit opéra-comique. « Je vais, dis-je au comte de Creutz, voir si je puis le mettre en scène, et en tirer des sentimens et des peintures qui soient favorables au chant. Revenez dans huit jours, et amenez-moi ce jeune homme. »

La moitié de mon poème étoit faite lorsqu’ils arrivèrent. Grétry en fut transporté de joie, et il alla commencer son ouvrage, tandis que j’achevois le mien. Le Huron[1] eut un plein succès ; et Grétry, plus modeste et plus reconnoissant qu’il ne l’a été dans la suite, ne trouvant pas sa réputation assez bien établie encore, me supplia de ne pas l’abandonner. Ce fut alors que je fis Lucile[2].

Par le succès encore plus grand qu’eut celle-ci, je m’aperçus que le public étoit disposé à goûter un spectacle d’un caractère analogue à celui de mes Contes ; et, avec un musicien et des acteurs en état de répondre à mes intentions, voyant que je pouvois former des tableaux dont les couleurs et les nuances seroient fidèlement rendues, je pris moi-même un goût très vif pour cette espèce de création : car je puis dire qu’en relevant le caractère de l’opéra-comique, j’en créois un genre nouveau. Après Lucile, je fis Sylvain[3] ; après Sylvain, l’Ami de la maison[4], et Zémire et Azor[5] ; et nos succès à l’un et à l’autre allèrent toujours en croissant. Jamais travail ne m’a donné des jouissances plus pures. Mes acteurs de prédilection, Clairval, Caillot, Mme La Ruette, étoient les maîtres de leur théâtre. Mme La Ruette nous donnoit à dîner. Là je lisois mon poème, et Grétry chantoit sa musique. L’un et l’autre étant approuvés dans ce petit conseil, tout se préparoit pour mettre l’ouvrage au théâtre ; et, après deux ou trois répétitions, il étoit donné.

La sincérité de nos acteurs à notre égard étoit parfaite ; soit pour leurs rôles, soit pour leur chant, ils savoient ce qu’il leur falloit ; et ils avoient un pressentiment des effets plus infaillible que nous-mêmes. Pour moi, je n’hésitois jamais à déférer à leurs avis ; quelquefois même ils m’accusoient d’être trop docile à les suivre. Par exemple, dans l’intervalle de Lucile à Sylvain, j’avois fait un opéra-comique en trois actes de celui de mes Contes qui a pour titre le Connoisseur. J’en fis lecture au petit comité. Grétry en fut charmé, Mme La Ruette et Clairval applaudirent ; mais Caillot fut froid et muet. Je le pris en particulier. « Vous n’êtes pas content, lui dis-je ; parlez-moi librement, que pensez-vous de ce que vous venez d’entendre ? Je pense, me dit-il, que ce n’est qu’un diminutif de la Métromanie ; que le ridicule du bel esprit n’est pas assez piquant pour un parterre comme le nôtre, et que cet ouvrage pourroit bien n’avoir aucun succès. » Alors, revenant vers la cheminée où étoit notre monde : « Madame, et vous, Messieurs, leur dis-je, nous sommes tous des bêtes ; Caillot seul a raison », et je jetai mon manuscrit au feu. Ils s’écrièrent que Caillot me faisoit faire une folie. Grétry en pleura de douleur ; et, en s’en allant avec moi, il me parut si désolé qu’en le quittant j’avois la tristesse dans l’âme.

L’impatience de le tirer de l’état où je l’avois vu m’ayant empêché de dormir, le plan et les premières scènes de Sylvain furent le fruit de cette insomnie. Le matin je les écrivois, quand je vis arriver Grétry. « Je n’ai pas fermé l’œil de la nuit, me dit-il. Ni moi non plus, lui dis-je. Asseyez-vous et m’écoutez. » Je lui lus mon plan et deux scènes. « Pour le coup, ajoutai-je, me voilà sûr de ma besogne, et je vous réponds du succès. » Il se saisit des deux premiers airs, et il s’en alla consolé.

Ainsi s’employoient mes loisirs, et le produit d’un travail léger augmentoit tous les ans ma petite fortune ; mais elle n’étoit pas assez considérable pour que Mme Gaulard eût pu y voir un établissement convenable à sa nièce ; elle lui donna donc un autre mari, comme je l’ai dit ; et bientôt cette société, que j’avois cultivée avec tant de soin, fut rompue. Un autre incident me jeta dans des sociétés nouvelles.

Il étoit naturel que l’aventure de Bélisaire eût un peu refroidi Mme Geoffrin sur mon compte, et que, plus ostensiblement tournée à la dévotion, elle eût quelque peine à loger chez elle un auteur censuré. Dès que je pus m’en apercevoir, je prétextai l’envie d’être logé plus commodément. « Je suis bien fâchée, me dit-elle, de n’avoir rien de mieux à vous offrir ; mais j’espère qu’en ne logeant plus chez moi, vous n’en serez pas moins du nombre de mes amis, et des dîners qui les rassemblent. » Après cette audience de congé, je fis mes diligences pour sortir de chez elle ; et un logement fait à souhait pour moi me fut offert, par la comtesse de Séran, dans un hôtel que le roi lui avoit donné. Ceci me fait reprendre le fil de son roman.

À son retour d’Aix-la-Chapelle, le roi l’avoit reçue mieux que jamais, sans oser davantage. Cependant le mystère de leurs rendez-vous et de leurs tête-à-tête n’avoit pas échappé aux yeux vigilans de la cour ; et le duc de Choiseul, résolu d’éloigner du roi toute femme qui ne lui seroit pas affidée, s’étoit permis contre celle-ci quelques propos légers et moqueurs. Dès qu’elle en fut instruite, elle voulut lui imposer silence. Elle avoit pour ami La Borde, banquier de la cour, dévoué au duc de Choiseul, auquel il devoit sa fortune. Ce fut chez lui et devant lui qu’elle eut une entrevue avec le ministre. « J’ai, Monsieur le duc, lui dit-elle, une grâce à vous demander, mais auparavant je veux vous engager à me rendre justice. Vous parlez de moi fort légèrement, je le sais ; vous croyez que je suis du nombre des femmes qui aspirent à posséder le cœur du roi, et à prendre sur son esprit un crédit qui vous fait ombrage. J’aurois pu me venger de vos propos ; j’aime mieux vous détromper. Le roi désiroit de me voir, je ne me suis pas refusée à ce désir ; nous avons eu des entretiens particuliers et une relation assidue. Vous savez tout cela, mais ce que vous ne savez pas, les lettres du roi vont vous l’apprendre. Lisez, vous y verrez un excès de bonté, mais autant de respect pour moi que de tendresse, et rien dont je doive rougir. J’aime le roi, ajouta-t-elle, je l’aime comme un père, je donnerois pour lui ma vie ; mais, tout roi qu’il est, il n’obtiendra jamais de moi que je le trompe, ni que je m’avilisse en lui accordant ce que mon cœur ne peut ni ne veut lui donner. »

Le duc de Choiseul, après avoir lu les lettres qu’elle lui avoit remises, voulut se jeter à ses pieds. « Pardon, Madame, lui dit-il, je suis coupable, je l’avoue, d’en avoir trop cru l’apparence. Le roi a bien raison : vous n’êtes que trop admirable, Maintenant dites-moi ce que vous demandez et à quoi peut vous être bon le nouvel ami que vous venez de vous attacher pour la vie. — Je suis, lui dit-elle, au moment de marier ma sœur à un militaire estimable. Ni mes parens ni moi ne sommes en état de lui faire une dot.

— Eh bien ! Madame, il faut, lui dit-il, que le roi prenne soin de doter mademoiselle votre sœur, et je vais obtenir pour elle, sur le trésor royal, une ordonnance de deux cent mille livres. — Non, Monsieur le duc, non ; nous ne voulons, ni ma sœur ni moi, d’un argent que nous n’avons pas gagné et ne gagnerons point. Ce que nous demandons est une place que M. de La Barthe a méritée par ses services ; et la seule faveur que nous sollicitons, c’est qu’il l’obtienne par préférence à d’autres militaires qui auroient le même droit que lui d’y prétendre et de l’obtenir. » Cette faveur lui fut aisément accordée ; mais tout ce que le roi put lui faire accepter pour elle-même fut le don de ce petit hôtel où elle m’offroit un logement.

Comme j’allois m’y établir, je me vis obligé d’en préférer un autre ; et voici par quel incident. Mon ancienne amie, Mlle Clairon, ayant quitté le théâtre, et pris une maison assez considérable à la descente du Pont-Royal, désiroit de m’avoir chez elle. Elle me savoit engagé avec Mme de Séran ; mais, comme elle la connoissoit bonne et sensible, elle l’alla trouver à mon insu ; et, avec son éloquence théâtrale, elle lui raconta les indignités qu’elle avoit essuyées de la part des gentilshommes de la chambre, et la brutale ingratitude dont le public avoit payé ses services et ses talens. Dans sa retraite solitaire, sa plus douce consolation auroit été d’avoir auprès d’elle son ancien ami. Elle avoit un appartement commode à me louer ; elle étoit bien sûre que je l’accepterois si je n’étois pas engagé à occuper celui que madame la comtesse avoit eu la bonté de m’offrir. Elle la supplioit d’être assez généreuse pour rompre elle-même cet engagement, et pour exiger de moi que j’allasse loger chez elle. « Vous êtes environnée, Madame, lui dit-elle, de tous les genres de bonheur, et moi je n’ai plus que celui que je puis trouver dans la société assidue et intime d’un ami véritable. Par pitié, ne m’en privez pas. »

Mme de Séran fut touchée de sa prière. Elle me soupçonna d’y avoir donné mon consentement ; je l’assurai que non. En effet, le logement qu’elle faisoit accommoder pour moi et à ma bienséance m’auroit été plus agréable ; j’y aurois été plus libre et à deux pas de l’Académie. Cette proximité seule auroit été pour moi d’un prix inestimable dans les mauvais temps de l’année, durant lesquels j’aurois le Pont-Royal à traverser si je logeois chez Mlle Clairon. Je n’eus donc pas de peine à persuader à Mme de Séran qu’à tous égards c’étoit un sacrifice qui m’étoit demandé. « Eh bien ! dit-elle, il faut faire ce sacrifice ; Mlle Clairon a sur vous des droits que je n’ai pas. »

J’allai donc loger chez mon ancienne amie, et, dès les premiers jours, je m’aperçus qu’à l’exception d’une petite chambre sur le derrière, mon appartement étoit inhabitable pour un homme d’étude, à cause du bruit infernal des carrosses et des charrettes sur l’arcade du pont, qui étoit à mon oreille : c’est le passage le plus fréquent de la pierre et du bois qu’on amène à Paris. Ainsi, nuit et jour, sans relâche, le broiement des pavés d’une route escarpée sous les roues de ces charrettes et sous les pieds des malheureux chevaux qui ne traînoient qu’en grimpant, les cris effroyables des charretiers, le bruit plus perçant de leurs fouets, réalisoient pour moi ce que Virgile dit du Tartare :


Hinc exaudiri gemitus, et sæva sonare
Verbera : tum stridor ferri, tractæque catenæ.


Mais, quelque affligeante que fût pour moi cette incommodité, je n’en témoignai rien à ma chère voisine ; et, autant qu’il étoit possible que j’en fusse dédommagé par les agrémens de la société la plus aimable et la mieux choisie, je le fus tout le temps qu’elle et moi habitâmes cette maison.

Elle y voyoit souvent la duchesse de Villeroi, fille du duc d’Aumont, et qui, dans le temps que son père me poursuivoit, m’avoit vivement témoigné le regret de le voir injuste, et de ne pouvoir l’adoucir.

Un soir qu’elle venoit de quitter ma voisine, je fus surpris d’entendre celle-ci me dire : « Eh bien, Marmontel, vous n’avez jamais voulu me nommer l’auteur de la parodie de Cinna ; je le connois enfin » ; et elle me nomma Cury (alors Cury, sa mère et son fils, étoient morts). « Et qui vous l’a dit ? lui demandai-je avec surprise. — Une personne qui le sait bien, la duchesse de Villeroi. Elle sort d’ici, et vous avez été l’objet de sa visite. Son père demande à vous voir. — Moi ! son père ! le duc d’Aumont ! — Il veut vous consulter sur les spectacles qu’il est chargé de donner à la cour pour le mariage du Dauphin. « Mais mon père, m’a-t-elle dit, voudroit que Marmontel ne lui parlât point du passé. — Assurément, lui ai-je répondu, Marmontel ne lui en parlera point ; mais lui, Madame, n’a-t-il rien à lui dire sur le regret d’avoir été si cruellement injuste envers lui, car je puis vous répondre qu’il l’a été vraiment ? — Je le sais bien, m’a-t-elle dit, et mon père le sait bien lui-même. La parodie de Cinna étoit de Cury ; La Ferté nous l’a dit ; il la lui avoit entendu lire ; mais, tant que ce malheureux a vécu, il n’a pas voulu le trahir. »

Je fus obligé de convenir de ce qu’avoit dit La Ferté ; et, curieux de voir quelle seroit vis-à-vis de moi la contenance d’un homme condamné par sa propre conscience, j’acceptai l’entrevue et me rendis chez lui.

Je le trouvai avec ce même La Ferté, intendant des Menus-Plaisirs, examinant sur une table le plan d’un feu d’artifice. Dès qu’il me vit entrer, il congédia La Ferté ; et, avec une vivacité qui déguisoit son trouble, il me conduisit dans sa chambre. Là, d’une main tremblante, il avance une chaise, et, d’un air empressé, il m’invite à m’asseoir. La duchesse de Villeroi avoit dit à Mlle Clairon que, pour les fêtes de la cour, son père étoit dans l’embarras. Ce mot me revint dans la tête, et, pour engager l’entretien : « Eh bien ! lui dis-je, Monsieur le duc, vous êtes donc bien embarrassé ? » À ce début, je le vis pâlir, mais heureusement j’ajoutai : « pour vos spectacles de la cour » ; et il se remit du saisissement que lui avoit causé l’équivoque. « Oui, me dit-il, très embarrassé, et je vous serois obligé si vous vouliez m’aider à me tirer de peine. » Il babilla beaucoup sur les difficultés d’une pareille commission ; nous parcourûmes les répertoires ; il parut goûter mes conseils, et finit par me demander si, dans mon portefeuille, je n’aurois pas moi-même quelque ouvrage nouveau. Il avoit entendu parler de Zémire et Azor ; il me pria de lui en faire entendre la lecture ; j’y consentis, mais pour lui seul. Ce fut l’objet d’un second tête-à-tête ; mais, comme son érudition s’étendoit jusqu’aux Contes des Fées, ayant reconnu dans mon sujet celui de la Belle et la Bête : « Il m’est impossible, dit-il, de donner ce spectacle au mariage du Dauphin : on prendroit cela pour une épigramme. » C’étoit lui-même qui l’avoit faite, et je lui en gardai le secret. Ce qu’il y a de remarquable dans nos deux entretiens, c’est que cette âme foible et vaine n’eut pas le courage de me témoigner le regret de m’avoir fait une injustice, et le désir, au moins stérile, de trouver l’occasion de la réparer.

Dans ce temps-là le prince royal de Suède[6] fit un voyage à Paris ; il s’étoit pris déjà d’une affection très vive pour l’auteur de Bélisaire, et avoit bien voulu être en relation de lettres avec moi. Il désira de me voir souvent et en particulier. Je lui fis ma cour ; et, lorsqu’il apprit la mort du roi son père, je fus le seul étranger qu’il reçut dans les premiers momens de sa douleur. Je puis dire avoir vu en lui l’exemple rare d’un jeune homme assez sage pour s’affliger sincèrement et profondément d’être roi. « Quel malheur, me dit-il, de me voir à mon âge chargé d’une couronne et d’un devoir immense que je me sens hors d’état de remplir ! Je voyageois pour acquérir les connoissances dont j’avois besoin, et me voilà interrompu dans mes voyages, obligé de m’en retourner sans avoir eu le temps de m’instruire, de voir, de connoître les hommes, et avec eux tout commerce intime, toute relation fidèle et sûre m’est interdite désormais. Il faut que je dise un adieu éternel à l’amitié et à la vérité. — Non, Sire, lui dis-je, la vérité ne fuit que les rois qui la rebutent et qui ne veulent pas l’entendre. Vous l’aimez, elle vous suivra ; la sensibilité de votre cœur, la franchise de votre caractère, vous rend digne d’avoir des amis ; vous en aurez. — Les hommes n’en ont guère ; les rois n’en ont jamais, répliqua-t-il. — En voici un, lui dis-je (en lui montrant le comte de Creutz, qui dans un coin lisoit une dépêche), en voici un qui ne vous manquera jamais. Oui, c’en est un, me dit-il, et j’y compte ; mais il ne sera point avec moi mes affaires m’obligent de le laisser ici. »

Ce petit dialogue donne une idée de mes entretiens avec ce jeune prince, dont j’étois tous les jours plus charmé. Après avoir entendu quelques lectures des Incas, il m’en fit demander par son ministre une copie manuscrite ; et depuis, lorsque l’ouvrage fut imprimé, il me permit de le lui dédier.

Dans cette même année, je fis à Croix-Fontaine un voyage bien agréable, mais qui finit par être bien malheureux pour moi. Il régnoit de ce côté-là, tout le long de la Seine, une fièvre putride d’une dangereuse malignité. À Saint-Port et à Sainte-Assise, plusieurs personnes en étoient mortes, et à Croix-Fontaine un grand nombre de domestiques en étoient attaqués. Ceux qui n’en étoient point atteints servoient leurs camarades ; le mien ne s’y épargnoit pas, et moi-même j’allois assez souvent visiter les malades, acte d’humanité au moins très inutile. Cependant je croyois encore être en pleine santé, lorsqu’on m’écrivit de Paris de me rendre à l’Académie pour la réception de l’archevêque de Toulouse[7], assemblée que le roi de Suède devoit honorer de sa présence.

Le lendemain de mon arrivée à Paris, je me sentis comme assommé. J’assistai cependant à l’assemblée de l’Académie ; j’y lus même quelques morceaux de mon ouvrage des Incas, mais d’une voix éteinte, sans expression, sans vigueur. J’eus du succès ; mais on s’aperçut avec inquiétude de l’abattement où j’étois. Le soir, la fièvre me saisit. Mon domestique se sentit frappé en même temps que moi, et l’un et l’autre nous fûmes quarante jours entre la vie et la mort. Ce fut la première maladie dont Bouvart me guérit. Il prit de moi les soins d’un ami tendre, et Mlle Clairon, dans ma convalescence, eut pour moi les plus touchantes attentions : elle étoit ma lectrice, et les rêveries des Mille et une Nuits étoient la seule lecture que mon foible cerveau pût soutenir.

Peu de temps après, l’Académie perdit Duclos[8] ; et, à sa mort, la place d’historiographe de France me fut donnée sans aucune sollicitation de ma part. Voici d’où me vint cette grâce.

Tandis que je logeois encore chez Mme Geoffrin, un homme de la société de Mlle Clairon, et dont je connoissois la loyauté et la franchise, Garville, vint me voir et me dit : « Dans des voyages que j’ai faits en Bretagne, lorsque le duc d’Aiguillon y étoit commandant, je l’ai vu et j’ai eu lieu de le connoître. Je suis instruit et convaincu que le procès qui lui est intenté n’est qu’une affaire de parti et d’intrigue ; mais, quelque bonne que soit sa cause, le crédit des États et du parlement de Bretagne fait qu’à Paris même il ne peut trouver un avocat ; le seul qui ait osé se charger de le défendre est un enfant perdu, un jeune homme dont le talent n’est pas formé, mais qui tente fortune. Il s’appelle Linguet. Il a fait un mémoire dont le duc est très mécontent. C’est une déclamation ampoulée, un amas informe de phrases ridiculement figurées ; il n’y a pas moyen de publier un verbiage aussi indécent. Le duc m’en a témoigné sa douleur. Je lui ai conseillé d’avoir recours à quelque homme de lettres. « Les gens de lettres, m’a-t-il dit, sont tous prévenus contre moi ; ils sont mes ennemis. » Je lui ai répondu que j’en connoissois un qui n’étoit ennemi que de l’injustice et du mensonge, et je vous ai nommé. Il m’a embrassé en me disant que je lui rendrois le plus grand service si je vous engageois à travailler à son mémoire. Je viens vous en prier, vous en conjurer de sa part. Monsieur, répondis-je à Garville, ma plume ne se refusera jamais à la défense d’une bonne cause. Si celle de M. le duc d’Aiguillon est telle que vous le dites, il peut compter sur moi. Qu’il me confie ses papiers. Après les avoir lus, je vous dirai plus positivement si je puis travailler pour lui. Mais dites-lui que le même zèle que j’emploierai à le défendre, je l’emploierois de même à défendre l’homme du peuple qui, en pareil cas, auroit recours à moi, et, en m’acquittant de ce devoir, j’y mettrai deux conditions : l’une, que le secret me sera gardé ; l’autre, qu’il ne sera jamais question, de lui à moi, de remerciemens ni de reconnoissance ; je ne veux pas même le voir. »

Garville lui rendit fidèlement cette réponse, et le lendemain il m’apporta son mémoire avec ses papiers. Dans ses papiers je crus voir, en effet, que le procès qui lui étoit intenté n’étoit qu’une persécution suscitée par des animosités personnelles. Quant au mémoire, le trouvant tel qu’on me l’avoit annoncé, je le refondis. En conservant tout ce qui étoit raisonnablement bien, j’y mis de l’ordre et de la clarté. J’en élaguai les broussailles d’un style hérissé de métaphores incohérentes, et je substituai à ce langage outré l’expression simple et naturelle. Cette correction de détails y fit seule un changement heureux ; car c’étoit surtout par le style que ce mémoire étoit choquant et ridicule. Cependant j’y ajoutai quelques morceaux de ma main, comme l’exorde, où Linguet avoit mis une arrogance impertinente, et la conclusion, où il avoit négligé de ramasser les forces de sa preuve et de ses moyens.

Quand le duc d’Aiguillon vit ma besogne, il en fut très content. Il fit venir Linguet : « J’ai lu votre mémoire, lui dit-il, et j’y ai fait quelques changemens que je vous prie d’adopter. » Linguet en prit lecture, et, bouillant de fureur : « Non, Monsieur le duc, lui dit-il, non ce n’est pas vous, c’est un homme de l’art qui a mis la main à mon ouvrage. Vous m’avez fait une injure mortelle ; vous voulez me déshonorer, mais je ne suis l’écolier de personne ; personne n’a le droit de me corriger. Je ne signe que mon ouvrage, et cet ouvrage n’est plus le mien. Cherchez un avocat qui veuille être le vôtre ; ce ne sera plus moi. » Et il alloit sortir. Le duc d’Aiguillon le retint. Il se voyoit à sa merci, car nul autre avocat ne vouloit signer ses mémoires. Il lui permit donc de construire celui-ci comme il l’entendroit. Toutes les pages qui étoient de moi en furent retranchées. Linguet refit lui-même l’exorde et la conclusion, mais il laissa subsister l’ordre que j’avois mis dans tout le reste ; il n’y rétablit aucune des bizarreries de style que j’avois effacées : ainsi, en rebutant mon travail, il en profita. Cependant il n’eut point de repos qu’il n’eût découvert de quelle main étoient les corrections faites à son mémoire ; et, l’ayant su, je ne sais comment, il fut dès lors mon ennemi le plus cruel. Un journal qu’il fit dans la suite fut inondé du venin de la rage dont il écumoit à mon nom.

Pour le duc d’Aiguillon, il sentit vivement le bien que j’avois fait à son mémoire, en dépit de son avocat, et il pressa Garville de me mener chez lui, afin qu’il eût au moins, disoit-il, la satisfaction de me remercier lui-même. Après m’être longtemps refusé à ses invitations, je m’y rendis enfin, et j’allai dîner une fois chez lui. Depuis, je ne l’avois point vu, quand je reçus ce billet de sa main :

Je viens, Monsieur, de demander pour vous au roi la place d’historiographe de France, vacante par la mort de M. Duclos. Sa Majesté vous l’a accordée. Je m’empresse de vous l’annoncer. Venez remercier le roi.

Cette marque de faveur, dont la cause étoit inconnue, fit taire mes ennemis à la cour ; et le duc de Duras, qui n’avoit pas sur la Belle et la Bête le même scrupule que le duc d’Aumont, me demanda en 1771 Zémire et Azor pour le spectacle de Fontainebleau. Il y eut un succès inouï, mais ce ne fut pas sans avoir couru le risque d’y être bafoué. L’Ami de la maison, qui fut donné la même année à ce spectacle, y fut très froidement reçu. Dès que j’en eus senti la cause, j’y remédiai, et il eut à Paris même succès que Zémire et Azor. Ce sont de bien petites choses ; mais, comme elles m’ont intéressé, elles auront aussi quelque intérêt pour mes enfans.

Lorsque Zémire et Azor fut annoncé à Fontainebleau, le bruit courut que c’étoit le conte de la Belle et la Bête mis sur la scène, et que le principal personnage y marcheroit à quatre pattes. Je laissois dire, et j’étois tranquille. J’avois donné, pour les décorations et pour les habits, des programmes très détaillés, et je ne doutois pas que mes intentions n’eussent été remplies. Mais le tailleur ni le décorateur ne s’étoient donné la peine de lire mes programmes, et, d’après le conte de la Belle et la Bête, ils avoient fait leurs dispositions. Mes amis étoient inquiets sur le succès de mon ouvrage. Grétry avoit l’air abattu ; Clairval lui-même, qui avoit joué de si bon cœur tous mes autres rôles, témoignoit de la répugnance à jouer celui-ci. Je lui en demandai la raison. « Comment voulez-vous, me dit-il, que je rende intéressant un rôle où je serai hideux ? — Hideux lui dis-je, vous ne le serez point. Vous serez effrayant au premier coup d’œil, mais, dans votre laideur, vous aurez de la noblesse, et même de la grâce. — Voyez donc, me dit-il, l’habit de bête qu’on me prépare, car on m’en a dit des horreurs. » Nous étions à la veille de la représentation ; il n’y avoit pas un moment à perdre. Je demandai qu’on me montrât l’habit d’Azor. J’eus bien de la peine à obtenir du tailleur cette complaisance. Il me disoit d’être tranquille, et de m’en rapporter à lui ; mais j’insistai, et le duc de Duras, en lui ordonnant de me mener au magasin, eut la bonté de m’y accompagner. « Montrez, dit dédaigneusement le tailleur à ses garçons, montrez l’habit de la bête à Monsieur. » Que vis-je ? un pantalon tout semblable à la peau d’un singe, avec une longue queue rase, un dos pelé, d’énormes griffes aux quatre pattes, deux longues cornes au capuchon, et le masque le plus difforme avec des dents de sanglier. Je fis un cri d’horreur, en protestant que ma pièce ne seroit point jouée avec ce ridicule et monstrueux travestissement. « Qu’auriez-vous donc voulu ? me demanda fièrement le tailleur. — J’aurois voulu, lui répondis-je, que vous eussiez lu mon programme ; vous auriez vu que je vous demandois un habit d’homme, et non pas de singe. — Un habit d’homme pour une bête ? — Et qui vous a dit qu’Azor soit une bête ? — Le conte me le dit. — Le conte n’est point mon ouvrage ; et mon ouvrage ne sera point mis au théâtre que tout cela ne soit changé. — Il n’est plus temps. — Je vais donc supplier le roi de trouver bon que ce hideux spectacle ne lui soit point donné ; je lui en dirai la raison. » Alors mon homme se radoucit et me demanda ce qu’il falloit faire. « La chose du monde la plus simple, lui répondis-je, un pantalon tigré, la chaussure et les gants de même, un doliman de satin pourpre, une crinière noire ondée et pittoresquement éparse, un masque effrayant, mais point difforme, ni ressemblant à un museau. » On eut bien de la peine à trouver tout cela, car le magasin étoit vide ; mais, à force d’obstination, je me fis obéir ; et, quant au masque, je le formai moi-même de pièces rapportées de plusieurs masques découpés.

Le lendemain matin, je fis essayer à Clairval ce vêtement ; et, en se regardant au miroir, il le trouva imposant et noble. « À présent, mon ami, lui dis-je, votre succès dépend de la manière dont vous entrerez sur le théâtre. Si l’on vous voit confus, timide, embarrassé, nous sommes perdus ; mais, si vous vous montrez fièrement, avec assurance, en vous dessinant bien, vous en imposerez ; et, ce moment passé, je vous réponds du reste. »

La même négligence avec laquelle j’avois été servi par ce tailleur impertinent, je l’avois retrouvée dans le décorateur ; et le tableau magique, le moment le plus intéressant de la pièce, il le faisoit manquer, si je n’avois pas suppléé à sa maladresse. Avec deux aunes de moire d’argent pour imiter la glace du trumeau, et deux aunes de gaze claire et transparente, je lui appris à produire l’une des plus agréables illusions du théâtre.

Ce fut ainsi que, par mes soins, au lieu de la chute honteuse dont j’étois menacé, j’obtins le plus brillant succès. Clairval joua son rôle comme je le voulois. Son entrée fière et hardie ne fit que l’impression d’étonnement qu’elle devoit faire, et dès lors je fus rassuré. J’étois dans un coin de l’orchestre, et j’avois derrière moi un banc de dames de la cour. Lorsque Azor, à genoux aux pieds de Zémire, lui chanta :


Du moment qu’on aime,
L’on devient si doux,
Et je suis moi-même
Plus tremblant que vous,


j’entendis ces dames qui disoient entre elles : Il n’est déjà plus laid, et, l’instant d’après : Il est beau.

Je ne dois pas dissimuler que le charme de la musique contribuoit merveilleusement à produire de tels effets. Celle de Grétry étoit alors ce qu’elle n’a été que bien rarement après moi, et il ne sentoit pas assez avec quel soin je m’occupois à lui tracer le caractère, la forme et le dessin d’un chant agréable et facile. En général, la fatuité des musiciens est de croire ne rien devoir à leur poète ; et Grétry, avec de l’esprit, a eu cette sottise au suprême degré.

Quant à l’Ami de la maison, ma complaisance pour Mme La Ruette, mon actrice, fut la cause du peu de succès que cet ouvrage eut à la cour. J’aurois voulu d’abord donner le rôle de l’Ami de la maison à Caillot ; je l’avois fait pour lui ; il l’auroit joué supérieurement bien, j’en étois sûr ; mais il le refusa pour une raison singulière. « Cette situation, me dit-il, ressemble trop à celle où nous nous trouvons quelquefois ; et ce caractère est aussi trop semblable à celui qu’on nous attribue. Si je jouois l’Ami de la maison comme vous l’entendez et comme je le sens, aucune mère ne voudroit plus me laisser auprès de sa fille. — Et Tartufe, lui dis-je, ne le joueriez-vous pas ? — Tartufe, me dit-il, n’est pas si près de nous ; et l’on ne craint pas, dans le monde, que nous soyons des Tartufes. »

Rien ne put vaincre sa répugnance pour un rôle qui lui feroit, disoit-il, d’autant plus de tort qu’il l’auroit mieux joué. Cependant j’avois observé que La Ruette le convoitoit, et je m’aperçus que sa femme pensoit qu’après Caillot je ne pouvois le donner qu’à lui. Grétry pensoit de même ; je me laissai aller je m’en repentis dès les premières répétitions. Ce rôle demandoit de la jeunesse, de la vivacité, du brillant dans la voix, de la finesse dans le jeu. Le bon La Ruette, avec sa figure vieillotte et sa voix tremblante et cassée, y étoit fort déplacé. Il l’éteignit et l’attrista ; comme il étoit mal à son aise, il ne s’y livra pas même à son naturel il fit manquer toutes les scènes.

De son côté, Mme La Ruette, qui avoit un peu de pruderie[9], se persuadant que la finesse et la malice que j’avois mises dans le rôle d’Agathe n’étoient pas convenables à une si jeune personne, avoit cru devoir émousser cette pointe d’espièglerie ; elle y avoit substitué un certain air sévère et réservé qui ôtait au rôle toute sa gentillesse.

Ainsi tout mon ouvrage avoit été dénaturé. Heureusement La Ruette reconnut lui-même que le rôle de Cléon ne lui convenoit ni pour le jeu ni pour le chant, et je trouvai, au même théâtre, un nommé Julien, moins difficile que Caillot, et plus jeune que La Ruette, avec une voix brillante, une action vive, une tournure leste. Nous nous mîmes, Grétry et moi, à lui montrer son rôle, et il parvint à le chanter et à le jouer assez bien.

Mme La Ruette étoit peu disposée à entendre ce que j’avois à lui dire ; je lui dis cependant : « Madame, nous serons froids si nous voulons être trop sages ; faites-moi la grâce de jouer le rôle d’Agathe au naturel. Son innocence n’est pas celle d’Agnès, mais c’est encore de l’innocence ; et, comme elle n’emploie sa finesse et sa malice qu’à se jouer du fourbe qui cherche à la séduire, croyez qu’on lui en saura gré. » Son rôle eut le plus grand succès, et la pièce, qu’on redemanda à Versailles (en 1772), y parut si changée qu’on ne la reconnoissoit pas je n’y avois pourtant rien changé.

Ce ne fut que trois ans après que je donnai la Fausse Magie[10] ; et, quoique le succès n’en fût pas d’abord aussi brillant que celui des deux autres, il n’a pas été moins durable. Depuis plus de vingt ans qu’on la revoit fréquemment remise au théâtre, le public ne s’en lasse point. Il est vrai cependant que ces petits ouvrages ont perdu de leur lustre et la fleur de leur agrément en perdant les acteurs pour lesquels je les avois faits.

La même année (1772), j’eus à la cour une apparence de succès d’un autre genre, et bien plus sensible pour moi : ce fut l’effet que mon épître au roi sur l’incendie de l’Hôtel-Dieu[11] obtint ou parut obtenir. Ma vanité n’y étoit pour rien, mais l’impression vive et profonde que j’avois faite, me disoit-on, alloit changer le sort de ces pauvres malades dont j’avois fait entendre les gémissemens et les plaintes ; et, pour la première fois de ma vie, je croyois voir en moi un bienfaiteur de l’humanité. J’en étois glorieux, j’aurois donné mon sang pour que l’événement eût couronné mon œuvre ; mais je n’ai pas eu ce bonheur.

L’Ode à la louange de Voltaire est à peu près de la même date. Voici quelle en fut l’occasion. La société de Mlle Clairon étoit plus nombreuse et plus brillante que jamais. La conversation y étoit vive, surtout quand la poésie en étoit le sujet ; et l’homme de lettres y avoit pour interlocuteurs des gens du monde d’un goût exquis et d’un esprit très cultivé. Ce fut dans l’un de ces entretiens qu’en parlant des poètes lyriques je dis que l’ode ne pouvoit plus avoir parmi nous le caractère de vérité et de dignité qu’elle avoit dans la Grèce, par la raison que les poètes n’avoient plus le même ministère à remplir ; que les bardes seuls, dans les Gaules, avoient eu ce grand caractère, parce qu’ils étoient, par l’État, chargés de célébrer la gloire des héros.

« Et aujourd’hui, me demanda-t-on, qui empêche le poète de revêtir ce caractère antique, et de le consacrer à ce ministère public ? » Je répondis que, s’il y avoit, comme autrefois, des fêtes, des solennités, où le poète fût entendu, la pompe de ces grands spectacles lui élèveroit l’âme et le génie. Pour exemple, je supposai l’apothéose de Voltaire, et, sur un grand théâtre, au pied de sa statue, Mlle Clairon récitant des vers à la louange de cet homme illustre. « Croyez-vous, demandai-je, que l’ode destinée à cet éloge solennel ne prît pas, dans l’esprit et dans l’âme du poète, un ton plus vrai, plus animé, que celle qu’il compose froidement dans son cabinet ? » Je vis que cette idée faisoit son impression, et Mlle Clairon surtout en parut vivement émue. De là me vint le projet de faire, pour essai, cette ode que vous trouverez dans le recueil de mes poésies.

En la lisant, Mlle Clairon sentit que son talent y pouvoit suppléer au mien, et voulut bien prêter encore à mes vers le charme de l’illusion qu’elle savoit si bien répandre.

Un soir donc que la société étoit assemblée dans son salon, et qu’elle avoit fait dire qu’on l’attendît, comme nous parlions de Voltaire, tout à coup un rideau se lève, et, à côté du buste de ce grand homme, Mlle Clairon, vêtue en prêtresse d’Apollon, une couronne de laurier à la main, commence à réciter cette ode avec l’air de l’inspiration et du ton de l’enthousiasme. Cette petite fête eut, depuis, le mérite d’en faire imaginer une plus, solennelle, et dont Voltaire fut témoin.

Peu de temps après, le comte de Valbelle, amant de Mlle Clairon, enrichi par la mort de son frère aîné, étant allé jouir de sa fortune dans la ville d’Aix en Provence, et le prince d’Anspach s’étant pris de belle passion pour notre princesse de théâtre, elle fut obligée de prendre une maison plus ample et plus commode que celle où nous logions ensemble. Ce fut alors que j’allai occuper, chez la comtesse de Séran, l’appartement qui m’étoit réservé, et ce fut là que M. Odde vint passer une année avec moi.

J’aurois voulu me retirer avec lui à Bort ; et, pour cela, j’avois en vue un petit bien à deux pas de la ville, où je me serois fait bâtir une cellule. Heureusement ce bien fut porté à un prix si haut qu’il passoit mes moyens, et il fallut y renoncer. Je me laissai donc aller encore à la société de Paris, et surtout à celle des femmes, mais résolu à me préserver de toute liaison qui pût altérer mon repos.

Je faisois ma cour à la comtesse de Séran aussi assidûment qu’il m’étoit possible sans lui être importun. Elle avoit la bonté de vouloir que j’allasse passer le printemps avec elle en Normandie, dans son petit château de La Tour[12], qu’elle embellissoit. Je l’y accompagnai. Que n’aurois-je pas quitté pour elle ? Tout ce que peut avoir de charme l’amitié d’une femme et sa société la plus intime, sans amour, je le trouvois auprès de celle-ci. Certainement, s’il eût été possible d’être amoureux sans espérance, je l’aurois été de Mme de Séran ; mais elle me marquoit la limite des sentimens qu’elle avoit pour moi et de ceux qu’il m’étoit permis d’avoir pour elle avec tant d’ingénuité qu’il n’arrivoit pas même à mes désirș d’aller au delà.

J’étois aussi lié d’amitié pure et simple avec des femmes qui, sur le déclin de leur âge, n’avoient pas cessé d’être aimables, et dont Fontenelle auroit dit : On voit bien que l’amour a passé par là. Je n’avois pas pour elles cette vénération qui n’est réservée qu’à la vertu ; mais elles m’inspiroient un sentiment de bienveillance qui ne m’y attachoit guère moins, et qui les flattoit davantage. J’étois touché de voir la beauté vieillissante s’attrister devant son miroir de n’y plus retrouver ses charmes. Celle de mes amies qui s’affligeoit le plus de cette perte irréparable, c’étoit Mme de L. P***#1. Elle me rappeloit, dans sa mélancolie, ces paroles d’une beauté célèbre dans la Grèce, suspendant son miroir au temple de sa divinité :


Je le donne à Vénus, puisqu’elle est toujours belle ;
Je leIl redouble trop mes ennuis.
Je ne saurois me voir dans ce miroir fidèle,
Ni telle que je fus, ni telle que je suis.


Le cœur le plus sensible, le plus délicat, le plus aimant, étoit celui de Mme de L. P***. Sans avoir [13] la prétention de la dédommager de ce que les ans lui avoient fait perdre, je cherchois à l’en consoler par tous les soins d’un ami raisonnable et tendre ; et, comme un malade docile, elle acceptoit tous les soulagemens que lui présentoit ma raison. Elle avoit même prévenu mes conseils en essayant de faire diversion à ses ennuis par le goût de l’étude, et ce goût charmoit nos loisirs.

Dans le premier éclat de sa beauté, personne ne s’étoit douté qu’elle eût autant d’esprit qu’elle en avoit reçu de la nature. Elle l’ignoroit elle-même. Tout occupée de ses autres charmes, et ne rêvant qu’à ses plaisirs, sa mollesse et son indolence laissoient comme endormie au fond de sa pensée une foule de perceptions délicates, fines et justes, qui s’y étoient logées, pour ainsi dire, à son insu, et qui, dans le triste loisir qu’elle avoit eu enfin de se les rappeler, sembloient éclore en foule et comme d’elles-mêmes. Je les voyois dans nos entretiens se réveiller et se répandre avec beaucoup de grâce et de facilité. Elle suivoit, par complaisance, mes études et mon travail ; elle m’aidoit dans mes recherches ; mais, tandis que son esprit s’occupoit, son cœur étoit vide ; c’étoit là son tourment. Toute sa sensibilité se porta vers notre amitié mutuelle, et, renfermée dans les limites des seuls sentimens qui convenoient à son âge et au mien, elle n’en devint que plus vive. Soit à Paris, soit à la campagne, j’étois le plus assidu qu’il m’étoit possible auprès d’elle. Je quittois même assez souvent pour elle des sociétés où, par goût, je me serois plu davantage, et je faisois pour l’amitié ce que bien rarement j’avois fait pour l’amour ; mais personne au monde ne m’aimoit autant que Mme de L. P***, et, quand je m’étois dit : « Tout le reste du monde se passe de moi sans regret », je ne balançois plus à tout abandonner pour elle. Mes sociétés philosophiques et littéraires étoient les seules dont elle ne fût point jalouse ; par toute autre dissipation je l’affligeois, et le reproche m’en étoit d’autant plus sensible qu’il étoit plus discret, plus timide et plus doux.

Dans ce temps-là mes occupations se partageoient entre l’histoire et l’Encyclopédie. Je m’étois fait un point d’honneur et de délicatesse de remplir dignement mes fonctions d’historiographe, en rédigeant avec soin des mémoires pour les historiens à venir. Je m’adressai aux personnages les plus considérables de ce temps-là pour tirer de leurs cabinets des instructions relatives au règne de Louis XV, par où je voulois commencer, et je fus moi-même étonné de la confiance qu’ils me marquèrent. Le comte de Maillebois me livra tous les papiers de son père et les siens. Le marquis de Castries m’ouvrit son cabinet, où étoient les mémoires du maréchal de Belle-Isle ; le comte de Broglio m’initia dans les mystères de ses négociations, secrètes ; le maréchal de Contades me traça de sa main le plan de sa campagne et le désastre de Minden. J’avois besoin des confidences du maréchal de Richelieu, mais j’étois en disgrâce auprès de lui, comme tous les gens de lettres de l’Académie. Le hasard fit ma paix, et c’est encore une des circonstances où l’occasion, pour me servir, est venue au-devant de moi.

Une amie particulière du maréchal de Richelieu, se trouvant avec moi dans une maison de campagne, me dit qu’il étoit bien étrange qu’un Richelieu et qu’un homme de l’importance de celui-ci essuyât des désagrémens et des dégoûts à l’Académie françoise. « En effet, lui dis-je, Madame, rien de plus étrange ; mais qui en est la cause ? » Elle me nomma d’Alembert, qui avoit pris, disoit-elle, le maréchal en aversion. Je répondis a que l’ennemi du maréchal à l’Académie n’étoit point d’Alembert, mais celui qui cherchoit à l’aigrir contre d’Alembert et contre tous les gens de lettres.

« Savez-vous, Madame, ajoutai-je, quels sont les gens qui animent contre l’Académie celui qui est fait pour y être honoré et chéri ? Ce sont des académiciens qui n’y ont eux-mêmes aucune considération, et qui sont furieux contre elle. C’est l’avocat général Séguier, le dénonciateur des gens de lettres au Parlement ; c’est Paulmy, ce sont quelques autres intrus, qui, mécontens d’un corps où ils sont déplacés, voudroient, avec Séguier ; notre ennemi, former un parti redoutable. Voilà les gens qui tâchent d’aliéner de nous l’esprit du maréchal, pour l’avoir à leur tête et nous nuire par son crédit. Quelle gloire pour lui que de servir ces haines et ces petites vanités ! Vous voyez ce qui lui en arrive. Il obtient que le roi refuse d’approuver l’élection de deux hommes irréprochables. L’Académie réclame contre ce refus, et le roi, détrompé, consent qu’aux deux premières places qui viendront à vaquer ces mêmes hommes soient élus. C’est donc ce qu’on appelle un coup d’épée dans l’eau. Non, Madame, le véritable parti d’un Richelieu à l’Académie, le seul digne de monsieur le maréchal, c’est le parti des gens de lettres. »

Elle trouva que j’avois raison ; et, quelques jours après, le maréchal étant venu dîner à la même campagne, son amie voulut qu’il causât avec moi. Je lui répétai à peu près les mêmes choses, quoiqu’en termes plus doux, et, à l’égard de d’Alembert « Monsieur le maréchal, lui dis-je, d’Alembert vous croit l’ennemi des gens de lettres et l’ami de Séguier, leur dénonciateur, voilà pourquoi il ne vous aime pas ; mais d’Alembert est un bon homme, et jamais le sentiment de la haine n’a pris racine dans son cœur. Il a épousé l’Académie. Aimez sa femme comme vous en aimez tant d’autres, et venez la voir quelquefois ; il vous en saurą gré et vous recevra bien, comme font tant d’autres maris. »

Le maréchal fut content de moi ; et, lorsqu’à la place de l’abbé Delille et de Suard, refusés par le roi, il fallut élire deux autres académiciens, je fus invité à dîner chez lui le jour de l’élection. À ce dîner, je trouvai Séguier, Paulmy, Bissy, l’évêque de Senlis[14]. Leur parti n’étoit pas nombreux ; et, quand il auroit eu quelques voix clandestines, le nôtre étoit formé et lié de façon à être sûr de prévaloir. Je ne fis donc pas semblant de croire que nous fussions là pour parler d’élections académiques, et, comme à un dîner de joie et de plaisir, amenant dès la soupe les propos qui rioient le plus au maréchal, je le mis en train de causer de l’ancienne galanterie, des jolies femmes de son temps, des mœurs de la Régence, que sais-je enfin ? du théâtre, et surtout des actrices : si bien que le dîner se passa sans qu’il fût dit un seul mot de l’Académie. Ce ne fut qu’au sortir de table que l’évêque de Senlis, me tirant à l’écart, me demanda quel choix nous allions faire. Je répondis loyalement que je croyois tous les vœux réunis en faveur de Bréquigny et de Beauzée. Le maréchal, qui étoit venu nous joindre, se fit expliquer le mérite littéraire de ces messieurs, et, après m’avoir entendu : « Eh bien, dit-il, voilà deux hommes estimables ; il faut nous réunir pour eux. — Puisque telle est votre intention, lui dis-je, Monsieur le maréchal, voulez-vous permettre que j’aille en instruire l’Académie ? Ce sont des paroles de paix qu’elle entendra avec plaisir. — Allez, me dit-il, et prenez dans la cour l’un de mes carrosses ; nous vous suivrons de près.

— Mon ami, dis-je à d’Alembert, ils viennent se réunir à nous ; le maréchal vous fait les avances de bonne grâce ; il faut le recevoir de même. » En effet, il fut bien reçu ; l’élection fut unanime ; et, depuis ce jour-là jusqu’à sa mort, il eut pour moi mille bontés. Ainsi ses portefeuilles furent à ma disposition.

J’avois en même temps, pour les affaires de la Régence, le manuscrit original des Mémoires de Saint-Simon, que l’on m’avoit permis de tirer du dépôt des Affaires étrangères, et dont je fis d’amples extraits ; mais ces extraits et le dépouillement des dépêches et des mémoires qui me venoient en foule auroient été bientôt aussi ennuyeux que fatigans pour moi, si je n’avois pas eu, par intervalles, quelque occupation littéraire moins pénible et plus de mon goût. L’entreprise d’un supplément de l’Encyclopédie, en quatre volumes in-folio, me procura ce délassement.

Il faut savoir qu’après la publication du septième volume de l’Encyclopédie, la suite ayant été interrompue par un arrêt du Parlement, on n’y avoit travaillé qu’en silence et entre un petit nombre de coopérateurs dont je n’étois pas. Un laborieux compilateur, le chevalier de Jaucourt, s’étoit chargé de la partie littéraire et l’avoit travaillée à sa manière, qui n’étoit pas la mienne. Lors donc qu’à force de constance et de sollicitations, l’on obtint que la totalité de l’ouvrage fût mise au jour, et que le projet du supplément eut été formé, l’un des intéressés, Robinet, vint me voir, et me proposa de reprendre ma besogne où je l’avois laissée. « Vous n’avez, me dit-il, commencé qu’au troisième volume ; vous avez cessé au septième ; tout le reste est d’une autre main. Pendent opera interrupta. Nous venons vous prier d’achever votre ouvrage. »

Comme j’étois occupé de l’histoire, je répondis « qu’il m’étoit impossible de m’engager dans un autre travail. — Au moins, me dit-il, laissez-nous annoncer que, dans ce supplément, vous donnerez quelques articles. — Je le ferai, lui dis-je, si j’en ai le loisir ; c’est tout ce que je puis promettre. » Quelque temps après il revint à la charge, et avec lui le libraire Panckoucke. Ils me dirent que, pour mettre en règle les comptes de leur entreprise, il leur falloit savoir quelle seroit, pour les gens de lettres, la rétribution du travail, et qu’ils venoient savoir ce que je voulois pour le mien. « Que puis-je demander, leur dis-je, moi qui ne promets rien, qui ne m’engage à rien ? — Vous ferez pour nous ce qu’il vous plaira, me dit Panckoucke ; promettez seulement de nous donner quelques articles, et qu’il nous soit permis d’insérer cette promesse dans notre prospectus, nous vous donnerons pour cela quatre mille livres et un exemplaire du supplément. » Ils étoient bien sûrs que je me piquerois de répondre à leur confiance. J’y répondis si bien que, dans la suite, ils m’avouèrent que j’avois passé leur attente. Mais reprenons le fil des événemens de ma vie, que mille accidens varioient.

La mort du roi venoit de produire un changement considérable à la cour, dans le ministère, et singulièrement dans la fortune de mes amis.

M. Bouret s’étoit ruiné à bâtir et à décorer pour le roi le pavillon de Croix-Fontaine, et le roi croyoit l’en payer assez en l’honorant, une fois l’année, de sa présence dans un de ses rendez-vous de chasse, honneur qui coûtoit cher encore au malheureux, obligé ce jour-là de donner à toute la chasse un dîner pour lequel rien n’étoit épargné.

J’avois gémi plus d’une fois de ses profusions, mais le plus libéral, le plus imprévoyant des hommes avoit, pour ses véritables amis, le défaut de ne jamais vouloir écouter leurs avis sur l’article de sa dépense. Cependant il avoit achevé d’épuiser son crédit en bâtissant sur les Champs-Élysées cinq ou six maisons à grands frais, lorsque le roi mourut sans avoir seulement pensé à le sauver de sa ruine ; et, cette mort le laissant noyé de dettes, sans ressource et sans espérance, il prit, je crois, la résolution de se délivrer de la vie on le trouva mort dans son lit. Il fut, pour son malheur, imprudent jusqu’à la folie ; il ne fut jamais malhonnête.

Mme de Séran fut plus sage. N’ayant plus, à la mort du roi, aucune perspective de faveur et de protection, ni pour elle ni pour ses enfans, elle fit un emploi solide de l’unique bienfait qu’elle avoit accepté ; le nouveau directeur des Bâtimens, le comte d’Angiviller, lui ayant proposé de céder, pour lui, son hôtel à un prix convenable, elle y consentit[15]. Ainsi nous fûmes délogés l’un et l’autre, en 1776, trois ans après qu’elle m’eut accordé cette heureuse hospitalité.

L’avènement du nouveau roi à la couronne fut suivi de son sacre dans l’église de Reims.

En qualité d’historiographe de France, il me fut enjoint d’assister à cette cérémonie auguste. Je ne répéterai point ici ce que j’en ai dit dans une lettre qui fut imprimée à mon insu, et que j’ai depuis insérée dans la collection de mes œuvres[16] ; elle est une foible peinture de l’effet de ce grand spectacle sur cinquante mille âmes que j’y vis rassemblées. Quant à ce qui m’est personnel, jamais rien ne m’a tant ému.

Au reste, j’eus, dans ce voyage, tous les agrémens que ma place pouvoit m’y procurer, et je crus les devoir à la manière honorable dont le maréchal de Beauvau[17], capitaine des gardes en exercice, et mon confrère à l’Académie françoise, eut la bonté de me traiter.

De toutes les femmes que j’ai connues, celle dont la politesse a le plus de naturel et de charmes, c’est la maréchale de Beauvau[18] : elle mit, ainsi que son époux, une attention délicate et marquée à donner l’exemple de celles qu’ils vouloient que l’on eût pour moi ; et cet exemple fut suivi. Sensible aux marques de leur bienveillance, je l’ai depuis cultivée avec soin. Le caractère du maréchal n’étoit pas aussi attrayant que celui de sa femme ; cependant jamais cette dignité froide qu’on lui reprochoit ne m’a gêné un moment avec lui. J’étois persuadé que, dans toute autre condition, son air, ses manières, son ton, auroient été les mêmes, et, en m’accommodant avec ce qui me sembloit être son naturel, je le trouvois honnête et bon, obligeant, serviable même sans se faire valoir.

Pour sa femme, aujourd’hui sa veuve, je ne crois pas qu’il y ait sous le ciel de caractère plus aimable ni plus accompli que le sien. C’est bien elle qu’on peut appeler justement et sans ironie la femme qui a toujours raison ; mais la justesse, la netteté, la clarté inaltérable de son esprit, est accompagnée de tant de douceur, de simplicité, de modestie et de grâce, qu’elle nous fait aimer la supériorité même qu’elle a sur nous. Il semble qu’elle nous communique son esprit, qu’elle associe nos idées avec les siennes, et nous fasse participer à l’avantage qu’elle a toujours de penser si juste et si bien.

Son grand art, comme son attention la plus continuelle, étoit d’honorer son époux, de le faire valoir, de s’effacer pour le mettre à sa place, et pour lui céder l’intérêt, la considération, les respects qu’elle s’attiroit. À l’entendre, c’étoit toujours à M. de Beauvau qu’on devoit rapporter tout le bien qu’on louoit en elle. Observez, mes enfans, qu’elle n’y perdoit rien, qu’elle n’en étoit même que plus honorée, et que ce lustre réfléchi qu’elle prêtoit au caractère de son époux ne faisoit que donner au sien plus de relief et plus d’éclat. Jamais femme n’a mieux senti la dignité de ses devoirs d’épouse, et ne les a remplis avec plus de noblesse[19].

Ma lettre sur la cérémonie du sacre, publiée et distribuée à la cour par l’intendant de Champagne, y avoit produit l’effet d’un tableau qui retraçoit aux yeux du roi et de la reine un jour de gloire et de bonheur. C’étoit pour moi, dans leur esprit, un commencement de bienveillance. La reine, quelque temps après, me témoigna quelque bonté. Chez elle, sur un petit théâtre, elle voulut faire jouer Sylvain et l’Ami de la maison. Ce petit spectacle fit un plaisir sensible ; et, en passant devant moi, la reine me dit, de l’air le plus aimable : Marmontel, cela est charmant. Mais ces présages de faveur ne tardèrent pas à être démentis à l’occasion des deux musiques.

Sous le feu roi, l’ambassadeur de Naples avoit persuadé à la cour de faire venir d’Italie un habile musicien pour relever le théâtre de l’Opéra françois, qui, depuis longtemps, menaçoit ruine, et qu’on soutenoit avec peine aux dépens du trésor public. La nouvelle maîtresse, Mme du Barry, avoit adopté cette idée, et notre ambassadeur à la cour de Naples, le baron de Breteuil, avoit été chargé de négocier l’engagement de Piccini, pour venir s’établir en France, avec deux mille écus de gratification annuelle, à condition de nous donner des opéras françois.

À peine fut-il arrivé que mon ami, l’ambassadeur de Naples, le marquis de Caraccioli, vint me le recommander, et me prier de faire pour lui, me disoit-il, au grand Opéra, ce que j’avois fait pour Grétry au théâtre de l’Opéra-Comique.

Dans ce temps-là même étoit arrivé d’Allemagne le musicien Gluck, aussi fortement recommandé à la jeune reine par l’empereur Joseph, son frère, que si le succès de la musique allemande avoit eu l’importance d’une affaire d’État. On avoit composé à Vienne, sur le canevas d’un ballet de Noverre, un opéra françois de l’Iphigénie en Aulide. Gluck en avoit fait la musique ; et cet opéra, par lequel il avoit débuté en France, avoit eu le plus grand succès. La jeune reine s’étoit déclarée en faveur de Gluck ; et Piccini, qui, en arrivant, le trouvoit établi dans l’opinion publique, à la ville comme à la cour, non seulement n’avoit pour lui personne, mais à la cour il avoit contre lui l’odieuse étiquette de musicien protégé par la maîtresse du feu roi, et à la ville il avoit pour ennemis tous les musiciens françois, à qui la musique allemande étoit plus facile à imiter que la musique italienne, dont ils désespéroient de prendre le style et l’accent.

Si j’avois eu un peu de politique, je me serois rangé du côté où étoit la faveur ; mais la musique protégée ne ressembloit non plus, dans ses formes tudesques, à ce que j’avois entendu de Pergolèse, de Léo, de Buranello, etc., que le style de Crébillon ne ressemble à celui de Racine ; et, préférer le Crébillon au Racine de la musique, c’eût été un effort de dissimulation que je n’aurois pu soutenir.

D’ailleurs, je m’étois mis dans la tête de transporter sur nos deux théâtres la musique italienne ; et l’on a vu que, dans le comique, j’avois assez bien commencé. Ce n’est pas que la musique de Grétry fût de la musique italienne par excellence ; elle étoit encore loin d’atteindre à cet ensemble qui nous ravit dans celle des grands compositeurs ; mais il avoit un chant facile, du naturel dans l’expression, des airs et des duos agréablement dessinés, quelquefois même dans l’orchestre un heureux emploi d’instrumens ; enfin, du goût et de l’esprit assez pour suppléer à ce qui lui manquoit du côté de l’art et du génie ; et, si sa musique n’avoit pas tout le charme et toute la richesse de celle de Piccini, de Sacchini, de Paësiello, elle en avoit le rythme, l’accent, la prosodie : j’avois donc démontré qu’au moins dans le comique la langue françoise pouvoit avoir une musique du même style que la musique italienne.

Il me restoit à faire la même épreuve dans le tragique, et le hasard m’en offroit l’occasion. Le problème étoit plus difficile à résoudre, mais par d’autres raisons que celles qu’on imaginoit.

La langue noble est moins favorable à la musique : 1° en ce qu’elle n’a pas des tours aussi vifs, aussi accentués, aussi dociles à l’expression du chant que la langue comique ; 2° en ce qu’elle a moins d’étendue, d’abondance et de liberté dans le choix de l’expression. Mais une bien plus grande difficulté naissoit pour moi de l’idée que j’avois conçue du poème lyrique et de la forme théâtrale que j’aurois voulu lui donner. J’en avois fait avec Grétry la périlleuse tentative dans l’opéra de Céphale et Procris. En divisant l’action en trois tableaux, l’un voluptueux et brillant : le palais de l’Aurore, son réveil, ses amours, les plaisirs de sa cour céleste ; l’autre sombre et terrible le complot de la Jalousie et ses poisons versés dans l’âme de Procris ; le troisième touchant, passionné, tragique : l’erreur de Céphale et la mort de son épouse percée de ses traits et expirante entre ses bras, je croyois avoir rempli l’idée d’un spectacle intéressant ; mais, n’ayant pas réussi dans ce coup d’essai, et m’attribuant en partie notre disgrâce, ma défiance de moi-même alloit jusqu’à la frayeur.

Le sentiment de ma propre foiblesse, et la bonne opinion que j’avois du célèbre compositeur qu’on m’avoit donné dans Piccini, me firent donc imaginer de prendre les beaux opéras de Quinault, d’en élaguer les épisodes, les détails superflus ; de les réduire à leurs beautés réelles, d’y ajouter des airs, des duos, des monologues en récitatif obligé, des chœurs en dialogue et en contraste ; de les accommoder ainsi à la musique italienne, et d’en former un genre de poème lyrique plus varié, plus animé, plus simple, moins décousu dans son action, et infiniment plus rapide que l’opéra italien.

Dans Métastase même, que j’étudiois, que j’admirois comme un modèle de l’art de dessiner les paroles du chant, je voyois des longueurs et des vides insupportables. Ces doubles intrigues, ces amours épisodiques, ces scènes détachées et si multipliées, ces airs presque toujours perdus, comme on l’a dit, en cul-de-lampe au bout des scènes, tout cela me choquoit. Je voulois une action pleine, pressée, étroitement liée, dans laquelle les situations, s’enchaînant l’une à l’autre, fussent elles-mêmes l’objet et le motif du chant, de façon que le chant ne fût que l’expression plus vive des sentimens répandus dans la scène, et que les airs, les duos, les chœurs, y fussent enlacés dans le récitatif. Je voulois, de plus, qu’en se donnant ces avantages, l’opéra françois conservât sa pompe, ses prodiges, ses fêtes, ses illusions, et qu’enrichi de toutes les beautés de la langue italienne, ce n’en fût pas moins ce spectacle,


Où les beaux vers, la danse, la musique,
L’art de tromper les yeux par les couleurs,
L’art plus heureux de séduire les cœurs,
De cent plaisirs font un plaisir unique.

Voltaire.

Ce fut dans cet esprit que fut recomposé l’opéra de Roland. Dès que j’eus mis ce poème dans l’état où je le voulois, j’éprouvai une joie aussi vive que si je l’avois fait moi-même. Je vis l’ouvrage de Quinault dans sa beauté naïve et simple ; je vis l’idée que je m’étois faite d’un poème lyrique françois réalisée ou sur le point de l’être par un habile musicien. Ce musicien ne savoit pas deux mots de françois ; je me fis son maître de langue. « Quand serai-je en état, me dit-il en italien, de travailler à cet ouvrage ? — Demain matin », lui dis-je ; et dès le lendemain je me rendis chez lui.

Figurez-vous quel fut pour moi le travail de son instruction vers par vers, presque mot pour mot, il falloit lui tout expliquer ; et, lorsqu’il avoit bien saisi le sens d’un morceau, je le lui déclamois, en marquant bien l’accent, la prosodie, la cadence des vers, les repos, les demi-repos, les articulations de la phrase ; il m’écoutoit avidement, et j’avois le plaisir de voir que ce qu’il avoit entendu étoit fidèlement noté. L’accent de la langue et le nombre frappoient si juste cette excellente oreille que presque jamais, dans sa musique, ni l’un ni l’autre n’étoient altérés. Il avoit, pour saisir les plus délicates inflexions de la voix, une sensibilité si prompte qu’il exprimoit jusqu’aux nuances les plus fines du sentiment.

C’étoit pour moi un plaisir inexprimable de voir s’exercer sous mes yeux un art, ou plutôt un génie dont jusque-là je n’avois eu aucune idée. Son harmonie étoit dans sa tête. Son orchestre et tous les effets qu’il produiroit lui étoient présens. Il écrivoit son chant d’un trait de plume ; et, lorsque le dessein en étoit tracé, il remplissoit toutes les parties des instrumens ou de la voix, distribuant les traits de mélodie et d’harmonie ainsi qu’un peintre habile auroit distribué sur la toile les couleurs et les ombres pour en composer son tableau. Ce travail achevé, il ouvroit son clavecin, qui jusque-là lui avoit servi de table ; et j’entendois alors un air, un duo, un chœur complet dans toutes ses parties, avec une vérité d’expression, une intelligence, un ensemble, une magie dans les accords, qui ravissoient l’oreille et l’âme.

Ce fut là que je reconnus l’homme que je cherchois, l’homme qui possédoit son art et le maîtrisoit à son gré ; et c’est ainsi que fut composée cette musique de Roland, qui, en dépit de la cabale, eut le plus éclatant succès.

En attendant, et à mesure que l’ouvrage avançoit, les zélés amateurs de la bonne musique, à la tête desquels étoient l’ambassadeur de Naples et celui de Suède, se rallioient autour du clavecin de Piccini pour entendre tous les jours quelque scène nouvelle ; et tous les jours ces jouissances me dédommageoient de mes peines.

Parmi ces amateurs de la musique se distinguoient MM. Morellet, mes amis personnels, et les amis les plus officieux que Piccini eût trouvés en France. C’étoit par eux qu’en arrivant il avoit été accueilli, logé, meublé, pourvu des premiers besoins de la vie. Ils n’y épargnoient rien, et leur maison étoit la sienne. J’aimois à croire que de nous voir associés ensemble, c’étoit pour eux un motif de plus de l’intérêt qu’ils prenoient à lui ; et, entre eux et moi, cet objet d’affection commune étoit pour l’amitié un nouvel aliment.

L’abbé Morellet et moi n’avions cessé de vivre depuis vingt ans dans les mêmes sociétés, souvent opposés d’opinions, toujours d’accord de sentimens et de principes, et pleins d’estime l’un pour l’autre. Dans nos disputes les plus vives, jamais on n’avoit vu se mêler aucun trait, ni d’amertume, ni d’aigreur. Sans nous flatter, nous nous aimions.

Son frère, qui, nouvellement arrivé d’Italie, étoit pour moi un ami tout récent, m’avoit gagné le cœur par sa droiture et sa franchise. Ils vivoient ensemble, et leur sœur, veuve de M. Leyrin de Montigny, venoit de Lyon, avec sa jeune fille, embellir leur société.

L’abbé, qui m’avoit annoncé le bonheur qu’ils alloient avoir d’être réunis en famille, m’écrivit un jour : « Mon ami, c’est demain qu’arrivent nos femmes, venez nous aider, je vous prie, à les bien recevoir. »

Ici ma destinée va prendre une face nouvelle ; et c’est de ce billet que date le bonheur vertueux et inaltérable qui m’attendoit dans ma vieillesse, et dont je jouis depuis vingt ans.

  1. Le Huron, comédie en deux actes et en vers, mêlée d’ariettes (Théâtre-Italien, 20 août 1768). Marmontel n’avait pas voulu être nommé, mais personne ne fut dupe de cette feinte modestie.
  2. Lucile, comédie en un acte et en vers libres, mêlée d’ariettes (Théâtre-Italien, 5 janvier 1769). Cette fois encore Marmontel avait gardé l’anonyme.
  3. Sylvain, comédie en un acte et en vers libres, mêlée d’ariettes (Théâtre-Italien, 19 février 1770).
  4. L’Ami de la maison, comédie en trois actes et en vers libres, représentée pour la première fois sur le théâtre de la cour, à Fontainebleau, le 26 octobre 1771.
  5. Zémire et Azor, comédie-ballet en quatre actes et en vers libres, mêlée d’ariettes, représentée pour la première fois sur le théâtre de la cour, à Fontainebleau, le 14 octobre 1771, et à Paris, au Théâtre-Italien, le 16 décembre suivant.
  6. Gustave, roi sous le nom de Gustave III (1746-92).
  7. Loménie de Brienne, reçu le 6 septembre 1770, en présence de Gustave et de son frère, le prince Charles. La réponse de Thomas, en qualité de directeur, ne put être imprimée à raison des allusions à un réquisitoire de Séguier contre les écrits philosophiques que le public crut y saisir. Voir sur cette affaire la Correspondance de Grimm, octobre 1770.
  8. Mort le 26 mars 1772.
  9. Mme d’Houdetot disait plaisamment que Mme La Ruette avait de la pudeur « jusque dans le dos ». (Corresp. litt. de Grimm, XI, 443.)
  10. La Fausse Magie, comédie en deux actes et en vers libres, mêlée d’ariettes (Théâtre-Italien, 31 janvier 1775). Les auteurs modifièrent le dénouement l’année suivante.
  11. La Voix des pauvres, épître sur l’incendie de l’Hôtel-Dieu, réimprimée, ainsi que l’Ode à la louange de Voltaire, au tome XVII des Œuvres de Marmontel (1787), revues par lui.
  12. Marmontel a daté du château de La Tour des vers reproduits au tome XVII de ses Œuvres (1787).
  13. Je n’ai pu découvrir quel nom cachent ces initiales.
  14. Jean-Armand de Bossuejouls, comte de Roquelaure, plus tard archevêque de Malines (1721-1818). Il avait succédé à Moncrif.
  15. L’hôtel d’Angiviller et la rue à laquelle il avait donné son nom (entre l’Oratoire Saint-Honoré et la rue des Poulies) ont disparu en 1854, lors de l’achèvement de la rue de Rivoli.
  16. Lettre de Marmontel à M*** sur la cérémonie du sacre de Louis XVI (Reims, le 11 juin 1775). S. l. n. d., in-8o, 7 p.
  17. Charles-Juste de Beauvau, né à Lunéville le 10 novembre 1730, maréchal de France en 1783, mort le 19 mai 1793, au château du Val, près Saint-Germain-en-Laye. Il avait remplacé, en 1771, le président Hénault à l’Académie française.
  18. Marie-Charlotte de Rohan-Chabot, née le 12 décembre 1720, mariée en 1749 à J.-B. de Clermont d’Amboise, lieutenant général, et remariée en 1764 au prince de Beauvau ; morte le 26 mars 1807.
  19. Voir dans les Mémoires de l’abbé Morellet (1821, tome II, p. 49) une lettre de Mme de Beauvau à la princesse de Poix, où elle proteste, en ce qui la concerne, contre ce portrait « ou plutôt cet éloge », et surtout contre celui que Marmontel trace de son mari. Elle avait voué à sa mémoire un véritable culte, ainsi qu’en témoigne chaque page de ses Souvenirs, publication posthume de Mme Standish, née de Noailles. (L. Techener, 1872, in-8o.) Marmontel avait adressé en 1793 à Mme de Beauvau une lettre de condoléance dont Morellet a également cité un passage, et que les Souvenirs ont reproduite, en la datant par erreur d’Abbeville (pour Abloville).