Mémoires biographiques et philosophiques d’un astronome/Mémoires 5

Mémoires biographiques et philosophiques d'un astronome Voir et modifier les données sur Wikidata
Flammarion Voir et modifier les données sur Wikidata (p. 63-75).
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Le monde marche. — Fécondité de la seconde moitié du xixe siècle. — Développement inattendu des chemins de fer et du télégraphe. — Les inventions, le verre, les allumettes. — Les étues de l’école primaire et le latin. — Direction vers le séminaire de Langres.

Les temps dont je parle sont déjà loin. Bien des choses et bien des mots ont disparu de la circulation.

Nous vivions alors au temps des chandelles, et le perfectionnement des bougies n’est arrivé que plus tard. C’étaient des chandelles de suif, qu’il fallait moucher de temps en temps, pour empêcher la mèche de fumer et pour raviver l’éclairage. Lequel de nos contemporains connaît les mouchettes ? Elles ont disparu, comme les bonnets de coton de nos grands-pères. Les bougies stéariques ont été inventées de nos jours par Chevreul, auquel nous avons offert un banquet à l’Hôtel de Ville de Paris le jour où ses cent ans ont sonné à l’horloge du temps (31 août 1886).

Nous nous habituons si vite aux perfectionnements de l’industrie que presque personne ne songe à rendre justice aux travaux de l’esprit humain qui les ont amenés. Personnellement, il est rare que je monte dans un wagon sans être encore impressionné par une admiration constante pour la puissance de la vapeur et pour le génie des inventeurs. Quand on songe que c’est un rien apparent, un souffle, de la vapeur d’eau, qui emporte aujourd’hui ces millions et ces millions de kilogrammes au simple geste du mécanicien !… Il n’y a pas fort longtemps, je revenais de Constantinople par l’Orient-Express et j’entendais, non loin de moi, quelques passagers parler assez irrévérencieusement de la science, parce qu’elle ne prédit pas encore les tremblements de terre et ne permit pas d’éviter les catastrophes de la Martinique, de San-Francisco, de Valparaiso, et aussi parce que la médecine ne suit que de loin les progrès de la chirurgie, et nous laisse encore mourir assez misérablement. Les élégantes personnes confortablement assises dans un moelleux compartiment ne paraissaient pas se douter que, sans la science, elles ne traverseraient pas l’Europe en trois jours, l’Océan en six jours, sans rien changer à leurs heures de déjeuner, de dîner et de coucher. Elles ne paraissaient pas savoir que, pour leur procurer ces plaisirs ou ces avantages, il a fallu que le génie de l’homme devinât la puissance de la vapeur, de l’eau qui bout dans une marmite. Elles ne connaissent ni Salomon de Caus, ni Denis Papin, ni James Watt, ni Fulton, ni Stephenson, et n’ont aucune idée de la somme de travail intellectuel représentée par une locomotive. Ne semble-t-il pas, d’ailleurs, à la lecture des journaux quotidiens, que la science n’existe pas, et que le monde vit de littérature légère, de romans et de théâtre ?

Cependant, le contraste même entre Constantinople et nos capitales européennes leur avait fait toucher du doigt la différence formidable qui sépare ce Capharnaüm de la civilisation moderne. On est là de plusieurs siècles en arrière. Les rues tortueuses, étroites, ascendantes, descendantes, mal pavées, pleines de trous, jonchées de chiens dormant la plus grande partie du jour sans qu’il soit permis de les déranger (je parle de l’année 1906), barrées de boutiques en plein vent, sillonnées de portefaix encombrants, ne sont faites ni pour les voitures, ni pour les piétons. L’immense pont de bois qui sépare Stamboul de Galata, formé de solives inégales sur lesquelles il est difficile de marcher sans se tordre les pieds, et parcouru par un remous perpétuel de foules bariolées (qui lui apportent journellement un péage de six mille francs), semble dater des âges de barbarie, et est moins confortable que ceux de Paris au temps de Charlemagne. La vie s’interrompt au coucher du soleil, lorsque du haut des minarets les muezzins ont lancé d’une voix nasillarde leurs dernières prières au Prophète ; la lumière électrique n’existe pas encore à Constantinople. On ne se croirait ni au vingtième, ni au dix-neuvième, ni au dix-huitième, ni au dix-septième siècle. On n’est d’ailleurs qu’au quatorzième siècle de l’hégire, lequel, dans la marche du monde oriental, correspond peut-être au quatorzième siècle de l’ère chrétienne. Le calendrier est réglé par la lune, comme au temps des Chaldéens, il y a cinq mille ans. L’heure de chaque jour commence au coucher du soleil, ce qui vous oblige à changer chaque jour la position des aiguilles sur votre montre, si vous tenez à quelque précision ; mais ce n’est pas nécessaire, les rendez-vous ne s’y donnant guère qu’à une heure près. Les hommes d’affaires un peu stricts ont deux montres dans leur poche : l’une à l’heure turque, l’autre à l’heure chrétienne. Peut-être cet état de choses changera-t-il prochainement par suite de l’évolution constitutionnelle qui vient de se produire, mais on n’en vit pas moins là dans une ère préscientifique.

Eh bien ! c’est en revenant de visiter ce curieux vestige du passé que j’entendais la conversation des contempteurs de la science. Et je pensais que Constantinople est un progrès immense sur les habitations primitives de l’époque paléolithique et néolithique ; que ses palais, ses mosquées sont des chefs-d’œuvre de l’architecture ; que, du temps des Romains, Byzance dominait déjà l’une des plus belles positions géographiques du monde, et que l’art, l’industrie, la science ont graduellement transformé l’humanité.

Sans les savants qui ont travaillé, peiné, combattu, souffert, nous en serions encore à l’état sauvage.

Nos regards ne peuvent s’arrêter sur aucun objet sans nous inviter à rendre justice au travail scientifique. Voilà des fenêtres fermées par du verre. C’est un objet banal, pense-t-on. Mais non. Ces simples vitres sont une merveille devant laquelle devrait s’agenouiller notre reconnaissance.

Souvenons-nous que c’est là du sable fondu devenu transparent. Il a fallu créer cette admirable substance, grâce à laquelle nous pouvons habiter, hiver comme été, des demeures à l’abri des intempéries, du vent, de la pluie, de la neige, du brouillard, du froid, bien fermées, tout en nous conservant la lumière du jour et la vue des choses extérieures. Ainsi abrités, nous pouvons vivre tranquillement, travailler, manger et dormir. L’ouvrier peut confectionner ses œuvres, l’ingénieur peut tracer ses plans, l’industriel préparer ses combinaisons, le musicien peut écrire ses symphonies, l’artiste peut peindre ou sculpter ; le poète, l’écrivain, l’historien peuvent mettre sous nos yeux de nobles exemples, de sublimes pensées, ou s’envoler en descriptions qui enchanteront, charmeront, consoleront, instruiront des milliers de lecteurs. Ce verre, aussi, c’est le microscope qui nous a fait pénétrer au sein des arcanes de l’infiniment petit, et c’est le télescope qui nous transporte dans les immensités infinies et nous met en face de la splendeur des cieux. Je ne puis voir un morceau de verre sans en être ému, le considérant comme supérieur, de toute la hauteur du ciel, à tous les canons et à toutes les bombes, opprobre de l’humanité. Et encore ! que d’ustensiles fabriqués de verre, ne seraient-ce que les bouteilles et les verres ! On n’y songe pas, mais buvez donc, à table, les meilleurs vins dans des tasses de terre ou dans des écuelles de bois !

Voici une allumette. Ce n’est rien non plus en apparence ; c’est insignifiant ; créer du feu à volonté, quoi de plus simple ! Nous n’y songeons pas, en vérité. J’ai connu le temps, dans mon enfance, à l’époque dont je parle ici, où c’était encore impossible. Si l’on voulait avoir du feu, il fallait le conserver sous la cendre, et pour le transmettre, pour allumer une chandelle, je voyais ma grand’mère prendre dans un sabot de longues bûches de paille soufrée, que l’on allumait au charbon conservé sous les cendres. C’étaient des pailles de chanvre nu, restées après le tillage, et qui n’avaient aucune valeur. La stricte économie de ces campagnes nous paraît aujourd’hui fantastique. Au dehors, il n’y avait que le briquet et l’amadou. On n’avait pas découvert les propriétés du phosphore frotté. Le foyer, c’était la maison, c’était la famille, c’était tout. Le nombre des maisons du village s’appelait le nombre des feux. La lampe du temple ne devait jamais s’éteindre, et l’histoire n’a pas oublié le service imposé, sous peine de mort, aux Vierges de Vesta, dans le temple de Rome. Il n’y a plus de vestales aujourd’hui : une allumette les remplace ; et les vierges du vingtième siècle peuvent laisser s’éteindre tous les feux : elles sont sûres de les rallumer par un simple geste.

Eh bien ! Il n’y a pas longtemps que les allumettes sont inventées. J’ai connu l’un de ces inventeurs, Charles Sauria, qui l’imagina en 1831, à l’âge de 19 ans, étant élève du collège de Dôle, et camarade de Jules Grévy, le futur président de la République, lequel m’en a lui-même raconté l’histoire pendant sa présidence, en m’apprenant qu’il lui avait accordé un bureau de tabac. Ce fut, je crois, sa seule récompense. Les deux autres inventeurs : Kammerer (Wurtembergeois), en 1832 ; et Tronig (Hongrois), en 1833, sont morts dans la misère.

Le télégraphe, le téléphone, ne produisent-ils pas la même impression dans nos esprits ? Pourtant, personne ne paraît savoir que c’est la science qui mène le monde et que, sans elle, nous serions encore des troglodytes au fond des cavernes. Oui, c’est à la science que nous devons non seulement les progrès matériels de la civilisation, mais encore la sécurité et la tranquillité d’esprit qui ont permis les études morales et philosophiques, les conquêtes sociales, les jouissances de la liberté, l’affranchissement de la pensée.

Il me semble que la génération de mon époque, née avant le milieu du xixe siècle, a été l’une des plus privilégiées entre toutes parce qu’elle a assisté au prodigieux développement des sciences appliquées, qui ont transformé la face du monde. Nous avons vu naître, en effet :

Les chemins de fer ;

La télégraphie électrique ;

La photographie ;

L’analyse spectrale ;

La lumière électrique ;

La traction électrique ;

La photogravure ;

La microbiologie, la médecine microbienne ;

Le téléphone ;

Le phonographe ;

Le cinématographe ;

Les rayons X ; la radiographie, la vue intérieure du corps ;

Le radium, la radioactivité ;

La photographie en couleurs ;

La télégraphie sans fil ;

La direction des ballons ;

L’aviation, les aéroplanes ;

Le phonocinématographe ;

Et tant de progrès incessants dans toutes les branches de l’industrie, qu’il y a véritablement là une merveilleuse époque de création.

On se sert aujourd’hui de tous ces avantages comme s’ils avaient toujours existé, et presque sans y songer. Les enfants ne croient-ils pas que les chemins de fer et le téléphone ont toujours existé ?

Nos successeurs en verront bien d’autres, assurément, mais ils n’assisteront pas à une transformation aussi radicale. Ils en recevront une, entre autres, il est vrai, qui vaudra mieux peut-être que toutes les précédentes : la suppression de la guerre entre les peuples.

À l’âge de neuf ans, toutes mes classes de l’école primaire étant terminées, et au delà, je n’avais plus rien à y apprendre, et l’on me fit commencer le latin chez le brave curé du pays, dont le vicaire, l’abbé Lassalle, était fort excellent professeur. Nous étions trois élèves. L’un d’eux, Stanislas Minel, est actuellement percepteur en retraite à Paris, dans mon quartier ; l’autre, Louis Renard, est resté agriculteur, comme ses ancêtres, à Montigny. Quel a été le plus heureux des trois ? Aucun de nous ne s’est plaint de la destinée, mais il me semble bien que l’agriculteur est celui qui a été exposé, en toutes saisons, aux plus rudes besognes, et qui a le moins joui des agréments de la vie. Et pourtant, en réalité, sa carrière n’a-t-elle pas été la plus indépendante ? On a souvent associé le mot « gloire » à mon nom ; si cette association est justifiée, mon impression est que « la gloire », c’est les travaux forcés à perpétuité, parce qu’on entreprend trop, parce qu’on est toujours avide de savoir, parce qu’on ne peut rien finir, et j’ajouterai que ce mot est synonyme d’esclavage, justement par la raison que lorsqu’un nom est connu du monde entier, ce mot ronflant de gloire représente l’esclavage dans ce qu’il a de plus dur, à cause des obligations qu’il vous impose, qui vous mettent notamment dans un état permanent d’impolitesse grossière, puisqu’il est impossible de répondre aux lettres reçues. La situation d’un homme qui reçoit de tous les points du monde une trentaine de lettres par jour est-elle véritablement enviable ? — Pour moi, le comble du bonheur et de l’indépendance me paraîtrait d’être jardinier et inconnu.

Le climat de la Haute-Marne est assez rude. En hiver, la neige est épaisse et la bise est glacée. Nous arrivions souvent à l’étude en soufflant dans nos doigts. C’était un peu là une éducation de Spartiates, qui trempe solidement pour les vicissitudes de la vie. Et les hivers sont longs sur ces contreforts du plateau de Langres.

Les deux petits latinistes dont je viens de parler étaient à peu près mes seuls camarades. J’ai dit plus haut que ma mère était fort difficile pour les fréquentations, et, d’autre part, je préférais l’étude à tous les jeux. Lorsque des amis venaient à la maison, on prenait généralement l’ancien château comme lieu de promenade, et, tandis que l’on s’entretenait d’affaires qui m’intéressaient peu ou que je ne comprenais pas, je m’abandonnais au rêve et à la contemplation. De cette hauteur, l’heure du coucher du soleil était merveilleuse, Vénus, l’étoile du Berger, brillait du plus vif éclat, il me semblait que j’étais plus près du ciel, et je songeais à l’ascension de Jésus.

En somme, je préférais à toutes les distractions le travail, les leçons, la lecture. Il y avait devant la maison, à droite des marches du palier (alors au nombre de quatre au lieu de huit que l’on compte aujourd’hui, par suite d’un nivellement de la rue), une plate-forme de pierres plates très commodes pour jouer aux billes. Les enfants du quartier s’y donnaient souvent rendez-vous. Je faisais mes études dans une chambre au-dessus, et parfois leurs cris et leurs disputes m’étourdissaient. Je n’ai jamais eu l’idée de me joindre à leurs jeux.

Déjà je m’étais formé, comme je l’ai dit, une petite bibliothèque, qui, à l’âge de six ans, se montait à une vingtaine de volumes, à une trentaine à l’âge de sept ans, à une cinquantaine à l’âge de huit ans, volumes que je conserve encore aujourd’hui. On peut lire sur la couverture de l’un d’eux, de mon écriture : « Nouveau Testament de Notre-Seigneur Jésus-Christ, appartenant à Camille Flammarion, 13 novembre 1848 ». On voit que ce livre n’avait rien de récréatif. Un autre a pour titre Manuel de l’orateur et du lecteur, par Duquesnois. Ce sont des exercices de récitation choisis, avec les règles de la prononciation, et des figures pour les gestes, des exemples, des sermons des grands orateurs, et, en fait, à l’âge de sept, huit et neuf ans, il se trouva que je réunis, pendant le carême, une douzaine de braves femmes du quartier, qui venaient entendre le soir, à la maison, mes lectures de Massillon et de Bossuet.

L’hiver de 1852-1853 a été consacré dans presque toutes ses soirées à ces lectures, que l’on écoutait comme des sermons. Cette vie très sérieuse m’intéressait plus que les amusements de mes anciens camarades d’école.

Le coup d’État du 2 décembre 1851 me frappa moins que la proclamation de la République en 1848, parce que celle-ci avait été très mouvementée, tandis que la substitution de l’Empire à la République fut accompagnée d’une sorte de torpeur : la consigne était de se taire.

Vers l’âge de dix ans, dans la serre du juge de paix Lapre, où j’avais libre accès, j’avais observé avec une attention fiévreuse les mouvements des sensitives, et je m’étais dit qu’il n’y a pas de séparation réelle entre le règne animal et le règne végétal, dont j’avais pris une connaissance générale par une édition ancienne des œuvres choisies de Buffon. Ces mouvements des sensitives ne peuvent laisser indifférent un esprit observateur, surtout, peut-être, celui d’un enfant curieux.

Les enfants s’attachent et se souviennent de tout.

Que les années de l’enfance seraient précieuses si l’on savait meubler ces petits cerveaux ! On peut tout apprendre sans aucun effort.

Le travail ne m’était pas nécessaire pour avancer assez vite, et j’aimais assez faire autre chose, en dehors du programme.

C’est là mon troisième défaut, le premier étant l’absence d’énergie autoritaire, et le second la sensibilité nerveuse, comme on l’a vu plus haut.

C’est ainsi que je m’étais intéressé à tracer un plan du bourg de Montigny, assez bien orienté, et où toutes les maisons étaient faciles à retrouver, dans ces rues d’ailleurs peu nombreuses : une grande place, à Montigny-le-Haut, conduisant au château d’autrefois, la « voie » descendante de Montigny-le-Haut à Montigny-le-Bas, une grande rue de cultivateurs traversant le groupement du bas, et une série de petites rues. À propos de ces deux divisions du pays, j’avais remarqué que les habitants de Montigny-le-Haut étaient assez fiers, et regardaient « de haut » ceux de Montigny-le-Bas. Où la vanité va-t-elle se nicher ? Rivalités de fourmis sur peu d’espace, eût dit Sénèque. Et pourtant, le fait s’explique un peu par la situation. Et puis, le plateau supérieur est forcément plus aéré, plus ensoleillé, moins humide, plus propre, que la région inférieure. J’ai dit, me semble-t-il, que ma maison natale est sur le versant oriental de la colline, à peu près à mi-côte.

Mes parents, qui faisaient leurs emplettes de commerce à Langres, m’y emmenaient quelquefois. On partait avant le lever du soleil et, en arrivant dans la matinée, on admirait d’en bas la haute ville blanche illuminée dominant les remparts. Ma mère ne négligeait aucune circonstance pour émouvoir ma pensée par le spectacle des grandes cérémonies religieuses. C’est ainsi qu’en 1852, un nouvel évêque ayant été nommé à Langres, j’assistai à son entrée solennelle d’une fenêtre d’une maison située à la porte des Moulins, appartenant à un parent du beau-frère de mon père. Journée superbe. Le canon tonna, annonçant l’arrivée de Mgr Jean-Jacques-Marie-Antoine Guérin, qui venait d’être sacré à Dijon. Un reposoir attendait Sa Grandeur. Elle descendit noblement de calèche, fut reçue par les autorités, le préfet, le général, le clergé, etc., et la procession se mit en marche vers la cathédrale, escortée d’un brillant appareil militaire. Mitre en tête, crosse en main, l’évêque s’avançait d’un pas majestueux, en donnant de la main levée des bénédictions à gauche et à droite sur le peuple pieusement agenouillé. On arriva à la cathédrale au son des cloches. Roulement majestueux des orgues, Te Deum, sermon, bénédiction pontificale. Comment un enfant de dix ans ne serait-il pas frappé de ces splendeurs !

Mais revenons à mes études de latin chez le curé de Montigny.

M. Mirbel, curé-doyen de Montigny, était à peu près le recteur du pays, comptant plus, à lui seul, que l’instituteur, le maire et tout le conseil municipal réunis. Ma mère ne pensait que par lui, et ils étaient bien d’accord pour me diriger vers la voie ecclésiastique. D’ailleurs, le séminaire de Langres était réputé pour la force de ses études et pour la sévérité de son éducation. L’enseignement du latin y était notamment très soigné. De fait, je n’y ai pas poussé mes études plus loin que la quatrième, et j’étais presque au niveau des exigences du baccalauréat.