Mémoires artistiques de Mlle Péan de La Roche-Jagu, écrits par elle-même/Chapitre XVI

◄  XV.
XVII.  ►

CHAPITRE xvi.


Première représentation de Lully au Théâtre Montmartre

En attendant que mon opéra eût son tour pour être représenté au théâtre de Montmartre, je copiais toute la journée, sans bouger, ma partition, afin de gagner les 400 francs qu’on devait me donner à cet effet. — Mes répétitions commencèrent à Montmartre, et le 26 décembre, ma première représentation eut lieu. Mon émotion fut encore là bien grande ; je n’avais eu que quatre billets pour mes amis. Si le premier coup d’archet me fit une vive impression, lorsque l’on exécuta mon premier opéra ici, le lever du rideau m’en occasionna une bien plus forte. La Jeunesse de Lully réussit au delà de mes espérances ; les journaux sont là, qui en font foi ; car, étant privée de fortune, je n’aurais certes pu payer des articles, et j’en ai eu pourtant de bien encourageants. J’en conserve un doux souvenir de reconnaissance à MM. les journalistes. — Lorsque le rideau fut baissé, on demanda de tous côtés l’auteur, et le régisseur vint, au bruit de vifs applaudissements, me nommer. Si j’avais eu le bonheur d’avoir ce succès-là au théâtre de l’Opéra-Comique, je serais aujourd’hui dans une toute autre position que celle où je suis réduite par le mauvais vouloir des personnes qui sont à même de faire réussir et qui y mettent entrave.

En rentrant du théâtre, je t’écrivis, bonne Fanny, pour t’annoncer ma réussite, ainsi que mon arrivée à Brest, comme tu avais eu la bonté de me dire que tu ne voulais pas que j’allasse ailleurs que chez toi.

J’achevai en toute hâte mes préparatifs de départ, et je me mis en route le surlendemain ; je ne puis pas dire sans tambours ni trompettes, car j’étais munie de toutes mes parties d’orchestre. — Mon voyage fut très-pénible ; une pauvre femme toute seule, c’est triste de voyager ainsi. Il faisait un froid horrible ; je trouvai la route d’une longueur insupportable ; plus j’approchais de la ville qui avait vu naître mes premières émotions artistiques, plus j’en ressentais d’autres bien cruelles ! Ma bonne mère, que je n’avais plus ! mon pauvre père, que je ne retrouverais plus là pour recevoir sa chère enfant. Oh ! que ces pensées étaient amères et affreuses !…